1.3. La part de l’origine du peuplement et des influences exogènes précoloniales
Texte intégral
1L’archipel indonésien est certainement le paradis terrestre de la diversité culturelle, linguistique et ethnique. Certains auteurs y ont reconnu plus de 300 groupes ethniques différents, chacun avec une identité culturelle propre, et plus de 250 langues distinctes1. C’est le résultat d’une dynamique de peuplement complexe qui s’est déroulée au fil des siècles dans un univers insulaire atomisé. À vrai dire, pour ce qui est de l’origine des groupes humains ayant peuplé l’Indonésie, la diversité reste limitée car deux grandes vagues migratoires seulement se sont déployées dans l’archipel depuis la préhistoire. La première, formée de populations australo-mélanésiennes, ayant probablement une origine africaine lointaine, s’est répandue dans la région avant la fin de la dernière période glaciaire entamée il y a quelque 17 000 ans. Le niveau des eaux était alors beaucoup plus bas qu’aujourd’hui et la plupart des grandes îles indonésiennes comme Sumatra, Bornéo et Java étaient encore rattachées au continent asiatique, ce qui a permis aux populations de traverser à pied sec la majeure partie de la région et de franchir des distances maritimes restreintes pour s’installer en Nouvelle-Guinée, dans le reste de la Mélanésie et en Australie2. Outre ces deux dernières régions, leurs descendants dans l’archipel indonésien peuplent aujourd’hui essentiellement la Papua et ont laissé des traces dans certaines des îles d’Indonésie orientale qui en sont proches, comme Seram ou Timor. La deuxième vague migratoire, beaucoup plus tardive, est formée de populations mongoloïdes dites austronésiennes qui se sont déployées dès environ 4 000 ans avant le début de l’ère chrétienne, à partir de la Chine méridionale. Transitant par Taiwan et les Philippines, elle ont progressivement peuplé, en quelque milliers d’années et jusque passé l’an 1 000, toutes les grandes îles indonésiennes et au-delà : du côté du levant, la myriade insulaire formant la Micronésie et la Polynésie, définie par les trois pointes de son triangle entre la Nouvelle-Zélande, l’archipel des Hawaii et l’île de Pâques (Rapa Nui) au large de l’Amérique du Sud ; du côté du couchant, la grande île de Madagascar, proche de la côte orientale de l’Afrique3. Les Austronésiens ont ainsi certainement réalisé la plus grande épopée migratoire de l’histoire humaine.
2La grande majorité de la population indonésienne actuelle est donc d’origine austronésienne et les langues des différents groupes qui la composent appartiennent à cette famille linguistique. C’est d’ailleurs le cas de l’ensemble des peuples du monde malais, qui comprend aussi la Malaisie et les Philippines, à l’exception de quelques petits groupes ethniques très restreints d’origine australo-mélanésienne comme les Semang de la péninsule malaise ou les Aetas de Luzon. Toutefois, les archéologues et linguistes spécialistes de cette région distinguent deux épisodes migratoires parmi les populations malaises d’origine austronésienne : ceux qui sont arrivés en premier et ceux qui sont venus plus tard, raison pour laquelle ils ont longtemps été qualifiés de proto et deutero malais. Les principaux groupes ethniques peuplant l’intérieur montagneux ou forestier des grandes îles d’Indonésie occidentale, notamment les Batak de Sumatra, les Dayak de Kalimantan et les Toradja de Sulawesi, ont à priori fait partie de la première vague migratoire, alors que les grandes ethnies majoritaires des plaines et des côtes comme les Javanais, les Sundanais, les Madurais, les Balinais, les Minangkabau de Sumatra Ouest, les Bandjar de Kalimantan Sud, les Bugis de Sulawesi Sud ou les Sassak de Lombok, appartiennent à la seconde. Selon un modèle de peuplement répandu, il est probable que les nouveaux arrivants, plus dynamiques et puissants, ont soit assimilé ceux qui étaient déjà installés avant eux, soit les ont repoussés plus loin, à l’intérieur des grandes îles d’Indonésie occidentale ou vers les plus petites de la partie orientale de l’archipel. L’Indonésie est donc une mosaïque ethnique dérivant de cette double origine de peuplement avec, arrivés bien plus tard, l’ajout d’un certain nombre d’éléments exogènes, comme les membres de ce qui forme aujourd’hui l’importante minorité sino-indonésienne.
Une immense diversité ethnique, linguistique et culturelle de base
3Ce processus historique de différentiation ethnique est à l’origine de la très grande diversité linguistique du pays. Les progrès de la linguistique permettent en fait de dénombrer plus de 350 langues dans l’archipel4, dont plus de 200 d’origine austronésienne et près de 150 se rattachant au tronc papou australo-mélanésien. En effet, les groupes de migrants qui parlaient à l’origine la même langue se sont divisés, ont vécu pendant des siècles séparément dans des habitats isolés les uns des autres et dans des régions initialement peu peuplées où leurs langues ont suivi une évolution propre et sont finalement devenues mutuellement inintelligibles. Mais les configurations linguistiques locales varient aussi en fonction d’événements historiques majeurs, comme l’émergence de grandes formations étatiques, étendant leur domination unificatrice sur de vastes espaces. Ainsi, l’extrême diversité linguistique de la Papua est liée au fait qu’elle est restée sous-peuplée, par de tous petits groupes humains isolés dans de hautes vallées montagneuses ou des régions côtières marécageuses inatteignables. Il n’y a donc jamais eu d’unité politique entre des tribus qui entretenaient plutôt une hostilité réciproque permanente, débouchant régulièrement sur des vendettas et des conflits, au demeurant peu meurtriers. Dans une moindre mesure, il en va de même pour Kalimantan avec ses petits groupes de Dayak nomadisant dans la forêt.
