Chapitre VI.
La transition migratoire
p. 155-186
Texte intégral
« La majorité des Anglais « vont outre-mer » quand ils visitent le Canada ou l’Australie, et « vont à l’étranger » quand ils traversent la Manche ».
W. H. AUDEN
1L’histoire des migrations internationales est, à certains égards, un condensé de l’histoire universelle ; c’est l’un des chapitres les plus vivants, mais aussi les plus complexes de l’histoire des populations. Elle se situe, en effet, au confluent de tous les jeux d’influences (politique, économique, culturel, institutionnel, etc.) qui définissent les rapports entre pays.
2Après ses premières expéditions de découvertes et de conquêtes, l’Europe, maîtresse des mers, poursuit son épopée jusqu’à la fin du xixe siècle. Révolution industrielle et révolution démographique lui assurent les moyens de sa puissance et de son expansion ; jusqu’à la Première Guerre mondiale, la planète est sous la domination sans partage de quelques nations d’Europe de l’Ouest. Ce processus d’expansion a été long : depuis le xvie siècle, en effet, les peuples européens envoient un peu partout des colons en quête de nouveaux territoires ; il ne s’agit d’abord que de rares aventuriers, mais, au xixe siècle, avec le progrès technique et les facilités de transport, ces expéditions font place à un exode massif des populations, elles acquièrent une dimension démographique ; ces populations s’en vont occuper les terres vierges d’Amérique et d’Océanie. On assiste alors à un accroissement d’espace vital sans précédent : le territoire utilisé par les populations d’origine européenne est multiplié par huit ou neuf. En un siècle, de la paix européenne à la Première Guerre mondiale (1815-1914), plus de 60 millions d’Européens (soit plus de 20 % de la population en 1850), quittent leur continent d’origine. Mais les échecs successifs des tentatives d’implantation à l’intérieur de la Chine profonde marquent une première fracture dans ce processus d’expansion indéfinie de l’Europe. Inscrit dans la dynamique démographique elle-même, le processus de décolonisation entamé avec la Première Guerre mondiale, s’accélère avec la Seconde. Un à un, les grands empires constitués au fil des siècles se démembrent : la domination européenne reflue, d’autres civilisations renaissent et s’affirment.
Un phénomène de masse oublié des théoriciens
3L’émigration est donc un des traits saillants de la démographie européenne au xixe siècle. Cependant, curieusement, les mouvements migratoires sont absents de la théorie de la transition démographique, pourtant fondée précisément sur cette expérience européenne. Bien plus, ils sont régulièrement négligés par l’analyse démographique et l’analyse économique elles-mêmes : la démographie pure ne laisse qu’une place résiduelle à l’étude des migrations extérieures ; l’analyse économique, quant à elle, « ignore la mobilité internationale des facteurs » (Tapinos, 1974). Bien que l’interdépendance entre pays soit, de nos jours, sans cesse plus évidente l’hypothèse d’un champ (économie, population) fermé est, en réalité, toujours sous-jacente aux théories courantes. Difficulté, en avenir incertain, à prendre en compte l’environnement international, dans ses interactions multiples avec le milieu étudié ? Insuffisante préoccupation de l’histoire longue ? Refus du non-linéaire ? Peur inconsciente de l’aléa (violence, guerre, crise, exode) ? Probablement tout cela, et plus encore.
4La migration fait partie des mécanismes de régulation démographique. Quand, comme ce fut le cas en Europe à partir du milieu du xixe siècle, sous l’effet d’un recul prolongé de la mortalité, les effectifs d’une population se gonflent, mettant en cause l’équilibre traditionnel des subsistances, plusieurs adaptations sont possibles : accroissement de la pression sur les ressources, contrôle de la fécondité, expulsion ou départ des jeunes adultes, voire, en cas d’échec, écrêtement des surplus par surmortalité. Le xixe siècle européen a vu coexister toutes ces réponses, chacune prenant une force plus ou moins grande selon les lieux, les époques et les circonstances. Mais l’émigration hors d’Europe a vite joué un rôle majeur ; une fois amorcé, le flux de départs répond à une logique propre autrement plus complexe que celle de la répulsion et il peut, dans ces conditions, prendre une ampleur insoupçonnée à l’origine, dès lors que les forces qui contribuent à le produire continuent à manifester leurs effets. L’incidence sur le mouvement de la population dans les pays d’arrivée a été manifeste, puisque des continents entiers se sont ainsi peuplés, passant des plus petites aux plus grandes dimensions de population, mais les pays de départ eux-mêmes ont pu être grandement affectés dans leur évolution. Ce dernier point a donné lieu à d’inépuisables controverses qui, dans leur fondement reposent sur des divergences d’appréciation concernant les causes profondes de la migration.
Potentiel démographique et potentiel migratoire
5Le propos de ce chapitre n’est pas de reconstituer statistiquement les échanges migratoires qu’ont connus les différents pays à transition avancée ; la tâche serait trop lourde et les résultats, dans la plupart des cas, notamment pour les pays peu développés, trop imprécis (se reporter, à ce sujet, au chapitre II) pour permettre des observations solides. Il s’agit plutôt, après une présentation succincte des principales thèses sur les raisons et les répercussions de l’émigration européenne, de montrer comment ces grandes vagues migratoires se sont insérées dans l’histoire de la transition démographique, et d’établir les relations pouvant exister entre l’évolution de l’accroissement naturel et l’intensité de l’émigration. Cet objectif impose de raisonner sur les seuls pays dont la population a d’ores et déjà traversé les différentes étapes menant jusqu’à une très basse fécondité et une composition par âge macrocéphale, implosive. Une telle composition par âge, dans laquelle le nombre de places vacantes laissées par les travailleurs vieillissants tend à dépasser le nombre de postulants à l’entrée est inverse de celle qui a, historiquement, prévalu jusqu’à nos jours ; par le jeu du mouvement naturel, elle est appelée, à terme plus ou moins rapproché, à s’étendre à l’ensemble du monde occidental (Chesnais, 1982) ; compte tenu du contraste grandissant entre cette structure et celle du monde peu développé, c’est son existence, en effet, qui rend possible, à terme, une inversion majeure des courants migratoires. On s’efforcera donc d’illustrer comment, jusqu’à présent, les flux migratoires affectant les pays de peuplement européen se sont transformés dans leur ampleur et leur orientation, en relation avec les phases successives de la transition démographique.
I. – Causes et conséquences de l’exode européen
1) Les raisons du départ
6Les migrations internationales sont liées à des causes multiples. S’agissant de migrations économiques de travailleurs, on a coutume de faire intervenir deux catégories de raisons : la première catégorie, empruntée à la physique, porte sur les facteurs d’attraction et de répulsion ; la seconde, complémentaire (et qui peut, à vrai dire, être englobée dans la première) sur les écarts de rémunération entre pays émetteurs et pays fournisseurs. Sur ces divers points, les controverses demeurent entre écoles différentes, certains auteurs tels que Böhning (1977), par exemple, s’appuyant sur l’expérience actuelle, avancent que les occasions d’emploi jouent plus que les écarts de rémunération et que la demande est, en réalité, prépondérante sur l’offre dans la détermination des flux migratoires, cependant que d’autres, comme Tapinos (1981), mettent en avant des mécanismes d’interrelation beaucoup plus complexes tels que, outre bien entendu, la réglementation, le mode de fonctionnement du marché du travail et la politique conjoncturelle des pays hôtes, la spécialisation internationale, la stratégie industrielle...
7S’agissant du grand exode européen vers les nouveaux mondes, la discussion n’est elle-même pas tranchée. Les contemporains de l’événement, en Europe, du moins, ont tendance à privilégier les facteurs de refoulement, tandis que les économistes du xxe siècle, surtout outre-atlantique, mettent l’accent sur l’attirance exercée par l’Amérique. Question de point de vue. A la vérité, il apparaît vain de vouloir départager ces deux courants car il est clair que les deux ordres de facteurs jouent simultanément et que c’est leur confrontation qui pèse sur la décision de migrer : on quitte son pays à la fois parce qu’on éprouve des difficultés sur place et que, compte tenu de l’information dont on dispose, on escompte une vie meilleure à l’étranger. De plus, les effets qui peuvent être attribués à l’un ou l’autre exigent, pour être fidèles à la réalité historique, d’être fortement nuancés suivant les pays et les époques considérés ; autrement dit, le débat doit être replacé dans une perspective historique restituant les conditions économiques et démographiques prévalentes.
De l’expulsion à l’attraction ?
8Prenons ici, à titre d’illustration, le cas de l’émigration européenne à destination des États-Unis. Examinons les conditions économiques ; on doit admettre que, sauf cas particulier, (ou pour certaines populations paysannes attirées par des terres libres), l’effet d’attraction exercé par les États-Unis n’a pu devenir fortement prépondérant que lorsque le rapport des conjonctures sectorielles penchait fortement en faveur de ce pays, c’est-à-dire lorsque l’économie américaine a acquis le rôle d’une économie dominante et en forte croissance, ce qui n’a guère pu se produire qu’au lendemain de la Guerre de Sécession. Inversement, l’effet de refoulement du contexte européen n’a pu jouer qu’à l’époque où les pays concernés connaissaient à la fois une forte croissance démographique et une croissance économique insuffisante. Cette conjonction de circonstances s’est vérifiée à des époques très variables suivant les pays (voir, à ce propos, le chapitre XVII). Dès lors, il convient de raisonner cas par cas, sans sous-estimer toutefois pour un pays donné, la variabilité des situations des migrants suivant leurs caractéristiques propres (profession, religion notamment) ; l’importance des facteurs d’expulsion a pu rester longtemps décisive dans les régions de la péninsule ibérique où la croissance démographique a culminé à des niveaux comparativement élevés et où la transformation des structures économiques et sociales a attendu le xxe siècle.
Rôle des cycles économiques
9La corrélation entre l’intensité de l’émigration européenne et le niveau d’activité économique aux États-Unis a été examinée d’abord par Jérôme (1926) ; il a établi que, de manière générale, les facteurs d’appel liés à la prospérité américaine tendent à l’emporter sur les facteurs de refoulement résultant des crises européennes. Compte tenu des remarques liminaires faites plus haut, cette conclusion ne paraîtra guère surprenante car la période étudiée par l’auteur commence en 1870 ; Kuznets (1958) et Easterlin (1961), analysant une période plus longue, mais partant de la même date, parviendront à une conclusion similaire ; Schumpeter (1912), quant à lui, laisse le débat plus ouvert, en mentionnant que la migration est « conditionnée par les cycles économiques associés à l’industrialisation ». Des travaux comparables ont été menés par Winsemius (1940) sur l’émigration italienne, par D. Thomas (1941) sur l’émigration suédoise et par Forsyth (1942) sur l’immigration à destination du Canada et de l’Australie, qui aboutissent, notamment chez D. Thomas, à une vision plus subtile : la migration est envisagée dans un schéma d’interdépendance puisqu’elle fait entrer en ligne de compte la relation entre la conjoncture économique de la Suède et celle des États-Unis ; ce n’est que lorsque la divergence entre les mouvements cycliques des deux économies est accentuée au profit des États-Unis que l’émigration devient forte ; inversement, en cas de haute conjoncture comparée en Suède, le pays voit ses départs se raréfier et les retours de migrants s’amplifier.
La pression démographique ou l’année noire 1847
10De tels travaux toutefois ne nous paraissent pas fournir de preuve entièrement convaincante, car d’une part, la migration est un processus à interaction dynamique (les effets d’inertie sont lourds ; par ailleurs, si la prospérité contribue à encourager l’immigration, celle-ci, en retour, entretient la croissance), d’autre part, le raisonnement à moyen terme sur le cycle des affaires peut aider à expliquer le profil temporel de la migration entre périodes successives, mais il s’avère insuffisant pour éclairer deux questions essentielles : la date d’émergence et l’ampleur du processus. Des variables structurelles plus profondes, comme l’évolution démographique, les transformations politiques (création des États-nations), la structure agraire, ou les coutumes d’héritage sont donc à introduire : dans certaines régions d’Europe centrale, la coutume du partage égal conduit, avec la chute de la mortalité rurale, au morcellement des exploitations et à la paupérisation absolue des paysans, d’où un puissant exode rural, renforcé par l’attrait de terres vierges à bon marché aux États-Unis (Von Der Goltz, 1893). Les historiens s’accordent pour la première moitié du xixe siècle, à souligner l’influence déterminante de la pression démographique dans les campagnes d’Europe occidentale. En Irlande, en Allemagne, en Scandinavie, mais aussi – quoique dans une moindre mesure (l’exode rural ayant commencé dès le début du siècle, par exemple, en Allemagne) – en Grande-Bretagne, avec la baisse de la mortalité, souvent beaucoup plus marquée en milieu rural qu’en milieu urbain, les régions agricoles sont surpeuplées, eu égard à l’état des techniques productives ; pour peu que les revers climatiques se succèdent, la situation alimentaire prend vite une allure dramatique ; quand, par ailleurs, localement, l’industrialisation s’étend, elle est, à ses débuts, assez irrégulière et surtout génératrice de profondes perturbations (urbanisation désordonnée, baisse de niveau de vie, chômage intermittent, élimination des petites entreprises artisanales et agricoles, etc.) autrement dit, elle peut elle-même contribuer à chasser les victimes de la restructuration qu’elle implique. L’évolution économique d’ensemble reste, dès lors, tributaire du secteur agricole ; l’amplitude des vagues migratoires est rythmée par des fluctuations des récoltes.
11La catastrophe irlandaise est bien connue, mais par son caractère extrême, elle évoque l’exception et, par conséquent, trop souvent conduit à sous-estimer l’influence générale des conditions agricoles sur l’émigration : pourtant l’émigration irlandaise était importante bien avant la famine des années 1840 ; en outre, les fluctuations annuelles de l’émigration à destination des États-Unis coïncident avec les fluctuations des récoltes non seulement en Irlande, mais aussi dans les autres grands pays d’émigration de l’époque (Allemagne, Angleterre, Scandinavie). Si l’année 1847 est mauvaise, elle l’est un peu partout ; elle inaugure un grand cycle d’émigration en Irlande (famine aigüe), et également dans les autres pays avancés d’Europe du Nord-Ouest (France exceptée). Le tableau page suivante présente quelques données réunies à ce sujet.
12De 1847 à 1854, l’Irlande se vide de 20 % de ses habitants (1 630 000 émigrants) et le pays connaît, par ailleurs, une forte mortalité (985 366 décès enregistrés dans les années 1847-1851) et une chute sensible de fécondité ; entre 1845 et 1851, la population passe de 8 295 000 à 6 552 000 habitants, entamant un processus de dépeuplement séculaire sans pareil, l’émigration étant régulièrement supérieure à l’accroissement naturel. En Allemagne, à la même époque et pour des raisons en grande partie1 analogues (mauvaises récoltes : disettes et crises de mortalité), une fièvre d’émigration s’empare du pays : en 1853-1855, près d’1 million de personnes s’expatrient chaque année ; la Grande-Bretagne connaît une crise alimentaire, mais moins aiguë : on enregistre, dans la période 1847-1854, plus de 300 000 arrivées aux États-Unis (pour ces trois pays, voir Harkness, Burgdôrfer et Snow, respectivement, in Willcox, 1931). Dans les autres pays du quart Nord-Ouest de l’Europe, la pointe d’émigration est également très nette.
13En Irlande, en dépit d’une amélioration considérable du bien-être (disparition des petites exploitations, non viables ; abandon des taudis ; départ des illettrés, des mendiants et des misérables ; accroissement des surfaces cultivées : 9 % entre 1841 et 1851 ; diminution de la densité rurale : -30 % ; mais aussi série de bonnes récoltes au début des années 1850), l’émigration se poursuit ; l’inertie du mouvement se manifeste aussi en Allemagne2 ou en Grande-Bretagne, mais la mesure du phénomène a été tout autre (en Allemagne, par exemple, le taux d’émigration a culminé, en 1854, à 6,6 p. 1 000, alors qu’en Irlande, son maximum est six fois plus élevé : 38 p. 1 000 en 1851). Le mouvement migratoire est de nature cumulative ; les émigrants épargnent, envoient des fonds à leurs parents ou amis restés au pays et les aident à quitter : la force d’expulsion antérieure amorce un processus qui continue à son propre rythme (ainsi, la grande dépression anglaise des années 1880 se traduit par une forte émigration, mais le phénomène se poursuit – avec, à l’évidence, une intensité moindre – dans la période de grande prospérité d’avant-guerre 1901-1911).

