Chapitre 1. L’appropriation des études sur le genre en Afrique subsaharienne
p. 45-68
Texte intégral
1Les discours sur le genre et les rapports sociaux de sexe ont d’abord pris de court, dans les années 1970, la communauté africaine des chercheurs en sciences sociales. Celle-ci était pourtant en pleine ébullition, mais privilégiait d’autres thèmes jugés alors majeurs. Au lendemain des indépendances, leurs priorités étaient, en effet, directement liées à la fin de la colonisation et aux besoins d’asseoir l’indépendance de manière stable. Elles renvoyaient principalement aux questions de développement et de renaissance culturelle, de construction de l’État et d’unité nationale, de mise en cause du néocolonialisme et de définition de nouveaux modes d’exercice du pouvoir politique. Ces options ont généré un type de pensée « politiquement correct », où la question féminine et celle des relations entre hommes et femmes apparaissaient comme secondaires, voire futiles. La prise en compte d’une problématique féministe émergeant en tant que réflexion à la fin des années 1970, et se réclamant du champ scientifique prit du temps. Mais on peut affirmer, en ce début des années 2000, que la prise de conscience de la question des femmes et des rapports sociaux de sexe est établie malgré les controverses qui subsistent. La tenue à Abidjan d’un colloque international « Genre, population et développement en Afrique », qui a mobilisé un nombre important de chercheurs des deux sexes, de plusieurs nationalités et de compétences multiples, avec l’appui d’institutions académiques et étatiques, témoigne du chemin parcouru. Cela renforce le climat favorable aux initiatives pour ancrer ce nouveau champ disciplinaire dans les sciences sociales en Afrique.
2La décennie mondiale consacrée aux femmes par les Nations unies (1975- 1985) et les évaluations menées 10 ans plus tard à Beijing (1995)1 ont contribué à sensibiliser l’opinion publique internationale sur le questionnement féministe et à bâtir une problématique sur les rôles sociaux de sexe. En Afrique, la mise en place de ministères des femmes et de Women’s Bureaus, la création de multiples associations féminines et d’organisations non gouvernementales (ONG) ont institutionnalisé le débat. Les diverses conférences et manifestations ont permis de sensibiliser les opinions publiques et les pouvoirs politiques2. L’effort d’appropriation de la question féministe, de ses concepts, de ses analyses et de ses théories, entrepris par la recherche académique a, à ses débuts, surtout relevé de l’activité heuristique des femmes elles-mêmes, comme c’est le cas ailleurs dans le monde. Les associations féminines et féministes, les ONG, les organisations internationales et les États africains s’y sont essayé avec des fortunes diverses et ont mis en évidence, volens nolens, ses enjeux multiples. Ils ont usé des idées et des langages, à leur guise et à leur rythme, sous les pressions locales, nationales et internationales. Ils en ont relayé les messages, les ont tempérés, déformés ou rejetés. Parfois, ils les ont remis aux calendes africaines dans l’attente d’une transformation « endogène » des cultures et des mentalités. Cela n’a pourtant pas empêché l’élaboration de discours sur les femmes et le genre qu’il importe d’analyser.
3On s’attardera moins sur la définition des concepts relatifs aux femmes et au genre, que sur les péripéties de leur intégration comme outil d’analyse dans le courant dominant des sciences sociales africaines. L’intégration du genre (mainstreaming gender) ne s’y réalise que très partiellement. Elle oscille, sans cesse, entre ignorance ou indifférence, acceptation ou contestation (Sow, 1995 ; Marna, 1996). Les études n’en abondent pas moins sur des thèmes tels que femmes et... santé, emploi, entreprise, politique, environnement, droits humains, mondialisation, etc. Elles sont, pour l’essentiel, effectuées par les femmes et par quelques hommes « courageux ». On s’attachera à éclairer les controverses qu’elles ont générées autour de la question des femmes et de l’approche de genre. On discutera des résistances, des convergences et des contradictions que doivent assumer les Africaines tiraillées entre les pressions d’un militantisme féministe cherchant à faire face aux difficultés qui pèsent sur les femmes et les exigences d’une analyse scientifique objective. L’accent sera également mis sur la nécessité d’établir que la prétention à l’universalité de la pensée féministe n’est acceptable que si elle renvoie à tous les modèles culturels. Invoquer le « relativisme culturel » affecté aux valeurs des sociétés non occidentales comme système immuable préjuge d’une vision de l’Occident comme modèle référentiel. Tout en soulignant les succès et les échecs de la perspective du genre, on établira la nécessité de pérenniser la transversalité qui découle de sa nature et de la complexité de ses champs d’application, de l’histoire à la médecine, de l’agriculture aux sciences politiques ou religieuses.
I. Les discours sur le genre : résistances et compromis
4L’étude des femmes et l’approche de genre appliquée à divers aspects du développement continuent de soulever, même dans les cercles académiques, des oppositions assez vives. Face à cette nouvelle problématique, nombre d’hommes adoptent des attitudes empreintes de « machisme », qui passent du dédain policé à la dénégation virulente. Ils la récupèrent parfois lorsqu’elle est à la mode. Toutes les personnes engagées dans la recherche et/ou l’activisme féministes peuvent relater les remarques narquoises, sinon hostiles, d’amis, de relations et de collègues scientifiques, à propos des études sur les femmes et le genre, significatives de bien des résistances.
5À la fin d’une semaine de colloque international tenue à Dakar en mai 1999, riche en débats multidisciplinaires sur la recherche féministe francophone, un brillant historien sénégalais du monde de la communication tranchait : « Ce débat est à côté de la plaque ! Les filles sont libres aujourd’hui car elles se prostituent avec les touristes étrangers ; elles font également des avances aux hommes mariés ! » Lors d’une intervention sur l’utilité d’une approche de genre pour toute réflexion prospective africaine, un participant, manifestement agacé, critiquait « l’approche féministe et extravertie qui ne pouvait concerner la culture africaine si respectueuse des femmes ! » Un autre remarquait, sur un ton ironique, mais révélateur : « Ma collègue affirme aimer préparer elle-même le dîner de sa famille, après sa journée au bureau ! ».
6Pour certains, le refus du débat se fonde sur l’idée que les rapports sociaux de sexe ne sont pas hiérarchisés selon une spécificité culturelle africaine ou que les différences biologiques sont « naturellement » porteuses (donc acceptables) d’inégalités entre hommes et femmes. Pour d’autres, la motivation est toute différente. En effet, intégrer le genre dans le discours dominant ne revient pas seulement à améliorer, voire renouveler les connaissances ; cette re-conceptualisation amène à s’interroger sur la légitimité de la production des connaissances scientifiques : qui produit quoi et comment, pour qui et pourquoi faire ? Ces antagonismes ne sont pas seulement propres à la question des femmes et du genre. Comme le souligne Ayesha Imam, « tout cadre théorique et méthodologique de production de connaissances repose sur des valeurs et des hypothèses implicites sur la nature de la société et se heurtera à la résistance de ceux qui n’ont pas la même position » (1997, p. 16). Les débats autour de l’histoire africaine, des langues ou de l’impérialisme, engagés au nom de la décolonisation des sciences sociales, ont été des enjeux de taille. De même, l’analyse des différences sexuées et des rapports hommes-femmes et son acceptation comme outil scientifique révèle que les différences entre les sexes engendrent des inégalités tout en soulignant le caractère contingent des privilèges masculins. Elle provoque l’hostilité (largement masculine) car elle a le tort de remettre en question le pouvoir masculin et ses privilèges, voire d’interroger la masculinité. On traite aisément la pensée féministe d’idéologique, d’extravertie et finalement de non-scientifique pour la décrédibiliser et lui imposer silence.
7Si ces remarques sarcastiques peuvent choquer, elles surprennent encore plus lorsqu’elles proviennent de femmes ayant une réputation scientifique établie. Tout en souscrivant à la pensée féministe, celles-ci en réfutent « l’universalité » et se méfient, souvent à juste titre, du raisonnement et de la contribution des femmes occidentales. Une sociologue africaine m’a par exemple reproché une attitude « victimaire » alors que je soulignais, durant un colloque sur la sécurité dans les métropoles africaines3, à quel point les femmes y étaient fragilisées et menacées de violences de toute nature, dans les lieux publics comme dans le milieu familial. Elle alléguait qu’une image négative était dressée de l’homme et de la société en Afrique, dans un contexte actuel déjà suffisamment afro-pessimiste.