4Au contraire, le javanais est parlé par plus de la moitié de la population de l’île de Java et partout où les Javanais ont émigré dans l’archipel. Il s'agit donc aujourd’hui de la principale langue régionale d’Indonésie, et de loin ; mais aussi, de l’une des plus importantes d’Asie avec 50 à 70 millions de locuteurs5. Cela résulte principalement du fait que des formations étatiques indianisées à base agraire se sont développées dès le 6e siècle à Java, aménageant de vastes périmètres rizicoles irrigués permettant de nourrir une population croissante. Elles ont ensuite culminé du 8e au 10e siècle déjà, avec les avatars successifs du grand royaume de Mataram, qui a imposé la langue de la cour à toutes les régions sous sa domination. Le processus est un peu comparable pour Sumatra où la puissante thalassocratie de Srivijaya, qui a dominé une grande partie de l’Indonésie occidentale du 7e au 11e siècle, a facilité l’expansion de la langue malaise, qui était parlée sur les deux rives du détroit de Malacca, à toute la partie centrale de l’île sous son contrôle direct. Cette langue, qui était déjà la lingua franca de tous les marchands, marins et pèlerins commerçant dans l’archipel ou transitant entre l’Inde et la Chine par cette voie maritime incontournable, s’est encore renforcée avec l’arrivée dans la région au 13e siècle de l’islam, dont elle est devenue l’idiome véhiculaire. Cela explique qu’elle ait été pratiquée ou tout du moins comprise un peu partout dans le pays et que les jeunes nationalistes indonésiens, confrontés en 1928 au choix délicat d’une langue nationale, aient pris la décision stratégique très clairvoyante de privilégier le malais côtier, devenu bahasa indonesia, au lieu du javanais, parlé par le groupe ethnique majoritaire qui dominait aussi la scène politique. Aujourd’hui, tout le monde parle donc la langue nationale indonésienne et une ou plusieurs langues régionales. Les plus importantes après le javanais sont le malais à proprement parler (environ 20 millions de locuteurs), le sundanais (15 millions), le madurais (6 millions), le minangkabau (5 millions), le balinais (2,6 millions) et le buginais (2,3 millions)6. C’est une belle illustration sur le plan linguistique du fait que la devise nationale de Bhinneka Tungal Ika ou « Unité dans la diversité » n’est pas lettre morte. Cela dit, hormis le bahasa indonesia, seuls le javanais, le sundanais et le balinais sont encore vraiment utilisés à une échelle restreinte au niveau des publications.
5Cette grande diversité linguistique correspond naturellement à une non moins grande diversité culturelle, chaque groupe ethnique ayant développé une identité et des formes d’organisation politique, économique et sociale ou d’expression artistique propres. Sur le plan politique, l’éventail des types d’organisation est très large. Il va des grands et puissants royaumes ou sultanats de nature féodale des Javanais, fortement hiérarchisés et caractérisés par des rituels de cour raffinés sinon alambiqués, aux minuscules et modestes tribus papoues, placées sous l’égide du binôme traditionnel formé par un chef et un sorcier, en passant par toutes les formes intermédiaires comme les vastes réseaux claniques des Batak de Sumatra Nord ou les fédérations de principautés des Minang de Sumatra Ouest7.
6Sous l’angle économique, la diversité est également grande, chaque groupe ayant développé des types d’activités particuliers et des préférences spécifiques. Certes, par nécessité, tous ont d’abord été dépendants de ce qu’offrait la nature. Mais que l’on pense simplement au fait que coexistent encore jusqu’à aujourd’hui dans l’archipel, et parfois dans la même île, les trois modes de subsistance traditionnels que sont la chasse-cueillette, pratiquée par certaines tribus papoues, l’agriculture itinérante par essartage et sur brûlis de beaucoup d’autres groupes ethniques, des Kubu de Sumatra aux Dayak de Kalimantan, et la riziculture irriguée de très haute intensité des Javanais ou des Balinais8. À côté de cela, chaque groupe a effectivement développé, à travers son histoire ou son mode d’organisation social propre, certaines préférences pour les autres secteurs de l’économie. Les Javanais peuplent ainsi largement les rangs des fonctionnaires de l’administration publique et les Batak, ayant continué presque jusqu’à la fin de la colonisation à pratiquer leurs farouches vertus guerrières, rejoignent volontiers ceux de l’armée. De leur côté les Minang, habitués à devoir partir de chez eux pour acquérir expérience et richesse (merantau), sont des commerçants hors pair, comme les Bugis de Sulawesi Sud, qui contrôlent aussi le transport maritime traditionnel grâce à leurs grands et majestueux voiliers traditionnels (pinisi). Ces formes de spécialisation économique sont également déterminées par les modes d’organisation sociale ou familiale. Si l’on continue à comparer les cas des Javanais et des Minang, il est par exemple intéressant de noter que les premiers ont un mode d’organisation familial patrilinéaire classique, alors que les seconds, dont l’islam est pourtant beaucoup plus rogoureux, sont restées fidèles à un système matrilinéaire. Tous deux pratiquent par ailleurs, comme la vaste majorité des peuples de la région, la matrilocalité, souvent considérée comme étant favorable à des relations sociales plus équitables9.
