Chapitre III.
Étude transversale : la mesure des changements de département entre recensements (1881-1962)
p. 51-102
Texte intégral
Introduction
1Nous avons adopté, dans le chapitre précédent, un point de vue longitudinal, qui nous a permis de mesurer l’intensité finale de la mobilité par génération.
2Nous nous plaçons maintenant du point de vue complémentaire, ou transversal. Nous cherchons à estimer les changements de département entre recensements successifs, sans distinguer les générations en cause. Ce sera l’objet de la première partie de ce chapitre.
3Nous avons retenu pour date de début d’estimation le recensement de 1881 : les recensements précédents ne portent que sur la population légale et ne fournissent pas de données homogènes avec les recensements suivants, qui concernent la population présente.
4Nous n’avons pas cherché à estimer des flux orientés, entre couples de départements, comme l’ont fait Fiedlander et Roshier pour les comtés anglais : les statistiques françaises, moins détaillées, ne permettaient que l’emploi de la méthode simplifiée, dont la précision laisse à désirer, pour quelques intervalles seulement1.
5C’est donc une évaluation globale des changements de département entre recensements successifs depuis 1881, que nous donnons ici.
6La méthode utilisée est une application particulière de la méthode générale exposée et discutée au chapitre I. Elle permet, par rapport à la méthode détaillée, des gains de précision très appréciables.
7Dans une seconde partie, nous abordons l’étude des migrations par rang, particulièrement importante lorsque, comme c’est le cas ici, on étudie les migrations à partir de données sur le lieu de naissance.
8La troisième partie de ce chapitre est consacrée à l’analyse des résultats de la première partie : facteurs d’évolution de la mobilité, typologie des mouvements migratoires, évolution des migrations selon différentes définitions (changements de commune, de département, de région).
I – La méthode
Principe.
9On dispose, à chaque recensement, de l’effectif des personnes nées en France et résidant hors de leur département de naissance. On dispose en outre, pour certains recensements, de répartitions par âge plus ou moins détaillées, des effectifs précédents.
10Désignons ces effectifs par m et portons notre attention sur une période quelconque, par exemple 1931-1936.
11On peut exprimer l’effectif m 1936, des personnes résidant hors de leur département de naissance en 1936, en fonction de la même quantité en 1931 et des trois quantités C1, S et r définies plus bas.

12Nous procéderons plus bas à des estimations des coefficients S de survie des migrants entre recensements.
13Supposons provisoirement connues ces estimations et notamment le taux de survie entre 1931 et 1936 utilisé dans l’exemple retenu.
14L’équation2 permet alors d’estimer la quantité C1 – r, excédent du volume C1 de premiers changements de département sur les retours au département de naissance.
15Cette quantité donne elle-même une estimation de l’effectif C de changements de département par période.
16C peut en effet s’écrire, en distinguant les rangs des changements de département :

17Dans la suite, nous serons amené à séparer les migrations de rang supérieur à 1 en deux classes :
18C2 + C3 + C4 +... = C2++ r
19C2+ désigne les migrations de rang supérieur à 1, distinctes des retours (migrations secondaires). r désigne les retours au département de naissance.
20C = C1 + C2+ + r
21Si l’on suppose que chaque personne effectue un changement de département au plus au cours de sa vie
22C2+ = 0
23r = 0
24C1 – r = C1= C
25La quantité C1 – r donne donc dans ce cas une estimation sans biais de l’effectif C de changements de département au cours d’une période.
26Plaçons-nous maintenant dans l’hypothèse, plus réaliste, où se produisent à la fois des changements de département de rang supérieur à 1 et des retours au département de naissance.
27La quantité C1 – r donne alors une estimation par défaut de l’effectif C de l’ensemble des changements.
28D’une part, parce qu’elle ne comprend pas les changements de département de rang supérieur à 1 ; d’autre part, parce qu’une partie d’entre eux, les retours, sont en outre retranchés de cette estimation.
29Le biais de l’estimation vaut en effet, en introduisant l’effectif C2+ de migrations secondaires (migrations de rang supérieur à 1, distinctes des retours)
30C – (C1 – r) = C2+ + 2r
31Nous procédons d’abord à une estimation des effectifs (C1 – r) donnés pour chaque période par une équation de type3.
32Nous tenterons ensuite de passer de cette première estimation à des estimations de C1, puis de C. Nous interpréterons enfin les résultats obtenus.
33L’estimation de C1 – r rend nécessaire celle des valeurs S, coefficients de survie des personnes résidant hors de leur département de naissance en début de période. Venons-en à leur estimation.
Estimation des taux S de survie : principe du calcul.
34Leur valeur, pour une période donnée, dépend de trois facteurs :
La structure par âge des migrants présents au premier recensement de la période.
La mortalité, à chaque âge, de l’ensemble des Français.
Les différences de mortalité entre migrants et non-migrants.
35La mortalité par âge est donnée, pour une période donnée, par les tables de mortalité encadrant cette période.
36Nous avons vu plus haut4 que la surmortalité des migrants5 était encore importante au début du siècle. Ne pas la prendre en compte reviendrait à surestimer S et par conséquent à sous-estimer la quantité (C1 – r).
37Les calculs de l’annexe II, où nous en avons estimé des valeurs, le confirment ; anticipant légèrement sur la suite, nous donnons ci-dessous deux estimations du volume des premiers changements selon qu’on prend ou non en compte la surmortalité des migrants dans les générations anciennes.
38Excédent (C1 – r) des premiers changements de département sur les retours au département de naissance (Période 1901-1906 ; sexes réunis) :
Sans tenir compte de la surmortalité des migrants | 806 000 |
Compte tenu de la surmortalité des migrants | 893 000 |
39On voit que la prise en compte de la surmortalité évite une sous-estimation de l’ordre de 10 % sur le flux mesuré.
40Nous avons calculé en annexe II les coefficients, utilisés plus bas, à appliquer aux taux de survie (tous âges), pour prendre en compte la surmortalité des migrants.
41Revenons maintenant à l’estimation des taux S de survie.
42L’application, à la structure par âge des migrants (1e facteur), des taux de survie par âge déduits des tables de mortalité (2e facteur), fournit, après prise en compte de la surmortalité (3e facteur), les coefficients de survie cherchés (tous âges).
43De ces trois facteurs, les deux derniers sont connus. Il nous reste donc à estimer le premier, c’est-à-dire la structure par âge des personnes résidant hors de leur département de naissance à chaque recensement.
L’estimation des structures par âge des groupes m.
44On ne connaît la répartition par âge des personnes résidant hors de leur département de naissance qu’à quatre recensements = 1901, 1911, 19466 et 19627.
45Il importe d’estimer de façon assez précise les structures par âge des groupes m à tous les recensements ; un exemple suffit à montrer l’importance de ce facteur :
46Pour calculer les taux S de survie entre 1946 et 1954, nous avons utilisé successivement deux structures par âge, données dans le tableau IX et figurées sur le graphique 9, pour le groupe m 1946 : données disponibles à ce recensement ; puis la structure par âge, connue, du groupe m 1911 (effectif de migrants résidant en 1911 hors de leur département de naissance).
47Ces taux de survie figurent dans le tableau ci-dessous, qui donne également les deux estimations correspondantes de C1 – r au moyen d’une équation de type (1).
tableau ix. – structures par age des residents hors de leur departement de naissance(1).


48Les résultats montrent l’importance que revêt la connaissance de la structure par âge du groupe m de migrants au premier recensement, pour estimer les flux C1 – r. Dans l’exemple ci-dessus des différences de l’ordre de 2 % sur les taux S de survie, provoquent, par le jeu de l’équation d’estimation, par différence, n° 1 (page 52), des écarts de l’ordre de 10 % entre les estimations finales C1 – r.
49Comment estimer les structures par âge des groupes m aux quatre recensements de 1921, 1926, 1931 et 1936 ?
50Chacune d’entre elles dépend :
de la structure par âge, connue, de l’ensemble de la population
de l’intensité finale de la mobilité dans les générations représentées ; les calculs du chapitre précédent en fournissent des estimations (Tableau IV)
du calendrier des premières migrations dans ces générations.

