Religion, genre et discours social dans le débat sur la légalisation de l’avortement au Mexique
p. 19-53
Texte intégral
1Ces vingt dernières années, un grand débat de société sur les droits sexuels et reproductifs des femmes a agité la société mexicaine1. Si des politiques de population ont été mises en place dès 19742, les capacités reproductives des femmes considérées comme sujets de droits n’ont été abordées dans le débat public que dans les années 1980. À la suite des conférences du Caire et de Beijing, le gouvernement mexicain, et par conséquent les institutions publiques de santé, ont adopté une perspective de santé reproductive3. Mais au-delà, la querelle politique opposant les groupes conservateurs, alliés à la hiérarchie catholique, aux organisations féministes et aux organisations de femmes a perduré autour de sujets tels que la contraception d’urgence et l’avortement.
2La lutte en faveur de la légalisation de l’avortement a débuté en 1935, lorsque le Front uni pour les droits de la femme (Frente Unico Pro-Derechos de la Mujer) a exigé que l’avortement « pour raisons sociales et économiques » soit autorisé par le Code pénal. Au cours des décennies suivantes, les groupes de femmes ont plaidé en faveur d’une « maternité libre et volontaire »4, notion transformée par les militantes féministes de la deuxième vague en une revendication pour la dépénalisation de l’avortement dans les années 1970.
3Dans un contexte national et international marqué par de fortes pressions pour une démocratisation politique au Mexique, les féministes mexicaines ont commencé à parler du « droit à l’avortement » comme d’une question de justice sociale, de politique publique et de démocratie (Lamas 2009). Les droits reproductifs des femmes ont progressivement trouvé leur place dans les discours émergents sur la citoyenneté et ont été diffusés par leur intermédiaire. À partir des années 1970, l’avortement en cas de viol5 a progressivement été dépénalisé dans tous les codes pénaux du pays.
4La lutte pour la dépénalisation de l’avortement au Mexique s’inscrit dans un processus plus vaste visant à la reconnaissance des droits reproductifs des femmes en Amérique latine et aux Caraïbes. À partir de la fin des années 1980, des organisations féministes ont mené des campagnes pour revendiquer un accès à des services d’avortement sûrs et légaux et pour des lois moins restrictives. Bien que la loi punisse cette pratique dans la plupart des pays de la région, d’importantes avancées ont été constatées, comme la dépénalisation de l’avortement dans certaines situations en Colombie (2006) et la récente légalisation de l’avortement avant la douzième semaine de grossesse en Uruguay (2012)6.
5En Amérique latine, les groupes conservateurs, pour la plupart liés à la hiérarchie catholique, ont eux aussi intensifié leurs actions militantes au cours des dernières décennies et développé de nouvelles formes d’organisation et des stratégies de lobbying plus politiques que religieuses. Ces dernières ont permis de limiter et parfois même d’annuler les avancées obtenues en matière de droits reproductifs, par exemple dans des pays d’Amérique centrale comme le Nicaragua, la République dominicaine et le Salvador, dont les législations sur l’avortement ont marqué des régressions jusqu’à l’interdiction totale. Au Mexique, depuis les années 1980, les fonctionnaires gouvernementaux, les membres des partis politiques, les mouvements sociaux et les dignitaires de l’Église catholique se sont approprié le thème de l’autonomie sexuelle et reproductive des femmes, son sens et sa portée. La question a ainsi fait l’objet d’une intense bataille politique révélant différentes stratégies de biopouvoir7 qui s’affrontent pour le contrôle des corps des femmes. Dans le cadre de ce débat social et politique8 sans précédent, les femmes mexicaines ont été abreuvées de concepts modernes de droits et de citoyenneté – dont le garant serait l’État laïc – en opposition frontale avec la vision catholique de la maternité.
6Au cours des années 2007 et 2008, les débats ont atteint leur paroxysme lorsque l’Assemblée législative du District fédéral de Mexico (ALDF) a légalisé l’avortement dans la capitale9, modifiant par voie de conséquence la Loi de santé du District fédéral et confiant au Ministère de la santé la responsabilité de garantir la pratique de l’avortement dans les cliniques publiques.
7Quelques semaines plus tard, la Commission nationale des droits humains et le Procureur général de la République ont déposé devant la Cour suprême de justice de la nation (SCJN) des recours en inconstitutionnalité10 contre ce décret. Mais le 28 août 2008, après l’examen public des recours, la Cour suprême a confirmé la constitutionnalité de la loi et autorisé l’avortement jusqu’à la douzième semaine de grossesse dans le District fédéral de Mexico.
8Déroutés par leur défaite dans la capitale, les évêques et les autres groupes conservateurs ont cherché à former des alliances avec des gouverneurs et parlementaires du Parti révolutionnaire institutionnel (Partido Revolucionario Institucional, PRI) et du Parti d’action nationale (Partido Acción Nacional, PAN), ainsi qu’avec certains dirigeants du Parti de la révolution démocratique (Partido de la Revolución Democrática, PRD) afin d’éviter que de tels changements puissent se produire dans d’autres États du pays. Le PRI, qui cherchait à revenir au pouvoir après sa défaite électorale de 2000, a alors décidé de soutenir la revendication des groupes conservateurs et, entre 2008 et 2011, seize États de la République ont ainsi vu leur constitution modifiée pour inclure la protection du droit à la vie depuis la conception11.
9Cette légalisation, bien que valide uniquement dans la capitale, a posé un contexte inédit pour les décisions de reproduction des femmes car l’avortement a soudainement cessé d’être un délit pour devenir un droit. Depuis lors, plus de 99 000 interruptions légales de grossesse (interrupciones legales del embarazo, ILE) ont été pratiquées dans les cliniques publiques (GIRE 2013). Les femmes qui ont avorté – dans la limite de la période autorisée par la loi – sont donc passées du statut de contrevenantes ou de délinquantes à celui de titulaires d’un droit.
10Quels sens les femmes donnent-elles à ce droit nouveau à l’avortement ? Cet article étudie la question en analysant leurs témoignages et en identifiant les différents discours12 qui s’opposent dans le débat politique sur la légalisation de l’avortement, dans la mesure où ces discours ou « récits dominants fonctionnent comme des dispositifs d’interprétation qui organisent et communiquent l’expérience » (Bruner 1986). La position des femmes vis-à-vis de la morale catholique, des valeurs démocratiques de liberté et d’accès aux droits ainsi que vis-à-vis des messages véhiculés par les politiques de planning familial s’exprime en une polyphonie (Bakhtin 1981) qui laisse transparaître leurs degrés d’autonomie, d’appropriation ou même leurs critiques face à l’intention subjectivante de ces discours.
11Pour observer ces éléments, nous avons exploité les informations émanant de recherches récentes, réalisées entre 2007 et 201113, dont les données qualitatives permettent d’analyser ce débat de société sur l’autonomie et les corps des femmes à deux niveaux différents :
les débats sociaux et politiques lors du processus de dépénalisation de l’avortement à Mexico ;
les témoignages de femmes ayant subi un avortement légal au sein des institutions sanitaires publiques du District fédéral.
12Nous avons procédé selon des méthodes différentes et adaptées pour aborder chacun de ces deux axes analytiques :
Pour étudier les débats sociaux et politiques, nous avons analysé des articles de presse, documents institutionnels et déclarations afin de prendre en compte tous les acteurs politiques impliqués. Une fois cette revue effectuée, nous avons procédé à 13 entretiens approfondis avec des membres du clergé, de partis politiques, d’organisations civiles et avec des fonctionnaires gouvernementaux14. Ces conversations ont permis de mettre en exergue les positions et les modes de participation de nos interlocuteurs-trices aux débats sur la dépénalisation.
Pour étudier l’expérience de l’interruption légale de grossesse (ILE) du point de vue des femmes, nous avons réalisé des entretiens approfondis avec 24 utilisatrices des services d’avortement des cliniques du secteur public en 2008 et 200915. Notre objectif était de saisir le sens que ces femmes ont construit autour de ce processus et de l’expérience de l’interruption légale de grossesse dans un contexte de dépénalisation récente.
Conditions nécessaires à la dépénalisation de l’avortement : démocratisation et mouvements sociaux
13L’événement historique que représente la légalisation de l’avortement à Mexico ne peut être compris que replacé dans une série de processus sociaux et politiques de plus longue durée. En premier lieu, la revendication de démocratisation politique du pays, après sept décennies pendant lesquelles le pays avait été gouverné par le PRI – la « dictature parfaite », selon Vargas Llosa (El País 1990) – a créé un bouillon de culture qui a permis l’avancée de discours et de pratiques de la « citoyenneté », lesquels ont été repris et partagés par divers groupes féministes dans le combat pour la défense des droits des femmes.