7Du point de vue culturel à proprement parler, les contrastes de manières et de comportements sont très grands d’un groupe ethnique à l’autre. Il est par exemple assez courant d’opposer la culture javanaise, raffinée à l’extrême, au point de comporter trois niveaux de langages en fonction de la position hiérarchique de son interlocuteur10, et le style plus direct et même parfois brusque des Batak, qui ne s’encombrent en général pas de circonvolutions excessives pour s’exprimer. Mais c’est au niveau des formes d’expression culturelles comme l’architecture et l’artisanat que la diversité de l’archipel est la plus visible et spectaculaire. Ainsi, l’Indonésie est certainement un terrain de recherche sans égal pour les spécialistes de l’habitat traditionnel. Conceptions, formes et matériaux utilisés varient énormément : de la grande maison communautaire des Batak Karo de Sumatra Nord ou des « maisons longues » (longhouses) des familles élargies Dayak de Kalimantan aux diverses cases des tribus des Maluku ou de Papua, en passant par les palais princiers des Javanais, les superbes constructions à faîtiers multiples des Minang, les petits bungalows des hameaux fermés des Balinais, les maisons individuelles sur pilotis des Malais ou des Bugis, les magnifiques structures au toit en forme de coque de navire (tongkonan) des Toradja des hautes terres de Sulawesi Sud ou les habitations contigües réparties en villages-rues de Nias, de Flores ou de Sumba11.
8Quant à l’artisanat traditionnel, il est d’une richesse et d’une diversité unique incomparable dans tout le sud-est asiatique. Partout dans l’archipel sont mis valeur de manière superbe et variée tous les matériaux disponibles : on façonne l’or, l’argent ou le cuivre, on sculpte la pierre et le bois, on s’adonne à la peinture sur des supports divers et l’on travaille surtout magnifiquement les textiles sous de multiples formes, que ce soit à base de coton ou de soie. Pour ne se concentrer que sur l’artisanat du textile, rappelons que l’art du batik a atteint des sommets de raffinement à Java ou que celui des tissages teints par la technique de l’ikat est pratiqué depuis des lustres dans tout l’archipel indonésien et revêt une diversité de motifs et de couleurs particulièrement grande dans les petites îles de la Sonde comme Flores, Sumba ou Timor12.
Les influences exogènes précoloniales : indianisation et islamisation
9Une telle diversité culturelle, linguistique et, au bout du compte, en partie ethnique est évidemment d’abord et surtout le produit de l’histoire telle qu’elle s’est exercée dans cet univers insulaire complexe. Avant la colonisation occidentale, deux phénomènes majeurs d’influence culturelle exogène venant de ce que Pierre Gourou aurait appelé des « grandes civilisations » ont marqué profondément l’archipel : l’indianisation et l’islamisation. La première a commencé à s’exercer vers le début de notre ère sur pratiquement toute l’Asie du Sud-Est, hormis les Philippines, qui en resteront largement à l’écart, et le nord du Vietnam, qui demeurera dans l’orbite culturelle chinoise. Bien qu’il ait donné lieu à de furieuses controverses historiques, ce phénomène d’indianisation de l’archipel indonésien et de la péninsule indochinoise n’a pas été le fait de conquêtes militaires venues d’Inde, mais a pris une forme pacifique et a surtout été véhiculé par des marchands et des pèlerins13. En fait, les populations austronésiennes de la région étaient déjà fort développées à l’époque, pratiquant la riziculture humide, maîtrisant la métallurgie et étant impliquées dans le commerce maritime régional grâce à d’excellentes techniques de navigation. Mais elles étaient encore organisées sous forme de chefferies relativement simples étendant leur contrôle sur des territoires restreints. C’est alors qu’elles ont commencé à jouer, de par leur situation géographique privilégiée, un rôle important d’intermédiaires dans les relations commerciales et religieuses en pleine croissance entre l’Inde et la Chine, dont les marins et les marchands étaient par ailleurs, comme ceux du Moyen-Orient ou d’Europe méditerranéenne, attirés par la réputation de richesse de cette région connue comme le « Cherchonèse d’or ». La voie terrestre à travers l’isthme de Kra, où la péninsule malaise est la plus étroite, a d’abord constitué pendant les premiers temps celle par laquelle ont transité hommes et marchandises, faisant la richesse du premier grand royaume indianisé de la région, le Funan, situé dans le delta du Mékong, qui fait aujourd’hui partie du Vietnam. Toutefois, dès le 4e siècle, la voie maritime contournant la péninsule malaise s’impose. Elle passe nécessairement par le détroit de Malacca, qui est alors devenu une sorte de « route de la soie » des mers. Des marchands et des pèlerins indiens, mais aussi chinois et arabes, ont dès lors fréquenté régulièrement les ports de la côte orientale de Sumatra, de la péninsule malaise, de la côte nord de Java et de la côte occidentale de Kalimantan, séjournant parfois sur place pendant de nombreux mois en attendant les courants favorables de la mousson, informant les autochtones sur leur religion et leur culture, notamment les modes d’organisation politique et les facteurs à la base de leur prospérité économique, en particulier les techniques d’irrigation.
