Les cuisines collectives dans les communautés urbaines marginales au Pérou
p. 351-380
Note de l’éditeur
Référence papier : Anderson, J., ‘Les cuisines collectives dans les communautés urbaines marginales au Pérou’, in C. Verschuur, I. Guérin et I. Hillenkamp (dir.), Genre et économie solidaire, des croisements nécessaires, Cahiers Genre et Développement, n°10, Genève, Paris : L'Harmattan, 2017, pp. 351-380. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1Les cuisines collectives – le regroupement de plusieurs ménages pour la préparation de leurs repas selon un principe de partage des frais, de la charge de travail et (occasionnellement) du caractère social des repas pris en commun – sont une idée aussi ancienne que l’Utopie féministe (Hayden 1985). Les réformistes sociaux, religieux et pratiques se sont laissés convaincre par cette idée pour des raisons multiples et variées, parmi lesquelles son efficacité économique.
2Pendant les crises économiques des années 1970, 1980 et 1990, les comedores populares1 qui se sont développés dans toute l’Amérique latine se sont révélés cruciaux dans la lutte contre la faim et la pauvreté. Pour nombre de leurs partisan-es et membres, ils étaient d’autant plus attrayants qu’ils permettaient de prolonger les programmes idéologiques de gauche, de placer les inégalités de genre en première ligne et de construire un mouvement politique fondé sur la satisfaction des besoins pratiques des masses marginalisées. À leur apogée dans la seconde moitié des années 1980 et au début des années 1990, les comedores populares se comptaient par milliers au Pérou. Ils étaient alors abondamment subventionnés par le gouvernement qui leur fournissait équipement et nourriture, et ils étaient également largement soutenus par la classe politique. Si toutes ces structures appartiennent à la catégorie des cuisines collectives, elles diffèrent par leur organisation, leur mode de fonctionnement et leur taille. Les féministes et les ONG de femmes ont soutenu les comedores et les autres programmes alimentaires d’urgence qui requéraient l’organisation de groupes de femmes issues de la base et elles ont été promptes à leur proposer une assistance technique, des formations et un ancrage politique.
3Parce qu’ils combinent toutes ces caractéristiques, les comedores se situent à l’intersection de l’économie féministe et des débats actuels sur les économies du partage et de la solidarité. Cet article explore certaines des questions qui découlent de ce positionnement. En quoi, et dans quelle mesure, les comedores illustrent-ils la théorie et les principes de l’économie féministe ? Comment traduisent-ils le concept de solidarité sociale ? Permettent-ils d’identifier des moyens de faire coïncider solidarité économique et justice de genre au-delà des sphères de l’alimentation familiale et de l’approvisionnement du ménage ?
4Ces questions sont complexes et les données empiriques en la matière restent parfois incomplètes. Le mouvement des comedores présente en effet une dimension politique et une dimension économique ; mais on pourrait en ajouter une troisième de nature psychologique, culturelle et morale. Si les comedores sont nés de la nécessité de compenser un stress économique, ils ont aussi été un vecteur de la participation des femmes à la vie politique. D’emblée, nous connaissons donc le caractère multiple des priorités des acteur-trices concerné-es par notre objet d’analyse. En quatre décennies, il est probable que la prééminence des unes sur les autres ait évolué. Nous reconstituerons ce puzzle en nous replaçant dans une perspective historique2.
L’âge d’or (non sans contradictions)
5Les comedores sont nés de la rencontre de deux courants d’influence. Le premier trouvait son origine dans la solidarité chrétienne et dans une forme d’identification avec les pauvres, dans un pays dont la grande majorité de la population appartenait jusque très récemment à cette catégorie. Dans les années 1960 et 1970, en réaction à l’intensification des flux migratoires des zones rurales vers les zones urbaines, l’Église catholique péruvienne a encouragé la création de communautés chrétiennes de base et a nommé des prêtres et des religieuses dans les nouveaux bidonvilles pour accompagner la population dans sa lutte pour bénéficier à la fois des services publics et d’une reconnaissance. Les protestants évangéliques ont, de leur côté, organisé des groupes de prière et d’aide sociale. Ce sont les partis politiques de gauche locaux qui ont donné naissance au second courant. Ils étaient en quête de stratégies permettant aux femmes de prendre part à la lutte pour le socialisme sans que cette évolution ne remettre en cause la domination masculine ou les dogmes dominants relatifs aux rapports de genre, au rôle de la famille, à l’organisation du travail ou au développement optimal d’un mouvement politique populaire de masse.
6L’ordre établi s’est objectivement trouvé menacé par la croissance et la concentration soudaines de la population urbaine pauvre. Lima, la capitale du pays, s’est trouvée divisée en deux parties de dimensions plus ou moins égales : la partie dite consolidée de la ville, dotée d’un éclairage et de services publics, et les nouveaux quartiers (les « barriadas », rebaptisées du terme optimiste de « pueblos jóvenes », les jeunes villages, par le gouvernement militaire en place dans les années 1970 et encore rebaptisées ultérieurement « asentamientos humanos », campements humains). Les résident-es de ces quartiers étaient, pour la plupart, des migrant-es de fraîche date originaires des Andes rurales, dont le lien avec l’emploi en milieu urbain était précaire, alors même qu’ils-elles luttaient pour construire leur maison ou accéder aux commodités de la ville. Les migrations qui ont eu lieu pendant le boom des années 1960 et du début des années 1970 ont été motivées par la perspective d’obtention d’un emploi en usine dans les villes. Mais, dès la fin des années 1970, l’économie du Pérou s’est effondrée et le pays est entré, comme toute l’Amérique latine, dans la décennie dite perdue. C’est à ce moment que sont apparus les comedores.
7Sara-Lafosse (1984, 77) a mené des recherches capitales pendant les premières années d’existence des comedores. Ces derniers se sont répandus de barriada en barriada à mesure que le prix de la nourriture augmentait et que les emplois disponibles s’évanouissaient. Fondées sur une enquête menée par questionnaire auprès d’un échantillon représentatif, les recherches de Sara-Lafosse montrent que les comedores parvenaient à atteindre leurs objectifs formels. Ils amélioraient l’accès à l’alimentation des familles participantes et contribuaient effectivement à réduire le niveau de malnutrition des enfants et des mères à risque. Ces recherches mettent également en lumière le bon usage que ces structures faisaient de leur stock de nourriture, constitué pour l’essentiel des dons qu’elles recevaient (leur bailleur le plus important étant l’organisme caritatif catholique Caritas). Sara-Lafosse se dit inquiète du risque de voir les familles pauvres devenir dépendantes des dons alimentaires et observe une concurrence entre comedores pour l’obtention de dons et d’autres ressources. Fait intéressant, elle montre également que les femmes placées à la tête des comedores (les dirigentas) étaient, pour la plupart, déjà actives au sein d’autres organisations communautaires et qu’elles mettaient à profit les connaissances qu’elles avaient acquises pour mener à bien la tâche complexe que représente la gestion d’un groupe de dix ou vingt familles – quelquefois plus – censées coopérer. Elles utilisaient notamment leurs compétences pour mettre en application le système de rotation qui permettait aux femmes des familles membres de prendre en charge à tour de rôle les achats, la préparation, le service et le nettoyage. Sara-Lafosse recense également un certain nombre de conséquences positives inattendues de la création des comedores, lesquels se sont développés, dans les années qui ont suivi, bien au-delà de leur objectif initial qui consistait simplement à remplir les assiettes vides des populations pauvres. Ils ont :
encouragé le développement personnel des femmes participantes
contribué à réduire le temps consacré aux tâches ménagères, les heures libérées permettant aux femmes d’occuper un emploi rémunéré, de se former et de s’impliquer dans des activités bénévoles au service de leur communauté
encouragé un changement culturel au sein des familles et fait évoluer les idées relatives à l’égalité dans le mariage en permettant aux femmes de gagner en estime d’elles-mêmes
mis fin à l’isolement des femmes dont la fonction première était la gestion du ménage
permis aux familles de vivre plus en sécurité en œuvrant à une meilleure sécurité alimentaire, à la lutte contre la violence domestique et au renforcement des liens au sein des couples mariés
fait évoluer les systèmes individualisés de transformation des aliments au sein des ménages vers une production de masse plus rationnelle permettant de réduire les coûts associés
renforcé les pratiques démocratiques, la cohésion et l’intégration au sein des communautés pauvres. (Sara-Lafosse 1984, 90)
8Les comedores sont nés approximativement à la même époque que Vaso de Leche, un autre programme d’aide aux populations pauvres lancé en 1984, conçu, financé et mené par la ville de Lima à l’époque gouvernée par une coalition de gauche. Auparavant, certains projets gouvernementaux (souvent menés à l’initiative de la femme du président en place) avaient été mis en œuvre pour distribuer de la nourriture aux clubs de mères. Quelques organismes caritatifs privés avaient également testé des programmes de petit-déjeuner et de distribution d’un « verre de lait » quotidien aux enfants. L’affiliation de tous ces programmes aux gouvernements successifs – et aux partis majoritaires en leur sein – a toujours été un objet de discorde. Rapidement, une fracture s’est imposée entre les comedores subventionnés par le gouvernement et les comedores autonomes dits « autogestionarios ». Ces derniers recevaient des ONG ou des partis politiques d’opposition un soutien financier, un fort soutien administratif et des conseils d’ordre idéologique. Les organisations relevant de l’aide internationale subventionnaient les deux types de comedores, et certaines ont également soutenu le programme Vaso de Leche. De la même façon que comedores subsidiados et comedores autogestionarios s’opposaient, les comedores dans leur ensemble et Vaso de Leche se sont livré une lutte territoriale et une concurrence pour recueillir soutien politique et attention médiatique, ainsi que pour se voir conférer une forme de supériorité morale.