Graphique 9. – Structures par âge des groupes m8 en 1911 et 1946.
51La structure par âge du groupe m1911 est sensiblement plus jeune que celle du groupe m1946 pour plusieurs raisons :
La structure par âge de la population totale est plus jeune en 1911.
La croissance de l’intensité finale de la mobilité a été plus rapide, dans les générations représentées en 1911 que dans les générations représentées en 1946.
Enfin le calendrier des premiers changements a très vraisemblablement “vieilli” entre 1911 et 1946.
52Supposant constant le calendrier des premières migrations9, nous avons estimé les quatre structures cherchées. Les recoupements auxquels nous avons pu procéder montrent que la précision des estimations est satisfaisante.
53Nous disposons maintenant des structures par âge des migrants présents aux recensements de 1901, 1911, 1921, 1926, 1931, 1936, 1946 et 1962.
54Pour 1906, nous avons utilisé une structure moyenne, déduite des structures en 1901 et 1911.
55En 1954, nous disposions pour chaque sexe d’une répartition des migrants en trois groupes d’âges10 ; nous en avons déduit une structure détaillée en utilisant les structures détaillées connues en 1946 et 1962.
56De 1881 à 1901, nous avons calculé les taux de survie des migrants par une méthode directe, indiquée plus bas, qui rend inutile l’estimation de leurs structures par âge.
Calcul des taux de survie S des migrants (tous âges).
57Nous disposons maintenant de tous les éléments nécessaires au calcul de ces taux : les structures par âge des migrants que nous venons d’estimer, le niveau de leur surmortalité par période, calculé en annexe II et enfin les tables de mortalité calculées par la statistique générale de la France et l’I.N.S.E.E.11.
58Des tables de mortalité, on déduit facilement les taux quinquennaux12 de survie de chaque groupe d’âges.
59Nous avons ensuite appliqué aux structures par âge en début de période, les taux de survie par groupe d’âges des tables de mortalité encadrant la période.
60D’où deux taux de survie (tous âges) dont la moyenne pondérée13 fournit une première estimation du taux de survie des migrants pendant la période de calcul.
61Ces taux figurent dans le tableau X (colonne 2) pour le sexe masculin.

Graphique 10. – Taux de survie des migrants par période intercensitaire (sexe masculin).
62Le même tableau donne, toujours pour le sexe masculin pris à titre d’exemple, les corrections successives que nous avons fait subir à ces taux de survie pour obtenir les taux retenus pour le calcul.
63D’abord une correction de surmortalité, en utilisant les valeurs de la surmortalité des migrants calculés en annexe I.
64Enfin un redressement des effets des variations de date des recensements : en raison de ces décalages, les intervalles ne sont pas exactement égaux à 5 ou 8 ans.
65Le graphique 10 donne, pour chaque période, les valeurs de ces estimations successives.
Tableau x. – calcul des taux de survie (tous ages) pour le sexe masculin taux de survie definitivement retenus pour chaque sexe

66Pour les quatre premières périodes (1881-1901), on ne disposait pas de tables précises de mortalité. Nous avons donc procédé par extrapolation de la tendance 1901-1936.
67Les trois dernières colonnes du tableau X donnent, pour chaque sexe, les valeurs des taux de survie retenus.
Calcul des flux de migrants entre recensements.
68Nous avons estimé les valeurs C1 – r à l’aide d’équations du type (1)

69Les effectifs m de personnes résidant hors de leur département de naissance sont fournis par les recensements.
70Nous leur avons fait subir quelques corrections pour la période 1881-1911 en raison des changements de définition et des défauts des statistiques publiées (v. annexe IV).
71En 1954, nous avons calculé deux répartitions de la population selon le lieu de naissance. La première selon les conventions retenues aux recensements précédents pour le classement de la population comptée à part. La seconde selon celles retenues au recensement de 1962.
72L’ensemble de ces valeurs figure dans les tableaux XI et XII. Elles permettent, avec les taux de survie du tableau X, de calculer les quantités C1 – r données, pour chaque période, par l’équation précédente.
73Les résultats, en milliers de migrants par période, figurent dans le tableau XIII.
74Avant d’en donner une interprétation, nous leur avons fait subir une dernière correction pour tenir compte des mouvements migratoires entre la France et l’étranger et des perturbations légères que provoque, dans nos estimations, le classement provisoire hors du département de naissance, de la quasi-totalité des militaires du contingent.
75Les résultats définitifs sont donnés dans le tableau XIV.
Tableau xi. – donnees utilisees, population presente(1) classee selon le lieu de naissance : periodes 1881-1911 et 1954-62 (pour la periode 1921-36, v. tableau suivant).

Tableau xii. – donnees utilisees (1921 – 1946) population presente(1), classee par sexe et lieu de naissance

Tableau xiii. – effectifs c1 – r de premiers changements de departement, diminues des retours au departement de naissance, par periode intercensitaire (en milliers)

Tableau xiv. – effectifs du tableau xiii apres correction des variations d’effectifs du contingent et mouvements de troupes hors de france

Premiers résultats ; fluctuations des mouvements migratoires.
76Le tableau XIV donne, pour chaque période intercensitaire, les estimations définitives de C1 – r, effectif des premiers changements de département, diminué des retours au département de naissance.
77Dans la mesure où le volume des retours est d’un ordre de grandeur très inférieur à celui des premiers changements de département, ces valeurs donnent une première estimation, par défaut, du volume de ces premiers changements. Elles permettent de retracer, en première approximation, l’évolution de la mobilité par période en France.
78Nous avons rapporté chacune des valeurs annuelles moyennes du tableau XIV, à la population exposée au risque de première migration pendant la période, c’est-à-dire à la moyenne des effectifs de population résidant dans leur département de naissance aux deux recensements encadrants.
79On obtient ainsi les taux de première migration, non corriges des retours14, donnés dans le tableau XV et retracés sur le graphique 11.
Tableau xv. – valeurs de t*1 : taux de premiere migration (non corriges des retours) par periode intercensitaire depuis 1881(1) (en p. 10 000).


Graphique 11. – Taux annuel de 1ère migration15, par période intercensitaire (non corrigés des retours) valeurs annuelles moyennes en p. 10000).
80Nous réservant d’étudier plus bas, après correction des retours, l’évolution de la mobilité par période, nous retiendrons de ce premier graphique les deux éléments essentiels.
81– D’abord l’évolution lente de la mobilité. Nous avons vu dans l’étude par génération qu’elle se poursuivait au rythme d’un doublement en 100 ans. L’étude par période donne un rythme de croissance nettement plus lent, imputable, en partie au caractère aléatoire des fluctuations de la mobilité d’une période à l’autre mais surtout à la différence des périodes sur lesquelles portent les deux mesures.
82L’étude transversale porte sur la période 1881-1962. L’intensité de la mobilité en début de période est nettement plus élevée que dans l’étude transversale (générations 1816-1921) et la période de doublement nécessairement plus longue.
83Notons enfin une limite commune aux deux méthodes de mesure. L’augmentation du volume des premiers changements ne reflète qu’imparfaitement celle de l’ensemble lorsque l’intensité de la mobilité devient assez forte. Dans le cas limite où tous les Français effectueraient un premier changement de département au moins, il pourrait y avoir à la fois augmentation de la mobilité (déplacements de rang > 1) et stabilité des premiers changements.
84– Le graphique 11 met aussi en évidence l’importance des fluctuations autour de la droite de régression, ou de tendance moyenne.
85Le calcul classique de régression, donné en annexe V, permet de mesurer l’amplitude de ces fluctuations et de donner au résultat l’interprétation concrète qui suit :
86Supposons que l’on dispose des taux de migrations relatifs à un grand nombre de périodes quinquennales. On pourrait alors estimer, avec une excellente précision, la droite de régression qui figure la tendance de l’évolution de la mobilité. Cette droite permet, par simple prolongation, de prévoir le taux de première migration pendant la période quinquennale suivante.
87Les fluctuations des taux autour de cette droite sont telles que, dans 5 % des cas, la valeur observée s’écartera de plus d’un tiers de la valeur prévue16.
II – Premières migrations, migrations secondaires et retours
88Les estimations précédentes peuvent encourir deux reproches : elles ne donnent pas exactement le volume des premières migrations, mais une différence entre celles-ci et les retours au département de naissance.
89Elles ne donnent, en outre, aucune information sur la mobilité après la première migration. Ces migrations, qui ont pour origine un département distinct du département de naissance, peuvent être séparées en deux classes ; d’abord celles qui ont pour destination un autre département, également distinct du département de naissance, ou migrations secondaires ; en second lieu les retours au département de naissance.
90Le tableau XVI permet d’apprécier l’importance de ces deux types de migrations entre 1954 et 1962.
91La première ligne est déduite du recensement de 1962 ; elle donne l’effectif C de changements de département depuis le recensement de 1954 pour les seules personnes nées en France17 et y résidant en 1962. La seconde donne l’excédent des premiers changements sur les retours, que nous venons de calculer.
92Leur comparaison confirme les conclusions de l’étude par génération et de l’annexe I : elle met en évidence l’importance du volume des retours et des migrations secondaires.
93Les effectifs C1 – r sont de l’ordre de la moitié de l’ensemble C des flux.
94Or, si le volume C2+ des migrations secondaires et celui des retours étaient négligeables, C1 – r serait voisin de C = C1 + C2+ + r.
95Les valeurs C1 – r calculées plus haut ne donnent donc qu’une estimation, sensiblement biaisée par défaut, de C1 et surtout de C.
96Il s’agit donc de passer des estimations C1 – r à des estimations redressées de C1.
97Les recherches précises sur ce problème, important pour l’étude des migrations, sont malheureusement rares.
98Outre, une étude de G. Pourcher sur laquelle nous reviendrons, la seule qui existe à notre connaissance est une étude de Hope T. Eldridge parue en 196518 dans la revue américaine Demography.
99Nous en donnons un bref résumé avant d’utiliser certains résultats dans notre étude.
Tableau xvi. – comparaison de l’effectif c de l’ensemble des changements de departement a l’excedent C1 – r des premieres migrations sur les retours.