10Certains chefs locaux, ayant peut-être visité l’Inde mais s’étant certainement enrichis dans ce commerce inter-asiatique, ont vu la possibilité de justifier, de renforcer et d’étendre leurs pouvoirs en empruntant ce qui faisait à leurs yeux la richesse de la culture indienne : la relation étroite entre le pouvoir séculier d’un monarque et les divinités religieuses. Les nouvelles croyances religieuses se sont mélangées et surimposés sans grande difficulté aux vieux rites animistes préexistants. Les chefs locaux se sont mués en rajas et c’est ainsi que des royaumes indianisés autochtones sont apparus dans cette région à partir des premiers siècles de notre ère. Pour reprendre le concept préféré de Pierre Gourou, ces formations étatiques ont emprunté les « techniques de production et d’encadrement » indiennes et elles ont bientôt revêtu deux types de formes radicalement différentes14. Le premier type est celui de formations étatiques à base marchande qui établissent un port et des entrepôts à un endroit stratégique de la côte pour capter une partie du commerce inter-asiatique. Ces ports entretiennent des relations avec leur hinterland immédiat15 et tout un réseau de comptoirs dans l’archipel afin de s’approvisionner en produits tropicaux rares et rentables. Parmi toutes celles qui se sont succédées au fil des siècles, la thalassocratie de Srivijaya, située dans le sud de Sumatra, est la plus intéressante et constitue un peu un archétype en la matière. Le second type de formation étatique est celui de royaumes à base agraire, développant les techniques hydrauliques et étendant progressivement le périmètre rizicole irrigué sous leur contrôle ainsi que leur domination sur les populations paysannes, dont la main d’œuvre est la source de leur prospérité. Entre toutes celles qui ont vu le jour depuis leur émergence initiale dans la région, l’archétype est certainement le royaume agraire de Mataram, localisé dans le centre méridional de Java. Voyons rapidement comment ces formations étatiques fort dissemblables ont fonctionné et en quoi cela a déterminé les relations politiques, économiques et sociales de l’époque ainsi que les évolutions ultérieures de leurs régions d’influence respectives.
11L’empire de Srivijaya, véritable thalassocratie dont le pouvoir dépend de la mer, a probablement été fondé par un chef javanais de la dynastie des Sailendra adhérant au bouddhisme mahayana et ayant trouvé refuge à Sumatra. Cet empire apparaît vers 670, dans les environs de l’actuelle ville de Palembang, à l’embouchure de la rivière Musi. Sa prospérité étant essentiellement basée sur le commerce, il a pour stratégie de contrôler les deux détroits de Malacca et de la Sonde, qui verrouillent l’entrée et la sortie de la mer de Chine du Sud. Il étendra donc sa domination à la fois sur les deux côtes de Sumatra et de Malaisie mais aussi, sur une partie de l’ouest de Java. Cela dit, il entretiendra également jusqu’à la fin de sa domination des relations pacifiques de partenariat économique avec Mataram, basées sur la complémentarité étroite existant avec ce royaume exclusivement agraire, notamment quand une branche de la dynastie des Sailendra s’y empare du pouvoir. Le secret du système mis en place par Srivijaya est de drainer les produits rentables comme l’or, le poivre ou le camphre de l’intérieur de Sumatra et les autres denrées tropicales précieuses du reste de l’archipel, comme le clou de girofle et la noix de muscade des Moluques ou le bois de santal de Timor, dans les entrepôts du port central. Cela attire des marchands venus de toute l’Asie pour y acheter ces biens ou les troquer contre d’autres, notamment de la soie, des porcelaines, du jade ou des textiles, qui seront à leur tour écoulés à travers les mêmes réseaux. Formation étatique marchande située dans une région peu peuplée et guère propice à une agriculture intensive, Srivijaya n’a pas laissé de vestiges archéologiques importants, bien qu’elle ait été un grand centre d’études du bouddhisme.
12Sans base agricole solide, cet empire était donc relativement fragile. Il dépendait uniquement de sa capacité à défendre sa domination commerciale contre la convoitise de tous les rivaux potentiels qui voulaient aussi tirer profit des échanges inter-asiatiques. Au 11e siècle, Srivijaya verra son pouvoir décliner après avoir été attaqué, des deux côtés, à la fois par le nouveau royaume hindouiste de Java Est en 992 et surtout par la puissante dynastie rivale des Chola du Sud de l’Inde en 1025. La grande thalassocratie qui avait dominé tout le monde malais pendant plus de trois siècles disparaîtra sans laisser beaucoup de traces16. Elle sera remplacée au fil des siècles par des formations étatiques de même nature qui se succéderont dans la région des deux détroits, d’abord, suite à l’arrivée de l’islam à la fin du 13e siècle, avec les sultanats de Malacca, sur la côte occidentale de la péninsule Malaise, au 14e-15e siècles, puis de Banten, à Java-Ouest, au 16e et de Aceh, à l’extrémité nord de Sumatra, au 17e. Ensuite, après l’intrusion coloniale occidentale dans l’archipel, ce sera le tour de Batavia, établi par les Hollandais en 1619, jusqu’à la fin du 18e et de Singapour, fondé en 1819 par le britannique Thomas Stamford Raffles, qui dominera tout le commerce régional au 19e et 20e siècles.
13En ce qui concerne Mataram, ce grand royaume indianisé à base agricole établira sa domination dans la fertile plaine de Kedu, voisine de l’actuelle ville de Jogjakarta, en 732, couronnant la succession de plusieurs formations étatiques plus petites qui avaient vu le jour dès la fin du 6e siècle. Son fondateur, chef local converti à l’hindouisme de rite shivaïte, sera cependant rapidement supplanté par la dynastie rivale bouddhiste des Sailendra régnant déjà sur Srivijaya, qui lèguera à l’humanité le magnifique stupa du Borobudur construit au début du 9e siècle. Cette dynastie sera elle-même bientôt remplacée par les descendants de Mataram, qui la repousseront définitivement à Sumatra et rétabliront le culte initial de Shiva en construisant le superbe complexe rival des temples de Prambanan au début du 10e siècle. Voilà qui montre l’étroitesse des relations existant entre Java et Sumatra dès cette période très ancienne. Cette fièvre constructive reflète aussi l’âpreté des luttes pour le pouvoir local, y compris sur le plan symbolique. Quoiqu’il en soit, l’existence de ces monuments religieux admirables prouve que cette région fertile de Java était déjà assez fortement peuplée par des communautés paysannes pratiquant une riziculture irriguée intensive et fournissant la main d’œuvre nécessaire à leur construction à travers les corvées que leur imposait l’aristocratie au pouvoir17.
