Chapitre 5
La famille : un espace pour se définir ?
p. 107-124
Texte intégral
1Les représentations de la famille ont varié au cours du temps, et c’est sa fonction structurante, rassurante, socialisante, sécurisante, de soutien matériel et d’échanges affectifs qui est aujourd’hui soulignée, tant dans la famille conjugale qu’au sein de la parenté plus élargie (de Singly, 2004, Attias-Donfut et al., 2002). La famille construit l’individu. La durée de cohabitation des jeunes avec la famille d’origine est de plus en plus longue. Après avoir quitté le foyer parental, les liens se maintiennent sous de multiples formes (Bonvalet, Maison, 1999). Puis une très grande majorité d’individus se met en couple et fonde sa propre famille (Barre, Vanderschelden, 2004). Celle-ci est plus instable, mais surtout du fait de la fragilité du lien conjugal alors que le lien de filiation est au contraire très investi. Loin de vouloir échapper à la famille, l’individu cherche à concilier celle-ci avec son autonomie personnelle, et aspire à ce qu’elle soit un lieu de reconnaissance et d’accomplissement de soi, et aussi, dans bien des cas, un lieu d’égalité. Aussi l’aspiration à l’épanouissement individuel est-elle au centre des modèles éducatifs et des enjeux de la conjugalité actuelle (de Singly, 2000), mais de façon plus ou moins impérative selon les milieux sociaux ; dans les milieux populaires, l’individu s’efface davantage dernière le groupe d’appartenance (Le Pape, 2006 ; Schwartz, 2002), alors que dans les catégories favorisées, l’autonomie est mieux acceptée, voire fortement encouragée. Cette poussée vers l’individualisme familial n’est pas nouvelle. Durkheim avait déjà énoncé ce mouvement de centration sur les individus au sein de la famille nucléaire et de renforcement des liens entre ses membres dans sa leçon sur « La famille conjugale » de 1892. Ce processus n’a cessé de s’accentuer, mais pas au profit de la consolidation de la « société matrimoniale » comme il le pensait.
2Aujourd’hui encore, les limites symboliques et matérielles de l’individualisme dans les espaces de vie collective, et notamment la famille, sont incertaines : jusqu’à quel point affirmer son individualité, imposer le non partage des ressources financières entre conjoints et, au contraire, le partage scrupuleux des investissements domestiques ? Cette indétermination résulte de la complexification des « enjeux identitaires de la famille, c’est-à-dire, à la fois, de leur importance subjective et de leur incertitude objective […] » (Dubar, 2000, p. 92). Dans cette perspective, comment l’individu et la famille « cohabitent-ils » ? Plus précisément, de quelle façon l’individu s’accommode-t-il de cette famille socialement omniprésente et de ses rôles familiaux, pour faire émerger son individualité ? Plutôt que de privilégier les positions statutaires au sein de la famille au détriment de l’individu autonome ou inversement, l’articulation des deux approches permet de donner un éclairage pertinent. Jean-Hugues Déchaux (1998) montre en effet que loin d’être antagonistes, l’autonomie individuelle et l’appartenance familiale statutaire vont de pair.
3Cet article se propose d’explorer les relations existantes entre l’individu et la famille du point de vue des identifications subjectives et des situations objectives, approche originale permise par la nature des questions posées dans l’enquête Histoire de vie1. Quelle est la place accordée à la famille dans l’existence de chacun ? La famille est-elle source d’identification ? Les positions statutaires au sein de la famille génèrent-elles une représentation de soi définie par ces positions ? Pour répondre à ces questions, nous prendrons à revers le lien entre individu et famille pour mettre en lumière ce qui autorise ou contraint à une mise à distance vis-à-vis de l’institution familiale et des rôles familiaux. En particulier, les espaces de socialisation et la trajectoire biographique seront considérés comme des dimensions clés de la construction du lien subjectif à la famille et de l’identification aux positions statutaires acquises. Le regard sera porté sur les marges, c’est-à-dire, sur ceux et celles qui ne veulent ou ne peuvent pas pleinement s’identifier à la famille et aux rôles qui lui sont associés. On s’interrogera sur les éléments – ressources et contraintes – qui conduisent les individus à prendre une certaine distance subjective avec la famille et avec les rôles sociaux qui lui sont attachés, en particulier en choisissant de ne pas se définir par les statuts familiaux classiques tels que ceux de parents, de conjoints, de grands-parents, etc.
I. Prendre sa distance vis-à-vis de la famille
4En conclusion du questionnaire, les personnes interrogées étaient invitées à choisir, parmi tous les thèmes traités, les trois qu’elles considéraient leur correspondre le mieux2. Aucun ordre de classement n’était demandé pour les trois réponses et les enquêteurs notaient l’ordre spontanément exprimé. La famille figurait en premier dans la liste3. Compte tenu de l’universalité de ce thème, son choix était sur-conditionné. En effet, à peu de choses près, toutes les personnes ont, d’une façon ou d’une autre, une famille, qu’elle soit biologique (ou adoptive) ou conjugale. L’enquête révèle l’existence d’une toute petite fraction de personnes sans famille proche : 39 individus sur les 8403 interrogés ont déclaré n’avoir ni frère ni sœur et n’avoir jamais été élevés par leurs parents, et une seule personne n’a, en outre, ni conjoint ni enfant. À cette exception près, tous ont des liens familiaux proches, consanguins, d’adoption ou d’alliance, si ténus soient-ils. L’existence de liens familiaux n’induit pas mécaniquement un attachement à la famille, mais offre un registre d’identification potentiel. Aussi n’est-il pas surprenant que 6 personnes sur 7 la citent parmi l’une des trois réponses possibles, loin devant les 8 autres items (le métier, les amis, les lieux, les passions…). Cette proportion élevée se retrouve à des niveaux plus importants encore dans les enquêtes sur les valeurs des Français réalisées dans le cadre de l’Eurobaromètre4. L’attachement à la famille est très largement partagé et constitue pour certain le « pilier des identités » (Houseaux, 2003), même si la centralité du travail dans l’identité, notamment masculine, a souvent été mise en évidence.