Migrations par rang et retours à l’état de naissance aux Etats-Unis (1955-60).
100L’étude a trait aux changements d’état entre 1955 et 1960 et repose sur les résultats du recensement de 196019.
101L’exploitation de la question relative à la résidence au recensement précédent (1955) a permis de dénombrer des migrants survivants.
102Ces derniers effectifs sont un peu inférieurs à ceux des migrations : une personne qui a effectué deux changements d’état entre 1955 et 1960 n’est comptabilisée que comme ayant effectué un seul changement. Dans le cas plus rare où elle était revenue en 1960 dans son état de résidence en 1955, elle est considérée comme n’ayant pas migré.
103Nous n’avons pas pris en compte ce biais d’abord parce que les recensements ne sont espacés que de cinq ans ; ensuite parce que les estimations que nous avons faites pour la France comportent, de par la nature de la méthode employée, les mêmes défauts : ne sont comptabilisées ni les migrations multiples au cours d’une même période intercensitaire20, ni les migrations suivies d’un décès avant le second recensement.
104Ces réserves faites, les migrants sont séparés en trois groupes selon qu’ils ont effectué entre 1955 et 1960, une première migration, une migration secondaire21, ou enfin un retour à l’état de naissance. Ces données existent par groupe d’âges en 1960 et sont regroupées dans le tableau XVII (sexes réunis).
105Elles permettent de calculer les taux du tableau XVIII : taux de première espèce, taux de seconde espèce.
106On a obtenu les premiers, en rapportant chacune des trois catégories de migrants distinguées plus haut à la population du groupe d’âges en 196022.
107Ils permettent d’apprécier l’évolution de la mobilité selon l’âge, et l’importance relative des trois types de migrations.
108Le résultat principal de l’étude apparaît sur le graphique 12, qui met en évidence l’importance du volume des migrations secondaires et des retours.
109Dès 30 ans, les migrations secondaires sont plus nombreuses que les premières migrations ; à tous les âges, les retours représentent un volume important des changements d’état ; de l’ordre de la moitié des premières migrations dès l’âge de 25 ans.
110Les retours à l’état de naissance ne sont donc pas limités aux âges de fin d’activité : l’âge moyen au retour, 27,9 ans, n’est guère supérieur que de 5 ans à l’âge moyen à la première migration : 22,8 ans.
111L’état de naissance joue un rôle privilégié dans le processus de migrations successives : les retours représentent le tiers de l’ensemble “migrations secondaires + retours”. Si le processus de migration entre états était complètement aléatoire, le même rapport serait de l’ordre de 1/5023.
112L’âge moyen auquel s’effectuent les migrations secondaires est un peu plus élevé = 31,0 années.
113Ces résultats prennent encore plus de relief si l’on rapporte l’effectif de migrants, non plus à la population totale de chaque groupe d’âges, mais à l’effectif exposé aux risques de première migration, de migration secondaire ou de retour ; on obtient ainsi les taux de seconde espèce (Tableau XVIII).
114Les taux de première migration ont été calculés en rapportant les premières migrations à l’effectif de personnes résidant en 1955 dans leur état de naissance.
115Les taux de migrations secondaires, et de retours, ont été calculés en rapportant respectivement ces deux quantités à l’effectif de personnes résidant hors de leur état de naissance en 1955.
116Les migrations secondaires apparaissent alors, en proportion de personnes exposées au risque, deux fois plus élevées que les premières migrations à tous les âges. Tout se passe comme si le fait d’avoir effectué une première migration doublait la probabilité d’effectuer une migration secondaire.
117Le même graphique met en lumière l’importance des retours : dès 15 ans, et toujours en proportion de personnes exposées à chaque risque, les taux de retour sont égaux aux taux de première migration (taux de seconde espèce).
118Enfin, regroupant migrations secondaires et retours, on voit que la probabilité d’effectuer une migration de rang supérieur à 1 (migration secondaire ou retour) est toujours supérieure à la probabilité de première migration.
Tableau xvii. – changements d’etat avant 1955 et de 1955 a 1960. personnes agees de plus de cinq ans en 1960, nees aux etats-unis et y residant en 1955 et 1960(a)

Tableau xviii. – taux quinquennaux de premiere migration, de migration secondaire, et de migration de retour – 1955-60 (a).


Graphique 12. – Etats-Unis 1955-1960. Taux de première espèce (tableaux XVII et XVIII) selon l’âge au second recensement (1960).
119Leur rapport24 est très élevé ; décroissant avec l’âge, il varie en pratique entre 5 et 2,6 ; sa moyenne est un peu supérieure à 3 : à un âge donné, la probabilité d’effectuer une migration de rang supérieur à 1 (y compris les retours) est en moyenne triple de la probabilité de première migration.
120Le résultat est important : en ce qui concerne la mobilité, la population n’est pas homogène. Ceux qui ont effectué au moins une première migration ont une probabilité beaucoup plus élevée d’en effectuer une autre (à un âge donné).

Graphique 13. – Etats-Unis 1955-1960. Taux de deuxième espèce (tableaux XVII et XVIII) selon l’âge au second recensement (1960).
121Il n’est pas surprenant : l’appartenance à certains groupes, certaines professions notamment, a une influence déterminante sur la mobilité. Les mêmes raisons qui incitent, ou obligent, quelqu’un à effectuer une première migration, peuvent le conduire à en effectuer d’autres.
Migrations secondaires et retours en France entre 1954 et 1962.
122Nous connaissons pour la France le volume C1 – r de premiers changements de département diminué des retours et l’effectif C = C1 + C2+ + r de l’ensemble des changements dénombrés (1954-62).
123Nous avons utilisé les données de l’article de H.T. Eldridge pour estimer séparément les trois effectifs C1, C2+ et r pendant cette période.
124Les estimations reposent sur une hypothèse assez forte qui semble la seule possible en l’absence de toute autre information : retours et migrations secondaires sont susceptibles d’arriver à la même population : ceux qui résident hors de leur circonscription de naissance. Nous avons supposé que leur volume était dans le même rapport en France et aux Etats-Unis.
125La différence de taille entre les départements français et les états américains ne semble pas être un obstacle majeur à cette transposition qu’atténue considérablement, on pourrait presque dire trop, la forte mobilité américaine : en proportion de l’ensemble de la population, l’intensité annuelle des changements d’état aux Etats-Unis est supérieure d’environ un tiers à celle des changements de département en France.
126Cette hypothèse permet d’établir, pour la France, une relation entre le volume des migrations secondaires et celui des retours.

127ou encore

128Nous avons supposé cette relation applicable pour chaque sexe en France. Elle permet de calculer chacun des 3 effectifs C 1, C2+ et r.
129Prenons à titre d’exemple, le sexe masculin. Il suffit d’adjoindre à l’équation (4) les deux équations suivantes, tirées du tableau XVI (p. 67), où les effectifs sont exprimés en milliers :

130C1, C2+ et r sont alors les solutions d’un système de trois équations linéaires à trois inconnues. On peut ainsi dresser, pour la France, le tableau XIX.
131Les premières migrations représenteraient, en France, une part plus importante qu’aux Etats-Unis, de l’ensemble des changements : 65 % contre 50 %.
132Migrations secondaires et retours restent néanmoins importants : ils représentent respectivement 23 % et 12 % de l’ensemble des changements de département.
133Les données précédentes (tableau XIX) permettent aussi de calculer des taux de 2° espèce (tous âges) en rapportant l’effectif de migrations de chacun des trois types, à l’effectif moyen de personnes exposées au risque pendant la période (tableau XX).
Tableau xix. – premieres migrations, migrations secondaires et retours(1) (France : 1954-62). effectifs en milliers.

Tableau xx. – Taux annuels moyens(1) de 2ème espece (tous ages, periode 1954-62) p. 10 000

Tableau xxi. – rapports des taux de 2ème espece (changements d’etat ; 1955-60 ; sexes reunis).