14Pour des raisons encore mal élucidées, peut être en partie liées à une catastrophe naturelle (éruption violente du volcan Merapi, tremblement de terre majeur ou épidémie de grande envergure), le centre du pouvoir à Java se déplacera à partir de 927 de la région centrale de Jogjakarta vers la partie orientale de l’île, dans la vallée de la rivière Brantas, pas très loin de son embouchure, où se trouve aujourd’hui le grand port de Surabaya, deuxième ville du pays par sa population. Étant désormais tourné vers la mer, le pouvoir javanais, dont la prospérité reposait jusque-là principalement sur la riziculture irriguée, aura dès lors un meilleur accès au commerce. Cette diversification lui assure une plus grande stabilité économique car, en se rapprochant de la production des épices rares des Moluques, il va supplanter Srivijaya, avec qui la complémentarité s’était transformée en rivalité. Deux siècles de grande confusion politique s’ensuivent, au cours desquels se succédert dans cette région plusieurs royaumes indianisés comparables et ou une invasion navale des Mongols sera même repoussée en 1293. Juste après cet épisode, on verra émerger l’empire de Majapahit, le dernier et plus grand d’entre eux18. Les nationalistes indonésiens auront ensuite tendance à en exagérer la puissance pour démontrer que cet empire avait étendu sa domination à l’ensemble du territoire colonial hollandais qu’ils revendiquaient. Il est néanmoins certain que Majapahit a exercé son influence sur une très grande partie de l’archipel, notamment au milieu du 14e siècle, sous l’égide de son célèbre premier ministre Gadjah Mada. Ce sera toutefois aussi le début de son déclin et du pouvoir des royaumes indianisés de Java. Ils vont être successivement gagnés par l’islam, arrivé par le détroit de Malacca dès la fin du 13e siècle, religion à laquelle ils vont se convertir. L’hindouisme sera progressivement repoussé au 15e siècle dans la partie la plus orientale de l’île et trouvera finalement refuge à Bali, d’où il ne sera jamais délogé. À l’arrivée des Hollandais à Java au début du 17e siècle, le pouvoir sera revenu dans sa région d’origine au centre de l’île, après un épisode long et confus de divisions puis de réunification. Il sera alors aux mains du sultan Agung, le grand monarque du sultanat de Mataram qui va essayer sans succès de repousser les colonisateurs.
15Une seconde influence culturelle exogène précoloniale marque donc profondément l’organisation de la société et de la vie politique dans l’archipel indonésien : son islamisation. Comme l’indianisation qui l’avait précédée, l’expansion de l’islam sera d’abord un phénomène commercial, notamment véhiculé par des marchands musulmans venus d’Inde. Leurs partenaires des ports de Sumatra et Java, bien trop heureux de se libérer du joug des royaumes indianisés devenus trop centralisateurs et coercitifs, embrassèrent rapidement la nouvelle religion. La voie ayant été ouverte par les marchands, les petits rajas locaux se convertirent aussi à l’islam et se muèrent l’un après l’autre en sultans. Dès 1290, le royaume indianisé de Pasai et tout le pays d’Aceh, formant la pointe nord de Sumatra, auquel il appartient sont les premiers à afficher leur ralliement à la foi du prophète. Ce phénomène de conversion se répandra ensuite comme une trainée de poudre dans tout l’archipel, depuis Sumatra et la Malaisie péninsulaire, où émergera dès 1410 le grand sultanat de Malacca, qui prendra la relève de Srivijaya dans la région et dominera le commerce inter-asiatique jusqu’à l’arrivée des Européens un siècle plus tard. Il gagnera alors les îles à épices des Moluques où l’on voit l’islam s’imposer à Ternate dès 1460, en passant par la côte nord de Java où le puissant sultanat de Demak établira et élargira son autonomie à partir de 1480, suivi de ceux de Banten et Cirebon à l’ouest en 1525 et des régions de Kediri, Malang et Pasuruan à l’est autour de 1530, puis enfin Java Central vers 158019.
16À la fin du 16e siècle, la partie occidentale, littorale et la plus économiquement utile de l’Indonésie est musulmane - en dehors de Bali, où s’est réfugié l’hindouisme, et des régions montagneuses ou de forêt dense de l’intérieur de Sumatra, de Kalimantan et de Sulawesi ainsi que les îles les plus orientales de la Sonde comme Sumba, Flores et Timor, ou la plupart de celles de l’archipel des Moluques et la Papua, toutes relativement peu peuplées, qui seront christianisées sous la colonisation. Toutefois, la nouvelle religion est venue se surimposer aux anciens mythes et rituels hérités de l’indianisation et aux croyances animistes encore plus anciennes, en se mélangeant dans de savantes et changeantes proportions selon les régions touchées. Elle revêt donc une forme plus ou moins forte et rigoureuse en fonction de la prégnance et de la nature des expressions religieuses antérieures. Là où l’indianisation avait été très profonde, comme dans les régions appartenant depuis plusieurs siècles aux royaumes agraires de Java, l’islam a recouvert le vieux fonds animiste et hindouiste préexistant et donné naissance à une variante syncrétique et tolérante. Cette tendance s’est aussi développée du fait que le soufisme a joué un grand rôle dans l’islamisation de l’île. Autrement dit, on y a adopté l’islam, mais on l’a aussi adapté à ce qui existait auparavant. Cet islam s’est ancré plus profondément ailleurs, là où l’indianisation avait été plus superficielle et n’avait pas débouché sur des cultes élaborés ou la construction de monuments somptuaires, comme à Java Ouest, dans la majeure partie de Sumatra et de Sulawesi ou sur les côtes de Kalimantan. Dans ces régions, il a donné naissance à une pratique religieuse plus proche de sa forme moyen-orientale originelle, plus rigoureuse et nettement moins syncrétique ou tolérante.
