Un douteux retour du partage et de la gratuité
p. 139-153
Texte intégral
Dans ces académies ou collèges, les professeurs avaient trouvé de nouvelles méthodes pour l’agriculture et l’architecture, et de nouveaux instruments et outils pour tous les métiers et manufactures, par le moyen desquels un homme seul pourrait travailler autant que dix,
et un palais pourrait être bâti en une semaine de matières si solides qu’il durerait éternellement sans avoir besoin de réparation ; tous les fruits de la terre devaient naître dans toutes les saisons,
plus gros cent fois qu’à présent, avec une infinité d’autres projets admirables. […] L’ingénieur qui logeait dans cette chambre était le plus ancien de l’académie. […] Son occupation, depuis son entrée à l’académie, avait été de tâcher de faire retourner les excréments humains à la nature des aliments dont ils étaient tirés.
Par la séparation des parties diverses et par la dépuration de la teinture que l’excrément reçoit du fiel, il faisait évaporer la mauvaise odeur et séparait la salive.
Jonathan Swift, Les Voyages de Gulliver, Troisième partie, Chapitres 4, 5.
1Les organisatrices du colloque Homo Œconomicus, Mulier Solidaria1 m’avaient encouragé à présenter une contribution intitulée : « L’économie collaborative : contestation et récupération du partage ». Je proposais de m’appuyer sur les premières réflexions menées (Servet 2014)2 tout en préparant une future contribution aux Temps modernes. Je souhaitais ainsi synthétiser cette première recherche diffusée par l’Institut Veblen en juin dernier tout en en renforçant la dimension théorique en m’appuyant sur les recherches récentes analysant les communs au-delà des questions environnementales, en particulier dans l’ouvrage de Pierre Dardot et Christian Laval (2014) et dans une livraison de la Revue de la Régulation. Je voulais développer l’argument selon lequel de nombreuses pratiques dites « collaboratives » mettant en avant le partage peuvent être éloignées de l’économie solidaire fondée sur le principe de réciprocité et mobiliser fortement le principe de concurrence et la recherche de lucrativité. Les questions posées par les économistes féministes interrogent tant les pratiques solidaires de l’économie que celles de l’économie du partage, compte tenu des positions variables occupées par les femmes et par les hommes dans chacune d’elles.
2La prise en compte des mutations introduites par l’économie du partage peut contribuer, comme l’économie féministe ou l’économie solidaire, à la déconstruction (de fait, car elle est plus rarement pensée théoriquement par les acteurs) des catégories et de leurs frontières habituelles fondant les discours orthodoxes (et pas seulement) sur l’économique, et ainsi favoriser un renouvellement de sa définition en dépassant des oppositions constituant des paradigmes dominants. Les concepts et les champs impliqués sont multiples : valeur d’usage/valeur d’échange, gratuit/payant, improductif/productif, altruisme/individualisme, collectif/privé, bien public/commun, accès/propriété, espace public/espace privé, réciprocité/profit, coopération/concurrence, intérieur/extérieur des organisations, domestique/citoyen, politique/ économique, pauvreté/richesse, besoin/subsistance, consommer/accumuler, etc., autant de dépassements d’oppositions qui sont au cœur de la déconstruction de l’économie et de la construction de la socioéconomie. Cette remise en cause de ce qui passe généralement pour des évidences est un défi théorique. En cela les préoccupations théoriques des études de genre et de l’économie solidaire se rejoignent, tout comme celles des approches environnementalistes ; même si chacune des expériences pratiques de partage n’interpelle pas toutes ces questions simultanément.
3Le fait que la question du partage soit venue sur le devant de la scène médiatique au cours des dernières semaines, à travers les interventions de Jeremy Rifkin à la suite de la publication de The zero marginal cost society (Rifkin 2014a ; 2014b)3, a bouleversé ce que j’avais l’intention de présenter.