9Bien que la malnutrition et la pauvreté aient toujours été plus présentes dans les zones rurales du Pérou et que quelques municipalités rurales aient fini par s’y associer, les programmes d’aide alimentaire ont été élaborés dans le but d’alléger les souffrances des populations pauvres et marginalisées des villes côtières péruviennes et d’encourager leur intégration. Dans ces villes, des migrant-es originaires de la campagne et des réfugié-es venant des bidonvilles surpeuplés ont créé de nouvelles communautés. À cette période, les institutions locales commençaient juste à se structurer et n’étaient pas encore intégrées dans les réseaux établis permettant d’accéder aux ressources vitales. L’aide alimentaire était donc clairement une mesure de nature palliative. Parallèlement, des organisations militantes des populations urbaines pauvres faisaient valoir des revendications plus générales portant sur les services de base, l’emploi, les débouchés économiques et la représentation politique. Ces voix aux accents critiques et dissidents se sont tues à mesure que la crise économique des années 1980 se prolongeait. Le processus d’organisation des populations pauvres a été étouffé par le gouvernement qui s’est peu à peu trouvé dans l’incapacité de faire la distinction entre les mouvements de protestation légitimes et les groupes agissant en sous-main pour le compte du Sentier lumineux ou d’autres groupes révolutionnaires violents.
10Les structures comme les comedores, Vaso de Leche ou les groupes de promotion de la santé, tous en phase avec l’esprit qui prévalait à la naissance des mouvements populaires, ont permis de faire l’expérience de nouveaux arrangements de genre et de transformer les rôles dévolus aux femmes et les mentalités. Jenkins (2011) met en lumière le caractère féministe militant de nombre des ONG partenaires de ces organisations. Les groupes de promotion de la santé ont œuvré au renforcement des droits des femmes à la contraception, à des rapports sexuels sans risque et au choix de porter ou non des enfants (tout ceci en usant du langage édulcoré acceptable à l’époque).
11Mais, progressivement, le débat relatif aux comedores et au programme Vaso de Leche s’est affranchi des références à l’empowerment des femmes, au fait d’alléger leur emploi du temps et à d’autres nuances de ce type. Réduit à sa plus simple expression, le message est devenu un appel de nature morale aux populations légèrement plus fortunées à faire preuve de solidarité et d’abnégation envers les plus nécessiteux. Emma Hilario, une éminente dirigenta, a tenu ces propos lors d’un atelier organisé par l’ONG Yunta :
À l’heure actuelle, la conjoncture économique est très mauvaise dans notre pays, et c’est l’organisation qui porte le poids de la crise, comme si nous étions coupables de la mauvaise gestion des gouvernements précédents. […] En ces temps d’angoisse et de pauvreté, nous nous élevons vaillamment et avec une grande force morale pour dire : « Ici, nous sommes solidaires ». En tant qu’organisation, nous faisons preuve de sens moral, et nous exigeons également de monsieur le Président une moralité irréprochable. Il a dit dans son discours vouloir une concertation des volontés et nous le prendrons au mot. (Córdoba 1992, 111-112)
12Aux yeux des membres et des partisan-es des comedores, la faim et la pauvreté étaient une insulte aux idées même de justice sociale et de contrat social. Dans leurs déclarations aux médias et pendant leurs manifestations, le même slogan revenait sans cesse : « No matarás, ni con hambre ni con balas (Tu ne tueras point, ni par la faim ni par les balles) ». Un éminent observateur, actif au sein d’une ONG qui défend depuis longtemps les droits des travailleur-euses, a assimilé le programme Vaso de Leche à la conscience de la nation : « Vaso de Leche n’était plus un programme. Il était l’incarnation de la conscience d’un peuple qui jamais ne se laisse intimider, ni par la peur ni par la faim » (García et Morales 1994, 11).
13Pour différentes raisons, il est important de souligner le fait que le phénomène des comedores a offert aux femmes – en tout cas à certaines des femmes impliquées dans le fonctionnement de ces structures – la possibilité d’acquérir des compétences organisationnelles, administratives et politiques. Durant la première moitié des années 1980, les comités locaux se sont rassemblés au sein de fédérations de secteur et de district mais aussi au sein de fédérations de plus grande ampleur qui couvraient l’intégralité du territoire de Lima ou d’autres centres urbains. En 1986, les comedores autogestionarios étaient parvenus à consolider la structure de la Comisión Nacional de Comedores (CNC). Selon de nombreux observateurs, la période 1985-1991 pourrait être définie comme l’âge d’or du programme Vaso de Leche et des comedores à Lima. Ces sont les années durant lesquelles tous ont fonctionné au meilleur de leurs possibilités. Córdoba (1992, 11) a estimé à 1,5 millions le nombre de rations alimentaires quotidiennes produites par les comedores affiliés à la CNC. Si quelques dirigentas régionales ou nationales sont certes devenues des stars des médias et ont même acquis une grande influence politique, les innombrables autres employées des comedores ont exprimé leur frustration de se voir court-circuitées et privées d’accès aux postes à responsabilité et aux formations. Au fil du temps, la fracture entre la base opérationnelle et les membres des comedores d’une part et leurs instances dirigeantes de l’autre n’a fait que s’élargir.
14Il est difficile d’estimer de façon certaine le nombre de comedores en activité dans la mesure où il a varié avec le temps. Il en est de même pour le nombre de membres de chaque comedor et pour le nombre de rations préparées. Rousseau (2009, 102-103) a recensé certains des facteurs déterminants de leur expansion ou de leur contraction : l’abondance des dons alimentaires, la conjoncture économique générale ou encore les autres possibilités offertes aux femmes pauvres pour obtenir un emploi ou des revenus. Rousseau pense que l’on pouvait estimer à 300 le nombre de comedores autogestionarios à Lima en 1986, un chiffre qui a atteint les 3 000 en 1989. En 1991, la ville de Lima comptait apparemment 5 329 comedores tous types confondus, un tiers d’entre eux (1 892) appartenant à la catégorie des comedores autogestionarios. En 1997, le nombre total de comedores autogestionarios était resté stable (1 800) et ces structures rassemblaient environ 45 000 femmes membres. Cette même année, les comedores subventionnés par le gouvernement étaient au nombre de 5 200 et comptaient 70 200 membres. Chaque comedor offrait ses services à un nombre de personnes allant de 100 à 300, et ce du lundi au vendredi ; pendant les week-ends, les ménages devaient compter sur leurs propres ressources.
15À cause des mesures d’ajustement structurel mises en œuvre par le gouvernement Fujimori dès son entrée en fonction en 1990, le nombre de comedores nouvellement établis ou en cours d’établissement a très fortement augmenté car les prix des produits alimentaires de base, du combustible et du gaz de cuisine ont bondi de respectivement 100, 200 et 300 % du jour au lendemain. Une employée de l’une des organisations (Care International) qui distribuaient des dons alimentaires aux comedores témoigne en ces termes des conséquences de ce que l’histoire a retenu sous le nom de « choc Fuji » (Fujishock) sur une communauté des bidonvilles de Pamplona :
Ce qu’ont fait les femmes, c’est entreprendre un travail titanesque pour aider les plus nécessiteux. Au début [avant le choc], elles préparaient 50 rations, puis elles sont passées à 500 voire 600 rations. Elles ont adopté une organisation en trois-huit pour cuisiner. Et à partir de là, le processus qui a fait sortir les femmes d’entre leurs quatre murs s’est accéléré. Elles sont entrées dans la vie sociale. (Entretien avec R.G., employé de Prodía/Care, 2001)
16De façon simultanée, les comedores existants ont doublé voir triplé leur production à mesure que les familles du voisinage se présentaient à leur porte le ventre vide, de nouveaux comedores se sont créés, et la population s’est organisée pour accéder à l’aide alimentaire d’urgence. La situation était désespérée. Parmi les nouvelles organisations, beaucoup se sont révélées incapables de gérer correctement une cuisine collective, et notamment de prendre en charge la logistique, la comptabilité et la préparation même des repas. Elles ont pour la plupart été rayées des listes des bénéficiaires de dons alimentaires dans les semaines et les mois qui ont suivi leur création.