Un bilan sur l’époque précoloniale en trois leçons
17Pour conclure ce premier chapitre, on peut dire que ce sont tous ces éléments de nature géographique, démographique, linguistique, ethnique et religieuse qui se sont combinés pour façonner la diversité culturelle extrême de l’Indonésie. Ils expliquent aussi les grandes différences que l’on observe au niveau du peuplement et de la mise en valeur du territoire ou des formes d’organisation politique, économique et sociale des peuples de l’archipel. Trois leçons nous semblent pouvoir être tirées des analyses développées.
18Premièrement, en évitant une nouvelle fois de tomber dans le déterminisme de la géographie, il faut bien reconnaitre que cette dernière joue un rôle majeur pour expliquer les différences dans les dynamiques politiques et économiques qui ont vu le jour dans l’archipel indonésien et se sont développées pendant la période précoloniale. Ainsi, l’émergence au 7e siècle de l’empire de Srivijaya sur la côte orientale de Sumatra, l’imposition de son contrôle économique sur le commerce inter-asiatique transitant dans la région et de sa domination politique sur toute la partie occidentale du monde malais pendant plusieurs siècles (avant d’être remplacé par des avatars successifs voisins, du sultanat de Malacca au 15e à la Cité-État de Singapour au 19e), s’explique en grande partie par une position stratégique privilégiée, au débouché des deux détroits verrouillant l’accès à la mer de Chine du sud. De même, l’apparition du royaume indianisé de Mataram dans la partie centrale et méridionale de Java au 8e siècle, ainsi que la succession d’événements qui vont déplacer le centre du pouvoir javanais dans la partie orientale et septentrionale de l’île du 10e ou 14e, pour l’y ramener au 15e sous l’égide du sultanat du même nom, s’expliquent largement par la fertilité de sols volcaniques et les facilités d’irrigation rendant possibles le développement d’une riziculture intensive. Indirectement, ce sont aussi ces éléments de la géographie qui permettent de comprendre les différences de peuplement entre une île de Java, où l’on trouve déjà de manière continue de fortes concentrations de population dès le 10e siècle, et les autres îles de l’archipel, qui vont rester largement sous-peuplées jusqu’au 20e siècle, hormis certaines enclaves côtières ou minières pendant des périodes restreintes. Ces deux modèles de développement économique impliquent également des formes sensiblement différentes d’organisation du pouvoir politique et des relations sociales en général. Toutefois, au-delà de ces différences, le point commun fondamental à toutes les régions concernées est que des formations étatiques que l’on pourrait qualifier de « développementalistes » apparaissent très tôt dans l’histoire précoloniale de l’Indonésie : les unes tirent principalement leur richesse du commerce inter-asiatique, comme Srivijaya, les autres d’une agriculture intensive, comme Mataram, et certaines d’une combinaison plus équilibrée et stable des deux secteurs économiques, comme Majapahit. Cette tradition de l’État développementaliste va constituer un atout important pour l’avenir du pays. Elle est aussi à l’origine d’un certain nombre de ses handicaps.
19Deuxièmement, il est intéressant de noter que l’histoire s’est adaptée à ces structures géographiques et s’y est même en quelque sorte coulée en les renforçant, voire en les exacerbant, au fil des siècles. Comme nous l’avons vu, cela a été le cas pour les influences culturelles exogènes précoloniales que sont l’indianisation et l’islamisation. Toutes deux ont constitué des phénomènes marchands et religieux de nature essentiellement pacifique. L’indianisation a certainement été la plus déterminante en termes structurels à long terme sur le plan politique et économique. Elle s’est en effet accompagnée du double emprunt de techniques d’encadrement et de production, étant ainsi non seulement à l’origine de l’émergence des premières formations étatiques dans l’archipel mais également, d’une agriculture irriguée intensive capable de supporter de plus fortes densités populations. L’islamisation a certainement été moins déterminante sur le plan infrastructurel de l’économie, ne faisant que s’adapter aux conditions préexistantes et renforcer plus particulièrement le secteur commercial. Cependant, elle a aussi profondément bouleversé ce qui relève du niveau de la superstructure : les relations sociales et l’organisation du pouvoir politique. D’ailleurs, l’islam indonésien, malgré sa spécificité et sa grande diversité, va constituer la force de ralliement majeure pour mobiliser la population contre la colonisation hollandaise. Ce sera le cas dès le sultanat d’Agung, au début du 17e siècle, jusqu’à la création des premières organisations politiques du mouvement nationaliste. au début du 20e. On verra dans le prochain chapitre que la colonisation occidentale, qui constitue la troisième des grandes influences culturelles exogènes s’étant exercées sur l’archipel indonésien, a fortement divergé des deux précédentes par la violence qui s’est exprimé lors de la conquête puis au cours de la longue période de domination. Sinon, elle a procédé exactement de la même manière que l’indianisation ou l’islamisation, en se coulant dans les structures économiques et politiques existantes pour en renforcer et en exacerber certains des aspects dominants. En examinant l’histoire indonésienne depuis son origine à travers un vaste coup d’œil rétrospectif, la continuité semble donc le disputer au changement.