8Plus de deux décennies de débats sur les femmes, leur statut, leurs rôles et leurs droits et les actions programmées de renforcement de leurs capacités ont toutefois conduit à « vulgariser », en Afrique, la question des discriminations à l’encontre des femmes. Les concepts de subordination, d’oppression, de pouvoir patriarcal, d’émancipation, de libération, de parité et de droits humains ont progressivement fait leur entrée dans le champ du discours des femmes et sur les femmes. Mais on constate qu’ils n’ont été accueillis dans les courants dominants de pensée qu’à condition de ne pas bouleverser radicalement l’ordre établi4 et ne pas remettre fondamentalement en question les rapports de pouvoir ou des identités socioculturelles, porteuses de contradictions et de disparités. La religion vient souvent appuyer l’argument identitaire. Il a fallu près de deux décennies pour qu’un certain nombre de parlements africains acceptent de voter l’abolition des mutilations génitales féminines (MGF), sous prétexte que l’on condamnait des valeurs culturelles fondant l’identité féminine « vraie ». Pour certaines communautés musulmanes, il s’agissait d’une recommandation religieuse de pureté des femmes5. Des groupes avaient proposé de leur substituer des rituels de remplacement ! Les associations féminines ne purent lutter publiquement contre les MGF qu’en les présentant comme un problème médical et en les associant à d’autres pratiques affectant la santé de la mère et de l’enfant : gavage, mariage précoce, accouchement traditionnel, etc.6 L’atteinte aux droits sexuels et à l’intégrité du corps des femmes qui résulte des mutilations génitales féminines n’a été mise en exergue que bien plus tardivement7.
9L’acceptation de la question des femmes et du genre est donc relativement mitigée au niveau de la société, du milieu académique, de l’État, voire des organisations internationales (qui pourtant financent des programmes en direction des femmes), et donne lieu à bien des compromis. En ce qui concerne les droits des femmes, il s’agit plus de concessions faites aux femmes que d’une volonté réelle de les appliquer. De nombreuses associations féminines locales et internationales en ont pris la défense, relayées par la littérature populaire et scientifique, les campagnes de presse et les actions de promotion. Malgré les discours officiels sur l’émancipation, la promotion et la libération des femmes, celles-ci continuent de subir les contraintes de la domination masculine et les préjugés sur leur infériorité supposée. Les conventions internationales élaborées en leur faveur et pourtant signées par les États étant rarement appliquées, les compromis dans la lutte contre la précarité et l’inégalité entre les sexes restent de mise.
II. Le féminisme : questionnements, certitudes et ambivalences africaines
10Alors que, dans les années 1960, le renouveau du féminisme, faisant écho à d’autres mouvements sociaux, portait la contestation de l’ordre patriarcal dominant et revendiquait l’égalité de droit et de condition, les femmes d’Afrique subsaharienne eurent d’autres revendications qui occultèrent souvent leur situation propre. Engagées dans les mouvements de contestation de l’ordre colonial, elles se mobilisèrent derrière les frères, puis les pères de l’indépendance. Elles y perdirent leur spécificité, comme le note Stéphanie Urdang (1989) qui étudie les mouvements de libération au Mozambique ; une constante que l’on retrouve dans d’autres mouvements, comme le RDA ouest-africain, le FLN algérien ou le PAIGC de Guinée-Bissau et des îles du Cap-Vert8. Alors qu’elles avaient participé activement à toutes les formes de résistance politiques ou armées, les femmes furent exclues des instances de direction et renvoyées à la famille à la fin des combats.
11Malgré la création, dès l’époque coloniale, d’associations féminines de plus en plus puissantes, les revendications nationalistes primèrent sur toutes les autres. Les femmes africaines contestèrent le pouvoir politique et économique colonial en soutenant les mouvements organisés par les hommes (partis politiques, syndicats), comme ces épouses des cheminots en grève à Thiès (Sénégal) en 19469. Elles militèrent aussi pour des droits légitimes dans leur domaine d’activité économique, à l’instar des organisations de commerçantes des pays du golfe du Bénin (Dahomey, Togo, Nigeria ou Ghana) qui dénonçaient aussi bien le taux élevé des taxes, patentes et autres redevances imposées par l’autorité coloniale que les mauvaises conditions de travail, d’hygiène et de santé, les difficultés d’accès à l’éducation, notamment celle des adultes, etc. (Akpaki, 2001).
12Tous ces mouvements féminins ont, dans les années 1950 et au moment de l’indépendance, appuyé les actions d’hommes politiques tels que Kwame Nkrumah (Ghana) ou Sylvanius Olympio (Togo). Il fut cependant peu question, dans leur démarche, de remettre en cause les conditions imposées aux femmes par les cultures locales, souvent ouvertement patriarcales ou influencées par le patriarcat des systèmes coloniaux et des religions du Livre. Les relations entre hommes et femmes ont échappé aux réflexions critiques, car elles étaient jugées « complémentaires ». La question paraissait même incongrue, réservée aux féministes blanches d’Occident, en butte à leurs propres contradictions culturelles. Quant aux Africaines, elles étaient conviées à libérer le continent et à définir leur participation à son développement. L’Afrique des indépendances, en prise avec les embûches et les soubresauts de la construction nationale, ne pouvait, disait-on, s’offrir le luxe du discours de la différence d’opinions politiques, ethniques et encore moins des différences sexuelles. Au nom de l’unité nationale et panafricaine, bien d’autres différences furent gommées, voire expurgées par la force.
13Il faudra attendre les années 1975-1980 et les premières conférences mondiales sur les femmes pour qu’émergent des mouvements de revendications plus personnelles. Alors que les hommes se livraient exclusivement à une critique féroce des politiques issues des indépendances d’une « Afrique noire mal partie » (Dumont, 1962)10, les femmes commencèrent à mettre l’accent sur leurs misères quotidiennes : lourdes charges domestiques, scolarisation faible ou chômage, fécondité astreignante, mortalité maternelle, mais également mariage forcé et précoce, polygamie, etc. Elles gardèrent un ton généralement modéré, pour ne pas reprendre les clichés de la femme africaine, esclave et bête de somme, galvaudés par une certaine ethnologie coloniale et entretenaient l’espoir que l’indépendance véritable et la croissance économique résoudraient leurs difficultés.
1. Le féminisme en question
14Le discours féministe ne fut pas de mise d’emblée. Il fit même l’objet de vives critiques dès les premières conférences de la Décennie des Nations unies pour la femme, en raison de son « arrogance » et des différences de contextes nationaux et de conditions de vie des femmes. Peu d’Africaines acceptèrent l’épithète de féministe. Les Occidentales, et plus spécifiquement les Américaines, avaient défini des cadres, thèmes, concepts et actions de lutte féministe à partir de leur histoire et expérience propres, comme Betty Friedan (1963) et Kate Millet (1971), pour ne citer que deux des plus célèbres égéries de la pensée féministe des années 1969-1970. D’une certaine manière, cette pensée présentait une vision universaliste de la question féminine, des revendications et des stratégies de lutte, sans se référer à la situation de femmes d’autres continents. En Amérique du Nord et ailleurs, des militantes de la cause des femmes appartenant à d’autres races et classes, s’érigèrent contre ces prétentions universalistes. C’est tout le sens des attaques d’Américaines telles que Bell Hooks avec Ain’t I a Woman : Black Women and Feminism (1981) et Patricia Hill Collins, Black Feminism Thought (1990) ou de Britanniques, comme Hazel Carby avec White Woman Listen ! Black feminism and the Boundaries of Sisterhood (1982), toutes d’ascendance africaine ou caribéenne. N’envisager l’oppression des femmes qu’en termes de sexe et genre leur paraissait réducteur. L’appartenance de race, de nation et de classe était bien plus significative des discriminations à l’égard des femmes de « couleur » (women of color) en Amérique.
15Cette « arrogance » systématiquement dénoncée par les femmes du tiers-monde11 provient de la prédominance de la recherche féministe institutionnalisée dans les universités américaines au sein des départements d’études sur les femmes (Women’s studies, puis Gender studies). Cette recherche académique dispose de personnel et de financements importants et intervient littéralement sur tous les points du globe, tant en Amérique du Nord, en Europe, qu’en Amérique latine, dans les Caraïbes, en Asie ou en Afrique. Bien qu’elle s’en démarque, elle demeure un prolongement de la recherche conventionnelle universitaire.