14Par ailleurs, la laïcité de l’État mexicain (consacrée par la loi depuis 1865) s’est vue altérée par la réforme de 2002 qui a octroyé une reconnaissance juridique aux associations religieuses, autorisé les manifestations religieuses publiques et rétabli les relations diplomatiques avec le Vatican. Dès lors, la hiérarchie catholique a commencé à participer plus ouvertement à la vie publique et politique du pays, plus particulièrement dans les domaines susceptibles de remettre en cause la morale sexuelle catholique, comme les droits sexuels et reproductifs des femmes.
15La création, à la même époque, du parti de gauche, le PRD (Parti de la révolution démocratique), a été un élément fondamental pour la défense des droits des femmes dans les champs de la politique et du droit. Pour la première fois dans l’histoire, le mouvement féministe s’est trouvé dans un contexte politique favorable à des avancées légales en matière d’avortement, ce qui a permis de progressivement assouplir les conditions dans lesquelles l’avortement était autorisé dans la capitale16 (Lamas 2011, 193).
16Au terme du premier sextennat paniste (2000-2006), un conflit important a éclaté quand la victoire du candidat du PAN sur celui de la gauche (PRD) a été contestée. Dans ce climat pourtant houleux, le PRD a largement remporté l’élection à Mexico. Cette victoire n’a fait que renforcer l’antagonisme politique entre les deux partis, et, par voie de conséquence, entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de la capitale, antagonisme qui a joué en faveur de l’adoption de la réforme de la loi sur l’avortement. L’initiative visant à dépénaliser l’avortement a été votée par la majorité PRD à l’Assemblée législative du District fédéral (ALDF), ce qui a permis au gouvernement de la capitale de marquer une distance idéologique considérable avec les partis et courants conservateurs du PAN et du PRI.
17Cette réforme, fondée sur des valeurs modernes telles que la liberté de conscience et de croyance, l’égalité, le pluralisme et les droits humains, a par ailleurs été rendue possible, au-delà des processus et de la conjoncture politiques évoqués, par la sécularisation croissante de la société mexicaine. Du fait de cette dernière le catholicisme a, dans une certaine mesure, perdu son rôle central dans la culture mexicaine et la morale sexuelle traditionnelle catholique a été relativisée, comme nous le verrons plus loin. La légitimité grandissante du féminisme et de ses revendications d’égalité entre hommes et femmes ainsi que la remise en cause des points de vue essentialistes sur le genre et la sexualité ont également été des éléments-clés de ce processus.
Débat sur les concepts. Débat sur les corps
18Nous pouvons identifier, au cœur de ces débats de société, un certain nombre de points nodaux17 qui mettent clairement en lumière le véritable enjeu de ce processus : qui contrôle le corps (reproductif) des femmes ? Dans l’analyse qui va suivre, nous choisissons deux de ces points car ils ont trait aux modalités par lesquelles les femmes ont construit les éléments discursifs qui décrivent leur expérience de l’avortement légal :
la définition de l’avortement, de la grossesse et de l’embryon : du dogme à la science ?
l’avortement et le sujet de la décision d’avorter.
La définition de l’avortement, de la grossesse et de l’embryon : du dogme à la science ?
19L’un des points nodaux des débats s’articule autour du sens que l’on donne au début de la vie humaine, à l’embryogenèse, à la grossesse elle-même et à l’avortement. Dans ce cas précis, c’est le langage de la science qui a été convoqué par les différents acteurs politiques dans leurs déclarations respectives. Les groupes féministes avaient déjà eu recours au discours scientifique pour défendre le droit des femmes à disposer de leur corps18. Mais, fait nouveau, la hiérarchie catholique s’est elle aussi vue contrainte d’utiliser le même discours pour défendre, cette fois, ses propres positions. Ce processus n’a donc pas été une simple confrontation entre le dogme religieux et le langage moderne des droits et de la liberté, mais il a engagé des usages différents – voire opposés – du langage de la science. Les porte-parole et alliés de l’Église se sont heurtés à ce paradoxe et ont dû recourir à ce qu’ils ont nommé « la preuve scientifique » pour défendre ce qu’ils considéraient comme une loi naturelle.
20Ce processus montre un glissement stratégique dans la manière dont les groupes conservateurs présentent leurs arguments sans en changer la signification. Patricia Uribe, ex-directrice du Centre national pour l’équité de genre et de santé reproductive du Ministère de la santé, va dans le même sens lorsqu’elle évoque l’influence de la foi sur les opinions :
Sur des questions aussi controversées que l’avortement et la contraception d’urgence, il est très difficile de mobiliser des arguments scientifiques parce que les gens ont un avis déjà formé sur le sujet et ne sont plus réceptifs […] La science ne modifie pas le comportement des parlementaires ou des médecins car, dans la majorité des cas, [leurs positions sur ces sujets] sont nourries de préjugés, d’opinions, de croyances et parfois de peurs.
21Les groupes conservateurs ont affirmé que l’État devait défendre la vie humaine « dès la fécondation » car, dès cet instant, existerait « une personne dotée de tous ses droits », y compris celui de vivre. En toute logique, pour ces groupes, l’avortement – à n’importe quel stade de la grossesse – est un assassinat, quels que soient les causes, conflits ou circonstances qui conduisent les femmes à prendre cette décision. Dès l’ouverture des débats, l’Archidiocèse de Mexico a fait pression sur les parlementaires de l’ALDF, les menaçant d’excommunication s’ils venaient à soutenir le projet de dépénalisation de l’avortement. Mais la hiérarchie catholique n’a pas été la seule à adopter cette stratégie. Le PAN, historiquement peu ancré dans la capitale du pays, a signifié par la voix de l’un de ses leaders, Carlos Abascal Carranza, qu’il bataillerait ferme pour empêcher que soit votée « une loi sanguinaire qui légaliserait l’assassinat de personnes » et pour éclairer les consciences quant aux « énormes dommages psychologiques causés à une femme par un avortement » (Urrutia et al. 2007). En réponse, les groupes féministes et les organisations de femmes ont exigé des législateurs issus de ce parti qu’ils respectent le droit des femmes à disposer de leur corps et laissent de côté les arguments religieux pour fonder leur opinion sur les preuves scientifiques.
22Sont également intervenus dans ce débat des académiciens, des experts en génétique, en médecine et en éthique médicale ainsi que des philosophes, qui ont expliqué, données scientifiques et philosophiques à l’appui, que « la personne humaine » ne faisait son apparition qu’après la conception, et contredit frontalement la vision essentialiste de l’Église. Le Collège de bioéthique, composé de chercheurs réputés, a par exemple publié, quelques jours avant le vote de la réforme, un dépliant dans lequel on pouvait lire :
Les connaissances scientifiques sur le génome, la fertilisation, l’embryogenèse et la physiologie de la grossesse indiquent que l’embryon de 12 semaines N’EST PAS un individu biologique et moins encore une personne, et ce pour les raisons suivantes : a) N’étant absolument pas viable hors de l’utérus, il n’a aucune vie indépendante, ; b) Il dispose certes du génome humain complet mais considérer qu’il est à ce titre une personne nous obligerait à reconnaître comme personne toute cellule ou organe d’un corps adulte, qui eux aussi disposent du génome humain. L’ablation d’un organe pourrait donc être assimilée au meurtre de milliards de personnes ; c) À 12 semaines, le cerveau ne fait qu’entamer les étapes préliminaires de son développement. Le cortex cérébral ne s’est pas développé, pas plus que les connections nerveuses indispensables à l’existence des sensations ; d) Par conséquent, l’embryon de 12 semaines n’est pas en mesure de ressentir la douleur ni une quelconque autre forme de perception sensorielle, et moins encore de jouir ou de souffrir. (Colegio de Bioética 2007)
23La version progressiste du langage scientifique est parvenue à s’imposer lors du processus de dépénalisation. Dans le Code pénal, la grossesse est définie en opposition ferme avec l’idée religieuse qui veut que l’existence d’une personne commence « dès le moment de la conception ». Il y est établi que « la grossesse est cette étape de la reproduction humaine qui commence lors de l’implantation de l’embryon dans l’endomètre » (article 144). Le texte final, adopté le 24 avril 2007, a donné une nouvelle définition de l’avortement : « l’interruption de grossesse après la douzième semaine de gestation », ce qui a confirmé qu’aucun délit ne pouvait être caractérisé avant ce délai et que les femmes désirant avorter n’auraient pas à justifier leur décision ou à passer par la voie judiciaire.