4La référence que je fais à Jeremy Rifkin ne tient pas à ce que cet économiste américain dit explicitement en matière de genre. Car il y a bien peu de choses à tirer de son ouvrage en ce domaine. Il ne développe pas cette dimension et son silence est éloquent pour le détour critique que ce colloque veut mener sur les pratiques et la pensée de l’économie. Dans une de ses nombreuses interviews, on lit par exemple :
Actuellement, on équipe des villages africains ou asiatiques avec des panneaux solaires. Il y a des start-up dans ces régions, souvent fondées et dirigées par des femmes. Les femmes ont intérêt à cette révolution d’internet et de l’énergie, ça va contribuer à les libérer. Comme en Occident où l’électricité a contribué à la libération des femmes. Mon activité concerne toutes les zones du monde, pas seulement l’Occident. (Rifkin 2014c)4
5Les thèses de son ouvrage paru en français sous le titre La nouvelle société du coût marginal zéro (Rifkin 2014b)5 ne sont pas vraiment inédites, comme l’indiquent les nombreuses références bibliographiques de l’ouvrage sur lesquelles l’auteur s’appuie. Mais la médiatisation de la synthèse qu’il présente de biens et services partagés a, en quelque sorte, déplacé la question du partage et de la solidarité en y adjoignant un fort substrat technique et, de ce fait, déterministe, par l’« infrastructure » matérielle des sociétés. On le remarque d’ailleurs dans la citation que je viens de faire : ces techniques sont supposées libérer les femmes.
6Le champ couvert par l’ouvrage de Jeremy Rifkin prend différents visages selon les analyses et la présentation qu’il fait de nouveaux rapports à la consommation, des formes innovantes d’organisation de la production et de la distribution et des modes de financement originaux appréhendés à partir d’expressions comme « économie collaborative », « économie circulaire », « économie participative », « économie de la fonctionnalité », « économie de l’usage », « mouvement des colibris » ou « économie du partage ». Beaucoup des expressions utilisées, dont le champ se recouvre plus ou moins, sont directement traduites de l’anglais ; ainsi celle d’« économie du partage » qui correspond à la « sharing economy »6.
7De nombreux noms de sites utilisent des expressions anglo-saxonnes, y compris quand leur cible n’est pas anglophone. Celle d’« économie positive », du fait de son flou, sans doute volontaire pour s’approprier des idées à la mode sans innovation remarquable et rassembler très largement7 sans contester les intérêts des plus puissants (qui financent ses réunions), récupère quelques idées critiques acceptables. Les rencontres régulièrement organisées autour de cette expression contribuent ainsi également à médiatiser certaines de ces nouveautés, parmi d’autres.
8L’hypothèse centrale de Jeremy Rifkin quant à l’économie du partage peut être résumée ainsi : le capitalisme se meurt du fait de l’apparition de « communaux collaboratifs »8 à travers des pratiques comme l’auto-partage, le financement participatif (crowdfunding), l’offre réciproque d’hébergement chez l’habitant (couchsurfing), la production par des particuliers d’énergies vertes, la fabrication d’objets par des imprimantes 3D à domicile, dans des lieux autogérés ou communaux, la création de monnaies complémentaires solidaires, les enseignements à distance gratuits ou quasi-gratuits des universités ou encore l’échange d’informations par les malades sur leur traitement. Ils sont caractérisés par des formes de production à coût décroissant9, par le partage et par le fait que, pour leurs promoteurs, la valeur d’usage par l’accès prime sur leur détention par la propriété ; la durabilité l’emporte sur le consumérisme y compris par le recyclage et l’utilisation élargie des biens disponibles ; la coopération subsumerait la concurrence. Leurs consommateurs sont devenus des producteurs contributifs (des « prosommateurs »). Jeremy Rifkin annonce une société future du pique-nique10, ou pour parler anglais du free lunch.
9Ce nouveau paradigme du « demain on rase gratis » promu par Rifkin s’opposerait ainsi radicalement :
d’une part, aux valeurs fondatrices du capitalisme car il est porté par des réseaux reliant les participant·e·s grâce à l’internet ; cela veut dire que le capital relationnel de chacun·e devient plus important que sa dotation financière ; ce qui peut impliquer aussi que, à côté de l’État et du marché, la société civile exerce un rôle essentiel dans le fonctionnement des sociétés pour s’approprier et gérer ces communs (Rifkin 2014 b, 295).
d’autre part, au fonctionnement technique dominant actuellement les sociétés quand on le resitue dans une perspective historique.
10La première révolution économique (confondue ici avec celle de l’industrie) était celle de la machine à vapeur, des hauts fourneaux et des chemins de fer. La deuxième, celle de l’automobile et de la production à la chaîne. Dans ces productions, les coûts sont croissants et les rendements décroissants au fur et à mesure que la production augmente. Ces deux premières révolutions poussent donc à réaliser des économies d’échelle par la concentration (géographique) et centralisation (de gestion) des activités et l’intégration verticale des activités, de la production à la distribution. La troisième révolution que Rifkin analyse est caractérisée par une déconcentration et décentralisation des activités grâce à des relations collaboratives de pair à pair en position latérale, donc d’abord horizontales, alors que simultanément l’usage des réseaux internet11 rend les coûts de production décroissants. Ceci doit permettre de multiplier le nombre de producteurs et d’utilisateurs et de ne pas lutter contre la rareté mais de promouvoir l’abondance (en particulier du fait de sources d’énergie renouvelables, de produits réutilisables et d’ingrédients recyclables et incorporant de grandes quantités d’éléments immatériels).
