7.3. Les élections de 2019 et leurs lendemains : la démocratie indonésienne en sursis ?
Texte intégral
Une réélection plus facile dans un climat de polarisation politique exacerbée
1Pour la première fois dans l’histoire du pays, les élections présidentielles et législatives ont lieu simultanément le 17 avril 2019, En plus de devoir choisir le président et son colistier, les électeurs doivent donc aussi élire les 575 représentants du DPR et les 136 membres du DPD1, qui formeront ensemble le MPR, ainsi qu’un certain nombre de gouverneurs, de maires et de chefs de districts dans le cadre des élections locales partielles, également ajoutées au scrutin. Tout cela rend les choses très complexes car ce n’est parfois pas moins de cinq bulletins que chaque électeur doit glisser dans les urnes ! Plus que jamais, il s’agit donc là de « la plus grande journée électorale du monde », avec près de 193 millions d’électeurs inscrits, 254 000 candidats en lice, 800 000 bureaux de vote, 600 millions de bulletins et 7 millions de volontaires pour veiller au bon déroulement du scrutin et à son dépouillement. Leur travail est très contraignant, certains se sont éreinté jusqu’à 20 heures par jour non-stop pendant deux semaines d’affilée sous une température moyenne de plus de 30 degrés ! Plusieurs milliers de ces volontaires majoritairement âgés de 50 à 70 ans, font des malaises pour épuisement ! Chose à peine croyable, près de 600 décèdent même entre le 17 avril et le 12 mai, soit d’une crise cardiaque ou d’un AVC, soit en raison de la maladie chronique dont ils souffraient et qui s’est aggravée du fait de ces conditions de travail extrêmes. La KPU décidera d’ailleurs de lancer une enquête sur ces héroïques volontaires « morts pour la démocratie », au terme de laquelle il est décidé que l’on reviendra lors des prochaines élections de 2024 à la pratique antérieure consistant à séparer les scrutins présidentiel, législatif et régionaux2.
2Pour ce qui est du scrutin présidentiel, les premières estimations à la sortie des urnes montrent que Jokowi l’emporte comme prévu assez nettement sur Prabowo, par quelque 55,5% contre 44,5%. Cette marge de plus de dix points est toutefois inférieure à ce que le président sortant espérait pour égaler, voire battre, le score record de plus de 60% atteint par SBY lors de sa réélection en 2009 contre le ticket Megawati-Prabowo. De l’avis général des observateurs, les élections se sont déroulées de manière satisfaisante, sans violence ni irrégularités notoires. Après un mois de recomptage et de vérification, ces chiffres seront finalement confirmés par la KPU le 21 mai. Sur les 193 millions d’électeurs inscrits, un peu plus de 158 millions ont voté, soit un taux de participation record de presque 82%, et l’on ne compte que 3,75 millions de votes blancs ou nuls, moins de 2,4%. Dès l’annonce de ces résultats, les partisans de Prabowo, mobilisés par les réseaux islamistes, crient à la fraude et au trucage, organisant des manifestations violentes le 22 mai devant le siège de la KPU. Ces protestations dégénèrent et font six morts par balle ou arme blanche, dont la police dénie la responsabilité en la rejetant sur des éléments provocateurs parmi les manifestants. Sans surprise, fidèle à sa posture désormais bien connue, le mauvais perdant continue à contester le résultat, déclarant qu’il est le vainqueur et a obtenu 62% des voix ! Il demande néanmoins à ses troupes de garder le calme en annonçant que, comme en 2014, il conteste le résultat devant la Cour constitutionnelle. Cette dernière rejette finalement ce recours le 27 juin, avalisant le résultat et proclamant officiellement la réélection de Jokowi.
3Une analyse plus approfondie des résultats fait apparaître un clivage très net au sein du pays autour de la religion et de l’ethnicité. Elle montre même une polarisation croissante et inquiétante entre les provinces et les districts où dominent les forces politiques globalement favorables à l’esprit de la Reformasi et à un rôle limité du religieux dans les affaires de la république et celles où priment ceux qui remettent en cause les acquis de la démocratisation et souhaitent revenir en arrière, voire l’avènement d’un système où l’islam jouerait un rôle prééminent.
4De son côté, Jokowi l’a emporté dans 21 des 34 provinces, mais il a fait ses meilleurs scores dans les plus densément peuplées de Java, où la population de culture javanaise est dominante, comme à Java Central (77,3%), Jogjakarta (69%) et Java Est (65,8%), grâce à son alliance avec le NU dont c’est le fief3, ou dans celles qui sont acquises à d’autres religions que l’islam, comme Bali (91,7% !), la Papua, (90,6% !), NTT (88,6%), la Papua Ouest (79,8%), Sulawesi Nord (77,2%) et les Maluku (60,4%). Il arrive toutefois aussi en tête, mais moins nettement, dans quatre des dix provinces de Sumatra : Bangka et Belitung (63,2%), largement sino-chrétienne et qui n’a pas digéré le sort réservé en 2017 au fils du pays Ahok, Lampung (59,3%), où la population immigrée de Java est majoritaire, les Îles Riau (54,2%) et Sumatra Nord (52,3%), où l’alliance entre les Batak chrétiens et les Javanais immigrés gagne de justesse. C’est aussi le cas dans quatre des cinq provinces de Kalimantan et dans quatre des six de Sulawesi. Quant à la capitale Jakarta, dont il a pourtant été le gouverneur apprécié de 2012 à 2014, elle ne tombe dans son escarcelle, comme en 2014, que de justesse (51,7%), démontrant toute l’acuité du clivage ethno-religieux. En revanche, il gagne sans surprise largement les suffrages des Indonésiens de l’étranger (73,3%).
5À l’opposé, Prabowo, qui a remporté les 13 autres provinces, obtient ses meilleurs résultats dans les plus farouchement islamiques comme Sumatra Ouest (85,9%), Aceh (85,6%), NTB (67,9%), Banten (61,5%) et Java Ouest (59,9%). C’est cependant à Sumatra qu’il triomphe, gagnant six des dix provinces, dont Riau (61,3%), - celle de son colistier Sandiaga Uno, - toutes majoritairement dominées par un islam conservateur, contre seulement une seule à Kalimantan et deux à Sulawesi. C’est notamment le cas de Sulawesi Sud (57%), le fief de Jusuf Kalla, le vice-président sortant (empêché de se représenter, et dont les électeurs se retournent contre Jokowi). Il l’emporte aussi aux Maluku Nord, où une guerre religieuse a eu lieu avec les chrétiens au tournant du siècle.
6La polarisation évoquée plus haut tient au fait que Jokowi comme Prabowo gagnent dans presque toutes les provinces qu’ils remportent avec un écart de voix encore plus grand en 2019 qu’en 20144. Le phénomène est particulièrement frappant dans les deux cas opposés et extrêmes de Aceh et de Bali. Ainsi, entre les deux scrutins, Jokowi a progressé de plus de 20% à Bali, de 71,4% à 91,7%, alors que Prabowo fait quant à lui un bond de plus de 30% à Aceh, de 54,9% à 85,6% ! Il en va de même dans de nombreuses autres régions, autant pour Prabowo, comme à Sumatra Ouest (76,9% en 2014 et 85,9% en 2019) ou à Kalimantan Sud (50% en 2014 et 64,1% en 2019), que pour Jokowi, comme à NTT (65,9% en 2014 et 88,6% en 2019) ou à Sulawesi Nord (53,8% en 2014 et 77,2 en 2019). Bref, en dépit de quelques rares contre-exemples qui ne suivent pas cette tendance à la polarisation, le fossé semble se creuser en Indonésie entre les musulmans des diverses ethnies non-javanaises de l’archipel et les Javanais, alliés aux fidèles de toutes les autres religions. Cela ne présage hélas rien de bon.
7Au niveau des élections législatives, seuls 9 des 16 partis en lice obtiennent finalement plus de 3% des voix, le pourcentage requis pour obtenir des sièges parmi les 575 en lice. Sur les presque 187,8 millions d’électeurs inscrits, 157,5 millions ont voté et 30 ont boudé les urnes, soit un taux de participation de 83% et une abstention de 17% ; 140 millions ont exprimé un choix, soit 75% des inscrits et 89% des votants, contre 17 millions qui ont choisi de voter blanc ou nul, soit 9% des inscrits et près de 11% des votants. Cela démontre une nouvelle fois de manière éclatante la vivacité de la démocratie électorale indonésienne.