24Ces nouvelles définitions de la grossesse et de l’avortement ont créé, dans la capitale, une obligation pour l’État de protéger le droit des femmes à disposer de leur corps, ce que les groupes conservateurs ont vécu comme une sévère remise en question de leurs arguments. Après la décision de la Cour suprême de justice de la nation, la hiérarchie catholique et les organisations civiles conservatrices ont entrepris une campagne agressive de dénigrement de la loi et de ceux et celles qui avaient encouragé son adoption, montrés du doigt comme les instigateurs d’une « culture de la mort ». L’Archevêque Norberto Rivera, ainsi que les huit évêques auxiliaires de l’Archidiocèse de Mexico, ont publié une déclaration où ils affirmaient :
Aucune circonstance, aucune finalité, aucune loi en ce monde ne pourra rendre licite un acte intrinsèquement illicite parce qu’il est contraire à la loi de Dieu. […] Il est impossible de justifier l’avortement en prétendant nier le statut humain de l’embryon. L’être humain doit être respecté et traité comme une personne depuis l’instant de sa conception. […] Nous rappelons que quiconque participe à la perpétration de ce meurtre exécrable s’en rend moralement responsable. [Et nous incitons le personnel de santé à] faire valoir son droit à l’objection de conscience19. (Román 2008)
25Toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné, la lutte pour la reconnaissance légale de la vie « dès la conception » a gagné d’autres États mexicains, où les groupes conservateurs ont cherché à sceller des alliances pour empêcher des réformes similaires à celle du District fédéral. À nouveau contraints de recourir à d’autres schémas discursifs que ceux de la morale et de la religion, les groupes et les parlementaires conservateurs ont fait campagne pour modifier les constitutions des États en s’appuyant sur les arguments d’un généticien français qui défend la thèse qu’une personne existe dès sa conception20.
L’avortement et le sujet de la décision
26Ce point nodal des débats laisse apparaître une transformation majeure de la culture hégémonique du genre au Mexique, car le simple fait de concevoir la poursuite d’une grossesse comme une décision va à l’encontre de l’enseignement catholique qui conçoit la reproduction comme un plan divin. Il est vrai, comme nous l’avons dit auparavant, que les politiques de planning familial avaient déjà réussi à répandre l’idée que le fait d’avoir des enfants était un choix, tout comme le moment de leur conception. Mais le fait que l’interruption de grossesse devienne une possibilité a totalement bouleversé le paysage de ce débat politique.
27Après des années de lutte, le mouvement féministe de Mexico a opéré un retournement discursif qui s’est avéré décisif. Il a en effet contraint le débat public à abandonner la question du pour ou contre l’avortement pour s’orienter vers l’interrogation suivante : à qui revient la décision d’un avortement (Lamas 2012) ? Ainsi, la légitimité de la pratique a cessé d’être centrale dans les discussions qui se sont articulées autour du statut de sujet dans cette pratique. Les groupes féministes ont réussi à introduire la notion de femmes sujettes de droits, dans la continuité des discours de plus en plus légitimes sur la démocratie et la citoyenneté. En se réappropriant des notions telles que la « liberté de conscience », les groupes de défense des droits ont affirmé, avec un certain succès, l’idée que les femmes sont des sujets doués de l’autorité morale nécessaire pour décider de leur propre vie. C’est en ce sens que María Consuelo Mejía, directrice de Catholiques pour le droit à décider – l’une des organisations les plus actives lors du débat sur cette réforme – a déclaré :
[Parce qu’il est clandestin] l’avortement est la troisième cause de mortalité dans la ville. Il est donc nécessaire de « mettre les lois en adéquation avec la réalité ». J’appelle donc les députés à adopter cette loi et à laisser les femmes, en tant que sujets autonomes doués de liberté de conscience, décider si elles choisissent ou non d’avoir recours à cette pratique. (Hernández 2007)
28En opposition flagrante avec ces raisonnements, le discours conservateur élimine les femmes de la liste des sujets potentiels de la décision et prétend qu’un tel « droit » viendrait contredire la loi naturelle selon laquelle les femmes doivent perpétuer l’espèce et protéger dès sa conception la vie humaine qui se développe en elles et qui jouit de droits fondamentaux. En réalité, pour les défenseurs de ce point de vue, le sujet est l’embryon et non la femme réduite à l’état de ventre en gestation. Dans les propos de l’archevêque auxiliaire de Guadalajara, Leopoldo González, on trouve un mélange singulier de science, de droit et de morale :
Ce qu’ils font croire aux femmes est une supercherie : « C’est mon corps et je fais ce que je veux de mon corps ! Respectez-moi ! ». Non, femme, ce n’est plus ton corps. Tu n’es plus propriétaire de ton corps et de ta vie : tu en es l’administratrice. Et la femme de dire : « Je fais ce que je veux de mon corps ». Non, non, un instant ! Il y a là le corps d’une autre personne. Depuis sa conception, toutes les caractéristiques de l’ADN d’une personne humaine en plein développement sont présentes […] Les femmes qui avortent doivent être traitées comme des criminelles et doivent en payer le prix devant la loi. (Avelar 2007)
29Durant le processus de dépénalisation, les groupes conservateurs se sont montrés particulièrement inquiets quant aux potentielles conséquences culturelles et personnelles de la réforme pour les femmes qui, selon eux, commenceraient à considérer l’avortement comme une pratique morale pour la simple raison qu’elle est légale21. À ce sujet, le père Hugo Valdemar, porte-parole de l’Archidiocèse de Mexico, a fait ce commentaire :
[…] Ce qui est préoccupant, c’est qu’en devenant légale, une pratique par nature immorale trouve sa justification. Cela pervertit la société et fait croire que ce qui est légal est aussi moral. Mais c’est loin d’être certain. Tout ce qui est légal n’est pas forcément moral.
30Il est étonnant de constater que les enquêtes d’opinion réalisées en 2007, 2008 et 2009 montrent un niveau d’adhésion croissant de la population de la capitale à la loi de dépénalisation de l’avortement. Alors qu’en 2007, 38 % des personnes interrogées disaient approuver la loi, elles étaient 73 % en 2009 (Population Council 2009). Ces résultats démontrent tacitement le bien-fondé de la préoccupation exprimée par le porte-parole de l’Archidiocèse. La légalisation semble en effet avoir eu un puissant effet symbolique sur la légitimité de la pratique, et donc sur la façon dont elle est considérée au plan de la morale.
31Selon le même père Valdemar, et selon Armando Martínez, président du Collège des avocats catholiques, l’Église avait accepté avant la légalisation de tolérer certains motifs d’avortement comme le viol ou un danger vital pour la mère – motifs reconnus par la loi dans tous les États du pays – bien que l’institution catholique n’admette l’avortement sous aucun prétexte. Mais lorsque la loi a reconnu le droit des femmes à choisir librement, les groupes conservateurs ont réagi avec une toute autre virulence. C’est donc la protection de l’autonomie et de la liberté des femmes qui semble menacer directement le pouvoir de la hiérarchie catholique.
32Lorsque quelques dignitaires catholiques ont rendu compte de leur intervention en faveur de la repénalisation de l’avortement dans certains États, ils ont justifié cette crainte. Ils ont expliqué que l’Église se devait de prendre la conscience des femmes sous sa tutelle car ces dernières n’avaient pas conscience des graves conséquences psychologiques et morales d’un avortement. Niant totalement le statut de sujet de la femme, l’évêque de Texcoco, Juan M. Mancilla, a affirmé :
L’Église veut protéger la femme, car, les années passant, la conscience de celle-ci entre en contact avec ce qu’il y a de plus sacré en elle et les remords les plus douloureux et les plus terribles s’emparent d’elle […]. Il nous faut traiter la femme comme on traite toutes les choses saintes de Dieu. (El Mensajero 2009)
33Dans certains États mexicains, la promotion de l’embryon au rang de sujet et, ainsi, la négation du statut de sujet des femmes enceintes ont atteint des niveaux extrêmes et inédits. Les réformes punitives ont ouvert la voie à une criminalisation plus marquée des femmes et ont déclenché des réactions violentes parmi les membres de groupes ultraconservateurs, certains d’entre eux étant des fonctionnaires gouvernementaux. Dans l’État de Guanajuato par exemple, les organisations de femmes ont recensé, en 2010, un total de 160 détentions de femmes pauvres, arrêtées, jugées et même condamnées – à des peines allant jusqu’à 29 ans de prison – après avoir été dénoncées par des membres du personnel soignant qui les soupçonnaient d’avoir avorté (Machuca 2010).
34La dénonciation de cette persécution dans les médias a suscité une telle réprobation dans tout le pays que le gouverneur de l’État a été contraint de gracier les femmes emprisonnées. Mais le discrédit jeté sur le gouvernement de l’État avait pris des proportions telles que la hiérarchie catholique elle-même a tenté de nuancer sa position, affirmant ne pas être en faveur de l’incarcération d’une femme qui aurait avorté (Desde la Fe 2011), sans toutefois revenir sur sa condamnation de l’utilisation des contraceptifs modernes.