17Quand le Sentier lumineux a délaissé sa stratégie d’occupation et de colonisation des « foyers » ruraux pour s’orienter vers le terrorisme urbain, il a pris les comedores pour cible. Parce que ces structures palliaient les effets du choc Fuji et qu’elles permettaient de maintenir à flot les quartiers urbains marginalisés, elles étaient devenues à la fois indispensables et très visibles. Peu après, un certain nombre de femmes leaders de ces organisations ont été assassinées, ce qui a grandement perturbé le fonctionnement des groupes de femmes sur le terrain. Les ONG partenaires des comedores se sont trouvées dans l’impossibilité de pénétrer dans les barrios sans mettre en danger leurs membres ou les femmes avec lesquelles elles étaient en contact. Les menaces ont fusé, la peur était omniprésente et nombre de femmes ont dû abandonner les organisations auxquelles elles appartenaient (Guzmán et Pinzás 1995 ; Jenkins 2011). Certaines dirigeantes ont été contraintes à l’exil et ne sont jamais revenues au Pérou.
Récupération, incompréhension et occasions manquées
18Le Pérou des années 1990 a été marqué par la présidence d’Alberto Fujimori et par le régime politique toujours plus populiste et dictatorial que ce dernier a imposé (Rousseau 2009). Les rapports entre le régime et les comedores témoignent du degré d’improvisation et d’opportunisme qui a caractérisé les programmes sociaux de cette période, à un moment où la majorité de la population dépendait de mesures d’urgence spécifiques destinées à pallier les effets de la crise économique. Les organisations de femmes de tous types qui œuvraient dans les barrios sont devenues des lieux privilégiés de la mobilisation politique en faveur du régime. Dans le cadre du système opérationnel du PRONAA3, certains comedores plus grands et plus structurés ont été promus au rang de centros de acopio (centres d’approvisionnement), des structures chargées de la distribution des denrées alimentaires aux comedores avoisinants. Les fonctions assumées par les dirigentas de ces centres ont évolué vers des activités comme la préparation de gâteaux d’anniversaire pour le président, l’acheminement des mères et des enfants vers certains lieux de manifestation, l’organisation de cérémonies d’intégration des nouvelles membres des comedores et enfin la distribution du matériel de campagne. Leurs activités de mobilisation politique et leur capacité à distribuer des faveurs se sont accrues de manière exponentielle.
19Ces modalités de collaboration avec le gouvernement sont clairement abusives et illégitimes, mais les comedores et Vaso de Leche ont pris en charge un certain nombre de fonctions qui présageaient de ce que pourrait devenir leur rôle dans un système démocratique en pleine évolution. Dans un système de ce type, les organisations de la société civile apportent leur contribution en élargissant les possibilités d’accès aux services de base et en canalisant la participation des citoyen-nes aux décisions relatives aux programmes gouvernementaux. En 1991, une épidémie de choléra a frappé le Pérou. Les comedores ont joué un rôle clé dans la diffusion des informations, dans la détection des personnes des zones avoisinantes atteintes par la maladie et dans leur prise en charge par les autorités de santé. Ils ont également apporté un soutien alimentaire aux familles dont l’un des membres pivots était hospitalisé. Sur la base d’un contrat formel la liant au ministère de la Santé, la Fédération Vaso de Leche de la métropole de Lima a contribué aux campagnes de vaccination, à la diffusion des informations auprès de la population et à diverses mesures de prévention. Cette relation contractuelle existait avant l’épidémie et s’est poursuivie après. Les comedores ont été intégrés au programme Wawa wasi, un programme national visant à offrir un service de garderie destiné aux enfants des travailleuses pauvres, pour fournir les repas aux enfants pris en charge dans certains foyers et centres communautaires se trouvant dans leur zone d’action. Pour faire partie de ce programme, les comedores devaient poser leur candidature et satisfaire à des exigences strictes relatives à l’hygiène et à la préparation des repas.
20Une étude menée en 1999 par un groupe de chercheur-es de l’Université catholique a révélé de nouvelles facettes de ces dispositifs (Anderson, Vallenas et Castillo 2000). À Lima et dans plusieurs régions centrales du Pérou, nous avons constaté que les agences gouvernementales utilisaient régulièrement les comités Vaso de Leche et les comedores comme point de contact avec la communauté locale. Quand les agences publiques se trouvaient dans l’incapacité d’atteindre leur quota de discussions avec des groupes cibles locaux dans le cadre des campagnes d’information sanitaire, ces organisations de femmes offraient un cadre tout trouvé. Quand leur personnel manquait de temps pour effectuer le suivi des enfants courant un risque de malnutrition ou des femmes enceintes absentes lors des visites de contrôle, la solution idéale consistait à demander aux organisations de femmes d’aller rendre visite aux personnes concernées, même si ce travail les contraignaient à marcher pendant plusieurs heures. Quand une agence gouvernementale avait besoin d’annoncer un salon sur la santé censé se tenir prochainement, elle pouvait demander aux femmes de passer le mot en vaquant à leurs occupations quotidiennes au marché, dans les champs ou dans leur voisinage. Ces tâches relevaient clairement de la responsabilité des institutions publiques et de leur personnel mais les membres des comedores et de Vaso de Leche ne pouvaient que difficilement refuser de les prendre en charge puisqu’elles avaient déjà endossé un rôle d’animatrices sociales au sens large du terme. Pourtant, elles s’exprimaient sans détour sur la surcharge, voire la surexploitation, que cette relation créait pour elles. Si cette collaboration avait donné aux organisations de femmes la possibilité d’accéder aux leviers du pouvoir et aux processus décisionnels locaux, elle aurait sans doute été vécue comme un échange plus équilibré. La recherche s’est également appuyée sur des techniques d’analyse des réseaux qui ont permis d’identifier un schéma systématique divisant les institutions et organisations locales en deux réseaux distincts, le premier s’articulant autour du pouvoir, de la gouvernance, des affaires et des ressources et le second autour des programmes sociaux et de l’aide. Les comedores appartenaient indiscutablement au second réseau, et ce même si leurs ambitions ou la perception que leurs membres avaient de leur propre statut étaient souvent tout autre.
21Dans la seconde moitié des années 1990, les décisions relatives à la politique sociale du pays ont subi l’influence de plus en plus marquée d’un groupe de technocrates du département d’économie et d’administration des entreprises de l’université du Pacifique, un département aux positions fortement néolibérales. Le PRONAA, le programme national d’aide alimentaire, a alors commencé à imposer une pression nouvelle aux comedores placés sous son autorité. Ceux-ci se devaient de devenir plus efficaces et de faire la preuve des résultats obtenus dans l’amélioration de la nutrition et de l’état de santé des consommateur-trices de leurs rations (Portocarrero et al. 2000). Ils se sont également trouvés contraints d’abandonner leur statut de programmes sociaux subventionnés pour devenir des structures autofinancées et génératrices de revenu. Se redéfinissant comme des coopératives ou des microentreprises, les comedores ont créé des boulangeries, des restaurants populaires, des services de livraison de repas pour le personnel des entreprises ou des sites de construction, ainsi que des services de traiteur. Peu d’entre eux ont survécu à cette transition. Leur clientèle traditionnelle, les familles pauvres ou quasi-pauvres, n’étaient pas en mesure de payer leur nourriture plus cher. Cantonnés dans les quartiers pauvres, ne disposant pas du capital social ou financier nécessaire, ils ont été privés d’accès aux marchés plus lucratifs.
Après l’urgence
22Depuis 2000, le Pérou a renoué avec la croissance économique. Le pays connaît une relative stabilité politique et a vu se développer une classe moyenne jouissant d’une certaine prospérité. Portocarrero et al. (2002) ont dénombré 34 000 organisations communautaires de femmes – principalement des comedores et des comités Vaso de Leche – actives sur le territoire péruvien au début de ce siècle. La demande en nourriture subventionnée, la nécessité d’approvisionner les groupes vulnérables en plats préparés et l’existence de familles dont aucun membre n’était disponible pour préparer les repas de midi étaient encore des réalités.
23Une autre étude récente (Blondet et Trivelli 2004), menée à Lima en 2003 par l’Institut des études péruviennes, a tenté d’évaluer la contribution des comedores aux plans quantitatif et qualitatif. Parmi les 15 891 « comedores populares et clubs de mères » existant au Pérou, 5 000 étaient situés à Lima. Ils comptaient 100 000 femmes membres. Ils préparaient 480 000 rations alimentaires par jour et nourrissaient environ 6 % de la population de la zone urbaine. Si les estimations de Córdoba sont exactes, ce chiffre représentait un tiers du nombre de rations préparées et distribuées 15 ans auparavant. En 2003, parmi les consommateur-trices des rations des comedores, 37 % se situaient légèrement au-dessus du seuil de pauvreté (mais seraient tombés sous ce seuil s’ils ou elles avaient été privé-es de la possibilité de bénéficier de repas à bas prix), 51 % étaient pauvres et 12 % indigents.
