Introduction
p. 55-57
Texte intégral
1Beaucoup d’études examinent le concept de « droits fondamentaux au travail » sans s’attarder sur le sens à donner aux quatre droits fondamentaux au travail. Or, il est également important de s’interroger sur le contenu exact de l’expression car, à force d’en discuter – surtout, mais pas exclusivement, hors du contexte juridique et hors du contexte de l’OIT –, son contenu peut commencer à se vider de sens, ou devenir à tout le moins flou ou variable. Il est donc préférable de ne pas perdre de vue les conventions sur lesquelles doivent se fonder les droits fondamentaux au travail. Bien que ces conventions aient un contenu précis, certains droits fondamentaux de prime abord clairs peuvent faire l’objet d’interprétations variées. Si l’on veut mettre en évidence un petit nombre de principes et de droits fondamentaux pour en assurer l’application, il paraît essentiel de savoir de quoi l’on traite.
2Cette analyse débutera par l’examen des conventions considérées par l’OIT comme fondamentales, et cela avant même l’adoption de la Déclaration de 1998. Ces conventions sont les conventions traitant des droits fondamentaux les plus complètes et les plus ratifiées. Les obligations des Etats ayant ratifié les conventions fondamentales découlent clairement de ces conventions – ils ne peuvent pas être tenus à moins en vertu de la Déclaration de 1998. La Déclaration vise donc à encourager ces Etats à les mettre en œuvre si cela n’est pas déjà fait. Les « droits fondamentaux au travail » pour ces Etats sont équivalents aux conventions s’y rapportant. Par ailleurs, les obligations découlant de ces dernières concernent un nombre important d’Etats : 127 Etats ont ratifié toutes les conventions fondamentales, 173 Etats ont ratifié la C29, 170 Etats ont ratifié la C105, 166 Etats ont ratifié la C100, 167 Etats ont ratifié la C111, 159 Etats ont ratifié la C98, 178 Etats ont ratifié la C182, 148 Etats ont ratifié la C87 et 149 Etats ont ratifié la C138 (état : septembre 2008).
3Il convient de souligner ici que les instruments adoptés dans le cadre de l’OIT se distinguent des instruments provenant d’autres cadres pour plusieurs raisons. L’une d’elles est le cadre institutionnel de cette adoption – il rappelle à certains une assemblée parlementaire1 – mais la plus évidente provient du caractère tripartite de l’OIT. Ce dernier procure d’office une certaine force particulière aux instruments puisque des représentants de gouvernements, d’employeurs et de travailleurs sont impliqués dans chacune des nombreuses étapes concernant l’élaboration de ces instruments : le choix des sujets traités, la forme et le contenu des textes, leur adoption. Ainsi, la présence des employeurs et des travailleurs fait en quelque sorte échec à tout argument de relativité culturelle fréquent en relation avec les droits de la personne en général. Certaines étapes normalement nécessaires à l’adoption de conventions, telle la signature de chaque représentant des Etats participants, sont absentes dans le cadre de l’OIT justement à cause de sa structure tripartite2. Les conventions de l’OIT ont en outre la particularité de ne pouvoir faire l’objet de réserves, ou de réserves non expressément prévues par la convention. En effet, chaque délégué possède un droit de vote, et des réserves qui altèrent le contenu des conventions ne peuvent donc pas accompagner la ratification par les Etats car ceux-ci ne sont pas les seuls à avoir participé à l’adoption des conventions et à détenir un intérêt dans celles-ci3. Cela ajoute clairement à la force juridique des instruments de l’OIT.
4Par ailleurs, la spécificité des instruments de l’OIT se retrouve également dans les obligations non habituelles qu’entraîne leur adoption4. Ainsi, selon l’article 19 de la Constitution, dans un délai d’un an – ou au plus dix-huit mois – après l’adoption d’un instrument, tous les Etats membres, même ceux qui se sont opposés à l’adoption de ce dernier, doivent le soumettre aux autorités compétentes afin que celles-ci le transforment en loi ou prennent d’autres mesures. Tout Membre doit de plus communiquer directement au Directeur général de l’OIT les mesures prises afin de soumettre l’instrument aux autorités compétentes. Les Etats ayant ratifié une convention ont l’obligation de « prendre telles mesures qui seront nécessaires pour rendre effectives les dispositions de ladite convention ». Cette obligation générale s’ajoute aux obligations particulières contenues dans chaque convention. Il est clair que la règle pacta sunt servanda est fondamentale en droit international, mais il est néanmoins utile qu’elle soit affirmée dans la Constitution de l’OIT – un cas récent devant le Comité de la liberté syndicale donne un exemple de son utilité : le pays en question contestait l’obligation de mettre en œuvre dans son ordre juridique interne les dispositions d’une convention ratifiée sous prétexte que cette dernière n’était pas directement applicable dans son ordre constitutionnel5. Si la convention n’est pas ratifiée, le Membre n’aura aucune autre obligation si ce n’est, et cela n’est pas peu, de faire rapport sur l’état de sa législation et sur sa pratique, en donnant des précisions sur les mesures prises afin de s’y conformer et en exposant les difficultés empêchant ou retardant la ratification.