35Ce débat social et politique au sujet de l’autonomie reproductive des femmes a avant tout des conséquences matérielles sur les vies et sur les corps de celles-ci. Il régit les conditions qui font qu’un l’avortement est légal ou clandestin, sûr ou dangereux. Ses effets ne se limitent toutefois pas à cette dimension. Ils atteignent aussi la sphère symbolique dans laquelle s’organise la production de l’expérience subjective de l’avortement.
Sécularisation et démocratisation de la société mexicaine : données subjectives pour la construction de l’expérience de l’avortement légal
36Le rapport des femmes avec le débat que nous avons évoqué est conditionné par des processus historiques qui ont modifié la place autrefois prééminente de la religion catholique dans la culture et la politique nationales. La tendance à la pluralité religieuse s’est considérablement accentuée durant ces trente dernières années22 et, parallèlement, les fidèles catholiques ont développé une relation de plus en plus critique avec la hiérarchie de l’Église. Ils et elles se sont autorisé-es à nuancer l’autorité qu’ils-elles lui reconnaissaient, en particulier sur des sujets concernant leur vie privée.
37Selon Blancarte (2008), « le Mexique est un pays à la fois très religieux et très séculier. Les processus de démocratisation et de sécularisation sont intimement liés : tous deux reposent sur une évolution de la liberté de conscience » (p. 227). C’est précisément dans le champ de la liberté de conscience que de nombreux catholiques placent les décisions portant sur la sexualité et la reproduction23. L’Enquête d’opinion catholique de 2009 (Martínez-Salgado, Lerner et Aldaz 2013), à rebours de ce que prône la norme de l’Église, montre par exemple que 75 % des fidèles se déclarent en faveur de la distribution par les services de santé des contraceptifs d’urgence aux femmes ayant eu des relations sexuelles consenties, et que 87 % d’entre eux approuvent cette distribution en cas de viol. En outre, le même échantillon va jusqu’à défendre, à 73 %, le droit des femmes à décider d’avorter dans certaines circonstances (notamment lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol, en cas de danger pour la vie de la mère, ou encore lorsque le fœtus présente des malformations congénitales).
38Ces données traduisent une prise de distance des croyants à l’égard des principes doctrinaux de l’Église ainsi qu’une personnalisation du système de croyances qui est venue affaiblir le pouvoir normatif de l’Église. Progressivement, les individus ont considéré que les questions morales relevaient de leur évaluation personnelle : nous sommes en présence d’une « révolution silencieuse au cours de laquelle les catholiques se sont lentement et discrètement affranchis du pouvoir hiérarchique qui régissait leur comportement quotidien » (Blancarte 2004, 343).
39Néanmoins, il convient de différencier le discours politique de la hiérarchie catholique de la morale sexuelle catholique qui imprègne la construction historique de la sexualité au Mexique et dépasse nettement les domaines strictement institutionnels. Même si les processus de démocratisation politique ont favorisé l’exercice d’une forme d’autonomie vis-à-vis de l’Église, les femmes mexicaines sont inévitablement confrontées à la nature clairement catholique – et même mariale – des processus dominants de subjectivation de genre, qui font que la maternité détermine un sujet femme homogène et totalisant. Ce sont les femmes qui, lors du dialogue personnel qu’elles entretiennent tout au long du processus d’interruption, soupèsent et nuancent ces différentes positions. C’est pour cette raison que, dans notre analyse, nous parlons d’un débat subjectif, qui a précisément lieu dans l’intimité des consciences.
L’échelle microsociale : le débat subjectif dans l’expérience de l’interruption légale de grossesse (ILE)
40L’analyse des entretiens permet d’identifier une relation entre deux champs : elle montre une corrélation entre le débat de société qui se déroule dans le champ politique et le débat subjectif qui s’exprime dans les témoignages des femmes.
41Comme nous l’avons vu, ce débat subjectif s’exprime dans une polyphonie où les femmes se réfèrent non seulement aux discours sociaux se disputant l’hégémonie sur les questions de l’avortement, de la reproduction et de la maternité, mais aussi à leur propre opinion sur ces sujets. Elles confèrent à ces divers éléments plus ou moins d’importance pour définir leur expérience.
ILE : péché ou délit ? La séparation de la morale et de la loi
42Les récits des femmes montrent que la possibilité d’interrompre la grossesse oblige chacune – et parfois son conjoint – à confronter ses désirs, ses projets de vie et sa situation personnelle aux discours de la morale catholique et de la culture hégémonique de genre. Ce débat personnel est à la fois un résultat et un facteur déterminant de la trame de valeurs et du sens donné à l’avortement. Cette trame moralisante et stigmatisante qui domine la culture mexicaine a toutefois été remise en cause de facto par la récente légalisation de l’avortement.
43L’existence même de l’ILE fracture la concordance de la morale de la loi qui, avant la dépénalisation, faisait de l’avortement à la fois un péché et, de fait, un délit. L’État assurant désormais cette prestation dans les institutions publiques de santé, un espace symbolique nouveau s’est ouvert dans lequel les femmes distinguent motivations personnelles et considérations légales. Elles procèdent donc à un examen de conscience qui devient le lieu de leurs réflexions morales tandis que l’interruption de grossesse en elle-même se trouve protégée par la loi.
44L’ILE permet ainsi de désagréger les discours dominants à propos de l’avortement. Bien sûr, pour certaines femmes, l’ILE constitue un problème moral d’ordre religieux, mais, pour toutes, il a cessé d’être un délit pour devenir une possibilité d’exercer un droit. Les femmes sont devenues les titulaires des décisions concernant leur propre corps.
Personne ne peut décider à ta place. Évidemment si tu y mets tes propres valeurs, tes idées, ta morale, cela devient très personnel, parce qu’en fin de compte, celle qui porte le poids, ou plutôt, je préférerais dire la responsabilité d’un enfant, c’est toi. C’est toi qui le porte dans ton corps, toi qui lui donne vie, toi qui en prends soin. Il sera donc toujours avec toi, non ? C’est ce que je pense en tout cas. Donc, tu as le droit de décider si tu veux une famille et des enfants maintenant ou pas. Donc oui, je crois que c’est un droit, je suis même certaine qu’il s’agit d’un droit pour les femmes, un droit à disposer de leur corps (Frida, 25 ans, célibataire sans enfant, employée).
45Dans ce processus, le service public d’ILE est une sorte de voix silencieuse – mais extrêmement puissante – qui opère dans le champ de l’expérience de l’avortement où elle s’oppose à la morale catholique, sur un pied d’égalité et en sa seule qualité de fait. L’accès à ce service, en lui-même, permet aux femmes d’évaluer non seulement les aspects moraux du processus mais aussi le sens même de l’avortement. L’ILE défini comme service public permet donc aux femmes de s’approprier de nouvelles significations et de faire ainsi l’expérience d’un conflit subjectif entre les différents discours qui prétendent définir l’avortement comme un péché ou comme un droit. Les conditions permettant une décision relevant de la sphère privée se sont ainsi créées dans la sphère publique, par une incursion du droit dans un domaine strictement moral.
46Cependant, il ressort de cette enquête que le débat ne se pose pas dans les mêmes termes pour toutes les femmes en fonction de leur statut social et de leurs conditions de vie. Les témoignages des mères, en couple ou séparées, qui se trouvent en situation de subordination marquée – parce qu’elles sont d’un niveau culturel inférieur, économiquement dépendantes de leur conjoint, soumises à la division sexuelle du travail et épuisée par l’éducation des enfants –, montrent une adhésion plus forte aux discours hégémoniques de genre et/ou à la morale catholique. Elles ne sont que légèrement influencées par le discours scientifique, celui du planning familial et par les arguments féministes.
Parfois on ne se sent pas bien, c’est vrai… surtout à cause de la religion… Vous comprenez ? Parce que moi, je suis catholique et que « Dieu va me punir ». Mais je crois que ce serait agir encore plus mal que de faire venir un enfant au monde pour lui donner une vie de chien. C’est mieux d’avorter tout de suite (Alicia, 26 ans, 1 enfant, mère célibataire, employée occasionnelle).
47Les femmes célibataires – plus jeunes en règle générale – font preuve, quant à elles, d’une autonomie plus grande. Elles sont plus éduquées et accordent de l’importance à leurs projets personnels et à une forme d’indépendance économique. Ces priorités se reflètent dans leur décision de repousser la grossesse jusqu’à ce que les conditions optimales soient réunies. Dans leurs récits, elles mettent en avant les arguments féministes sur le corps et sur leur « droit à en disposer », et décrivent leur expérience en faisant usage d’un langage plus scientifique que religieux.
D’abord, c’est la liberté de choix, c’est ma décision, et c’est aussi ma décision de le raconter ou non à qui je veux, n’est-ce pas ? Mais en plus, je sais où aller, à qui faire appel, et comment [l’ILE] va se passer (Sabina, 21 ans, 1 enfant, en concubinage, salariée).
