Annexe VIII.
La sous-estimation des migrations au recensement1
p. 214-220
Texte intégral
1Nous avons vu les limites du mode de dénombrement retenu pour les migrations.
2Une personne qui a effectué deux migrations2 au cours de la période est supposée n’en avoir effectué qu’une, si son lieu de résidence au second recensement diffère de son lieu de résidence au premier. Dans ce premier cas, de loin le plus fréquent, la mesure des migrations entre recensements conduit en pratique à l’omission d’une migration.
3Dans les cas plus rares où la personne est revenue au second recensement dans son lieu de résidence au premier recensement, on omet deux migrations au moins.
4On néglige ainsi une proportion inconnue des migrations multiples au cours de la vie d’un individu : celles qui ont lieu entre recensements successifs.
5L’objet des calculs qui suivent est d’évaluer l’ordre de grandeur des migrations omises dans chaque groupe d’âges et pour chaque définition des migrations, et surtout d’évaluer un intervalle de variation encadrant leur volume réel. Ceci dans un double but :
6D’abord pour être en mesure de comparer l’intensité des mouvements migratoires au cours des deux dernières périodes intercensitaires ; puis pour calculer les indices du moment.
L’estimation des migrations omises
7Pour évaluer les migrations ainsi négligées, il faudrait disposer de distributions des migrations selon l’âge et la durée écoulée depuis la migration précédente. Il faudrait également disposer d’une séparation des migrations de rang supérieur à 1 en migrations secondaires et retours.
8En l’absence de ces données, nous avons supposé que dans les intervalles assez réduits qui séparent les recensements (5 ans, 6 ans, 8 ans) on pouvait opérer comme si les probabilités de migration selon l’âge et la durée écoulée depuis la migration précédente étaient uniformes.
9Pour un groupe d’âges donné, nous avons retenu les notations suivantes, indiquées sur la figure 1 :
10p 1 = probabilité annuelle d’effectuer une première migration au cours de la période intercensitaire.
11kp1 = probabilité annuelle d’effectuer une migration de rang 2 au COURS de la même période (sachant qu’on a effectué une première migration).
12n = durée de la période (en années).
13Il est essentiel de noter qu’à la différence du chapitre III, il s’agit de premières migrations, de migrations secondaires ou de retours, depuis le début de la période intercensitaire et non depuis la naissance.
14Le tableau XXXVII du chapitre V donne des taux annuels de migration par groupe d’âges, relatifs à la période 1954-1962. Nous utiliserons plus bas des taux analogues pour la période 1962-1968. Nous les avons notés pd. Ce sont les probabilités annuelles d’effectuer une migration dénombrée.
15Sous ces hypothèses, et en notant :
16ρ = proportions de retours parmi les migrations de rang supérieur à 1 au cours de la période,
17un calcul assez simple mais un peu long donne une valeur approchée du rapport des migrations omises aux migrations dénombrées, en fonction de n, k, pd et p.

18A la différence de n et pd, p et k sont inconnus. Nous proposerons dans la suite des intervalles de variation plausibles de ces deux quantités. Supposons les provisoirement connus ; il est alors facile de passer des taux annuels de migrations dénombrées, aux taux p que l’on calculerait si toutes les migrations étaient enregistrées.

19S’il n’y a pas de migrations multiples, k = 0. La probabilité déduite des recensements est sans biais ; pd fournit une limite inférieure de la probabilité p cherchée.

Figure 1
20En fait, k et p sont différents de zéro, l’écart entre pd et p est d’autant plus grand que k et p sont plus élevés.
Evaluation d’un intervalle de variation des valeurs de k

21Les études dont nous disposions permettent d’évaluer des rapports de la probabilité annuelle d’effectuer une migration de rang supérieur à 1 à celle de première migration.
22Toutefois la définition de la première migration est différente. Ce n’est pas la première migration depuis le début de la période intercensitaire. Nous évaluerons successivement des valeurs de k1, k2, k3 dont la définition diffère de celle de k.
231/ Dans l’article de G. Pourcher3 déjà cité la première migration est définie comme le premier changement de localité4 depuis l’âge de 15 ans. Les migrations de rang supérieur à 1 sont les changements de localité suivants.
24Nous avons calculé5 les valeurs, par groupe d’âges, du rapport k1 de la probabilité annuelle d’effectuer une migration de rang supérieur à 1 à celle d’effectuer une première migration (après 15 ans).
25Les probabilités figurant en numérateur et en dénominateur de k1 sont calculées en proportion de l’effectif de personnes exposées au risque. Ce sont des taux de 2ème espèce.
26Les valeurs de k1 varient peu avec l’âge entre 15 et 50 ans6, dans le groupe de générations 1891 – 1915. Elles sont voisines de 2.
272/ Nous avons calculé au chapitre III les valeurs du rapport suivant (changements d’état américains de 1955 à 1960) :

28Ce rapport, décroissant avec l’âge, varie de 5 à 2,6. Sa valeur moyenne est peu supérieure à 3.
293/ Pour les changements de département, en France, au cours de la période 1954 – 1962, nous avons estimé la valeur moyenne de :