8C’est logiquement le PDI-P de Megawati qui sort nettement en tête, avec 19,3% des voix. Mais le résultat est décevant car c’est moins d’un demi-point de plus que celui enregistré en 2014, alors que les derniers sondages montraient que l’effet Jokowi pouvait lui permettre de se rapprocher des 25%. Compte de la proportionnelle en vigueur, il obtient cependant 128 sièges, 19 de plus que dans la précédente législature5. En deuxième position, le GERINDRA supplante le GOLKAR d’une courte tête en se voyant attribuer 12,6% des voix, un gain minime de 0,75%, et 78 sièges, 5 de plus que précédemment, mais c’est aussi une déception car il espérait mieux. Logiquement, les deux partis font leur meilleur score dans les mêmes îles, provinces, villes et districts que leur candidat respectif à la présidence. Le GOLKAR arrive seulement troisième avec 12,3% des voix, un recul de presque 2,5% et une perte de 6 sièges par rapport à 2014, mais il en récupère néanmoins 85, sept de plus que le GERINDRA, du fait d’une implantation plus large dans les îles extérieures. Cela n’efface pas le fait qu’il est en nette perte de vitesse. Tiré, comme il l’escomptait, par la candidature d’un membre éminent du NU à la vice-présidence, le PKB arrive quatrième avec 9,7% des voix, soit seulement 0,65% de mieux qu’en 2014, mais il récolte 58 sièges, 11 de plus qu’auparavant. C’est indéniablement un succès appréciable dont il se félicite. Il est talonné en cinquième position par le NASDEM, le principal grand gagnant de la consultation avec plus de 9% des voix, 2,3% de plus qu’en 2014, mais surtout un bond de 23 sièges supplémentaires au parlement. La stratégie de son mentor oligarque et empereur de la presse Surya Paloh a été payante et lui permet d’avoir de grandes ambitions pour l’avenir. Arrivé en sixième place, le PKS est le parti qui fait une des meilleures affaires du scrutin : avec 8,2% des suffrages, soit seulement 1,4% de plus qu’en 2014, il obtient 50 sièges, un gain d’une dizaine. Son radicalisme et son alliance avec Prabowo lui ont été fort bénéfique. En revanche le PD de SBY, arrivé septième, continue sa descente aux enfers entamée en 2014 et ressort comme l‘un des deux grands perdants de ces élections, n’obtenant que 7,8% des voix et 54 sièges, une baisse de respectivement 2,4% et de 7 unités. Sa position ambigüe pendant la législature écoulée et son incapacité à se doter d’un leader crédible lui ont coûté cher. Le PAN quant à lui arrive huitième et régresse aussi, un peu pour les mêmes raisons, mais perd moins de plumes avec 6,8% des voix et 44 sièges, un recul de 0,75% et une perte de 4 députés. Enfin, arrivé bon dernier des neuf partis qualifiés, le PPP est le plus grand perdant du scrutin avec seulement 4,5% des voix et 19 sièges, un recul de plus de 2% mais surtout une perte de 20 sièges. Écartelé entre un PKB plus modéré, qui a le vent en poupe, et un parti plus conservateur comme le PKS, il a frôlé la disqualification et aura du mal à s’en remettre.
9Parmi les sept autres partis qui ont obtenu moins de 3% des voix et n’ont aucun siège, il faut noter la présence du HANURA du général Wiranto qui ne recueille que 1,5% des suffrages, 3,7% de moins qu’en 2014, perd l’intégralité de ses 16 sièges et disparait du paysage politique. Malgré la polarisation ethno-religieuse qui ressort du scrutin, les quatre partis islamiques pris ensemble n’obtiennent donc comme d’habitude même pas 30% des voix, n’arrivant décidément pas à réunir dans les urnes la majorité sociologique qui est la leur dans le pays. Les partis républicains nationalistes et séculaires de différentes tendances, malgré leurs fortes divisions et leurs alliances parfois douteuses, restent majoritaires à 70% dans l’archipel. Mais l’Indonésie ressort bien plus clivée que jamais de ces élections sur le plan géographique et ethnique. Certains politologues y voient même un retour à la situation qui était sorti des urnes lors des premières élections législatives de 1955 et avaient débouché, peu de temps après, sur les rébellions régionales du PERMESTA/PRRI en 1957/58 à Sumatra et Sulawesi.
Régression démocratique accrue : émeutes en Papua et jeunesse en colère à Jakarta
10Malgré tout, le second mandat de Jokowi s’annonce sous d’assez bons auspices. La coalition très large qu’il a formée en 2018 pour soutenir sa candidature à la présidence était composée du PDI-P, du GOLKAR, du PKB, du PPP et du HANURA et réunissait 338 des 560 députés du DPR, soit un peu plus de 60%. Au terme de ces élections, avec les avancées et les reculades des uns et des autres et malgré l’effondrement du PPP et la disparition du HANURA, elle reste exactement au même niveau de 60%, réunissant 349 des 575 députés du nouveau parlement qui entre en fonction le 1er octobre. Jusque-là, le DPR sortant achève son mandat en continuant son travail parlementaire et profite de cette période de transition pour adopter, à la hâte, un certain nombre de lois qui constituent un pas de plus dans le sens de la régression démocratique entamée dès la fin second mandat de SBY et poursuivie lors du premier de Jokowi.
11Le changement législatif le plus grave concerne la KPK. Cette institution, créée en 2002, a fait un très bon travail pour essayer de réduire la corruption colossale qui gangrène le pays. Elle a en effet révélé et instruit au fil des ans des centaines de cas de responsables politiques de tous les partis et de tous les niveaux de l’échelle administrative du pays, du gouvernement central aux instances locales en passant par les parlements national et régionaux. Son action a débouché sur l’arrestation et la condamnation de nombreux politiciens. Elle attire donc le respect des Indonésiens et est saluée à l’échelle internationale6. Mais en contrepartie, elle s’est fait de nombreux ennemis qui souhaitent sa mort. Le DPR, qui a la réputation non usurpée d’être l’une des institutions les plus corrompues du pays, est en première ligne dans cette offensive. Plusieurs tentatives ont déjà émané de ses rangs depuis des années pour essayer de réduire son pouvoir. En septembre 2019, menée par le PDI-P de Megawati, la coalition qui soutient la présidence fait adopter en quelques jours des mesures qui risquent de gravement affaiblir la KPK et de porter atteinte à sa crédibilité future. La première est de nommer à sa tête un officier de police, le général Firli Bahuri, inspecteur général de la police de Sumatra Sud, en dépit du fait qu’il est soupçonné d’avoir commis de « graves violations éthiques » quand il était précisément chargé de faire appliquer les décisions de la commission dans sa juridiction. La seconde est d’adopter une nouvelle loi sur l’organisation de la KPK, jusque-là indépendante, en l’intégrant dans l’administration et en la plaçant sous la tutelle d’un Conseil de supervision qui décidera de lui octroyer ou non le droit de réunir les preuves à conviction et de les utiliser dans les cas en cours d’instruction. Alors que la lutte contre la corruption constituait à nouveau l’un des thèmes majeurs de sa campagne, Jokowi laisse étrangement faire, au nom du respect de la division des pouvoirs. Mais c’est aussi parce qu’il considère, en son for intérieur, et laisse même explicitement entendre à l’occasion, que trop de zèle dans ce domaine est néfaste pour le succès de ses ambitieux projets de développement, qui restent sa priorité première. Cela soulève une large et forte indignation au sein de l’opinion publique.
12Le second risque majeur d’atteinte aux libertés individuelles et démocratiques est lié au projet de révision du Code pénal, qui date de l’époque coloniale, a été repoussé maintes fois depuis l’indépendance et nécessite objectivement une refonte. Mais, sous la pression des partis islamiques, il est notamment prévu de durcir les lois sur les questions de morale sexuelle, envisageant même des peines de prison pour les relations hors mariage et entre les personnes du même sexe. La jeunesse estudiantine, la communauté LGBT et les défenseurs des droits de l’homme et des libertés individuelles sont évidemment « vent debout » contre cette menace de régression démocratique qui comporte une intrusion massive dans la vie personnelle des gens.
13C’est aussi pendant cette période de transition que le conflit latent qui couve depuis toujours en Papua débouche sur une nouvelle flambée de violence fin septembre 2019. En fait, après une longue période assez calme, la situation avait recommencé à se dégrader en août 2018, suite à une attaque de séparatistes papous qui avaient fait quatre victimes parmi les ouvriers immigrés travaillant sur le chantier de la route « transpapuane » dans le district du Puncak Raya. Elle s’était ensuite fortement aggravée en décembre quand un groupe de guérilleros, appartenant au Mouvement uni de libération de la Papouasie occidentale (ULMWP ou United Liberation Movement of West Papua), la nouvelle organisation crée en 2014 au Vanuatu pour réunir diverses factions ayant participé à la vieille aventure indépendantiste de l’OPM, avait enlevé et massacré une équipe de seize autres ouvriers immigrés travaillant sur le même chantier, dans le district central de Nguda. Pour Jakarta, la relance de ces « actions terroristes » incombe à Benny Wenda, le nouveau chef du ULMWP depuis 2017, en exil à Londres, qui a choisi une stratégie de confrontation. En fait, les indépendantistes papous sont opposés depuis le début à cet énorme projet de route reliant les deux provinces et traversant l’île dans toute sa longueur. D’une part, il va désenclaver de nombreuses régions restées isolées et y attirer des masses de nouveaux migrants venus de Java, de Sulawesi et des Maluku, qui occupent déjà largement les villes ainsi que de nombreuses enclaves rurales et constituent déjà plus de 40% de la population. De l’autre, il va entraîner une accélération de la déforestation et des activités minières, au détriment d’un milieu naturel déjà bien mis à mal.