16L’ethnologie-anthropologie européenne avait, dès l’époque coloniale, commencé à décrire les statuts, les rôles et les conditions de vie des femmes comme partie intégrante du système colonial. Des récits des voyageurs et des missionnaires aux rapports des personnels administratifs et des ethnologues, diverses informations furent collectées et traitées à des fins de mission civilisatrice auprès des populations. Comme en témoigne le rapport sur La Famille en AOF et la condition de la femme établi en 1938 par Denise Savineau à la demande du gouverneur général de l’AOF, on ne s’intéressa aux femmes que plus tardivement pour les faire participer à cette transformation. Ce furent essentiellement leurs rôles reproductifs (maternité, protection de l’enfant, entretien de la sphère domestique, santé publique) qui furent visés. En France, Femmes d’Afrique noire édité par Denise Paulme en 1960, figure parmi les premières productions de l’anthropologie à se pencher sur les fonctions économiques et politiques des Africaines. Il est vrai que l’anthropologie prenait un grand virage avec l’avancée des nationalismes et des indépendances. Ayant déjà appliqué les catégories de sexe et de genre à son propre contexte, la pensée féministe anglophone se pencha sur les statuts, les rôles et les conditions de vie des femmes dans le tiers-monde post-colonial. Elle produisit, dans le cadre des études sur le développement, toute une littérature qui créa des cadres et outils théoriques d’analyse (WID, WAD, GAD12 – femmes et développement, genre et développement). À l’époque, ni l’internationalisation des problèmes (et leurs solutions hors frontières) ni la solidarité entre femmes n’était encore à l’ordre du jour. Comme ce fut le cas avec les femmes des autres communautés d’Amérique du Nord, les Africaines contestèrent la constance de l’opposition binaire homme-femme et le rôle du patriarcat, arguant des effets du colonialisme et de l’impérialisme, de l’importance de la division internationale du travail ou de l’échange inégal, sur les conditions de vie des femmes. Elles critiquèrent avec virulence le regroupement des femmes en catégories « tiers-monde », « sous-développées », « Sud », etc. Fixer les priorités de la réflexion et de l’action fut une autre pierre d’achoppement. C’est dans ce contexte de controverse que les associations de femmes africaines établirent des ruptures de réflexion et d’action. Elles prenaient soin de se démarquer des divers mouvements de libération des femmes (MLF) américains et européens. Invité à une conférence sur « Les femmes et le développement national » (Women and National Development), en 1976, à Wellesley College (USA), un groupe d’Africaines13 fit sécession pour fonder, l’année suivante à Dakar, l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement (Afard)14. II s’agissait de la première association continentale de recherche sur les femmes et le développement qui, d’Alger au Cap, rassemblait des chercheuses et des activistes de profils, langues et disciplines multiples. Les non-Africaines en furent, d’emblée, exclues, La réunion de fondation (1977) porta sur la décolonisation de la recherche. Bien que la majorité des membres aient été et continuent d’être des universitaires, les recherches de l’Afard sont menées en marge de l’université, notamment à Dakar qui en abrite le siège.
2. Repenser la question des femmes à partir de la culture africaine ?
17Il est utile de présenter ici quelques-unes des grandes controverses africaines autour des théories et de l’approche féministe face à la culture africaine. On en distinguera trois à partir de textes récents qui recensent et approfondissent des opinions significatives d’un courant de la recherche africaine. Ils sont dûs respectivement à Oyèrónké Oyéwùmí (1997), Saliou Kanji et Fatou Camara (2000), Ndri Assié-Lumumba (1996).
18La première opinion est le rejet radical du féminisme et de ses méthodes et outils d’analyse qu’illustre The Invention of Women. Making an African Sense of Western Gender Discourses, d’Oyèrónké Oyéwùmí (1997)15.
19La sociologue nigériane dénonce, au nom de la spécificité culturelle africaine, « l’invention de la femme » par les féministes occidentales. Dès la préface, elle s’interroge sur la pertinence, pour la société africaine, de leur discours « impérialiste » sur le genre. La référence au biologique est déterminante dans la culture occidentale et sert de « filtre à toute connaissance sur la société ». De cette vision découle la construction d’une catégorie « femme », bâtie sur le rapport que les femmes entretiennent avec leur corps, à la fois en relation et en opposition avec la catégorie « homme » affirme Oyèrónké Oyéwùmí. On ne retrouve pas, dans la société yoruba précoloniale, une telle catégorie regroupée autour de ses identités, ses intérêts et ses aspirations. Cette dichotomie ne peut être qu’un legs du système colonial. Les hiérarchies ne sont pas déterminées sur la base du sexe ; elles reposent sur les relations sociales. Alors qu’en Occident, la biologie est à la base de l’idéologie qui dessine la carte sociale, sur la trame des rapports et rôles sociaux des sexes, dans la société yoruba, « la nature de l’anatomie d’une personne ne définit pas sa position sociale » (1997, p. 13). Aussi n’existe-t-il pas de logique culturelle fondée sur la division sexuelle (gendered cultural logic). Les notions dont « les expériences occidentales parodient l’universalité » (op. cit. p. 176)16, comme l’homme, la femme ou le patriarcat, ne relèvent que d’une rationalisation fondamentalement « bio-logique » ; elles ne peuvent être appliquées à la société yoruba, dont les catégories sociales ne sont pas fondées sur des différences anatomiques.
20À l’appui de sa théorisation, Oyèrónké Oyéwùmí donne, entre autres exemples, celui de la séniorité (rapports aînés/cadets) plus importante dans la définition des rapports de pouvoir entre individus que l’appartenance de sexe et celui de la maternité comme autre fondement du pouvoir des femmes car elle est la base même de leur identité. Elle déplore l’utilisation abusive de l’expérience occidentale présupposée universelle et conclut :
Les féministes africaines peuvent apprendre énormément des travaux féministes appliqués en Occident, mais elles doivent faire fi des méthodes utilisées par les Africanistes occidentales, féministes et impérialistes, qui imposent leurs propres vues sur les « colonies ». Les chercheuses africaines doivent faire un travail de description précis et détaillé sur les cultures africaines, de façon endogène et non à travers un prisme extérieur. (op. cit. p. 21)17.
21Le questionnement sur le genre fondé sur une division sexuée et antagonique homme/femme, « pathologise » les femmes au niveau global (op. cit. p. 178). Il peut devenir un obstacle à leur connaissance et avoir des implications sur l’élaboration des politiques les concernant.
22Saliou Kanji et Fatou Camara (2000) arrivent à la même conclusion sur « l’inapplicabilité », en tout cas la non-pertinence, de la problématique du genre et de la subordination des femmes qu’elle implique. Ils illustrent ce paradigme par l’analyse de « l’union matrimoniale dans la tradition des peuples noirs », titre éponyme de leur ouvrage.
23Il s’agit, là également, d’une critique de l’universalisation, par la culture occidentale, de principes tels que la domination masculine, la subordination féminine, la supériorité de leurs modèles de droits de l’homme. Qualifiant de « stéréotype » la subordination universelle des femmes, les auteurs affirment, dès leur introduction : « Le droit noir est d’abord et avant tout féministe. » (op. cit. p. 19). Selon eux, le droit noir se réfère à « une civilisation noire, dans l’espace et le temps, depuis l’Égypte ancienne jusqu’à l’Afrique noire précoloniale, chez les Noirs de la diaspora, des Antilles et des Amériques, sans oublier les Dravidiens de l’Inde » (op. cit. p. II). Il est dérivé du droit pharaonique, substrat de nombre de cultures du monde noir. Fondé sur le matriarcat, ce droit a pour principe l’égalité entre hommes et femmes, valeur fondamentale de la société pharaonique. On constate la même assertion dans les travaux de l’égyptologue Christine Desroches-Noblecourt quand elle écrit que la femme égyptienne « disposait de tous les droits, dès la naissance, et aucune modification n’était apportée à son statut légal en raison de son mariage ou de ses maternités » (1986, p. 171). Christian Jacq (1996), qui compare la situation juridique, politique et sociale des Égyptiennes à celle des Grecques, relève leur niveau incomparable de liberté et de pouvoir qu’envieraient bien des femmes occidentales contemporaines. Saliou Kanji et Fatou Camara perçoivent ce même esprit de droit et d’égalité dans les valeurs et pratiques culturelles et juridiques, et dans le langage de la majorité des sociétés africaines d’inspiration négro-égyptienne. Ainsi, les langues wolof (op. cit. p. 19) et yoruba (Oyéwùmí, 1997, p. 33) utilisent des concepts spécifiques pour désigner la personne (nit, ènìyàn), la femme (jigeen, obìnrin) et l’homme (goor, okùnrin). Contrairement aux concepts anglais human/man/woman (« humain/homme/femme »), ces termes africains expriment des différences biologiques entre les sexes, et non des inégalités ; ils ne sont porteurs ni de sens, ni de supériorité ni d’infériorité. L’un n’inclut ni n’exclut l’autre. Mieux, « dans le même esprit d’égalité des sexes, la différence de genre est abolie dans les adjectifs, les articles et les pronoms possessifs, ce qui exclut toute possibilité de féminin-péjoratif [...] ou de masculin-exclusion » (op. cit. p. 20). Le matriarcat, spécificité fondamentale de la civilisation noire, est à la base de la prépondérance du principe féminin comme source de vie et de pouvoir et ne pervertit pas le système d’égalité. Les auteurs reprennent les travaux célèbres de Cheikh Anta Diop (1959) qui, à ce propos, définit le matriarcat :
Le matriarcat n’est pas le triomphe absolu et cynique de la femme sur l’homme, c’est un dualisme harmonieux, une association acceptée par les deux sexes pour mieux bâtir une société sédentaire où chacun s’épanouit pleinement en se livrant à l’activité qui est la plus conforme à sa nature physiologique. Un régime matriarcal loin d’être imposé à l’homme par des circonstances indépendantes de sa volonté est accepté et défendu par lui. (p. 114).
