Chapitre II.
Étude longitudinale de la mobilité depuis un siècle1
p. 27-49
Texte intégral
1Nous adopterons dans ce chapitre un point de vue dit longitudinal ; c’est-à-dire que nous suivrons, à travers les recensements successifs, la mobilité d’un groupe de générations.
2Les données dont nous disposons permettent d’estimer l’intensité finale de la mobilité, par groupes quinquennaux de générations, sur un intervalle d’environ un siècle : des générations 1816-1820 aux générations 1922-262.
I – Les données
3Pour suivre une génération, il faut que les données sur le lieu de naissance soient triées selon l’âge.
4Les sources.
5Trois recensements fournissent des effectifs de personnes résidant hors de leur département de naissance par groupes quinquennaux d’âges : ceux de 1901, 1911 et 1946. On en déduit directement des proportions, par groupes quinquennaux d’âges, de personnes résidant hors de leur département de naissance3 – voir tableau III –.
6En 1962, on peut estimer de façon très satisfaisante des proportions analogues4.
Tableau iii. – proportion de personnes residant hors de leur departement de naissance selon l’age

7Nous les avons portées sur les graphiques 2 et 3 ; examinons le premier, relatif au sexe masculin.
8Analyse des données.
9Chacune des quatre courbes en traits pleins figure l’évolution des proportions avec l’âge, à un recensement donné. Il est essentiel de noter qu’elles joignent des points relatifs à des générations différentes. Ce qui explique en partie l’allure de ces courbes en traits pleins :
Baisse très forte de la proportion après 40 ans pour les recensements de 1901 et 1911.
Aspect heurté de la courbe relative au recensement de 1962 qui passe par deux maxima successifs.
10On peut joindre les points dont on dispose d’une autre façon, en suivant cette fois l’évolution de la proportion de migrants dans une génération donnée.
11Ainsi la génération 1846-1850, âgée de 50 à 54 ans en 1901, se trouve en 1911 dans le groupe d’âges 60-64 ans. En joignant les points correspondants, on obtient un secteur de la courbe relative à cette génération.
12Compte tenu de l’insuffisance des données sur l’âge, cette courbe n’est connue qu’en partie. En toute rigueur, on n’en connaît même que le secteur de dix ans qui sépare les deux points utilisés. On peut cependant la prolonger, de part et d’autre de ces deux points, en se guidant sur des secteurs analogues, connus pour les générations voisines. C’est ce que nous avons fait sur les graphiques 2 et 3.
13Signalons toutefois que ces extrapolations, qui vont nous servir à mesurer l’intensité finale de la mobilité par génération, ne sont valables que si les courbes ne se déforment pas trop rapidement. Nous discutons ce point en annexe III (précision de la méthode).
14L’évolution des proportions de migrants dans une génération5.
15Dans une génération donnée, la proportion croît d’abord rapidement avec l’âge, autrement dit la durée dont la génération a disposé pour effectuer une migration.
16Ensuite, entre 30 et 40 ans, la mobilité devient plus faible tandis que deux facteurs entrent en jeu pour réduire la proportion de migrants dans la génération :

Graphique 2. – Proportions de personnes résidant hors de leur département de naissance, par âge et génération.
les retours au département d’origine.
la surmortalité des migrants.
17Revenons au graphique 2 et plus précisément aux courbes qui retracent l’évolution de la proportion de migrants dans les générations les plus anciennes : de 1816-1820 à 1871-1875.
18Facteurs perturbateurs dans les générations anciennes (1816-1875).
19A partir de 40 ans, la proportion de migrants baisse dans toutes les générations. Dès cet âge, l’effet combiné des retours et de la surmortalité des migrants est important, il l’emporte sur les premiers changements de département.
20Il est d’ailleurs difficile d’évaluer l’importance relative de ces deux facteurs. Les calculs de l’annexe II montrent que la surmortalité des migrants contribue, pour une part appréciable, à la chute des proportions de migrants après 45 ans dans les générations anciennes.

Graphique 3. – Proportions des personnes résidant hors de leur département de naissance, par âge et par génération.
21Le 19e siècle a été une période de surmortalité urbaine très forte, encore peu étudiée.
