Note de synthèse ■ Les instruments juridiques pour lutter contre les violences au sein du couple
p. 217-221
Texte intégral
Depuis la Convention des Nations-Unies sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes, adoptée le 18 décembre 19791 et ratifiée par la France le 14 décembre 1983, à laquelle est rattachée la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 20 décembre 19932, la lutte contre les violences faites aux femmes s’inscrit dans l’agenda des politiques publiques. Le Conseil de l’Europe a confirmé cette nécessité de l’action des États, notamment à l’occasion de la signature, le 11 mai 2011 à Istanbul, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique3. Ce contexte juridique international s’impose aussi en France où le gouvernement et le législateur s’emparent de ce contentieux pour progressivement construire des instruments de lutte contre ces violences. Depuis les années 2000, les violences conjugales sont présentées comme un axe prioritaire de la politique pénale du ministère de la Justice4.
1D’une part, les plans pluri-annuels interministériels institués à partir de 20055 permettent de fixer les objectifs des pouvoirs publics en matière de lutte contre les violences faites aux femmes et visent plus particulièrement les violences au sein du couple – la relation de conjugalité étant bien perçue comme un environnement spécifique au regard du développement de la violence – les conditions de leur révélation hors la sphère conjugale (notamment l’aménagement du secret professionnel), les modalités de poursuites et de réponses pénales.
2 D’autre part, le législateur est sollicité tant sur le plan civil que pénal pour édicter des mesures tendant à traiter juridiquement ces comportements violents.
Le volet pénal
3En 1980, lors de l’adoption de la loi sur le viol6, le législateur propose une nouvelle définition de l’infraction de viol qui ouvre la voie à la reconnaissance du viol entre époux. À partir de 1990, la jurisprudence criminelle7 s’empare du texte et admet « qu’il n’a d’autre fin que de protéger la liberté de chacun, [et] n’exclut pas de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage lorsqu’ils sont imposés dans les circonstances prévues par ce texte ». Il faudra attendre 20068 pour voir la loi expressément énoncer que le viol ou les agressions sexuelles peuvent être qualifiés « quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage » (art. 222-22 du Code pénal).
4En 1992, lors de la réforme du Code pénal, est introduite la circonstance aggravante de commission de l’infraction de violences par le conjoint ou le concubin : cette disposition peut être comprise comme la reconnaissance de la spécificité des violences au sein du couple conduisant alors à une plus grande sévérité de la peine encourue par l’auteur de ces faits. Les lois de 20069 et 201010 élargiront le champ d’application de cette circonstance aggravante au partenaire pacsé et au concubin, pour prendre en considération toutes les formes de conjugalité, ainsi qu’aux ex-conjoints, ex-concubins et ex-partenaires pacsés ; est ainsi soulignée la nécessité de prendre en considération les situations de rupture du lien entre les protagonistes qui ne mettent pas un terme aux violences, mais qui souvent, les déclenchent ou les amplifient (cf. article 132-80 du Code pénal). En 201811, la loi est venue préciser que cette circonstance aggravante de conjugalité peut être retenue même en l’absence de cohabitation.
5En 2010, une nouvelle circonstance aggravante apparaît dans le Code pénal pour accentuer la peine en cas d’atteinte « contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union », tandis qu’en 201312, afin de satisfaire aux engagements internationaux de la France, l’article 222-14-4 du Code pénal incrimine « le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l’étranger, d’user à son égard de manœuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le territoire de la République ».
6L’année suivante, en 201413, est inséré dans le Code pénal un article 222- 33-2-1 qui crée une nouvelle infraction de harcèlement au sein du couple lorsque « les propos ou comportements répétés [ont] pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime, se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ».
7Les violences au sein du couple sont aujourd’hui appréhendées plus largement en incluant les témoins de ces violences que sont très souvent les enfants du couple : à partir de 201814, les violences « alors qu’un mineur assiste aux faits et que ceux-ci sont commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité », sont aggravées.
8En outre, la sanction encourue pour violences conjugales fait également l’objet d’une attention particulière et tend à se spécialiser au sein de l’arsenal répressif. Au-delà de l’aggravation de la peine privative de liberté ou de la peine d’amende, une peine de suivi socio-judiciaire avec une injonction de soins peut être encourue par tout auteur de violences habituelles au sein du couple (art. 222-48-1 al. 2 du Code pénal15). Dans le cadre d’alternatives aux poursuites, un classement sous condition (art. 41-1 6° du Code de procédure pénale) ou une composition pénale (art. 41-2 14° du Code de procédure pénale) peuvent être assortis, pour la personne mise en cause pour ces violences, d’une obligation de résider hors du domicile conjugal, le cas échéant d’une interdiction de paraître à ce domicile ou aux abords de celui-ci. Dans ce même cadre, une mesure de stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et les violences sexistes peut être prononcée (art. 41-1 2° et art. 41-2 18° du Code de procédure pénale).
9En outre, la spécificité des violences conjugales à propos desquelles un mécanisme d’emprise sur la victime est régulièrement constaté, a été invoquée pour demander au législateur d’écarter le recours à la médiation pénale sauf si la victime en fait expressément la demande (art. 41-1 5° du Code de procédure pénale).
10Une partie de ces mesures peut intervenir soit avant même le prononcé de la culpabilité, en cours d’instruction, à titre d’obligation d’un éventuel contrôle judiciaire (art. 138 17° du Code de procédure pénale), soit après la décision de condamnation, au titre de la peine prononcée, et au cours de l’aménagement de la peine décidée par le juge de l’application des peines.