Les grandes révolutions économiques de l’histoire sont des révolutions des infrastructures, et ce qui donne aux grandes révolutions des infrastructures leur puissance transformatrice, c’est la convergence de nouveaux médias de communication avec de nouveaux régimes énergétiques. Rifkin (2014b, 292 ; dans le même sens 87, 201, 402).
11L’on assiste à chaque fois, écrit-il à la conjonction d’une révolution des communications (facilitant les échanges), d’une révolution énergétique et d’une révolution des transports et de la logistique (fluidifiant la circulation des biens à l’intérieur de cette économie). À chaque révolution, ces trois domaines convergent dans une nouvelle structure. Et l’évolution actuelle aboutirait, si ce n’est à la fin du capitalisme, pour le moins à une version hybride du fait de comportements solidaires permis par les nouvelles techniques, modèle qui serait selon lui dominant d’ici un demi-siècle. On doit relever ici que ces comportements solidaires ne changent pas la rationalité qui reste économique car fondée sur un même ajustement logique entre fins et moyens, le changement tenant à la fin supposée d’un certain type de rareté permettant une plus large satisfaction des besoins.
12D’une certaine façon on pourrait retrouver à travers cette thèse du substrat technique des révolutions produisant des changements sociaux des débats qui ont eu lieu dans les années 1970 autour de la première révolution dite « industrielle » des machines à vapeur obligeant à la concentration des travailleurs (thèse classique) ou au contraire la concentration initiale des travailleurs dans les manufactures permettant l’application de cette solution technique. Cette dernière thèse est développée dans les travaux de Marglin (1974 ; 1975)12 relisant La Richesse des nations d’Adam Smith13. La crise de 1973 obligeait à penser aussi des issues à la crise dite « du pétrole » et à l’absence de consensus dans la répartition profits/salaire (conflit que Joan Robinson avait traduit dans le concept de « barrière inflationniste »). L’argumentaire de ces débats sur les déterminations sociales ou techniques sont centrales chez l’économiste Pierre Dockès par exemple qui a consacré un certain nombre de travaux à la fin de l’esclavage et à l’émergence de la féodalité, ce qu’il avait appelé La Libération médiévale (Dockès 1979). Il a alors interrogé les dimensions sociales de la diffusion des moulins durant le Moyen‑Âge européen, à travers la lutte entre les moulins à main des paysans interdits par les féodaux et les moulins à eau imposés par les seigneurs pour s’assurer au-delà de la rente foncière une rente sur leur usage obligé (Dockès 1986 ; 1991). Jeremy Rifkin choisit la thèse techniciste et économiste (du matérialisme historique qui est une lecture de Marx revue par Staline et beaucoup d’autres sur la détermination économique par l’infrastructure réduite aux forces productives matérielles, voir par exemple Rifkin 2014b, 64, 291) contre d’autres lectures de certains textes de Marx moins strictement évolutionnistes et technicistes14 et accordant un poids essentiel aux rapports sociaux de production et donc aux luttes sociales dans les changements de société. Elles sont occultées ou sous-estimées dans l’évolution des sociétés décrites par Rifkin (2014b). Il affirme (2014b, 89) qu’au fil des XIXe et XXe siècles : « Certes, les syndicats ont combattu la puissance patronale avec acharnement, mais sans jamais rallier à leur cause la majorité des travailleurs » et il poursuit en qualifiant de « soulèvements populistes contestant la mainmise absolue des grandes entreprises sur la vie économique de la société » le mouvement Occupy Wall Street. Que ces combats aient été menés par des minorités est une chose. Mais affirmer de façon univoque que les transformations sociales sont le résultat de déterminations techniques est étonnant. La technique peut être pensée comme une condition nécessaire, un cliquet rendant les mutations possibles ou impossibles, sans être considérée comme un élément engendrant des automatismes et encore moins un élément suffisant aux transformations des modèles de société, dans la mesure où chacun des « progrès techniques » et leur diffusion sont culturellement et socialement marqués. Il ne suffit pas qu’une découverte ou une invention apparaisse pour qu’elle dépasse le champ des idées et qu’automatiquement elle donne lieu à des applications pratiques ; et encore moins à une généralisation modifiant les façons de vivre. Une approche neutre de la technique évite aussi de se poser la question de la nécessité ou non de la violence pour permettre les changements sociaux et des circonstances dans lesquelles elle devient inévitable, au risque même de pervertir l’objectif poursuivi15. Faisant de la technique l’acteur privilégié des changements, l’intervention de Jeremy Rifkin se situe de façon conséquente essentiellement dans une activité de conseil (grassement rémunérée) auprès de chefs d’État et de grandes entreprises et par l’écriture de best-sellers, et non d’une présence active auprès des mouvements sociaux et de contestation.