5Ce très fort consensus sur la famille donne l’occasion de porter le regard non pas sur la norme, mais sur les individus qui ont délibérément choisi de ne pas déclarer la famille comme thème privilégié. Cette démarche minoritaire (14 % de la population) révèle un positionnement singulier par rapport à la famille. Celui-ci invite à s’interroger sur les caractéristiques des individus concernés afin d’éclairer les facteurs de mise à distance de la famille, en particulier du point de vue des espaces de socialisation familial, social et professionnel, dans lesquels ils évoluent et construisent leur rapport à la famille.
1. Une identification à la famille peu déterminée par le genre
6La famille comme sphère d’identification est un peu moins citée par les hommes que par les femmes (16,8 % des hommes ne la citent pas contre 11,2 % des femmes) (figure 1a). Cette plus grande distance masculine vis-à-vis de la famille peut être interprétée diversement : soit comme un plus grand détachement à l’égard de l’institution familiale ou bien comme le résultat de la concurrence d’autres sphères d’identification potentielles, notamment le travail. Toutefois, les écarts entre sexes ne sont pas assez consistants pour pouvoir en conclure à une forte orientation subjective sexuée dans l’identification à la sphère familiale. De surcroît, cette différence entre sexes n’est plus significative lorsque l’on compare les hommes et les femmes ayant des enfants de moins de 18 ans. Autrement dit, à situation familiale comparable, les différences de genre disparaissent, les pères d’enfants mineurs s’identifiant, autant que les mères, à la famille.
Figure 1. Caractéristiques des individus qui ne s’identifient pas à la famille (%)

★ L’importance perçue du travail ne concerne que la population active, soit 4386 individus.
★★ La 2e modalité « père/mère ou autre » correspond aux enfants élevés par l’un des 2 parents et éventuellement une tierce personne (un beau-parent) durant une partie de leur enfance.
Champ : ensemble de la population (n = 8403).
Lecture : sur 100 hommes, 17 n’ont pas cité la famille comme « thème qui leur correspond ».
Source : enquête Histoire de vie-Construction des identités, Insee, 2003.
7On retrouve un résultat analogue dans l’identification au travail5. La comparaison est intéressante puisqu’elle permet de relativiser très fortement le présupposé des orientations sexuées des sphères d’identification. L’identification à l’activité professionnelle n’est pas spécifiquement masculine : parmi les personnes en emploi et sans enfant, le thème du travail est davantage déclaré par les femmes que par les hommes (58 % contre 48 %) ; la présence d’enfants de moins de 18 ans n’introduit pas une plus grande mise à distance subjective vis-à-vis de l’activité professionnelle pour les femmes. Ainsi, autant d’hommes que de femmes actifs et parents d’enfants de moins de 18 ans déclarent le travail comme sphère d’identification (55 %).
8On le voit, les représentations traditionnelles des sphères d’identification sexuées sont très fortement bousculées, même si l’expérience quotidienne des activités familiales et professionnelles le reflète moins. Aussi, rappeler que « L’identité masculine reste à dominante professionnelle, l’identité féminine à dominante familiale, ou au mieux “mixte”. » (Martucelli, 2006, p. 166) s’avère probablement juste en termes d’investissement temporel et de normes sociales, mais beaucoup moins sur le plan des attentes et des identifications individuelles. Cette apparente contradiction reflète la tension croissante entre les rôles socialement attendus et les aspirations individuelles. Les rôles familiaux classiques sont de moins en moins acceptés, en particulier par les femmes, mais les nouveaux schémas de relations conjugales et familiales sont encore en construction. Cette phase de transition s’accompagne donc de contradictions et de tensions, tant au niveau des relations entre hommes et femmes dans la vie privée, qu’à des niveaux plus macrosociaux (sur le marché de l’emploi, la sphère de l’action politique…), ceci d’autant, que « les identités intimes “réflexives” ne sont pas légitimées et manquent de ressources pour s’exprimer » (Dubar, 2000, p. 93). Ces identités intimes arrivent néanmoins à s’infiltrer dès qu’elles trouvent un espace pour se manifester ; la réponse à une question d’enquête peut paraître comme un exemple très mineur de cette manifestation, mais n’en est pas moins une illustration parmi d’autres.