5L’OIT n’est pas la seule intéressée aux droits dits « fondamentaux au travail » et n’est pas la seule organisation à superviser leur mise en œuvre6. Il est donc également nécessaire de se pencher sur les autres instruments concernant les droits fondamentaux – conventions et résolutions ou recommandations –, tant à l’intérieur de l’OIT qu’à l’extérieur, car certains de ces instruments complètent ces droits7. Les prochains chapitres traiteront successivement du contenu conventionnel de chaque droit fondamental, considérant la question d’un point de vue tant interne qu’externe à l’OIT.
Notes de bas de page
1 JENKS, C. W., « Some Characteristics of International Labour Conventions », The Canadian Bar Review, vol. 13, nº 7, 1935, p. 453; VALTICOS et VON POTOBSKY, 1995, p. 50.
2 Voir à ce sujet JENKS, 1935, pp. 450-451. L’authentification du texte se fait par la signature du Président de la CIT et par celle du Directeur général de l’OIT, conformément à l’article 19, paragraphe 4, de la Constitution de l’OIT.
3 Voir BIT, « Mémorandum du Bureau international du Travail sur la pratique des réserves en matière de conventions multilatérales », Bulletin officiel, vol. 34, nº 3, 1951, pp. 275-315. Cela a été établi par l’OIT et communiqué aux Membres dès 1920 (ibid., p. 284). Voir aussi OSIEKE, 1985, pp. 154-156 ; VALTICOS et VON POTOBSKY, 1995, pp. 50 et 272 ; et RAIMONDI, G., « Réserves et conventions internationales du travail », dans J.-C. Javillier, B. Gernigon et G. P. Politakis (éds.), Les normes internationales du travail : un patrimoine pour l’avenir – Mélanges en l’honneur de Nicolas Valticos, Genève : BIT, 2004, pp. 531-533. Ce dernier argumente toutefois que certaines clauses de souplesse contenues dans les conventions peuvent être équivalentes à des réserves (ibid., pp. 535-537).
4 Ces caractéristiques ont donné lieu à des débats théoriques concernant la nature particulière du caractère conventionnel des conventions adoptées par l’OIT. Pour un bref résumé, voir BARTOLOMEI DE LA CRUZ, VON POTOBSKY et SWEPSTON, 1996, pp. 21-24 ; SCELLE, 1930, pp. 181-185 ; VALTICOS, 1983, pp. 130-131 ; VALTICOS et VON POTOBSKY, 1995, p. 51. Comme Valticos le souligne, « les instruments internationaux dans le domaine des droits de l’homme ne sont pas des traités synallagmatiques pour lesquels l’équilibre des prestations réciproques des Etats qui y sont parties constitue un élément essentiel ; ils expriment l’engagement des Etats, en tant que membres de la communauté internationale, à agir en commun pour l’amélioration de la condition humaine » (VALTICOS, N., « Universalité des droits de l’homme et diversité des conditions nationales », dans Institut international des droits de l’homme (éd.), René Cassin : amicorum discipulorumque liber : problèmes de protection internationale des droits de l’homme, vol. 1, Paris : Pédone, 1969, p. 393).
5 BIT, 343e rapport du Comité de la liberté syndicale, Conseil d’administration, 297e session, Genève, novembre 2006, GB.297/10, § 1134, cas de la Suisse.
6 La situation de ces droits de la personne est examinée et surveillée par le Conseil des droits de l’homme. Les droits inclus dans les deux Pactes de 1966 font l’objet de mécanismes de surveillance de la part du Comité des droits économiques, sociaux et culturels et du Comité des droits de l’homme. Ceux inclus dans la Convention relative aux droits de l’enfant, par exemple, font l’objet d’un suivi de la part du Comité des droits de l’enfant.
7 « The seven ILO conventions do not in themselves provide a unique and comprehensive set of definitions for the selected core standards » (HEPPLE, B., « A Race to the Top: International Investment Guidelines and Corporate Codes of Conduct », Comp. Lab. L. ξ Pol’y J., vol. 20, nº 3, 1999, p. 359). Voir aussi MAH, J. S., « Core Labour Standards and Export Performance in Developing Countries », The World Economy, vol. 20, nº 6, 1997, p. 775, et OCDE, 1996, p. 11.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Cinq types de paix
Une histoire des plans de pacification perpétuelle (XVIIe-XXe siècles)
Bruno Arcidiacono
2011
Les droits fondamentaux au travail
Origines, statut et impact en droit international
Claire La Hovary
2009