13La façon dont des communautés promouvant le partage s’emparent des techniques existantes pour les transformer exprime l’appropriation d’une technique au double sens de l’expression puisqu’elle inclut l’adaptation d’une part de son usage et d’autre part des produits : on voit créer de nouveaux logiciels, cultiver bio, émettre des monnaies locales, etc. qui peuvent engendrer des modes de vie en quelque sorte déviants des normes dominantes actuelles. Mais Jeremy Rifkin, en privilégiant l’usage, méconnaît ces transformations et en particulier le marquage genré des techniques employées. Or, elles ne sont pas anthropologiquement neutres. L’approche promue est surtout de s’emparer de l’existant, d’avoir accès à l’existant sans remettre en cause les techniques elles-mêmes et en quelque sorte les révolutionner. Il ne s’agit pas simplement de remplacer des hommes par des femmes, mais de changer le fonctionnement des organisations et les rapports de travail et d’échange pour chaque moitié du monde, pour les unes comme pour les autres. Beaucoup des interrogations des années 1950 aux années 1970 sur les relations entre technique et société16 pourraient être utilement relues et reliées aux préoccupations contemporaines, en y intégrant la problématique genre. Quand est mise en avant la capacité de remplacer des tâches notamment domestiques par des robots pour rendre davantage de temps disponible pour le non travail, il convient de se demander si cette substitution de services par des produits industriels ne s’accompagnera pas de la suppression d’emplois aujourd’hui principalement féminins. Ces machines resteraient d’abord dans leur conception et dans leurs productions principalement masculines alors que les femmes se trouveraient ainsi par ce qui est désigné comme un progrès technique dépossédées d’une partie de leurs activités. Et les robots peuvent-ils sans déshumanisation remplacer l’attention portée à des enfants ou à des personnages âgées ?17
14Rifkin a une vision en quelque sorte « progressiste » de ce rapport. Ce qui explique sa négligence ou sa dissimulation des dimensions ou contreparties négatives des évolutions qu’il présente. Or, il remarque dans une interview :
Des compagnies comme Cisco, IBM, General Electric, ont anticipé cette connexion tous azimuts de tous les objets, et commencent à mettre des capteurs partout. Des capteurs, il y en a déjà dans les champs, pour suivre l’évolution de la récolte ; sur la route pour calculer le trafic en temps réel ; dans les entrepôts et centres de distribution, pour mesurer les problèmes de logistique à la seconde près ; dans les magasins de détail, de sorte que quand un client prend un article en main, le capteur peut dire s’il l’a essayé, reposé, au bout de combien de temps, etc. Et maintenant les capteurs connectent tous les objets de la maison, thermostats, machines à laver… (Rifkin 2014d)
15Ne doit‑on pas ici non pas aspirer à cette prétendue libération grâce à ces techniques de communication, pour ne pas dire de surveillance, mais plutôt redouter ce big brother, potentiellement bien plus efficace que les caméras de sécurité disposées actuellement dans les espaces publics ?
16Apparaît aussi une négligence des conditions politiques puisque pour parvenir aux transformations nécessaires l’accent est principalement porté sur la technique18 et ces évolutions paraissent s’imposer d’elles-mêmes. Cela rappelle encore de nombreuses lectures de Marx où l’infrastructure s’impose sur la superstructure par la force du progrès nécessaire aux sociétés humaines. Le moulin, disait Marx, donne la société féodale comme la machine à vapeur donne le capitalisme. Jeremy Rifkin paraît soumis au même économisme rampant caractéristique des façons de penser (en apparence opposée) mais en fait soumise à l’idéologie néolibérale. L’économisme rampant est ce qui reste aujourd’hui du marxisme affirme Pierre Bourdieu dans Manet. Une révolution symbolique19.