14Depuis cette recrudescence de violence, l’armée et la police, toutes puissantes sur place, ont redoublé leur politique répressive à l’égard de la population locale7. Toutefois, l’origine de cette nouvelle et subite effervescence est à chercher dans les manifestations organisées par une poignée d’étudiants activistes papous à Surabaya le 17 août, à l’occasion de la fête de l’indépendance nationale indonésienne, pour revendiquer l’organisation d’un référendum d’autodétermination permettant à la population autochtone de se prononcer sur son sort. Lors de l’intervention de la police pour y mettre fin et procéder à leur arrestation, il semble qu’ils aient été malmenés et que des insultes racistes les traitant de « chiens » et de « singes » aient été proférées par les membres des forces de l’ordre. Des manifestations sont alors organisées contre le racisme dans différentes villes en Papua, notamment à Sorong et Fak Fak. Elles font une dizaine de victimes de part et d’autre dans la seconde moitié du mois d’août. Après une accalmie, ces protestations reprennent de plus belle fin septembre, notamment à Jayapura et Manokwari, les deux capitales régionales, où des magasins sont pillés puis incendiés et plusieurs personnes tuées ou blessées. Puis, la situation empire. à Wamena, la principale ville des hautes terres centrales, des émeutes sont déclenchées par une nouvelle insulte raciste (apparemment proférée par un instituteur envers l’un de ses élèves), dégénèrent et font plus de trente victimes. La plupart de ces morts ne sont pas des Papous mais des personnes immigrées de Java et Sulawesi, brulées vives dans leurs magasins auxquels les manifestants ont bouté le feu. Cela entraîne d’ailleurs une panique et l’évacuation de plusieurs milliers d’entre eux, qui se réfugient à Jayapura ou retournent dans leur région d’origine. Face à ces événements, Jokowi se contente à nouveau de condamner le racisme et fait un appel au calme, puis il dépêche sur place les généraux Tito Karniavan, chef de la POLRI, et Hadi Thahjanto, chef d’état-major la TNI. Ces hauts gradés reprennent les choses en mains et font taire la contestation, en ayant recours à la force et en faisant quelques victimes de plus. Le président, qui est déjà allé six fois en Papua depuis son élection en 2014, plus que tous ses prédécesseurs réunis, ne veut surtout pas que la situation porte atteinte aux grands projets d’amélioration des infrastructures qu’il a lancé et dont il espère, fidèle à son credo politique général, qu’elles permettront enfin un véritable développement et une amélioration du niveau de vie de la population locale.
15Les propos présidentiels et l’intervention des militaires déclenche la colère des étudiants, qui lancent fin septembre de grandes manifestations à Jakarta et dans plusieurs autres villes de l’archipel. Ils y demandent, à la fois, la révocation de la nouvelle loi sur la KPK, le retrait de la réforme du code pénal liberticide et la fin de la répression en Papua, ainsi que le droit à l’autodétermination pour sa population. Ils s’insurgent contre ce qu’ils dénoncent comme une régression démocratique, un illibéralisme croissant du gouvernement et des élites politiques, un tournant national-populiste cédant aux sirènes de l’islamisme le plus conservateur et un risque de retour à l’autoritarisme de l’Ordre nouveau mené par un président dont beaucoup trouvent qu’il se comporte de plus en plus comme un « petit Suharto ». Comme souvent dans l’histoire du pays, notamment en 1965/66 et en 1998, ils sont le fer de lance de la contestation et en payent le prix. La répression fait deux morts et près de 300 blessés à Jakarta dans leurs rangs le 24 septembre.
16Devant le danger de voir la situation lui échapper, Jokowi lâche du lest. Il laisse notamment entendre qu’il pourrait signer un décret gouvernemental tenant lieu de loi (PERPPU) pour abroger celle qui vient d’être votée par le DPR sur les réformes de la KPK (comme l’avait fait dans des circonstances semblables SBY à la fin de son mandat pour invalider celle qui abolissait les élections locales directes). Par ailleurs, il convainc les parlementaires de sursoir aux discussions sur la révision du Code pénal jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau DPR. Il reçoit aussi des représentants du peuple Papou, condamne une nouvelle fois le racisme et la violence à son égard, et prend note de sa demande d’organisation d’un referendum d’autodétermination, se disant même prêt à rencontrer le chef des séparatistes Benny Wenda. Cette attitude calme momentanément la situation, ce d’autant que la période de transition touche à sa fin et que l’attention se porte dorénavant sur la constitution du nouveau cabinet gouvernemental, sur lequel les spéculations vont bon train.
17Les deux chambres du nouveau parlement entrent donc comme prévu en fonction le 1er octobre et Puan Marahani, la fille de Megawati, - qui n’a guère brillé comme ministre coordinatrice du développement humain et des affaires culturelles depuis cinq ans -, quitte le gouvernement et est élue présidente du DPR. C’est la première femme à occuper ce poste dans l’histoire du pays. Elle et sa famille estiment probablement que c’est la meilleure position d’attente dans la perspective des prochaines élections présidentielles de 2024 (sur lesquelles elles lorgnent déjà). Alors que le pays attend dans un calme retrouvé la réunion en session extraordinaire des deux chambres au sein du MPR pour l’intronisation et la prestation de serment le 20 octobre du président réélu, Joko Widodo, et de son nouveau vice-président, Ma’ruf Amin, un nouveau coup de tonnerre ébranle l’actualité.
18Effectuant une visite dans une université à Pandeglang, dans la province de Banten, le général Wiranto, ministre coordinateur des affaires politique et de la sécurité et chef du parti HANURA, - le grand perdant des récentes élections législatives qui n’a plus de sièges au DPR -, est victime d’un attentat à l’arme blanche. Les deux auteurs sont un couple se réclamant du JAD (Jamaah Ansharut Daulah), un réseau islamiste créé en 2015 qui est en fait la branche indonésienne de l’organisation EI (État Islamique) de Abu Bakr al-Baghdadi. Ce réseau nébuleux, formé d’une douzaine de groupuscules islamistes radicaux, est devenu la principale organisation terroriste du pays depuis que la Jema’ah Islamiya a été décimée par les arrestations et les exécutions et est rentrée dans une phase (provisoirement) plus « quiétiste » de son action, où elle se concentre sur ses activités de prosélytisme (dakwah)8. C’est ce réseau qui est apparemment responsable de plusieurs actions meurtrières : d’abord l’attentat de janvier 2016 qui a fait huit victimes devant un café Starbucks du centre de Jakarta, dont les quatre assaillants ; ensuite des attaques suicide de trois églises - par un trio de familles au grand complet, parents et enfants réunis-, qui ont fait 25 morts et 40 blessés à Surabaya en mai 2018 ; et pour finir de l’assaut sur la cathédrale de Jolo, sur l’archipel des Tawi Tawi, dans le sud des Philippines, qui a tué 20 personnes et blessé une centaine d’autres. Le terrorisme islamiste est donc loin d’être mort en Indonésie, malgré les succès du Detasemen Khusus 88, la force spéciale d’intervention de la police indonésienne. Cette dernière traque en effet en permanence les personnes suspectes de radicalisme et a procédé à des centaines d’arrestations, dont celle encore toute récente en juin 2019 de Para Wijayanto, le nouveau chef de la Jema’ah Islamiya réorganisée. Mais le mouvement islamiste sait trouver des sources de financement et renaît en permanence de ses cendres sous de nouveaux noms. Le général Wiranto est hospitalisé en urgence et a survécu à ses blessures. Cela marque en fait la fin de sa vie politique active et l’on peut penser que l’adage de « malheur a vaincu » est très approprié dans son cas. Mais Jokowi, toujours à la recherche de la coalition la plus large et fin stratège pour neutraliser un adversaire potentiel de cet acabit, le nommera rapidement à la tête du Conseil consultatif de la présidence. Culture javanaise oblige, c’est aussi une manière d’éviter à l’intéressé de perdre la face et de le protéger, de surcroît, contre les éventuelles mises en accusation et en examen qui pourraient être entreprises à son égard par rapport à ses responsabilités dans le drame de Timor Est en 1999-2000.
La réconciliation Jokowi-Prabowo: une cartellisation politique à son apogée
19Étonnamment, dès la confirmation de son élection par le Conseil constitutionnel fin juin, Jokowi a envoyé des messages de réconciliation à Prabowo, l’adversaire politique acharné. avec lequel il s’est écharpé depuis cinq ans. Ce dernier est au demeurant aussi l’ennemi juré de Wiranto depuis bien plus longtemps. Pendant la période de transition, les échanges indirects et contacts informels entre Jokowi et Prabowo se multiplient et débouchent le 12 octobre sur un entretien au palais présidentiel entre les deux protagonistes. Cela amène beaucoup d’observateurs à prédire que cette réconciliation va déboucher sur une alliance. Et de fait, cette alliance se concrétise avec l’annonce de la constitution du nouveau cabinet gouvernemental le 23 octobre : Prabowo se voit confier le ministère de la défense ! Ce choix sème la consternation d’une part parmi les partisans de Jokowi, qui ont tant lutté pour sa réélection et contre le risque de retour à l’autoritarisme que représente ce militaire au lourd passé, et d’autre part chez tous ceux qui craignent, en Indonésie comme à l’étranger, la poursuite de la régression démocratique amorcée. Cette déception est d’autant plus vive que les militaires figurent largement dans ce nouveau gouvernement qui semble bien confirmer le retour en force de l’armée sur le devant de la scène. Quatre autres officiers supérieurs se retrouvent en effet à des postes ministériels importants : le général de police Tito Karnavian prend le ministère de l’intérieur ; le lieutenant-général Fachrul Razi se retrouve, à la stupéfaction de la ummah, à la tête du ministère des affaires religieuses ; le général-médecin Terawan Agus Putranto hérite du ministère de la santé (malgré la parfum de scandale qui entoure ses pratiques médicales controversées de thérapies du cerveau); et le général Moeljoko, réputé pour sa fermeté, devient le chef de l’état-major présidentiel. Ces nominations indiquent clairement que la sécurité et la lutte contre le terrorisme constituent l’une des priorités de ce second quinquennat.