24Ce « féminisme » du droit « noir » donnerait donc à la femme, sinon un statut de supériorité sur l’homme, du moins une grande marque de respect et de liberté que fondent les dispositions du droit matrimonial. Ainsi le célibat est un droit ; l’entrée en mariage est un libre choix qui ne détermine pas le statut de la femme ; le choix du conjoint est tout aussi libre, même assorti de clauses préférentielles ; la résidence conjugale est uxorilocale ; la dot ne signifie nullement l’achat de la mariée, mais un gage d’alliance et de reconnaissance ; l’union sexuelle est un contrat d’aide réciproque, etc. Et les auteurs de conclure, en toute évidence, à l’infériorité de l’homme qui n’en souffre pas, car le mariage est d’abord un contrat d’association.
25Poursuivant cette exigence de rétablissement des valeurs historiques des cultures noires et de « décolonisation » de la recherche et de ses concepts, Ndri Assié-Lumumba, dans un article sur « Le Genre dans la recherche en Afrique » (2000), dénonce, elle aussi, « la négation de l’expérience historique des Africains [qui] signifie le rejet ou la non-reconnaissance de leurs expériences dans le domaine précis de la conception du genre » et de poursuivre :
Paradoxalement, au moment où les Occidentaux ont commencé à accepter que les Africains ont une histoire et que la culture et la civilisation sont un trait de toutes les expériences humaines, dont celle des Africains, la question du genre et la situation des femmes africaines dans leurs sociétés tendent à se poser comme si elles devaient être nécessairement conçues selon les démarches intellectuelles de l’Occident et plus précisément selon le cadre de référence du féminisme occidental. Ainsi des sociétés africaines dites primitives où les femmes étaient perçues par les Occidentaux, selon les descriptions des missionnaires et anthropologues classiques, au xixe siècle et au début du xxe siècle, comme des bêtes de somme, on passe à l’expérience des Africaines considérée comme faisant partie de l’expérience universelle de l’exploitation des femmes par les hommes. (p, 13)
26L’auteure atteste surtout de la reconnaissance, dans l’histoire et la culture africaines, de la contribution inestimable des femmes à la production économique, sociale et scientifique et à la gestion du pouvoir politique. Faisant siennes les critiques de féministes africaines (Filomena Chioma Steady, 1981) et africaines-américaines (Terborg-Penn, 1987) à propos du féminisme occidental, Ndri Assié-Lumumba (1996) s’appuie sur l’exemple des femmes baoulé de l’époque précoloniale. Elle avance les notions « d’autonomie parallèle » et de « complémentarité positive, valorisante et dynamique », pour décrire les relations entre les hommes et les femmes. En effet, tous deux évoluent dans des espaces sociaux réservés en fonction des sexes. Ils y mènent des activités et tiennent des responsabilités sur une base individuelle ou collective. Ces rôles sont, dans l’ensemble, complémentaires, voire égalitaires. Ainsi, lors des funérailles, si les hommes procèdent aux rituels de l’enterrement, les femmes sont en charge de toute la socialité qui entoure la mort : accueil des familles et amis, acceptation des condoléances, échange de dons, sacrifices pour le repos de l’âme des défunts, etc. Cependant, à la différence des auteurs précédents, Ndri Assié-Lumumba retient l’utilité de l’intégration d’une perspective de genre, car celle-ci met en relief les contradictions et les inégalités sociales inhérentes à toute société et rend mieux compte des réalités vécues par les hommes et les femmes.
27Ces diverses appréciations de la situation des femmes et la critique des théories féministes participent d’un mouvement plus vaste de décolonisation, de relecture et de réappropriation de la sociologie, de la culture et de l’histoire par les Africaines elles-mêmes, afin de rétablir ce qu’elles estiment être, à tort ou à raison, des vérités historiques ou des spécificités occultées. Cette relecture peut surprendre, voire choquer. Elle porte sur des enjeux de taille, à la fois idéologiques et scientifiques, politiques et économiques, théoriques et méthodologiques. Les Africaines estiment devoir analyser leurs sociétés, non seulement avec la rigueur scientifique requise, mais aussi avec des concepts reflétant leurs propres réalités sociales. Il y a là un souci louable d’éviter la simplification et la transposition de ce qui vaut dans des contextes différents. C’est ce souci qui conduit les auteurs cités aux conclusions que nous avons ici exposées de la manière la plus fidèle.
28Cette relecture africaine de l’applicabilité de l’analyse de genre, à partir de cette revue bibliographique certes très sélective, soulève la question de la différence des sexes et de la nature de leurs rapports sociaux. Sont-elles des catégories fiables pour l’analyse de toutes les sociétés humaines ? Tous ces auteurs ont raison de s’interroger sur l’universalité des concepts et des théories sur les rapports sociaux de sexe qui charpentent la réflexion féministe. Ceux-ci baignent dans des contextes sociohistoriques déterminés dont il est nécessaire de prendre la mesure. Il faut savoir apprécier leur applicabilité à des contextes culturels différents, d’autant que leur production renvoie au cadre dominant de la pensée occidentale. Mais une fois ces précautions admises, faut-il fermer les yeux sur les différences sociales tangibles entre les sexes, sur les enjeux de pouvoir qui sous-tendent les rapports entre individus, hommes et femmes ? Il convient que la recherche en détermine les cadres et les conditions pour permettre à l’action de déconstruire ces rapports quand ils sont d’inégalité. Aux thèses des auteurs précédemment évoqués, on peut opposer plusieurs critiques, dont celles, bien argumentées, de Bibi Bakare-Yusuf (2002) en direction de l’ouvrage d’Oyèrónké Oyéwùmí.
29Le cadre méthodologique et conceptuel de la production africaine du savoir sur les femmes est un enjeu majeur. Les chercheurs africains (les autres aussi) ont le devoir d’analyser les outils de conceptualisation des idées et des pratiques socioculturelles tels qu’élaborés dans les langues propres aux sociétés étudiées. La socialisation de l’individu s’effectue à travers des codes déterminés par la culture, l’éducation, la religion, etc. Ces codes se transmettent par la langue d’un individu à l’autre, de groupes en groupes, de générations en générations. D’où l’importance de pénétrer les langues et leur symbolisme pour comprendre une société. Titi Ufomata (1998) renforce cette idée en notant que :
La langue est donc un véhicule de la culture. Les relations entre langue et culture sont dynamiques et symbiotiques. Les langues reflètent les communautés comme les communautés ont un impact sur elles. Ainsi, dans un système linguistique, si l’on on se réfère au mari en tant que "maître" (oga dans le pidgin anglais du Nigeria) et que l’on accepte ces termes et leurs connotations de façon inconditionnelle, on admet alors, consciemment ou inconsciemment, la nature des rapports de pouvoir qu’en implique l’usage. (p. 48)18.
30Elle relativise ici les affirmations d’Oyèrónké Oyéwùmí et reconnaît, comme elle, la pertinence du recours à la langue qui donne le sens des valeurs culturelles, mais insiste néanmoins sur la nécessité d’en analyser les transformations de fond et de forme19. Comprendre la situation des femmes, c’est aussi étudier leur histoire. Cette analyse doit être effectuée dans une perspective dynamique, sous peine de tomber dans le piège du culturalisme ou de l’essentialisme. Les valeurs et les mots qui les décrivent témoignent certes d’une spécificité culturelle, mais ne sont pas statiques ; ils évoluent dans le temps et l’espace, de sorte que les représentations et les sens qu’ils véhiculent se modifient. On peut ainsi prendre le contre-pied de la majorité des arguments présentés à ce propos sur la situation des femmes, à partir de la lecture du passé et de la réflexion sur les diverses mutations subies jusqu’au temps présent.