17Jeremy Rifkin évoque bien peu la question des droits de propriété20. Il affirme : « Les droits de propriété s’effacent devant le partage en source ouverte, la propriété est moins importante que l’accès » (Rifkin 2014b, 203). Bien évidemment de nombreux coûts de production sont décroissants en matière de production de médicament (une fois amorti le coût de la découverte), en matière d’enseignement (pour la diffusion à distance et à un très large public d’un cours enregistré), culturelle (une fois amorti le tournage d’un film, ou l’enregistrement d’un concert ou d’une chanson par exemple, ou pour un livre composé une fois mis en ligne). Il est vrai que ce type de consommation en partie immatérielle est en forte croissance dans les consommations des ménages, ce qui permettrait de les distribuer très largement à très faible prix voire gratuitement21. Mais cette loi de la diminution des coûts physiques dans ces activités se heurte à une loi non pas techniquement mais socialement implacable : celle des prélèvements légitimés par les droits de propriété. Certes ceux-ci sont fortement contestés par les utilisateurs et sont informellement combattus. Mais des contrôles de plus en plus sophistiqués sont mis en place pour assurer la rémunération des droits des brevets, droits de diffusion, etc. Processus technique de contrôle et de diffusion de l’information que Rifkin reconnaît mais uniquement pour en faire un élément positif d’interconnexion. Et l’on assiste à une croissance exponentielle de droits immatériels qui contre- disent les potentialités techniques du coût zéro par les prélèvements de rentes qu’ils permettent. Jeremy Rifkin passe largement sous silence les luttes sociales22 et politiques requises par la généralisation de l’abondance qu’il envisage du fait du recul de la rareté physique en certains domaines.
18Mais c’est une autre limite que je voudrais remarquer quant à la logique de partage et de convivialité que Rifkin et de nombreux tenants de l’économie collaborative, de l’économie du partage, mettent en avant. Le problème de cette économie du partage provient, pour ce qui est de la prétendue solidarité, de la transformation de valeurs d’usage en valeurs d’échange à un niveau domestique pour reprendre une distinction traditionnelle des économistes. Et c’est là me semble-t-il où pourrait intervenir le mieux une perspective de genre.
19Si l’on fait l’hypothèse que, non pas par nature mais du fait de la répartition sexuelle dominante des activités, une majorité de ces productions domestiques sont féminines (quand le salariat est le mode de production hégémonique, y compris parce que le temps de labeur privé et public des femmes s’accroît considérablement), cette transformation interroge de nouveau les rapports de genre et les exploitations potentielles. Alors que de nombreuses économistes féministes mettent l’accent sur la propension plus grande des femmes au don, au care, à la générosité, etc. dans des sociétés dominées par des logiques de lucrativité et alors que les pratiques de la sharing economy et de l’économie collaborative mettent en avant des pratiques de partage, on peut s’étonner que Rifkin n’aborde pas cette dimension alors qu’il prétend éclairer l’avenir des formes de production, d’échange et de consommation. Cela tient en partie au primat qu’il donne à la technique, sans penser les techniques dans leurs dimensions genrées23 et comme produit de la société dans laquelle on y recourt (elles ne sont ni extérieures, ni neutres). Or, l’économie collaborative et l’économie du partage marchandisent des activités jusque‑là internes aux sphères domestiques.
20Je ne reprends pas ici (faute de place) d’autres interrogations sur le fait de savoir si participer au marché libère ou si, au contraire, cela entraîne exploitation et oppression.
21J’aborde cette question autrement. Je la détourne en quelque sorte. Cette entrée sur le marché d’activités qui y étaient extérieures permet des comportements spéculatifs, y compris au sein de la sphère domestique ainsi marchandisée et soumise à la concurrence entre producteurs privés de ces biens et services. Et donc penser que ces pratiques de partage sont par nature éloignées de la logique de lucrativité équivaut à se leurrer sur les évolutions en cours.
