Préface
p. 9-13
Texte intégral
1L’élaboration de cet ouvrage a été longue, que soient donc remerciés ici tous les auteurs qui, à des rythmes divers, ont plusieurs fois remis leur chapitre « à l’ouvrage », et que soit en particulier remercié Philippe Cordazzo pour sa ténacité à piloter ce projet éditorial. Les différents relectrices et relecteurs ainsi que l’ensemble du comité des collections et des Éditions de l’Ined ont ensuite grandement contribué à son aboutissement. Merci aussi à eux.
2Je suis particulièrement heureuse d’avoir soutenu et accompagné ce projet, et de voir aujourd’hui cet ouvrage être publié, pour différentes raisons.
3Tout d’abord et avant tout, ce travail contribue à une meilleure connaissance des parcours et des conditions de vie d’une population importante qualitativement et quantitativement en France, celle des étudiantes et des étudiants, soit aujourd’hui plus de 2,6 millions de personnes (Pauron et DEPP, 2019). Cela si l’on raisonne en instantané, car si l’on s’inscrit dans la durée, la population concernée est encore plus nombreuse : plus d’un tiers des personnes résidant en France et âgées de 25 à 64 ans est désormais diplômé du supérieur (Insee, 2019). Cette population est à la fois très identifiable, ayant comme point commun le suivi d’études supérieures, mais aussi très labile et hétérogène : elle se répartit entre nombreuses filières et curricula, elle est sans cesse en renouvellement car la situation d’étudiant ne dure que quelques années seulement, et concerne des âges où les changements résidentiels et familiaux sont nombreux. Il s’agit par ailleurs d’une population considérée au niveau macro-économique comme porteuse d’avenir et comme un investissement pour le pays mais qui, paradoxalement, est particulièrement marquée par la précarité (selon un rapport de l’IGAS en 2015, 19 % des étudiants étaient en dessous du seuil de pauvreté, soit 5 points de plus qu’en moyenne, et 46 % devaient travailler en plus de leurs études). Mieux comprendre les trajectoires et les conditions de vie de cette population et de cet âge de la vie, en explorant et en s’appuyant sur toute la palette des données disponibles, est donc un enjeu important.
4Le pari de cet ouvrage est double.
5Côté pile, il s’agit d’étudier la situation et les parcours des étudiants en France, mais cela au-delà simplement de leurs choix d’études, au-delà de la description de leurs curricula, en élargissant la focale sur tout ce qui constitue au quotidien la vie de cette tranche d’âge et de cette population : ressources financières, histoire conjugale et familiale, situations de logement et décohabitation, mobilité géographique… Ceci permet d’interroger l’homogénéité et la variété dans la manière d’être un étudiant en France aujourd’hui… En quoi s’agit-il ou non d’une population partageant une communauté d’expériences ? Et peut-on parler de « carrière » unique d’étudiant, au sens qu’Howard Becher a donné à ce terme, dans un contexte où l’enseignement supérieur s’est largement démocratisé, ou « massifié » selon certains ?
6Côté face, l’ouvrage a pour objectif de dresser le panorama des sources existantes sur les étudiants, d’en donner des exemples d’usages, et d’ouvrir ainsi de nombreuses perspectives de recherche. Des enquêtes comparatives européennes aux enquêtes locales par formation, en passant par les enquêtes nationales longitudinales telles que les panels menés par le Cereq, les données du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et les enquêtes réalisées par les OVE (Observatoires de la vie étudiante) dans la plupart des universités, les sources ne manquent pas, mais elles ne sont pas toujours très bien connues ni très accessibles. L’ouvrage les donne à voir, en montre l’intérêt et aussi pour chacune les limites ou plutôt le choix de point de vue que chacune privilégie et qu’il faut donc croiser avec d’autres.
7Ces deux aspects sont sans cesse entremêlés, proposés conjointement, et ce double objectif irrigue tout l’ouvrage : pari tenu !
8Par ailleurs, pour la collection « Grandes Enquêtes », il constitue une innovation. La plupart des précédents ouvrages de la collection étaient centrés sur une enquête mise en œuvre par l’Ined (souvent en association avec l’Insee) et, à travers différents chapitres et parties thématiques, ils proposaient une analyse des principaux résultats, tout en donnant largement au lecteur les éléments d’ordre épistémologique concernant l’élaboration et la méthodologie de l’enquête dont ils étaient issus. Pour cet ouvrage-ci, le point de départ n’a pas été une enquête, mais une thématique, qui a conduit à s’interroger sur la diversité des enquêtes et des sources permettant d’en rendre compte. Ceci a permis une diversité de points d’entrée et de participation à l’ouvrage, et à beaucoup d’universitaires d’y participer.