134En proportion de personnes exposées au risque, la probabilité d’effectuer une migration secondaire apparaît presque égale à celle de première migration. Celle d’effectuer un retour est de l’ordre de la moitié des deux précédentes.
135A un âge donné, l’importance des migrations secondaires et retours par rapport aux taux de première migration est plus grande : l’allure générale des courbes qui retracent l’évolution de la mobilité est en effet décroissante ; migrations secondaires et retours ont lieu, en moyenne, à un âge plus élevé que les premières migrations, c’est-à-dire, toujours en moyenne, à un âge où l’importance des premières migrations est plus faible.
136Les rapports des taux de seconde espèce (tous âges) :

137sont le plus souvent inférieurs aux mêmes rapports à un âge donné.
138Les données américaines utilisées plus haut donnent les valeurs suivantes, (tableau XXI) déduites du tableau XVIII.
139Ces écarts, mesurés par les rapports (2)/(1) du tableau précédent, proviennent de l’allure générale décroissante des courbes de migration par âge. Leur profil varie assez peu d’un pays à l’autre ; on peut donc transposer sans risque ces résultats à la France (Tableau XX, changements de département 1954-62).
140A un âge donné, la probabilité d’effectuer une migration secondaire aurait été un peu supérieure à celle de première migration. La probabilité d’effectuer un retour aurait été de l’ordre des trois-cinquièmes.
141Globalement, et toujours à un âge donné, la probabilité d’effectuer une nouvelle migration (secondaire ou retour) a été supérieure de 60 à 70 % à la probabilité de premier changement de département (France 1954-62).
142Les calculs de l’annexe VIII sur les changements de localité25 en France dans les générations 1891-1915 conduisent à un résultat comparable26.
143Nous avons calculé :
Les taux annuels de première migration après 15 ans, par groupe d’âges (taux de 2e espèce calculés en proportion de l’effectif n’ayant pas encore migré après 15 ans).
Les taux annuels de migration de rang supérieur à 1 (en proportion de ceux qui ont migré au moins une fois depuis l’âge de 15 ans).
144Le rapport du second au premier varie peu avec l’âge. Il est de l’ordre de 2.
145L’importance des retours, jusqu’ici très mal connue en France, met une fois de plus en évidence le rôle des liens personnels dans le processus de migration27 : les données américaines (tableaux XVII et XVIII, graphiques 12 et 13) montrent que le nombre de retours n’est pas particulièrement élevé à la fin de la vie active. Les retours sont nombreux, en valeur absolue comme en valeur relative, quel que soit l’âge. Un migrant garde souvent avec son département de naissance des relations privilégiées qui l’amènent à y revenir à tous les âges de la vie.
Calcul des taux de première migration corrigés des retours.
146Nous ne possédons pas de données sur les retours au département de naissance dans les générations anciennes. Nous savons seulement que ces retours sont loin d’être négligeables aujourd’hui.
147Les migrations de la campagne à la ville étaient, au 19e siècle, très différentes des migrations plus récentes. Elles se rapprochaient, en plusieurs points, de l’immigration étrangère en France aujourd’hui (caractérisée par une proportion élevée de retours) :
Distance, en temps et en argent, beaucoup plus grande que pour les migrations internes plus récentes.
Surcroît d’hommes parmi les migrants.
Composition socio-professionnelle : nous avons vu au chapitre II que ce sont en partie les classes rurales marginales qui ont quitté la campagne pour gagner la ville et y constituer la main-d’œuvre ouvrière.
148Les domestiques étaient aussi très nombreux en France au 19e siècle. Même avec la définition assez restrictive retenue au recensement de 1872 (domestiques attachés aux services personnels), ils représentaient plus de 15 % de la population active totale (8,8 % chez les hommes, 31,2 % chez les femmes ; v. tableau XXI bis).
149Si la majorité appartenait à la population rurale, un effectif important était au service de la population urbaine.
Tableau xxi bis. – domestiques attaches aux services personnels(1) dans la population active en 1872.
150Cependant la comparaison avec les immigrants étrangers ne doit pas être poussée trop loin. A la différence de langue s’en ajoutent d’autres : dans le cas de l’immigration étrangère, le pays d’arrivée est en général beaucoup plus développé que le pays de départ. En France au contraire, les conditions de vie étaient, au 19e siècle, très vraisemblablement meilleures en moyenne à la campagne qu’à la ville (v. tableau IV bis).
151Revenons aux retours au département de naissance. Aux arguments avancés plus hauts, qui conduisent à penser qu’ils n’étaient pas négligeables, s’en ajoute un autre : les liens personnels des habitants des villes avec ceux des campagnes étaient autrefois beaucoup plus nombreux : alors qu’il y avait, vers 1850, un citadin pour 3 ruraux, la population française compte aujourd’hui 2 citadins pour un rural. Nous avons finalement pris en compte les retours en utilisant les données dont nous disposions pour la période 1954-62.
152Disposant des taux t*1, de première migration (2ème espèce), non corrigés des retours, depuis 1881, ainsi que d’estimations des premières migrations et retours au cours de la période 1954-62, il s’agit d’estimer la série des taux corrigés de 1ère migration, t1, depuis 1881. Prenons le cas d’une période quelconque et posons les notations suivantes :
153mm = population moyenne résidant hors du département de naissance au cours de la période
154m̄m = population moyenne résidant dans le département de naissance au cours de la période
155Nous connaissons les valeurs de ces quantités déduites directement des données sur le lieu de naissance (Tableaux XI et XII). Nous connaissons par ailleurs la valeur du taux t1* de première migration, non corrigé des retours :
156Supposons provisoirement connu λ, rapport des taux de retour et de première migration pendant la période (taux de 2e espèce).
157On ne possède qu’une estimation de λ, déduite du tableau pour la période 1954-62 :
158λ = 0,47≠ 0,50
159Les taux de 2ème espèce sont liés par les relations :
Tableau xxii. – valeurs de t1 taux annuels de premiere migration, corriges des retours (taux de 2ème espece en p. 1 000).

Graphique 14. – Taux annuels de 1ere migration28 par période (sexes réunis) : (taux corrigés des retours, en p. 10 000).
160Eliminant C1 et r entre les équations (6), (7) et (8), on obtient la formule (9) qui donne le taux de 1ère migration cherché en fonction des valeurs de et du paramètre λ qui reste à estimer pour chaque période.

161Si l’on suppose que l’importance relative des taux de 1e migration et de retour est restée constante depuis 1881, on peut calculer les taux exacts de 1e migration en portant la valeur λ = 0,47 dans la formule (8).
162Nous avons procédé différemment : ignorant à peu près tout de l’évolution du rapport λ depuis 1881, nous avons calculé t1 sous cette hypothèse moyenne et sous deux hypothèses symétriques encadrant la valeur λ = 0,47.
Une hypothèse forte sur les retours :
Evolution linéaire de λ = 0,7 en 1881-86 à λ = 0,47 en 1954-62.Une hypothèse moyenne : λ constant = 0,47 depuis 1881.
Une hypothèse faible sur les retours :
Evolution linéaire de λ = 0,3 en 1881
à λ= 0,47 en 1962.
163Le tableau XXII donne les valeurs de calculées sous chacune de ces trois hypothèses. Le graphique 14 illustre les résultats.
164L’éventail des valeurs de λ a été choisi plutôt large, de façon à encadrer l’évolution réelle ; l’incertitude sur le taux de première migration reste néanmoins très faible. En effet, plus on remonte dans le temps, plus la proportion de personnes résidant hors de leur département de naissance est faible, et moins les variations des taux de retour ont d’incidences sur ceux de première migration.
III – Résultats
Résultats généraux. Mobilité et croissance économique.
165La série du tableau XXII (sexes réunis, hypothèse moyenne sur les retours), portée sur le graphique 15 (courbe en traits pleins), retrace l’évolution des taux du premier changement de département29 par période (Série I).
166Nous ne reviendrons pas sur l’amplitude des fluctuations, mesurée plus haut par la dispersion des valeurs de ces taux autour d’une droite de régression30 1881-1962.

