1 Les résultats présentés ici proviennent d’une recherche consacrée aux processus et aux conditions d’institutionnalisation du genre comme répertoire savant, politique et bureaucratique dans les anciens pays socialistes d’Europe de l’Est (Cîrstocea 2016).
2 Sur les réformes des universités dans les pays ex-socialistes, voir Revue d’études comparatives Est-Ouest (2014). Sur les études sur le genre en Europe de l’Est et leur place dans les dynamiques de la « mondialisation universitaire », voir Zimmermann (2007). Pour des bilans par pays, se référer à Daskalova et al. (2010) et Mlinarević et al. (2011).
3 Pour un exemple, voir Jampy (2012).
4 Dans le cas roumain, elle est entrée dans la classification officielle des occupations en 2014 sous l’intitulé « expert de l’égalité des chances ». Voir COR (Clasificarea ocupaţiilor în România/Classification des occupations en Roumanie) 2015, code 242230.
5 Voir Mintrom et True (2001) pour un tableau comparatif des « mécanismes pour l’égalité » dans plusieurs dizaines de pays à la fin de la décennie 1990.
6 Voir Bustelo, Ferguson et Forest (2016) pour une collection de travaux issus de ces milieux et proposant un retour analytique sur leur vocation et les pratiques en leur sein. Voir Blanchard (2013) pour une sociologie très fine de l’espace professionnel du conseil à l’égalité en France.
7 J’emprunte le terme « pionnières » à Lagrave (1990, 28).
8 Pour les principes de l’approche prosopographique, voir Lemercier et Picard (2011). Mes recherches sur des biographies collectives, inspirées aussi des propositions méthodologiques de Topalov (1999) et Saunier (2013) consistent à reconstituer des groupes d’acteurs, à corroborer et à comparer des trajectoires sociales de leurs membres et à appréhender l’espace social constitué autour d’institutions carrefours qui contribuent à la circulation internationale de nouvelles catégories cognitives – en l’occurrence le genre dans le contexte historique et politique de la décennie 1990. La sociographie présentée ici a également été discutée dans Cîrstocea (2018).
9 En montant des financements, elle a été la plus importante des institutions internationales intervenant dans les anciens pays socialistes pendant la décennie 1990 et a apporté, de 1989 à 1997, entre un tiers et la moitié de l’aide externe à la démocratisation, voir Pospisilova (2014, 136). En plus de ses sièges new-yorkais et budapestois, la Fondation Soros inclut dans son périmètre des branches nationales (appelées Fondations pour une société ouverte) dans la majorité des pays ex-socialistes, ainsi qu’un établissement privé d’enseignement supérieur (Central European University, CEU) et un centre de documentation (Open Society Archives, OSA) sis à Budapest.
10 Pour d’autres éléments, se référer à Cîrstocea (2010 ; 2011 ; 2012a ; 2012b ; 2015a ; 2017).
11 Ce vocabulaire est emprunté à l’histoire transnationale (Saunier 2013).
12 Je remercie Victor Lepaux (membre de Sociétés, acteurs, gouvernements en Europe-SAGE, à Strasbourg) pour son aide au traitement quantitatif des données dont les résultats sont présentés ici.
13 Seules les individues concernées par trois occurrences et plus ont été retenues pour la présente analyse.
14 Conférence de lancement du NEWW, Dubrovnik, 1991 ; colloque international « What can we do for ourselves ? », Women’s Studies Center, Belgrade, 1994 ; conférence de Pékin (ONU), 1995 ; séminaire régional sur genre et culture, Central European University (CEU), Budapest, 1994–2000 ; congrès international « Gender and women’s studies in the countries in transition », Belgrade, 1998 ; « Gender Studies Minischool » et « Translation Seminar », deux événements organisés dans le cadre d’un programme de la Fondation Soros intitulé « Network Women’s Program », Budapest, 1999.
15 Membres du NEWW en 1992 et en 1996 ; membres du comité international d’initiative du NEWW en 1996 et 1998 ; bénéficiaires d’aides attribuées par NEWW (1990–2000) ; boursières de la Fondation Soros (1990-2000) ; membres du corps enseignant de la CEU (1990–2000) ; membres du Network Women’s Program, OSI (1997–2000).