Source : Ferenczi, I. et Willcox, W. F. : International migrations, vol. I, 1929.
Révolution industrielle, déstabilisation sociale et essor démographique
14Avec l’industrialisation en Europe occidentale, l’émigration va peu à peu devenir moins tributaire des aléas climatiques que des cycles économiques associés à l’industrie. La migration ne devient véritablement un phénomène de masse que lorsque le démarrage économique a eu lieu ; c’est, en effet, l’entrée dans la croissance séculaire qui crée les conditions (disparition d’entreprises traditionnelles, déracinement lié à la concentration industrielle et urbaine, développement de l’infrastructure et des communications, circulation de l’information, création d’excédents démographiques : baisse de la mortalité, hausse de la productivité, etc.) propices à un exode massif des populations. Les régions les plus pauvres d’Europe du Sud et de l’Est devront attendre la révolution industrielle et la révolution démographique concomitante pour alimenter à leur tour l’émigration vers les États-Unis. Le tournant s’y produit avec quelques décennies de retard, mais les flux migratoires sont plus intenses : le plafonnement de la croissance démographique s’y inscrit à un niveau plus élevé, sans que la croissance économique soit suffisante pour éponger les surplus démographiques ; sans doute le rythme inhérent à la révolution démographique (liée aux vaccinations) est-il plus rapide que celui attaché à la révolution industrielle, moins aisément transférable : on trouve là une préfiguration de l’expérience récente du monde peu développé. La migration n’est donc pas seulement influencée par des différences de potentiel démographique (comme certains auteurs tels que Leroy-Beaulieu ou Bertillon inclinent à le penser. Leroy-Beaulieu parle d’« endosmose ») ; elle met en jeu des rapports plus complexes à la fois entre la population et économie au sein du pays de départ et entre les conjonctures économiques de chacun des pays concernés.
2) L’incidence démographique du phénomène migratoire
15Les migrations internationales seront considérées ici d’abord dans leurs rapports avec la mortalité. Le lien le plus évident, le plus immédiat est celui d’une substitution possible, dans le pays de départ, entre mortalité et migration, l’émigration permettant d’échapper à une mortalité de crise. Dans une économie rurale surpeuplée, l’émigration demeure, en effet, une soupape de sûreté tant que la pression démographique agraire n’est pas compensée par un accroissement suffisant des emplois dans l’industrie ou le secteur tertiaire. Elle allège les tensions économiques, prévenant ainsi une diminution de niveau de vie et toute surmortalité qui pourrait en résulter ; pour limiter le risque d’une crise de subsistance, elle est donc une solution alternative à la rationalisation de l’agriculture ou au développement industriel. Si, en Irlande, par exemple, l’émigration avait été moindre rien n’interdit de penser que l’évolution de la population, en termes d’effectifs globaux, aurait pu aboutir au même résultat, mais l’ajustement (par famine ou restriction des mariages) aurait sans doute été plus lent et plus pénible (et, bien entendu, les pays récepteurs n’auraient pas connu la même croissance).
16Mais, au-delà de cette observation, il est permis de se demander si le processus migratoire n’induit pas une dynamique démographique particulière : compte tenu de leur sélection (qui peut du reste, n’être pas seulement spontanée) les migrants ont vraisemblablement une mortalité moindre que leurs homologues restés au pays, mais on ignore dans quelle mesure cet avantage peut être renforcé par l’installation dans un pays plus avancé. De plus, en contribuant de diverses manières à l’élévation du niveau de vie de la population autochtone, la migration est susceptible d’accélérer le fléchissement de sa mortalité (cet aspect, délicat à mettre en évidence, pourrait alors contrebalancer l’éventuel effet négatif sur la fécondité, mais il est absent des raisonnements habituels).
17La réflexion relative à l’interaction migration-natalité est, en revanche, classique. Pour le pays de départ, l’incidence directe tient au volume et à la sélectivité de la migration (très concentrée dans la tranche d’âges 15-24 ans, à fort « potentiel reproductif », pour reprendre le concept de Keyfitz, 1977 : voir tableau VI.4), l’empreinte étant plus profonde, par le biais de la nuptialité, si le phénomène touche préférentiellement un sexe donné (cas de l’émigration italienne : 80 % d’hommes avant la Première Guerre mondiale). Sur la fécondité proprement dite, l’effet n’est pas dénué d’ambiguïté, car l’instauration d’une tradition migratoire peut contribuer au maintien, voire au relèvement de la fécondité locale du fait du ralentissement de l’exode rural, des remises escomptées des enfants envoyés à l’étranger, de l’allègement corrélatif de la pression démographique (départ des postulants aux emplois et à la paternité). En longue période cependant, l’entrée progressive dans l’économie monétaire et l’accès à la croissance moderne, associés à l’émigration sont vraisemblablement plus facteurs d’accélération que de ralentissement de la transition démographique.
18C’est à propos de la fécondité dans le pays d’arrivée que les discussions sont le plus fréquentes. Si on admet généralement que les migrants adoptent un comportement intermédiaire entre celui de leur pays d’origine et celui du pays d’accueil et qu’ils s’alignent ensuite progressivement sur le comportement du pays d’accueil, le seul problème est alors celui du délai d’ajustement ; or celui-ci est souvent beaucoup plus court qu’on est généralement porté à l’admettre (voir, par exemple, les observations de Livi Bacci (1965) sur la population italienne aux États-Unis). La question de l’effet de l’immigration sur la fécondité de la population autochtone est, par contre, sujette à d’âpres controverses. La thèse de Walker (1891), selon qui « au lieu de constituer un nouvel apport pour la population, l’immigration aboutit simplement à un remplacement d’autochtones par des éléments étrangers » est demeurée célèbre. Elle se résume ainsi : l’effet dépressif de l’immigration sur la fécondité des natifs annule l’effet de l’addition de nouveaux effectifs. Cette thèse a été contrebattue par différents auteurs ; dans le cas des États-Unis, l’argumentation3 est, à l’évidence, irrecevable, compte tenu du volume des migrations : l’accroissement dû à l’immigration est très largement supérieur à l’effet de la baisse de la fécondité ; en 1790, en effet, les États-Unis ne comptent que 3,9 millions de personnes ; en supposant, hypothèse extrême, une évolution démographique parallèle à celle du Canada français, le pays n’aurait compté au maximum que 37 millions d’habitants un siècle plus tard, à l’époque où écrit Walker, alors que la population effective s’élève alors à 63 millions (15 millions d’immigrants, au minimum4, sont entrés entre 1820 et 1890 : voir le tableau VI.9).
19Cet argument, à vrai dire ancien – on en trouve déjà une ébauche chez Franklin (1755) – a parfois été avancé, sous une autre forme, par Bertillon (1873) pour la France et la thèse, moins aisée à réfuter en l’occurrence, a cependant également été écartée par certains auteurs (Levasseur, 1892 ; Gonnard, 1928), en vertu de deux constatations :
La baisse de la natalité est bien antérieure à l’immigration (voir plus loin, le tableau VI.12), celle-ci n’étant devenue véritablement importante qu’après la guerre de 1870.
Les départements à immigration faible ont, à caractéristiques semblables, une baisse de fécondité qui ne se différencie pas de celle des départements à immigration forte.
20Si donc l’argument de Walker est à écarter, ou, du moins, n’a pas l’importance qui lui est prêtée, l’immigration a un effet fortement positif sur la croissance démographique du pays d’arrivée (tant par l’influence, directe ou indirecte, sur la mortalité que sur la natalité), et un effet moins négatif qu’il ne semble de prime abord sur la croissance démographique du pays de départ. Au total, l’immigration contribuerait donc à un gonflement de l’accroissement démographique.
II. – L’émigration européenne et les étapes de la transition démographique
21L’émigration européenne est ancienne ; elle n’a pris une allure de masse que lorsque les conditions techniques (coût et sécurité des transports) et démo-économiques ont évolué : c’est, sans doute, la plus grande migration des temps modernes. Nous retracerons ici, pour les principaux pays concernés, le profil temporel de cette émigration transocéanique.
22Il convient cependant, au préalable, de mettre en garde sur la qualité des données : les statistiques de migrations légales sont « les moins fiables et les moins comparables de toutes les statistiques démographiques » (Golini, 1982). La notion d’émigrant n’a pas d’acception universelle et, d’un pays à l’autre, les données sont rassemblées sur la base de critères différents. De façon générale cependant, les migrations par mer sont mieux connues que les migrations par voie terrestre (or, il n’est pas rare que, même pour les pays à façade maritime, au xixe siècle, l’on quitte son pays par voie terrestre pour embarquer dans le port d’un pays voisin5). La qualité comparée des enregistrements n’est pas connue, même si l’on peut raisonnablement admettre qu’en volume global, tout au moins, la migration transocéanique est moins mal connue que toute autre. Les discordances classiques à son sujet, n’en existent pas moins puisque, pour la période 1846-1932, le nombre de migrants, selon les pays d’émigration, s’élèverait à 53,5 millions de personnes et, suivant les pays d’immigration, à 59,2 millions (nombre que Carr-Saunders porte lui-même à 65 millions). Une telle incertitude paraît cependant faible en regard de celle qui touche l’importance des retours. Or, il semble que ceux-ci aient longtemps été sous-estimés et aient pu s’intensifier à partir de la fin du xixe siècle, lorsque les terres vierges commençaient à se faire plus rares aux États-Unis et que, parallèlement, plusieurs pays d’Europe occidentale amorçaient la seconde phase de leur industrialisation. Un effort d’utilisation de mesures indirectes à partir des recensements est donc nécessaire : c’est ainsi que Kuznets et Rubin (1954) ont pu évaluer les taux de retour pour les États-Unis avant 1908, année à partir de laquelle ceux-ci ont été enregistrés officiellement.
1) Géographie de la migration transatlantique
23L’importance des flux migratoires demande à être appréciée à sa véritable mesure, sur une longue période. Voici, à ce sujet, les statistiques brutes d’émigrants et d’immigrants, pour les pays dont le flux cumulé jusqu’en 1932, est supérieur à 500 000 personnes (tableau VI.1).
TABLEAU VI.1. – MIGRATIONS TRANSOCÉANIQUES, 1821-1932