20Troisièmement, l’histoire précoloniale des sociétés indonésiennes démontre leur grande ouverture et leur infinie capacité de différentiation, d’emprunt, de réinterprétation, d’assimilation et de syncrétisme. On emprunte ce qui est utile et peut être assimilé et réinterprété selon les valeurs propres et dans des termes locaux, on laisse le reste de côté. Par exemple, l’indianisation ne débouchera pas à Java sur l’adoption d’un système de castes comparable à celui de l’Inde et la forme qu’il revêt aujourd’hui encore dans la société balinaise est très édulcorée par rapport au modèle originel. De même, l’indianisation et l’islamisation qui suivront ne remettront pas fondamentalement en cause le statut économique et social important dont jouissaient en général les femmes dans la plupart des sociétés traditionnelles du monde malais. Elles ont continué à être activement impliquées dans toutes les activités économiques, sociales et politiques de leur société, bien au-delà de la sphère domestique, de l’agriculture aux arts, en passant par l’artisanat et l’industrie, le commerce, l’administration et même l’armée ou la guerre. Jusqu’à ce jour, à l’inverse de la tradition européenne de la dot, c’est le mari qui doit dédommager ses beaux-parents pour prendre épouse et c’est lui qui va, selon le principe dominant de matrilocalité, s’installer dans la maison de sa femme plutôt que l’inverse, alors que garçons et filles restent en général égaux devant l’héritage, y compris pour ce qui est de la propriété foncière. Cette forte capacité de syncrétisme des sociétés indonésiennes, allié à une grande créativité, participe beaucoup de leur immense diversité et fonde leur originalité intrinsèque. L’un des meilleurs exemples de cet état de fait est le théâtre d’ombre javanais (wayang kulit), largement basé sur l’épopée indienne du mahabharata mais truffé de personnages, d’intrigues et d’histoires annexes sortis de l’imagination locale et des croyances animistes pré-hindouistes, au point qu’il serait difficilement compréhensible en Inde20.
21Il est donc très important de prendre en compte l’héritage d’une histoire précoloniale riche et variée s’inscrivant dans un cadre géographique très différencié, pour saisir les enjeux économiques, politiques, sociaux et culturels auxquels est confrontée l’Indonésie contemporaine. Cela a parfois donné lieu à des exagérations, comme celle que les nationalistes donneront à la grandeur passée pour lutter contre le colonialisme. C’est bien dans cette histoire précoloniale que se trouve aussi l’origine précoce d’une tradition étatique qui sera un atout déterminant pour le développement du pays depuis son indépendance, même si certaines des traditions qui l’accompagnent ont également constitué des handicaps difficiles à surmonter par le passé et continuent à faire peser des incertitudes sur l’avenir. C’est encore cet héritage précolonial qui explique très largement la diversité culturelle et religieuse probablement sans égale de l’Indonésie. Cette dernière constitue un déterminant fondamental de sa situation actuelle, est à l’origine d’une identité complexe et reste la source de tensions et de conflits multiples dont on verra qu’ils ont failli déboucher plusieurs fois sur l’implosion du pays et qui continuent à menacer son unité. La devise nationale incantatoire qui prône l’ « Unité dans la diversité » (Bhinekka Tunggal Ika) est certes admirable, mais bien difficile à mettre en œuvre. Car les Indonésiens sont infiniment divers. Comment par exemple arriver à concilier les valeurs et aspirations d’un Javanais de l’aristocratie, héritier d’une culture de cour raffinée, vivant à Jakarta et ayant fait son doctorat en économie aux États-Unis, parlant parfaitement la langue nationale indonésienne, sa propre langue maternelle plus compliquée et l’anglais et travaillant comme cadre supérieur dans une compagnie multinationale au 20e étage d’un building hypermoderne du centre-ville, avec celles d’un Korowaï, membre d’une minuscule tribu papoue animiste isolée dans une région de forêt marécageuse impénétrable, vivant dans une hutte perchée à 20 mètres au sommet de la canopée, totalement illettré, ne parlant que l’idiome de son groupe ethnique restreint et survivant grâce à la chasse et la cueillette ? Il s’agit là d’un grand écart un peu schizophrénique ! Néanmoins, une bonne partie de l’enjeu du développement national se situe bien là. Mais par ailleurs, les facteurs d’unité entre les peuples de l’archipel sont bel et bien existants, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, au-delà de leur diversité culturelle, linguistique et religieuse, ils partagent aussi, dans leur grande majorité, une culture politique ancienne comparable, dont certaines composantes sont d’ailleurs la cause des problèmes de patrimonialisme, d’oligarchie, de népotisme, de dérive dynastique et de corruption qui rendent difficile un développement économique harmonieux et équitable, une plus grande justice sociale et l’approfondissement de la démocratie. Mais à l’inverse, cette même culture est porteuse d’espoir car elle est pétrie des idéaux dont le respect devrait justement permettre d’atteindre ces mêmes buts. C’est bien là le dilemme auquel l’Indonésie est actuellement confrontée.
22Après avoir vu comment elle a absorbé avec un génie syncrétique sans pareil les vagues d’influences culturelles exogènes successives de l’indianisation puis de l’islamisation, examinons maintenant comment l’Indonésie a assumé le poids d’un héritage colonial aussi long que lourd qui a eu une influence profonde sur les structures économiques, le mode de gestion du pouvoir politique et l’organisation sociale du pays.
Notes de bas de page
1 Pour plus de détails à ce sujet, se reporter au chapitre de Hildred Geertz sur les questions de diversité culturelle du pays cité précédemment inclus dans l’ouvrage dirigé par Ruth Mc Vey, Indonesia (1963 : 24).