16 Les variables renseignées dans la base de données sont les suivantes : pays d’origine ; date de naissance ; date et lieu d’obtention du premier diplôme ; domaine ou discipline de spécialisation initiale ; date et lieu d’obtention du diplôme le plus élevé ; domaine de spécialisation correspondant au diplôme le plus élevé ; bourses d’études à l’étranger ; dernière position professionnelle connue ; expérience professionnelle (succession des postes occupés) ; expérience professionnelle à l’étranger ; date de la première publication ; date de la première publication internationale ; date de la première publication dans le domaine des études sur le genre (ou sur des thématiques « femmes », « féminisme ») ; traductions ; activités militantes (participation à des associations, ONG, partis politiques) ; appartenance à des comités scientifiques nationaux et internationaux ; mandats gouvernementaux ; missions auprès d’organisations internationales.
17 Yougoslavie (24), Bulgarie (10), Pologne (10), Roumanie (9), Tchécoslovaquie (8), Hongrie (8), Allemagne de l’Est (5), Russie (4), Lettonie (2), Ukraine (2), Albanie (2), Biélorussie (1). Les trois quarts des individues sont toutefois originaires de l’ancienne Yougoslavie (28%), Bulgarie et Pologne (12%), Hongrie et Roumanie (11%).
18 80 % des premiers diplômes relèvent des sciences humaines et sociales (SHS) : lettres (28%), philosophie (16%), sociologie (15%). Le diplôme le plus élevé est en SHS pour 89 % des cas.
19 83 % des individues ont étudié à l’étranger à différents titres (notamment en tant que boursières effectuant des stages de formation après l’obtention des premiers diplômes universitaires).
20 88 % ont eu des expériences professionnelles internationales (surtout des collaborations temporaires avec des organisations internationales ou des institutions académiques) et quasiment toutes ont publié à l’étranger ou en langue étrangère. Une personne sur quatre a obtenu une distinction internationale et 71 % appartiennent à un comité international. La plupart des individues sont concernées par au moins un des aspects relatifs à l’internationalisation (91 %).
21 69 % des individues ont occupé un poste académique permanent. Ce taux s’élève à 72 % si l’on prend en compte les postes temporaires et collaborations.
22 Hors informations non trouvées, 88 % des individues ont été membre ou fondatrice d’une association après 1989, 54 % ont eu des activités dissidentes avant 1989, 31 % ont eu un mandat gouvernemental ou une mission d’expertise, 25 % ont obtenu une récompense pour leur engagement citoyen et 14 % ont été candidates à une élection ou ont eu une activité partisane. Au total, 84 % des individues ont eu au moins une de ces activités et 52 % en ont eu au moins deux.
23 Il s’agit d’un répertoire de membres du NEWW.
24 Plus des trois quarts des entrantes avant 1996 sont nées avant 1960 contre à peine plus de la moitié des entrantes de la seconde moitié de l’intervalle. L’année moyenne de naissance est 1952 pour les premières, 1958 pour les autres.
25 Pour n’en donner qu’un exemple, les féministes roumaines dénoncent pendant les années 1990 le « mensonge de l’émancipation communiste des femmes » et elles affirment que l’égalité prônée par la propagande dissimulait en fait une égale subordination des femmes et des hommes par l’État totalitaire. Défini comme une « androcratie », cet État se serait approprié les capacités productives et reproductives des femmes, vidant de sens et même compromettant la notion de participation politique, puisque celle-ci était formelle (voir Miroiu Popescu 1999 ; Miroiu 1999).