N.B. – N’ont été pris en compte que les pays pour lesquels l’estimation des flux cumulés d’émigrants ou d’immigrants dépasse 500 000 durant la période indiquée.
Sources : Calculé d’après Ferenczi-Willcox (1929), Carr-Saunders (1936), et les recensements nationaux de population.
24Les pays ont été classés par ordre décroissant d’importance des effectifs concernés ; en regard des nombres absolus, nous avons fait figurer le pourcentage que représentent ces effectifs par rapport à la population totale au début de la période considérée ; on obtient ainsi un indice de propension globale moyenne à émigrer.
25Les îles britanniques occupent de loin, la première place parmi les pays d’émigration avec, pour la période 1846-1932, 18 millions d’émigrants. Viennent ensuite l’Italie (11 millions), puis l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et l’Espagne avec, chacune, un contingent de l’ordre de 5 millions ; arrivent loin derrière la Russie et le Portugal (autour de 2 millions), et enfin la Suède et la Norvège (autour de 1 million).
26Mais l’importance relative du phénomène, mesurée par l’indice de propension qui, traduit, en première approximation6, le rôle de la migration dans la transition démographique reflète une tout autre image. Si, certes, avec un indice de propension globale à émigrer de 64 % les îles britanniques continuent d’occuper le premier rang, c’est, en partie, mais en partie seulement, à cause de l’émigration irlandaise (près de 5,5 millions de personnes de 1846 à 1932, alors que le pays compte 8 295 000 habitants en 1845, d’où un indice de 66 %, à rapprocher des 64 % pour la Grande-Bretagne7) et la Norvège présente un indice comparable (63 %) : au vu de cet indice, l’émigration légendaire de l’Irlande semble perdre son caractère spectaculaire, puisque le pays n’apparaît, en définitive, pas plus touché que la Norvège ou la Grande-Bretagne. Ce qui, en réalité, a donné à cette émigration un relief particulier, c’est, d’abord, la catastrophe des années 1846-1850 et surtout, à plus long terme, la reconversion brusque de son régime de nuptialité, qui a provoqué une extraordinaire contraction de l’accroissement naturel, ramené à moins de 1 %, au lieu de 2 % ou davantage durant les décennies précédentes : l’émigration dépasse alors régulièrement la croissance naturelle. Avec un indice voisin de 50 %, l’Italie et le Portugal sont dans une situation assez proche de celle de leurs trois homologues nordiques, mais la Suède et l’Espagne, autres pays maritimes, s’en éloignent franchement (environ 1/3), cependant que l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie, pays continentaux (1/6) rétrogradent pour passer en position moyenne et que, compte tenu de son poids démographique, la Russie vient occuper les derniers rangs, à proximité de pays tels que le Japon et la France, où l’émigration a exercé une influence négligeable.
27Pour l’immigration, en revanche, la place dominante d’un pays, les États-Unis, s’affiche très nettement (ce pays a reçu 60 % des émigrants européens), puisque son suivant immédiat, l’Argentine, a accueilli un nombre d’immigrants cinq fois moindre (6,4 au lieu de 34 millions) ; avec 5,2 et 4,4 millions respectivement, le Canada et le Brésil talonnent l’Argentine, tandis que l’Australie (2,9) est un peu reléguée : au total, ces cinq pays ont accueilli plus de 90 % de l’immigration européenne. Les autres pays ont, sur les périodes d’enregistrement mentionnées, connu un volume d’immigration inférieur à 1 million. Hormis le cas de l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, celui de Cuba, où l’immigration blanche reste, dans le peuplement, minoritaire, le transfert migratoire a été, en proportion, très supérieur au prélèvement opéré sur les pays européens, car les terres d’accueil n’étaient pas ou guère occupées. Seul le Brésil avait, en début de période, une population comparable à ce que fut son alimentation migratoire. Les autres pays ont enregistré des flux migratoires trois à huit fois plus élevés que leur population « initiale » : ainsi, aux Etats-Unis, de 1821 à 1932, le volume total de l’immigration est 3,2 fois supérieur à la population dénombrée en 1821.
2) Le profil spatio-temporel de la migration
28Comme nous l’avons vu, l’émigration intercontinentale a, en dehors de l’Autriche-Hongrie, touché, au premier chef, les puissances maritimes occidentales. D’abord restreinte à de maigres contingents d’aventuriers ou de déportés, la migration cesse d’être marginale dans les années 1830 pour prendre progressivement, dans la seconde moitié du siècle, au fur et à mesure que les changements structurels traversent le vieux continent, une ampleur exceptionnelle. Les premières vagues sont confinées à l’Europe du Nord-Ouest, principalement l’Irlande, dont la poussée démographique séculaire n’avait alors d’égale, en proportion, que celle de l’Angleterre et de la Russie, l’émigration transocéanique se propage, au milieu du siècle, à l’Allemagne, pour toucher une trentaine d’années plus tard, l’Europe centrale et finalement gagner l’Europe du Sud, puis l’Europe de l’Est.
29Le tableau VI.2 récapitule par décennie l’émigration intercontinentale pour les principaux pays européens entre 1851 et 1960.
30A partir des données de ce tableau, nous avons calculé les taux correspondants d’émigration (tableau V.3), que nous avons ensuite portés sur des courbes (graphiques VI.1A à VI.1D). On constate ainsi, par rapprochement avec les profils de croissance naturelle analysés plus loin (chapitre VIII) que, pour chaque pays, la pointe d’émigration tend le plus souvent, à coïncider, à une légère translation temporelle près, avec le pic de croissance naturelle : la migration culmine à l’époque où, à la suite de la baisse de la mortalité, la courbe d’accroissement naturel tend vers son apogée : et l’amplitude de la vague de départs est en rapport étroit avec le niveau d’accroissement naturel, donc avec les types de transition démographique. La migration est, dans ses caractéristiques, inséparable des profils de transition et, réciproquement, ceux-ci, en retour, sont marqués par des développements que prend la migration. Nous y reviendrons, sur des données plus agrégées.
31La France, dont la baisse séculaire de la natalité est à peu près parallèle à celle de la mortalité (et se caractérise donc par un profil de transition bas et plat) connaît, sous le Second Empire, un regain de natalité ; le profil migratoire est à l’image même de ce portrait : il est bas, plat et comporte une petite pointe dans les années 1880, c’est-à-dire une vingtaine d’années après la remontée de la natalité.
32Les pays d’Europe du Nord (Royaume-Uni, Irlande, Norvège et Suède), à transition précoce et assez « haute », ont des taux d’émigration qui culminent à la fois relativement tôt (années 1880) et relativement haut (entre 5 et 10 p. 1 000), cependant que leurs homologues d’Europe centrale (Allemagne, Suisse, Autriche-Hongrie) où la transition présente des caractéristiques similaires, mais qui n’ont que peu ou pas du tout d’ouverture maritime, voient leur émigration plafonner en même temps, mais à une hauteur bien inférieure (2 à 3 p. 1 000 seulement).
TABLEAU VI.2. – ÉMIGRATION HORS D’EUROPE PAR DÉCENNIE, EN MILLIERS, 1851-1960