2. Marginalisation professionnelle masculine et affaiblissement de la famille
9Du point de vue de la situation vis-à-vis du travail, deux pôles opposés se rejoignent dans la mise à distance subjective à la famille (figure 1b) : ce sont à la fois les personnes sans emploi et les cadres qui citent le moins la famille comme sphère d’identification. De même, ce sont les personnes qui jugent que le travail n’a pas d’importance dans leur vie, ou au contraire qu’il a une très grande importance6, qui sont les moins attachées à la famille. En d’autres termes, par des logiques différentes, c’est le non accès à l’emploi ou inversement l’accès à un emploi très qualifié qui conduisent à une moindre identification à la famille. Le paradoxe n’est qu’apparent, mais son explication suppose d’approfondir l’analyse, notamment par le détour d’une analyse toutes choses égales par ailleurs distinguant les hommes des femmes. Cette analyse7 permet de mettre au jour un effet significatif du chômage chez les hommes et d’une position professionnelle qualifiée (cadre) chez les femmes comme facteurs positivement associés à une moindre affiliation à la famille. Ceci conduit à considérer la mise à distance à l’égard de la famille comme le reflet de ressources disponibles et des rôles sociaux assignés : « On pourrait dire qu’il existe une incompatibilité entre un rapport à l’emploi incertain, sinon impossible dans certains cas, et le projet de mise en œuvre et de bon fonctionnement de son propre univers familial. […] L’exclusion du marché du travail suscite, en effet, une tendance au retrait ou à l’isolement vis-à-vis de la parenté et de l’environnement social. […] Les femmes échappent à cette déstabilisation du fait que la reconnaissance de leurs rôles parental et éducatif est peu affectée par l’absence d’un emploi. » (Commaille, 1999, p. 88.) Le chômage ne produit pas directement un rapport subjectif distancié à la famille, mais peut provoquer chez les hommes une déstabilisation non seulement professionnelle, mais également familiale et sociale qui sera à l’origine d’un processus de désaffiliation, conduisant notamment à une faible reconnaissance de la famille comme soutien social et psychologique. En revanche, les femmes en situation de chômage ou d’inactivité ont légitimement accès à une reconnaissance de leurs rôles familiaux, alors que c’est l’accès à un métier reconnu et gratifiant qui les conduit à se détourner de la famille pour se définir.
3. Un effet déterminant de la famille de procréation
10Les spécificités de la famille d’origine (figure 1c) ont également un effet, quoique modeste, sur l’identification à la famille : ne pas s’y reconnaître est davantage le fait d’individus issus de familles dissociées et dont la fratrie est peu nombreuse. Mais plus que la configuration familiale dans l’enfance, c’est probablement l’« atmosphère » familiale et la nature des relations entre parents, grands-parents, enfants et frères et sœurs qui participent le plus à cette construction du rapport à la famille. De fait, la faible fréquence des interactions familiales, qui peut traduire la fragilité des liens et l’éloignement géographique, est associée à une moindre identification à la famille.
11La situation conjugale et familiale à l’âge adulte est la dimension qui distingue le plus fortement ceux qui ne citent pas la famille des autres (figure 1d). La faiblesse des liens familiaux caractérisée par le fait de ne pas être en couple, de ne pas avoir d’enfant, de vivre seul ou fréquenter peu sa famille d’origine, crée de fait un éloignement objectif associé à une moindre identification à la famille. Autrement dit, s’identifier à la famille signifie surtout s’identifier à celle que l’on a soi-même constituée et choisie et qui découle des liens conjugaux et parentaux.
12Cette première description apporte plusieurs éclairages pour interpréter le positionnement des individus qui ne reconnaissent pas la famille comme constitutive de leur identité. Aucun élément ne semble indiquer jusque-là que cette non-identification à la famille soit le résultat d’une démarche critique à l’égard de l’institution. C’est, en premier lieu, l’effet d’une histoire familiale qui conduit les individus à ne pas être intégrés au modèle familial dominant incarné par le couple et ses enfants. Ne pas se reconnaître dans la famille c’est surtout ne pas la vivre quotidiennement au travers des relations conjugales et parentales. À cela s’ajoutent des éléments d’intégration ou de non-intégration sociale, en particulier dans le rapport à l’emploi.
II. Prendre sa distance vis-à-vis des rôles familiaux
13Après avoir examiné l’une des manifestations subjectives de l’attachement à la famille, il s’agit maintenant de questionner la façon dont les individus se situent, toujours subjectivement, par rapport à leurs rôles et à leurs statuts familiaux. La position acquise dans une configuration familiale donnée (avoir ou non un conjoint, des enfants à charge, des petits-enfants, etc.) participe-t-elle à la construction d’une identité familiale ? Chaque individu peut « accepter ou rejeter ses rôles sociaux, mais il va être obligé de se déterminer par rapport à ces rôles » (Taboada-Leonetti, 1990, p. 43). Le processus qui conduit à intégrer un statut acquis pour le transformer en définition de soi ou s’en distancier est à la fois le produit des normes sociales relatives à ce statut (ce statut et les rôles qui en découlent sont-ils valorisés ?), du degré d’individualisation acceptable dans un milieu social donné qui permet ou non une mise à distance avec les statuts établis et, enfin, l’existence d’autres rôles possibles d’identification. On s’efforcera de mettre en relation ces différents paramètres pour établir le lien entre statut familial et identité familiale. Cette dernière dimension est approchée par une question qui proposait aux enquêtés de se définir à partir de statuts liés à la famille en termes de position conjugale ou de position intergénérationnelle : fils/ fille ; mari/épouse ; père/mère, etc. (voir la liste figure 1)8. Liberté était aussi donnée aux enquêtés de s’affranchir de ces statuts pour se définir uniquement par rapport à une catégorie a-familiale : un homme, une femme tout simplement9.
14Le terme d’identité familiale est utilisé ici dans un sens précis et restrictif : il s’agit de la façon dont les individus s’auto-définissent dans un cadre bien spécifique, celui de statuts et de rôles familiaux qu’ils occupent à un moment précis de leur histoire personnelle. Cette autodéfinition, qui fluctue au cours des étapes de la vie, est à la fois le produit d’un « processus qui intègre les différentes expériences de l’individu tout au long de sa vie » (Camilleri, 1990, p. 22) et le résultat des relations personnelles entre les sexes et de leur évolution historique (Dubar, 2000). Aussi les individus sont-ils considérés dans un contexte social donné et à un moment précis de leur trajectoire biographique.