26 Le cas emblématique en ce sens est celui de Jirina Siklova, doyenne d’âge de mon échantillon. Née en 1935 dans une famille d’intellectuels praguois, elle a suivi des études en histoire, a adhéré au Parti communiste (PC) en 1958 et a commencé à enseigner à la faculté de philosophie de l’université Charles en 1960. En 1965 elle a obtenu son doctorat en menant une recherche sur les activités des Young Men’s Christian Association (YMCA) en Tchécoslovaquie. Mutée la même année dans une section de sociologie, elle y a mené, entre autres, des recherches sur les mouvements étudiants occidentaux rattachés à la Nouvelle gauche. Dans le contexte de la « normalisation », elle a pris des positions critiques, quitté le PC en 1969, perdu son poste universitaire et occupé pendant plusieurs années des emplois non qualifiés. En 1971, elle a intégré l’équipe de recherche en santé publique d’un service hospitalier praguois où elle a conduit des études sociologiques et publié des analyses sous pseudonyme. Elle a poursuivi des activités dissidentes (publications, communication de samizdats) pendant les décennies 1970 et 1980 et a été emprisonnée pendant plusieurs mois en 1981-1982, pour perdre à nouveau son emploi en 1988. Embauchée comme ouvrière non qualifiée jusqu’à la Révolution de velours, elle a été invitée en 1990 à réintégrer son université. Elle y a refondé la faculté d’assistance sociale dont elle a été professeure jusqu’à sa retraite en 2000 et elle y a continué ses enseignements jusqu’en 2015. Engagée dans une multitude d’activités civiques, elle est aussi la co-fondatrice du Gender Studies Centre de Prague en 1991. Elle a participé à la Conférence de Pékin, a été nommée « Femme d’Europe » en 1995 et a reçu de nombreuses distinctions pour ses activités politiques et académiques (voir Precan 2015).
27 Comme le signalent de nombreux travaux qui ont traité de la question de l’« ONGisation » du féminisme, y compris sur des terrains est-européens, par exemple Lang (1997) ; Ghodsee (2004 ; 2006) ; Bagić (2006) ; Hemment (2007) ; Guenther (2011). Pour des critiques et nuances de cette approche, voir Bernal et Grewal (2014) ; Cîrstocea, Lacombe et Marteu (2018) ; Cultures & Conflits (2011).
28 Voir Cîrstocea (2018) pour des détails sur son profil.
29 Née en 1955, professeure à l’université de Zadar, elle est titulaire d’une licence de philosophie et d’un doctorat en science politique et a cofondé le Centre d’études sur les femmes de Zagreb, qu’elle a dirigé pendant 15 ans.
30 Les noms de Gayatri Chakravorty Spivak, Chandra Talpade Mohanty, Edward Saïd, Maria Todorova, Hohmi Bhabha et Arjun Appadurai sont cités, ainsi que le féminisme marxiste.
31 Intitulé « Politiques de l’égalité des chances en Roumanie et en Europe », ce dernier est proposé à la faculté de sciences politiques de l’université de Bucarest depuis 2011 dans le cadre d’un partenariat européen intitulé « Études genre pour des actions liées à l’égalité dans la société – EGALES » financé par le programme Erasmus Life Long Learning (http://www.fspub.unibuc.ro/despre/curricula/mpes).
32 Popularisée par Burton Clark à la fin de la décennie 1990 (Clark 1998), la formule est un maître mot des réformes néolibérales des universités depuis vingt ans.
33 Les intitulés des programmes établis à la fin de la décennie 1990 y faisaient systématiquement recours, ainsi que ceux des enseignements dispensés dans leur cadre : Études sur le genre ; Genre et politiques publiques ; Genre et politiques européennes ; Politiques, genre et minorités ; Sociologie du genre ; Genre et institutions sociales ; Genre et politiques publiques ; Culture, genre et diversité ; Genre et représentation politique ; Genre et médias ; Genre et globalisation ; Genre et pouvoir (voir Frunză et al. 2006).
34 Institutions de l’Union européenne ; Politiques des communautés européennes ; Administration des fonds communautaires (Frunză et al. 2006).
35 Pour des détails sur la configuration et les évolutions de la carte institutionnelle de l’égalité en Roumanie, voir Massino et Raluca (2015).
36 Élaboré au titre de l’intégration de l’acquis communautaire de l’Union européenne, cet acte normatif a été émis en 2002 et a connu par la suite diverses reformulations.
37 Voir http://centrulfilia.ro
38 Il s’agit d’une ONG spécialisée dans la défense des droits humains fondée en 2008 et soutenue, entre autres, par la Fondation Soros.
39 http://eige.europa.eu/more-areas/women-and-men-inspiring-europe-resource-pool/oana-baluta
40 Entretien, 4 mai 2016.
41 La formule appartient à Cerwonka (2008). Voir Jacquot (2014) et Bustelo, Ferguson et Forest (2016) pour des analyses des modalités pratiques de l’incorporation du genre dans les répertoires de l’Union européenne et d’autres organismes internationaux ainsi que, plus récemment, des entreprises privées.
42 Cette conclusion rejoint celles des travaux réunis dans Cîrstocea, Lacombe et Marteu (2018).