31La séniorité décrite par Oyèrónké Oyéwùmí est un fait social courant dont les rapports de subordination aînés/cadets sont l’une des expressions20. Elle continue d’assurer une position morale et sociale aux femmes comme aux hommes dans nombre de sociétés africaines contemporaines. Les femmes plus âgées ont une prééminence sur les hommes plus jeunes. Mais les hommes plus âgés l’ont sur les femmes les plus jeunes, notamment leurs épouses et filles. Si l’on reprend l’argumentation de l’auteure, dans le cadre du mariage, siège le plus critique des rapports hommes-femmes, ceux-ci sont conditionnés par cette séniorité. Comme le souligne Bibi Bakare-Yusuf, les rapports de séniorité sont toujours des rapports de pouvoir, et ce, quel que soit le sexe. La position de chef de famille implique des rapports de hiérarchie et de domination. La sociologie contemporaine de la famille s’est renouvelée avec l’introduction des concepts de dynamique des rapports familiaux, d’arrangement, de discussion, de négociation et de conflits entre individus de même sexe ou de sexe différent. Cette vision était déjà présente dans les normes de la famille wolof, où les discours que l’on destine aux nouveaux conjoints rappellent cette dynamique conflictuelle et les encouragent à faire preuve de patience l’un vis-à-vis de l’autre.
32À propos de la polygamie, c’est la hiérarchisation des femmes dans la polygamie qui, selon Kanji et Camara, donne un statut supérieur à la première épouse (aawo). Celle-ci serait une sorte de « gouverneure [...] que l’on aurait dotée d’adjointes censées, non pour la supplanter, mais l’aider et la seconder dans sa tâche » (op. cit. p. 173). Même si la société proclame souvent cette supériorité, ne s’agit-il pas là d’une domination d’une femme sur les autres ? Que dire du pouvoir des autres épouses ? Que dire des co-épouses tenues d’aider et de seconder la première ? Etait-ce leur motivation d’entrée en polygamie ? Comment continuer à penser que les femmes trouvaient, et trouvent encore leur compte dans la polygamie parce qu’elles se déchargeaient de leurs nombreuses responsabilités domestiques (non partagées par les hommes). On pourrait se demander pourquoi tant de responsabilités domestiques leur incombaient à elles seules. Est-ce en raison de leur nature (biologique) féminine ? Quelle est la part, à ce niveau, de l’idéologie patriarcale ?
33On peut également rompre avec l’image de la maternité, symbole du pouvoir féminin et quasiment d’essence divine, qu’allèguent des auteures africaines comme Ifi Amadiume (1997) ou Oyèrónké Oyéwùmí (2000). Si l’on reconnaît l’importance de la maternité dans le statut social des femmes, la non-maternité reste problématique. Avait-on, en tant que femme, le pouvoir de décider du nombre d’enfants, voire de la non-maternité ? Qu’en est-il aujourd’hui ? On ne peut ignorer le débat actuel sur les idéologies du patriarcat et du nationalisme tapies derrière l’exaltation de la maternité. L’expérience de la maternité, qui marque de manière indéniable la vie des femmes, peut « facilement devenir un piège [dont] nous devons mesurer les limites »21, précise Patricia McFadden (1997, p. 1).
34Des discussions similaires peuvent être menées à propos du choix du conjoint, de la signification de la dot ou du divorce non judiciaire et qui font l’objet de négociations que les femmes ne maîtrisent pas socialement. Les mariages forcés continuent d’exister surtout pour les très jeunes filles. Le montant de la dot n’est jamais négocié par la mariée elle-même. Quant au divorce non judiciaire, notamment en milieu musulman, si l’homme peut en prendre l’initiative, l’épouse doit toujours le négocier avec sa famille. Dans les années 1980, lors des débats sur les discriminations faites à l’encontre des femmes dans les pays en développement, la famille fut définie comme lieu de « domestication » des femmes (Rogers, 1980).
35Les analyses de la culture africaine ont montré combien les systèmes sociaux et les valeurs culturelles ont été remodelés, à des degrés divers, par les transformations endogènes, l’impact des religions musulmane et judéo-chrétienne et l’influence des modèles occidentaux coloniaux et contemporains, d’où une redéfinition des rapports sociaux entre individus, hommes et femmes, qu’il convient de reconceptualiser à la lumière de ces changements multiples22. Si les différences entre hommes et femmes n’impliquent pas l’inégalité dans toutes les situations, on ne peut nier l’évidence de toutes les formes d’inégalités et de discriminations liées au sexe dont les Africaines font elles-mêmes état. La féminisation de la pauvreté n’est pas une lubie féministe. L’égalité en termes de droits civiques ou de droit des enfants, même si elle se réfère à une expérience proprement occidentale et doit faire l’objet d’une certaine « vigilance épistémologique », est un principe universel, malgré les différences entre pays.
36La complémentarité des rôles entre hommes et femmes n’est pas l’égalité. Ce qui intéresse les femmes n’est pas la citoyenneté conditionnelle telle que définie par la cité grecque, mais une pleine citoyenneté établie sur des bases démocratiques, telle qu’on peut en rêver en ce début de millénaire.
III. Une pensée féministe africaine, pour quoi faire ?
1. Les contributions de la recherche africaine
37Les nombreuses discussions et rencontres qui ont donné assise au questionnement féministe sur la situation des femmes lui ont conféré une ampleur internationale. Il est évident que les Africaines ne pouvaient rester en dehors de débats dont elles ont fait l’objet en tant que femmes des colonies, du tiers-monde, du monde en développement, du Sud, etc. La recherche africaine revendique d’abord le droit à la parole, le droit de se dire, de s’écrire, de discuter soi-même de soi, en des termes qui réfléchissent leur soi. Ce qui est une évidence dans les pays du Nord a mis du temps à l’être dans les pays du Sud, en développement, etc. La pensée dominante du Nord a mis longtemps à admettre l’émergence de celle du Sud.
38La pensée féministe africaine devrait proposer trois contributions majeures. La première est de décrypter la complexité des situations des femmes à partir de leurs similitudes et de leurs différences, fondées sur l’appartenance de sexe, de race, de classe, de religion, de caste, etc. La seconde serait de contribuer à la critique, à l’élaboration ou à l’approfondissement des concepts et méthodologies comme contribution à l’universalité. Enfin, il est primordial de convaincre la communauté académique africaine (et les autres) et l’opinion publique de l’importance et de la pertinence de la question et de la critique féministes pour la cause des femmes.
39De la même manière que la recherche occidentale remonte dans l’histoire pour expliquer le temps présent sans en figer les limites, la science africaine doit pouvoir emprunter le même itinéraire sans tomber dans l’anthropologie exotique des aires et des thématiques réservées à tel (le) ou tel (le) spécialiste. Le regard anthropologique a souvent figé des réalités sociales mouvantes dans des catégories autres, au nom d’une « altérité » dont le vocabulaire est heureusement dénoncé aujourd’hui, malgré les résistances23. L’image de la femme kabyle, hal pulaar ou tutsi a été « momifiée » au nom de l’ethno-anthropologie. Il est impératif de déconstruire les préjugés sexistes et racistes qui renforcent la marginalisation des femmes. On sait que les politiques coloniales, comme celles nées des programmes de développement, ne leur ont pas donné l’autonomie escomptée. Les activités génératrices de revenu et les allocations de microcrédit ont mis leurs forces au service du développement de la communauté sans qu’elles y trouvent leur compte.
40Les Africaines se réapproprient leur histoire pour, d’une part, protester contre une prétendue universalité de la question des femmes qui a nié leurs expériences et, d’autre part, assurer leur légitimité face à la critique d’extraversion de leurs collègues africains. D’où leur combat pour la reconnaissance de leurs différences et de leurs priorités. Mais, à cette occasion, nombre d’entre elles ont, d’une certaine manière, contribué à une autre forme de « momification » des valeurs culturelles et des statuts et rôles féminins, comme on l’a vu précédemment. Cette critique fut portée par les féministes françaises au colloque de la Société africaine de culture tenu à Abidjan, en 1972, sur La civilisation de la femme dans la tradition africaine, dont les actes ont été publiés sous le même titre par Présence africaine. Celles-ci ne furent pas convaincues par l’exceptionnalité de la contribution féminine à la société africaine décrite par les participantes, bien que la somme d’informations contenue dans les communications fut impressionnante ; elle aurait mérité une meilleure analyse critique. La revue Présence africaine sur « La Femme noire dans la vie moderne, images et réalités » (1987), tenta, en introduction, de rectifier le tir.
