Conclusion
p. 245-254
Texte intégral
1La croissance démographique rapide de la capitale burkinabé – qui s’est accompagnée d’une extension géographique, avec la création de nouveaux quartiers à la périphérie – est le point de départ de cette recherche sur les inégalités de santé. Si l’État et les autorités communales aménagent certains de ces quartiers en lotissements et les dotent d’infrastructures, ce n’est pas le cas de tous, et la littérature existante dans d’autres contextes laisse à penser que les habitants des quartiers dits informels ou non lotis sont plus vulnérables que les autres. Et ce, pour deux raisons : leur profil socioéconomique d’une part, leur environnement de vie d’autre part. Cependant, peu d’études s’étaient jusque-là intéressées à cette population vivant en marge des villes en Afrique subsaharienne, où l’urbanisation est certes rapide mais où les ruraux restent majoritaires au niveau national, avec des indicateurs économiques et de santé encore très défavorables comparés à ceux du milieu urbain dans son ensemble. En ce sens, l’Observatoire de population de Ouagadougou apporte des données précieuses pour étudier la population de ces quartiers ; il a abrité un projet de recherche mené durant six ans (2008-2013) sur les inégalités de santé en contexte d’urbanisation rapide et de pauvreté.
2Dans l’introduction, une série de questions sur les inégalités de santé dans la ville de Ouagadougou ont été posées, auxquelles les chapitres successifs ont tenté de répondre. Outre les questions portant sur l’avancée dans la transition épidémiologique dans différentes couches sociales à chaque âge de la vie – les individus étant exposés à différents types de maladies à mesure qu’ils avancent en âge –, l’autre interrogation majeure du projet, transversale à l’ensemble des chapitres, portait sur les différentes dimensions du désavantage social dans ce contexte urbain. Les aspects de la vulnérabilité considérés sont la pauvreté économique, bien entendu, mais aussi le déficit d’instruction et le statut migratoire – la migration interne contribuant à la croissance rapide des villes africaines –, en plus des possibles désavantages liés à l’habit informel déjà évoqués.
3En ce qui concerne les problèmes de santé en Afrique urbaine, la littérature existante s’est jusqu’à maintenant surtout focalisée sur les problèmes de santé infantile et maternelle ou, de manière spécifique, sur différentes maladies non transmissibles. Les études suggèrent qu’un double fardeau de maladies caractérise probablement le milieu urbain africain aujourd’hui (Boutayeb, 2006 ; Jamison et al., 2006, Maher et Sekajugo, 2011). Quelques études empiriques, effectuées à partir des rares sources disponibles (quelques états civils relativement complets, des études hospitalières, un mélange de différentes sources), permettent d’appréhender rigoureusement le profil épidémiologique de quelques villes, parfois sur la durée ; ces études confirment toutes la présence d’un double fardeau (Misganaw et al., 2012 ; Masquelier et al., 2014 ; Agyei-Mensah et Graft Aikins, 2010 ; Allain et al., 2017).
4En revanche, aucune étude à notre connaissance n’a approché la question de la répartition des fardeaux sanitaires dans différentes couches sociales d’une ville africaine. Les résultats présentés ici sont donc, sur ces points, inédits. Un premier jeu de questions portait sur une éventuelle polarisation et/ou contre-transition sanitaire dans une capitale d’Afrique de l’Ouest : les Ouagalais plus favorisés seraient-ils aujourd’hui complètement débarrassés des problèmes de santé du Groupe 1 (maladies infectieuses et parasitaires, malnutrition, problèmes de santé maternelle), dites « maladies de la pauvreté » (hypothèse de polarisation – cf. Frenk et al., 1989) ? En parallèle ou alternativement, les Ouagalais les moins favorisés socialement seraient-ils paradoxalement en meilleure position que les plus riches vis-à-vis des maladies non transmissibles, du fait d’une plus grande sélection par la mortalité aux jeunes âges et d’une pratique moindre de comportements à risque (hypothèse de la contre-transition – cf. Stephens, 1995) ?