24En 2004, Blondet (2004, 15) a apporté des compléments d’information sur les avantages dont bénéficient les femmes qui participent aux activités des comedores. Elles s’extraient de l’isolement qui est le leur dans la sphère domestique, rencontrent d’autres femmes, trouvent un soutien émotionnel, partagent leurs problèmes, ont accès à un flux continu de formations pour adultes sur des thèmes allant de la nutrition aux méthodes de confection de jouets en peluche, apprennent à cuisiner pour des groupes, apprennent à gérer un budget et à faire la comptabilité, s’habituent à parler en public, ont la possibilité d’identifier des objectifs et des intérêts personnels, apprennent à entrer en relation et à mener des négociations fructueuses avec les autorités publiques, assument la gestion des affaires internes de leur organisation, supervision et leadership inclus, et enfin mettent en pratique les procédures parlementaires et électorales. En évoluant dans l’échelle hiérarchique des dirigentas de comedores locales, de district et régionales, elles accèdent à d’autres réseaux comme les Mesas de Concertación de Lucha contra la Pobreza (tables rondes de lutte contre la pauvreté). Sans doute un peu nostalgique, Blondet (2004, 15) reprend les revendications qui s’exprimaient il y a 20 ans : « Les comedores populares sont devenus de véritables lieux d’apprentissage de la citoyenneté. C’est au sein de leur organisation que les femmes des milieux populaires se constituent en sujets de droits et d’obligations ».
25Dans son discours sur « l’état de l’union » prononcé devant le Congrès le 28 juillet 2014, le jour de la fête de l’indépendance, le Président a donné le dernier chiffre disponible de la courbe déclinante du nombre des comedores. Le Pérou compte officiellement 13 500 comedores. Mais le fait qu’ils aient été évoqués comme une partie intégrante du système de protection sociale dans un discours présidentiel indique que leur temps n’est pas révolu. Pour le gouvernement actuel du Pérou, les comedores ne constituent pas le cœur des programmes de lutte contre la pauvreté et de développement social. Ils sont considérés comme des structures auxiliaires et c’est dans cette position que réside leur importance. Outre leurs activités de préparation de repas subventionnés destinés aux personnes indigentes, ils fournissent des repas et des en-cas aux garderies, aux cantines scolaires et aux entreprises – à l’occasion des réunions ou des sessions de formations – dans les régions excentrées du pays dépourvues de services de restauration et de traiteur.
26Le néolibéralisme triomphant qui caractérise le climat péruvien contemporain a porté un coup sévère aux comedores. Pourquoi ont-ils été si aisément délogés de la place centrale qu’ils avaient si longtemps occupée ? Pourquoi n’ont-ils jamais été véritablement associés au « sueño de la casa sin cocina (Anderson 1990) – le rêve d’une maison sans cuisine développé dans les Utopies du dix-neuvième siècle et figurant au cœur des revendications féministes fondamentales dans de nombreux autres pays – pour une répartition plus équitable et plus efficace de la charge des tâches ménagères et du travail de care au sein des foyers péruviens ? L’étude de cas qui suit met en lumière d’autres aspects de cette question.
Étude de cas : Pamplona Alta
27Le phénomène des comedores peut être analysé dans le contexte du développement des échanges de services non monétaires et réciproques, de l’entraide communautaire et des services entre voisins qui ont constitué la matrice sociale des projets de développement communautaire élaborés durant les premières années de la formation des nouveaux quartiers urbains au Pérou. La communauté de Leoncio Prado, l’une des quelques centaines de subdivisions administratives de Pamplona Alta, en est un bon exemple. Pamplona Alta est une vaste zone de collines sableuses, située à la lisière sud de la ville de Lima, que l’armée péruvienne utilisait autrefois comme champ de tir pour l’entrainement de ses troupes. Au milieu des années 1960, des groupes de familles s’y sont progressivement installés, s’organisant pour construire leurs cabanes de paille pendant les périodes les plus propices (pendant les vacances de Noël, par exemple, période durant laquelle toute tentative du gouvernement pour les expulser lui aurait valu mauvaise presse). Pendant les années 1970, le gouvernement militaire en place s’est montré relativement tolérant à l’égard des barriadas en expansion et a mis en place certains mécanismes visant à rétablir un ordre relatif dans ce chaos. L’armée a mis des bulldozers à la disposition des habitant-es pour leur permettre de réaliser les opérations de nivellement nécessaires, de dessiner des rues selon un plan en damier et de créer un semblant d’aménagement urbain. Une agence publique spécifique a été créée pour organiser les élections des comités de développement de ces nouveaux quartiers.
28En tant que chercheuse, militante et amie de membres de la communauté de Leoncio Prado, j’ai eu la chance d’être impliquée dans l’évolution de ce quartier depuis les années 1977 et 1978, période pendant laquelle j’ai été invitée à prendre part à une première étude. En 1992 et en 2001, j’ai dirigé les enquêtes de suivi des ménages qui constituaient l’échantillon original (approximativement 8 % de la population totale de la communauté). Durant ces trois phases de recherche, mais aussi grâce à des projets de plus petite envergure consacrés aux organisations de base et à la démocratie locale, j’ai pris connaissance de la riche histoire institutionnelle de cette zone. Dans l’une de ces études, j’ai montré qu’environ 15 % des femmes de la communauté étaient actives au sein d’organisations de base tous types confondus alors que de nombreuses personnes étrangères à cette communauté (y compris certaines féministes et ONG de femmes exagérément enthousiastes) pensaient que la population entière était impliquée et mobilisée dans ces organisations.
29Une autre étude menée par l’ONG GREDES en 1991 a permis d’inventorier les organisations communautaires en activité à cette période et d’explorer les relations qu’elles entretenaient avec leurs homologues locales, les institutions gouvernementales, les organismes philanthropiques, les ONG et enfin les agences de coopération internationale. Le tableau suivant récapitule les résultats de cet inventaire pour Leoncio Prado et, à des fins de comparaison, pour la communauté voisine d’Ollantay.
30L’étude du GREDES a permis de recueillir des informations détaillées sur les types d’échanges (échanges d’informations compris), les modalités de coordination et les projets communs pour lesquels les différentes organisations avaient mis en place des collaborations. Ces interactions allaient du simple prêt d’une salle de réunion et de quelques chaises pliantes à des apports importants de ressources transitant, par exemple, par les associations parents-professeurs, en passant par la vente de tickets de tombola. Certaines des organisations étaient profondément impliquées dans des échanges de niveau local, par exemple les clubs de sport qui se rassemblaient pour organiser des matches ou des tournois locaux. D’autres étaient davantage tournées vers l’extérieur : la plupart des sections locales des partis politiques et les groupes religieux recevaient par exemple leurs directives d’organisations de plus grande envergure. Selon cette étude, les comedores se situaient à l’extrême du spectre des organisations dotées de nombreuses connexions hors de la communauté. Ce positionnement n’est pas surprenant si l’on prend en compte le fait que tous recevaient des subventions d’organismes comme Caritas, de donateurs internationaux via des ONG péruviennes comme FOVIDA ou encore du gouvernement. L’un des comedor recensé coopérait plus ou moins étroitement avec plus de 42 organisations partenaires. Parmi les échanges qui s’opéraient au sein de la communauté, certains étaient de nature hostile. Les organisations étaient en effet souvent en concurrence les unes avec les autres dans leur recherche de clients ou de membres (les femmes qui avaient prouvé leur loyauté sur le terrain, les cuisinières exceptionnellement douées ou les administratrices compétentes étaient particulièrement courtisées) et dans leur lutte pour obtenir le soutien des organisations et des bailleurs étrangers en visite dans leur communauté.
31Indubitablement, les comedores (et les comités Vaso de Leche) ont toujours été une affaire de femmes. Leurs activités, tout d’abord, étaient « féminines » (la cuisine, le service des repas, l’élaboration de budgets et l’approvisionnement alimentaire, la gestion de la cuisine et de l’équipement nécessaire à son fonctionnement). De plus, sauf circonstances exceptionnelles, les hommes étaient exclus du fonctionnement des comedores – et pour être plus précise, je dirais qu’hommes et femmes répondaient dans ce contexte à une logique de répulsion mutuelle. On peut évoquer le contre-exemple d’un comedor situé dans le quartier Leoncio Prado dont la particularité était de rassembler exclusivement des membres atteint-es d’un handicap physique. Ce comedor enfreignait doublement les « règles » établies, non seulement en acceptant aussi bien les hommes que les femmes mais aussi en admettant en son sein des membres qui ne vivait pas à Leoncio Prado. Dans certains quartiers de Lima et dans d’autres régions du Pérou, la participation des hommes aux activités des comedores était autorisée et, dans les faits, un petit nombre d’entre eux se sont joints à ces structures. Après le choc Fuji et la vague de chômage que ce dernier a provoquée, le phénomène s’est amplifié.
32La stricte ségrégation de genre était un phénomène nouveau dans l’univers organisationnel de Leoncio Prado. Si les deux comités de développement situés en haut de la pyramide hiérarchique locale étaient composés exclusivement d’hommes pour l’un et de femmes pour l’autre, les deux collaboraient étroitement et leurs membres avaient souvent des liens de parenté. Les clubs de sport fonctionnaient de manière intégrée : les matches et tournois étaient des manifestations festives auxquelles les familles étaient invitées à se joindre pour passer un bon moment, acheter (ou vendre) des en-cas, assister à un match de football masculin suivi, assez souvent, par un match de volley féminin ou mixte. Les organisations à vocation économique – parmi lesquelles une caisse d’épargne, l’association des vendeur-euses sur les marchés et le groupement des propriétaires de boutiques à domicile – étaient souvent mixtes. L’existence d’organisations et de projets de développement exclusivement féminins est devenue source de conflit dans les années 1980, quand Leoncio Prado, comme d’autres barriadas, a été envahi par des ONG de femmes et des projets destinés aux femmes et subventionnés par le gouvernement. La tradition locale voulait qu’idéalement, hommes et femmes travaillent ensemble.