20Pour le reste, ce nouveau cabinet, baptisé Maju (prospérité), est plus pléthorique que jamais pour accommoder une coalition arc-en-ciel quasi unanimiste, formée de 5 des 6 plus grands partis du DPR et incluant désormais le GERINDRA. Il compte 38 membres : 17 représentants des formations politiques9 en question et 21 membres indépendants venant de milieux professionnels divers. Il ne comprend que 5 femmes, 4 de moins que dans le précédent gouvernement, mais 3 d’entre elles, compétentes et populaires, conservent leur poste : Sri Mulyani Indrawati aux finances, Retno Lestari Marsudi aux affaires étrangères et Siti Nurbaya à l’environnement et aux forêts. En revanche, la flamboyante Susi Pudjiastuti ne fait plus partie de l’équipe, probablement écartée pour ses pratiques très expéditives de lutte contre la pêche illégale qui ont fâché les pays voisins de l’ASEAN, tout comme Rini Soemarno, l’autre étoile féminine issue des milieux d’affaires qui s’occupait des entreprises publiques. Les quatre postes de ministres coordinateurs sont confiés, par ordre d’importance protocolaire, à : Mahfud MA, juriste éminent et ex-juge en chef de la Cour constitutionnelles, en charge des affaires politiques, légales et de sécurité ; Airlangga Hartarto, le secrétaire-général du GOLKAR, ancien ministre de l’industrie, aux affaires économiques ; Luhut Panjaitan, général à la retraite lui aussi et membre du même GOLKAR, mais surtout fidèle homme de confiance de Jokowi, aux affaires maritimes, et à la supervision des investissements ; et Muhadjir Effendy, précédent ministre de l’éducation et professeur en sociologie proche de la Muhammadiyah, au développement humain et aux affaires culturelles. Plusieurs personnalités importantes, comme Puan Maharani, Susi Pudjiastuti ou Rini Soemarno, sont donc parties, d’autres ont été promues ou ont changé de poste, mais un nombre conséquent gardent leur position, à l’instar des trois femmes ministres évoquées plus haut ou de Pratikno, l’ancien recteur de l’Université Gadjah Mada de Jogjakarta, partisan de la première heure de Jokowi, qui reste secrétaire d’État. Enfin des ministres venant du monde des affaires privées entrent au gouvernement, notamment Nadeem Makarim, le jeune fondateur de la populaire et lucrative plateforme digitale Gojek, qui se voit confier, à la surprise générale, le très important ministère de l’éducation et de la culture, ou Eric Thohir, un entrepreneur à succès guère plus âgé, qui prend la tête du ministère des entreprises publiques que Jokowi veut réformer.
21Les commentaires de la presse du lendemain sont naturellement multiples et variés, mais s’accordent à dire que la constitution de ce cabinet reflète la priorité première donnée par le président à l’accélération du développement économique et social du pays et son intérêt secondaire, sinon mineur, pour les questions de droits de l’homme, de libertés individuelle et d’approfondissement de la démocratie. Cette analyse est d’ailleurs confirmé de manière choquante début décembre par le nouveau ministre de l’intérieur, le général de police Tito Karniavan, qui s’affirme comme l’un des membres les plus réactionnaires et extrémistes du gouvernement. Il affiche en effet clairement la couleur de ses affinités en déclarant alors sans ambages que les pays dirigés par des régimes autoritaires se portent mieux sur le plan économique que les démocraties, la Chine étant probablement le modèle auquel il pense !
22On peut se demander quelles sont les motivations de Jokowi pour attirer son pire adversaire, Prabowo, ainsi que son parti, dans une coalition gouvernementale aussi large qui comprend désormais les cinq formations arrivées en tête du scrutin législatif, contrôle presque 75% des sièges du DPR et ne laisse que trois formations mineures, le PKS, le PD et la PAN dans une opposition croupion qui risque d’être bien limitée ? La première de ces motivations est sans nul doute sa volonté d’arriver dans ce second mandat à atteindre les objectifs de développement économique et social qu’il s’est fixés : finalisation des grands projets d’amélioration des infrastructures entrepris, stimulation de la croissance économique, élimination de la pauvreté absolue, réduction des inégalités de revenus et élargissement de l’accès à une éducation et à des soins de santé de qualité. Il s’agit d’un programme sur lequel tout le monde peut tomber d’accord et pour lequel il a besoin de l’appui du plus grand nombre. C’est donc d’abord par pur pragmatisme qu’il mobilise une coalition aussi large car il la croit meilleure garante de succès. De plus, ce choix politique correspond à la préférence culturelle indonésienne pour la recherche de consensus par rapport au débat contradictoire entre une majorité et une opposition, qui est le propre des vieilles démocraties parlementaires représentatives. Incidemment, cette option permet aussi de neutraliser des adversaires potentiels en leur offrant des postes qui leur donnent accès aux ressources dont ils ont besoin pour poursuivre leurs objectifs politiques et continuer à s’enrichir. Tout cela confirme donc une nouvelle fois, si besoin était, que la démocratie indonésienne est d’une autre nature et qu’elle fonctionne selon des règles très particulières.
23D’ailleurs, il y a probablement aussi une autre dimension symbolique éminemment javanaise au fait que le vainqueur du scrutin démocratique offre une alliance à son principal adversaire vaincu dans les urnes. D’une part, cela permet à Prabowo d’éviter de perdre définitivement la face et de s’enfoncer dans une rancœur dangereuse pour tout le monde, en l’éloignant des milieux islamistes avec lesquels il a frayé. De l’autre, en démontrant de la sorte sa magnanimité, Jokowi peut aussi attirer dans son entourage une personnalité puissante qui va renforcer son propre pouvoir et par conséquent sa capacité à agir efficacement sur la réalité des choses. En agissant ainsi, il se comporte comme doit le faire un monarque ou, dans son cas, un président javanais éclairé, dont la culture politique est imprégnée d’une conception du pouvoir entièrement différente de ce qu’elle est dans la tradition occidentale10. Cela dit, on peut aussi s’interroger de manière plus prosaïque sur l’intérêt de Prabowo à entrer dans ce jeu où il joue un rôle subalterne bien peu conforme à sa personnalité dominante et autoritaire, en se disant qu’il a peut-être un agenda caché et vise en fait à subvertir voire conquérir le pouvoir de l’intérieur, comme certains lui en prêtent l’intention. Seul l’avenir le dira.
Fuite en avant dans un illibéralisme croissant face à la contestation des réformes
24Après la formation du nouveau gouvernement, le pays a repris le cours normal de sa vie et les problèmes laissés en suspens pendant la période de transition sont revenus sur le devant de la scène. Au niveau politique, la question controversée soulevée par la loi sur la réforme de la KPK est restée sans réponse définitive.. En effet, après avoir beaucoup hésité, Jokowi a renoncé à faire usage de son droit de révocation, en prétextant qu’il ne voulait pas interférer avec le processus légal dans lequel la Cour constitutionnelle est impliquée. Celle-ci doit selon lui d’abord se prononcer sur la validité de cette loi à la suite d’un recours introduit par la société civile. Mais il ne veut pas non plus affaiblir d’entrée de jeu la cohésion de sa coalition gouvernementale hétéroclite, dont plusieurs partis, le sien inclus, ont soutenu activement l’adoption de la loi en question. Cela mettrait en effet en péril la stratégie de développement économique et social qui est prioritaire à ses yeux et à laquelle la question de la lutte contre la corruption est subordonnée. La clémence dont il fait souvent preuve envers des politiciens condamnés pour corruption en leur accordant des rémissions de peine, ou même sa grâce présidentielle, est parlante à cet égard. Il est donc hélas à craindre que la culture indonésienne du KKN ait encore de beaux jours devant elle. Cela ne présage a priori rien de bon pour le nécessaire renforcement du respect de l’état de droit.
25En outre, la question tout aussi sérieuse des élections régionales et locales directes est revenue sur la table. On a vu qu’une bonne partie de l’élite politique traditionnelle souhaite son abolition pour revenir au système antérieur où les gouverneurs, maires et chefs de district étaient nommés d’en haut ou élus par leur parlement local respectif. L’argumentation développée est que ces élections coûtent trop cher, car les candidats, qui doivent effectivement y investir des sommes colossales11, - notamment en payant grassement les partis pour obtenir leur investiture, - sont obligés d’avoir recours au financement de « généreux donateurs », auxquels ils doivent renvoyer l’ascenseur une fois élus, et que cela alimente le développement d’une corruption galopante. De surcroît, ce système d’élections directes locales crée aussi des tensions et conflits intercommunautaires dangereux dans des provinces souvent instables. De son côté, Jokowi, qui n’est pas issu de cette élite et n’aurait jamais été élu maire de Solo, gouverneur de Jakarta et finalement président de la république sans les élections directes, est évidemment un chaud partisan de leur maintien. Il est soutenu en cela par la majorité de l’opinion publique, qui veut continuer à choisir ses représentants, et par la plupart des media indépendants, qui estiment que le système existant présente finalement plus d’avantages que d’inconvénients. Toutefois, certains membres de son gouvernement prennent le contre-pied sur ce sujet. C’est à nouveau le cas du ministre de la défense Tito Karniavan, décidément très prolixe et imaginatif quand il s’agit de régression démocratique, qui a évoqué fin novembre un système différentiel et discriminatoire par lequel les élections directes seraient maintenues seulement dans les provinces stables (mature), où il n’y pas de problèmes de sécurité, en pensant probablement en priorité au cas de la Papua ! Ces prises de position hostiles aux élections régionales ne sont guère rassurantes pour l’avenir et laissent prévoir des batailles épiques et feutrées, tant entre l’exécutif et le législatif qu’au sein de la coalition gouvernementale et même du gouvernement.