5On l’a vu, la mortalité des enfants a diminué très vite sur la courte période d’observation dans les quartiers étudiés, et la mortalité maternelle est relativement basse dans l’OPO comparée à celle des autres observatoires du continent. Certains programmes de prévention en santé maternelle et infantile (les vaccinations, les soins autour de l’accouchement) touchent aujourd’hui de manière presque universelle toutes les couches de la population ; les enfants pauvres ne sont plus à risque particulier de malnutrition dans les quartiers de l’OPO, toutes choses égales par ailleurs. La mortalité liée aux maladies infectieuses reste toutefois inégalement distribuée entre ménages riches et ménages pauvres, instruits et moins instruits – notamment à cause d’un recours aux soins très peu équitable, dans un contexte où une grande partie des frais restent à la charge des patients. Parfois, certaines dispositions socioculturelles freinent aussi l’accès aux soins de santé primaire, comme c’est le cas pour la contraception moderne. Malgré ces inégalités marquées, les résultats présentés ici montrent clairement que les maladies infectieuses continuent à toucher les Ouagalais de la classe moyenne dans une proportion non négligeable, notamment à cause du VIH/sida, des infections respiratoires et du paludisme (cette dernière cause frappant les enfants). Dans le cas des problèmes de santé maternelle, c’est moins la disponibilité des services que leur qualité qui est en jeu.
6Par ailleurs, les adultes plus avantagés économiquement seraient en bien meilleure santé s’ils n’avaient pas adopté massivement des comportements à risque de maladies non transmissibles. Il a été observé, toutes choses égales par ailleurs, une plus grande consommation de tabac chez les employés et les personnes de niveau d’instruction primaire, un surpoids et un manque d’exercice physique chez les plus riches, une dépression plus élevée chez les employés. Malgré la répartition des facteurs de risque – de mauvais augure pour les Ouagalais relativement favorisés –, ces derniers meurent plus tard de ces maladies, les plus pauvres ne pouvant sans doute pas se permettre les soins dans ce domaine, rares et extrêmement chers. Cependant, même parmi les plus riches, les décès de maladies non transmissibles surviennent souvent précocement, tant la gestion de ce fardeau reste difficile dans la capitale burkinabé. Enfin, les limitations fonctionnelles au grand âge s’observent indifféremment du gradient socioéconomique, un phénomène sans doute lié à une sélection par la mortalité chez les personnes âgées dès lors qu’elles connaissent un problème de santé.
7En somme, ces résultats indiquent qu’on ne peut pas parler de polarisation de la transition sanitaire à Ouagadougou, même si les inégalités de santé y restent très marquées : les riches comme les pauvres y souffrent d’un double fardeau sanitaire. Et même si les natifs de Ouagadougou les plus favorisés ont un risque plus bas de mortalité due aux maladies non transmissibles, on observe certains signes de contre-transition : les facteurs de risque sont plus répandus chez les plus nantis et les différences économiques restent faibles en ce qui concerne les limitations et déficit chez les plus âgés.
8Le statut économique ne constitue pas la seule dimension de l’avantage social des individus dans cette ville (Anand et Sen, 1993). D’autres éléments jouent sur leur santé, le contexte social et environnemental en particulier, qui redistribue les cartes dans une certaine mesure à Ouagadougou. Les résultats présentés dans cet ouvrage permettent de discuter d’autres facteurs d’inégalité que peuvent constituer le quartier de résidence ou encore le statut migratoire.