48Par ailleurs, pour comprendre la prise de position des femmes confrontées à ces discours sociaux concurrents, il est également important de prendre en considération leur degré de dépendance économique, sociale et subjective. Ces facteurs expliquent en partie l’existence de trois moments culminants dans le débat subjectif : a) au moment de décider de l’avortement, b) en présence de militants des groupes conservateurs dans les cliniques publiques et c) au cours de la réflexion a posteriori sur de l’ILE.
Décider de la grossesse et de l’avortement : désir, injonction et conditions
49Le premier moment culminant du débat subjectif s’observe lorsque les femmes sont confrontées à une grossesse non prévue ou non désirée. Ce débat peut être plus ou moins intense et contradictoire mais ne porte généralement pas sur la maternité en elle-même. Il s’agit plutôt d’en déterminer le moment opportun. De fait, l’avortement vise souvent à préserver les conditions dans lesquelles les mères élèvent les enfants déjà nés ou élèveront ceux qui naîtront par la suite.
C’est que je n’en sais rien. J’aurais voulu le garder. Parfois j’y pense beaucoup et je me mets à pleurer parce que je me dis : « je le garde ou pas ? » Mais ensuite je pense à ma fille et à mon fils, au fait que je n’aurai plus le temps de m’occuper d’eux au quotidien, et surtout aux dépenses qu’ils vont occasionner, beaucoup de dépenses. C’est tout cela qui me préoccupait tant… (Margarita, 18 ans, mariée, études secondaires inachevées, deux enfants, mère au foyer).
50Ainsi, l’injonction culturelle à la maternité n’est pas remise en cause car celle-ci a toujours été l’axe central de la subjectivation de genre et de l’identité des femmes dans l’histoire du Mexique. Il ne s’agit alors que de se résoudre à reporter cette maternité.
51« L’équivalence femme / mère, historiquement construite, devient à la fois une nature et une identité, ou mieux, elle devient une identité naturelle. On ne saurait être femme sans être mère » (Amuchástegui 2013).
52Mais les politiques publiques de planning familial ont perturbé cette exaltation historique de la maternité dans la culture mexicaine. Le discours des autorités a introduit la notion de choix dans le domaine de la reproduction : choix du nombre d’enfants mais aussi du moment et des circonstances dans lesquelles on désire les avoir ou ne pas les avoir grâce à la contraception24. Même si la maternité reste une constante des projets identitaires des femmes, le combat et les arguments féministes ont donc fait naître de « nouvelles marques d’identité » (Lamas 2011, 177) qui ouvrent un espace d’appropriation subjective du « droit à disposer de son corps » et de la reproduction.
Maintenant que c’est fait, je me sens plus tranquille et je sais que je peux mener à bien mes projets et faire ce que j’ai toujours désiré faire. Ensuite, une fois ces objectifs atteints, alors oui, j’aimerais vraiment avoir un enfant, mais en ayant déjà de quoi lui offrir une bonne éducation. (Liz, 21 ans, sans enfant, étudiante et salariée).
La présence de militant-es des mouvements pro-vie dans les cliniques publiques : intimidation et violence
53Le deuxième moment d’exacerbation du débat subjectif résulte de la pression exercée par les groupes pro-fœtus25 à proximité des cliniques publiques afin d’empêcher le libre accès des femmes à l’ILE. Au nom de la morale sexuelle catholique et de son prétendu caractère universel et naturel, les militant-es conservateurs-trices assaillent les femmes et les personnes qui les accompagnent quand elles attendent leur tour dans les cliniques pour tenter de les faire renoncer à leur projet d’interruption de grossesse. Les groupes conservateurs utilisent des arguments moralistes, des effigies de la Vierge de Guadalupe26, des prières et des photomontages montrant des fœtus avec des visages de nouveaux-nés, et abordent les femmes sous le faux prétexte de leur faciliter l’intervention. Confrontées à de telles manipulations, certaines femmes acceptent de quitter la clinique pour être transférées vers d’autres lieux où leur sont projetés des films montrant des avortements sanglants et dangereux tant pour la mère que pour le fœtus qu’il nomment « être humain ».
Ils disent d’abord : « Ils commencent par couper le bébé en morceaux, puis une fois le bébé déchiqueté, ils retirent ce qu’ils peuvent avec des pinces […] pour finir par la tête. » Puis ils te montrent l’état du bébé coupé en morceaux une fois sorti. En me montrant cette vidéo, je ne sais pas s’ils ont voulu me faire peur. Je crois que oui car les images étaient vraiment très crues. La fille était allongée comme ça, perdant tout son sang, l’horreur ! Je me suis demandé pourquoi ils me montraient ça. Quand nous sommes arrivés, il y avait une dame, à l’extérieur, qui donnait des informations sur l’avortement… Et alors oui, j’ai pris peur et j’ai fini par voir ce documentaire. J’avais envie de pleurer mais j’ai tenu bon. Ensuite, la dame qui donnait les informations est entrée et m’a demandé : « Tu t’es sentie comment après avoir vu le documentaire ? » Je lui ai dit que j’étais certes un peu effrayée mais que c’était une décision que j’avais déjà prise et sur laquelle je ne reviendrais pas. (Sonia, 20 ans, célibataire, sans enfant, étudiante)
54En dépit de ce harcèlement, les femmes – surtout les plus jeunes et celles qui ont un niveau d’éducation plus élevé – désavouent et contestent ces actions ainsi que les méthodes qu’elles utilisent. Leurs récits montrent qu’elles font la distinction entre leur propre foi, le fanatisme et la manipulation exercés par les groupes conservateurs qui les interpellent, et la morale catholique.
Un péché ? Hé bien… je crois que l’Église est contre l’avortement. Moi, je ne vois pas ça comme un péché. L’Église le voit peut-être comme ça mais franchement, ils devraient se mettre à la place des femmes, des jeunes filles et des adolescentes. Vraiment, ils devraient se mettre à leur place et voir leur situation, parce que c’est trop facile de juger les gens comme ça, sans connaître les faits pour lequel on les juge. (Sonia, 20 ans, célibataire, sans enfant, étudiante)
55La pression exercée par ces groupes accentue le débat subjectif que vivent les femmes sur le point de subir une ILE. Toutefois ces groupes ne parviennent pas complètement à leurs fins car les femmes opposent une résistance à cette intrusion. Dans les témoignages des femmes, certaines notions comme le statut d’être humain du fœtus revêtent une certaine importance, mais elles y figurent aux côtés d’autres discours qui les relativisent, comme par exemple l’idée du droit des femmes à disposer de leur corps. Le contraste et la tension entre ces signifiants opposés, ainsi que l’existence même de l’ILE, tempèrent donc le jugement moralisateur dont certains récits se font l’écho, ce qui est très important. En lui-même, le fait que l’État fournisse ce service permet de s’affranchir de la prétendue immoralité de l’avortement tout en introduisant les arguments féministes du droit à disposer de son corps dans sa dimension matérielle, ce qui déstabilise le pouvoir monolithique exercé par le catholicisme sur la subjectivité des femmes.
Grâce à [l’ILE] je me suis sentie protégée, soutenue par la société. Imaginez-vous sans ressources. Moralement, c’est vrai que je me suis sentie très mal parce qu’au fond de moi, je ne voulais pas le faire. Mais voilà c’est fait maintenant. Il ne me reste plus qu’à prendre soin de moi et à aller de l’avant. C’est tout ce qu’il me reste à faire. Bien sûr j’en porterai toujours le poids, parce que c’est comme ça. Mais enfin, je dois dire que cela a été une bonne chose que le gouvernement soutienne les femmes (Isabel, 47 ans, mère et grand-mère, divorcée, secteur informel).
Épilogue de l’expérience : l’ILE comme droit restreint
56Le troisième et dernier moment culminant du débat subjectif se situe lors de la réflexion a posteriori, et particulièrement lorsqu’au cours des entretiens27, nous avons demandé aux femmes leur opinon sur l’ILE en tant que droit. Dans ce contexte, si les femmes s’affirment comme sujets de cette décision, elles ont tendance à repenser et à restreindre aussi bien ce statut que le droit lui-même, ce dernier ne devenant légitime que pour certains motifs spécifiques ou pour autant que l’intervention ne soit pratiquée qu’une seule fois.