26Un autre problème institutionnel encore plus grave, qui avait commencé à poindre vers la fin de la précédente législature, est revenu en force sur la scène politique nationale dès la rentrée parlementaire. Il s’agit du débat sur la Constitution de 1945, qui est toujours en vigueur mais a été amendée plusieurs fois depuis 1998, pour introduire les réformes à la base de la démocratie en place. Plusieurs partis, dont le PDI-P et le PKB, qui s’appuient sur un avis stupéfiant du NU à ce sujet, sont en effet arrivés à la conclusion que la Reformasi a été trop loin sur le plan institutionnel. Ils estiment que les réformes adoptées ont donné un pouvoir trop grand à l’exécutif, avec un président qui puise désormais sa légitimité dans les élections directes et le mandat du peuple. C’est pourquoi ils veulent revenir au système antérieur, celui de la Constitution originelle de 1945, où le législatif avait plus de poids puisque c’était le MPR qui élisait le chef de l’État. De plus, ils estiment que les élections présidentielles directes sont aussi trop coûteuses et alimentent les divisions et les conflits dans le pays. Leur idée est donc tout bonnement de les abolir, ce qui serait une régression gravissime pour la démocratie indonésienne. Pour les raisons évoquées précédemment, Jokowi y est aussi farouchement opposé. Il fait d’ailleurs savoir haut et fort début décembre que la révision de la Constitution n’est pas une priorité et que le pays doit plutôt se concentrer sur ses enjeux de développement difficiles dans une conjoncture internationale défavorable. Certains parlementaires sont en faveur d’une position intermédiaire moins radicale qui consisterait à maintenir les élections directes, mais à revenir à la pratique, en usage jusqu’en 2002, selon laquelle le président devait obtenir, au début de son mandat quinquennal, l’accord du MPR pour la mise en œuvre des GBHN (Garis2 Besar Haluan Negara ou Lignes directrices de la politique nationale), ainsi qu’une décharge à la fin de ce dernier. Contre l’avis de son propre parti, Jokowi n’y est pas favorable non plus, car cela limiterait fortement sa marge de manœuvre et celle de son gouvernement. De plus, ces débats s’avèrent cacophoniques car certaines voix, notamment au sein du NASDEM, plaident pour trois mandats présidentiels successifs de cinq ans, alors que d’autres veulent au contraire adopter la règle d’un seul mandat de sept ans !
27En fait, il est prévu de lancer une large consultation nationale en 2020 et 2021 sur l’adoption de nouveaux amendements pour revenir partiellement, voire entièrement, à la Constitution de base de 1945, ou au contraire de ne rien changer. Il s’agit de pouvoir trancher sur cette question fondamentale, en 2022, dans la perspective des élections de 2024. À cet égard, un enjeu majeur est lié aux personnes qui occupent les postes suprêmes du pouvoir législatif. On a vu que Puan Maharani, actuellement à la tête du DPR, est favorable à une limitation du pouvoir exécutif voire à l’abolition du suffrage universel direct, car elle pense que ce changement peut faciliter son élection à la présidence en 2024. Par ailleurs, dans le jeu subtil de compromis entre partenaires gouvernementaux pour se partager les postes principaux dans la nouvelle législature, Bambang Soesatyo, se dit également favorable à un tel retour en arrière. Cet homme politique, riche membre influent du GOLKAR, est le président du MPR après avoir été celui du DPR avant Puan. Or, il ambitionne aussi de prendre la direction de son parti à l’occasion du congrès qui doit se tenir début décembre, contre le président en fonction qui se représente, Airlangga Hartarto, ministre coordinateur de l’économie dans le nouveau gouvernement. Et ce dernier est justement opposé à ce retour en arrière. Cette rivalité déclenche, comme en 2015, une nouvelle guerre des chefs au sein du GOLKAR, dans laquelle Jokowi n’hésite pas à s’immiscer pour favoriser l’élection de celui des deux candidats qui avait sa préférence. Alors, il agit par l’intermédiaire du ministre coordinateur des affaires maritimes, son fidèle homme-lige et chef-arrangeur, Luhut Panjaitan, toujours encarté dans ce parti à la fois rival et allié. Peu confiant dans un PDI-P dont les yeux sont surtout braqués sur l’échéance de 2024, le président a impérativement besoin du soutien sans faille du GOLKAR, l’autre grand parti séculier, pour pouvoir gouverner efficacement jusqu’au bout de son second mandat.
28Les lignes de partage sont donc plus subtiles que ce que l’unanimisme de façade du gouvernement arc-en-ciel pourrait laisser supposer. Elles passent à l’intérieur de la coalition gouvernementale, opposant le PDI-P, allié au PKB et possiblement au PPP, qui sont favorables à un retour au moins partiel à la Constitution de 1945, au NASDEM et au GOLKAR, qui veulent maintenir les amendements démocratiques apportés depuis 1998. Il faudra voir de quel côté penche maintenant le GERINDRA, qui s’était clairement prononcé par le passé pour un retour au système antérieur. Mais cela risque d’être très compliqué et conflictuel, car la ligne de partage traverse aussi chacun de ces partis membres de la coalition. Pour corser encore l’équation, les trois formations qui sont dans l’opposition, le PKS, le PD et le PAN, sont également partagées sur cette question, les deux premières étant clairement favorables au maintien des élections directes, la troisième entretenant l’ambigüité. Il faudra voir quelle forme prendra la consultation nationale prévue et si la voix de la société civile et de la population sera prise en compte. La meilleure solution serait bien évidemment de conserver la conquête démocratique emblématique que constituent les élections directes, tant au niveau présidentiel que local, mais de s’atteler à une réforme en profondeur du système électoral, notamment pour ce qui est du financement des partis et des candidats, mais aussi sur d’autres plans comme la coutume de l’achat des votes, les critères de nomination ou la représentation (très faible) des femmes12. Quoiqu’il en soit, la résolution de ce problème sera déterminante pour savoir si l’Indonésie restera une démocratie, même imparfaite, ou si elle régressera carrément vers un système hybride où l’illibéralisme ira croissant et ouvrira éventuellement la porte à un retour vers l’autoritarisme, voire la dictature.
29Comme on l’a vu, la réforme du code pénal en cours de discussion au DPR a été interrompue par Jokowi et il reste à voir quand elle sera reprise, quel en sera le contenu final et si ce dernier comportera toujours les mêmes mesures rétrogrades concernant les libertés individuelles et les questions de morale sexuelle. Si tel est le cas, cela pourrait bien rallumer le feu de la contestation estudiantine. En attendant, le bureau du procureur général et un certain nombre d’agences gouvernementales ont déjà fait savoir à la mi-novembre que leur recrutement ne serait pas ouvert à des membres de la communauté LGBT ! Par ailleurs, il n’a pas fallu non plus attendre très longtemps pour sentir le poids des militaires, ayant fait une entrée en force dans le gouvernement, sur la priorité donnée aux problèmes de maintien de l’ordre, de renforcement de la sécurité et de lutte contre l’islamiste et ses possibles dérives terroristes. Ainsi, pour juguler la radicalisation islamiste apparemment constatée au sein de la fonction publique, un décret signé le 12 novembre par six ministres et cinq agences gouvernementales interdit aux fonctionnaires de véhiculer des opinions, que ce soit par oral ou par écrit, sur les réseaux sociaux ou dans la presse, qui contiendraient un message de haine à l’encontre du président, du gouvernement, des instances de l’État, de l’idéologie du Pancasila ou envers toute communauté religieuse ou ethnique nationale. Il faut dire que plusieurs études récentes montrent que 20% beaucoup de fonctionnaires ne croient justement pas au Pancasila, que près de 70% auraient voté pour Prabowo et que plus de 40% ont l’habitude de relayer des messages radicaux pendant la prière du vendredi ! C’est effectivement très préoccupant. De nombreuses voix se sont toutefois élevées, aussi bien dans les milieux islamiques que dans ceux des défenseurs des droits de l’homme, pour condamner cette atteinte à la liberté d’expression des fonctionnaires qui vise à supprimer les critiques internes envers le gouvernement ou sa politique, une réminiscence pour beaucoup des pratiques répressives en vigueur du temps de l’Ordre nouveau.
Priorité renforcée au développement économique et aux projets infrastructurels
30Le domaine où le gouvernement n’a pas perdu une minute pour se remettre au travail est celui du développement économique et social ainsi que de l’amélioration des infrastructures, qui constituent, la première des priorités du président. Quatre chantiers ont ainsi été ouverts dès le mois de novembre pour créer les conditions d’une relance des investissements et de la croissance. Le premier vise à reprendre en main les grandes entreprises publiques, qui jouent un rôle déterminant dans l’économie du pays, pour améliorer leur productivité et leur rentabilité, en les réorganisant et en nommant à leur tête des personnes compétentes, énergiques et réputées incorruptibles13. Signe emblématique de cette détermination : Jokowi a fait nommer Basuki « Ahok » Tjahaja Purnama, (qui lui a succédé comme gouverneur de Jakarta avant de devenir la cible des islamistes et d’être honteusement condamné à deux ans de prison ferme pour blasphème), en qui il a toute confiance, à la direction de PERTAMINA, la compagnie pétrolière nationale. Le second chantier consiste à « dégraisser » la fonction publique pour la rendre aussi plus performante. C’est une œuvre titanesque et risquée. Le pays compte plus de 450 000 fonctionnaires, dont 95% dans les trois échelons subalternes, et c’est précisément ceux-là qu’il conviendrait de réduire en remplaçant, partout où c’est possible, les tâches simples et répétitives par l’intelligence artificielle. Il n’est pas certain que cela passe bien auprès des centaines de milliers de petits bureaucrates qui vont ainsi perdre leur travail, ont largement voté contre Jokowi et ont une réelle capacité de nuisance.