41Outre le droit à la parole, l’appartenance à la culture africaine donne l’avantage d’une connaissance de l’intérieur, d’où le caractère indispensable de cette investigation de l’héritage historique, pour s’informer, rendre compte et reconstruire des identités altérées. La collecte des langues, des littératures écrites et orales, des traditions, des objets et autres symboles culturels, est un travail scientifique nécessaire à la connaissance de toute société. On ne peut comprendre la situation présente des femmes sans faire référence à leur passé, en même temps que ce passé se décrypte à partir d’outils analytiques critiques, progressivement élaborés dans le temps présent. On peut rediscuter de la polygamie, si l’on place les liens matrimoniaux dans des rapports affectifs à l’autre conçus différemment. La polygamie n’est pas une simple redistribution des femmes autour d’un même conjoint. Les relations avec « la femme de mon mari » (Fainzang et Journet, 1988) ne sont pas seulement institutionnelles ; elles sont aussi faites d’émotion, de jalousie, de colère et d’agressivité. Si par exemple, à la ménopause, les femmes gagnent un statut supérieur en tant qu’« ancêtre » écouté et peuvent occuper des fonctions politiques, leur vie sexuelle s’effrite, le conjoint choisissant alors de prendre une épouse plus jeune ou d’entretenir des relations sexuelles ailleurs.
42On évoque souvent les situations très particulières, même dans le contexte africain. Comme le soutient Filomena Steady, « en Afrique, des institutions comme le mariage des femmes [avec les femmes] et l’ambiguïté sexuelle de certaines divinités ont défié le modèle dichotomique de l’Occident »24. Elle fait référence à l’ouvrage bien connu d’Ifi Amadiume, Male Daughters, Female Husbands paru en 1997. Amadiume a eu le mérite d’étudier ces coutumes symboliques qui ont des significations profondes. Mais ces représentations ne sont ni universelles, ou communes à l’Afrique même, ni universalisables dans le contexte contemporain. Elles ne relèvent certainement pas des expériences vécues quotidiennement par les femmes. On ne voit pas les femmes occidentales ou orientales reconstruire leur présent et leur avenir à partir de personnages mythiques ou exceptionnels. « Arranger » et « réifier » l’histoire ne rend justice ni aux femmes ni à la science. Dans leur étude sur le statut des femmes en Afrique précoloniale, Achola Pala et Madina Ly (1979) ont souligné la nécessité d’en analyser les différenciations selon les moments historiques.
43La recherche féministe africaine a besoin de contribuer au discours sur l’universalité à partir des cultures et de l’histoire du continent vécues comme expériences humaines. Recadrer le questionnement féministe au nom du relativisme culturel peut être une manière de tourner le dos aux enjeux communs de liberté des femmes. Tant que chaque région apporte sa contribution à la fondation d’une discipline, certaines questions et situations réduisent l’opposition Nord/Sud. Elles ne mènent pas tant à un unanimisme de bon aloi et à une solidarité à tout faire qu’à une concertation raisonnée sur une cause commune. Les féministes du Nord et du Sud se rencontrent sur un grand nombre de discriminations sexistes et de problèmes graves vécus par les femmes, quelle que soit la civilisation à laquelle elles appartiennent et même si les contextes et les priorités dictent des stratégies différentes.
44Certes, il existe des lignes de démarcations culturelles entre femmes du Nord et du Sud, mais il leur arrive d’être moins franches dans la mesure où certaines pratiques, malgré leur emballage « exotique », ont les mêmes conséquences. Les mutilations génitales féminines en sont un bon exemple ; elles n’ont pas été uniquement pratiquées dans les sociétés africaines. Les féministes occidentales ont accusé certains praticiens de perpétrer, jusque dans les années 1950, des actes chirurgicaux qui mutilaient le sexe des femmes sous prétexte de les ramener à une vie « normale ». Il s’agissait en fait, avec l’ablation ou le raccourcissement du clitoris, de prévenir l’activité masturbatoire des filles. De même, tolérer la polygamie ou le port du voile islamique au nom du relativisme culturel, lorsqu’ils sont pratiqués par les communautés du Sud, alors qu’on les condamne quand il s’agit du Nord, est une manière de tourner le dos au questionnement féministe sur les droits des femmes, leur intégrité physique et leur liberté25. Le fondamentalisme émane de tous les systèmes de croyances qui représentent des menaces pour les femmes. Les groupes qui, au nom de leur foi chrétienne, attaquent les cliniques où l’on pratique, en toute légalité, l’interruption volontaire de grossesse (IVG), la guérilla islamiste qui, au nom de la jihad, enlève des jeunes filles et leur impose un « mariage » temporaire, comme les cadis qui menacent de mort les femmes adultères dans le Nord du Nigeria, abusent, les uns comme les autres, du corps des femmes.
45La troisième contribution de la recherche féministe africaine est de faire accepter, par la communauté scientifique (hommes et femmes), les différentes théories et méthodologies dont elles ont éprouvé l’efficacité, en Afrique et dans le monde. « Qui a peur du féminisme ? », pourrait-on demander, alors que l’apport des conceptualisations et méthodologies relatives à l’approche de genre est considérable.
46En trois décennies de débats sur les femmes, les Africaines ont forgé leur opinion sur la complexité du développement, la modernisation et le progrès technologique, la division internationale du travail et le nouvel ordre économique mondial. Elles ont confronté, avec d’autres femmes, les théories de l’intégration des femmes au développement, leurs idées sur les sources et les formes de la subordination et l’oppression des femmes, le sexisme et le patriarcat, les inégalités entre les sexes et leur intersection avec celles de classe, de nation ou de race, les difficultés d’accès à l’éducation et à l’emploi, etc. Les discussions sur la sexualité ont permis de prendre en compte les besoins de contrôle du corps, de la sexualité et de la fécondité. Dans les années 1980, les Africaines avaient récusé l’argumentation féministe dénonçant les mutilations génitales féminines (MGF) comme pratiques « barbares » de répression de la sexualité, ou prônant la liberté sexuelle alors qu’elles-mêmes étaient victimes d’une mortalité maternelle dévastatrice, qui ne faisait pas l’objet de protestations de la même ampleur. Aujourd’hui, des campagnes de sensibilisation sur la sexualité sont d’autant plus importantes qu’elles accompagnent des programmes de planification familiale ou de lutte contre le sida.
47Enfin, les études sur la masculinité comme élément de la culture et de la tradition, réalisées à la fois par des hommes et des femmes, sont d’une importance cruciale. Comprendre et déconstruire les institutions patriarcales africaines instaurées par la culture, la politique ou la religion constitue, pour les chercheurs-hommes, un véritable défi. Les nationalistes qui ont combattu l’autoritarisme et le conservatisme des pouvoirs coloniaux et postcoloniaux, enfilent leurs chausses sans remettre en cause l’impact nocif de leurs fondements idéologiques. Ils ne se préoccupent ni de la marginalisation, voire de l’exclusion des femmes des cercles de prise de décision, ni de la violation de leurs droits individuels dans les constitutions, codes de la famille, codes du travail ou codes religieux. La quête de la discrimination positive ou de la parité prête au sarcasme. Il devient primordial de démonter les mécanismes de la violence masculine envers des femmes, dans la sphère domestique, sur les lieux du travail ou sur les terrains de conflits. Quel type de levier, par exemple, mène au viol collectif des filles par des rebelles ou des soldats lors des conflits ?
2. Comprendre le genre et servir la cause des femmes pour plus de justice sociale
48En dépit de ces obstacles, le concept de genre se fraie un chemin dans le discours des femmes, face à la critique de la recherche ou de l’opinion publique qui l’identifie à un débat jugé européo-centrique. Comme concept d’analyse des rapports sociaux entre les sexes, il questionne les rapports de pouvoir qui existent entre hommes et femmes au sein de la famille, sur les lieux de travail, dans la sphère politique, etc. Il identifie les situations de domination et les expressions les plus diffuses, voire pernicieuses, de l’inégalité, au nom de la culture, de la religion, du politique, etc.