1. Se définir par sa position dans la famille
15De façon générale, les hommes comme les femmes déclarent en premier, davantage une identité par procuration, c’est-à-dire relative à autrui10 (70 % se réfèrent à un parent, enfant, conjoint ou ex-conjoint), qu’une identité sans ancrage familial « un homme, une femme tout simplement » (figure 2). Parmi les identités familiales statutaires, ce sont celles relatives à une filiation descendante (père/mère) qui sont les plus déclarées. Seule une minorité de personnes se dégage de sa position statutaire pour se définir, prioritairement, sur un mode plus individuel « un homme, une femme », les femmes un peu plus souvent que les hommes (respectivement 26,1 % et 23,2 %).
Figure 2. Se définir avant tout comme…

16Si les hommes se définissent presque aussi souvent que les femmes par rapport à autrui, cela ne renvoie pas à un même type d’identification. Les hommes ont une plus grande propension à se définir horizontalement par rapport à la figure du conjoint, renvoyant au « nous couple », tandis que les femmes se retrouvent davantage dans le « nous famille » avec des autodéfinitions relevant de relations intergénérationnelles (mère ou grand-mère). Les femmes sont moins attachées à leur statut conjugal que les hommes dans la façon de se présenter, mais revendiquent davantage leur statut de mère. L’identité familiale s’élabore donc pour une majorité d’individus autour de la figure parentale ou conjugale. Cela confirme que les individus se définissent plus par rapport à la famille qu’ils ont construite que par rapport à celle dont ils sont issus.
17Si l’on combine les deux réponses recueillies successivement à partir de cette même question11, le binôme père/mari – mère/épouse (12 % des réponses) ou sa symétrique mari/père – épouse/mère (11 % des réponses) prédominent, et réunissent près d’un quart des réponses. Se définir sans rattachement statutaire (un homme/une femme) vient en troisième et quatrième position, combiné avec père/mère (14 %). La première déclaration peut être considérée comme très significative puisqu’elle correspond à ce que l’individu veut mettre en avant de son « identité » ou à ce qu’il considère comme légitime d’afficher prioritairement12 ; mais la deuxième déclaration est également significative car elle permet à l’individu d’exprimer la pluralité de ses référents identitaires.
18Finalement, ces résultats rappellent que la triade individu (le « je » individuel), famille (le « nous » famille), couple (le « nous » couple) est en réalité plus souvent cumulative qu’exclusive (Kellerhals et al., 1984, p. 82-83).
2. Un homme, une femme tout simplement
19Tous les individus pouvaient potentiellement se définir comme un homme ou une femme, contrairement aux autres items qui dépendaient, eux, de l’existence de liens familiaux. Mais deux personnes sur trois n’y ont pas fait référence alors que cette catégorie d’identification pourrait être aujourd’hui considérée comme autorisée, légitime, voire typique de l’individualisme croissant et de l’affaiblissement des affiliations classiques, institutionnelles ou communautaires. Précisément, près d’un quart des personnes se sont définies comme étant avant tout un homme ou une femme et 15 % l’ont déclaré en second lieu après avoir cité un autre item. Au total près de 40 % des répondants ont choisi cette façon de se définir (38 % des hommes et 42 % des femmes), mettant ainsi en avant ce que nous appelons par la suite une « identité individuelle ». Très peu n’ont choisi que cet item, et la plupart l’ont donc associé à une identité familiale, principalement père/mère et plus rarement mari/épouse. Autonomie individuelle et appartenance familiale statutaire sont donc complémentaires dans ce cas.
20Les représentations identitaires qui s’expriment sont largement dépendantes des situations statutaires. Il est donc nécessaire de confronter les définitions de soi aux situations familiales objectives et saisir ce qui, dans la trajectoire de l’individu et dans sa position sociale, lui permet de prendre de la distance à l’égard de son statut familial objectif. Le but est d’identifier les propriétés des individus ayant déclaré une identité détachée des attributs familiaux et de comprendre les ressorts de ce positionnement. Compte tenu des processus relativement différents de la construction identitaire des hommes et des femmes, à la fois par les cadres de socialisation qui diffèrent (Lahire, 2001) et par les rôles et statuts assignés qui varient d’un sexe à l’autre, des différences importantes entre les sexes sont pressenties (figure 3).
21On peut d’ores et déjà faire l’hypothèse que cette identité individuelle suit plusieurs voies pour se construire : celle d’une identité assumée, voire revendiquée et celle d’une identité qui doit s’assumer, mais qui n’est pas choisie.
Figure 3. Se définir comme « un homme », « une femme », tout simplement selon quelques caractéristiques individuelles

Précisions sur les variables :
Sociabililité : personnes les plus fréquemment rencontrées au cours des 12 mois précédant l’enquête.
Loisirs : nombre de loisirs au cours des 12 mois précédant l’enquête.
Champ : Ensemble de la population (n = 8403).
Tous les écarts sont significatifs au seuil de 5 % (première et deuxième déclarations cumulées).
Lecture : Sur 100 hommes de 17-34 ans, 47 se sont définis comme étant un homme tout simplement.
Source : enquête Histoire de vie-Construction des identités, Insee, 2003.