9Les données recueillies ont ainsi permis de mettre en exergue des différences entre les quartiers formels et informels, mais aussi certaines similitudes. Si les seconds comptent bien une population plus importante de migrants originaires du milieu rural et que leur population est plus pauvre, la plupart de leurs habitants – en particulier des jeunes adultes ou des jeunes couples avec enfants – viennent en fait des autres quartiers de la ville dans l’espoir d’un prochain lotissement (chapitres I et II) et sont dans une trajectoire de relative ascension sociale. De même, si l’on s’intéresse à la pauvreté, le type de quartier n’apparaît pas constituer un distinguo fondamental : ainsi, l’exercice de la solidarité ou du soutien familial aux plus âgés paraît assez spécifiquement urbain dans les deux types de quartier (chapitres II et VII).
10Du point de vue de l’environnement, la cartographie des structures sanitaires permet de montrer que les différences de santé ne peuvent pas être imputées à des inégalités dans l’offre de soins, qui est relativement similaire dans les deux types de quartiers : les structures publiques étant souvent localisées en bordure de la zone viabilisée, les habitants des quartiers non lotis n’en sont, de ce fait, pas beaucoup plus éloignés que ceux des quartiers lotis (chapitre I). Cependant, les quartiers informels sont caractérisés par un déficit presque total d’infrastructures scolaires publiques (chapitre II) – qui doivent être de proximité pour être fréquentables par tous – et par plus d’insalubrité (pas de système d’évacuation des ordures, des constructions en banco plus vulnérables aux intempéries, etc.), même s’il existe une certaine hétérogénéité entre les quartiers informels en raison de leur histoire spécifique (chapitre III).
11Les inégalités de santé observées chez les enfants (chapitre IV) confirment une différence assez nette entre les types de quartier. Ainsi, la mortalité infanto-juvénile est bien plus élevée dans les quartiers informels que dans les quartiers formels (sur la période 2009-2012, le risque de mourir avant 5 ans est estimé à 57 ‰ naissances dans les premiers contre 32 ‰ dans les seconds) et la différence reste significative lorsqu’on tient compte des facteurs socioéconomiques. À ces âges, les maladies du Groupe 1 (maladies infectieuses et parasitaires, malnutrition et problèmes de santé liés à la reproduction) sont prédominantes. Le paludisme et les infections respiratoires sont les principales causes de décès chez les enfants de moins de 5 ans dans l’OPO, quel que soit le type de zone. Les maladies diarrhéiques et la malnutrition sévère sont quant à elles plus meurtrières dans les zones non loties. Le lien entre santé des enfants et conditions environnementales ayant été mis en évidence, la vulnérabilité à ces problèmes de santé des enfants vivant dans les quartiers informels est bien la conséquence directe des moins bonnes conditions environnementales dans ces quartiers.
12Cependant, la démonstration d’un usage des médicaments de la rue plus important en quartiers informels (après contrôle pour les niveaux de vie et d’instruction) laisse aussi penser qu’un autre facteur est responsable de cette situation, à savoir des comportements de recours aux soins probablement moins bons. Le recours aux soins est difficile à étudier par questionnaire, parce que la déclaration des épisodes de maladies est plus fréquente chez ceux qui consultent le plus ; on peut toutefois penser que la grande fréquence de maladies chez les enfants en non loti banalise ces maux dans ces zones et vient y diminuer le recours aux soins (chapitre IV). Enfin, l’analyse du recours aux médicaments de la rue offre un autre intérêt : elle montre que les individus sont influencés par les pratiques de leurs voisins, souvent pauvres et peu instruits dans les quartiers non lotis, comparés à ceux des quartiers formels. Le chapitre II a montré en effet à quel point les relations sociales et d’entraide entre voisins prennent une place importante dans ce contexte.
13L’un dans l’autre, l’excédent de mortalité infantile observé dans les quartiers informels d’une grande ville d’Afrique de l’Ouest, toutes choses égales par ailleurs, est particulièrement intéressant au moment où une étude comparative basée sur les enquêtes démographiques et de santé (EDS) semblait avoir clos le débat, les effets de contexte n’ayant a priori pas un impact important sur mortalité infantile (Fink et al., 2014). Or, les observations faites dans le cadre de l’OPO rejoignent au contraire celles de l’Observatoire de population de Nairobi (APHRC, 2002). Au regard du chapitre III, on peut supposer que la manière dont l’habitat informel est identifié dans les EDS (déduit de ses caractéristiques et non de l’environnement) aboutit à des erreurs d’appréciation.