22L’usage des sites n’exclut pas des logiques d’enrichissement et de captation de rentes. Si l’on observe la logique d’élaboration et de fonctionnement des sites, il apparaît bien que tous ne sont pas aussi conviviaux qu’ils se donnent à voir. Leur fonctionnement peut viser à un accroissement des revenus tant de ceux qui les animent que de ceux qui y recourent pour acquérir ou commercialiser certains biens ou services. La gratuité ne repose pas nécessairement sur un acte fondamentalement généreux. Par exemple les journaux mettent en libre accès une partie de leur édition en espérant que les lecteurs seront fidélisés et achèteront l’article ou s’abonneront. Le modèle économique des sites internet gratuits avec publicité n’est pas nécessairement voué à un grand avenir. Leur rentabilité future est illusoire car en fait les lecteurs chassent la publicité autant qu’ils le peuvent et surfent d’un espace gratuit à un autre sans payer. Rifkin paraît aveugle à ces comportements éloignés d’un avenir radieux de la gratuité parce qu’économiquement non soutenables pour la plupart des supports qui ne sont pas militants. Il l’est tout autant à la contribution possible des nouveaux instruments de communication à l’empire de la liquidité et aux exploitations financières qui l’animent. On le voit dans la façon dont il traite les monnaies collaboratives telles que le bitcoin. Il présente celui‑ci comme une liberté apportée aux utilisateurs (Rifkin 2014b, 392). De façon générale, sans faire de distinction entre les différents types, les monnaies complémentaires lui paraissent « une démocratisation de la monnaie » (2014b, 402). Et à aucun moment il n’évoque le coût considérable en électricité pour produire le bitcoin24. Ce n’est pas un coût zéro mais au contraire un coût croissant pour produire de la rareté nécessaire à sa valorisation. À le lire on pourrait penser que le principal mobile de l’acquisition de bitcoins est l’échange alors qu’il est d’abord une spéculation sur un titre pour s’enrichir, pour autant que son cours monte. On se situe donc à l’inverse d’une diminution de la rareté, thèse centrale de son ouvrage.
23L’économie du partage version Rifkin apparaît surtout comme la transformation de l’humanité en une multitude d’auto-entrepreneurs. Certains pourraient y retrouver l’idéal économique dominant chez les révolutionnaires français de 1789 et même de 1794, ainsi que Jean Jaurès l’avait bien saisi (Servet 1989), ou chez les petits producteurs associés de Pierre Joseph Proudhon (Leroy 1954). Ces producteurs privés supposés partager seraient alors aussi tout à fait conformes à l’idéal type néo-classique de l’acteur économique non spécialisé et porteur de multiples fonctions (produire, investir, épargner, consommer) à la différence de l’acteur de l’économie classique qui incarnait des fonctions sociales (travailleurs, capitalistes, rentiers, etc.) et au‑delà des classes sociales. Le premier idéal répond à une définition formelle de l’économique (analysant les relations entre fins et moyens ayant des usages alternatifs) alors que le second correspond à son approche substantielle (d’un champ d’activités humaines faisant système et socialement organisées) (Godelier 1966).
Pour conclure
24La lecture de l’ouvrage de Rifkin peut conduire à une double confusion d’une part entre économie collaborative et sharing economy avec l’usage de nouvelles techniques de communication et la prévalence de mobiles de générosité ; et d’autre part entre partage et gratuité.
25Si de nouvelles techniques informatiques permettent et se font grâce à une primauté de l’accès sur la propriété, cela ne s’oppose pas nécessairement à des logiques de lucrativité. Au contraire, celles-ci peuvent constituer une extension de la marchandisation et de la chrématistique. Ceci se réalise en transcendant les frontières entre sphère domestique et sphère d’échange et c’est notamment à travers ce processus que les divisions traditionnelles entre productions masculines et productions féminines peuvent être interrogées et peuvent pratiquement se trouver mises en question.
26Deuxième limite de l’approche, on ne partage pas que ce qui est gratuit. Partager ce qui est gratuit suppose des règles et des normes d’accès pour permettre la reproduction de la ressource. Mais partager ce qui est coûteux est plus difficile… et plus prometteur sans doute pour (re)construire de nouveaux rapports sociaux de production, de financement, d’échange et de consommation. Au contraire du gratuit, la reproduction et le développement de communs produits implique aussi de gérer ce qui est coûteux et de penser une répartition juste selon les besoins de chacun. À cela s’ajoute qu’un débat autour de l’imputation des charges et d’une juste répartition des richesses est au cœur de la construction d’un débat démocratique nécessaire impliquant les diverses parties prenantes.
27Ceci étant dit, l’ouvrage a le mérite d’engager une réflexion sur la reconnaissance et la construction de communs au‑delà de communautés de base et de circuits courts. On assiste à un désenclavement du local et de ses formes de solidarité. Les nouvelles techniques de communication offrent des potentialités pour construire des communs dans de nombreux domaines qui ne se situent pas seulement à des niveaux locaux mais se trouvent à des échelons qui sont ceux de nouvelles communautés transcendant les frontières.
Bibliographie
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10.1017/CBO9780511563652 :Savary des Bruslons, J et P.-L. Savary. 1760. Épingles et épinglier. In Dictionnaire universel du commerce et métiers. 5 volumes. Tome II : 343 à 351.
Schumpeter, J. A. 1942, Capitalisme, socialisme et démocratie. Paris : Payot.
Servet, J.-M. 1989. Idées économiques sous la Révolution. Lyon : Presses universitaires de Lyon.