(1) RFA en 1941-1950 et 1951-1960.
(2) 1932-1936.
(3) Autriche seule depuis 1921.
(4) 1931-1937.
(5) 1954-1960.
(6) 1946-1950.
(7) Y compris l’émigration vers des pays européens pour les années 1941-1949.
(8) Et Irlande.
(9) 1853-1860.
(10) Non comprise l’émigration directe à partir de ports irlandais.
(11) Y compris l’émigration vers des pays européens pour les années 1941-1944.
Source : Woodruff W. : Impact of Western Man, Londres, 1966.
TABLEAU VI.3. – TAUX* D’ÉMIGRATION HORS D’EUROPE PAR DÉCENNIE (pour 1 000 habitants), 1851-1940

* Un taux a, rappelons-le, une dimension annuelle.
(1) Autriche seule depuis 1921.
(2) Et Irlande.
Source : Calculé d’après les données de base fournies dans : Woodruff W. : Impact of Western man, Londres, 1966 (voir tableau précédent pour les notes).
Figure VI.1. – Taux d’émigration transocéanique en Europe, par grande région, 1850-1940

33En Europe méridionale et orientale, la transition est plus tardive et la croissance naturelle corrélativement plus forte, les courants migratoires ne revêtent leur ampleur maximale qu’après 1900, à des niveaux comparables, pour les pays du Sud (Italie, Espagne, Portugal) à ceux des pays du Nord (plus de 5 p. 1 000) mais, par la suite, les taux tendent à culminer plus haut et l’allure générale des courbes incline à faire penser que, sans les bouleversements tragiques qui ont marqué les décennies suivantes (Première Guerre mondiale, restriction de l’immigration non anglo-saxonne aux États-Unis, grande dépression économique, installation de dictatures à l’Est et au Sud du vieux continent, Seconde Guerre mondiale), la migration transatlantique était appelée à se poursuivre, voire à s’amplifier. Là encore, s’impose l’inévitable distinction entre pays maritimes et pays continentaux : si la Russie, par exemple, enregistre également une poussée migratoire, les taux demeurent très faibles (le pays, il est vrai, offre d’immenses étendues vierges à la colonisation).
34Ainsi, c’est au moment même où la proportion des jeunes adultes est exceptionnellement élevée que l’on assiste au gonflement de l’émigration transocéanique. Cette relation entre émigration et pression démographique est d’autant plus sensible que les forts contingents coïncident avec le maintien de structures sociales rigides faisant obstacle à la promotion des jeunes ou avec des innovations économiques tendant à engendrer des excédents de main-d’œuvre. Cette liaison statistique entre le taux d’émigration et le taux d’accroissement naturel (saisi 20 ans plus tôt) a été mise en évidence dès 1937, par Ravnholt, qui a pu établir à partir d’observations relatives à la Suède et à la Norvège de 1850 à 1930, l’existence d’une corrélation très forte.
35L’observation a été généralisée à l’Europe entière par B. Thomas (1954). Selon lui, en effet, le profil temporel de l’émigration européenne ne peut être expliqué seulement par la demande de travail aux États-Unis. Il dépend de l’évolution démographique dans les pays de départ ; (il en dépend moins, cependant, par le facteur qu’il met en cause – « le cycle des naissances » – que par la baisse de la mortalité). Chacune des quatre grandes vagues d’émigration est ainsi reliée à une pointe d’accroissement naturel, antérieure d’un quart de siècle.
36La démonstration de B. Thomas commence, là encore, par un traitement des statistiques d’émigration suédoises, celles-ci présentant le double avantage d’être de bonne qualité et de comporter une répartition par âge des émigrants. Rapprochant le nombre d’émigrants par groupe d’âges de l’effectif des générations correspondantes, il relève une forte corrélation entre les deux séries : plus le nombre de naissances est grand, plus l’émigration tend à être importante. Le calcul est mené sur les trois groupes quinquennaux 15-19, 20-24 et 25-29 ans, qui, à l’époque de plus forte émigration, dans la seconde moitié du xixe siècle, regroupent à eux seuls les deux tiers (65,6 % en 1851-1900) des partants (Sundbärg, 1907) ; l’évolution est suivie à l’aide de moyennes mobiles sur cinq ans. Les résultats obtenus sont les suivants :

37C’est pour le groupe d’âges 20-24 ans que la corrélation est la plus élevée, puis vient le groupe 15-19 et enfin le groupe 25-29 ans. Le résultat n’est guère surprenant : il est à l’image même du profil des taux de mobilité internationale par âge ; c’est, en effet, le groupe d’âge 20-24 ans qui est, de loin, le plus affecté par les départs (tableau VIA). On trouve ainsi une justification du décalage optimal entre les séries temporelles de naissances et les séries temporelles d’émigrants transocéaniques.
38Pour les autres pays, les données n’ont pas la même richesse qu’en Suède. B. Thomas a pu néanmoins mettre en évidence, pour l’Europe prise dans son ensemble, une correspondance entre l’excédent naturel et l’émigration un quart de siècle plus tard : les quatre grandes vagues d’émigration de 1844-1854, 1863-1873, 1878-1888 et 1898-1907, font ainsi écho aux pointes de croissance naturelle des années 1820, 1840-1845, 1860-1865 et 1885-1890 respectivement. L’observation porte sur la période 1815-1907 ; nous l’avons reprise ici et étendue jusque 1915 (tableau VL5). La figure VI.2 fait ressortir l’étroite relation existant entre les fluctuations des deux séries ; le coefficient de corrélation obtenu est 0,740 (valeur significative à 5 %).
TABLEAU VI.4. – TAUX D’ÉMIGRATION SUIVANT L’ÂGE, SUÈDE, 1891-1900 (p. 1000) DE LA FÉCONDITÉ, SUIVANT LE NOMBRE MOYEN D’ENFANTS PAR FEMME

SM : sexe masculin ; SF : sexe féminin.
Source : Sundbärg G. : Bevöikerungstatistik Schwedens, 1750-1900, Stockholm, 1907, p. 100.
Figure VI.2. – Accroissement naturel et émigration, Europe entière, 1820-1915

TABLEAU VI.5. – ACCROISSEMENT NATUREL ET ÉMIGRATION DE LA POPULATION, EUROPE ENTIÈRE, 1821-1915 (p. 1000)