22Le tableau IV bis est extrait d’une étude à paraître. Il donne les valeurs des taux de mortalité par groupes d’âges, en 1891, pour la population urbaine et la population rurale et les espérances de vie correspondantes.
23Cette surmortalité s’est progressivement atténuée, voire inversée.
24Comme la majorité des personnes résidant hors de leur département de naissance sont des ruraux qui ont gagné les villes, ils ont été soumis aux conditions de mortalité de leur milieu d’arrivée.
Tableau iv – proportion de personnes residant a 45 ans hors de leur departement de naissance dans les generations successives

25Cette surmortalité des habitants des villes par rapport aux ruraux était sans doute accentuée pour les migrants : les études relatives aux migrations rurales montrent en effet que ce sont les ruraux les plus pauvres : petits paysans, salariés agricoles, qui ont émigré vers la ville pour y constituer la main-d’œuvre ouvrière6 A une époque où les conditions de vie étaient, en moyenne, meilleures à la campagne, ce sont ces catégories marginales qui avaient intérêt à quitter la terre pour gagner l’usine et la ville.
26Les générations récentes (1876-80 à 1922-26).
27La forme des courbes de générations diffère de celles du premier groupe : dans une génération, la proportion de migrants augmente jusqu’à 50 ans environ pour s’établir à une valeur constante à peu près indépendante de l’âge.
28Plusieurs raisons sont susceptibles d’expliquer ce changement de forme.
29D’abord une réduction de la surmortalité des migrants7, ensuite un changement du calendrier des premières migrations, autrement dit de la répartition, suivant l’âge, des premiers changements de département ; enfin une modification de l’intensité, ou du calendrier, des retours au département de naissance.
Tableau iv bis – mortalite urbaine et rurale en 1891.

30Mesure de l’intensité finale par génération.
31En langage simple, on peut dire qu’une courbe de génération dépend de deux paramètres, devenus classiques en démographie.
32Sa forme dépend de la répartition selon l’âge des premiers changements de département, ce qu’on a appelé plus haut le calendrier.
33Sa hauteur, à un âge donné, dépend de l’intensité des migrations dans la génération jusqu’à cet âge.
34L’étude classique d’un phénomène démographique comporte deux aspects :
Un calcul de l’intensité du phénomène, c’est-à-dire de la proportion de personnes l’ayant vécu à un âge quelconque. Si l’on s’intéresse par exemple à la nuptialité de la génération 1912, la proportion de célibataires dans l’ensemble du groupe, âgé de 50 ans, au recensement de 1962, fournit une mesure de l’intensité de la nuptialité dans cette génération.
Le calendrier, c’est-à-dire la répartition des personnes ayant vécu le phénomène, selon l’âge auquel elles l’ont vécu. Dans le cas de la nuptialité ce sera la répartition selon l’âge des premiers mariages dans la génération étudiée.
35Les recensements fournissent les proportions successives de célibataires dans la génération ; on en déduit assez facilement le calendrier des premiers mariages.
36Les choses se présentent différemment pour l’étude de la mobilité.
37Les données sont fragmentaires : on ne dispose que de secteurs des courbes de générations, ce qui rend impossible le calcul du calendrier des premiers changements de département par génération.
38Ensuite, le calcul de l’intensité finale de la mobilité par génération se présente moins simplement en raison de l’importance des retours et de la mortalité différentielle.
39Les retours jouent, dans l’étude de la mobilité un rôle comparable à celui des veuvages et des divorces dans l’étude de la nuptialité. Cependant, alors que dans ce dernier cas, les recensements fournissent les effectifs de veufs et divorcés dans chaque groupe d’âges, les statistiques concernant le lieu de naissance ne fournissent aucune distinction entre les personnes qui sont revenues dans leur département de naissance et celles qui ne l’ont jamais quitté.
40Le choix d’un seuil
41Comme dans le cas de la nuptialité, on va mesurer l’intensité finale de la mobilité dans une génération, par la proportion de migrants à un certain âge, que nous allons déterminer.
42Les retours et la surmortalité des migrants suffisent à provoquer une baisse des proportions de migrants à partir du groupe d’âges 40-44 ans dans les générations les plus anciennes (1816-1875).
