Introduction
Texte intégral
1Les quinze premières années d’indépendance de l’Indonésie sont placées sous la présidence de Sukarno. Elles vont être marquées par des difficultés politiques, économiques et sociales croissantes et s’achever en 1965-66 sur un épisode particulièrement obscur et délibérément occulté d’une « guerre froide » alors à son paroxysme. Ce sombre épisode a donné lieu à l’un des plus grands massacres de population civile de la seconde moitié du 20e siècle. Certes, les hommes ont commis encore pire depuis, notamment au Cambodge, de 1975 à 1979, et au Rwanda, en 1994. L’opinion publique internationale, blasée et amnésique, a donc oublié que l’Indonésie a inauguré la période de l’Ordre nouveau qui va alors émerger du chaos par un monstrueux crime contre l’humanité, véritable tâche originelle indélébile.
2Pourtant, s’il est inexcusable, l’épilogue atroce de cette période troublée est parfaitement explicable tant l’histoire de ces quinze années se lit rétrospectivement comme l’implacable déroulement d’une tragédie grecque au dénouement inexorable. En poursuivant la métaphore par une référence culturelle locale plus appropriée, on assiste, comme dans le théâtre d’ombres javanais (wayang kulit), à la montée des tensions et des dangers qui débouchent sur une explosion de violence, dans laquelle certains ont vu un amok collectif, avant que l’ordre ne soit rétabli et que le calme ne revienne. La seule différence est que Sukarno, qui pour la plupart de ses concitoyens était le maître du jeu et du spectacle, le dalang de la cérémonie politique dont ils étaient les acteurs ou les figurants, va perdre le fil de l’intrigue qu’il avait tissé depuis l’indépendance. Lui-même victime d’une situation de plus en plus confuse et truffée des alliances changeantes et des sombres luttes de pouvoir qu’il pensait comprendre et maîtriser, il sera obligé de laisser en 1966 la direction du pays à un certain général Suharto. Ce dernier, acteur remplaçant jusque-là discret et méconnu, attendait dans les coulisses le moment propice pour monter sur le devant de la scène. Il va se saisir des circonstances pour s’emparer du pouvoir.
3Le recul permet de mieux distinguer la trame de la pièce tragique qui va se dérouler sous la présidence de Sukarno. L’enchaînement des événements mais aussi la dialectique étroite qui lie le domaine de l’économie à la sphère du politique engendrent un cercle vicieux dans lequel s’enfonce l’Indonésie dès son indépendance réelle début 1950 et qui va la précipiter dans un véritable maelstrom, quinze ans plus tard. Bien qu’il y ait largement continuité au niveau des principaux acteurs concernés, cette pièce, - des plus classique dans sa dramaturgie, - se divise en trois actes distincts correspondant chacun à une des parties de ce chapitre. Le premier acte, de 1950 à 1959, se solde par l’échec de la tentative de greffe d’un système de démocratie parlementaire d’inspiration occidentale qui était probablement prématurée vu la culture politique traditionnelle du pays et le manque d’expérience des forces en présence. Le second acte voit l’adoption, de 1959 à 1966, d’un régime présidentiel plus autoritaire, censé mieux correspondre à la culture politique indonésienne, qui prendra le nom de Démocratie dirigée. Le troisième acte est dominé par l’épouvantable explosion de violence qui va marquer la fin de l’année 1965 et le début de l’année 66, constituant une chute paroxysmique dont on ne possède toujours pas à ce jour toutes les clefs d’interprétation.
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