Graphique 15. – Migrations internes, immigration et évolution économique.
167Nous nous proposons d’étudier les liens entre fluctuations de l’activité économique et fluctuations des migrations internes (mesurées par les taux de première migration). On a porté, sur le même graphique 15 une série de la production intérieure brute de 1896 à 196631 (Série II).
168Si la liaison était stricte, la valeur des taux de première migration au cours d’une période, serait liée directement à la pente de la courbe de production intérieure brute.
169La liaison entre les deux séries paraît assez bonne, surtout si l’on prend en compte le volume annuel moyen des mouvements entre la France et l’étranger, porté sur le même graphique (Série III).
1896 – 1900 : | Hausse moyenne de la Production intérieure brute (P. I. B), niveau élevé des migrations internes, niveau faible des migrations externes. |
1901 – 1905 : | Augmentation lente de l’activité économique, forte diminution des migrations internes, hausse faible des migrations externes. |
1906-1911 : | Augmentation rapide de l’activité économique, augmentation des migrations internes, augmentation beaucoup plus rapide des migrations externes. |
170La liaison, assez lâche de 1896 à 1911, devient plus nette de 1921 à 1936 :
1921 – 1926 : | Croissance économique très rapide, niveau faible des migrations internes (en raison du dépeuplement rural forcé provoqué par la guerre), niveau très élevé des migrations externes. |
1926 – 1931 : | Croissance économique moyenne, augmentation des migrations internes, diminution des migrations externes. |
1931 – 1936 : | Chute brutale de l’activité économique, diminution des migrations internes, diminution très rapide des migrations externes (le solde annuel devient négatif). |
171Après la deuxième guerre mondiale, la liaison est moins nette. L’augmentation des migrations est rapide et régulière : la période de doublement passe à trente ans environ, mais cette augmentation correspond davantage à une modification des comportements qu’à une augmentation du taux de croissance de l’activité économique32. Il faut néanmoins souligner que les taux de croissance élevés de la production intérieure brute, coïncident avec des valeurs élevées des migrations internes et externes33. La régularité de l’augmentation des migrations internes est en outre à rapprocher de celle de la croissance économique 34.
172De 1881 à 1968, les fluctuations des migrations internes semblent donc en corrélation assez étroite avec celles de l’activité économique à condition de prendre en compte les mouvements entre la France et l’étranger.
173Notons de plus que les migrations internes ne correspondent qu’en partie à une redistribution géographique de la population ; c’est un point que nous aborderons plus loin au cours de ce chapitre. La liaison serait sans doute plus nette si l’activité économique avait été rapprochée des seules migrations de redistribution35 par période.
174Notons enfin la liaison étroite entre le volume des changements de département et l’accroissement annuel de l’agglomération parisienne. Cet accroissement est lié aux variations de la production industrielle. En outre, la part des migrations à destination de l’agglomération parisienne dans l’ensemble des migrations de redistribution était très élevée. Nous y reviendrons à la fin de ce chapitre.
175Les fluctuations des mouvements entre la France et l’étranger ont une amplitude très supérieure à celles des migrations internes. La baisse est particulièrement rapide au cours de la période 1931-36 ce qui n’est peut-être pas étranger au caractère particulier de la crise en France : plus tardive à se déclarer, moins brutale, mais aussi plus longue.
176Notons enfin que la localisation géographique de la croissance économique par période n’est pas indifférente aux liaisons observées : la croissance économique très rapide qui a suivi la première guerre mondiale a particulièrement bénéficié aux villes de province à une époque où la législation du logement freinait la croissance parisienne.
177Après 1926, la législation HBM36 et les mesures en faveur de la construction individuelle relèvent le rythme de croissance de la région parisienne ; à l’inverse, la croissance des villes de province est moins rapide au cours de la période 1926-31. Ceci est à rapprocher des valeurs des migrations internes : peu nombreuses de 1921 à 1926, elles sont en augmentation rapide au cours de la période suivante. Plus généralement, il est significatif que le niveau des migrations internes soit en corrélation étroite avec la croissance annuelle de l’agglomération parisienne (v. graphique 15, série IV).
178Migrations internes au cours des deux guerres : le tableau XXIII donne les proportions de personnes résidant hors de leur département de naissance depuis 1881. Il permet d’apprécier l’intensité de la mobilité au cours des deux périodes 1911-21 et 1936-46 au cours desquelles les deux guerres rendent impossible l’estimation des flux (v. graphique 16).
Tableau xxiii. – proportions de personnes residant hors de leur departement de naissance (en p. cent).


Graphique 16. – Proportions de personnes nées en France, résidant hors de leur département de naissance, aux recensements successifs depuis 1881.
179De 1911 à 1921, l’augmentation des proportions est plus rapide qu’au cours de toute autre période décennale, le niveau particulièrement élevé des migrations internes provient de la conjonction de trois facteurs :
Croissance économique très rapide au cours des années 1911, 1912 et 1913 (v. graphique 15).
Niveau élevé de la mobilité des femmes contraintes à gagner la ville pour trouver un emploi. Cette “surmobilité féminine” déjà évoquée au chapitre II apparaît très clairement sur le graphique 16.
Mouvements provoqués par la guerre.
180Malgré la stagnation économique qui a précédé la seconde guerre mondiale, l’augmentation des proportions est très rapide entre 1936 et 1946. Les deux guerres ont provoqué un brassage intense de la population.
Changements de commune.
181Quatre recensements, ceux de 1881, 1886, 1891 et 1896, fournissent un renseignement supplémentaire sur le lieu de naissance : ils distinguent, parmi ceux qui résident dans leur département de naissance, ceux qui résident dans leur commune de naissance et ceux qui résident dans une autre commune.
182On peut donc calculer des proportions (tous âges, sexes réunis) de personnes résidant hors de leur commune de naissance et les rapprocher des mêmes proportions calculées pour les changements de département (v. tableau XXIII ci-dessus).
183Les changements de commune étaient déjà très fréquents dans la seconde moitié du siècle dernier : en 1881, 38,1 % des recensés résidaient hors de leur commune de naissance (tous âges, sexes réunis).
184Si l’on suppose :
que le calendrier (répartition par âge) des migrations dans une génération, est identique, à un facteur près, pour les changements de commune et de département37 ;
que la mobilité a évolué au même rythme pour les changements de commune et de département au cours du 19e siècle (ce qui revient à supposer constant le facteur précédent dans les générations représentées au recensement de 1901),
185on peut passer des proportions précédentes (tous âges) à une mesure approximative de l’intensité finale des changements de commune dans une génération (v. annexe VI, 1e partie) : la proportion de personnes résidant à 45 ans hors de leur commune de naissance était de l’ordre de 50 % dans les générations 1831-40, âgées de 40-49 ans au recensement de 1881.
186Revenons aux proportions du tableau XXIII (période 1881-1896). Les changements de commune apparaissent deux fois et demie plus nombreux que les changements de département. Le rapport R de la proportion de résidents hors de leur commune de naissance à celle de ceux qui résident hors de leur département de naissance est de 2,53 en 188138.
187Le calcul comporte un biais : déduit de données sur le lieu de naissance, le rapport précédent donne une estimation par défaut du rapport réel de l’ensemble des changements de commune à l’ensemble des changements de département effectués par les recensés de 1881. La fréquence des migrations multiples, non dénombrées dans les statistiques sur le lieu de naissance, augmente en effet avec le volume total des migrations : elle est plus élevée pour les changements de commune que pour les changements de département.
188Les effectifs résidant hors de leur commune et de leur département de naissance, qui figurent respectivement en numérateur et en dénominateur du rapport R = 2,53, sont donc biaisés par défaut ; le biais est plus important sur le numérateur et la valeur 2,53 est inférieure à celle qu’on aurait déduite d’un enregistrement continu des migrations.
189On ne peut donc comparer directement ces données, sur l’intensité relative des changements de commune et de département au milieu du siècle dernier, à celles du tableau XXIV, relatives aux migrations de la période 1954-62.
Tableau xxiv. – taux annuel de migration – 1954-62, tous ages, sexes reunis(1).

190Entre 1954 et 1962, on a observé 3,46/1,47 = 2,37 changements de commune pour un changement de département ; au cours du siècle écoulé, les changements de commune ont donc augmenté moins rapidement que les changements de département : compte tenu du biais mentionné plus haut, on est passé d’un rapport : changements de commune/changements de département supérieur à 2,53 à la valeur 2,37 observée entre 1954 et 1962.
191Ces seules données ne permettent pas d’évaluer l’importance du biais sur le rapport estimé en 1881 à partir de statistiques sur le lieu de naissance ; nous avons utilisé une étude de Guy Fourcher, sur la mobilité par génération39, pour tenter de préciser l’évolution relative des changements de commune et de département depuis un siècle. Le questionnaire, proposé à un échantillon représentatif de la population de province, demandait entre autres renseignements, les changements successifs de localité40 depuis l’âge de 15 ans.
192Cette étude retrace notamment l’évolution de la mobilité par âge et par génération. Le cumul des taux de migration par âge fournit, pour un groupe donné de générations, le nombre moyen de changements de localité, entre 15 et 50 ans et le nombre moyen de premiers changements dans le même intervalle (calculé parmi les seuls survivants à cinquante ans).