14Le chapitre V, consacré à la santé de la reproduction, montre que les habitantes des quartiers informels ne connaissent pas de difficulté particulière pour l’accès aux soins prénataux et accouchent pour la plupart à l’hôpital. Le recours à la contraception est également relativement élevé, quel que soit le type de quartier, surtout si on prend en compte les méthodes naturelles, fréquemment utilisées. Cependant, on relève un manque de connaissance de l’ensemble des méthodes (lisibles à travers une peur des effets secondaires fort répandues), qui n’est probablement pas favorisé par le profil socioéconomique des femmes et leur environnement social. En outre, le désir d’une famille nombreuse, encore relativement présent chez les moins favorisés à Ouagadougou, est certainement aussi influencé par ce contexte social : un entourage composé de personnes moins avantagées dans le non loti, et même dans le loti, pourrait freiner l’acceptation de la limitation des naissances et la satisfaction des besoins de contraception dans tous les quartiers.
15Pour l’ensemble des plus de 15 ans, le chapitre VI confirme que les conditions environnementales des quartiers non lotis influent peu sur leur santé, probablement en raison de la nature des problèmes de santé à l’âge adulte, qui sont davantage liés à des maladies non transmissibles, donc à des facteurs de risque différents. S’agissant de la mortalité adulte, elle est même inverse de ce à quoi on pourrait s’attendre, dans la mesure où elle est plus faible dans les quartiers informels que dans les quartiers formels. Mais ce résultat n’est vrai que pour les migrants : lorsque l’on ne considère que les natifs, les adultes des quartiers formels ne présentent pas une mortalité significativement plus élevée. Outre des effets de sélection qui jouent donc sur les différences observées par le biais de la migration (les ménages plus nantis des quartiers formels étant plus à même d’accueillir leurs parents âgés malades, comme on le voit au chapitre VII), l’analyse des facteurs de risque a montré que les habitants des quartiers formels (toutes choses égales par ailleurs) vivaient plus fréquemment en surpoids, en raison d’une plus grande inactivité physique (confirmée par les données) et probablement de différences dans l’alimentation, auxquelles s’ajoute le fait que le surpoids, dans ce contexte, reste valorisé socialement, car il est associé à un signe de confort et de bonne santé. Ainsi, le développement de comportements défavorables à la santé parmi les habitants les mieux installés contrebalance dans une certaine mesure une propension à mieux se soigner, d’autant plus que les maladies non transmissibles ne sont pas nécessairement bien prises en charge, faute de moyens, y compris dans les grands hôpitaux de la capitale. Par ailleurs, la mortalité violente, généralement élevée dans les quartiers informels dans d’autres contextes (notamment dans les bidonvilles de grandes villes latino-américaines ou à Nairobi), ne l’est pas spécifiquement dans le cas de ceux suivis par l’OPO (ni d’ailleurs dans les autres quartiers de Ouagadougou). Seule exception, les accidents de la route, responsables de 1 décès sur 10 chez les adultes. Ce chapitre VI montre aussi que le type de quartier n’est pas associé à des inégalités de santé mentale ou perçue, l’état de santé physique étant un déterminant particulièrement prépondérant.