33Par ailleurs, de nombreux observateurs se demandaient, à cette période, pourquoi les comedores ne prenaient pas plus fermement position contre ce qui leur semblait être la principale menace au bien-être des femmes des secteurs populaires et un danger pour la dynamique des nouvelles communautés comme celles de Leoncio Prado : la violence domestique. Cette question était indéniablement importante pour de nombreuses femmes du mouvement (Córdoba 1992 ; Santisteban 1994 ; Granados 1996) et elle était indiscutablement présente à Leoncio Prado. Trois des fonctionnaires en charge des dons alimentaires destinés aux comedores de la communauté au début des années 1990 l’ont mentionnée pendant des entretiens (des entretiens réalisés en 2001 avec R.G. de Care/Prodía, N.M. de Caritas, L.C. du PRONAA). Pour des raisons que j’évoquerai plus en détail dans la section finale de cet article, les comedores sont restés focalisés sur leurs objectifs centraux. Cette orientation a peu évolué avec le temps, et n’a toléré que quelques concessions aux particularismes locaux.
34L’analyse des organisations locales de Leoncio Prado et de barrios similaires montre que les femmes, en tant qu’actrices politiques, ne diffèrent pas fondamentalement des hommes. Comme d’autres organisations de base, les comedores ont été confrontés à des querelles intestines, à des accusations de chapardage et à d’innombrables difficultés relatives à l’administration des ressources. Mais ils ont œuvré auréolés de l’autorité morale que leur conférait leur noble mission. Les contradictions émotionnelles et psychologiques créées par ces dysfonctionnements semblent avoir compromis toute possibilité de discussion franche sur les difficultés organisationnelles rencontrées (Huamán 1988).
35Les faits montrent la nécessité de repenser la position centrale qu’occupent les comedores depuis quelques décennies dans la mobilisation de la communauté et dans le mouvement politique en faveur d’une réforme démocratique au Pérou. Leur partisan-es, parmi lesquel-les la grande majorité des féministes de l’époque, les considéraient comme le seul terrain d’action envisageable. L’accès des femmes des classes populaires à la citoyenneté dépendait de leur existence. Les communautés locales y voyaient tout autre chose et se montraient bien plus captivées par les vrais terrains d’action – les matchs de football et les festivités connexes.
36Les faits montrent également la nécessité de repenser le rôle des comedores dans les stratégies de lutte contre la pauvreté et dans l’approvisionnement des ménages. Mon intention n’est pas ici de nier la pertinence passée ou actuelle des comedores. Dans le Leoncio Prado d’aujourd’hui, 3 ou 4 d’entre eux ont survécu4. Ils constituent l’un des rouages de la mécanique complexe des systèmes d’approvisionnement qui, au final, permettent – ou non – à certaines familles d’accéder à des ressources d’un bon rapport qualité-prix. Ils jouent le rôle d’un mécanisme d’assurance, l’un parmi les nombreux mécanismes souhaitables dans un contexte politique qui ne cesse de se remodeler et d’évoluer. Au hasard de circonstances indépendantes de leur volonté, il se peut que, dans un futur plus ou moins lointain, les comedores redeviennent une source de nourriture, d’information, de subventions, entre autres ressources. Les populations pauvres doivent en effet utiliser tous les moyens mis à leur disposition pour se protéger des décisions arbitraires prises par des gouvernements instables et des visées prédatrices d’acteurs politiques plus puissants. Cette leçon sur la citoyenneté est apparemment celle que la population de Leoncio Prado a le mieux assimilée, à l’instar de nombreuses autres communautés urbaines populaires dans tout le pays.
Après la rénovation néolibérale
37Étonnamment, au cours de la longue histoire des comedores, on s’est rarement interrogé sur la réalité de leur contribution à la nutrition des populations au service desquelles ils prétendaient se placer. Nous savons que les dons alimentaires du PRONAA (gouvernement péruvien) et des autres agences étaient constitués d’aliments peu variés. Ils comprenaient essentiellement du riz, des légumes secs, de l’huile de cuisson et d’autres aliments non périssables comme des conserves de poisson. Les membres des comedores devaient d’elles-mêmes utiliser les modestes montants qu’elles demandaient en contrepartie des rations (des sommes réduites pour les membres et plus élevées pour les non membres) pour acheter des denrées complémentaires, notamment des légumes frais et de la viande. Huamán (1988) a analysé les menus proposés, teneur en protéine comprise, et constaté que beaucoup n’étaient pas équilibrés. Les pires repas se contentaient de remplir les estomacs et pouvaient, dans certains cas, être complétés par d’autres aliments ajoutés à la maison. Dans les cas les meilleurs, les femmes en charge des comedores étaient habiles et dynamiques, elles négociaient, défendaient leur cause auprès des commerçant-es des marchés locaux et parvenaient à proposer des rations savoureuses et nutritives chaque jour de la semaine ou presque.
38En s’appuyant sur l’enquête menée en 2003 par l’Institut des études péruviennes sur les comedores de Lima, Trivelli (2004, 21-24) a distingué différentes catégories de consommateurs et de consommatrices de ces rations. Dans le respect d’une pratique établie depuis longtemps, près de 60 % des membres payaient, pour chaque ration, un montant proportionnel aux coûts réels. Des rations gratuites étaient réservées aux employées des comedores et aux personnes considérées comme des « cas sociaux ». Pour ces dernières, le coût des repas était couvert par les dons du PRONAA et des autres bailleurs et, pour bénéficier des dons alimentaires, les comedores devaient impérativement prendre en charge gratuitement les repas d’une certaine proportion de cette population particulièrement défavorisée. Une fois cette contrainte satisfaite, les comedores étaient libres de vendre leurs repas aux personnes ne relevant pas de ces catégories. Ils avaient pour la plupart une clientèle stable qui incluait parfois des enseignant-es ainsi que des non-résident-es qui venaient travailler chaque jour dans le voisinage ou des clients occasionnels comme des ouvriers du bâtiment en contrat temporaire, des vendeurs itinérants ou des chauffeurs de bus de passage. Le tableau suivant décrit la structure moyenne de la clientèle de l’ensemble des comedores de la ville de Lima.
39En 2003, les comedores recouraient encore à des technologies extrêmement rudimentaires (Trivelli 2004, 28). Seuls 61 % d’entre eux étaient alimentés en électricité et en eau courante. La préparation des repas était réalisée sur des réchauds au propane de type industriel et les membres des comedores devaient probablement acheter les bouteilles de gaz ailleurs et les acheminer jusqu’à leurs locaux. Moins de 40 % d’entre eux étaient équipés de mixeurs, 18 % d’un réfrigérateur et 4 % d’un four. Les comedores utilisaient principalement des technologies, du matériel, des recettes et des procédures relevant de la cuisine familiale pour produire de grandes quantités de repas, ce qui nécessitait un très fort investissement en travail humain. Le seul élément témoignant d’une « adaptation à l’échelle de la production » était la présence d’énormes marmites qu’il fallait poser sur les réchauds puis retirer. Les longues années d’existence des comedores n’ont à l’évidence pas permis le développement de technologies adaptées. Aucune université ou école technique péruvienne ne s’est investie dans l’élaboration de projets industriels dans ce domaine pour concevoir des équipements de transformation des aliments ou trouver les améliorations qui auraient pu être apportées aux réchauds de cuisine et aux fours. Pour autant que l’on sache, ni les ONG, ni les agences gouvernementales chargées des dons alimentaires, ni les organisations de femmes elles-mêmes ne les ont approchées pour demander à être impliquées dans un processus qui aurait permis de rendre le travail réalisé au sein des comedores plus efficace et moins laborieux.
40Il est éloquent que la disparition progressive des comedores ait laissé la totalité de la population indifférente, jusqu’à leurs partisan-es. Virginia Vargas, l’historienne du féminisme péruvien la plus influente – bien qu’elle soit aussi parfois partiale et tendancieuse – les mentionne à peine dans ses nombreux travaux d’interprétation de l’évolution de la situation des femmes et du féminisme au Pérou pendant ces trente dernières années (voir par exemple Vargas 2006). Parmi les voix les plus fortes pour dénoncer la corruption et l’inefficacité qui régnaient dans le mouvement des comedores et de Vaso de Leche, on trouve de nombreux dirigeants politiques de gauche. Ces structures sont des cibles faciles pour celles et ceux qui, abandonnant leurs anciennes convictions, veulent faire la preuve de leur acceptation éclairée des nouveaux paramètres de la politique sociale. Peut-être parce qu’elles constituaient la pièce la plus importante et la plus visible de l’ancien puzzle de l’aide sociale, ces deux catégories d’organisations de femmes des classes populaires sont devenues, aux yeux des progressistes, les structures les plus faciles à sacrifier au nom des nécessités de la construction d’une architecture sociale nouvelle sous des auspices néolibéraux. Dans ce contexte, il est sans doute pertinent de rappeler que les comedores ont été et restent des organisations de femmes alors que le nouvel establishment en charge de la politique sociale est essentiellement masculin (ses membres étant, de plus, probablement peu impliqués dans les subtilités de l’approvisionnement alimentaire de leur propre foyer).