11Enfin, il faut noter que l’immunité familiale qui peut neutraliser les poursuites en cas de vol au sein du couple, a été écartée si le vol porte sur des objets ou des documents indispensables à la vie quotidienne de la victime tels que des documents d’identité, relatifs au titre de séjour ou de résidence, ou des moyens de paiement, ces agissements pouvant s’inscrire dans un contexte de violences en privant la victime de ses moyens économiques ou administratifs affectant son autonomie et sa liberté de circulation (art. 311- 12 du Code pénal).
12Toutes ces mesures s’inscrivent dans un mouvement d’accentuation de la répression à l’égard des auteurs de ces violences conjugales. Si ces dispositifs ont vocation dans le même temps, à protéger l’intégrité physique et psychique des victimes, la protection des victimes peut passer aussi par l’insertion de moyens plus techniques à la procédure pénale, comme le recours au téléphone grand danger (TGD) généralisé en 2014 (art. 41-3-1 du Code de procédure pénale)16. La loi votée en juillet 2020 organise le renforcement de la protection des victimes en instaurant de nombreuses mesures en faveur des partenaires comme des enfants des auteurs de violences conjugales.
13Si le droit pénal a été réticent à investir la sphère conjugale afin de préserver la famille et l’institution du mariage des immixtions d’un droit accusateur, stigmatisant notamment les dérives du pouvoir patriarcal et marital, il intervient désormais pour protéger en premier lieu les personnes au sein du couple et de la famille, dont le respect des libertés et droits fondamentaux apparaît comme essentiel dans nos sociétés contemporaines.
Le volet civil
14La conjugalité est d’abord envisagée par le Code civil à travers l’institution du mariage, forme originaire de la construction juridique du couple. Puis, à la fin du xxe siècle, d’autres formes de conjugalité sont légalement reconnues, le concubinage et le pacs17. Face à cette pluralité émerge « un droit commun du couple » notamment pour préserver les droits de chaque personne composant ce couple. Ainsi, comme souligné précédemment, la circonstance aggravante de conjugalité va concerner tous les couples, mariés, pacsés ou en concubinage : ainsi, de la forme de conjugalité ne dépend pas le niveau de protection des membres du couple.
15Progressivement, au début du xxie siècle, le législateur civil introduit des dispositions qui implicitement ou explicitement relèvent de la lutte contre les violences conjugales.
16En 200618, l’article 212 du Code civil relatif aux devoirs des époux est réécrit pour ajouter aux devoirs de fidélité, de secours et d’assistance, le respect que chaque époux se doit mutuellement, et dont fait partie le respect de l’intégrité psychique et physique.
17La loi du 26 mai 2004 relative au divorce19, tout en conservant le divorce pour faute pour sanctionner le conjoint auteur de violences, met en place une procédure d’éviction du conjoint violent que le juge aux affaires familiales peut décider avant toute requête en divorce dans le cadre d’une procédure d’urgence (art. 220-1-3 du Code civil, ancienne rédaction). Ce dispositif sera étendu et complété20 par la mesure de l’ordonnance de protection permettant au juge aux affaires familiales d’intervenir en urgence dans un contexte de violences au sein du couple, quelle que soit sa forme, pour évincer le conjoint violent, mais également imposer des obligations à l’auteur des violences, et permettre au conjoint victime de dissimuler son domicile ; l’ordonnance permet encore au juge aux affaires familiales de se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale (art. 515-9 à 515-13 du Code civil). Cette ordonnance de protection, « véritable complément aux dispositifs répressifs demeure peu utilisé[e] au regard du nombre de procédures diligentées en matière de violences au sein du couple »21, l’articulation de procédures civile et pénale est délicate, mais le ministère de la Justice souhaite voir cet instrument se développer.
Notes de bas de page
1 https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CEDAW.aspx.
2 https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/ViolenceAgainstWomen.aspx. Cette convention définit les violences à l’égard des femmes en commençant par la sphère familiale et du couple en particulier (art. 2).
3 https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/0900001680084840.
4 Cf. notamment Circulaire du ministère de la Justice, n° CRIM/2019-11/E1-09.05.2019, du 9 mai 2019 relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes.
5 1er plan 2005-2007, 2e plan 2008-2010, 3e plan 2011-2013, 4e plan 2014-2016, 5e plan 2017-2019.
6 Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs.
7 Cour de cassation, chambre criminelle, 5 septembre 1990, pourvoi n° 90-83786 (Bull. Crim. n° 313) : est reconnu pour la première fois le crime de viol entre époux durant le mariage.
8 Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.
9 Idem.
10 Loi n° 2010-769 du 10 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
11 Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
12 Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.
13 Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
14 Loi n° 2018-703 préc.
15 Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.
16 Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
17 Loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, qui dans le même texte, définit le concubinage (art. 515-8 Code civil) et le pacs (art. 515-1 du Code civil).
18 Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, préc.
19 Loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.
20 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, préc. et loi n° 2014-873 du 4 août 2014, préc.
21 Circulaire du ministère de la Justice du 9 mai 2019, préc.
Auteur
sylvie.grunvald@univ-nantes.fr
Juriste, est maîtresse de conférences HDR, université de Nantes, Laboratoire de recherche Droit et changement social (UMR CNRS 6297), co-responsable pédagogique du master (1 et 2) Sciences sociales et criminologie, Faculté de droit et des sciences politiques de Nantes. Ses axes de recherche principaux portent sur l’évolution de la justice pénale, les violences, les relations entre violences et santé. Ses récents travaux ont notamment porté sur la répression des mutilations sexuelles féminines, les violences sexuelles et la pratique judiciaire de la correctionnalisation de l’infraction de viol, et les données chiffrées relatives aux violences sexuelles.
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