16Le chapitre VII, qui porte plus spécifiquement sur les personnes âgées, n’a pas relevé de différences entre les types de quartier, du moins dans l’approche qualitative. Toutefois, l’analyse quantitative a montré que les personnes âgées vivant dans les quartiers non lotis évoquent plus de restrictions d’activités que celles résidant dans les quartiers formels. On sait que les habitants des quartiers informels sont plus actifs physiquement et que leur logement est moins confortable ; il est possible que les habitants âgés y souffrent de plus de limitations dans leurs activités quotidiennes – à âge égal –, en raison d’une plus grande sollicitation de leurs capacités physiques, donc d’une plus grande usure. Ce résultat, associé au fait que la mortalité liée aux maladies infectieuses (infections respiratoires, tuberculose pulmonaire, paludisme en particulier) n’est pas négligeable chez les personnes âgées, laisse supposer que l’environnement pourrait avoir un effet sur leur santé, même s’il reste très probablement plus modeste que celui observé pour les enfants.
17Ce projet a permis d’examiner un autre vecteur possible d’inégalités de santé, à savoir celui du statut migratoire. La littérature existante a montré des effets fort divers en fonction des contextes, des flux impliqués et des âges, en raison des mécanismes variés qui sous-tendent cette interaction (Ginsburg et al., 2016). Dans le cas de l’observatoire de Nairobi, les enfants de migrants en particulier connaissent un net déficit de mortalité, toutes choses égales par ailleurs (Bocquier et al., 2011). À Ouagadougou, les personnes nées en milieu rural et qui résident dans les quartiers non lotis de l’OPO ne présentent pas de désavantage de santé marqué, que ce soit pendant l’enfance, sur les questions reproductives, à l’âge adulte ou encore durant la vieillesse. Une surmortalité par maladie non transmissible a bien été notée pour les migrants plus riches (chapitre VI), mais elle s’explique sans doute par des effets de sélection : la pratique d’accueillir les vieux parents du milieu rural en ville est bien décrite au chapitre VII. Pour certains aspects, les migrants sont même en meilleure santé (moins de dépression) ; en revanche, ils sont plus souvent hypertendus (chapitre V). L’absence de désavantage systématique des migrants semble s’expliquer par les réseaux de solidarité denses, propres au milieu urbain, et l’intégration rapide des migrants dans leur nouveau milieu (chapitre II).
18D’autres formes de désavantages ont aussi pu être explorées. Le genre est une dimension extrêmement structurante de la vie sociale, mise en avant par les approches qualitatives (chapitres II et VII) ; les rôles sociaux associés à chaque sexe attribuent aux hommes une place dominante et un accès privilégié aux ressources. Mais ce système inégalitaire est contrebalancé par la relative autonomie des femmes et la solidarité qu’elles développent entre elles. Le fait qu’elles ne soient pas plus souvent dépressives que les hommes à Ouagadougou (chapitre VI) est un résultat à souligner, dans le sens où le désavantage de santé mentale féminin est relativement universel par ailleurs. Les désavantages des femmes en matière de santé se lisent donc dans « les marges », d’autant plus qu’elles vivent plus longtemps. Tout d’abord dans la vieillesse : les hommes vieux sont avantagés, car ils s’appuient sur des épouses bien plus jeunes pour rester en bonne santé et indépendants plus longtemps (chapitre VII). Par ailleurs, l’affaiblissement des formes de solidarité traditionnelles en milieu urbain semble se traduire en particulier par l’abandon des femmes à leur sort en cas de rupture d’union, quand le mari décède ou part (chapitre II), ce qui peut conduire à des situations dramatiques où indigence et mauvaise santé s’entremêlent. Les différences de santé en termes d’appartenance ethnique ou religieuse sont peu nombreuses. On relèvera plus spécifiquement le bénéfice d’être chrétien pour certains comportements ou état de santé, comme les vaccinations ou la dépression et l’hypertension, avantage imputable à une plus grande proximité au système de santé ou au soutien social fourni par la communauté religieuse ; mais les musulmans sont davantage protégés de la consommation d’alcool.