43Leur importance pousse donc à retenir un seuil d’âge assez bas pour réduire au maximum le biais qui perturbe la mesure.
44En l’absence de ces deux phénomènes perturbateurs, le seuil devrait être choisi à un âge où le volume des premiers changements de département, donc la hausse des proportions, devient très faible.
45L’examen des courbes des générations les plus récentes montre que la hausse des proportions de migrants est sensible jusqu’à cinquante ans.
46Compte tenu de ces deux observations, nous avons retenu l’âge de 45 ans pour mesurer l’intensité de la mobilité par génération.
47La proportion de migrants à 45 ans dans une génération donne une mesure de la mobilité cumulée jusqu’à cet âge : on la déduit des graphiques 2 et 3 en prenant l’intersection des courbes de générations avec la verticale x = 45 ans. Les proportions sont données, par groupes quinquennaux de générations dans le tableau IV. Leur précision, discutée en annexe III, est bonne.
48Il faut cependant souligner que les retours au département de naissance ont lieu à tous les âges de la vie. La proportion de personnes résidant à 45 ans dans leur département de naissance sous-estime, dans des proportions inconnues, l’intensité de la mobilité dans les générations en cause ; les migrations suivies d’un retour au département de naissance avant 45 ans échappent à la mesure.
II – Résultats
49Les valeurs du tableau IV figurent sur le graphique 4 qui retrace pour chaque sexe l’évolution de la mobilité par génération.
50Croissance initiale de la mobilité.
51L’intensité finale de la mobilité passe de 20,7 %, dans la génération masculine 1816-20, à 37,5 %, dans la génération masculine 1917-21 ; soit, pour les hommes, un doublement en 120 ans environ.
52L’augmentation de la mobilité a été plus forte pour le sexe féminin ; passant de 18,6 % dans la génération 1816-20 à 39,8 % dans la génération 1917-21, elle a doublé en 90 ans.
53Pour l’ensemble des deux sexes, le doublement s’effectue en 105 ans environ. On ne saurait trop insister sur cette dernière valeur : contrairement à une opinion très répandue, la mobilité croît assez lentement, même, et surtout, dans les générations les plus récentes sur lesquelles nous allons revenir.

Graphique 4. – Proportions de personnes résidant à 45 ans hors de leur département de naissance dans les générations 1816 à 1926.
54Mentionnons toutefois trois biais qui affectent les séries portées sur le graphique 4.
551) L’évolution des premiers changements de département ne reflète qu’imparfaitement celle de l’ensemble des changements. Lorsque la mobilité devient assez élevée, l’évolution des changements de rang supérieur à 1 peut être plus rapide que celle des premiers changements.
562) L’augmentation de la mobilité s’accompagne vraisemblablement d’un étalement du calendrier qui expliquerait, avec la baisse de la surmortalité des migrants, que les proportions de migrants augmentent, après 45 ans, dans les générations récentes (v. graphiques 2 et 3).
57Ces deux biais jouent dans le même sens et conduisent à sous-estimer l’accroissement séculaire de la mobilité.
583) En revanche, la surmortalité des migrants dans les générations anciennes conduit à une sous-estimation de la mobilité dans ces générations ; à l’inverse des deux précédents, ce dernier biais conduit à une surestimation de l’accroissement à long terme de la mobilité.
59La mobilité des générations nées au début du XIXe siècle, celles qui avaient 25 ans vers 1840, était déjà élevée : dans ces générations, une personne sur cinq résidait à 45 ans hors de son département de naissance. Un puissant brassage de population s’est donc produit dès cette époque, sinon avant.
60Ce résultat recoupe les travaux récents de démographie historique menés à l’INED8, notamment sur la ville de Paris.
61L’immigration définitive à Paris, à peu près constante au cours des 40 à 50 années qui ont précédé la révolution, était élevée : la proportion de parisiens nés hors de Paris, était, à la fin du XVIIIe siècle, de l’ordre du tiers.
62Sans être négligeables, les migrations à destination des grandes villes, et surtout entre départements de province, étaient beaucoup moins élevées (en proportion de la population).
63L’analyse du niveau élevé de la mobilité dans les générations nées au cours de la première moitié du 19e siècle déborderait le cadre de cette étude9.