49Grâce aux débats d’idées survenus lors de grandes manifestations internationales26, les discussions sur les femmes ont été élargies et leurs droits fondamentaux discutés en tant que droits universels de la personne, Le discours des droits humains a été utilisé comme outil de réflexion et arme de lutte par les associations féministes et féminines africaines. Il leur a permis d’exercer une meilleure maîtrise des questions qui les touchent et de les exprimer à travers les réseaux nationaux et internationaux. Le slogan Women’s rights are human rights (« les droits des femmes sont des droits humains ») lancé lors de la conférence de Vienne, en 1993, a fait fortune. Masses populaires et classes politiques africaines ont été interpellées par les revendications féminines, les unes modérées, les autres plus agressives.
50Sur le continent, les pouvoirs ont signé un nombre relativement important de conventions internationales, notamment celle sur l’élimination de toutes formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDAW, convention adoptée par les Nations unies en 1979). Et malgré leurs réserves sur certaines clauses (suppression de la polygamie, droit à l’avortement, abolition des mutilations génitales féminines), ils ont mis en place des institutions et favorisé des politiques qualifiées « d’émergence d’un féminisme d’État » (Mama, 1996). À la charte africaine des Droits de l’homme et des peuples (1986), a été « accolé », après plus d’une décennie de pressions des femmes, un protocole additionnel relatif à leurs droits, avec la nomination d’une femme comme rapporteuse spéciale des Droits des femmes auprès de l’Union africaine. Ce protocole a réalisé des percées juridiques, telles que l’abolition de la polygamie et des mutilations génitales féminines ou le droit à l’avortement en cas d’inceste ou de viol. À cela s’ajoutent tous les autres instruments de promotion et de garantie de droits économiques, sociaux et culturels adoptés ces vingt dernières années, au nom desquels peuvent être réclamées des dispositions appropriées pour que l’égalité de droit se traduise en une égalité de fait. Les Africaines ont également pu inscrire les droits de la fillette sur l’agenda de la conférence mondiale des Femmes de Beijing (1995). Elles soutenaient ainsi les propositions de la convention des Nations unies relative aux Droits de l’enfant (1990).
51Ancrer la question des femmes dans la problématique de l’État africain ouvre des pistes de réflexion absentes de la recherche dominante sur l’État. Dans un contexte d’exclusion, de la majorité des femmes, des instances de décision et des préoccupations politiques globales, c’est, paradoxalement, grâce à l’intervention des États, au moins dans certains pays, que celles-ci ont pu sécuriser certaines avancées. Entre leur improbable rôle d’État-providence et leur autoritarisme généralisé, les États ont, dans leur majorité, entrepris une série d’actions en direction des femmes, les unes délibérées, les autres par conformité ou sous la pression internationale. Des politiques et des programmes de « protection » ont été adoptés : renforcement de la protection maternelle et infantile (toujours couplées) qui date de l’époque coloniale, implantation de services de planification familiale, scolarisation des filles, promotion d’activités génératrices de revenus et d’accès au crédit, etc. Les États, bien avant les communautés et souvent contre leur gré, ont adopté des législations plus favorables aux femmes, ce qui pose la question de leur efficacité. Le Burkina Faso, le Sénégal, le Togo et la Côte d’Ivoire ont, par exemple, aboli légalement l’excision, alors que le Kenya en rejetait le vote, à une voix près, en décembre 1998. Le Sénégal a renforcé, par la même occasion, les dispositions de son Code pénal sur les violences contre les femmes. La violence conjugale qui pouvait auparavant prétendre à des circonstances atténuantes car elle intervenait dans la famille, est devenue un délit aggravé lors d’une révision du Code pénal en 1999.
52Le droit est un facteur fondamental de la suppression, du maintien ou du renforcement des discriminations envers les femmes. On ne peut promouvoir leur statut sans leur donner un outil juridique. Dans les domaines de la sexualité et de la fécondité, qui sous-tendent le statut familial, social, économique et politique des femmes, leurs rapports avec les hommes, leurs contraintes et leurs libertés, les lois ont un impact capital sur leur capacité à décider pour elles-mêmes. Il faut s’interroger sur la nature des lois qui ont toujours prétendu être au-dessus des intérêts particuliers afin de défendre le plus grand nombre. On sait que leur esprit est très largement patriarcal. Les codes de la famille en donnent des exemples. Dans les pays où ils ont été promulgués après la suppression des codes coloniaux autrefois en vigueur, ils ont eu pour objectif de « protéger » les femmes27, au lieu de leur conférer des droits menant à l’égalité. On note à la fois les avancées vers des rapports plus égalitaires, mais aussi la persistance de fortes inégalités légalement construites.
53La place des femmes en politique est sans doute le sujet le plus débattu aujourd’hui. À la Conférence mondiale sur les femmes de Beijing (1995), les gouvernements reconnaissaient que « le renforcement du pouvoir d’action des femmes et leur pleine participation sur un pied d’égalité à tous les domaines de la vie sociale, y compris aux prises de décision et leur accès au pouvoir, sont des conditions essentielles à l’égalité, au développement et à la paix ». Depuis ces dix dernières années, les péripéties de la démocratie africaine ont abouti à l’éclosion de discours sur les libertés et à une certaine reconquête populaire de ces libertés. On connaît le faible niveau de participation féminine aux décisions administratives, syndicales et politiques, reflet de leur position de faiblesse dans la famille et la société ; néanmoins, au bout de deux décennies mondiales des femmes, leur discours est passé de la revendication d’une prise en compte de leurs préoccupations dans les politiques à celle de leur accès à la prise de décision.
54Toutes ces luttes contre les discriminations et le sexisme sont corollaires de luttes plus larges qui engagent les femmes dans les luttes politiques et économiques menées à l’échelle du continent. Les féministes ont non seulement remis en question les rapports entre les sexes dans les sociétés du Sud, mais elles ont lié ces inégalités à un ordre économique inégalitaire dominant dans le monde. En 1980, durant la Conférence des femmes de Copenhague, les Occidentales accusaient le sexisme de tous leurs maux, tandis que les femmes du tiers-monde s’en prenaient à l’impérialisme, à la division internationale du travail et à l’échange inégal. Femmes et multinationales (Michel, Diarra et Dos Santos-Agbessy, 1981), comme Patriarchy and Accumulation at a World Scale (Mies, 1986) furent, entre autres, des tentatives de repositionner les inégalités de sexe et de classe dans un contexte d’économies « patriarcales » dominantes. À l’échelle africaine, les sociétés ont de moins en moins la capacité d’offrir à leurs populations des conditions de vie décentes qui leur permettent d’aller au-delà de stratégies précaires de survie.
55Dans l’ouvrage publié par Viviene Taylor (2000), La Marchandisation de l’État. Perspectives des féministes du Sud, des féministes membres de DAWN28, originaires d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et centrale et du Pacifique, ont soulevé des questions très importantes, notamment pour la région africaine, relatives à la restructuration politique et aux transformations sociales en cours. Les désastres économiques et politiques (endettement, politiques d’ajustement structurel, phases de transition démocratique, libéralisation des économies, conflits, etc.) ont été, au cours de ces trente dernières années, lourdes de conséquences sur les femmes. Malgré tous les discours sur l’avancement de leurs droits, ceux-ci ont été érodés de manière critique. La réduction des budgets, la privatisation des services d’intérêt public (éducation, santé, eau, électricité...) ont détourné les États de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs citoyens. Les responsabilités des femmes se sont accrues, notamment en tant que chefs de famille. Les effets de la mondialisation des économies pervertissent les acquis des luttes en matière de droits à la citoyenneté, de droits reproductifs, d’accès aux ressources naturelles, matérielles et financières. Une question cruciale est posée. « Comment traduire ces acquis, ces garanties sur le papier en changements réels, un changement au niveau des relations sociales ? » (Taylor, 2002, p. 2). C’est toute la finalité de l’analyse de genre qui doit conduire, au-delà de la description et de l’analyse des faits sociaux et de leur stratification sexuée, à la transformation des rapports socialement construits entre les sexes pour plus d’égalité et de justice sociale en Afrique.