Sources : Sundbärg G. : Aperçus statistiques internationaux, Stockholm, 1908, sauf pour l’émigration à partir de 1906, pour laquelle nous avons eu recours à Ferenczi, I, op. cit., 1929 et Kirk, D, op. cit., 1946.
39Si maintenant l’on décompose cette évolution par grande région de l’Europe, en excluant la France qui n’a pas participé au mouvement d’exode, qu’observe-t-on ?
40Du point de vue des migrations transocéaniques du xixe siècle, l’Europe peut être découpée en trois grandes aires géographiques : le nord-ouest, qui a alimenté la « vieille » migration ; le sud, puis l’est, dont la migration a été plus tardive et surtout plus massive : les courants d’émigration n’y prennent d’importance qu’à partir des années 1880, mais leur force vient vite à dépasser celle des grandes vagues en provenance de l’Europe du Nord-Ouest puisque, vers 1910, pour chacune de ces régions, le flux annuel moyen des départs dépasse 500 000 alors que durant la décennie 1880, qui avait marqué la phase de plus fort exode des populations « occidentales » (britannique, allemande et Scandinave principalement), le flux annuel moyen des émigrants s’était maintenu en deçà de 450 000 (on ignore cependant le taux de retour comparé des différentes régions).
41S’agissant de l’Europe du Nord-Ouest (1801-1915), les taux annuels moyens d’émigration, sont, comme nous l’avons vu, relativement peu élevés puisque, tout au long de la période considérée, il s’échelonnent entre 1 et 4 p. 1 000 seulement ; ils n’avoisinent ou ne dépassent 3 p. 1 000 (périodes 1846-1855, 1866-1870 et 1881-1890) que lorsque la croissance naturelle des populations a elle-même, un quart de siècle plus tôt, franchi le seuil de 10 p. 1 000 (périodes 1816-1825, 1841-1845 et 1856-1860 respectivement). Seules font exception les dernières décennies étudiées quand, dans le dernier quart du xixe siècle, le taux d’accroissement naturel parvient à son sommet (11 à 12 p. 1 000 (tableau VI.5) : les économies des pays concernés ont alors atteint un rythme de croissance industrielle suffisant pour éponger le croît démographique.
42En Europe méridionale également, l’émigration ne prend de l’ampleur qu’à la suite de la poussée de l’éccroissement naturel, mais les seuils et les taux de départ sont tout autres : dès que le rythme de croissance naturelle dépasse le niveau de 6 p. 1 000 le taux de départ devient très élevé, au point même d’approcher, puis de dépasser, au début du siècle, la croissance naturelle correspondante (années 1876-1890) alors même que celle-ci n’est pas encore parvenue à son apogée (tableau VI.6). C’est en Italie que le phénomène atteint son paroxysme : en 1906-1910, par exemple, le nombre des départs est supérieur d’un tiers à l’accroissement naturel des années 1881-1885 (tableau VI.7).
43Pour l’Europe orientale enfin, où l’évolution est encore plus tardive, l’émigration ne se développe, de même, que lorsque la croissance naturelle a pu se traduire par une accentuation sensible de la pression démographique, c’est-à-dire à partir du début du xxe siècle. Là encore, la correspondance entre la pression démographique consécutive au gonflement progressif des excédents de naissances à partir des années 1880 et l’amplification des courants migratoires une vingtaine d’années plus tard est claire8 (tableau VI.8). De même que pour l’Europe méridionale, la courbe de croissance naturelle n’a pas encore atteint son plafond lorsque les migrations associées sont interrompues, d’abord par les circonstances (guerre 1914-1918) puis par la volonté politique (instauration de quotas très sévères par le gouvernement américain). Si, comparés à ceux d’Europe du Sud, les taux d’émigration apparaissent faibles (à peine 3 p. 1 000 au lieu de 9 à 10 p. 1 000 à la veille de la Première Guerre mondiale), les nombres de migrants en fin de période sont, du fait du volume des réservoirs démographiques concernés, tout à fait comparables et l’analyse des tendances porte à croire que sans la politique de suspension des États-Unis au début des années 1920, l’émigration slave en provenance d’Europe orientale était destinée non seulement à prendre la première place, mais à dépasser très nettement, par son volume, les courants en provenance du monde anglo-saxon, voire du monde latin.
TABLEAU VI.6. – ACCROISSEMENT NATUREL ET ÉMIGRATION, EUROPE DU NORD-OUEST MOINS LA FRANCE, 1801-1915 (taux pour 1 000)

* Europe occidentale (nord-ouest + sud-ouest) sans la France.
Sources : Calculé d’après les données de Sundbärg G., op. cit., 1908 et Kirk D., op. cit., 1946.
TABLEAU VI.7. – ACCROISSEMENT NATUREL ET ÉMIGRATION, EUROPE MÉRIDIONALE (ITALIE, ESPAGNE. PORTUGAL), 1851-1915 (taux pour 1 000)

Sources : Calculé d’après les données de Sundbärg G., op. cit., 1908, Kirk, D., op. cit., 1946.
TABLEAU VI.8. – ACCROISSEMENT NATUREL ET ÉMIGRATION, DE LA POPULATION, EUROPE ORIENTALE*, 1841 1915 (taux pour 1 000)

*Russie, Pologne, Roumanie, Serbie, Bulgarie, Hongrie, Galice et Bukovine, Bosnie-Herzégovine, Balkans.
Sources : Calculé d’après Sundbärg G., op. cit., 1908 (accroissement naturel) et Kirk D., op. cit., 1946 (émigration).
44Si, dans l’analyse des facteurs affectant le volume, la direction et le calendrier du mouvement migratoire, l’attention s’est, à juste titre, focalisée sur l’influence du cycle économique, les facteurs démographiques ont donc, dans la détermination des tendances longues, un rôle plus important qu’il n’est généralement admis9.
3) Le peuplement des États-Unis
45L’histoire du peuplement des États-Unis reflète ce déroulement des phases successives de la transition migratoire. L’enregistrement officiel des immigrants a commencé en 1820 (à la suite d’une loi du Congrès en 1819), mais les rapatriements et les départs ne sont connus que depuis 1908 seulement. Le tableau VI.9 reconstitue les vagues migratoires selon leur origine nationale par grande période.
46Quatre époques ont été distinguées : 1820-1889, 1890-1914, 1915-1945, 1965-1979.
47• Jusqu’en 1890, on a affaire à la vieille migration, anglo-saxonne protestante, (exception : Irlande) qui prolonge celle des fondateurs ; les courants en provenance de pays autres que ceux d’Europe du Nord, ou d’Allemagne sont négligeables (voir par exemple, pour les îles britanniques, Johnson, 1913, Carrothers, 1919 et Walshaw, 1941).
TABLEAU VI.9. – ÉTATS-UNIS – NOMBRE D’IMMIGRANTS PAR ORIGINE NATIONALE (en milliers), 1820-1979

NB – Le manque de concordance dans les totalisations peut résulter des arrondis ou des changements de nomenclature. Compte tenu de l’importance des entrées clandestines (longue frontière commune), l’évaluation pour le Mexique est sujette à caution, notamment pour la dernière période.
(1) Grande-Bretagne, Irlande, Norvège, Suède, Danemark, Islande, Benelux, Suisse, France.
(2) Allemagne, Autriche, Hongrie (depuis 1861), Tchécoslovaquie (depuis 1920), Yougoslavie (depuis 1920), Pologne.
(3) Y compris l’Autriche de 1938 à 1945.
(4) Italie, Espagne, Portugal, Grèce.
(5) Russie, États baltes, Finlande, Roumanie, Bulgarie, Turquie d’Europe.
Source : Calculé d’après : – Historical statistics of the US, Washington, 1975 ;
– Statistical Abstract of the US – années récentes.
48• De 1890 à 1914, l’immigration prend une vigueur accrue (l’émigration européenne avoisine 1 million, en moyenne, par an, alors que 1846 a 1890, elle était inférieure à 400 000), mais les flux traditionnels sont, nous l’avons vu, remplacés par une nouvelle migration, latine et slave : l’Europe du Sud et l’Europe de l’Est prennent le relai de l’Europe du Nord-Ouest, et les vagues sont telles qu’elles paraissent incontrôlables ; ainsi, chaque année, en 1913 et 1914, par exemple, les États-Unis reçoivent 1,2 million de personnes. En 1913, le taux d’émigration italien atteint le niveau record de 20 p. 1 000, analogue à celui de la pointe irlandaise des années 1847-1854, la même année, 85 % des arrivants à destination des États-Unis se recrutent en dehors des pays du foyer originel de départ (Europe anglo-saxonne).
49• Les trois décennies suivantes sont marquées par des événements qui tous concourent à un ralentissement des entrées (conflits mondiaux, lois restrictives de 1921 et 1924), voire à un rapatriement des immigrants récents (grande dépression). En fixant des quotas extrêmement limitatifs, d’après la répartition de la population par nationalité lors des recensements d’avant-guerre (3 % de la population présente en 1910 et 2 % de la population présente en 1890, respectivement), les lois de 1921 et 1924 instaurent une réduction drastique des flux d’entrants et surtout une sélection de fait à l’encontre des immigrants originaires d’Europe orientale et méridionale, jugés peu désirables. Quant à la population asiatique, elle s’est vue, en pratique, fermer l’entrée beaucoup plus tôt : une législation hostile aux Asiatiques est déjà en place en Californie dès le milieu du xixe siècle (Commons, 1907) ; elle se renforce par des restrictions générales appliquées en 1882 aux Chinois, en 1907 aux Japonais, etc. Le temps de la grande migration est désormais révolu ; en 1921-1929, le taux d’émigration européen est deux fois moindre qu’en 1846-1890. La composition ethnique continue à se transformer, les peuples européens voient leur place régresser : jusqu’alors en nombre négligeable, les immigrants en provenance du Mexique (10 %) sont plus nombreux que ceux qui proviennent d’Allemagne ou de Scandinavie, et presque aussi nombreux que ceux qui arrivent des îles britanniques ou d’Italie. Cette restructuration reflète l’histoire de la transition démographique.
50• Si l’on excepte la vague allemande de 1949-1952 (départ de réfugiés), les quelques contingents subsistants en provenance d’Europe sont, pour l’après-guerre, issus d’Angleterre et d’Italie (effet d’inertie) ; la contribution européenne au peuplement des États-Unis devient marginale (moins de 1/6 en 1975-1979), cependant que, corrélativement, celle des pays peu développés est de plus en plus largement majoritaire. Plus avancées dans la transition et moins éloignées géographiquement, l’Asie et l’Amérique latine (avec 37 et 31 % des flux respectivement, en 1975-1979) occupent la plus grande place, mais la migration africaine (2 %) commence, avec plus de 10 000 personnes par an à la fin des années 1970, à s’affirmer. En réalité, compte tenu des migrations clandestines, le poids des flux latino-américains est sensiblement plus important et les années 1970 apparaissent, au total, comme la période de plus forte immigration permanente (en valeur absolue) de toute l’histoire américaine. Compte tenu de l’importance des réservoirs démographiques en cause, et de la densité déjà atteinte aux États-Unis, la migration ne peut être que très sélective, confirmant une tendance amorcée dès l’entre-deux-guerres.
51Ainsi, les sources d’émigration à destination du nouveau monde développé se déplacent au fur et à mesure de la maturation de la transition démographique : la migration se délocalise. Mais pour les pays développés de peuplement ancien, non seulement l’émigration tend peu à peu à se tarir, par disparition des excédents démographiques, mais l’immigration en provenance de pays moins avancés, d’abord en provenance de pays moins avancés d’Europe du Sud ou de l’Est, puis de pays plus pauvres, géographiquement proches ou historiquement liés (ex-colonies ou protectorats) y prend une place nouvelle.
III. – La transition migratoire : reproduction nette et migration nette
52Longtemps terre d’émigration, l’Europe est, à son tour, devenue territoire d’immigration. En Europe occidentale, dès l’après-guerre, le courant d’immigration séculaire se renverse (Sauvy et Moindrot, 1962), et le phénomène s’étend lentement aux autres régions de l’Europe : dans les années 1970, l’Europe méridionale enregistre un solde positif substantiel (+ 2,6 millions de personnes) ; si, dans les autres régions (nord et est), les soldes demeurent négatifs10, ils s’amenuisent d’une décennie à la suivante (tableau VI.10).
TABLEAU VI.10. – ESTIMATION DE LA MIGRATION NETTE (en milliers) ET DE SA PART DANS LE MOUVEMENT DE LA POPULATION (en pourcentage) PAR RÉGION, EUROPE, 1950-1980