57Nous avons déjà évoqué la possibilité induite par l’ILE de séparer la morale de la loi. Mais lorsqu’elles sont interrogées sur l’avortement légal en tant que droit, les femmes font de nouveau se confondre les deux champs et affirment la nécessité de restreindre ce droit. Bien que cette supposée restriction paraisse avoir deux versants, la loi finit par se retrouver assujettie à la morale. Les discours institutionnels de l’Église et des groupes conservateurs ainsi que les consignes du planning familial invoquent une série de motifs légitimant l’accès à l’ILE, de sorte qu’elle n’est pas présentée comme ce qu’elle est, à savoir un droit universel, sans restriction, qui ne saurait être limité que par la volonté de la femme :
Pour les jeunes filles de seize ans, je crois que l’avortement n’est pas adapté. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui dans les collèges, il y a un véritable dialogue. On leur explique les méthodes contraceptives, les préservatifs, la pilule et tout ce qu’on utilise de nos jours. En fait, je dirais que l’avortement légal aurait dû concerner seulement les mères célibataires, les femmes battues, celles qui ne veulent plus du géniteur, les femmes violées, et celles qui sont déjà un peu âgées. Pour celles qui commencent à découvrir la vie sexuelle, et beaucoup de choses nouvelles, ce serait un traumatisme d’attraper une maladie ou de devenir stérile suite à une interruption de grossesse. (Sofía, 20 ans, sans emploi, violence conjugale, en instance de divorce, mère de deux enfants, deux avortements)
58Ce témoignage montre que les motifs jugés légitimes pour une interruption de grossesse se fondent sur une relation directe entre sexualité et souffrance : la violence, la coercition, l’adversité et l’assujettissement sont des situations qui justifient l’avortement. En revanche, la liberté sexuelle des femmes et l’expérience du plaisir sans conséquences reproductives ni coercition ni violence ne semblent bénéficier d’une légitimité suffisante dans aucun des discours en concurrence et dans aucun des témoignages recueillis.
59Invitées à s’exprimer sur la possibilité de restreindre l’accès à l’ILE en limitant le nombre d’interventions à une seule, les femmes émettent une mise en garde sur le « mauvais usage » supposé de l’ILE comme méthode contraceptive. Cette inquiétude fait écho aux discours sociaux exprimant la peur de la liberté sexuelle des femmes.
À ce rythme-là, il va y avoir une épidémie d’avortements. […] Hélas, parfois, on ne fait pas attention, les gens ne font pas attention et ils pensent que de toute façon ils ont la possibilité de… Si je tombe enceinte, de toute façon… Souvent, elles le prennent comme ça, comme si c’était un jeu. Mais malheureusement, ce n’est pas un jeu. Moi je suis d’accord, je soutiens. Mais ce n’est pas un jeu auquel on joue quatre ou cinq fois. (Yolanda, 26 ans, mariée, une fille)
60Dans cette logique, la répétition de grossesses non planifiées révélerait une activité sexuelle féminine sans fins reproductives qui entre en conflit avec la morale sexuelle catholique et pourrait même être considérée comme une attitude irresponsable au regard du « soutien » apporté par le gouvernement aux femmes qui en auraient « véritablement » besoin. L’avortement, surtout lorsqu’il est conçu comme un acte qui se réitère, cristallise ainsi, de façon contradictoire et fragmentée, les préceptes, valeurs et pratiques des différents discours qui, dans l’histoire, ont justifié le contrôle sur le corps des femmes.
61L’analyse de ces trois moments culminants du débat subjectif montre que les femmes, pour décrire leur expérience, reprennent les discours du débat sociopolitique pour réprouver, restreindre, juger ou défendre le droit à l’avortement légal en fonction de circonstances déterminées. Mais, dans la pratique, elles avortent, et en ayant recours à cette solution, elles adoptent une position pratique – pas toujours verbalisée – quant à leur capacité à disposer d’elles-mêmes et de leur corps. Elles donnent également une forme de légitimité à l’accès à l’avortement en déplaçant le pouvoir des discours sociaux dominants à l’œuvre dans la formation de la subjectivité – sans pour autant éliminer ce pouvoir –, et construisent ainsi la possibilité d’être reconnues comme sujets de décision.
Réflexions finales : le libre accès à l’ILE dans les services de santé publique et la relativisation du discours catholique
62Dans le cadre de la lutte pour la légalisation de l’avortement, nous avons vu que la démocratisation instable du pays ainsi que les conflits au sujet la laïcité de l’État s’étaient mués en un affrontement entre l’Église catholique et ses alliés, les mouvements féministes et organisations de femmes, mais aussi des hommes politiques de tous bords, tous cherchant à affirmer l’hégémonie de leur point de vue sur la sexualité et la reproduction des femmes.
63L’analyse de ce processus montre que la simple idée de débattre de la reproduction comme d’un champ de décision, et plus encore de débattre au sujet de qui décide des capacités reproductives des femmes, a ouvert un espace social où ces dernières ont pu lancer un débat subjectif. Dans ce débat, les conceptions catholiques de la féminité – qui ont dominé l’histoire de la culture mexicaine – ont été remises en cause, relativisées et contraintes au dialogue dans des cadres éthiques et politiques différents – les discours modernes sur la citoyenneté, les droits, la liberté et la responsabilité – introduits par des acteurs sociaux progressistes comme les mouvements féministes et les mouvements de femmes. Ainsi, la légalisation de l’avortement apparaît comme un corollaire de la déstabilisation progressive de l’autorité du discours catholique sur la maternité qui régissait jusqu’alors les vies et les décisions reproductives des femmes.
64En d’autres termes, les témoignages des femmes révèlent qu’en leur propre conscience coexistent et se confrontent différents discours sociaux. Ce processus a permis de transformer les déclarations unilatérales propres à certains discours dominants – particulièrement celui de la morale catholique – en des affirmations relatives. La prétention d’absoluité du discours moral religieux se trouve ainsi contestée par le processus dialogique de l’hétéroglosie (Amuchástegui 2001), qui se manifeste non seulement dans le débat de société sur l’avortement mais aussi dans les réflexions des femmes au cours du processus d’ILE.
65Les témoignages analysés montrent que l’existence et l’intensité des débats de société sur l’autonomie reproductive des femmes, présents dans le champ culturel mexicain depuis quelques décennies déjà, ont permis à celles qui ont eu recours à une ILE de mettre en pratique leur autonomie en prenant une position différenciée au sein de ces débats. Grâce aux luttes politiques pour l’avortement, les femmes ont pu ouvrir, dans leur propre expérience, un espace intérieur où elles ont pu nuancer l’importance des différents discours. Le discours catholique n’apparaît plus comme la vérité révélée sur leurs vies reproductives, mais simplement comme une des options discursives et éthiques disponibles dans cette arène du combat pour l’hégémonie. C’est précisément ainsi que les femmes montrent pleinement et en action le terrain gagné par la liberté de conscience au Mexique. Les formes que peuvent prendre leur positionnement au sujet de l’avortement est un indicateur indéniable de la sécularisation croissante de la société mexicaine contemporaine.
Encadré 1. Niveau macrosocial. Acteurs politiques interrogés
Nom | Fonction et Organisation |
Patricia Uribe | Directrice Générale du Centro Nacional de Equidad de Género y Salud Reproductiva, Secretaría de Salud de México |
Julio Frenk | Ministre de la Santé (2000-2006) Doyen de l’École de Santé Publique de l’Université de Harvard, Boston |
Patricia Mercado | Directrice de la Fondation Voz Alternativa y de Liderazgo, Gestión y Nueva Política, A.C. Ex candidate présidentielle du el Partido México Posible (2000) et Alternativa Socialdemócrata y Campesina (2006) |
Manuel Espino | Président de la Organización Demócrata Cristiana de América et ex-président del Partido Acción Nacional (PAN) |
Elsa Conde | Députée Fédérale du parti Alternativa Socialdemócrata y Campesina, LX Legislatura |
Federico Döring | Sénateur du Partido Acción Nacional (PAN) pour le Districte Federale, LX Législature |
Víctor Hugo Círigo | Député du Partido de la Revolución Democrática (PRD) de la Assemblée Législative de Mexico DF, IV Législature |
Monseñor Raúl Vera Monseñor José | Évêque, Diocèse de Saltillo, Coahuila |
Leopoldo González | Secrétaire Général de la Conférence Episcopale Mexicaine et Évêque Auxiliaire du Diocèse de Guadalajara, Jalisco |
Padre Hugo Valdemar | Directeur de Communication Sociale, porte-parole de l’Archidiocèse de Mexico et du Cardinal Norberto Rivera Carrera |
Armando Martínez | Président du Colegio de Abogados Católicos, A.C. |
María Luisa Sánchez | Directrice du Grupo de Información en Reproducción Elegida, A.C. |
Pilar Muriedas | Conseillère générale de Salud Integral para la Mujer. A.C. et Coordinatrice de Territorios de Cultura para la Equidad, A.C. |
Encadré 2. Niveau microsocial. Caractéristiques des femmes interrogées – 2008/2009
Âge | 18-25 ans 15* | 26-36 ans 9* | Total 24 | |
État civil | Célibataire En couple | 14 7 | 3 0 | 17 7 |
Enfants | Sans enfant Enfants | 13 8 | 2 1 | 15 9 |
Scolarité | Élémentaire Secondaire Supérieure | 6 8 7 | 2 0 1 | 8 8 8 |
Activité | Étudiantes Salariées Au foyer | 5 9 7 | 0 3 0 | 5 12 7 |
Avortements clandestins ou ILE préalables | 5 | 0 | 5 |
66* Une femme a déclaré avoir 15 ans et une autre 47
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Aciprensa. 2007. Comité Pro vida inicia campaña para evitar abortos en hospitales de México DF. Consultable sur http://www.aciprensa.com/noticias/comite-pro-vida-inicia-campana-paraevitar-abortos-en-hospitales-de-mexico-df/#.UalDq9JJOAg
Amuchástegui, A. 2001. Virginidad e iniciación sexual, experiencias y significados. Mexico : Edamex.