22La première sera qualifiée d’« autonome » parce qu’elle renvoie à une liberté de choix et à une forme d’émancipation des assignations normatives, même si elle se cumule le plus souvent avec une identification statutaire ; la seconde est qualifiée d’identité « par défaut » parce qu’elle s’impose sans alternative.
a. Un effet d’âge et un effet de génération
23La façon de se définir dépend en grande partie de la position acquise des individus, de leur trajectoire sociale et de la multiplication des rôles sociaux à chaque étape de cette trajectoire. Aussi, cette présentation de soi ne fait-elle qu’évoluer tout au long du cycle de vie. Se définir par une identité individuelle varie donc avec l’âge et tend progressivement à diminuer au fur et à mesure que l’on vieillit, surtout pour les femmes (figure 3) : à 65 ans et plus, elles se sont définies à 29 % par cet item (en 1re ou 2e déclaration) contre 50 % pour les moins de 35 ans. C’est à la fois un effet d’âge et un effet de génération. Effet d’âge puisque la concurrence des identités statutaires potentielles (conjoint, divorcé, parent, grand-parent) augmente à mesure que les individus vieillissent et les conduit à une actualisation sans cesse renouvelée de ce qu’ils sont. Ainsi, peu à peu, une identification individuelle plus fréquente au cours de la jeunesse laisse place à une identité familiale davantage ancrée dans les relations aux autres et dans les statuts en découlant (conjoint, enfants principalement). À cet effet d’âge s’ajoutent probablement des effets de génération, en particulier pour les femmes nées dans les années d’avant-guerre. Celles-ci n’ont pas disposé des propriétés scolaire, professionnelle et d’un environnement social et culturel, propices à un détachement de leurs attributs statutaires familiaux. Effectivement, pour les femmes, ce sont des caractéristiques bien spécifiques qui conduisent à assumer plus fréquemment une identité autonome : un niveau de diplôme élevé (études supérieures), une ouverture vers l’extérieur de la sphère privée (sociabilité davantage tournée vers les relations non familiales – amis, collègues –, de nombreux loisirs, des engagements politiques, associatifs ou syndicaux), une absence de pratique et de croyance religieuse et une distance marquée par rapport à la famille comme sphère d’identification. S’ajoute le fait d’être en emploi, en particulier dans des emplois de cadre ou de catégorie intermédiaire13. Or, ces caractéristiques sont inégalement partagées entre les générations et sont bien mieux représentées parmi les générations féminines plus jeunes. Assumer une identité autonome, c’est-à-dire pouvoir choisir une catégorie pour se définir qui soit la seule à ne pas renvoyer à un statut familial nécessite d’avoir pris de la distance avec les rôles sociofamiliaux traditionnels, d’être entré dans un processus « d’individualisation » très poussé, d’être en rupture, surtout pour les femmes, avec l’ancien modèle socio-sexué du travail et de la famille. Ce processus n’est pas nouveau, mais il a connu un mouvement d’accélération brutal au cours des années 1960 (Kaufmann, 2001) qui n’a pas été pleinement intégré par les générations les plus anciennes.
24L’avancement en âge ancre toujours plus l’individu dans ses différents rôles au fur et à mesure qu’ils se multiplient – mais il peut jouer positivement pour les générations plus jeunes. Avec la pluralité des expériences aujourd’hui possibles, de nouvelles ressources personnelles se construisent, notamment pour les femmes, leur permettant de prendre une plus grande distance à l’égard de l’accumulation des rôles familiaux classiques (conjointe, mère, grand-mère).
b. Un effet de l’histoire conjugale et familiale
25Parce qu’elle assigne des rôles et des statuts spécifiques, la trajectoire conjugale et familiale conduit les individus à moduler la façon dont ils se définissent. De façon attendue, le déficit de rôles familiaux (sans conjoint, sans enfants, sans parents), découlant de la trajectoire familiale et conjugale, favorise une identité individuelle (figure 3), mais cette fois-ci « par défaut ». Démunis de statuts familiaux objectifs, les individus sont contraints de se définir par eux-mêmes (un homme, une femme). Toutefois, la trajectoire conjugale produit des effets complexes. Chacune de ses étapes conduit à une réactualisation de l’image de soi et un renouvellement des figures d’identification avec des moments de recomposition identitaires, liés par exemple à une rupture conjugale (de Singly, 2004). On repère ainsi des situations où l’intégration familiale est plus fragile, comme celle des femmes en situation de monoparentalité qui se définissent plus en tant que mère que comme individu. En revanche, une rupture conjugale suivie d’une nouvelle union rompt cette très forte identification aux enfants et donne aux femmes de plus grandes possibilités d’accès à l’élaboration d’une image d’elles-mêmes détachée des statuts familiaux.
26Par ailleurs, pour les femmes, le type d’union dans lequel elles sont engagées est également lié à la façon dont elles se définissent. Être en union libre conduit à une revendication plus fréquente d’une identité individuelle (50 %), qu’être mariée (34 %) et ce lien se maintient indépendamment de l’âge. Le détachement subjectif par rapport aux rôles familiaux se manifeste donc aussi par un détachement objectif qui se concrétise par un choix d’union moins formalisé.
c. Un effet de position sociale et professionnelle
27Le détachement à l’égard des référents familiaux est davantage le fait d’individus dotés culturellement, illustré ici par un niveau de diplôme supérieur : 26 % des femmes de niveau primaire choisissent l’item une femme pour se définir contre 57 % de celles ayant fait des études supérieures (figure 3). Au-delà du niveau de diplôme qui joue de la même façon pour les deux sexes, d’autres aspects de la position socioprofessionnelle agissent de façon opposée. La mise en avant d’une identité individuelle est plus fréquente chez les hommes au chômage ou inactifs à l’enquête alors que c’est davantage le cas pour les femmes en emploi, qui plus est quand elles sont cadres ou de profession intermédiaire. Ce résultat rappelle fortement celui mis en avant dans la première partie sur la question de la reconnaissance de la famille comme sphère d’identification, et souligne la cohérence entre les processus d’identification vis-à-vis de l’institution de la famille et des rôles familiaux.