31Le troisième chantier est encore plus complexe et il est lié à ce que les autorités appellent le projet des trois lois dites « omnibus », en débat au DPR depuis des mois. Ces dernières doivent leur nom au fait de regrouper des mesures à prendre dans divers domaines sans relations directes, avec pour objectif central d’améliorer le climat des investissements pour en stimuler la hausse. Il s’agit notamment de simplifier le code et la règlementation en vigueur, en centralisant le processus d’approbation sur le BKPM (Badan Koordinasi Penanaman Modal ou Office de coordination des investissements), de rendre plus attractives les conditions régissant les zones économiques spéciales et d’investir plus dans la recherche-développement. Mais la composante la plus importante et controversée de ce projet de « lois omnibus » concerne la révision du code du travail datant de 2003, dont les employeurs se plaignent en raison d’une rigidité qui a la réputation d’être la plus élevée des pays de l’ASEAN. Les règles contraignantes de ce code brident selon eux exagérément les conditions de licenciement et donc de recrutement, renchérissant le coût du travail et constitue un frein à l’emploi et à la croissance. Là aussi les choses risquent bien d’être très compliquées, car les syndicats sont très hostiles à cette réforme, qui débouchera immanquablement sur une péjoration des conditions de travail et des salaires des travailleurs. Le quatrième chantier en question est tout aussi ambitieux puisqu’il s’agit de réformer le système d’éducation pour qu’il puisse enfin fournir au marché du travail des personnes employables et compétentes pouvant contribuer à l’amélioration de la productivité de l’économie. C’est un véritable serpent de mer et un problème qui existe depuis toujours et n’a jamais été vraiment réglé, malgré plusieurs réformes successives, avec pour résultat que les performances éducatives du pays restent très faibles selon le fameux test PISA de l’OCDE14. Malgré les efforts entrepris et les progrès accomplis depuis l’indépendance d’un point de vue quantitatif, en augmentant le pourcentage de chaque classe d’âge ayant accès à l’école primaire, puis secondaire et enfin à l’enseignement supérieur, la qualité du système d’éducation indonésien reste en effet médiocre comparé à la plupart des pays concurrents voisins de l’ASEAN. Il faudra voir si le nouveau jeune ministre de l’éducation, venant du secteur privé, aura plus de succès que ses prédécesseurs en la matière.
32Bref, toutes ces mesures reviennent essentiellement à instiller une dose de libéralisation supplémentaire dans l’économie nationale afin d’en assurer la relance. On peut toutefois se demander si c’est la meilleure voie à suivre au moment où la mondialisation néolibérale semble montrer qu’elle a atteint ses limites sous toutes les latitudes et régimes, des pays de tradition sociale-démocrate d’Europe continentale comme la France, à ceux d’Amérique latine comme le Chili, qui a poussé la libéralisation à l’extrême, en passant par les précurseurs anglo-saxons de la « révolution libérale » que sont la Grande-Bretagne et les États-Unis, tombés aux mains de démagogues populistes et séduits par un retour au protectionnisme. Il est vrai que le gouvernement continue en même temps à mettre en œuvre une politique économique nationaliste des plus classiques. C’est notamment le cas dans le domaine des matières premières, avec l’imposition d’un embargo sur les exportations de minerai de nickel, qui doit s’appliquer à partir de janvier 2020. L’objectif est évidemment de forcer les entreprises minières domestiques et étrangères à accélérer la construction des usines de transformation, ce qui permettrait au pays de garder une plus grande part de valeur ajoutée. C’est de bonne guerre, mais cela a déclenché une flambée des prix du nickel sur le marché international et une plainte auprès de l’OMC de la part de l’Union européenne, déjà en conflit avec l’Indonésie sur la question de production et d’exportation d’huile de palme. Des négociations devraient s’ouvrir sur les deux plans et il faudra voir comment ces conflits commerciaux se résoudront. Mais tout cela montre bien en tous les cas que Jokowi continue à jouer les équilibristes en matière de développement économique en essayant de concilier une libéralisation maîtrisée avec un protectionnisme sélectif.
33Sur le plan des infrastructures, les choses avancent bon train comme on l’a vu. Après l’ouverture en janvier 2019 du principal tronçon Jakarta-Surabaya de 700 kilomètres de l’autoroute à péage « transjavanaise », la fin des travaux est prévue d’ici fin 2020. Par ailleurs, dans le cadre du gigantesque programme d’électrification du pays (qui a été parfois qualifié de mégalomaniaque), sept grandes centrales de 1 000 mégawatt chacune sont déjà en construction et devraient être opérationnelles d’ici la fin du quinquennat. Enfin, le nouvel aéroport de Jogjakarta, en chantier depuis des années, est sur le point d’être inauguré. Son utilité est peu contestable vu l’engorgement et la dangerosité de celui qui est en activité depuis toujours dans la périphérie surpeuplée de la ville15. Mais construit à 60 kilomètres de celle-ci, dans le district de Kulon Progo, il est fortement contesté car il a d’une part nécessité le sacrifice de centaines d’hectares de bonnes rizières irriguées et d’autre part impliqué l’expropriation des terres de milliers de petits paysans. Il s’agit là d’une nouvelle preuve du fait que les projets d’infrastructure tiennent rarement compte des intérêts de la population et des problèmes d’environnement.
34Dans la capitale, après l’inauguration en grande pompe du premier tronçon de la ligne nord-sud du MRT (Mass Rapid Transit) (Bundaran HI-Lebak Bulus) en mars 2019, la construction du second (Bundaran HI-Jakarta Kota) a commencé et devrait être achevée d’ici deux ans, avant de s’attaquer dès 2020 à la construction de la très longue seconde ligne est-ouest (Timur-Barat), qui devrait être terminée vers la fin de la décennie. En outre, le tout premier segment de la ligne A du LRT (Light Rail Transit), qui est complémentaire au MRT16, a été ouvert fin 2019 et les cinq autres devraient bientôt suivre.
35Malgré ces investissements massifs dans l’amélioration du réseau de transport de la capitale, Jokowi a annoncé en février 2019 que le transfert de cette dernière vers un lieu plus propice, en l’occurrence à Kalimantan, débuterait aussi dans le cadre de son second mandat, pour être finalisée à l’horizon 2045. On peut difficilement imaginer un projet plus ambitieux puisque certains en évaluent le coût global de 30 à 50 milliards de US$ ! Même si cela peut sembler fou, les raisons de cette décision sont logiques. La province du DKI Jakarta, ville de 10 millions d’habitants, se trouve au cœur de la conurbation trois fois plus peuplée de JABOTABEK (JAkarta-BOgor-TAnggerang-BEKasi), qui croule sous de multiples difficultés. C’est la deuxième mégalopole la plus peuplée du monde derrière Tokyo. D’une superficie de 664 km2 sensiblement égale à celle Singapour, Jakarta « intramuros » compte 40% de plus d’habitants et dépasse la densité folle de 15 000 au kilomètre carré. Sous le poids de cette énorme population, qui puise dans la nappe phréatique pour couvrir ses besoins en eau, la ville, construite dans une plaine alluviale littorale très basse et meuble, s’enfonce littéralement de 10 à 20 centimètres par année dans certains quartiers. De plus, coincée entre la montée des eaux de la mer de Java, résultant du réchauffement climatique, et le ruissellement des pluies torrentielles dégringolant de la chaîne centrale de l’arrière-pays Sunda lors de la mousson, la cité est affectée chaque année par des inondations monstrueuses qui submergent les zones les plus basses sous
361 à 2 mètres d’une eau noire et nauséabonde. Très meurtrières en 2007, où elles avaient fait 55 morts, ces crues des eaux ont été encore plus fortes en janvier 2020, faisant cette fois 66 victimes. Pour y faire face, le projet pharaonique « Grand Garuda » a commencé en 2009. Il vise à la construction dans la baie de Jakarta d’une digue de protection de 23 mètres de hauteur, dont 7 au-dessus du niveau de la mer, et de 35 kilomètres de long, s’appuyant sur un certain nombre d’îles-polders artificielles. Après un arrêt, les travaux ont repris en 2014 pour un coût estimé également faramineux de 30 à 50 milliards de US$, et devraient être achevés d’ici 2050. Il ne suffira toutefois pas à régler tous les problèmes et 90% du nord de la capitale, un tiers de sa superficie totale, pourrait être sous les eaux d’ici là, obligeant à une relocalisation de 40% de sa population ! De plus, construite dans une zone sismique à haut risque, la capitale ressent régulièrement les effets des secousses qui touchent la province de Java Ouest et le détroit de la Sonde, - (pas moins d’une dizaine d’une intensité de 4 à 5 depuis 2018, la dernière ayant tout de même atteint 6.9 en août 2019), - et peut donc être affectée à tout moment par une catastrophe majeure. Enfin, les effets combinés d’une urbanisation sauvage, d’une industrialisation irresponsable, d’une consommation débridée et d’un individualisme croissant, créent des problèmes de trafic monstrueux et de pollution dantesque. Bref, même si elle ne permettra pas de résoudre toutes ces difficultés, loin s’en faut, l’idée de déplacer la capitale dans une région plus favorable n’est pas totalement absurde.