30Très vraisemblablement variable selon l’âge, comme k2, la valeur moyenne estimée vaut :
31k3 = 1,70
32En conclusion, le fait d’avoir déjà effectué une première migration (depuis la naissance ou l’âge de 15 ans) augmente fortement la probabilité d’effectuer une migration de rang supérieur.
33Cette augmentation est particulièrement marquée pour les changements d’état américains de 1950 à 1960 (k3 ̴ 3).
34En France, l’augmentation est moins forte mais cependant très nette (k1 ̴̴ 2, k3 ̴ 1,7)
35Il est difficile de passer des valeurs de k1,k2 et k3 aux valeurs inconnues de k qui sont vraisemblablement moins élevées :
36Le dénominateur de k est très proche du taux annuel de migration sans distinction de rang (taux de 1ère espèce).
37Dans chacun des trois cas considérés, ce taux est sensiblement supérieur aux taux de première migration (taux de 2ème espèce calculés en proportion des effectifs exposés au risque de première risque migration), qui figurent en dénominateur de k1, k2 et k3.
38Dans un certain nombre de cas s’écoule aussi un délai entre les migrations successives des ménages7. L’introduction de délais, même faibles (1 à 3 ans), dans la formule (3) conduit à une réduction notable des migrations omises.
39Compte tenu de ce qui précède, les valeurs de k en France sont assez vraisemblablement inférieures à celles de k 1 et k3 (k1 =1 ; k3 = 1,7).
40Pour estimer p, nous ne disposons que des données américaines du chapitre III (tableau XVIII).
41La proportion des retours dans l’ensemble des migrations de rang supérieur à 1 décroît avec l’âge. Elle est toujours inférieure à 0,50. Pour l’ensemble de la population (tous âges), elle est de 0,34.
Choix d’un intervalle de variation de la proportion de migrations omises
42Dans le cas limite où il n’y a ni migrations secondaires, ni retours, au cours de la période, la proportion de migrations omises est nulle.
43La limite inférieure de la probabilité annuelle de migration (tous rangs, y compris les migrations omises) est donc :

44Il s’agit maintenant de trouver une limite supérieure de p. Revenons à la formule (3).
45Le facteur correctif est égal à :

46Il comprend un terme du premier ordre et un terme du second ordre. Le rapport du second au premier vaut :
47pnkpd
48Compte tenu des valeurs de p, n, k et pd, ce rapport est faible. Il atteint environ 25 p.cent8 aux âges de forte mobilité où pd est de l’ordre de 5 p. cent par an. Les valeurs moyennes sont nettement moins élevées.
49Le terme du second ordre est le plus souvent négligeable par rapport au terme du premier ordre. Nous avons vu plus haut que les valeurs de k étaient vraisemblablement inférieures à 2. Nous avons calculé une limite supérieure de p en négligeant le terme du second ordre et en retenant pour limite supérieure de k, la valeur k = 2.
50Nous disposons alors d’une “fourchette” permettant d’encadrer le taux de migration cherché (tous rangs, taux de première espèce) :
51Le rapport des migrations omises aux migrations dénombrées est donné par la formule :

52La limite inférieure correspond à la valeur k = 0, la limite supérieure à la valeur k = 2. Entre ces deux limites, nous avons retenu une valeur moyenne correspondant à k = 1
53Il est peu vraisemblable que la limite supérieure soit dépassée.
54Elle conduit, dans certains groupes d’âges, à des proportions de migrations omises très élevées comme le montre le calcul suivant relatif aux femmes ayant changé de commune entre 1954 et 1962, âgées de 25 à 34 ans au 1.1.1962.
55Taux annuel non corrigé des omissions :
56pd = 5,27 p. cent
57n = 8,22
58k = 2

59On voit que pour certains groupes d’âges et certaines définitions de la migration, le taux d’omission peut être particulièrement élevé, soulignant ainsi les limites du mode de dénombrement retenu pour les migrations au recensement.
60La limite inférieure, retenue dans tous les calculs du chapitre V, correspond à la valeur k = 0 qui suppose nulles les migrations multiples au cours de la période intercensitaire.
61Entre ces deux limites, nous avons retenu une valeur moyenne de k = 1 à laquelle on peut donner l’interprétation suivante : elle fournit la proportion de migrations dans la triple hypothèse où :
La probabilité annuelle d’effectuer une seconde migration au cours d’une période intercensitaire est égale à la probabilité annuelle d’effectuer une première migration au cours de la même période.
Le volume des “aller-retour” entre les deux recensements est négligeable.
Il n’y a pas de “délai” entre migrations successives.
Conclusion
62Nous avons vu que la proportion de migrations omises peut être importante au moins dans certains groupes d’âges et pour certaines définitions des migrations (changements à faible distance où l’intensité de la mobilité est forte).
63Certaines études précises rendent par ailleurs nécessaires la connaissance des migrations omises.
64Il serait illusoire de vouloir que les recensements fournissent plus qu’ils ne peuvent donner : le dénombrement des migrations successives depuis le recensement précédent serait trop lourd.
65On devra donc faire appel aux résultats d’enquêtes spécifiques sur les migrations.
66Un article de D. Courgeau9, reposant sur des données américaines, suédoises, et sur les résultats d’une enquête menée à l’I.N.E.D., fournira prochainement une solution beaucoup plus précise au problème de l’estimation des migrations omises.
Notes de bas de page
1 Sur le dénombrement des migrations au moyen des recensements, v. G. Calot : note méthodologique sur les migrations, référence bibliographique 7.
2 Les migrations triples, quadruples, ... entre recensements peuvent être négligées.
3 G. Pourcher : “Un essai d’analyse par cohorte de la mobilité géographique et professionnelle”. Population. Mars-avril 1966.
4 Localité = commune isolée ou agglomération multicommunale. Ces résultats peuvent être transposés sans grands risques aux migrations entre circonscriptions de taille voisine : cantons, communes.
5 A partir des tableaux I et II de l’article (pages 362 et 364).
6 Les données disponibles ne permettent pas de calculer k1 avant 15 ans et au-delà de 50 ans.
7 Pour des raisons de commodité, éviter un changement d’école aux enfants d’âge scolaire, pour trouver un nouveau logement etc...
8 Valeurs calculées dans le cas limite ou n = 8,2, k = 2 p = 0,34
9 A paraître dans la revue Population.
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