64L’évolution de la mobilité n’est pas régulière : à la croissance modérée de la mobilité des générations nées avant 1866-70 succède une croissance presque double jusqu’aux générations 1891-95.
65Le groupe charnière des générations 1866-70 a migré vers les années 1880-90. Les 30 années qui ont précédé la première guerre mondiale ont donc été, par rapport aux précédentes, des années de forte augmentation de la mobilité.
66Le calcul du taux de variation de la population rurale10 fournit des éléments d’explication. De – 0,18 % par an au cours de la période 1856-8611, il passe à 0,39 % par an au cours de la période 1886-1911.
67Cette seconde période a connu une croissance très faible de la population totale : + 0,16 % par an contre + 0,39 % par an pendant la période précédente (1856-86). Un dépeuplement plus rapide des campagnes a vraisemblablement fourni aux villes la main-d’œuvre que la croissance naturelle de la population n’était plus en mesure de leur offrir.
68Dans les générations suivantes, nées après 1895, les irrégularités des courbes figurées sur le graphique 4 s’accentuent, particulièrement chez les hommes.
69Réduction de la mobilité des générations nées vers 1900.
70L’intensité finale de la mobilité retombe, dans les générations 1901-1905, au niveau qu’elle avait dans les générations nées 25 ans plus tôt.
71Ce groupe de générations (1901-1905), et ceux qui l’encadrent, ont atteint l’âge de 20-24 ans, celui où la mobilité est la plus forte, dans l’immédiat après-guerre.
72Cette période, qui recoupe en pratique l’intervalle intercensitaire 1921-26, n’a connu qu’un faible volume d’échanges interdépartementaux, explicable par la conjugaison de trois facteurs :
a) Dépeuplement rural moindre.
73Après les pertes de guerre, qui ont entraîné une accélération du dépeuplement rural de l’ordre de 1,2 millions d’habitants12, la population rurale a peu baissé particulièrement entre les recensements de 1921 et 1926.
74Une étude de M. Febvay13 consacrée à l’évolution de la population agricole, permet d’en préciser le mécanisme : les générations nées vers 1901-1905 ont conservé des proportions d’agriculteurs sensiblement plus fortes que celles qui les précèdent ou les suivent (v. graphique 5), elles sont arrivées à l’âge de début d’activité à un moment où les pertes au front avaient laissé de nombreuses exploitations vacantes.
b) La croissance de la région parisienne a été considérablement freinée par le blocage des loyers.
75Si la croissance urbaine est forte de 1921 à 1926, elle s’effectue surtout dans les villes de province.

Graphique 5. – Proportions d’agriculteurs à 35 – 39 ans par groupe de générations. (Source M. Febvay art. cité).
76Ces villes ont un recrutement principalement local ; leur croissance ne provoque qu’un nombre assez faible de changements de département.
c) La croissance urbaine a été alimentée, en majeure partie, par une immigration massive d’étrangers qui a réduit la part des migrations internes.
77De 1921 à 1936, l’évolution des effectifs de personnes nées hors de France, dans leur quasi-totalité des étrangers, est en effet la suivante (effectifs en milliers) :
781921 : 1 5900
791926 : 2 469
801931 : 2 942
811936 : 2 592
82Le développement économique intense de la période 1921-1931 n’a pu se produire que par un recours massif à l’immigration étrangère, particulièrement intense au cours de la période 1921-26 où la source que constituent les migrations rurales était provisoirement tarie.
83Générations 1906-1926.
84Revenons maintenant au graphique 4. La mobilité augmente plus vite dans les générations suivantes, nées de 1906 à 1915 : après 1926, le dépeuplement rural reprend, la législation d’aide au logement provoque une croissance particulièrement forte de l’agglomération parisienne entre 1926 et 1931 au détriment des villes de province. Elle fait largement appel aux migrations internes. De 1926 à 1931 l’immigration étrangère est en baisse sensible.
85La crise, puis la guerre, ont provoqué dans les générations suivantes une stagnation (générations 1917-21), puis une baisse de la mobilité (générations 1922-26).