9Parmi les points forts et originaux de l’ouvrage, je voudrais en souligner quelques-uns, de manière non exhaustive.
10Sur le plan méthodologique tout d’abord, l’ensemble met particulièrement en évidence l’intérêt des jeux d’échelle, spatiaux et temporels, et la possibilité d’ajuster la focale de l’analyse à une source de données, et à l’usage que l’on souhaite en faire.
11Qu’une composante d’université cherche à mieux connaître ses étudiants (comme le montrent Séverine Landrier et Xavier Collet) afin d’adapter sa pédagogie, sa politique de bourses, ses horaires… ou que la France souhaite participer aux programmes d’enquêtes européennes standardisées (chapitres de Séverine Guégnard, Jake Murdoch et Philippe Cordazzo), les questionnaires et les analyses qui en découleront ne seront évidemment pas les mêmes. Étudier l’évolution de l’insertion professionnelle par générations et par filières au niveau national et sur plusieurs décennies (comme le permettent les enquêtes Génération du Cereq, décrites par Julien Calmand et Boris Ménard) ou se focaliser sur une université ou une filière pour rendre compte de manière fine des cursus des étudiants (chapitres de Leïla Frouillou et Léonard Moulin, de Jean-François Kobiané, Marc Pilon et Philippe Cordazzo), répond à des objectifs en partie différents. Aux chercheurs de se saisir de cette diversité, et tout en rendant compte des contextes de la construction de ces données, de les exploiter au-delà de leurs objectifs initiaux ou sous d’autres angles.
12Dans le même ordre d’idées, cet ouvrage souligne le grand intérêt et en même temps les difficultés particulières de l’usage de données administratives, en complément aux données d’enquêtes. Concernant la population étudiante, les deux types de données coexistent et sont également développés. Les données administratives sont volumineuses et complexes (changement annuel de statut, nombreuses possibilités de double compte) mais leur grand atout est celui de l’exhaustivité. Elles répondent d’emblée à deux demandes : elles doivent à la fois satisfaire des besoins de gestion locale (inscription, relevé de notes, diplomation) par les services de scolarité de chaque composante universitaire, et à des objectifs de connaissance, de synthèse et de programmation par le ministère de l’Enseignement supérieur. Les données d’enquêtes vont permettre des analyses plus fines de certains sujets (motivations dans les choix de filières, conditions de vie, insertion professionnelle), mais la question de la représentativité et des taux de réponse, vu la fragmentation de cette population, par niveau, par filière, par type d’établissement et son caractère très mouvant et mobile, est un souci constant. Dans son article « Décrire l’État ou explorer la société : les deux sources de la statistique publique », Alain Desrosières étudiait déjà « ce télescopage de deux métrologies de natures différentes » (enquêtes versus registres et fichiers administratifs ; Desrosières, 2005). Cet ouvrage, de manière appliquée à la population étudiante, rejoint tout à fait sa conclusion : « les questions soulevées ici ne visent pas à privilégier un type de source par rapport à un autre, mais incitent plutôt à approfondir la réflexion sur le statut social et cognitif des données produites par le Système statistique public, et sur la diversité et la complémentarité de ses sources ».
13Sur le plan thématique, l’ouvrage propose une analyse approfondie des conditions de vie des étudiants, sous plusieurs angles : Elise Tenret détaille la genèse des enquêtes du même nom menées par l’Observatoire national de la vie étudiante, ce qui est dans le même temps révélateur de l’évolution des préoccupations sociales concernant la jeunesse étudiante et du développement de l’Observatoire lui-même. Puis avec Jean-François Giret, elle développe les questions de mesure de cette « vulnérabilité » étudiante particulière, notamment sur le plan des ressources monétaires. Le thème, souvent peu abordé, de la conciliation, ou plutôt en France de la difficulté, entre le fait de devenir parent et la poursuite d’études supérieures, fait l’objet ici de deux articles, par Arnaud Régnier-Loilier et Aden Gaide. La question cruciale pour beaucoup d’étudiants et d'étudiantes de la prise d’autonomie résidentielle, qu’elle soit souhaitée ou imposée, est étudiée par Philippe Cordazzo et Jake Murdoch, leur approche comparative permet de montrer les différences de rythme et de signification de cette décohabitation entre pays européens.
14L’autre angle thématique privilégié est celui des mobilités, des parcours, des trajectoires, de manière géographique et temporelle.
15En ce sens, l’ouvrage participe au développement des analyses longitudinales en sociodémographie, à partir d’enquêtes conçues en ce sens (ici les enquêtes Génération du Cereq) mais aussi à partir de fichiers administratifs (chapitres utilisant la base SISE en Île-de-France ou les fichiers de l’Université de Ouagadougou). Il participe ainsi également à une approche théorique en termes de parcours de vie (ou life course perspective), soit une approche intégrée de ces parcours et de leurs contextes socioéconomiques, de manière appliquée au temps des études supérieures.