Conclusion
56L’avancée des études sur les femmes et la prise en compte, avec l’analyse de genre, des rôles sociaux de sexe ont donné une nouvelle tournure aux recherches menées sur le social, l’économique, le religieux et le politique. Est-il besoin de rappeler que les questions de genre émergent de l’étude des femmes et, à ce titre, lui sont étroitement liées ? L’exercice a, de fait, profondément renouvelé la réflexion, sur ces questions courantes, de la recherche africaine jusque-là dominée par les hommes et d’où était absente la question des femmes. Elle a mis en exergue les rapports de pouvoir entre les sexes, leur construction sociale et leur nature politique. Comme praxis, l’analyse permet d’abord de révéler et déconstruire la domination masculine et toutes les autres formes de domination. Elle aide à poser les bases d’un questionnement capital sur les rapports de pouvoir dans la famille, la sexualité et la fécondité, la santé, les liens entre rapports familiaux et rapports économiques, la gestion des ressources naturelles, l’accès au politique qu’appuient les processus de démocratisation en Afrique.
57L’effort de réappropriation du genre oblige donc les chercheurs des deux sexes, au sein du monde académique et dans la production intellectuelle, à une rupture avec l’environnement sociopolitique, économique et culturel africain. Il ne s’agit pas d’ajouter un chapitre sur les femmes et le genre dans les travaux, mais de procéder à une reconceptualisation des faits sociaux comme faits sexués, qui englobe les femmes et les hommes. Transformer le regard et le discours masculin qui dominent la production scientifique pour comprendre et accompagner les mutations en cours en Afrique reste l’immense défi à relever.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 La décennie a été marquée par une série de conférences internationales regroupant des milliers de participantes : Mexico (1975), Copenhague (1980), Nairobi (1985). Celle de Beijing (1995) a fait le bilan des actions en faveur des femmes et de leurs attentes.
2 Campagnes de sensibilisation en milieu urbain et rural, dans les médias (radio, télévision et presse), etc.
3 Colloque sur La Sécurité urbaine en Afrique, UN-Habitat et Programme des Nations unies pour le développement, Abidjan, juillet 1997.
4 Ordre que les hommes ont établi et qu’ils remettent allègrement en question quand il ne leur convient plus.
5 Dans l’islam, la pureté du corps du fidèle est fondamentale, particulièrement celui des femmes dont les multiples sécrétions vaginales obligent à des ablutions rituelles avant la prière, Lors des menstrues, les rapports sexuels sont interdits, de même que toute pratique religieuse (prière, jeûne, fréquentation de la mosquée, …).
6 Le Comité interafricain de lutte sur les pratiques traditionnelles affectant la santé de la mère et de l’enfant (CIAF), créé à Dakar en 1984, est une organisation panafricaine. Il dispose d’un siège à Addis-Abeba et de bureaux nationaux dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne où se pratiquent les mutilations génitales féminines. Il a une publication périodique.
7 Bien avant le CIAF, Awa Thiam avait dénoncé les MGF dans La Parole aux négresses (1978), livre qui a choqué bon nombre d’hommes et de femmes. En 1993, RAINBO (Research, Action & Information Network for Bodily Integrity of Women : « Réseau de recherche, d’action et d’information pour l’intégrité corporelle des femmes »), présidé par une Soudanaise, le Dr. Nahid Toubia, se donnait pour mandat « d’œuvrer là où la santé et les droits s’entrecroisent en portant une attention toute particulière aux droits de la femme en matière de sexualité et de reproduction ». La même année, le programme d’action mondiale contre les mutilations génitales féminines était mis en œuvre.
8 RDA : Rassemblement démocratique africain ; FLN : Front de libération nationale ; PAIGC : Parti africain de l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert.
9 C’est le thème du roman de Ousmane Sembène, Les Bouts de bois de Dieu, Pocket, 1971. Durant une grève des cheminots largement suivie, leurs épouses effectuèrent une marche devenue historique depuis la ville de Thiès, important nœud ferroviaire, jusqu’à Dakar, capitale de la fédération de l’AOF, distante de 65 km.
10 Dans l’euphorie des années 1960, ils avaient reproché à René Dumont d’avoir ainsi intitulé un ouvrage cinglant contre les nouvelles élites africaines.
11 Notamment par la sociologue marocaine Fatima Mernissi qui s’exclame : « the belief on the part of some Western feminists that Arab women are subservient, obedient slaves who discovered consciousness-raising and illuminating revolutionary ideas only when fed by the most liberated of all women (New York, Paris and London feminists) is less understandable at first sight than the utterance of such sentiments by Arab patriarchs ». (« L’affirmation selon laquelle les femmes arabes seraient des êtres serviles et soumis qui se seraient émancipés et ouverts aux idées révolutionnaires uniquement au contact de femmes libérées, et notamment les féministes de New York, Paris ou Londres, est encore moins acceptable que si elle avait été énoncée par des patriarches arabes. »)
12 WID : Women in Development, WAD : Women and Development, GAD : Gender and Development.
13 On comptait, parmi elles, Fatima Mernissi du Maroc, Achola Pala du Kenya, Filomena Steady de la Sierra Leone, Marie-Angélique Savané du Sénégal, etc.
14 En anglais, Association of African Women for Research and Development (AAWORD).
15 Oyèrónké Oyéwùmí enseigne au département des Black Studies de l’université de Californie à Santa Barbara (USA). Son ouvrage a reçu le Distinguished Book Award de l’Association américaine de sociologie, section Sexe et genre.
16 Western experiences masquerading as universals (« expériences occidentales qui parodient l’universalité »).
17 « African feminists can learn a lot from the methods of feminist scholarship as they have been applied to the West, but they should scorn methods of Western, imperial, feminist Africanists who impose feminism on the ’colonies’. African scholars need to do serious work detailing and describing indigenous African cultures from the inside out, not from the outside. »
18 « Language is therefore a medium of culture. The relationship between language and culture is dynamic and symbiotic. Languages reflect communities just as communities impact on languages. Thus, if one operates in a linguistic System in which a husband is referred to as ’master’ (oga in Nigeria pidgin English) and one accepts the terms and its connotations unquestioningly, then consciously or unconsciously one accepts the power relations subsumed in its usage. »
19 « A more accurate account of words convey meaning across time would be one that emphasizes flux rather than stasis and conservation. » (Une description plus juste des mots qui transmettent du sens à travers le temps serait celle qui met l’accent sur les flux plutôt que sur les stases et la conservation, ndlr.)
20 Les rapports aînés/cadets ont fait l’objet de nombreux travaux, notamment ceux de l’anthropologie marxiste française des années 1960.
21 « [the female experience of nurturing] can easily become a trap […] we need to understand the limits of nurturing. »
22 Le débat conduit souvent à discuter de l’applicabilité ou l’inapplicabilité de la démocratie occidentale aux sociétés africaines ou aux pays du Sud : droit de vote, régime parlementaire, interdiction du travail des enfants, etc. Faut-il légaliser le travail des jeunes de moins de 14 ans qui contribue à nourrir les familles au Bénin, en Inde ou au Brésil, et supplée la carence des économies, en violation de leurs droits à être éduqués, ou tout simplement à être des enfants ?
23 Il y a une (lente) remise en question qui va de l’appellation des disciplines (ethnologie, anthropologie) à la désignation des concepts (tribu, ethnie, dialecte, fétichisme, animisme, tradition, développement, etc.).
24 « In Africa, institutions such as "woman marriage” and the ambiguity of some deities have challenged the dichotomous model of the West° », in Filomena Chioma Steady, 2002.
25 Le débat sur l’autorisation ou l’interdiction du port du voile islamique mené depuis une vingtaine d’années en France est un bon exemple. Certaines féministes l’acceptent au nom de l’identité culturelle.
26 Notamment le Sommet de la terre (Rio de Janeiro, 1992), la conférence sur les Droits de l’homme (Vienne, 1993), la conférence sur la Population et le développement (Le Caire, 1994) et le Sommet sur le développement social (Copenhague, 1995).
27 Pour les protéger sans doute de celui que Christine Delphy nomme « l’ennemi principal ».
28 DAWN (Development Alternatives with Women for a New Era : « alternatives de développement avec les femmes pour une ère nouvelle »), créé en 1984, est un réseau féministe de femmes activistes, chercheuses et décideurs du Sud qui veulent développer des cadres et des méthodes alternatives pour la justice sociale et économique, une paix et un développement libéré de toutes formes d’oppression sexuelle, de classe, de race ou de nation.
Auteur
Sociologue, laboratoire SEDET (Sociétés en développement dans l’espace et dans le temps), CNRS/université Paris-7 Denis Diderot, chercheuse associée à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), université Cheikh Anta Diop, Dakar (Sénégal). Elle enseigne et effectue des recherches sur les transformations des sociétés africaines contemporaines ; les rôles sociaux des sexes ; le statut et la place des femmes dans les cultures et économies africaines.
Fatousow@orange.sn
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