86L’étude de M. Febvay, déjà citée, montre qu’il s’est produit dans les générations agricoles 1922-26 un phénomène comparable, quoique beaucoup moins accentué, à celui qui a atteint les générations 1901-1905 : arrivées à l’âge d’entrée en activité sous l’occupation, elles ont eu tendance à rester à la terre. Les conditions de vie y étaient moins mauvaises qu’à la ville (voir graphique 5).
87Différences de mobilité entre hommes et femmes.
88Nous avons vu que la mobilité des femmes, inférieure à celles des hommes au début du XIXe siècle, l’avait maintenant dépassée : elle a doublé en 90 ans contre un doublement en 120 ans pour le sexe masculin.
89Le graphique 6 retrace, de 1851 à 1936, l’évolution du rapport de masculinité14 de l’ensemble de la France et du département de la Seine, pris à titre d’exemple en l’absence de statistiques sur la population urbaine (voir tableau V). Le quotient q du second de ces rapports, au premier, fournit une mesure du rapport des effectifs de chaque sexe dans le département de la Seine, corrigé des déséquilibres d’effectifs au niveau national.
90Voisin de 1050 vers 1851, q baisse très rapidement pour atteindre la valeur 930 au recensement de 1896. Puis deux périodes de baisse plus lente, 1896-1911 et 1921-26, encadrent une période de baisse plus rapide pendant la première guerre mondiale.

Graphique 6. – Rapports de masculinité dans le département de la Seine15 et l’ensemble de la France (2).
91D’une prédominance masculine en milieu urbain assez sensible vers 1850, il semble donc que l’on soit passé à une forte prédominance féminine vers 1911.
92Les raisons de cette évolution, due aux seuls effets, de plus en plus importants, des migrations différentielles par sexe, restent peu étudiées.
Tableau v. – evolution du rapport de masculinite(1) dans le departement de la seine et pour l’ensemble de la france (nombre d’hommes pour 1 000 femmes de tous âges)

93On peut penser que le développement d’emplois industriels dans les villes au début du XIXe siècle y a d’abord attiré un surcroît d’hommes.
94La création d’emplois “tertiaires”, plus accessibles aux femmes, y aurait ensuite entraîné une immigration à prédominance féminine.
95L’augmentation progressive de la distance séparant les domiciles des conjoints au moment du mariage rend également compte d’une part de la “surmobilité” féminine observée.
96Dans la majorité des cas, c’est la femme qui rejoint le lieu de résidence de son mari. Les données du chapitre V sur la mobilité par sexe et âge de 1954 à 1962 (tableau XXXVII) montrent que la mobilité des femmes dépasse nettement celle des hommes entre 15 et 30 ans environ. Au-delà de 30 ans, elle est légèrement inférieure.
97Incidences sur la nuptialité.
98Conséquence ou cause d’une part non négligeable des migrations féminines vers la ville, la désaffection des femmes pour les activités agricoles est certaine. Elle a eu des répercussions profondes sur la nuptialité, mises en évidence au recensement de 196216 : Dans la population rurale agricole l’intensité du célibat définitif était alors (sexe masculin) double de celle de la population urbaine17 ; celle de la population rurale non agricole était à peine plus élevée.
99Cette remarque donne à réfléchir sur les conséquences pour la nuptialité du déséquilibre des sexes entre villes et campagnes.
100Sans vouloir approfondir ce sujet qui déborde le cadre de notre étude, on peut cependant remarquer que l’évolution de l’intensité de la nuptialité recoupe, des générations 1821-25 aux générations 1871-75, les variations du quotient q.
101Le graphique 718 retrace l’intensité du célibat définitif dans les générations nées de 1821 à 1921.
102Elle augmente d’abord jusqu’au groupe des générations nées de 1836 à 1840, c’est-à-dire pendant la période d’immigration à prédominance masculine dans les villes.
103Le groupe charnière des générations de 1836 – 1840 s’est marié vers 1860 ; c’est à partir de cette époque que s’amorce la baisse du quotient q qui amènera un équilibre entre villes et campagnes vers 1860 (voir graphique 6). C’est aussi pendant cet intervalle que l’intensité de la nuptialité augmente de façon sensible : la proportion de célibataires à 50 ans (sexes réunis) supérieure à 13 % dans les générations 1836 – 1840, tombe à moins de 11 % dans les générations 1851 – 55.