Amuchástegui, A. 2013. La experiencia del aborto en tres actos : cuerpo sexual, cuerpo fertile y cuerpo del aborto. In Los archivos del cuerpo ¿Cómo estudiar el cuerpo ? R. Parrini (Dir.). Mexico : PUEG.
Amuchástegui, A., G. Cruz, E. Aldaz et M. C. Mejía. 2010. Politics, religion and gender equality in contemporary Mexico: women’s sexuality and reproductive rights in a contested secular state. Third World Quarterly, 31(6) : 989-1005.
10.1080/01436597.2010.502733 :Avelar, A. 2007. Posturas encontradas por la despenalización del Aborto. Vecindad Gráfica. 31 mars. Consultable en ligne sur http://blogvecindad.com/posturas-encontradas-por-la-despenalizacion-del-aborto/
Bakhtin, M. 1981. The dialogic imagination: Four essays. Austin: The University of Texas Press. Publication originale 1935.
Blancarte, R. 2004. Prólogo. Retrato de un país católico. Encuesta de Opinión Católica en México, julio 2003. Mexico : Católicas por el Derecho a Decidir/ Population Council.
Blancarte, R. 2008. El porqué de un Estado laico. In Los retos de la laicidad y la secularización en el mundo contemporáneo. R. J. Blancarte (Dir.). Mexico : El Colegio de México.
Bruner, E. 1986. Ethnography as Narrative. In The Anthropology of Experience. V. W. Turner et E. M. Bruner (Eds.). Chicago: University of Illinois Press.
Código Penal. República Oriental de Uruguay. 2013. Consultable sur http://www0.parlamento.gub.uy/leyes/AccesoTextoLey.asp?Ley=09763
Colegio de Bioética. 2007. Despenalizar el aborto en el DF : Colegio de bioética A.C. Desplegado. La Jornada. 17 avril. Consultable sur http://eltendedero.wordpress.com/2007/04/17/despenalizar-el-aborto-en-el-df-colegio-de-bioetica-ac/
Cruz-Coke, R. 2002. ¿Desde qué momento hay alma en el embrión humano ? Revista Médica de Chile. 130(5). Mai.
10.4067/S0034-98872002000500016 :Desde la Fe. 2011. Mujeres que abortan ¿merecen la cárcel ? Sistema Informativo de la Arquidiócesis de México, 6 novembre. Consultable sur http://www.siame.mx/apps/aspxnsmn/templates/?a=5535&z=20
El Mensajero. 2009. La vida : Don divino que debemos proteger. Derecho a vivir. Periódico de la Provincia Eclesiástica de Tlalnepantla. 6 octobre. Consultable sur http://anahuac-texcoco.blogspot.com/2009/10/san-francisco-de-asis-recorddo-en.html
El País. 1990. Vargas Llosa : México es la dictadura perfecta. 1 septembre. Consultable sur http://elpais.com/diario/1990/09/01/cultura/652140001_850215.html
Foucault, M. 1981. Historia de la sexualidad I. La voluntad de saber. 7ª Ed. México : Siglo XXI.
GIRE. 2013. Cifras ILE. Consultable sur https://www.gire.org.mx/index.php?option=com_content&view=article&id=504&Itemid=1397&lang=es
Hernández, M. 2007. Reiteran su oposición agrupaciones religiosas. Reforma. 31 mars. Consultable sur http://busquedas.gruporeforma.com/reforma/Documentos/DocumentoImpresa.aspx?ValoresForma=861543-1066,sujetos+autonomos+y+con+libertad
Laclau, E. et C. Mouffe. 1985. Hegemony and Socialist Strategy. Towards a Radical Democratic Politics. Londres : Verso.
10.1515/9781474472593 :Lamas, M. 2009. La despenalización del aborto en México. Nueva Sociedad. 220 : 154-172.
Lamas, M. 2011. Cuerpo y política : la batalla por despenalizar el aborto. In Un fantasma recorre el siglo : las luchas feministas en México 1910-2010. (Dir.) G. Espinosa et A. Lau Jaiven. Mexico : UAM, Editorial Itaca, Conacyt, Ecosur.
Lamas, M. 2012. Un cambio de estrategia. In 20 años por todas las mujeres. Grupo de Información en Reproducción Elegida, Revista Gatopardo, México.
Lamas, M. et S. Bissell. 2000. Abortion and Politics in Mexico: « Context is all ». Reproductive Health Matters. 8(16) : 10-23. Machuca, A. 2010. Por abortar, a juicio 160 mujeres de Guanajuato. Milenio. 21 juillet. Consultable sur http//www.milenio.com/cdb/doc/impreso/8803127
10.1016/S0968-8080(00)90183-6 :Martínez Salgado, M., S. Lerner et E. Aldaz. 2013. Identidades católicas, derechos sexuales y reproductivos y laicidad. In De la brecha al abismo. Los obispos católicos ante la feligresía en México. (Dir.) E. Aldaz et M. C. Mejía, (Coord.) L. Melgar. Mexico : Católicas por el Derecho a Decidir.
Morris, P. (Ed.). 1994. The Bakhtin Reader. Selected Writings of Bakhtin, Medvedev, Voloshinov. Londres: Edward Arnold.
Mouffe, C. 2005. On the political. Londres: Routledge.
10.4324/9780203870112 :Population Council. 2009. ¿Qúe piensan quienes habitan el Distrito Federal sobre la ley que permite a las mujeres obtenerla interrupción legal del embarazo hasta las primeras doce semanas de gestación ? Comparación de hallazgos clave de Encuestas de Opinión llevadas a cabo en el DF en los años 2007, 2008 y 2009. Consultable sur http://www.catolicasmexico.org/ns/publicaciones/otras.html
Román, J. A. 2008. Ahora lo criminal, es legal. La Jornada, 28 août. Consultable sur http://www.jornada.unam.mx/2008/08/28/index.php?section=capital&article=040n3cap
Secretaría de Salud. 2001. Programa de Acción : Salud Reproductiva. Mexico.
Suprema Corte de Justicia de La Nación. 2008. Voto concurrente que formula el Ministro José Fernando Franco González Salas en las Acciones de Inconstitucionalidad números 146/2007 y su acumulada 147/2007 falladas por el Tribunal Pleno de la Suprema Corte de Justicia de la Nación el 28 de agosto de 2008, 2008. Consultable sur http://ss1.webkreator.com.mx/4_2/000/000/01f/c81/VOTO-CONCURR-FRANCO%20G.pdf
Suprema Corte de Justicia. 2008. Audiencias públicas. México. Consultable sur ss1.webkreator.com.mx/4_2/000/000/01f/c81/VOTO-CONCURR-FRANCO %20G.pdf
Urrutia, A., G. Romero, R. Llanos et J. Balboa. 2007. El PAN dará la batalla en la Asamblea para impedir despenalizar el aborto, dice Abascal. La Jornada, 15 mars. Consultable sur http://www.jornada.unam.mx/2007/03/15/index.php?sec-tion=capital&article=042n2cap
Voloshinov, V. N. 1986. Marxism and the philosophy of language. Cambridge, Mass.: Harvard University Press. Parution originale 1929.
Notes de bas de page
1 Certaines idées présentées dans ce texte ont été préalablement débattues dans Amuchástegui, Cruz, Aldaz et Mejía (2010).
2 La première Loi générale relative à la population a été adoptée par le Congrès en 1974, lorsque l’État a pris en charge les services de santé sous la dénomination de « planning familial ». Avant cette réforme, l’utilisation, la distribution et la vente de contraceptifs étaient illégales.
3 Pour une description de cette approche, voir Secretaría de Salud (2001).
4 Cette approche établissait quatre conditions nécessaires à cette maternité libre et volontaire, que l’État devrait encourager et garantir : l’éducation sexuelle, l’accès aux méthodes contraceptives, l’avortement et l’abandon de la stérilisation forcée (Lamas 2000).
5 Pour consulter en détail les différentes législations, État par État, voir GIRE, http://www.gire.org.mx/
6 L’Uruguay dispose d’une loi restrictive qui exige entre autres que la femme qui désire avorter rencontre une équipe interdisciplinaire pour faire part de ses motivations. Suite à cet entretien, elle dispose de cinq jours de « réflexion » avant de pouvoir accéder à l’intervention (Código Penal. República Oriental de Uruguay 2013).