(1) Danemark, Finlande, Irlande, Norvège, Royaume-Uni, Suède.
(2) Allemagne fédérale, Autriche, Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Suisse.
(3) Albanie, Espagne, Grèce, Italie, Malte, Portugal, Yougoslavie.
(4) Bulgarie, Hongrie, Pologne, RDA, Roumanie, Tchécoslovaquie.
Sources : Nations Unies, 1980 : « L’offre... et les migrations... », op. cit., p. 66, pour 1950-60 et 1960-70 ; Nos estimations depuis.
53D’abord essentiellement extra-européennes (jusque l’entre-deux-guerres), les migrations intéressant le vieux continent deviennent intra-européennes (de la guerre à la fin des années 60) avant, finalement, d’être africaines ou asiatiques. Le raisonnement de Levasseur (1892) contemporain de la grande migration européenne : « l’Europe voit naître tous les ans sur son sol un excédent de population que, dans l’état actuel de productivité de son agriculture, de son industrie et de son commerce, et avec la moyenne actuelle des consommations individuelles, elle est impuissante à faire vivre » s’applique désormais à d’autres continents.
54Le tableau ci-dessus retrace la dynamique d’ensemble ; obtenu par la méthode dite de l’équation (qui consiste à évaluer l’écart entre les variations de la population totale d’un recensement au suivant et les soldes naturels intercensitaires correspondants), il n’est certes, comme tout procédé d’estimation par solde, pas exempt d’erreur11, mais l’évolution des ordres de grandeur est suffisamment prononcée pour être parlante par elle-même. En Europe occidentale, le tournant a lieu peu avant 1960 : dans la plupart des pays, l’immigration l’emporte sur l’émigration ; on assiste à d’importantes vagues de retours des anciens territoires coloniaux d’Afrique et d’Asie ; au début des années 1960, dans ses échanges avec l’Amérique latine (Argentine notamment) un pays comme l’Italie enregistre plus de retours que de départs. En 1964, l’Europe occidentale ne compte que 3 millions de travailleurs migrants, dont 1 million en France, pays où la fin de l’accroissement démographique s’est manifestée beaucoup plus tôt ; en 1973, ce nombre dépasse 6 millions. L’Europe du Nord-Ouest réussit – par l’attraction que crée sa prospérité (et aussi, du fait des déficits de main-d’œuvre jeune qu’ont creusés, par la dépression de la natalité, la crise des années 30 et la guerre) – à concurrencer sur le terrain migratoire les pays anglo-saxons d’outre-mer ; elle attire des migrants venus des pays du Sud à économie agricole ou de pays de l’autre rive de la Méditerranée ; en même temps, l’émigration outre-mer se contracte. Au total, durant la période 1960-1970, pour l’ensemble de l’Europe, la migration nette est positive (+ 286 000 personnes) ; en Europe de l’Ouest, la migration nette s’élève à près de 5 millions, le mouvement étant, pour une bonne part, alimenté par les pays méridionaux de l’Europe. En dépit de la récession économique, l’Europe de l’Ouest demeure, dans la décennie suivante, importatrice nette de migrants : le solde est, pour près des deux tiers à créditer au compte de l’Allemagne fédérale où les flux d’entrants sur le marché du travail (issus pour partie des générations creuses 1945-1955), étaient insuffisants par rapport à la demande de l’appareil productif. Des pays de forte émigration traditionnelle, comme l’Irlande et la Norvège, se caractérisent même aujourd’hui par une immigration nette, le solde négatif pour l’Europe du Nord étant imputable à la Grande-Bretagne, dont la position relative dans l’économie internationale s’est nettement détériorée durant l’après-guerre.
55Sur l’ensemble de la période 1950-1980, l’Europe voit, globalement, l’immigration l’emporter sur l’émigration : le clivage traditionnel, encore très fort en début de période, entre les pays du Nord-Ouest et les pays du Sud, s’estompe progressivement, tous étant désormais caractérisés, à des degrés divers, par une immigration nette.
56L’inversion des courants migratoires avec le rétrécissement de l’accroissement naturel a été illustrée ici par l’histoire relative à deux pays : la Suède et l’Italie (figures VI.3 et VI.4). Dans un cas comme dans l’autre, les soldes migratoires, négatifs et maximaux à l’époque de plus forte croissance naturelle, se retournent lorsque celle-ci tend vers zéro ; c’est, en effet, lorsque les taux nets de reproduction descendent en dessous de la ligne de remplacement des générations que cette inversion se produit (voir, chapitre suivant, les figures VII.3 et VII.4). La migration exerce donc un effet modérateur sur la croissance démographique, la ralentissant quand elle est très rapide et l’augmentant quand elle est faible.
Figure VI.3. – Migration nette et accroissement naturel, Suède 1951-1980

Figure VI.3. – Migration nette (estimation avant 1921) et accroissement naturel, Italie, 1869-1980

IV. – L’incidence des migrations sur la croissance démographique
57Compte tenu de la disproportion entre les effectifs de population en cause, surtout au xixe siècle, l’incidence relative du phénomène migratoire a longtemps été plus limitée sur les pays d’émigration que sur les pays d’immigration. Ainsi, en 1891-1900, période de pointe, le taux moyen d’immigration s’élève à 0,7 % par an dans les cinq grands pays d’immigration (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine), alors que le taux d’émigration correspondant pour l’Europe est inférieur à 0,2 %.
58Nous ne reviendrons pas ici sur la discussion théorique présentée, à ce sujet, en tête de chapitre ; nous nous contenterons d’exposer quelques résultats intéressants, de façon à souligner la complexité des faits, face à la relative simplicité de certaines théories : la réalité se compose d’une diversité foisonnante de cas, dont le calcul des indices de propension à migrer nous avait déjà donné un avant-goût.
1) Pays d’immigration
59Le rôle de l’immigration dans la croissance de la population a beaucoup varié d’un cas à l’autre. Ainsi, sur la période 1840-1940, l’immigration nette correspond à près de 60 % de la croissance naturelle en Argentine, environ 40 % aux États-Unis et seulement 20 % au Brésil et au Canada. Entre 1851 et 1951, au Canada, l’immigration nette n’est que de 0,7 million alors que l’accroissement démographique s’élève à 11,6 millions (Keyfitz, 1961) : l’émigration canadienne vers les États-Unis est importante, et l’accroissement naturel rapide ; au Brésil, de même, les contingents d’immigrants sont faibles, en regard d’une croissance naturelle soutenue (Mortara, 1954). Aux États-Unis, à l’inverse, l’immigration a, tout au long de l’histoire du pays, joué un rôle décisif dans l’évolution démographique : de 1820 à 1979, le pays a reçu près de 50 millions d’immigrants ; aujourd’hui encore (1971-1979), les flux annuels d’entrants dépassent (de beaucoup, sans doute, du fait des migrations clandestines) en moyenne 400 000 et, en raison de la chute de l’accroissement naturel (effondrement de la fécondité, tassement des progrès de la vie moyenne, vieillissement de la structure par âge), l’immigration nette prend une importance rapidement croissante dans l’accroissement total de la population (11 % dans les années 1950 ; 17 % dans les années 1960 ; 38 % dans les années 1970) ; jamais, depuis le début du siècle dernier, cette contribution n’avait été aussi forte que de nos jours (tableau VI.11). C’est que la croissance naturelle avait jusqu’alors, maintenu un rythme exceptionnellement rapide, imputable à la composition par âge léguée par l’immigration antérieure.
TABLEAU VI.11. – PART DE L’IMMIGRATION NETTE DANS L’ACCROISSEMENT TOTAL DE LA POPULATION, ÉTATS-UNIS, 1801-1980