28Cette plus forte identification individuelle des hommes sans emploi est en partie liée à leur situation familiale : les hommes au chômage ou sans activité sont significativement plus nombreux que les hommes en emploi à ne pas avoir constitué leur propre famille. À titre d’illustration, considérons la part d’individus âgés de 28 à 45 ans - âges auxquels se conjuguent la constitution de la famille et la participation au marché du travail - selon la situation au regard de l’emploi et de la famille (tableau 1). On constate, de façon évidente, que les hommes sans emploi sont deux fois plus souvent exclus de la vie conjugale et de la paternité que les autres, et qu’ils expérimentent aussi, deux fois plus souvent, une instabilité conjugale. Le chômage s’avère être pour les hommes un handicap à la conjugalité (Nezosi, 1999 ; Commaille, 1999) compte tenu du maintien de la spécialisation des tâches selon le sexe (hommes pourvoyeurs de ressources). On voit donc bien l’inégale répartition des référents identitaires possibles selon la position socioprofessionnelle.
29Par conséquent, pour ces hommes en marge de l’emploi et n’ayant pas construit de nouveaux liens familiaux au-delà de leur famille d’origine, le report sur les autres dimensions identitaires dans le champ familial telles que celles proposées dans le questionnaire est moins probable. De fait, une proportion modérée, mais significative se définit comme un homme tout simplement. Il ne s’agit ici ni d’une démarche intellectuelle d’affranchissement à l’égard des statuts familiaux ni de l’acceptation de l’injonction moderne à « être soi-même », mais bien d’une identité par défaut en raison d’un accès limité aux différents statuts sociofamiliaux.
Tableau 1. Personnes de 26 à 45 ans selon la situation d’emploi et la situation familiale

★ Inactivité : ne prend pas en compte les étudiants.
Champ : personnes âgées de 26 à 45 ans.
Source : enquête Histoire de vie-Construction des identités, Insee, 2003.
30Pour les femmes, la logique est différente. Les actives sont presque aussi souvent mères ou conjointes que les femmes sans emploi. Contrairement aux hommes, ce sont les femmes en emploi qui font le plus référence à une identité individuelle. Ce n’est pas lié à un déficit d’autres référents possibles, les actives étant presque aussi souvent mères ou conjointes que les femmes sans emploi. Ce qui signifie que c’est bien un choix raisonné. Le fait de travailler va constituer pour les femmes un atout pour se définir comme individu autonome dans la famille, en complément le plus souvent d’une identification au rôle de mère. Ce qui signifie que le fait de travailler va constituer pour une femme un atout pour se définir comme individu autonome dans la famille et non plus seulement par rapport à autrui, alors même que les autres référents familiaux (conjointe ou mère) sont tout autant probables que pour les femmes qui ne travaillent pas. Les femmes qui ont la possibilité d’accéder aux différents espaces du social n’arrivent plus à se définir par le seul statut de mère de famille (Daune-Richard, 2001) et cette aspiration est d’autant plus réalisable lorsqu’elles investissent effectivement l’un des espaces du social emblématiques en termes d’indépendance et de construction identitaire, celui du travail. Les femmes en emploi (et les étudiantes) se définissent moins par un statut familial parce que leur position socioprofessionnelle les conduit à une plus grande reconnaissance de leur individualité. Ces femmes sont valorisées par le travail en lui-même et par l’indépendance qu’il procure.
31Toutefois pour les femmes occupant les emplois les plus qualifiés, on retrouve une situation un peu analogue à celle des hommes sans emploi quant aux référents identitaires possibles (tableau 2). Elles sont plus souvent célibataires ou sans enfant (comme les hommes au chômage) et ont donc moins souvent de rôles familiaux pour concurrencer cette identité individuelle. Chez les 26-45 ans, âges où l’investissement familial est le plus conséquent, les femmes cadres et, dans une moindre mesure, de catégorie intermédiaire sont beaucoup plus souvent sans enfant que les femmes employées, ouvrières ou indépendantes ; les femmes cadres sont aussi plus souvent sans conjoint. La fréquente mise en avant d’une identité individuelle chez ces femmes est l’expression d’une identité autonome revendiquée (reconnaissance de soi grâce au travail) mais également d’une identité par défaut (absence de référents identitaires parmi les rôles familiaux), autrement dit, d’une combinaison de choix personnel et de circonstances.
Tableau 2. Femmes de 26 à 45 ans selon la catégorie socioprofessionnelle et la situation familiale
Cadre | Profession intermédiaire | Employée/ ouvrière/ indépendante | |
(n = 162) | (n = 328) | (n = 971) | |
N’a jamais eu d’union | 14,2 | 8,5 | 6,3 |
Dernière union rompue | 14,1 | 11,8 | 17,1 |
En union | 71,7 | 79,7 | 76,6 |
Total | 100 | 100 | 100 |
Sans enfant | 40,0 | 27,7 | 12,9 |
Au moins un enfant | 60,0 | 72,3 | 87,1 |
Total | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
Champ : femmes âgées de 26 à 45 ans.