37Mais le choix final arrêté par Jokowi d’implanter « sa » nouvelle capitale (que d’aucun appellent ironiquement Jokopolis !) dans l’arrière-pays de Balikpapan, à Kalimantan Est, ne va pas non plus sans poser de gros problèmes. En effet, cette région est le centre de l’activité pétrolière indonésienne et est déjà très dégradée par la déforestation et le développement de l’industrie d’huile de palme. D’ailleurs, en plein débat sur ce projet (que d’aucuns qualifient de mégalomane et d’autres, de poudre aux yeux ou de omong kosong, « paroles creuses », pour détourner l’attention de l’opinion publique des vrais problèmes du pays), la forêt brûle allègrement chaque année en plusieurs points de la grande île et le gouvernement semble impuissant à y faire face. Or la région choisie va bien sûr être profondément affectée au niveau de son environnement, de sa flore et de sa faune, sans parler de la vie des populations autochtones, par la construction d’une ville de 200 km2, le tiers de la superficie de Jakarta, d’un aéroport et du réseau routier la reliant à la côte. Toutefois, ce choix se justifie selon le président à la fois pour des raisons sécuritaires, stratégiques et économiques. La région en question n’est en effet pas dans une zone sismique et elle est à une distance raisonnable de la côte ; elle est par ailleurs située au centre de l’archipel et la présence de la capitale contribuera un peu à rééquilibrer le développement national, bien trop fortement concentré autour de la mégalopole de JABOTABEK et sur Java, et à soulager le poids qui pèse sur elles17. C’est déjà ces mêmes raisons qui avaient amené Sukarno à envisager au début des années 60 le transfert de la capitale à Palangka Raya, chef-lieu de la province de Kalimantan Central. Après lui, Suharto, aussi concerné par la concentration de la vie du pays sur Jakarta, mais plus raisonnable, avait juste pensé à déplacer l’administration nationale 60 kilomètres plus au sud, à Jonggol, près de Bogor, un peu comme Mahathir l’a fait en 2010 en Malaisie avec Putrajaya, située à seulement 20 kilomètres de Kuala Lumpur. Aucun des deux plans n’avait toutefois été mis en œuvre.
38Cela dit, un tel transfert soulève aussi d’autres difficultés non négligeables. Ce qui est en effet prévu est justement de déplacer dans un premier temps l’administration centrale, soit seulement quelques dizaines de milliers de fonctionnaires. Mais beaucoup d’entre eux n’envisagent absolument pas de se faire accompagner de leurs familles, qui resteraient à Jakarta, notamment pour des raisons liées à l’éducation des enfants, ce qui entraînerait une noria de pendulaires aériens, avec tous les inconvénients que cela comporte en termes économiques et écologiques. De plus, il est douteux que les industries et les entreprises s’empressent de suivre l’administration, avec le risque que cette dernière soit encore plus coupée de la vie réelle du pays. On pourrait ainsi se retrouver avec une capitale somptuaire, artificielle et fantôme, comme cela à longtemps été le cas avec Brasilia au Brésil ou dans d’autres pays qui ont tenté plus récemment de telles expériences comme le Myanmar avec Naypyidaw ou le Kazakhstan avec Astana. Quoiqu’il en soit, la population autochtone, soutenue par les activistes défenseurs de l’environnement a fait savoir son opposition à ce projet, notamment pour protéger la réserve naturelle de Sungai Wain, qui serait anéantie. Quant au gouvernement local, il est aussi très sceptique à son égard et exige au minimum, si on lui impose ce projet, que la province de Kalimantan Est se voie octroyer un statut d’autonomie élargie, comme Aceh ou la Papua. Cela semble difficilement envisageable.
39L’autre problème récurrent majeur qui reste entier et risque d’empoisonner durablement le second mandat de Jokowi est précisément la question de la Papua. Dès la formation de son nouveau gouvernement, il s’y est rendu une fois de plus pour rencontrer la population et tenter d’apaiser les tensions. Mais comme d’habitude, il n’a parlé qu’en terme de progrès économique et d’infrastructures routières, capables selon lui de soigner tous les maux, alors que les gens veulent que l’on considère le respect de leur identité culturelle et leurs revendications politiques d’autonomie administrative plus grande et surtout réelle, sinon de referendum d’autodétermination. À défaut de pouvoir entrer en matière, ne serait-ce que parce que les forces armées et la classe politique traditionnelle ne le lui permettraient pas, il faudrait au moins cesser d’agiter le chiffon rouge d’une division encore plus grande de leur territoire. Après l’avoir coupé en deux provinces en 2003, puis saucissonné en multipliant le nombre de district de 9 à 29 en Papua et de 3 à 13 en Papua Ouest, le gouvernement central évoque en effet l’idée d’aller plus loin, en créant une ou deux provinces supplémentaires, la Papua Sud et la région des Montagnes (Pengunungan). Il est clair que cela ne profiterait qu’à une toute petite élite locale avide de positions politiques lucratives, en avivant les tensions et les divisions entre les nombreux groupes ethniques, repoussant d’autant les efforts d’unification entrepris par le mouvement de libération nationale en vue d’obtenir une éventuelle indépendance. De l’avis des meilleurs spécialistes de la question, il semble bien que la majorité des Papous y soit favorable, espérant pouvoir suivre l’exemple de Timor Leste. Mais la situation est bien différente, car leur pays n’a pas été envahi et annexé par l’Indonésie, il a été intégré au terme d’une consultation, il est vrai manipulée, mais légale et surtout entérinée par les Nations unies. Une telle issue semble donc peu probable pour trois raisons. D’abord le « front » des pays mélanésiens qui soutient l’indépendance de la Papua Occidentale est bien faible et divisé. Ensuite l’Australie ne prendra pas le risque de se fâcher avec Jakarta. Finalement l’Indonésie bénéficie de l’appui des autres membres de l’ASEAN et de la Chine. Compte tenu de tout cela, il y a fort à parier que la situation va continuer à se dégrader en Papua et que l’Indonésie risque bien d’être confrontée durablement à « sa » véritable crise de décolonisation.
Une politique extérieure centrée sur la défense de la souveraineté nationale
40Le dernier point finalement peu traité dans ce long chapitre sur la présidence de Jokowi est celui de la politique extérieure du pays. Il est vrai que cela n’est pas sa priorité. Elle est en tout cas bien différente de celle de SBY qui, au nom de sa doctrine de « mille amis et zéro ennemi », pratiquait une diplomatie de bons offices très appréciée des milieux internationaux, où il se sentait très à l’aise et qu’il aimait fréquenter pour assurer la promotion de l’Indonésie. Ce n’est pas le cas de son successeur qui ne boude pas vraiment ces forums, car il participe bien aux réunions de l’ASEAN, de l’APEC et du G20, mais il y est plutôt discret et reste surtout concentré sur les affaires intérieures du pays et la poursuite de ses objectifs de développement économique et social. En fait, c’est par rapport à ces derniers que se définit désormais la politique étrangère indonésienne, qui revient à une conception plus nationaliste et populiste, proche de celle du père de la nation Sukarno, et qui accorde la priorité à la défense de la souveraineté nationale18. Elle procède de l’idée centrale chez Jokowi que l’Indonésie n’est pas seulement le plus grand pays de l’ASEAN et une puissance régionale émergente, mais aussi et surtout le plus vaste archipel du monde et qu’il a un poids maritime considérable car il contrôle une position stratégique dans la région Indopacifique. Correspondant à la célèbre formule classique consacrée de « pont entre l’Asie et l’Australie et porte entre les océans Indien et Pacifique », son pays est, dans le jargon moderne des technocrates qui le conseillent en la matière, un « pivot maritime global » (GMF ou Global Maritime Fulcrum). C’est cela qui doit déterminer sa politique extérieure. À ce titre, il doit donc exercer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire national, sur ce que les Indonésiens appellent leur Tanah Air quand ils parlent de la nation, ce qui signifie justement « Terre (d’) Eau ».
41Plus concrètement, cette politique de défense de la souveraineté nationale s’est surtout manifestée dans deux domaines particuliers : la lutte contre le trafic de drogue et celle contre la pêche illégale. On a vu que Jokowi avait inauguré son premier mandat en donnant son feu vert à l’exécution d’un certain nombre de trafiquants de drogue condamnés à mort, dont plusieurs ressortissants étrangers, n’hésitant pas faire souffler le froid sur ses relations diplomatiques avec des pays comme le Brésil, mais surtout les Pays-Bas, ancienne puissance coloniale dont le passé chargé pèse toujours lourd, et l’Australie, voisin proche et crucial à maints égards. De même, il n’a pas hésité à laisser son énergique ministre en charge de la mer et de la pêche dans son premier cabinet, Susi Pudjiastuti, entreprendre une campagne impitoyable de coulage des bateaux étrangers pris en flagrant délit de pêche illégale, pourtant principalement originaires des pays voisins et amis de l’ASEAN, la Thaïlande, le Vietnam et les Philippines en tête. La marine nationale n’a même pas hésité à s’attaquer à la puissante Chine, en arraisonnant en mai 2016 un bateau de pêche chinois près de l’archipel des Natuna, dans la province des Îles Riau, à la limite méridionale des eaux territoriales revendiquées par Pékin. Les tensions entre les deux pays se sont même fortement aggravées en janvier 2020 avec l’envoi de la marine de guerre indonésienne sur place. Dans les deux cas, ces mesures très populistes de lutte contre le trafic de drogue et la pêche illégale ont rapporté à Jokowi une large approbation de la part de la population, satisfaite de sa fermeté à faire respecter la souveraineté nationale.
