L’introduction progressive de la perspective de genre à l’IUED
p. 251-254
Texte intégral
1Depuis plus d’une trentaine d’années, le champ de savoir « genre et développement » s’est construit, permettant de documenter les inégalités entre hommes et femmes dans le développement, de les analyser et d’en comprendre les causes structurelles.
2L’IUED s’attache à ce que soit incluse une perspective de genre dans les études de développement, avant tout parce qu’ignorer la puissance qu’a le genre pour façonner les rapports sociaux déforme la réalité, empêche de faire une analyse juste (au sens conforme) de la réalité. Mais aussi parce que ne pas prendre en compte les inégalités sociales entre hommes et femmes, au nom de quelque argument que ce soit, dans les études ou les pratiques de développement, empêche d’avoir une approche juste (au sens équitable) pour agir sur la réalité.
3Plusieurs facteurs ont concouru à faire prendre conscience, à l’IUED, de la nécessité de prendre les inégalités sociales entre hommes et femmes en compte dans les activités de recherche et d’enseignement. Cela ne provenait pas, initialement, d’une conviction profonde de la part de l’ensemble de l’institution que cette perspective apporterait un éclairage nouveau à la compréhension des inégalités dans le développement, d’une reconnaissance du pouvoir de ce concept.
4Le premier facteur est la pression intérieure, provenant des étudiantes de pays du Sud inscrites à l’IUED, et de leur intérêt pour ce que cette problématique ne soit plus absente de la réflexion menée dans les enseignements. Un mémoire de recherche d’une étudiante brésilienne s’était ainsi intéressé à La question du genre à l’IUED en interpellant le regard masculin sur les études de développement et le biais masculin de l’institution. Une journée ouverte avait été organisée en 1994 où ce mémoire avait servi de base aux discussions et à l’autoréflexion critique. A partir de l’année suivante, s’est ensuite tenu chaque année un colloque international sur genre et développement.
5Le deuxième facteur est la pression extérieure, d’une part celle exercée par des organisations féministes à Genève, qui suivaient de près et soutenaient les mouvements féministes des pays du Sud ainsi que les débats et rapports des conférences internationales des Nations unies sur les femmes. D’autre part, l’influence de certaines personnes de la DDC, le principal bailleur de fonds de l’IUED à l’époque, pour introduire ce questionnement à l’Institut a été cruciale. Cette volonté de prendre en compte les rapports hommes-femmes dans le développement, nouvelle pour la DDC également, ne pouvait être absente à l’IUED, supposé être un think-tank pour les programmes de la DDC. Petit à petit, s’insinuait à l’IUED l’idée qu’il était impossible de ne pas aborder cette thématique
6Une enseignante anthropologue de l’IUED, Yvonne Preiswerk (elle avait écrit sa thèse de doctorat sur les accoucheuses en Suisse), féministe genevoise, a pu prendre appui sur ces pressions pour entamer diverses activités dans ce domaine des études femmes/genre et développement. La première initiative a consisté à lancer le cycle des colloques internationaux genre, à partir de 1995, avec le soutien financier de la DDC ainsi que de la Commission nationale suisse pour l’UNESCO. Ensuite, et dès 1995, dans la foulée du premier colloque international, proposer au Programme MOST de l’UNESCO une vaste recherche dans laquelle la perspective de genre était centrale, avec un réseau d’équipes de chercheurs dans sept pays différents. Enfin, introduire dans chacun des quatre enseignements du Tronc commun (suivis par tous les étudiants de l’IUED), une conférence afin d’intégrer cette perspective genre de manière transversale. Des séminaires spécifiques sur cette problématique étaient alors également proposés.
7En 2000, l’IUED décidait d’engager une personne pour intensifier les enseignements dans ce domaine, puis en 2002, une deuxième personne1. En 2000, démarrait également la publication annuelle des Cahiers genre et développement. A partir de 2005-2006, avec la mise en place du Master en études du développement, le séminaire « Anthropologie et genre, genre et développement », auparavant semestriel, devenait annuel. Par ailleurs, un « Pôle de renforcement des compétences en genre et développement » se mettait en place, avec un financement de la DDC. Il existe maintenant, outre les séminaires en genre et développement, des « journées genre » de l’école doctorale en études du développement ; des modules genre au sein de l’International Master in Development Studies, un projet de création de Master européen en genre et développement. L’enrichissement du fonds documentaire, la création d’un site web, la construction d’une banque de données des personnes ressources et personnes intéressées par cette problématique, ont été possibles grâce au Pôle genre et développement.
8Diverses recherches ont été entreprises (celle déjà mentionnée avec le Programme MOST de l’UNESCO, avec l’OMS, dans le cadre du NCCR), des liens ont été tissés avec des organismes internationaux ou non gouvernementaux basés à Genève et des Universités suisses et européennes. L’équipe de personnes actives sur cette problématique s’est renforcée, avec une participation au sein de la direction2. Le nombre d’étudiantes de l’IUED par rapport aux étudiants s’est proportionnellement renforcé, grâce à une plus grande vigilance lors des processus d’admission. Un nombre croissant de mémoires et de thèses de doctorat ont été ou sont entrepris sur cette problématique.
9Le processus d’institutionnalisation semble irréversible. L’un des effets les plus positifs de ce travail d’institutionnalisation est la constitution d’un réseau de personnes et d’institutions partageant cette conviction que l’absence de prise en compte des inégalités de genre déforme l’analyse de la réalité.
10Mais surtout, ce processus, à l’IUED et dans d’autres institutions, joint au travail des mouvements de base et des mouvements de femmes, favorise la reconnaissance progressive de la puissance qu’a le genre pour « structurer la perception et l’organisation concrète et symbolique de toute la vie sociale »3.
Notes de bas de page
1 Fenneke Reysoo et Christine Verschuur, toutes deux anthropologues.
2 L’équipe genre est maintenant constituée de plusieurs personnes : Fenneke Reysoo, Christine Verschuur, Emmanuelle Chauvet, Anne Piraux, Elena de la Rosa, Ariane Mariot, Catherine Fragnière ; sans compter les personnes impliquées dans les projets de recherche en cours (Françoise Grange, Séverine Rey, Maïmouna Ndioye, Isabel Rauber, Alvaro San Sebastian, Norberto Inda,), ni sur celles impliquées dans les anciens projets de recherche récemment terminés, qui devraient bientôt être relancés (équipe MOST-UNESCO). En 2005, Fenneke Reysoo a été nommée directrice-adjointe de l’IUED.
3 Joan Scott, 2000, « Genre, une catégorie utile d’analyse historique », in Le Genre, un outil nécessaire, Cahiers Genre et Développement n° 1, dir. Bisilliat J. et Verschuur, Ch., Paris, L’Harmattan, p. p. 41-67.
Auteur
Anthropologue, chargée de cours en genre et développement à l’Institut universitaire d’études du développement, IUED, Genève.
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