104Au-delà, les variations du rapport q ne rendent plus compte de l’intensité de la nuptialité.
105On devrait, en bonne logique, assister à un relèvement du célibat définitif correspondant au surcroît progressif de femmes dans les villes à partir de 1880 ; si l’on observe une hausse légère chez les hommes, il y a quasi-stagnation chez les femmes. L’écart qu’on observe ensuite entre les deux courbes est dû à la première guerre mondiale. Elle a provoqué une “sur-nuptialité masculine” et une “sous-nuptialité” féminine qui culminent dans les générations nées entre 1886 et 1895.
106Revenons maintenant à la comparaison des graphiques 4 et 6,

Graphique 7. – Proportions de célibataires à 50 ans par groupe de générations.
Tableau vi. – proportions de celibataires a 50 ans par groupe de generations (1821-25 à 1911-15, proportions en %)

107L’augmentation plus rapide de la mobilité féminine dans les générations nées avant 1890 concorde avec l’évolution du rapport de masculinité dans le département de la Seine.
108Dans les générations féminines suivantes, nées de 1890 à 1905, l’augmentation de la mobilité se poursuit à son rythme antérieur : on n’observe pas de baisse de l’intensité finale de la mobilité analogue à celle qui s’est produite dans les mêmes générations pour le sexe masculin.
109Ces générations étaient âgées de 15 à 30 ans au moment de la première guerre mondiale. Le départ des hommes au front a contraint les femmes à gagner la ville pour y trouver du travail à une époque où la pénurie de main-d’œuvre était particulièrement forte.
110Le graphique 6 en fournit une confirmation : il fait apparaître, entre les recensements de 1911 et 1921, une baisse assez forte de q : quatre fois plus élevée que celle des périodes encadrantes (1896-1911 et 1921-36).
111Mobilité de la population active.
112Nous avons procédé jusqu’ici à des mesures globales de l’intensité de la mobilité.
113A partir de 1896, des données détaillées ont été publiées dans les recensements sur la mobilité de la population active par profession, activité économique et statut19.
114Nous ne présenterons ici que des résultats très regroupés qui permettent néanmoins d’apprécier l’hétérogénéité de la population active quant à la mobilité. Nous étudierons ensuite l’influence de la composition de la population active et de ses modifications, sur le niveau et l’évolution de la mobilité.
115Le tableau VII a été déduit du recensement de 1906. Il porte exclusivement sur la population active masculine et donne les proportions d’actifs (tous âges) résidant hors de leur département de naissance par secteur d’activité économique et statut.
116Si un actif sur cinq réside hors de son département de naissance, la mobilité varie de un à six entre groupes extrêmes : agriculteurs exploitants20 à mobilité particulièrement faible, chômeurs du tertiaire à forte mobilité.
117Elle est très étroitement liée au secteur d’activité économique (tous statuts confondus) : la mobilité des travailleurs de l’industrie est trois fois supérieure à celle du secteur agricole, celle du secteur tertiaire est quatre fois supérieure.
118Les différences de statut introduisent des variations de moindre ampleur : la mobilité des chefs d’entreprise est un peu plus faible que celle des ouvriers car la première de ces rubriques comprend un grand nombre d’artisans, ou de petits entrepreneurs, très liés à leur travail ; dans cette rubrique hétérogène, le tonnelier du bourg voisine avec le patron d’une usine métallurgique.
Tableau vii. – population active masculine au recensement de 1906 selon le lieu de naissance (% residant hors du departement de naissance), par secteur d’activite economique et statut.

119La mobilité des employés est très supérieure à celle des ouvriers : près d’un actif sur deux réside hors de son département de naissance. A une époque où l’industrie restait souvent implantée dans les villes petites et moyennes, voire en milieu rural, les employés, souvent, gagnaient les grandes villes ou la capitale.
120Notons enfin qu’à activité économique égale, la mobilité des chômeurs est souvent supérieure à celle des autres groupes professionnels.
121De telles différences conduisent à s’interroger sur les incidences de changements de composition de la population active sur le niveau général de la mobilité.
122La part de population agricole, à faible mobilité, décroît régulièrement depuis un siècle ; celle du secteur tertiaire, à forte mobilité, est en augmentation constante ; à l’intérieur de chaque activité économique se produisent des glissements de statut : augmentation de la part d’employés et de cadres par exemple. Dans quelle mesure ces modifications expliquent-elles les tendances de la mobilité dégagées plus haut ?