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Servet, J.-M. 2010. Le Grand renversement. De la crise au renouveau solidaire. Paris : Desclée de Brouwer.
Servet, J.-M. 2014. De nouvelles formes de partage : La solidarité au‑delà de l’économie collaborative. Paris : Institut Veblen pour les réformes économiques. Publié en ligne sur http://www.apres-ge.ch/sites/test.intranetgestion.com/files/De_nouvelles_formes_de_partage.pdf
Schor, J. 2014. Debating the Sharing Economy. Great Transition Initiative toward a Transformative Vision and Praxis. Accessible en ligne sur http://www.greattransition.org/publication/debating-the-sharing-economy
Tinel, B. 2004. À quoi servent les patrons ? » Marglin et les radicaux américains. Lyon : ENS Éditions.
Notes de bas de page
1 Que soient remerciés ici Vincent Bergeot, Pierre Calame, Hervé Le Crosnier et Isabelle Hillenkamp pour leur lecture d’une première mouture de ce texte ainsi que les participant·e·s au colloque Homo Œconomicus, Mulier Solidaria.
2 Au cours de la rédaction de cette nouvelle intervention, j’ai pris connaissance de l’analyse de Juliet Schor (2014) dont les arguments critiques à partir d’exemples nord-américains sont convergents avec ceux que j’avais mis en avant à partir d’exemples principalement français.
3 Parmi les critiques publiées depuis sa parution, une des plus percutantes est celle de Jean Gadrey (2014) sur son blog d’Alternatives économiques.
4 Dans l’ouvrage aucun chapitre ou élément n’est dévolu spécifiquement à une dimension genre.
5 L’ouvrage a paru en anglais en avril 2014 et été très rapidement traduit en français pour paraître le 24 septembre suivant. Remarquer l’ajout de « nouvelle » dans le titre français. Un site lui est consacré : http://thezeromarginalcostsociety.com/.
6 L’expression « sharing economy » offre plus d’un demi-million d’entrées sur Google (sites en anglais) ; « économie du partage » 153 000 en juin 2014 et sept fois plus en octobre (tous sites confondus).
7 Sa troisième rencontre à l’automne 2014 a réuni près de 6000 personnes au Havre (France) [http://positiveeconomy.co/fr/].
8 Dardot et Laval (2014) parlent de « commun » au singulier et de façon générale alors que Françoise et Paul Chemla, les traducteurs de Rifkin, en note d’édition (Rifkin 2014b, 9) indiquent traduire commons par « communal » ou « communaux » en référence aux terres gérées collectivement dans l’ancienne Europe. Il est à noter que si l’emploi de l’expression « communaux collaboratifs » ne pose pas beaucoup de problèmes quand elle s’applique à l’auto‑partage, au crowdfunding, au couchsurfing, à la production d’énergie par exemple, elle devient ambiguë dans d’autres domaines où ces communaux pourraient être confondus avec la propriété de commune, et l’emploi d’une expression nouvelle comme « commun » ou celle de pratique de « partage » est plus adéquate.
9 Rifkin (2014b) affirme à « coût marginal zéro » dans le titre et dans plusieurs passages mais page 208 il évoque des coûts marginaux « quasi nuls ». Il conviendrait ici de bien distinguer d’une part le coût d’usage de ces biens et services et d’autre part le coût de production des machines permettant de les diffuser. L’argument d’un coût quasi nul a été fortement critiqué, notamment par Raymond (2014) et par Gadrey (2014) et en raison du coût des ingrédients nécessaires à la fabrication de ces outils de communication et ou de production d’énergie à faible coût, et aussi de la faible part actuelle (10 % en France) de la consommation de ce type de produits dans la consommation globale des ménages.
10 Voir la critique de ce type d’hypothèse par Walras dans Dockès (1996).
11 Le système interactif poussant la productivité est composé de trois internets interconnectés : l’internet des transferts d’informations, l’internet de l’énergie et l’internet de la logistique (Rifkin 2014 b, 294)
12 Un document de travail préalable a été traduit partiellement par André Gorz (1973, 4581), traduction complète et commentaires par Tinel (2004). Voir aussi : Sabel et Zeitlin (1985 ; 1997)
13 On doit remarquer qu’Adam Smith ne traite pas dans l’exemple de la manufacture d’épingles des spécificités des tâches masculines et féminines, ni celles des enfants, en supposant chacune des composantes de la production comme quasi équivalentes. Pour une description de la manufacture située à Laigle (Normandie) qui a servi de modèle à un article de Alexandre Delaire (1755) dont se sont inspirés Adam Smith mais aussi le Dictionnaire universel du commerce et métiers (Savary des Bruslons et Savary 1760), voir Peaucelle (1999).