41Les dirigentas attribuent la responsabilité de l’effondrement du mouvement à la défection des ONG partenaires et des donateurs internationaux (Rousseau 2009). Córdoba (1992) voit dans le déclin de ces organisations le résultat des attaques terroristes, de la démobilisation que celles-ci ont entraînée chez les dirigentas et de la destruction d’un certain nombre de groupes locaux et d’organisations centralisées. Granados (1996) a analysé le phénomène des comedores et de Vaso de Leche depuis sa naissance jusqu’au début des années 1990. Il a notamment étudié l’incapacité de ces structures à se regrouper pour constituer ce qui aurait pu devenir un mouvement politique plus fort et plus solide. Si on a souvent fait porter la responsabilité de cet échec sur les dirigentas et sur leurs querelles et ambitions personnelles, Granados explique cette incapacité par des déficiences de plus grande ampleur imputables aux institutions et aux pratiques du système politique péruvien : la difficulté de résoudre les divergences par la négociation, de faire des compromis et d’établir des coalitions respectueuses des identités institutionnelles.
42Jenkins (2011, 300) a principalement étudié les tensions relatives aux questions de leadership et d’empowerment qui se sont accrues jusqu’à devenir insoutenables. Pendant l’âge d’or, l’empowerment des femmes consistait à adopter une vision critique des conditions sociales et à acquérir les compétences et la motivation nécessaires pour les faire changer. Au début des années 2000, l’esprit et les discours des ONG partenaires comme des leaders des communautés avaient perdu cette approche critique. À l’origine, les ONG qui s’étaient précipitées pour soutenir les comedores encourageaient une forme de critique de la pauvreté et des injustices économiques, mais aussi des inégalités de genre, de l’encierro domestico (enfermement domestique) et de l’impossibilité pour les femmes de prendre part aux processus décisionnels de niveau local ou supérieur. Logiquement, cette critique ne portait pas explicitement sur les tâches ménagères, la préparation des repas et les injustices de la division sexuelle du travail au sein des foyers. Comment aurait-il pu en être autrement ? La préparation des repas fournis par les comedores et les opérations du programme Vaso de Leche étaient en effet encore des activités presque exclusivement féminines.
43Selon certain-es, les comedores ne sont que l’un des aspects de la longue transformation culturelle – plus précisément du déplacement culturel – d’une population rurale contrainte à se repositionner dans un environnement urbain. Ces organisations sont parfois perçues comme un héritage andin. Les femmes ne disaient pourtant pas reproduire en ville les célébrations traditionnelles et les fêtes patronales communautaires de leur région natale. Mais en examinant cette réalité dans une perspective plus large, on constate que cette population rurale a apporté avec elle un certain nombre d’institutions propres à son milieu d’origine et s’est transformée en une population urbaine en abandonnant certaines de ces institutions et en en remaniant d’autres. On trouve, à Leoncio Prado, de nombreux signes de ce processus. Ainsi, les filles de dirigentas et de membres des comedores, élevées et éduquées en ville, n’ont que rarement choisi de s’engager aux côtés de leurs mères quand elles sont à leur tour devenues cheffes de famille, et ce même si elles vivaient dans des conditions de pauvreté très similaires.
44Rousseau résume ainsi cette tendance :
Du fait de multiples facteurs […], parmi lesquels les divisions internes du mouvement et l’impact des violences politiques et des changements dans les politiques des donateurs, le mouvement des cuisines collectives était particulièrement vulnérable aux conséquences du projet néo-populiste du régime Fujimori conjuguant une politique économique néolibérale à une approche autoritaire et clientéliste de l’aide sociale. Le Pérou s’est peu à peu converti à un modèle individualiste et fondé sur le marché dans les années 1990. L’échec de la gauche démocratique, l’affaiblissement drastique du mouvement syndical et les dommages et traumatismes occasionnés par la guerre entre le Sentier lumineux et les forces de sécurité ont favorisé l’adoption définitive de ce nouveau modèle. Ce dernier a sonné le glas de l’idéal des comedores consistant en une organisation autonome fondée sur la solidarité. (Rousseau 2009, 123-124)
Au-delà de la cuisine : les Utopies réelles de la solidarité féministe
45J’ai abordé quelques-uns des constats faits a posteriori par des membres des comedores, par des responsables politiques impliqués ainsi que par les féministes qui ont promu ce mouvement au rang de projet progressiste voire, avec plus d’enthousiasme encore, à celui de première priorité des féministes péruviennes. J’espère avoir décrit, rétrospectivement, la nature du regard posé par les féministes sur le temps et l’énergie consacrés à la création d’une grande organisation dotée d’un ensemble complexe d’objectifs et de priorités et qu’il a été impossible de faire perdurer. L’histoire aurait-elle pu se dérouler autrement ? Cette question n’a sans doute pas reçu l’attention qu’elle méritait. Certaines actrices de ce mouvement suggèrent que, dans certaines conditions, celui-ci aurait pu évoluer différemment. Mais ces conditions sont, pour la plupart, si éloignées de la réalité du Pérou contemporain que leur conjonction en est devenue inconcevable. Ainsi, même les partisan-es les plus convaincu-es semblent désormais s’accorder sur le fait que les comedores ont été une occasion manquée qui ne se représentera plus.
46Portant l’exploration au-delà des acteur-trices et de leurs intentions, d’autres questionnements interrogent le potentiel des comedores à incarner une nouvelle forme d’organisation économique principalement vouée à l’approvisionnement des ménages en repas préparés. En plus d’être, pour les pauvres, une stratégie de survie à court terme et un mode d’accès à l’aide gouvernementale et internationale, les comedores peuvent-ils être considérés comme une tentative de construction d’une « Utopie réelle » qui serait venue s’intégrer de manière permanente aux institutions péruviennes en charge des classes sociales les plus défavorisées ? Peut-on penser que les comedores sont encore susceptibles de constituer la base d’un mouvement visant à remodeler les rôles de genre et à encourager la mise en œuvre des dispositifs économiques différents dans la sphère de l’approvisionnement des ménages et de la division sexuelle du travail au sein des ménages et des communautés ?
47À ce stade de la réflexion, j’aimerais parler des économies de la solidarité réceptives aux revendications et principes féministes. Le concept des Utopies réelles5, développé par le sociologue Eric Olin Wright et nombre de ses collaborateurs, a ceci de commun avec l’économie féministe qu’il accorde une attention spécifique aux aspects pratiques et réalisables. Il renvoie la plupart des questions à la sphère institutionnelle. Quelle forme doit-on donner aux institutions pour qu’elles deviennent des vecteurs de la transformation tout en se consacrant à la résolution des problèmes concrets que la population rencontre au quotidien et dans des conditions réelles ? Il n’est pas urgent d’examiner les autres dispositifs institutionnels que nous souhaiterions pouvoir extraire de la logique de l’économie capitaliste. Mais l’approvisionnement, la préparation et la consommation de notre pain quotidien ne peuvent pas attendre.
48Plusieurs composantes de la transformation socio-économique selon Wright peuvent être mises en relation avec les comedores. J’évoquerai en premier lieu le changement social non intentionnel, que Wright (2010, 273) considère comme un facteur probablement plus déterminant que les stratégies à visée transformatrice, avant de traiter de la transformation interstitielle.
Si l’on pense que les stratégies systémiques de rupture visant à une transformation émancipatrice ne sont pas plausibles, du moins dans les conditions historiques existantes, alors la seule véritable alternative est d’adopter un type de stratégie qui définit la transformation comme un processus de métamorphose par lequel des transformations d’ampleur relativement restreinte se cumulent pour produire un changement qualitatif de la dynamique et de la logique d’un système social. […] Invoquer la métamorphose ne revient pas à abjurer la lutte mais à concevoir les objectifs stratégiques et les effets de la lutte selon une perspective différente : ils deviennent des modifications incrémentales des structures qui sous-tendent le système social et ses mécanismes de reproduction sociale, modifications qui transforment le système sous l’effet de leur accumulation plutôt que par une discontinuité brutale qui frapperait les centres de pouvoir du système dans son ensemble. (Wright 2010, 321)
49À l’évidence, les femmes des comedores ne se percevaient pas comme des composantes d’une stratégie visant à l’effondrement du capitalisme au Pérou. Mais elles ont mis en pratique des comportements solidaires et de nouvelles formes de relations de voisinage qui ont provoqué et incarné le changement. En outre, elles se sont préoccupées d’une question – résoudre les problèmes freinant l’approvisionnement en nourriture des populations marginalisées et pauvres – située dans les interstices des priorités politiques et économiques des responsables péruviens en place. Il semble que ce phénomène satisfasse aux critères de l’Utopie réelle.
50Pour s’enraciner et s’épanouir, les projets d’Utopie réelle dépendent des conditions externes. Selon certain-es, la mobilisation véritable et de grande ampleur des populations pauvres du Pérou en faveur d’un renouvellement des dispositifs sociopolitiques n’a été possible que parce que le Pérou connaissait, à la fin des années 1970 et au début des années 1980, une période de transition démocratique. Une fois les turbulences passées, les anciennes institutions sont revenues en force et ont supplanté les nouvelles.