123Nous avons appliqué les proportions du tableau VII, par activité économique et statut, aux structures de la population active en 1936 et 1962. On isole ainsi, à mobilité constante celle de 1906, l’effet de structure de la population active. Ces résultats (tableau VIII) sont portés sur le graphique 8.
tableau viii. – % d’actifs résidant hors de leur departement de naissance (sexe masculin)

124A mobilité constante par activité économique et statut, les seules variations de structure de la population active provoqueraient une augmentation rapide, et d’ailleurs sous-estimée21, de la mobilité : 50 % en 110 ans pour le sexe masculin.

Graphique 8. – Evolution de la mobilité due aux seuls effets de structure de la population active, par activité économique et statut.
Conclusion
125Nous avons étudié l’intensité finale de la mobilité dans les générations successives nées de 1816 à 1926, soit en pratique de 1850 à la seconde guerre mondiale.
126Partie d’un niveau élevé, jusqu’ici sous-estimé, la mobilité a doublé en un siècle. Deux nombres résument cette évolution : la proportion de personnes résidant à 45 ans hors de leur département de naissance est passée de 20,7 % dans les générations masculines 1816-1820 à 36,0 % dans les générations masculines 1922-26 ; pour le sexe féminin, les proportions correspondantes sont de 18,6 et 38,0 %.
127La mobilité de la population active est très variable selon le statut et l’activité économique. Les seules modifications de sa composition, à mobilité constante par statut et activité économique, entraînent une augmentation de la mobilité de l’ordre de 50 % en un siècle, soit environ la moitié de l’évolution constatée.
128A composition constante, l’augmentation de la mobilité aurait été également de l’ordre de 50 % en un siècle, ce qui renforce encore les conclusions précédentes sur le niveau élevé de la mobilité au 19e siècle.
129A une époque où les techniques industrielles restaient assez simples et les qualifications des travailleurs de l’industrie souvent très faibles, le lien du travailleur à son emploi était rompu plus facilement : les rapports contractuels (statuts du personnel, avantages divers) étaient quasi inexistants et les loyers22 soumis au libre jeu du marché23.
130La croissance de la mobilité par génération apparaît assez régulière, mais perturbée de loin en loin par l’histoire particulière de certaines générations (v. graphique 4).
131Les perturbations sont particulièrement nombreuses dans les générations récentes où n’apparaît néanmoins aucune accélération de la mobilité. Nous verrons toutefois dans les chapitres suivants que la mobilité augmente beaucoup plus rapidement depuis la seconde guerre mondiale puisqu’elle double en trente ans environ, ce changement de rythme a touché pour l’essentiel des générations qui n’ayant pas encore atteint 45 ans, sortaient du champ de cette étude.
Notes de bas de page
1 Ce chapitre a fait l’objet, sous une forme assez voisine, d’un article dans la revue Population. “La mobilité géographique en France depuis un siècle, une étude par génération”. (Population, Septembre-octobre 1970).
Nous le publions dans ce cahier car il est complémentaire des autres chapitres où nous utilisons certains résultats de l’étude longitudinale.
Il comporte en outre quelques résultats nouveaux sur les différences de mortalité dans la population rurale et la population urbaine et surtout sur la mobilité de la population active.
2 Ces générations sont les dernières dont on puisse considérer la mobilité finale comme atteinte en pratique.
3 Parmi l’ensemble des personnes nées en France appartenant à ce groupe d’âges.
4 Au recensement de 1962, on dispose des données suivantes :
. répartition par groupes quinquennaux d’âges des personnes résidant hors de leur région de naissance
. répartition en 3 groupes (0-19 ans ; 20-64 ans ; 65 ans et plus) des personnes résidant hors de leur département de naissance.
Il s’agit de répartir la seconde en groupes quinquennaux d’âges. Lorsqu’on regroupe la première en trois groupes, on constate que la distribution des effectifs est très voisine de la seconde, ce qui ne saurait surprendre puisque environ sept changements de département sur dix sont des changements de région.