2 Ces quelques informations succinctes proviennent de Cribb (2000 : 29-30). Pour plus de détails sur la question, il faut toutefois se reporter à la somme monumentale de Peter Bellwood, Man’s Conquest of the Pacific, The Prehistory of Southeast Asia and Oceania (1978).
3 Ibid, ainsi que Peter Bellwood, James J. Fox and Darrell Tryon (Editors), The Austronesians (1995).
4 Une estimation plus récente de 2011 en a même identifié 652 !
5 Cribb (2000 : 31-37).
6 Ibid.
7 Outre le chapitre de Hildred Geertz mentionné précédemment, nous nous sommes beaucoup inspiré, pour ces quelques considérations sur les questions de diversité ethnique et culturelle, des ouvrages de R.M. Koentjaraningrat (1975) et de Peacock (1973)
8 Sur cette question de comparaison des modes de subsistance dans l’archipel, le chapitre de Karl Pelzer, « The Agricultural Foundation », publié dans le même ouvrage classique mentionné plusieurs fois et dirigé par McVey (1963 : 118-154), reste incontournable. Voir également, du même auteur, son classique et magnifique Pioneer Settlement in the Asiatic Tropics, Studies in Land Utilization and Agricultural Colonization in Southeastern Asia (1948). En français l’ouvrage le plus important, lui aussi classique sur ces questions, reste celui de Charles Robequain, Le monde malais (1946).
9 Sur ce sujet, se reporter à l’impressionnante somme sur la parenté dans le monde du démographe français Emmanuel Todd, L’origine des systèmes familiaux (2011 : 255-302).
10 Pour en savoir plus sur la culture javanaise, dont nous aurons l’occasion de beaucoup reparler dans cet ouvrage vu son importance dans la politique nationale indonésienne, il est indispensable de consulter l’ouvrage de base encore inégalé à ce jour de Koentjaraningrat, Javanese Culture (1985).
11 Voir à ce sujet le riche et magnifique ouvrage de Roxana Waterson, The Living House (1990).
12 Vu leur richesse, de très nombreux et superbes ouvrages ont été consacrés aux textiles d’Indonésie. Parmi les plus intéressants et mieux illustrés, mentionnons ceux de Mattiebelle Gittinger, Splendid Symbols (1990), et de Michael Hitchcock, Indonesian Textiles, (1991).
13 Sur l’indianisation de l’Asie du Sud-Est, le meilleur ouvrage reste à ce jour le chef d’œuvre de Georges Coèdes, Les états hindouisés d’Indochine et d’Indonésie (1964). Pour une mise au point plus récente sur la question, on peut aussi se reporter à l’excellent chapitre 4 du volume 1 de la monumentale Cambridge History of Southeast Asia (1993) édité par Nicholas Tarling, rédigé en l’occurrence par Kenneth Hall « History of Early Southeast Asia » (183-275).
14 Notre collègue Michel Bruneau a publié un excellent et très utile ouvrage sur ces questions intitulé Asie d’entre Inde et Chine (2006) dans lequel il fait la synthèse de ses réflexions de géographe sur la diversité des formations étatiques en Asie du Sud-Est.
15 C’est ce que certains historiens ont théorisé comme étant la relation dite hulu-hilir (amont-aval d’une rivière ou, par extension, régions intérieures vs. zones côtières) que l’on retrouve tout au long de l’histoire à Sumatra et aussi à Kalimantan.
16 Le grand historien de Srivijaya reste Oliver W. Wolters, Early Indonesian Commerce, A Study of the Origins of Srivijaya, (1967). Toutefois, on s’est essentiellement basé pour cette synthèse sur Srivijaya sur Kenneth Hall (1993 : 196-202).
17 L’archétype du royaume agraire indianisé reste l’empire angkorien du Cambodge qui régna sur une bonne partie de la péninsule indochinoise du 8e au 14e siècles. Sur le Cambodge angkorien les nombreux travaux des Groslier, père et fils, George et Bernard-Philippe, restent la meilleure source de connaissances et d’analyses. Pour des synthèses plus récentes, l’auteure la plus intéressante et prolifique est Madeleine Giteau, ancienne conservatrice du Musée National de Phnom Penh.
18 Le meilleur historien de l’indianisation de Java reste N.J. Krom qui a publié en 1931 une somme de deux volumes sur la question intitulée Hindoe-Javaansche geschiedenis dont les principales interprétations ont ensuite été beaucoup critiquées par ses successeurs. Pour une synthèse plus récente sur cette période, la meilleure référence reste le chapitre 2 intitulé « The Kingdoms of Java and Sumatra » dans l’ouvrage moins ancien de l’historien B.H.M. Vlekke, Nusantara (1965 : 35-58). Sur Majapahit, on peut aussi consulter Slametmuljana, A Story of Majapahit (1976). Cependant, on s’est essentiellement basé pour cette synthèse sur Mataram et les royaumes agraires javanais également sur Kenneth Hall (1993: 202-26).
19 Cribb (2000 : 44-45).
20 De nombreux ouvrages ont été consacrés à l’art du wayang kulit dont le plus accessible reste celui de H. Ulbricht, Wayang Purwa, Shadows of the Past (1970). Toutefois, pour une analyse profonde de sa signification, il est fondamental de revenir au fascinant essai de Benedict Anderson, Mythology and the Tolerance of the Javanese, (1965). Pour une réflexion plus récente mais tout aussi riche, voir Ward Keeler, Javanese Shadow Plays, Javanese Selves (1987).
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