16L’ouvrage fait la part belle aux dimensions spatiales de la mobilité étudiante, à juste titre : ce sont les étudiantes et les étudiants qui connaissent le plus de déplacements géographiques en un temps court parmi la population vivant en France. Et par ailleurs, cette mobilité étudiante fait l’objet de nombreuses politiques publiques : qu’il s’agisse de créer des antennes locales, ou sites territoriaux dans des villes moyennes, pour le premier cycle afin de permettre à davantage d’étudiants notamment ruraux d’accéder à l’université, ou qu’il s’agisse de favoriser la mobilité internationale à travers les programmes Erasmus, les enjeux ne manquent pas. Trois chapitres proposent donc tout particulièrement d’étudier ces mobilités, selon des sources et à des niveaux d’observation différents : à l’échelon international dans le chapitre de Clarisse Dideron-Loiseau, à l’échelon national dans celui de Myriam Baron, et d’un point de vue régional, dans le chapitre de Fanny Jedlicki et Clarisse Dideron-Loiseau.
17Évidemment, l’exhaustivité thématique est impossible, et parmi les sujets non investigués par l’ouvrage, on peut en signaler particulièrement deux.
18L’ouvrage n’aborde pas du tout la question de « l’engagement étudiant », une dimension pourtant mise en valeur dans de nombreuses universités, y compris sur le plan institutionnel et pédagogique avec la création d’UE (unités d’enseignement) du même nom, faisant l’objet d’une évaluation. Au-delà de cet encouragement formalisé, les années d’études sont en effet également celles de formation du citoyen et, pour certains, de l’engagement associatif, politique ou encore syndical. Ce thème de l’engagement, dans, hors et autour du travail universitaire, non traité ici, pourra cependant faire l’objet d’études ultérieures car il est questionné dans les enquêtes des Observatoires de la vie étudiante et réunit actuellement plusieurs chercheurs autour du Cnam dans le cadre d’une enquête collective.
19L’état de santé, l’accès et le recours aux soins sont une autre dimension peu évoquée ici, même si elle apparaît dans les chapitres traitant des conditions de vie au sens large. Or cette question soulève des enjeux de santé publique importants : les étudiants et les étudiantes seraient à la fois plus touchés que la moyenne de la population française par le stress, l’alcoolisme et le tabagisme, mais ils seraient également relativement moins nombreux à consulter leur médecin généraliste, et le non-recours concernant les dépenses optiques et dentaires les toucherait tout particulièrement. Cette thématique apparaît peu dans l’ouvrage car elle appellerait à des études approfondies spécifiques, qui existent par ailleurs déjà régulièrement. Tout récemment, fin 2018, l’Observatoire national de la vie étudiante a ainsi publié les résultats de son enquête consacrée à l’état de santé des étudiants en France.
20Il reste donc de nombreux thèmes encore à explorer. Puisse cet ouvrage susciter l’envie de le faire, en ayant contribué à mieux faire connaître la diversité et la richesse des données et des sources existantes.
21On ne pourrait conclure sans justement revenir sur cette question des sources de données. Cet ouvrage pourrait donner à penser que tout est pour le mieux, que ces données sont abondantes, accessibles, entourées de moyens et d’attention, ce qui n’est pas tout à fait le cas… Si elles sont effectivement variées et riches dans les focales d’analyses qu’elles permettent, il faut aussi rappeler qu’au sein des universités, on pourrait améliorer la qualité et exploiter encore bien davantage les enquêtes et bases de données alimentées et entretenues par les services de scolarité d’une part et par les observatoires locaux d’autre part, qui ont en général peu de moyens et de personnel pour le faire, autrement que pour les besoins de gestion courante.
22Il est ainsi précieux de continuer à soutenir la construction, la pérennité et le développement de ces sources de connaissance, afin de permettre et d’inciter à des nouvelles analyses sur le monde étudiant et sur la diversité de ses conditions de vie et de ses parcours.
Bibliographie
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Références bibliographiques
10.3917/gen.058.0004 :Desrosières, A. (2005). « Décrire l’État ou explorer la société : les deux sources de la statistique publique » Genèses, 58(1), p. 4-27.
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Insee, 2019, « Niveaux de formation », Tableaux de l’économie française, coll. Insee Références, p. 103 ; https://www.insee.fr/fr/statistiques/3353488.
Pauron A., DEPP, 2019, « Projections des effectifs dans l’enseignement supérieur pour les rentrées de 2018 à 2027 » Note d’information du SIES, 19.06, avril ; http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2019/25/1/NI_2019_06_1110251.pdf.
Auteur
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