Graphique 17. – Changements de commune et de département par génération41 (1871-1920).
193Au vu de ces deux séries, portées sur le graphique 17, G. Pourcher concluait à une baisse de la mobilité, mesurée à partir des changements de localité.
194Le rapprochement avec la série des proportions de personnes résidant à 45 ans hors de leur département de naissance, portée sur le même graphique, montre que les générations étudiées ont eu une histoire très particulière. Perturbées par la crise et les deux guerres, elles ne permettent pas de porter de jugement sur l’évolution à long terme des changements de localité.
195Les deux séries relatives aux changements de localité précisent aussi la fréquence des migrations multiples entre 15 et 50 ans. Entre ces deux âges, le cumul des taux de première migration est deux fois moins élevé que le cumul des taux d’ensemble dans les générations nées de 1891 à 1920 (v. graphique 17).
196En d’autres termes, le nombre moyen de changements de localité entre 15 et 60 ans, par personne ayant migré au cours de cet intervalle, est voisin de deux dans ces générations.
197On voit donc sur ce groupe de générations, plus récentes que celles observées en 1881, que le biais qui affecte la mesure des changements de localité à partir des statistiques sur le lieu de naissance, peut être très important.
198Les migrations multiples étaient beaucoup moins fréquentes pour les changements de département : entre 1954 et 1962, l’ensemble des migrations secondaires et retours (depuis la naissance) représentait la moitié du volume des premiers changements (v. tableau XIX). D’autre part nous avons vu plus haut que leur importance relative était moindre aux recensements antérieurs42.
Evolution des distances parcourues.
199Nous avons utilisé certains résultats de cette étude plus riche, notamment en ce qui concerne la mobilité professionnelle, pour préciser l’évolution relative des changements de département et des changements de commune intra-départementaux depuis un siècle.
200Les calculs de l’annexe VI (2e partie), montrent que le biais sur R est important. Le rapport de l’ensemble des changements de commune à l’ensemble des changements de département effectués par les recensés de 1881, très supérieur à la valeur 2,53, est de l’ordre de quatre43.
201Si l’on retient cette valeur approximative fournie par le calcul, on aurait observé vers 1850-1860, trois cents changements de commune intra-départementaux pour 100 changements de département (v. graphique 18).

Graphique 18. – Evolution de l’intensité des changements de commune et de département.
202Nous sommes maintenant en mesure de préciser, au moins dans les grandes lignes, l’évolution du volume des migrations intra-départementales au cours du siècle écoulé.
203Il faut auparavant évaluer l’évolution du volume des changements de département entre les périodes 1850-60 et 1954-62.
204Au terme de l’étude par période, nous avons conclu à un doublement en 110 ans environ (ajustement linéaire 1881-196244). Cependant le point relatif à la période 1954-62 se situait nettement au-dessus de la droite d’ajustement en raison du changement du rythme d’accroissement de la mobilité depuis la seconde guerre mondiale. La prolongation de la droite d’ajustement 1881-1936, en arrière, de 1881 à 1855, correspond à une multiplication par 2,25 de l’intensité des changements de département entre les périodes 1850-60 et 1954-62.
205On peut alors situer, par rapport à l’intensité des changements de département en 1850-60, prise comme référence (indice 100), l’intensité des changements de commune au cours de la période 1954-6245 (changements de département + changements intra-départementaux) :

206Nous avons porté l’ensemble des valeurs précédentes sur le graphique 18. L’intensité relative des changements de département et de l’ensemble des changements de commune s’est nettement modifiée depuis un siècle. De quatre changements de commune pour un changement de département, on est passé à un rapport de 2,37 au cours de la période 1954-62.
207Si l’on compare deux ensembles disjoints de migrations, les changements de département et les changements intra-départementaux, on doit conclure qu’en proportion de la population les seconds sont restés à un niveau constant pendant que les premiers étaient multipliés par 2,25.
208La précision du résultat sur les migrations intra-départementales ne doit pas faire illusion : reposant sur la valeur approximative Rrectifié = 4, elle comporte une part d’incertitude. Il est possible que les migrations intra-départementales aient augmenté légèrement ou au contraire décru ; cependant l’essentiel du résultat demeure ; avant de l’interpréter, il est nécessaire de présenter brièvement quelques résultats essentiels sur les migrations.
209Plusieurs auteurs ont cherché à rendre compte des migrations entre circonscriptions au moyen de modèles mathématiques. D. Courgeau46 en a dressé un inventaire critique avant de proposer un modèle qui rend compte des changements de département observés en France à différentes époques.
210Le flux de migrations d’une zone i à une zone j au cours d’une période donnée, est proportionnel aux populations de départ et d’arrivée et dépend de la distance entre ces zones.
211Les formules d’ajustement proposées sont de la forme :

212Le flux des départs d’une zone est proportionnel à un certain coefficient ki, caractéristique du département d’origine et lié à son développement économique, sa structure socio-professionnelle, etc.
213La distribution de ces départs par zone d’arrivée dépend des distances de ces zones à la zone de départ.
214L’exposant α varie selon les pays et, à l’intérieur d’un même pays, selon les périodes : il a tendance à diminuer avec le temps et traduit ainsi l’atténuation progressive de la contrainte de distance. En France, des valeurs variables selon les périodes, mais de l’ordre de 2, rendent compte d’une grande partie de la variance des flux observés entre départements.
215Certains des modèles proposés diffèrent du modèle que nous venons de présenter, par exemple par l’introduction de paramètres explicatifs supplémentaires. Cependant les hypothèses essentielles demeurent ; ces modèles sont, dans leur quasi-totalité, voisins de celui que nous venons de décrire, qui exprime de façon très claire, l’influence déterminante de la distance sur les flux de migrations entre circonscriptions.
216Ce détour permet de comprendre la stabilité des migrations intra-départementales depuis un siècle : vers 1850, la densité de population rurale était presque double de celle d’aujourd’hui.
217Une commune moyenne se trouvait dans un voisinage rural plus dense qui permettait des échanges plus nombreux.
218Dans le cas limite où toute la population française se trouverait concentrée dans les 90 communes chefs-lieux de département, le volume des migrations intra-départementales deviendrait nul.
219Si la répartition de la population était restée constante, le volume des changements de commune intra-départementaux aurait augmenté dans des limites qu’il est difficile de fixer. A l’évolution de cette répartition s’est joint un second facteur de baisse, qui traduit l’atténuation de la contrainte de distance : la substitution de changements interdépartementaux aux changements intra-départementaux.
220La stabilité des migrations intra-départementales et l’augmentation rapide des changements de département se composent en une augmentation modérée de l’ensemble des changements de commune, de l’ordre de 35 % en un siècle. On ne peut extrapoler les conclusions que G. Pourcher tirait de l’observation de générations très particulières (1891-1915) aux générations qui les ont précédées ou à celles qui les ont suivies. La stagnation, voire la réduction des changements de localité dans ces générations a été provisoire.
221Evolution des changements de région : le “tableau croisé département de naissance x département de résidence” (87 lignes x 87 colonnes), dont on dispose au recensement de 1891 permet, par élimination des changements de département intra-régionaux, de dénombrer les changements de région47.
22211,39 % des recensés résidaient en 1891 hors de leur région de naissance, contre 16,34 % pour les changements de département, soit un rapport de 697 changements de région pour mille changements de département. Compte tenu du biais des statistiques sur le lieu de naissance, plus élevé cette fois pour les changements de département que pour les changements de région, le rapport du volume réel des changements aurait été inférieur à 697 ‰.
223Les taux du tableau XXIV (p. 89) permettent d’évaluer un même rapport, non biaisé, au cours de la période 1954-62 : 653 changements de région pour mille changements de département.
224Cette baisse de 697 à 653 ‰ est légère. Elle provient sans doute du biais, par excès, qui affecte le premier de ces rapports. En pratique, la proportion des changements de région, parmi l’ensemble des changements de département a peu varié. Elle reste de l’ordre des deux-tiers.
225On verra dans la suite qu’au 19e siècle, la redistribution géographique des activités économiques rendait compte d’une part, plus importante qu’aujourd’hui, de l’ensemble des changements de département. Cette mobilité de redistribution s’est exercée en “faveur” d’un nombre restreint de départements et principalement de la région parisienne ; elle provoquait de nombreux changements de région et a baissé, en proportion de l’ensemble des changements de département : ce qui explique que, malgré une réduction assez vraisemblable de la contrainte de distance, on n’observe pas une augmentation, mais au contraire une stabilité, de la part des changements de région dans l’ensemble des changements de département.
Conclusion.
226En un siècle, l’évolution de la mobilité a été très différente selon la définition retenue pour les migrations. L’intensité des changements de commune intra-départementaux a été quasi stable, sans que les statistiques utilisées permettent de préciser s’il y a eu baisse légère ou au contraire, légère augmentation.
227En proportion de l’ensemble de la population, les changements de département ont plus que doublé. Leur augmentation est uniforme : les changements intra-régionaux ont progressé aussi rapidement que les changements de région.
228Ces résultats sont dus à la conjugaison de plusieurs facteurs et plus particulièrement :
la modification profonde de la distribution de la population sur le territoire.
la réduction des contraintes de distance.
la redistribution géographique des activités économiques.
229Ces résultats donnent des indications sur l’évolution des distances parcourues par les migrants. Il est impossible d’en tirer directement des conclusions sur une évolution des comportements. La distribution des distances parcourues par les migrants et son évolution dépendent, en premier lieu, de la distribution de la population.
Recherche d’une typologie des mouvements migratoires.
230Les calculs précédents permettent de mesurer la mobilité par période et de retracer les grandes lignes de son évolution.
231L’augmentation observée traduit à la fois une évolution des comportements et une modification de la localisation des activités économiques. Dans le premier cas, il s’agit au moins en partie de déplacements choisis délibérément par le migrant, dans le second cas d’une mobilité forcée ou à la rigueur consentie.
232Si l’étude du caractère contraignant, ou au contraire choisi, des déplacements géographiques, déborde largement le cadre de ce travail, il paraît néanmoins intéressant d’apporter les éléments que l’on peut tirer des statistiques sur le lieu de naissance.
233Nous avons utilisé les tableaux croisés (90 lignes x 90 colonnes) classant les recensés par département de naissance et de résidence, et nous avons adopté, pour les effectifs des tableaux, les conventions suivantes :
234Nij = Effectif de personnes nées dans le département i et recensées dans le département j.