42Le lien étroit établi entre cette politique étrangère plus fermement nationaliste et les objectifs de développement économique se retrouve aussi au niveau des efforts entrepris pour améliorer les infrastructures du pays, notamment à travers l’aménagement d’une quinzaine de ports en eau profonde dans tout l’archipel. Enfin, il faut aussi placer ce changement de cap au niveau des relations extérieures de l’Indonésie dans la décision d’augmenter substantiellement le budget des forces armées, notamment de la marine, afin d’être mieux à même de vraiment contrôler l’immense zone économique exclusive du pays. La nomination de Prabowo comme ministre de la défense dans le nouveau cabinet formé en octobre 2019, - avec la promesse d’avoir plus de ressources pour moderniser et professionnaliser une armée dont il a souvent critiqué la négligence depuis la chute de Suharto -, laisse à penser que la politique extérieure indonésienne va affirmer de manière encore plus nette son caractère nationaliste retrouvé dans le second mandat de Jokowi.
43Malgré la prise de conscience d’être une puissance régionale émergente et un « pivot maritime global », il est peu probable que la nouvelle politique extérieure nationaliste et populiste de l’Indonésie sous Jokowi, surtout centrée sur le défense de la souveraineté nationale et des intérêts économiques du pays, l’amène à reprendre un rôle aussi actif sur la scène régionale et internationale que celui joué du temps de Suharto, dans la négociation de paix sur le Cambodge, ou de SBY, sur la résolution du conflit politique au Myanmar. Un retour à cette tradition de bons offices du chef de file des pays de l’ASEAN, et le seul de ses membres à faire partie du G20, serait pourtant très utile pour essayer de faire émerger des solutions pacifiques négociées aux conflits potentiels lourds de menaces qui opposent ou impliquent des pays de la région Asie-Pacifique, par ailleurs partenaires importants de l’Indonésie (et dont dépend en bonne partie son avenir). Mais Jokowi semble indécis et est probablement impuissant à le faire, notamment dans celui qui est pourtant le plus lourd de conséquences pour toute la région et s’envenime entre la Chine et les États-Unis.
44Pour conclure ce dernier chapitre de notre ouvrage sans se répéter, on peut renvoyer le lecteur à ce qui a été dit dans l’introduction, où nous avons fait d’emblée le choix de présenter la situation de l’Indonésie au début de l’année 2020. Ce retour en arrière permet en effet de boucler la boucle. Comme nous l’avons alors vu, le pays, qui se prépare à fêter le 75e anniversaire de son indépendance est dans une situation relativement favorable, même si elle comporte de sérieux éléments d’incertitude. En fait, il est à une nouvelle croisée décisive des chemins et le dilemme auquel il est confronté est simple à formuler, à défaut d’être facile à résoudre. Alors qu’il entame son second mandat, le président Joko « Jokowi » Widodo va-t-il persister dans la dérive illibérale où il s’est engagé depuis quelques années pour assurer tout à la fois le contrôle de ses adversaires (et alliés) politiques et stimuler la croissance afin d’atteindre à tout prix les objectifs de développement économique et social ambitieux qui sont la première de ses priorités ? Ou va-t-il au contraire revenir vers l’exigence d’approfondissement d’une démocratie qui va rentrer dans sa 23e année d’existence et a largement dépassé l’âge de sa majorité, tout en étant encore fort loin d’avoir atteint sa maturité ? Les paris sont ouverts, mais la plupart des observateurs de la scène indonésienne penchent plutôt pour la première hypothèse.
Notes de bas de page
1 Le DPR compte 15 membres de plus qu’en 2014 pour tenir compte de certains ajustements du nombre de représentants pour chacune des 34 provinces du pays en fonction de leur population. Le DPD conserve le même nombre de membres fixé à 4 pour chacune de ces provinces, soit 136.
2 Pour cette dernière partie de notre ultime chapitre, nous nous sommes essentiellement appuyés comme indiqué précédemment sur la revue en ligne New Mandala et sur le dépouillement du Jakarta Post. Toutefois, nous avons aussi pu prendre en compte à la toute fin de la rédaction le très bon article de Edward Aspinall et Marcus Mietzner « Indonesia’s Democratic Paradox : Competitive Elections amidst Rising Illiberalism », paru dans le numéro de décembre 2019 du BIES (295-317), ainsi, au moment de la relecture des chapitres et surtout de l’écriture de l’épilogue, que des actes de la conférence annuelle Indonesia Update de 2019 publiés en août 2020 sous la direction de Thomas Power and Eve Warburton (Eds.), Democracy in Indonesia : from Stagnation to Regression ?
3 Il est néanmoins battu à Madura, la grande île proche de Surabaya faisant partie de la province de Java Est, qui est peuplée par les Madurais, une ethnie de langue et de culture différente des Javanais qui a toujours pratiqué une forme plus rigoureuse et conservatrice de l’islam.
4 Voir notamment à ce sujet: Eve Warburton, « Polarisation in Indonesia : What if perception is reality », New Mandala, 16 April 2019 et Tom Pepinsky, « Religion, ethnicity, and Indonesia’s 2019 presidential elections », New Mandala, 18 May 2019.
5 Voir le tableau 14 en annexe qui donne le résultat détaillé de ces élections législatives de 2019.
6 Le nombre de cas instruits par la KPK n’a cessé d’augmenter au fil des ans, passant de 44 en 2011 à 99 en 2016 puis 121 en 2017 et 178 en 2018. Un bon nombre de ces cas relève de ce que nous avons appelé la « décentralisation de la corruption » puisque pas moins de 120 walikota ou bupati sont en examen.
7 Sur la question de la Papua et le véritable problème de décolonisation qu’elle pose pour l’Indonésie, voir l’article récent très fouillé de Damien Kingsbury, « Increasing inroads and growing anger in West Papua », New Mandala, 22 October 2019.
8 Concernant la stratégie de la Jema’ah Islamiya, voir l’article très éclairant et passablement inquiétant de Alif Satria, «The Neo-JI threat : Jema’ah Islamiya’s resurgence in Indonesia follows an old playbook », New Mandala, 16 August 2019.
9 La répartition de ces 17 ministères (confiés à des personnalités politiques) entre les six partis membres de la coalition gouvernementale est la suivante : 4 au PDI-P, 4 au GOLKAR, 3 au NASDEM, 3 au PKB, 2 au GERINDRA et 1 au PPP.
10 Le premier à avoir tenté une réflexion synthétique sur ce sujet est bien évidemment Benedict Anderson dans son superbe essai de 1965, Mythology and the Tolerance of the Javanese, mais on peut aussi consulter sur cette question le très récent et stimulant article de Aris Huang, « Jokowi-Prabowo political reconciliation as Javanese strategy », New Mandala, 4 September 2019.
11 Pour avoir une chance raisonnable d’être élu, on estime qu’un candidat à un poste de maire d’une ville moyenne ou de chef de district doit disposer en moyenne de 20 milliards de rupiah (environ US$ 1,35 million) et que cette somme monte à 100 milliards (US$ 6,75 millions) pour un poste de gouverneur ! Pour plus de détails sur cette question, voir : Marcus Mietzner, « Indonesia’s electoral system : why it needs reform », New Mandala, 8 November 2019.
12 Tous ces points sont développés dans l’excellent article de Mietzner (2018).
13 L’Indonésie ne comptait pas moins de 142 SOE (State Owned Enterprises) en 2019 et il est fort probable que l’énergique nouveau ministre responsable, Erick Thohir, procède à des fusions.
14 En 2018, l’Indonésie se trainait en effet au-delà du 70e rang mondial sur chacun des trois niveaux du test PISA (lecture, mathématiques et sciences), alors que la Chine était première partout, suivie de près par Singapour.
15 En fait, il s’agit de l’aéroport militaire Adisucipto, ouvert depuis toujours par l’armée de l’air à un trafic aérien civil très dense, non seulement en raison du fait que la région de Jogjakarta est l’une des plus densément peuplée de Java et que la ville est l’un des principaux centres universitaires et culturels du pays, mais aussi parce que plusieurs millions de touristes y débarquent chaque année pour visiter les temples hindouistes de Prambanan et le célèbre stupa bouddhiste de Borobudur, tout proches.
16 Comme le Métro avec le RER à Paris.
17 Pour plus de détails sur toute cette affaire du transfert de la capitale, voir notamment l’article de Laurens Bakker, « Moving the capital : a future in Kalimantan », New Mandala, 18 September 2019.
18 Pour plus de détails sur la politique étrangère de Jokowi, voir l’article de : Ludiro Madu, « Indonesia’s Foreign Policy Under President Jokowi : More Domestic and Nationalistic Orientations » (2017-189-197).
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