* Depuis 1930, pour chaque période décennale, le calcul prend pour base la population moyenne (et non plus la population initiale) de la première année de la période considérée. Les soldes naturels relatifs aux années extrêmes, dont le millésime se termine par 0, par conséquent, dans l’opération, été divisés par 2.
Sources : Landry A. (1945), p. 427, pour la période 1801-1930 ; nos estimations depuis.
60En revanche, là où l’accroissement naturel est traditionnellement faible, comme en France jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’immigration a pu, par le passé, exercer une influence déterminante sur le destin démographique du pays, en prévenant, par ses effets directs et surtout indirects, une régression de la population : ainsi, sous la IIIe République, de 1872 à 1931, l’immigration explique régulièrement au moins un cinquième de l’accroissement de la population d’une décennie à la suivante (tableau VI.12), parfois même plus de la moitié (fin du xixe siècle), voire plus des trois quarts, au lendemain de la Première Guerre mondiale (compensation des pertes de guerre). Plus généralement on a pu estimer (sans cependant que la méthode ait été clairement explicitée) que pendant la période allant de 1801 à 1936, les immigrants et leurs descendants ont contribué pour plus d’1/3 à l’accroissement de la population (Landry, 1945). Toutefois, dans l’après-guerre, cette contribution s’amoindrit, malgré l’importance des rapatriements d’Indochine et surtout d’Afrique du Nord ; à partir du milieu des années 60, la vigueur et la durée du baby-boom tendent à limiter à la fois le recul de l’accroissement naturel et les besoins de main-d’œuvre étrangère. Si, certes, depuis la récession économique (1973), les soldes migratoires sont devenus relativement faibles, le contraste n’en est pas moins saisissant par rapport à un pays comme l’Allemagne fédérale, qui, du fait du maintien d’une très basse fécondité, est, depuis une dizaine d’années, devenu entièrement dépendant de l’évolution migratoire pour sa croissance de population. Il est, par ailleurs, hautement significatif que la France, dont la position dans la hiérarchie internationale de la fécondité s’est retournée au lendemain de la guerre, ait désormais, en longue période, un coefficient d’apport migratoire sensiblement moindre que les autres pays d’Europe de l’Ouest (27 %, au lieu de 38 % en 1950-1980)12, alors que la situation inverse avait prévalu depuis près d’un siècle et demi. Pendant la dernière décennie, ce coefficient (15 %) est en France, sans commune mesure avec celui de ses homologues de l’ouest (90 %) et même inférieur à celui des pays d’Europe du Sud (20 %).
TABLEAU VI.12. – PART DE L’IMMIGRATION NETTE DANS L’ACCROISSEMENT TOTAL DE LA POPULATION, FRANCE, 1801-1982