235Effectif de recensés nés dans le département i.

236Effectif de personnes recensées dans le département j.

237Ensemble des recensés.
238Considérons l’écart N.i – Ni ., entre recensés et nés dans un département donné, ici i.
239Cet écart peut être positif ou négatif, selon le département retenu, mais la somme des écarts, pour l’ensemble des départements, est nulle : tout changement de département provoque à la fois un départ, du département d’origine, et une arrivée, dans le département de destination.
240Ce qui s’exprime en termes mathématiques, par l’équation :

241En d’autres termes, la somme des écarts positifs est égale à la somme des écarts négatifs : l’excédent : recensés – nés, dans les départements où les écarts sont positifs est compensé par un déficit de même valeur absolue dans les autres départements.
242La somme

243des écarts positifs représente l’effectif de migrations provoqué par une redistribution de la population dont nous allons maintenant préciser la nature :
244La somme

245mesure un écart, entre la distribution observée, et une distribution fictive : celle qu’on aurait observée si chaque département avait conservé un effectif de population égal à l’ensemble de ceux qui y sont nés.
246Sous cette hypothèse, tous les départements n’auraient pas crû au même rythme : la variabilité des caractéristiques démographiques, et plus particulièrement de la fécondité, entre départements, est en effet très forte.
Variabilité des caractéristiques démographiques entre départements.
247Les résultats d’une étude de l’INSEE permettent d’apprécier l’amplitude des variations entre départements48.
248Le taux brut de reproduction est égal au nombre de filles qu’auraient eues un groupe de 100 femmes, en l’absence de mortalité, si leur fécondité avait été, à chaque âge, celle qu’on a observé en 1954.
249Ce taux donne une mesure de la seule fécondité et, plus exactement, du renouvellement des générations féminines successives, en l’absence des effets perturbateurs de la mortalité et des variations des structures par âge entre départements. Les valeurs étaient les suivantes dans les six départements extrêmes :
250Départements où le taux brut de reproduction (1953-55) était :
Le plus faible | Le plus élevé | |||
Alpes-Maritimes : | 82 p. cent | Ardennes : | 169 p. cent | |
Seine : | 100 p. cent | Haute-Marne : | 167 p. cent | |
Pyrénées-Orientales : | 104 p. cent | Meuse : | 166 p. cent |
251Les variations de la mortalité sont également très fortes. Les valeurs observées, à chaque âge, de 1952 à 1956 conduisent aux durées moyennes de vie suivantes :
252Départements où la durée moyenne de vie (1952-56, sexe masculin49) était :
La plus faible | La plus élevée | ||
Côtes-du-Nord : | 61,2 années | Deux-Sèvres : | 68,0 années |
Morbihan : | 61,2 années | Ariège : | 67,9 années |
Pas-de-Calais : | 61,5 années | Haute-Vienne : | 67,7 années |
253Calculés à partir des résultats du recensement de 1954 et des données d’état civil des années voisines, le taux brut de reproduction et la durée moyenne de vie sont relatifs à des générations fictives dont la fécondité et la mortalité par âge seraient égales à celles observées en 1954 ; ce sont des indices du moment utilisés surtout en conjoncture.
Migrations compensées, migrations de redistribution par rapport au lieu de naissance.
254Revenons maintenant au calcul précédent : la somme

255mesure l’écart entre la distribution de population observée à un recensement et une distribution fictive où interviennent les caractéristiques démographiques propres à chaque département.
256La distribution fictive retenue ne correspond pas à une croissance identique de tous les départements, il est essentiel de noter que nous l’avons retenue pour des raisons de commodité du calcul.
257La valeur de

258à un recensement donné mesure le volume des migrations de redistribution par rapport au lieu de naissance.
259Par différence avec l’ensemble N.. – Σi Nii de changements de département, on calcule le volume

260de migrations compensées, c’est- à-dire de départs d’un département qui ont été compensés par une arrivée dans le même département.
261Nous avons calculé les valeurs de ces deux quantités à partir des tableaux croisés (tous âges) des recensements de 1891, 1911 et 1962, Elles sont données dans le tableau XXV et figurées sur le graphique 19.
262Les migrations de redistribution représentent une part importante mais décroissante de l’ensemble des changements de département : le tiers en 1891, un peu plus du quart en 1962.
263Le volume des migrations compensées plus élevé au départ a aussi augmenté plus vite.
264En proportion de l’ensemble de la population, et en faisant abstraction des conditions très particulières du recensement de 1946, la mobilité totale double en un siècle environ, les migrations de redistribution ont peu augmenté tandis que les migrations compensées sont en augmentation rapide et régulière ; leur proportion dans l’ensemble de la population, double en 70 ans environ.
265Notons enfin l’importance des migrations à destination de la région parisienne (Seine + Seine-et-Oise) dans le volume des migrations de redistribution : leur part, à peu près constante, représente plus des deux tiers de l’ensemble des changements non compensés (v. tableau XXV).
266Les départements où la différence : recensés – nés, N.i – Ni., est positive, sont assez peu nombreux : 20 à 25 selon les recensements. La concentration de la population n’a concerné qu’un nombre assez restreint de départements. Parmi eux la Seine et la Seine-et-Oise représentent une part très importante des écarts positifs.
267L’étude longitudinale du chapitre II montrait que la mobilité était élevée dans les générations nées avant 1900, surtout si l’on prend en compte la structure de la population active.
268Les calculs qui précèdent apportent des éléments d’explication : la mobilité de redistribution était déjà presque aussi élevée qu’aujourd’hui, essentiellement en raison de la croissance très forte de la région parisienne et de ses caractéristiques démographiques (faible natalité).
269Nous conclurons par une mise en garde : il serait dangereux d’assimiler le volume des migrations compensées à une mobilité qu’on pourrait qualifier d’intrinsèque et liée aux caractéristiques individuelles (revenus, aptitude à la migration, etc.) ou sociales (législation, statut du personnel des entreprises...) d’un pays. En effet :
2701) Tous les emplois ne sont pas substituables. Dans la séparation précédente on sera par exemple amené à dénombrer comme mouvements compensés le départ d’un ingénieur parisien au centre de télécommunications de Lannion et la migration vers Paris d’un agriculteur breton qui ne trouve pas d’emploi sur place.
Tableau xxv. – mobilite de redistribution (naissance et mobilite compensee de 1891 a 1962). (effectifs de changements de departement en milliers).