14 On pense notamment ici aux premiers écrits du « jeune Marx » sur les vols de bois dans la vallée du Rhin.
15 À l’heure où nous vivons peut être un basculement de ce type, une relecture de Martin Luther King, de Gandhi ou de Lanza del Vasto serait sans nul doute nécessaire.
16 Parmi cette abondante littérature, retenons Auzias (1965) et Axelos (1961). Pierre Calame (2009) l’aborde de façon forte innovante en lui donnant une dimension territorialisée.
17 En ce sens voir Gadrey (2013) note critique d’un précédent ouvrage de Rifkin (2012).
18 Voir l’analyse critique de l’ouvrage dans Baquiast (2014) qui souligne notamment les limites techniques et politiques à la gratuité des solutions proposées en s’appuyant sur les coûts par l’exemple de la transition allemande post nucléaire. Pour une critique technique faisant référence aux ingrédients nécessaires et coûteux pour produire les éléments nécessaires aux produits supposés à coût zéro, voir Bihouix (2014).
19 « Le succès actuel du néolibéralisme chez les journalistes et dans une partie de l’intelligentsia pourrait avoir été favorisé par la survivance du primat marxiste accordé à l’économie » (Bourdieu 2013, 577).
20 Il le fait pour expliquer les enclosures et la destruction des communaux à partir d’un commentaire de Locke (Rifkin 2014b, 93‑94). Il établit page 115 un parallèle très pertinent entre ce mouvement de privatisation des communaux et l’émergence d’une pudeur privée, qui fait que l’on ne se baigne plus, que l’on n’urine plus et ne défèque plus en public, de même pour les rapports sexuels et la promiscuité des lits. Voir aussi les évolutions des façons de manger. Mais l’analyse n’est pas menée pour la période contemporaine en ce qui concerne les nouvelles enclosures qui naissent du renforcement des droits de propriétés et des luttes en relation avec ceux‑ci.
21 Rifkin n’est pas le premier à avoir pensé cette évolution. On lit chez Schumpeter (1942, 105‑106) : « En se plaçant au point de vue des foyers individuels, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’un nombre croissant de marchandises sortent de la zone des biens économiques (et donc rares) et deviennent pratiquement disponibles jusqu’à satiété. Une telle situation pourrait être réalisée par voie d’arrangements soit conclus entre des sociétés productrices et des offices publics, soit de nationalisation ou de municipalisation », ce qui à ses yeux serait une « évolution future du capitalisme. » Ce passage sur la diminution du coût marginal est commenté dans Servet (2010, 85).
22 La référence est incidente (2014, 454) : « Les travailleurs ont dû lutter contre le patronat à toutes les étapes du parcours, en s’organisant en syndicats et en groupes de pression politiques, pour obtenir un juste retour sur le travailleur. » Cette affirmation qui néglige toute possibilité d’exploitation de la main-d’œuvre pour expliquer des processus d’accumulation capitaliste contraste par ailleurs avec le caractère minoritaire de ces luttes (2014, 89 cité plus haut dans le texte). Toutefois, ne voyant pas le mécanisme « normal » de l’exploitation, il semble penser que le prix des biens et services est en relation avec leurs coûts réels de production sans percevoir qu’une marge considérable peut être ajoutée pour rémunérer les droits de propriété.
23 Pour cette approche faisant le lien entre genre et techniques, voir notamment la revue Gender, Technology and Development et Gill et al. (2010).
24 La forte proportion de bitcoins produits par des ordinateurs en Irlande s’explique par un bas prix local de l’électricité. Aux États-Unis, leur fabrication correspond à consommation électrique d’une ville de 70 000 habitants.
Auteur
Professeur d’études du développement à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) depuis 2003, il a été professeur à l’Université de Lyon 2 et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS, France), à l’Institut de recherche pour le développement (IRD, France) et à l’Institut français de Pondichéry (Inde). Ses domaines de recherche sont la crise et ses alternatives solidaires, l’inclusion financière et l’histoire de la pensée économique et financière. Il a publié notamment Les Monnaies du lien (2012), Le Grand renversement (2010), Banquiers aux pieds nus (2006), Une économie sans argent (1999) et L’euro au quotidien (1998) et a dirigé les rapports Exclusion et liens financiers (huit volumes parus). Il a été coéditeur d’une nouvelle traduction de La Richesse des nations d’Adam Smith (3 vol. ) et des œuvres économiques complètes d’Auguste et Léon Walras.
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