51Il est impératif que les Utopies réelles se construisent autour de besoins réels et qu’elles permettent réellement une résolution des problèmes relatifs à la production de biens et services censés satisfaire ces besoins. Les comedores ont trouvé leur place dans la sphère de l’approvisionnement des ménages, et plus spécifiquement dans celle des repas préparés. Pour occuper cette niche, une Utopie réelle doit résoudre les problèmes de gestion et d’administration, ceux relatifs à l’efficacité et aux coûts ainsi que ceux qui touchent à la valeur nutritionnelle des produits. Sur tous ces points, l’évaluation des comedores révèle des résultats mitigés. En tant qu’organisation économique, ils ont été grandement desservis par l’absence d’implication de spécialistes en technologie agroalimentaire et en ingénierie industrielle qui auraient pu mettre leur capacité à innover au service de l’amélioration des systèmes d’approvisionnement et de production. Les Utopies réelles doivent être en mesure de recourir aux services d’acteurs externes – en les payant, en les réquisitionnant ou en les négociant – pour déployer les technologies qui leur permettront d’être efficaces et de rivaliser avec leurs anciens concurrents (ou avec les nouveaux, par exemple McDonald’s, KFC, Burger King, etc.).
52DeVault (1991), parmi d’autres auteur-es, nous ont permis de prendre la mesure du défi que représente « l’alimentation de famille » au niveau national. Différent-es chercheur-es, dont Weismantel (1988), ont dressé un tableau encore plus complexe de cette question dans le cas andin. Le travail à réaliser dans les interstices revendiqués par les comedores les expose à des difficultés d’une ampleur décourageante. Neysmith et ses coauteures (2012) ont exploré une catégorie d’activités féminines qu’elles appellent « l’approvisionnement collectif » et qui semble correspondre à la finalité des comedores. En étudiant un échantillon canadien, elles ont dressé une liste des éléments qui interviennent dans le processus d’approvisionnement collectif (voir le tableau 4.1 dans Neysmith et al. 2012, 47). Les implications de cette analyse donnent matière à réflexion.
53Fabriquer de biens et services de valeur
Fournir des ressources matérielles
Créer une culture de l’entraide
Produire des connaissances
Créer des réseaux
54Constituer des collectivités
Identifier les visions communes
Aider les groupes à déterminer/conserver leur place
Remettre en cause les différences et les limites
55Construire des alternatives
Explorer de nouveaux espaces et de nouvelles identités
Opposer une résistance aux injustices
Contrer les discours dominants
56Je suis certaine que les femmes actives au sein des comedores péruviens ont mené de front toutes ces activités, à un degré ou à un autre, et ce même si ni elles ni les Canadiennes ne les ont associées – ou n’auraient pu les associer – à des concepts abstraits comme ceux énumérés ci-dessus. Mais nous avons l’obligation, en tant qu’observateur-trices, de reconnaître pleinement les très fortes exigences et les nombreuses implications de tout projet d’approvisionnement considéré comme le lieu de la réalisation d’une Utopie réelle féministe.
57Dans un texte injustement négligé dans les débats sur le genre et le développement, March et Taqqu (1986) s’interrogent sur la nature des associations de femmes actives dans différents environnements culturels et remettent en question la viabilité des projets de développement ou des projets à visées transformatrices confiés à ces organisations. La nature « informelle » de ces associations les place dans l’univers du changement social non intentionnel tel que défini par Wright : elles sont nées spontanément de l’expression des désirs et des besoins des femmes. Parmi ces associations figurent notamment les groupes religieux, les troupes de danse, les coopératives de pêche, les associations de vendeuses sur les marchés, les groupes de sages-femmes, les organisations de guérisseuses traditionnelles (notamment les « coupeuses » dans les sociétés qui pratiquent les mutilations génitales), les syndicats de coiffeuses, les très nombreux types d’associations de crédit rotatif et bien d’autres types d’organisations. Les auteures soulignent le caractère défensif d’une très grande proportion des organisations de femmes. Parce que la subordination et la vulnérabilité des femmes prévalent dans de nombreux contextes culturels et dans de nombreuses situations, ces dernières se sont souvent organisées pour se défendre contre les hommes et leurs desseins. March et Taqqu distinguent les « organisations défensives » des « organisations actives » et parviennent à la conclusion que seules les structures du second type – une minorité – sont des vecteurs viables pour les projets à visées transformatrice. Les comedores semblent dangereusement proches de la première catégorie, notamment si l’on considère leur discours et l’image que leurs membres ont de leur organisation.
58Au Canada, les associations communautaires de femmes étudiées par Neysmith et al. (2012) ont évolué en regroupant des fonctions très variées dans la catégorie « construction d’autres possibles ». Si nombre d’entre elles ont apporté leur contribution à la répartition des avantages sociaux et à la mise en lumière des besoins, ces organisations étaient fortement impliquées dans les activités de plaidoyer en faveur d’une expansion des services publics et d’un élargissement des critères d’éligibilité. Elles étaient également engagées dans les mouvements de protestation contre l’injustice des modalités de mise en application des politiques qui affectent la capacité des ménages à répondre à leurs propres besoins. Elles ont parfois dû choisir entre un rôle passif consistant à collaborer à la bonne marche des programmes sociaux et une opposition à ces mêmes programmes pour en souligner les insuffisances auprès du public et de la presse. Pour jouer leur rôle de force de construction d’autres possibles, elles avaient besoin de jouir d’une grande marge d’autonomie. Elles devaient éviter de dépendre d’une unique source de financement et de risquer de voir fermer leurs lieux de réunions en cas de conflit avec leurs partenaires. Il leur fallait également ne pas être soumises au bon vouloir d’une unique et puissante agence qui aurait pu prendre ombrage de leurs actions et menacer à la fois leur statut juridique et la reconnaissance de leur action par la communauté. Plus important encore, elles devaient faire preuve d’une grande autonomie psychologique, notamment pour « explorer de nouvelles identités » et « contrer les discours dominants ».
59Sur ce point critique, les organisations canadiennes et les comedores péruviens divergent radicalement. L’« autonomie » était l’une des valeurs les plus fréquemment évoquées au sujet du mouvement des comedores. Mais dans les faits, la capacité de chaque comedor, ou du mouvement des comedores dans son ensemble, à évoluer de manière autonome dans une certaine direction étaient très restreinte. Les comedores subventionnés par le gouvernement étaient soumis à des visites et à des inspections menées par des agences chargées de s’assurer que les sacs de nourriture étaient correctement stockés et que le nombre annoncé de bénéficiaires correspondait à la réalité. Les comedores dits « autogestionarios » étaient très dépendants des ONG par lesquelles transitaient les dons de la communauté internationale et qui leur offraient ce que l’on pourrait appeler une assistance technique. Santisteban (1994) a particulièrement bien étayé et retranscrit le sentiment d’oppression que pouvaient éprouver les organisations « autonomes » dans leur relation avec certaines ONG bien intentionnées. Selon certaines dirigentas, « elles [les ONG] écrivaient même nos lettres à notre place ».
60La création d’Utopies réelles relatives à l’approvisionnement des ménages et à la division du travail dans les foyers doit rassembler les hommes et les femmes. Les Utopies réelles qui occupent les interstices de la vie du foyer et de la famille ne peuvent se construire qu’avec l’implication des deux genres. Sur ce point, les comedores ont rencontré de nombreuses difficultés. Ils n’étaient en effet composés que de femmes. Les conseillers et conseillères des ONG et des agences donatrices les concevaient probablement comme des projets visant à l’empowerment des femmes qui s’épanouissaient dans des espaces exclusivement féminins mais les femmes, elles, les considéraient le plus souvent comme un moyen d’échapper à l’oppression des rapports de genre qui prévalaient dans leur foyer. Pour beaucoup, notamment pour les maris qui prenaient part aux repas, la situation manquait de clarté : étaient-elles pour ou contre les hommes ? En rapportant les témoignages de femmes membres de comedores, Córdoba, Santisteban et Granados montrent que, même si les membres des comedores portaient une attention déférente aux préférences alimentaires des hommes, le fait qu’elles soient absentes de leur foyer n’était pas sans conséquences : le ménage n’était pas fait et les enfants avaient de moins bons résultats à l’école. On peut reprocher aux maris et aux pères de ne pas avoir pris le relais pour assumer les tâches délaissées par les femmes mais, dans les faits, le modèle qui leur était proposé ne leur offrait aucune incitation à le faire.
61Les comedores se sont trouvés pris au piège de leur dépendance à l’égard d’un petit nombre de sources de nourriture, d’équipements et de reconnaissance officielle. Toutes les analyses des réseaux de pouvoirs témoignent du rôle central des intermédiaires qui contrôlent l’accès aux ressources ainsi que de leur capacité à établir des priorités et des paramètres qui servent leurs propres intérêts. Les comedores ont été piégés par le discours qu’ils avaient eux-mêmes contribué à créer. Puisqu’ils visaient à nourrir les pauvres et les humbles, ils n’avaient presque aucune légitimité à tenter d’attirer l’attention sur leur propre pauvreté ou sur l’exploitation dont leurs membres étaient elles-mêmes victimes, notamment en tant que personnes de genre féminin dotées d’un projet de vie propre. Ils ne disposaient d’aucun levier de négociation puisqu’il leur était impossible d’envisager (dans ce contexte) d’abandonner leurs membres et leurs client-es à leur quotidien. Le discours et les pratiques se renforçant mutuellement, les femmes ont vu se réduire leur capacité à imaginer une répartition différente de la charge de l’approvisionnement du foyer entre différents acteurs et, par conséquent, à envisager un monde où la vie familiale, les relations au sein de la communauté et les politiques nationales auraient été un reflet véritable de l’égalité de genre.