Source : enquête Histoire de vie-Construction des identités, Insee, 2003.
32Comme on l’a noté plus haut, aux facteurs d’âge, de génération, d’histoire familiale et de position socioprofessionnelle, l’environnement culturel est aussi assez étroitement lié à la construction de l’identité individuelle : plus celui-ci est ouvert, plus la revendication d’une identité détachée des rôles familiaux est fréquente. À situation familiale comparable, une sociabilité tournée vers l’extérieur du pôle familial, de nombreux loisirs, une pratique d’engagement (associatif, syndical ou politique) et l’absence de pratique et surtout de croyance religieuse sont positivement associés à une définition de soi de type individuel. L’implication dans la chose publique et dans les activités extérieures à la famille peut conduire à une prise de distance à l’égard des statuts familiaux. De même que la détermination à ne pas être enfermé dans ces statuts, symboliquement et au quotidien, va stimuler cet élargissement des espaces de réalisation personnelle.
d. Des différences de genre marquées
33Les résultats qui précèdent mettent en évidence une structuration sexuée des identifications familiales et, plus particulièrement, des identifications dégagées des attributs statutaires. L’accès des femmes à de « bonnes » positions sociales et à des sphères d’activités variées et extérieures à l’univers domestique les porte bien plus souvent que les hommes vers une affirmation de soi partiellement indépendante de l’espace familial. L’accès à la sphère publique, à des niveaux de qualification et d’emploi élevés les conduisent vers une plus grande individualité subjective tout en étant, par ailleurs pour certaines, fortement investies dans des relations conjugales et familiales.
34Inversement, pour les hommes en situation précaire du point de vue du travail et de la famille, se définir par sa propre individualité correspond davantage à une identité par défaut liée à la faiblesse des liens familiaux, éventuellement combinée à un processus de désaffiliation. Cette identité de circonstance est alors l’expression d’une double non-reconnaissance : ni place assignée par le système (en l’occurrence, le système familial) ni place subjectivement ressentie dans le système par l’individu (Kastersztein, 1990).
35En résumé, le détachement subjectif à l’égard des rôles et statuts familiaux qui s’exprime par la mise en avant d’une identité autonome dans le cadre de la famille est fortement lié au niveau culturel et socioprofessionnel et à la pratique d’activités extra-domestiques. Ceci est particulièrement valable pour les femmes qui, par là, expriment une forme d’affirmation de soi identitaire échappant aux normes sociales de la famille. Les hommes sont un peu moins sensibles à ces facteurs ; l’assignation à des statuts familiaux recouvre pour eux une réalité tout autre, notamment parce qu’ils renvoient moins à des rôles sociaux subalternes et parce qu’ils sont vécus et perçus de l’extérieur comme complémentaires à d’autres statuts sociaux valorisés, en particulier dans l’espace professionnel et public. Afficher une identité indépendante des statuts familiaux recouvre donc des enjeux tout à fait différents pour les hommes et pour les femmes. Les femmes, sans renoncer complètement aux identifications statutaires, revendiquent une part d’autonomie et de reconnaissance hors des cadres sociaux de la famille. C’est une façon de s’émanciper des identités prescrites et des rapports sociaux qui les légitiment (Camelleri et al., 1990). Ce sont, en effet, elles qui ont eu « le plus à gagner à la remise en cause d’un modèle les confinant à l’univers domestique, ne leur laissant d’autres rôles que celui d’épouse, de mère et de « fée du logis »» (Bihr et Pfefferkorn, 2002, p. 109). Ce refus est autorisé et facilité par des ressources culturelles, sociales et matérielles qui permettent une remise en cause du système dominant et offrent un espace d’autonomisation. Toutefois, cette aspiration clairement énoncée ne se traduit pas toujours par une remise en question aussi considérable dans le champ des pratiques quotidiennes. Toutes les études montrent que l’ordre établi dans le domaine du partage des tâches parentales et domestiques résiste au changement.
Conclusion
36La famille est omniprésente dans l’existence de la grande majorité des individus, qu’il s’agisse de la famille d’origine et/ou de la famille conjugale. Pour interroger le rapport subjectif à la famille, et plus précisément la place que la famille occupe dans la construction des identités personnelles, nous avons pris le parti d’insister sur l’attitude la moins fréquente, celle qui consiste à ne pas s’identifier prioritairement à la famille. Se définir par sa propre individualité plutôt que par un statut familial n’est pas la position la plus partagée par la population et revêt deux formes. La première s’apparente à une revendication à être soi-même, à une forme d’affranchissement à l’égard des statuts familiaux même si ceux-ci sont par ailleurs exercés, voire le plus souvent assumés en complémentarité. Il nous a semblé important de mettre en évidence le fait que les attributs statutaires ne sont pas les seuls mobilisés pour se définir. Cette position qui concerne davantage les femmes, s’appuie sur des ressources sociales et culturelles : les études, un emploi qualifié, des relations et des activités sociales diversifiées. La seconde forme est une identité individuelle par défaut qui révèle une impossibilité de se retrouver dans les statuts sociofamiliaux les plus communs et les mieux valorisés, faute d’avoir soi-même construit sa propre famille. Il ne s’agit pas d’une revendication et d’une démarche visant à affirmer davantage son soi intime, mais plutôt d’une identité de circonstance en l’absence d’autres choix, compte tenu de la faiblesse des liens familiaux. Le fait de ne pas reconnaître la famille comme sphère d’identification renvoie aussi à ces deux positions, mais de façon plus atténuée. C’est, principalement, une faible intégration familiale (ne pas avoir de conjoint ni d’enfants) qui est associée un détachement vis-à-vis de la famille, mais les propriétés sociales ou culturelles peuvent renforcer ce sentiment. Inversement, dès lors que les individus ont un conjoint et des enfants, les statuts qui en découlent, en particulier celui de parent, deviennent très structurants dans la définition de soi. Autrement dit, les individus se définissent encore très largement par les appartenances statutaires relatives aux rôles sociofamiliaux et ceci en dépit, ou plutôt en synergie, avec la montée de l’individualisme familial.