19Ces différents résultats ont de nombreuses implications pour les politiques de santé urbaine, qui doivent faire face au double fardeau sanitaire : une persistance de maladies infectieuses (toujours importantes chez les enfants et même chez les adultes) concomitante à la montée des maladies dites de société. Certaines politiques doivent d’abord cibler plus spécifiquement les quartiers informels en agissant sur l’environnement, notamment pour les enfants, plus vulnérables face aux maladies transmissibles. Et cela d’autant plus que les quartiers périphériques informels offrent une grande concentration d’enfants, puisque les jeunes familles s’y installent : Ouagadougou est en effet actuellement une ville où les enfants sont beaucoup plus nombreux à la périphérie tandis que la concentration de personnes plus âgées est plus forte au centre (Fournet et al., 2008). Cependant, nos recherches montrent que des problèmes de salubrité frappent encore une part importante des familles qui vivent dans les zones loties : les efforts devraient en réalité toucher l’ensemble des quartiers. De même, remédier au manque d’écoles publiques dans les zones non loties, où les besoins mais aussi le potentiel d’amélioration socioéconomiques sont grands, semble être une priorité qui aura des effets sur la santé à plus long terme. Les données présentées ici, notamment celles concernant les plus pauvres, soulignent aussi toute l’urgence de mettre en place des systèmes d’assurance santé minimale et de sécurité sociale pour les personnes âgées les plus démunies, les malades chroniques ou handicapés sans ressources.
20Eu égard à l’ensemble des résultats du projet, il est important d’adopter une approche globale de prévention en informant l’ensemble des habitants, surtout ceux qui n’ont pas d’instruction, sur les bons réflexes en matière de soins (pour éviter l’achat des médicaments de la rue, par exemple, ou le recours au soin tardif) ou sur les actes de prévention pour la santé des enfants (hygiène, investissements sanitaires au niveau du ménage), ainsi que sur les moyens d’espacer ou de limiter les naissances pour les femmes en âge de procréer. À l’intention des adultes, les messages de prévention contre les maladies non transmissibles doivent également être adressés à l’ensemble de la population, y compris les plus riches et les plus éduqués de ces quartiers, qui développent des comportements défavorables à la santé (alcool, mauvaise alimentation, sédentarité…). Un des points intéressants mis en valeur par les investigations qualitatives est l’ignorance, largement partagée des citadins, des risques sanitaires que fait courir le non loti aux enfants et ceux liés aux modes de consommation du type urbain. Les résultats montrent que les plus instruits adoptent systématiquement des comportements plus sains ; des programmes d’éducation sanitaire pourraient faire une grande différence, et même avoir un effet boule de neige au vu de l’effet « contexte social » que cette enquête a mis en avant.
21Mais au-delà de l’équipement en services urbains des zones non loties (et même des zones loties), du développement de certaines assurances sociales minimales et de programmes d’éducation sanitaire, la question de la gestion des maladies non transmissibles et de la prise en charge d’une population âgée qui va augmenter dans les décennies à venir reste entièrement à régler ; ces deux problèmes coûteux nécessitent une amélioration substantielle des moyens dont l’État dispose pour pourvoir aux besoins de sa population.
22Le bilan proposé par cet ouvrage est le fruit d’efforts pluridisciplinaires ; prenant en compte les différentes facettes du problème, il offre une connaissance globale des éléments sur lesquels on peut agir, ce qui facilite la conception des solutions à envisager dans le futur. On l’a dit en introduction, l’équipe de recherche a associé des chercheurs en sciences sociales (démographes, sociologues, anthropologues, géographes, statisticiens), mais aussi des médecins et des spécialistes en santé publique. Cependant, même si les résultats présentés ici apportent une vision globale des défis actuels dans une ville d’Afrique de l’Ouest et des voies d’action, le lien entre recherche et action n’est pas évident à mettre en œuvre. Les tests d’interventions constituent une étape intermédiaire, souvent indispensable, pour traduire les connaissances en améliorations programmatiques qui pourront être budgétisées et défendues par rapport à d’autres priorités. L’OPO a accueilli plusieurs projets de recherche ayant un lien direct avec l’action en santé, comme une étude sur la fièvre typhoïde dans l’optique du développement d’un futur vaccin. Cependant, jusqu’à présent, peu d’études d’évaluations de programmes ont été menées auprès de la population suivie par l’OPO, alors même que la plateforme est conçue dans cet objectif. Ouaga Focus, un bulletin d’information scientifique de deux pages édité par l’ISSP, offre un canal de diffusion des résultats des recherches menées au sein de l’OPO1. Cette publication est destinée à la fois au grand public, aux journalistes, aux étudiants et aux décideurs politiques, dans l’objectif aussi de stimuler des actions pilotes. De 2012 à 2015, une trentaine de bulletins ont paru, portant sur différents thèmes de santé (fièvre et diarrhée chez les enfants, hypertension, vaccination, limitations fonctionnelles et cognitives aux grands âges, santé mentale…), mais aussi sur la fécondité et la contraception, sur la scolarisation, sur les conditions de vie (logement, accès à l’eau, pauvreté) et sur la dynamique et la structure de la population.