62Le phénomène des comedores péruviens s’avère donc riche en enseignements et en questions sans réponses. Je pense pour ma part que l’approvisionnement du foyer et du voisinage reste un terrain propice à la mise en œuvre de projets féministes d’économie solidaire. En revanche, je n’en dirais pas autant des cuisines collectives autonomes. Pour créer des modèles viables, nous devons étudier plus précisément la signification et les implications de l’approvisionnement dans la vie et les activités des hommes et des femmes. Dans l’intervalle, j’espère que d’autres expériences seront menées dans ce domaine6.
De la reproduction à la production
Claude Meillassoux
Le maintien des communautés domestiques pour assurer la protection sociale
L’étude des modes de production passés ou en voie de disparition est souvent considérée comme gratuite et inutile. Pourtant en dehors du fait qu’elle contribue à une meilleure connaissance de l’histoire de l’humanité, le repérage des finalités d’un système économique est en soi une exigence de base pour juger de ses capacités au changement dans un contexte différent. […][L]es sociétés agricoles d’auto-subsistance qui représentent la forme d’organisation sociale la plus répandue dans les pays sous-développés s’appuie moins sur le contrôle des biens matériels de la production que sur les moyens de la reproduction humaine : les subsistances et les femmes. Leur finalité est la reproduction de la vie comme précondition de la production. Leur préoccupation première est de croître et multiplier, au sens biblique. Elles représentent un système cohérent intégré sur le plan économique, social et démographique, qui assure la satisfaction des besoins vitaux de ses membres productifs et non productifs. Un changement vers une production à finalité matérielle, le détournement d’une production destinée à l’auto-subsistance et l’auto-perpétuation en faveur d’un marché extérieur, ne peuvent apporter que la transformation radicale des communautés, sinon leur destruction […] Les tentatives faites pour superposer des structures mercantiles, telles les coopératives, aux communautés domestiques ou villageoises, sont vouées à l’échec. Elles ne peuvent « réussir » qu’en transformant les communautés en sociétés de classe. Une préoccupation réelle en faveur du développement devrait envisager la dissolution ordonnée et mesurée de ces communautés et leur remplacement progressif par un mode de production, capable d’absorber le progrès tant économique que social. Paradoxalement, les exploiteurs capitalistes, qui sont empiriquement de meilleurs praticiens du marxisme que les théories marxistes, sont avertis de la potentialité de cette situation contradictoire. Les communautés agricoles d’auto-subsistance, en raison de leur cohérence et de leur finalité, sont capables de remplir des fonctions que le capitalisme préfère ne pas assumer dans les pays sous-développés : les fonctions de sécurité sociale. Le faible coût de la force de travail dans ces pays vient non seulement de l’exploitation du salarié, mais aussi du travail de ses parents. Ceci est clairement reconnu par les théoriciens de la colonisation :
Il est clairement à l’avantage des mines que les travailleurs indigènes soient encouragés à retourner dans leurs foyers à la fin de la période normale de service. La perpétuation du système grâce auquel les mines sont en mesure d’obtenir du travail non qualifié à un taux inférieur à celui généralement payé dans l’industrie en dépend, car autrement les moyens subsidiaires de subsistance disparaîtraient et le travailleur tendrait à devenir un résident permanent du Witwatersrand. (Rapport de la Commission des salaires indigènes dans les mines de Rhodésie, cité par Shapéra 1947 : 204).
Il ets de bonne politique, chaque fois que cela est praticable, de laisser la charge des malades et des infirmes aux soins des clans tribaux et des organisations familiales qui ont traditionnellement assumé cette responsabilité. (Rapport du gouverneur de l’Ouganda, 1956, cité par Mukherjee 1956, 198).
Cette politique délibérée de l’impérialisme explique les mouvements considérables de migrations, oscillant entre les réserves rurales et les secteurs capitalistes de l’emploi. Elle explique aussi le soi-disant conservatisme des populations primitives, comme Shapéra (1947) et Gluckman (1960) l’ont noté depuis longtemps. Alors que les économistes et les sociologues libéraux ne trouvent d’autres explications que psychologiques à ces phénomènes, l’analyse économique montre clairement que, lorsque les paysans sont obligés de se livrer à des occupations salariées pour payer les impôts et gagner un peu d’argent liquide, si le capitalisme ne leur offre pas de quoi subvenir à leur retraite ou ne compense pas pour leur période de chômage ou de maladie, ils doivent s’appuyer sur un autre système social organisé pour satisfaire ces besoins vitaux. En conséquence, le maintien de relations avec le village et la communauté familiale est une nécessité absolue pour le salarié, de même que le maintien de rapports de production domestiques, seuls capables d’assurer la survie.
Dans cette perspective, il est clair que l’explosion démographique est la réaction logique de ce type de société lorsque sa sécurité est en jeu sous l’effet de la pression néo-coloniale. Mais il est commode pour les économistes bourgeois de s’aveugler sur ces phénomènes et de se débarrasser de la responsabilité du sous-développement en l’attribuant à l’incontinence sexuelle ou à l’esprit tordu des sous-développés. L’incapacité des apologues du capitalisme de percevoir la situation réelle les entraîne à émettre des théories contradictoires, telle celle de l’« économie dualiste » qui caractériserait les pays sous-développés, selon laquelle les secteurs industriel et traditionnel seraient séparés, le second néanmoins se transformant à l’image du premier. La théorie dualiste est conçue pour dissimuler l’exploitation des communautés domestiques, composantes organiques de la production capitaliste entretenant et reproduisant les travailleurs temporairement inemployés par le secteur capitaliste. En raison de ce processus d’absorption dans le secteur capitaliste, l’économie domestique, entretenue comme réservoir de main-d’œuvre bon marché, est à la fois minée et préservée, et soumise à une crise interminable. Ce sont de telles sociétés en crise qui sont données à l’ethnologue d’observer et non des sociétés « traditionnelles » en transition sans heurt vers le capitalisme.
L’étude marxiste des formations précapitalistes ne fait que commencer (ou recommencer). Elle exige que se développent des études de terrain pour recueillir un type d’informations qui ne se trouvent pas dans l’ethnologie classique gauchie par l’idéologie coloniale de classe. Elle exige que soient entreprises des recherches sur des thèmes tels que les rapports de production et de reproduction, les transformations subies par ces sociétés sous l’effet de leur propre développement ou sous l’effet de contacts avec d’autres systèmes sociaux, en particulier de l’impérialisme. À cette fin, l’ethnologie doit s’épanouir comme science de l’histoire, faire un meilleur usage des données historiques, dénoncer comme non scientifiques les tentatives faites pour restreindre la recherche anthropologique à des structures dites froides ou sans histoire, et ouvrir ainsi la voie à la compréhension de la vie.
Références bibliographiques
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Notes de bas de page
1 NdT : nous avons choisi de conserver le terme espagnol comedor (popular) pour rendre compte de la spécificité du mouvement qui s’est développé au Pérou autour des cuisines collectives. Nous avons également conservé le genre masculin du mot espagnol qui signifie littéralement « salle à manger ».
2 La littérature relative aux comedores est abondante, tant au Pérou que dans d’autres pays. Les textes et sujets évoqués ont été intentionnellement choisis pour étayer les arguments que je souhaite explorer.
3 Le Programme national d’aide alimentaire (PRONAA) était l’agence gouvernementale en charge de l’enregistrement et de l’approvisionnement des comedores jugés aptes à recevoir les subventions (sous forme de nourriture, d’équipement de cuisine et, dans certains cas et à certaines périodes, d’argent) et le soutien (informations et formations) du gouvernement.
4 Aux dernières nouvelles, l’un d’entre eux, dirigé par la même présidente depuis près de 25 ans, était sur le point de fermer ses portes sur décision unilatérale de ladite présidente, sans aucune consultation des membres et sans exploration des possibilités de transfert des responsabilités à une autre direction ou sur un autre site (les locaux de ce comedor avaient toujours été situés au domicile de la présidente).
5 Wright coordonne le Real Utopias Project https://www.ssc.wisc.edu/~wright/RealUtopias.htm
6 Anderson, J. 2015. Missed opportunities, mixed messages and lessons learned: collective kitchens in marginal urban communities of Peru. In «Homo œconomicus, mulier solidaria.» Une économie solidaire peut-elle être féministe? (Dir.) C. Verschuur, I. Guérin et I. Hillenkamp. 221-242. Paris : L’Harmattan, collection Genre et développement : Rencontres.
Traduit de l’anglais par Aurélie Cailleaud
Auteur
Anthropologue, Pontificia Universidad Católica del Perú
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