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Notes de bas de page
1 Ce travail s’inscrit dans un programme de recherche « Les dimensions de l’identité » financé par la Drees/MiRe qui a donné lieu à un rapport (Samuel et al., 2006).
2 Voir le libellé de la question et des modalités dans le questionnaire figurant dans le cd-rom, p. 100.
3 Différents travaux ont déjà démontré l’effet de l’ordre des items sur les réponses données par les enquêtés. Dans un questionnaire administré oralement, l’item en fin de liste est davantage choisi ; en revanche, dans un questionnaire lu par l’enquêté, c’est l’item en tête de liste qui est privilégié (Grémy, 1993). Dans le cadre de l’enquête Histoire de vie, il s’agit d’une administration orale, mais s’appuyant sur des cartes présentées à l’enquêté lorsque les items sont nombreux, ce qui est le cas pour cette question.
4 La question n’est pas formulée de la même façon que dans l’enquête Histoire de vie et le nombre d’items à choisir n’est pas limité. À la question posée : « Pour chacune des choses suivantes, pouvez-vous me dire dans quelle mesure elle est importante dans votre vie ? », 99 % des répondants citent la santé, 98 % la famille (la moyenne européenne étant à 97 %), 95 % les amis, 92 % le travail, etc. (Eurobaromètre, 2007).
5 Voir à ce sujet le chapitre de Garner et al.
6 Réponse à la question : Actuellement, diriez-vous que dans votre vie en général, votre travail ? 1) Est plus important que tout le reste ; 2) Est très important mais autant que d’autres choses ; 3) Est assez important mais moins que d’autres choses ; 4) N’a que peu d’importance. Pour plus de détails, voir l’article de Garner et al.
7 Il s’agit d’une régression logistique, non présentée dans l’article pour alléger la présentation d’ensemble. Un modèle estimant la probabilité de ne pas déclarer la famille comme sphère d’identification a été construit pour chacun des sexes. Les variables indépendantes prises en compte sont les suivantes : âge, niveau d’études, situation par rapport à l’emploi, catégorie socioprofessionnelle, parents présents pendant l’enfance, nombre d’enfants, histoire matrimoniale.
8 Les différents items n’étaient proposés qu’aux personnes concernées, par exemple, l’item mari/ épouse n’était suggéré qu’aux personnes mariées. Néanmoins, on peut tout à fait admettre qu’une définition de soi puisse correspondre à une projection subjective, sans pour autant s’ancrer dans un statut objectif (voir sur cette question Mazuy et Lelièvre, 2005, p. 577). Par exemple, une personne en couple, non mariée, peut aspirer à être considérée comme l’épouse/le mari de, malgré l’absence de lien légal, et se définir comme telle. De même, une personne qui n’a pas eu d’enfant (biologique ou adopté) peut se définir comme parent si elle a élevé un enfant pendant plusieurs années (bel-enfant, nièce, neveu, etc.). Par conséquent, cette question et les réponses proposées permettent d’aboutir à des résultats très intéressants, mais imposent une vision partielle de l’« identité » familiale et conjugale puisqu’elle ne permet pas l’énonciation de représentations de soi distinctes de situations familiales objectives.
9 Les enquêtés avaient la possibilité de choisir successivement deux items. Voir la question et ses modalités dans le questionnaire qui figure dans le cd-rom, p. 20.
10 Le terme « autrui » renvoie aussi bien à un autrui singulier (« je me définis père/mère par rapport à mes propres enfants ») qu’à un autrui symbolique (« je me définis père/mère parce je me reconnais dans ce rôle social »). Ce n’est pas le même processus d’identification, mais les données ne permettent pas d’approfondir cette distinction.
11 « Aujourd’hui, vous diriez que vous êtes avant tout…? » ; « Et ensuite, que diriez-vous que vous êtes ? ».
12 En outre, l’enquêté ne savait pas qu’il aurait la possibilité de choisir un deuxième item pour se définir (Crenner, 2006).
13 L’ensemble de ces résultats est confirmé toutes choses par ailleurs. Un modèle (régression logistique) estimant la probabilité de se définir « une femme » ou « un homme » a été construit pour chacun des sexes. Les variables indépendantes prises en compte sont les suivantes : âge, niveau d’études atteint, situation par rapport à l’emploi, catégorie socioprofessionnelle, importance perçue du travail, nombre d’enfants, histoire matrimoniale, type de sociabilité (tournée vers la famille, les amis ou les collègues), l’engagement (syndical, politique, associatif) et le nombre de loisirs.
Auteur
Est démographe, maître de conférences à l’université de Versailles-Saint Quentin-en-Yvelines et membre du laboratoire Printemps (CNRS/UVSQ). Ses travaux concernent principalement le domaine de la sociodémographie de la famille.
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