23Ce premier projet de recherche sur les inégalités de santé et d’autres sur des thématiques proches ont permis en quelques années d’imposer l’OPO comme une source incontournable, au niveau international, de données sur la santé urbaine en Afrique de l’Ouest, en particulier par le biais de nombreuses publications (près de 30 articles pour le projet Wellcome Trust) dans des revues internationales, dont cet ouvrage a tenté de synthétiser et de mettre en contexte les résultats. En particulier, un article princeps a paru très rapidement pour présenter l’observatoire dans la série des HDSS Profile d’International Journal of Epidemiology (Rossier et al., 2012). Depuis que les premières données sont disponibles et exploitables, l’OPO participe à la plupart des études de comparaison menées par l’INDEPTH (dont rendent comptent divers articles dans Global Health Action) et il est devenu un site particulièrement actif, au point de faire de son responsable un membre du conseil d’administration du réseau sur la période 2013-2017. Les données de l’OPO ont aussi permis la réalisation de plusieurs thèses en démographie et en santé (15 thèses utilisant les données de l’OPO étaient terminées ou en cours à la fin 2015). L’université de Ouagadougou ne disposant pas encore à l’époque de programme doctoral en démographie, toutes ces thèses ont été soutenues à l’étranger, dans les institutions qui collaborent au projet, avec un co-encadrement d’un enseignant-chercheur de l’ISSP. Cela a permis de renforcer l’expertise sur les thématiques de population et santé en Afrique de l’Ouest urbaine, un résultat important à l’heure où les enjeux démographiques du continent apparaissent de plus en plus clairement, notamment à travers la prise en compte croissante du dividende démographique. Parce que ces zones urbaines périphériques restent un observatoire idéal pour appréhender les dynamiques de la population du futur au niveau national, on peut espérer que la recherche et l’expérimentation de programmes dans l’OPO ont encore de beaux jours devant elles.
Bibliographie
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Références bibliographiques
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Notes de bas de page
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Trajectoires et origines
Enquête sur la diversité des populations en France
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2016
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L’enquête Histoire de vie sur la construction des identités
France Guérin-Pace, Olivia Samuel et Isabelle Ville (dir.)
2009
Parcours de familles
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2016
Portraits de famille
L’enquête Étude des relations familiales et intergénérationnelles
Arnaud Régnier-Loilier (dir.)
2009
Inégalités de santé à Ouagadougou
Résultats d’un observatoire de population urbaine au Burkina Faso
Clémentine Rossier, Abdramane Bassiahi Soura et Géraldine Duthé (dir.)
2019
Violences et rapports de genre
Enquête sur les violences de genre en France
Elizabeth Brown, Alice Debauche, Christelle Hamel et al. (dir.)
2020
Un panel français
L’Étude longitudinale par Internet pour les sciences sociales (Elipss)
Emmanuelle Duwez et Pierre Mercklé (dir.)
2021
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France Guérin-Pace et Hassène Kassar (dir.)
2022
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2024