Graphique 19. – Typologie de la mobilité (1891-1962).
271Ces deux migrations, qui apparaissent comme compensées dans les statistiques, n’en correspondent pas moins à une redistribution des activités économiques.
272Plus généralement les mutations à l’intérieur d’une administration ou d’une entreprise obéissent à des contraintes qui leur sont propres.
2732) Nous avons utilisé les statistiques sur le lieu de naissance qui regroupent des personnes ayant migré au cours d’une période assez longue précédant le recensement. Dans les départements où ont eu lieu des alternances de croissance et de déclin économique, l’excédent des arrivées pendant les phases de croissance peut être compensé par un excédent de départs au cours des phases de déclin.
274Dans les statistiques sur le heu de naissance, ces deux mouvements de redistribution, non simultanés dans le temps apparaîtront comme des mouvements compensés50.
275Le volume de la mobilité de redistribution séparée plus haut de l’ensemble des mouvements est donc une limite inférieure de la mobilité que provoque la redistribution des activités économiques (voir note 1 page précédente).
276Rappelons enfin que les mouvements non compensés mesurent la redistribution par rapport à une distribution de population fictive, qui aurait résulté des caractéristiques démographiques propres à chaque département.
277On pourrait également mesurer la redistribution par rapport à une situation “neutre” où tous les départements auraient crû au même rythme. On serait alors conduit à distinguer, des mouvements compensés et non compensés définis plus haut, un ensemble de mouvements “démographiques”, produit de la variabilité des caractéristiques propres à chaque département. La mesure de ces derniers mouvements reste une voie de recherches fécondes dans l’étude des migrations.
Notes de bas de page
1 Néanmoins l’estimation des flux entre l’ensemble des couples de départements, au cours des quelques périodes où le calcul est possible (vers 1900), ne serait pas dépourvue d’intérêt. On verra, notamment dans la suite de ce chapitre, qu’il serait possible d’éliminer en grande partie les biais dus :
. Aux différences de mortalité entre migrants et non migrants.
. Aux variations régionales de la mortalité.
. A l’influence perturbatrice des retours sur l’estimation des flux de premiers changements ; par exemple en utilisant pour tous les couples les coefficients nationaux calculés au cours de ce chapitre (v. “Le calcul des premiers changements”).
. Enfin, pour la période 1901-1906, il serait possible d’éliminer en grande partie le biais d’estimation des structures par âge (groupes mij) en utilisant les données particulières sur l’âge des migrants en 1901 (groupes mij) dont les références figurent en annexe IV (données sur l’âge).
2 En toute rigueur : changements de département ayant pour origine le département de naissance. En pratique : premiers changements de département puisqu’on peut négliger les changements après un, ou plusieurs, aller-retour.
3 Au cours d’une lecture rapide, on peut sauter les développements méthodologiques qui suivent pour passer à la fin de cette 1e partie : “Premiers résultats”.
4 Voir plus haut, chapitre II : Etude par génération, et annexe II.
5 Compte tenu des corrections dues aux militaires du contingent.
6 En 1946, on dispose :
a) d’une séparation en deux groupes de la population active selon que les recensés résident ou non dans leur département de naissance, ceci par sexe et groupe quinquennaux d’âges.
b) du même classement pour l’ensemble des recensés de chaque sexe selon une division moins précise en trois groupes d’âges.
7 V. Note (4), chapitre II.
8 Migrants résidant à un recensement donné hors de leur département de naissance.
9 Déduit des données de 1911.
10 Documents non publiés communiqués par la division “Démographie” de l’I.N.S.E.E.
11 Il s’agit de tables du moment par sexe pour les périodes : 1898-1903, 1908-1913, 1920-1923, 1928-1933, 1933-1938, 1946-1949, 1952-1956, 1960-1964. La table 1877-1881 (sexes réunis) comportait trop d’erreurs pour être utilisée.
12 Taux de survie en 8 ans pour les deux périodes 1946-54 et 1954-62.
13 Les coefficients de pondération varient avec les positions relatives des tables et de la période.
14 Calculés en proportion de personnes exposées au risque de 1° migration, ces taux sont dits “de seconde espèce", par opposition aux taux de 1° espèce, calculés en proportion de l’ensemble de la population, qui donnent un renseignement moins précis.
15 (Premiers changements de département – retours au département de naissance)/Population moyenne résidant dans le département de naissance.
16 En plus ou en moins, soit un intervalle d’environ 70 % sur la valeur prévisible au seuil 5 %.
17 Déduit de l’ensemble des changements, seul connu au recensement de 1962, par répartition proportionnelle.
18 “Primary, secondary and return migration in the United States ; 1955-1960” par Hope T. Eldridge. Research associate, Populations Studies Center, University of Pennsylvania, Philadelphia. Demography, 1965. Volume 2, page 444.
19 Census report – fascicule : Lifetime and recent migration.
20 Qu’il importe de bien distinguer des migrations secondaires et retours dénombrés, car ils ont eu lieu au cours d’une période différente de celle de première migration.
21 Il s’agit, rappelons-le, des migrations de rang supérieur ou égal à 2, distinctes des retours.
22 Ce qui a pour effet d’éliminer l’influence perturbatrice de la mortalité sous réserve que migrants et non migrants aient des niveaux de mortalité assez voisins.
23 En fait moins de 1/50 en raison des disparités de population entre états. D’autre part, l’influence de la distance explique en partie l’importance des retours : la majorité des migrants changent d’état à l’intérieur d’une zone restreinte de quelques états. La prise en compte de la distance réduirait considérablement le rapport 1/50. On saisit ici la difficulté à quantifier les relations privilégiées qu’un migrant entretient avec son état de naissance par le rapport d’une probabilité observée à une probabilité fictive dont le calcul n’est pas simple.
24 Rapport ((6) + (7))/(5) des colonnes du tableau XVIII.
25 Localité : commune rurale, ville isolée ou agglomération multicommunale.
26 Calculs menés à partir d’une enquête de G. Pourcher sur un échantillon de la population de province, (ref. bibliographique 26).
27 Leur importance dans le processus de migration (décision de migrer et choix du lieu d’arrivée) a été mise en évidence par plusieurs enquêtes de l’I.N.E.D. sur les migrations internes (v. en bibliographie, les références 15 et 25). Les liens personnels jouent également un grand rôle dans les migrations internationales ; les étrangers d’une certaine nationalité viennent souvent de quelques zones bien localisées dans leur pays d’origine : l’émigration algérienne est à prépondérance Kabyle très marquée ; la majorité des migrants originaires d’Afrique Noire viennent aussi de quelques zones peu nombreuses : Sarakollés de la haute vallée du Sénégal, Toucouleurs, Mandjacques de la Casamance, etc.
28 Taux de 2e espèce : Premiers changements de département/Population moyenne résidant dans le département de naissance.
29 Effectif annuel de premiers changements de département, rapporté à la population moyenne née dans le département de résidence au cours de la période. Il s’agit de taux de deuxième espèce, c’est-à-dire calculés en proportion de personnes exposées au “risque” de premier changement.
30 Ajustement statistique linéaire qui rend minimale la dispersion des valeurs observées.
31 Source : INSEE.
32 Nous reviendrons sur ce point au chap. V.
33 Sauf de 1946 à 1954 pour les migrations externes, d’autre part le solde particulièrement élevé de la période 1962-68 provient des rapatriements de Français d’Algérie. Cette dernière période a connu une baisse légère de l’immigration étrangère traditionnelle.
34 Mesurée, avec toutes les réserves que l’on peut faire, par les indices de la comptabilité nationale.
35 Le volume des migrations de redistribution est calculable :
Pour un département, le solde entre deux recensements est fourni par l’équation classique d’estimation par différence :
S = P2 – P2 – N + D
La somme des soldes négatifs est égale, au signe près, à celle des soldes positifs puisque tout mouvement est à la fois une émigration, du département d’origine, et une migration, dans le département d’arrivée.
Leur valeur absolue commune est égale au volume (France entière) des migrations de redistribution au cours de la période.
36 Les habitations à bon marché, ont été les premiers logements sociaux construits avec l’aide de l’Etat (aujourd’hui H.L.M.).
37 Cette hypothèse est très bien vérifiée entre 1954 et 1962 (v. tableau XXXVIII).
38 Compte non tenu des personnes nées en Alsace-Lorraine.
39 Guy Fourcher. “Un essai d’analyse par cohorte de la mobilité géographique et professionnelle”. Population ; Mars-Avril 1966.
40 Localité : Commune isolée ou agglomération multicommunale (définition 1962). “Il n’a pas été tenu compte des déplacements éventuels à l’intérieur d’une même agglomération composée de plusieurs communes. De même, les domiciles de refuge pendant la guerre ou les changements liés au service militaire, n’ont pas été pris en considération”.
41 : Voir note précédente.
42 Voir tableau XXII.
43 Et peut-être supérieure.
44 V. graphique 14.
45 Valeur calculée plus haut (v. tableau XXIV).
46 D. Courgeau. Les champs migratoires en France. Collection “Cahiers de travaux et documents”, I.N.E.D., Paris, 1971.
47 Il s’agit des 21 régions de programme définies au recensement de 1962.
48 Données de démographie régionale déduites du recensement de 1954 et des statistiques d’état civil des années voisines. Imprimerie Nationale. Paris, 1964.
Cette étude donne les principaux indices démographiques par département, grande ville, grande agglomération et région. Elle a été reprise en 1962.
49 La variabilité de la mortalité entre départements est deux fois plus faible pour le sexe féminin.
50 On a vu plus haut qu’il était possible de mesurer les mouvements de redistribution, par rapport au lieu de naissance, par période intercensitaire depuis l’origine des recensements (v. note 35).
Cette mesure présente un intérêt propre mais il est impossible de comparer les effectifs ainsi calculés, à l’ensemble des mouvements par période, inconnu avant 1954.
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