* Durant chacune de ces périodes, la population a diminué, mais le solde migratoire a été positif pour la première (1911-1921), et négatif pour la seconde (1931-1946).
N.B. Depuis 1931, le calcul prend pour base la population moyenne de la première année de la période indiquée et le calcul mené suivant la même méthode qu’au tableau VI.6.
Sources : Landry A. (1945), p. 445, pour la période 1801-1931 (sauf 1851-1872 et 1911-1921) ; nos estimations depuis. Pour les périodes 1851-1872 et 1911-1921, le calcul porte sur le territoire actuel (y compris Nice et la Savoie et y compris l’Alsace-Lorraine). Le solde migratoire et l’accroissement total de population correspondant (en milliers) sont indiqués dans les trois colonnes en bas du tableau, la première indiquant la période, la deuxième l’immigration nette et la troisième la variation totale de la population (territoire constant).
2) Pays d’émigration
61Au temps de la grande poussée démographique européenne, l’émigration a exercé un incontestable effet modérateur sur la croissance de la population. Selon Citroen (1948), au xixe siècle, un cinquième de l’accroissement naturel de l’Europe a été épongé par l’émigration. Toutefois, même à l’époque des migrations de masse, vers 1900, les taux d’émigration n’ont pas dépassé, pour le continent, 3 p. 1 000 ; mais, d’une région à l’autre, les inégalités étaient profondes, l’Europe du Sud ayant connu des taux supérieurs à 5 p. 1 000 (et même à 15 p. 1 000 pour l’Italie à la veille de la guerre).
62Selon Ravnholt (1937), durant la période 1850-1930, la proportion du flux des entrants sur le marché du travail perdue du fait de l’émigration a oscillé, pour l’Europe entière, entre 12 et 30 % ; pour l’Europe du Nord et de l’Ouest, ce pourcentage a oscillé entre 30 et 55 % ; pour l’Europe du Sud, la perte, globalement plus grande, a fluctué entre 19 et 107 %, alors que pour l’Europe de l’Est, elle a été relativement faible (1 à 15 %).
63L’Irlande a vu l’émigration dépasser régulièrement le croît naturel pendant près d’un siècle ; d’autres pays, comme l’Italie en 1905-1907 et 1913, connaissent une telle situation, mais celle-ci, sauf, pour des raisons particulières, comme en RDA après la guerre, n’est pas durable. En dehors de tels cas, extrêmes, dans les pays de grande émigration, les départs ont pu représenter, en moyenne, en longue période, jusqu’à 1/3 de l’accroissement naturel (Scandinavie, 1861-1910, par exemple) ; toutefois, compte tenu des rapatriements et de la rapidité de la croissance naturelle, des pays comme le Royaume-Uni (1871-1931) et l’Allemagne (1841-1910), n’ont perdu, par émigration nette, que 1/6 et 1/7 respectivement de leur accroissement naturel.
64Finalement, l’incidence globale a parfois elle-même été évaluée pour l’Europe dans son ensemble ; en appliquant des lois de mortalité et de fécondité à la population des émigrants, Novitsky et Tolokonsky (1929) ont calculé ce qu’aurait été la population de l’Europe en 1910 en l’absence d’émigration depuis 1800 ; ils montrent ainsi que celle-ci aurait été supérieure de 88 millions à ce qu’elle a été effectivement. La réalité est cependant plus complexe que ne le pensent les auteurs, tant à cause de la méconnaissance des retours que des interactions énoncées plus haut : selon la logique même de Malthus, au lieu de drainer la population, l’émigration a pu en accélérer le mouvement, en empêchant la chute de niveau de vie, donc en desserrant les freins traditionnels à la croissance (les pertes étant réparées par des mariages plus fréquents, plus précoces et plus féconds). On ne peut cependant admettre, selon la position malthusienne, qu’en raison de la pression incessante de la population sur les subsistances, la migration n’aurait, à la longue, eu aucune influence sur la dimension des populations, que ce soit dans le pays de départ ou dans le pays d’arrivée. Réciproquement, la méthode de Novitsky-Tolokonsky paraît exagérée. L’émigration a, certes, très probablement réduit quelque peu la croissance démographique dans les pays européens, mais, en soulageant la misère, elle a sans doute contribué à favoriser, à plus long terme, la diminution de la natalité, si bien que l’appréciation exacte de son incidence ne peut être qu’assez arbitraire. Pour les pays d’immigration, en revanche, l’ambiguïté est incomparablement moindre ; l’immigration a, par ses effets directs et indirects, été, à l’échelle séculaire, le facteur principal de peuplement ; en même temps, elle a apporté la révolution industrielle et l’essor économique, les premiers migrants étant originaires des pays les plus avancés.
Conclusion
65La migration est un mécanisme réducteur de tensions ; elle favorise l’égalisation des conditions démographiques et économiques entre pays. Elle a aidé l’Europe ancienne à résoudre ses maux sociaux ; aujourd’hui, elle soulage (mais dans une bien moindre mesure) la misère de certains pays pauvres à forts excédents démographiques. Quand elle est possible, elle prévient l’apparition de crises ou de catastrophes ou elle en atténue après coup les effets ; en ce sens, elle corrige les irrégularités de l’histoire démographique et assure, au total, par l’ouverture des frontières, un accroissement cumulé des effectifs supérieur à ce qu’il aurait été en son absence.
66Il n’y a cependant que peu d’analogie entre la situation démographique de l’Europe vers 1880 et celle des pays peu développés vers 1980 : la transition a pris dans ces derniers des formes tout à fait nouvelles, et le monde ne compte plus guère d’espaces à coloniser. Le processus migratoire lui-même a vu ses caractéristiques changer avec le temps ; la multiplicité et l’enchevêtrement des facteurs qui le déterminent sont tels que toute projection en ce domaine comporte un degré d’incertitude incomparablement plus élevé que pour tout autre paramètre démographique. L’analyse des tendances démographiques ne fait que révéler l’existence de potentiels migratoires ; ces potentiels peuvent se matérialiser ou non, avec une ampleur plus ou moins grande, selon la conjoncture économique internationale, ou les circonstances politiques. Des perspectives comme celles de Just (1948), tablant sur une forte émigration européenne, soulignent à quel point l’avenir peut différer de la simple extrapolation du passé ou des intuitions immédiates que suggèrent les inquiétudes du présent (en l’occurrence la question des réfugiés allemands). La seule régularité historique qui, jusqu’à présent, ait été constatée sur les pays européens concerne le lien entre l’accroissement naturel et les migrations nettes, mais la force de ce lien a varié d’un cas à l’autre, et les sources de compensation migratoires plus encore.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Références bibliographiques
BERTILLON, J. : Migration, In : Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, vol. 7, Paris, 1873, pp. 637-663.
BÖHNING, W. R. : The migration of workers from poor to rich countries : facts, problems, policies. Congrès International de la Population, 1977, Mexico, vol. Il, pp. 307-318.
10.2307/1531437 :BÖHNING, W. R. : Faits et chiffres sur les migrations internationales. Population, n° 6, 1979, pp. 1130-1137.
BORRIE, W. D. : Population trends and policies. A study in Australian and world demography, Sydney, 1948, 263 p.
CARROTHERS, G. A.B. : Emigration from the British Isles with special reference to the overseas dominions, Londres, King, 1929, 328 p.
CITROEN, H.A : Les migrations internationales. Un problème économique et social, Paris, Médicis, 1948, 186 p.
10.2307/1532051 :CHESNAIS, J. C. : La baisse de la natalité et ses conséquences pour la planification sectorielle dans les pays capitalistes développés, Population, n° 6, 1982, pp. 1133-1158.
COMMONS, J. R. : Races and immigrants in America, New York, Macmillan, 1907, 242 p.
DAVIE, M.R : World immigration with special reference to the United States, New York, Macmillan, 1947, 588 p.
FAIRCHILD, H. P. : The melting pot mistake, Boston, Little, Brown and C°, 1925, 266 p.
FAZIO, E. : Sviluppi e caratteri del movimento migratorio dei paesi mediterranei, Annali di Statistica, Rome, vol. Il, 1948, pp. 215-241.
FERENCZI, I. : A historical study of migration statistics, B I T., Revue Internationale du Travail, n° 3, 1929, pp. 356-384.
FERENCZI, J. : International migrations, in Willcox, W.H. : vol. I, Statistics, NBER, New York, 1929, 1112p.
FORSYTH, W. D. : The myth of open spaces (Australian, British and world trends of population and migration), Melbourne, 1942, 226 p.
10.1353/pbm.1970.0036 :FRANKLIN, B. : Observations concerning the increase of mankind, peopling of countries, Boston, 1755.
GOLINI, A. : Effectif et accroissement des populations immigrées, Conseil de l’Europe, Conférence démographique européenne, 1982, 30 p.
GONNARD, R. : Essai sur l’histoire de l’émigration, Paris, Librairie Valois, 1928, 328 p.
HANSEN, M. L. : The Atlantic migration 1607-1860, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 1940, 391 p.
10.4324/9781315006499 :ISAAC, J. : Economics of migration, Londres, 1947, 285 p.
ISHII, R. : Population pressure and economic life in Japan, Chicago, University of Chicago Press, 1937, 259 p.
JEROME, H. : Migration and business cycles, NBER, n° 9, New York, 1926, 256 p.
JOHNSON, S. C. : A history of emigration form the United Kingtdom to North America, 1763-1912, Londres, 1913, G. Routlege and Sons, 387 p.
JUST, O. : Au-dessus des mers et des frontières..., Rio, 1948, 333 p.
10.3138/9781442652859 :KEYFITZ, N. : The changing Canadian population, in : Clark, S.D. (éd), Urbanism and the changing Canadian Society, Toronto, 1961, pp. 3-19.
KIRK. D. : Europe’s population in the interwar years, Genève, Princeton University Press, 1946, 303 p.
KULISCHER, E. M. : Europe on the move : war and population changes, 1917-1947, New York, Columbia University Press, 1948, 377 p.
KUZNETS, S. et RUBIN, E. : Immigration and the foreign born, New York, NBER, Occasional paper 46, 1954, 107 p.
LANDRY, A. et alii : Traité de démographie, Paris, Payot, 1945, 651 p.
LEVASSEUR, E. : La population française. Histoire de la population avant 1789 et démographie de la France comparée à celle des autres nations au xixe siècle, Paris, A. Rousseau, 1889-1892, 3 vol., 468 + 533 + 569 p.
LIVI BACCI, M. : Caratteristiche demografiche ed assimilazione degli Italiani negli Stati Uniti, Studi emigrazione, Rome, oct. 1965, pp. 17-31.
10.1097/00005053-193510000-00045 :LORIMER, F. et OSBORN, F. : Dynamics of population : Social and biological significance of changing birth rates in the United States, New York, Macmillan, 1934, 461 p.
MAUCO, G. : Les étrangers en France : leur rôle dans l’activité économique Paris, A. Colin, 1932, 600 p.
MÖNCKMEIER, W. : Die deutsche überseeische Auswanderung ein Beitrag zur deutschen Wanderungsgeschichte, léna, G. Fischer, 1912, 269 p.
MORTARA ; G. : The development and structure of Brazil’s Population, Population Studies, 2, 1954, pp. 121-139.
NATIONS UNIES : Immigration in Brazil, mai 1950, E/CN.12/169/Add.1, New York, 112 p.
NATIONS UNIES : International migration statistics, organisation and operation recommended standards, samplings, sept 1953, ST/STAT/Ser, M/20, 25 p.
NATIONS UNIES : Annuaire démographique 1977, New York, 1978.
NATIONS UNIES : Economic Survey in Europe, Part. H : Post-war démographie trends..., New York, 1975.
NATIONS UNIES : L’offre et les migrations de main-d’œuvre : dimensions démographiques (1950-1975) et perspectives, New York, 1980.
NOVITSKY, R. et TOLOKONSKY, N. : Vliianie emigratsii na usloviia sushchestvovaniia proletariata europy, v. XIX i XX vekakh, Statisticheskoe obozrenie, 1929, Moscou, pp. 91-103.
RAVNOLT, H. : A quantitative concept of the international mobility of population and its application on certain european countries in the period 1851-1935, in : Théorie générale de la population, Congrès International de la population, Paris, 1937, vol I, Paris, 1938, pp. 224 229.
SAUVY, A. : Richesse et population, Paris, 1944, 327 p.
10.1177/000271624926200104 :SAUVY, A. : European migrations : regulations and treatises. The Annals of the American Academy of political and Social Science, vol. 262, mars 1949, pp. 22-30.
SAUVY, A. : Besoins et possibilités de l’immigration française, Population, n° 2, 1950, pp. 209-228, et n° 3, pp. 417-434.
SAUVY, A. et MOINDROT, C. : Le renversement du courant d’immigration séculaire, Population, n° 1, 1962, pp. 51-64.
TAPINOS, G. : L’économie des migrations internationales, Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, Colin, 1974, 289 p.
TAPINOS, G. : L’immigration étrangère en France, 1946-1973, INED-PUF, Travaux et Documents, Cahier n° 71, Paris, 1975, 151 p.
TAPINOS, G. : European migration patterns : economic linkages and policy experiences, Winespread Conference Centre, Racine, Wisconsin, 1981, 40 p.
THOMAS, B. : Migration and the rhythm of economic growth, 1830-1913, The Manchester School of Economic and Social Studies, vol. XIX, n° 3, sept.1951, pp. 215-271.
THOMAS, B. : Migration and economic growth : a study of Great Britain and the Atlantic community, Cambridge University Press, 1954, 362 p. ; 2e éd. 1973, 498 p.
THOMAS, D. S. : Social and economic aspects of Swedish population movements 1750-1953, New York, Macmillan, 1941, 487 p.
United Kingdom Royal Commission on Population : Report, Londres, HMSO, 1949, 259 p.
VARLEZ, L. : Les migrations internationales et leur réglementation, Académie de droit international. Recueil international. Recueil des cours. Tome V, Paris, 1930, pp. 167-348.
VON DER GOLTZ, J. : Die landliche Arbeiterklasse in dem preussichen Staat, léna, G. Fisher, 1893, 300 p.
WALKER, F.A : Immigration and degradation, Forum, août 1891, New York, pp. 822-829.
WALSHAW, R. S. : Migration to and from the British Isles problems and policies, Londres, 1941, 94 p.
WILLCOX, X. F. (éd.) : International migrations, NBER, n° 14 et 18, New York, 1929 et 1931, (vol. I Statistics, vol. Il Interpretations, 1112 p.+ 715 p.)
WILLCOX, W. F. –. Studies in American Demography, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1940, 556 p.
WINSEMIUS, I. : Wanderungen und Verbrauch. Ein Beitrag zur Theorie der Raumwirtschaft, Weltwirstschaftliche Arshiv, n° 1, 1940, pp. 38-73.
Notes de bas de page
1 Les troubles politiques de 1848 ont également eu leur importance.
2 L’abolition des restrictions sur le mariage et la résidence maintenues dans certains États allemands (Bavière notamment) jusqu’aux années 1860 facilite l’établissement des jeunes et atténue la force d’expulsion.
3 L’argument était avancé pour interdire l’immigration ; il annonce les mesures de restrictions qui seront prises plus tard.
4 L’enregistrement en début de période est incomplet.
5 On trouve généralement mention de la nationalité dans les statistiques portuaires (Ferenczi, 1929).
6 La date initiale étant identique pour tous les pays, le mode de calcul tend à majorer le rôle de l’émigration dans la transition là où celle-ci a été tardive.
7 Notons cependant que, durant la période antérieure, l’émigration irlandaise dominait largement l’émigration britannique : de 1815 à 1845, le nombre d’émigrants irlandais est évalué à 1,9 million ; il est plus de trois fois supérieur à celui des Anglais et Ecossais réunis (voir Ferenczi, op. cit., 1929, p. 99).
8 L’Europe orientale se distingue cependant par la place qu’y occupent les émigrations de persécution (Juifs, Arméniens, Russes blancs...).
9 Il est significatif qu’un auteur tel que B. Thomas (1973) voie dans la transition démographique le phénomène majeur qui sous-tend l’histoire économique du dernier siècle, mais, sa préoccupation première étant l’analyse des cycles des affaires, c’est-à-dire de variations autour des tendances lourdes, il n’accorde que peu de place à l’étude des mouvements longs.
10 Pour les pays de l’Est, on peut penser que le maintien du signe négatif résulte pour une bonne part de la division politique de l’Europe.
11 Toute erreur dans le calcul de l’une des composantes se répercute sur la qualité des résultats ; toutefois, le mouvement naturel est connu avec exactitude ; et la qualité comparée des dénombrements successifs est généralement peu variable (sauf peut-être dans certains pays méridionaux soumis à une forte émigration). Même pour les pays disposant de registres permanents de population, la précision des résultats ainsi obtenus est néanmoins très supérieure à ceux dérivés d’une comptabilité de flux.
12 Pour la France, il s’agit de la période 1946-1982.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Gens de Marrakech
Géo-démographie de la ville Rouge
Mohamed Sebti, Patrick Festy, Youssef Courbage et al.
2009
Histoire de familles, histoires familiales
Les résultats de l’enquête Famille de 1999
Cécile Lefèvre et Alexandra Filhon (dir.)
2005
La population canadienne au début du xviiie siècle
Nuptialité - Fécondité - Mortalité infantile
Jacques Henripin
1954
Les travaux du Haut comité consultatif de la population et de la famille
Travaux et documents
Haut comité consultatif de la population et de la famille
1946