7 Foucault décrit le biopouvoir comme « la multiplication de techniques diverses et nombreuses pour obtenir l’assujettissement des corps et le contrôle des populations » (1981, 169). Il situe historiquement ce processus dans l’Europe du XVIIIe siècle, lorsque le concept de « population » surgit conjointement au développement capitaliste des États-nations modernes. En ce sens, même si la question du biopouvoir avait été largement diffusée dans le Mexique des années 1970, c’est au cours de ces débats que la nature politique de la reproduction féminine a véritablement été mise en évidence.
8 Selon Mouffe, « […] le débat démocratique se conçoit comme une confrontation réelle. Les adversaires combattent – parfois férocement –, mais en respectant un ensemble de règles, et leurs positions, bien que finalement irréconciliables, sont acceptées comme des perspectives légitimes » (2005, 52).
9 Au-delà des processus historiques persistants (Amuchástegui, Cruz, Aldaz et Mejía 2010), la conjoncture politique immédiate explique en partie ce qui s’est produit. Le District fédéral était alors gouverné par un parti de gauche, le PRD, soucieux de se différencier de la politique conservatrice du gouvernement fédéral menée par le PAN. Ce parti avait vaincu le PRI en 2000, mettant fin à 71 ans de régime autoritaire, et gouvernait le pays pour un deuxième mandat consécutif.
10 La Constitution politique des États unis mexicains prévoit la possibilité de déposer un recours en inconstitutionnalité, celui-ci ayant pour objectif de déterminer si une loi s’avère contraire à une disposition constitutionnelle. Le recours en inconstitutionnalité ne peut être déposé qu’auprès de la Cour suprême de justice de la nation par un organe de l’État.
11 Si ces Codes pénaux restent en l’état, les conditions permettant l’avortement restent elles aussi en vigueur. Sur l’ensemble du territoire, les législations locales autorisent l’avortement lorsque la grossesse résulte d’un viol et 31 États l’autorisent en cas de danger pour la vie de la femme.
12 Lorsque nous faisons référence aux discours ou langages sociaux dans cette analyse, nous nous fondons sur la théorie de la subjectivité et du langage développée par Voloshinov (1986) et Bakhtin (1981), en ceci qu’elle considère que toute langue est constituée par ce qu’elle dénomme « l’hétéroglosie »: L’hétéroglosie est une perception du langage comme étant idéologiquement saturé et stratifié. Les nombreux langages sociaux qui participent de l’hétéroglosie à un moment spécifique de son existence historique sont tous « des points de vue spécifiques sur le monde, des formes de conceptualisation mises en mots ». L’hétéroglosie crée les conditions de possibilité d’une conscience libre. (Morris 1994,16)
13 « Procesos subjetivos de ciudadanía : sexualidad y derechos humanos » et « Cuerpo, subjetividad y ciudadanía : metodologìas para la construcción de sujetos de derechos en el campo de la sexualidad », coordination Ana Amuchástegui et Rodrigo Parrini, Universidad Autónoma Metropolitana – Xochimilco / Grupo de Información sobre Reproducción Elegida (GIRE), avec le soutien de la Fondation Ford. « Politiques, Religion et Égalité des Genres », Catholiques pour le Droit à Décider et UNRISD, financement de la Fondation Heinrich Böll.
14 Pour des informations détaillées sur les personnes interrogées, voir l’encadré 1.
15 Les femmes interrogées avaient entre 18 et 36 ans et vivaient dans la ville de Mexico (exception faite de deux femmes venues de province). L’encadré 2 présente leurs caractéristiques sociodémographiques.
16 En l’an 2000, le gouvernement, avec à sa tête Rosario Robles au poste de cheffe intérimaire, a fait reconnaître par le Code pénal les motifs suivants pour la dépénalisation de l’avortement : la malformation du fœtus, les risques pour la santé de la femme et l’insémination non consentie. Ces motifs sont venus s’ajouter à ceux qui étaient déjà reconnus par la loi : la grossesse résultant d’un viol, la grossesse produit d’une imprudence et le danger pour la vie de la femme. Trois ans plus tard, en 2003, l’ALDF a supprimé le caractère délictueux des motifs d’avortement jusqu’alors reconnus.
17 Nous considérons que les débats analysés ici sont à proprement parler un processus de lutte pour l’hégémonie, au sens où ils constituent un combat politique pour la détermination du sens. « Tout discours – selon Laclau et Mouffe – se constitue comme une tentative de dominer le champ discursif, d’endiguer le flux des différences, de construire un centre. Nous appellerons points nodaux les points discursifs privilégiés de cette détermination partielle » (1985, 112).
18 María Luisa Sánchez, directrice du GIRE, explique dans un entretien que durant l’intense débat public qu’a provoqué, en 2004, l’intégration de la contraception d’urgence dans la Norme officielle mexicaine des services de planning familial, les organisations de femmes ont laissé le soin aux chercheurs et membres de la communauté médicale de démontrer scientifiquement la nature non abortive de cette méthode, stratégie qui s’avéra des plus efficaces pour contrer les arguments religieux des groupes conservateurs opposés à la réforme.
19 Dans son article 59, la Loi de santé du District fédéral reconnaît au médecin la possibilité d’être objecteur de conscience si la pratique d’un avortement légal est contraire à ses croyances religieuses ou à ses convictions personnelles. Mais il a l’obligation de référer la patiente à un médecin non objecteur.
20 Le généticien français Jérôme Lejeune a été l’instigateur, en 1974, de la Déclaration des médecins français contre l’avortement légal, qui défendait le respect de la vie humaine dès la conception et dont les arguments furent repris par le Vatican dans sa Déclaration de 1974 sur l’avortement provoqué. Cette déclaration condamne l’avortement et défend « le droit naturel à la vie ». Depuis lors, les idées exposées par ce généticien ont été reprises par les groupes conservateurs opposés à l’avortement pour étayer leurs croyances religieuses par des « preuves scientifiques » (Cruz-Coke 2002).
21 Nous verrons plus loin comment ces deux dimensions, légale et morale, s’articulent dans l’expérience des femmes.
22 Selon le recensement de 2010, 83,9 % des Mexicains se déclarent catholiques, contre 88 % en 2000.
23 Une étude réalisée en 2003 (CDD/Population Council 2003) montre clairement que les personnes interrogées accordent une grande importance à la séparation des affaires de l’État de celles des églises et attendent des fonctionnaires et des législateurs qu’ils conçoivent les politiques publiques sans s’inspirer de la religion et que leurs croyances personnelles n’interfèrent en rien dans l’exercice de leurs fonctions.
24 L’article 4 de la Constitution établit que : « … Toute personne a le droit de décider de manière libre, responsable et informée du nombre d’enfants qu’elle souhaite avoir et de l’espacement des naissances. »
25 Un mois après l’adoption de la réforme, le Comité National Pro-Vie a lancé une campagne dans les hôpitaux de la capitale « afin d’empêcher la réalisation d’avortements et d’inviter les professionnels de santé à se joindre aux mouvements de défense de la vie », mais aussi afin de « réclamer aux directeurs d’hôpitaux, dans le cas où des avortements auraient été réalisés, qu’ils leur remettent les fœtus pour pouvoir les inhumer ». Des actions de ce type sont toujours menées, comme en témoignent les femmes interviewées (Aciprensa 2007).
26 Icône de la féminité dans la culture catholique mexicaine.
27 Les entretiens ont été effectués une fois l’interruption de grossesse réalisée.
Auteurs
Enseignante-chercheure à l’Universidad Autónoma Metropolitana Xochimilco au Mexique et membre du groupe « Subjectivité, sexualité et politique ».
Enseignante-chercheure à l’Universidad Autónoma Metropolitana Xochimilco au Mexique et membre du groupe « Subjectivité, sexualité et politique ».
Chercheure au sein de l’organisation Católicas por el Derecho a Decidir – Mexico (Catholiques pour le droit à décider).
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Le genre : un outil nécessaire
Introduction à une problématique
Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur (dir.)
2000
Genre, nouvelle division internationale du travail et migrations
Christine Verschuur et Fenneke Reysoo (dir.)
2005
Genre, migrations et globalisation de la reproduction sociale
Christine Verschuur et Christine Catarino (dir.)
2013
Genre et religion : des rapports épineux
Illustration à partir des débats sur l’avortement
Ana Amuchástegui, Edith Flores, Evelyn Aldaz et al.
2015
Genre et économie solidaire, des croisements nécessaires
Christine Verschuur, Isabelle Guérin et Isabelle Hillenkamp (dir.)
2017
Savoirs féministes au Sud
Expertes en genre et tournant décolonial
Christine Verschuur (dir.)
2019