A l’intérieur de chacun des 3 groupes de la seconde répartition (départements), on a donc réparti les effectifs de changements de département par groupes quinquennaux selon une distribution identique à celle, connue, des changements de région.
On en déduit directement les proportions du tableau III.
5 Au cours d’une lecture rapide, on peut passer à la partie “Résultats”.
6 V. en bibliographie, les références 2 et 22.
7 Due elle-même à plusieurs causes : au XIXe siècle, la plupart des migrants occupaient les emplois nouveaux créés dans l’industrie. La mobilité jouait surtout un rôle (Suite de cette note page suivante) de redistribution des activités entre villes et campagnes. (Les mouvements en sens inverse ou mobilité compensée étaient plus rares qu’aujourd’hui). En outre, l’augmentation de la mobilité a touché davantage les classes les plus élevées de la société. Leur mobilité est aujourd’hui plus forte que celle de l’ensemble ; notons enfin un dernier facteur qui tend à réduire la surmortalité des migrants : les conditions de vie dans les villes, qui constituent le point d’arrivée de nombreux changements de département, se sont améliorées plus vite que celles des campagnes. L’espérance de vie y est aujourd’hui plus élevée.
8 V. en bibliographie, les références 18 et 19.
9 Nous en avons proposé, dans l’introduction, quelques éléments d’explication.
10 Population résidant dans le périmètre constant des communes considérées comme rurales au recensement de 1962.
11 Guerre de 1870 exclue.
12 Valeur approximative estimée par différence entre la population rurale recensée en 1921 et celle qui aurait été observée en prolongeant les tendances observées de 1886, à 1911. De 1911 à 1921, au contraire, la population urbaine est restée quasi constante (hausse jusqu’à la guerre, baisse au cours de la guerre, puis nouvelle hausse). La guerre a provoqué un dépeuplement rural forcé suivi d’une période de dépeuplement rural particulièrement faible.
13 M. Febvay : “La population agricole, structure actuelle et évolution”. Etudes et conjoncture, août 1956.
14 Le rapport de masculinité est défini ici comme le nombre d’hommes pour 1 000 femmes. Ces rapports ont été calculés de 1851 à 1876 à partir des statistiques de population légale, seules disponibles. De 1881 à 1936, nous les avons déduits des effectifs de population présente née en France, de façon à éviter le biais que provoque l’immigration étrangère à prédominance masculine.
15 De 1851 à 1876, on a calculé les rapports de masculinité à partir de la population légale ; de 1881 à 1886, à partir de la population présente née en France.
16 Y. Tugault : Eléments de démographie urbaine (I.N.E.D., Ministère de l’équipement), Paris 1966.
17 Proportions de célibataires dans la génération masculine 1912-16, âgée de 45-49 ans au recensement de 1962 :
18 Extrait d’une étude de R. Pressat et J.C. Chasteland : “La nuptialité des générations françaises depuis un siècle”, (Population, avril-juin 1962).
19 V. Annexe IV : Les sources françaises sur le lieu de naissance : Population active.
20 Qui constituent la quasi-totalité du groupe des chefs d’entreprise du secteur “pêche, agriculture, forêts”.
21 En 1962, nous avons utilisé les “Résultats du sondage 1/20 pour la France entière” (fascicule Population active – Paris 1964, tableau 2). Ces données ne permettaient qu’une séparation par statut en deux groupes comparables aux précédents : chefs d’établissements, autres statuts. Avec une séparation plus détaillée, les glissements de statut à l’intérieur de chaque activité économique auraient conduit à une valeur plus élevée.
22 Nous verrons dans la conclusion l’influence déterminante de certains modes d’occupation du logement (loyers réglementés, H.L.M....) sur la mobilité.
23 La taille des villes était aussi beaucoup plus faible ; nous verrons au chapitre V que la taille d’une ville est en relation inverse à la fois avec l’intensité des départs et celle des arrivées (calculée en proportion de la population de la ville). En d’autres termes le volume des migrations entre villes est lié au réseau urbain ; à population urbaine égale, il est d’autant plus élevé que cette population est répartie en un plus grand nombre de petites villes. L’augmentation de la taille des villes contribue à réduire sensiblement le volume des migrations entre villes (toutes choses égales par ailleurs).
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