Du genre et droits reproductifs aux constructions identitaires de genre
p. 11-22
Texte intégral
« Sex and Development » : un enjeu pour la pensée critique sur les politiques de développement
1L’on peut se demander si l’étude du « sexe » est pertinente pour le champ des études de « développement » et des « relations internationales ». La simple question nous fait penser aux paroles de Bill Clinton en 1998 : « I did not have sexual relations with that woman ». Une relation sexuelle out of place était alors une menace pour la continuation de l’exercice de la fonction de président des États-Unis. En outre, dix jours seulement avant notre colloque en 2007, le gouvernement néerlandais venait de publier une « Politique contre la sexualisation de la société » (Direction de l’Émancipation, 1er octobre 2007). Comment se fait-il que les questions de « sexe » soient devenues le centre des préoccupations politiques ? Que pourront les politiques ? Et comment les questions de « sexe » ont-elles été insérées dans les programmes et projets de développement ?
2Pour vous donner des éléments de réflexion et de réponse, nous aimerions ouvrir ce colloque par la présentation de quelques jalons importants des politiques et interventions de développement liées à la « population », au « planning familial », à la « prévention des maladies sexuellement transmissibles et du VIH » et à la « sexualité ».
3Après la Deuxième guerre mondiale, lors de la période de reconstruction économique de l’Europe et du Japon, et pendant que les États africains et asiatiques revendiquaient leurs indépendances, les leaders du monde étaient préoccupés par la stabilité politique, par la croissance économique et la « bombe » démographique (population bomb). Inspirés par la théorie malthusienne, ils percevaient une croissance démographique débridée, notamment dans les pays du Sud, comme un danger pour l’avenir de la planète entière. La réponse politique visait à contrôler la population par des mesures cherchant à infléchir les tendances démographiques considérées comme déstabilisantes, telles les taux de natalité et de fécondité élevés. L’émergence de politiques de population, avant tout dans les pays du Sud, a eu lieu alors que parallèlement se développait un intérêt accru pour les recherches sur les méthodes contraceptives hormonales dans les pays industrialisés. La logique mise en place était que, les femmes portant les enfants, la réduction des taux de fécondité élevés impliquait d’inventer et de produire des méthodes contraceptives agissant sur le corps de celles-ci. C’est à la fin des années 1950 que la pilule contraceptive fut inventée et lancée sur le marché. La consommation massive de la pilule contraceptive allait – pensait-on – pouvoir résoudre les menaces de déstabilisation politique. Dans cet esprit, lors de la conférence internationale sur la population à Bucarest (1974), on souscrivait à l’adage : « La pilule est le meilleur développement ».
4Dans ce contexte global, et avec cette nouvelle méthode de contraception, dite moderne, des politiques de population pouvaient être mises en œuvre au travers de programmes de planning familial. Ces programmes s’intégraient parfois dans les Ministères de la santé, mais ils étaient plus souvent mis en place comme des programmes verticaux relativement autonomes. Dans la plupart des cas, ces programmes furent financés par des bailleurs de fonds étrangers ou à travers l’aide multilatérale (FNUAP).
5Dans la décennie suivante, en 1984, fut organisée une nouvelle Conférence internationale sur la population à Mexico. L’institutionnalisation avancée des programmes de planning familial et l’attention unilatérale portée sur la fécondité et sur les corps des femmes commencèrent à susciter des réactions adverses par les défenseurs de la santé et des droits des femmes. En effet, par souci d’efficience, les programmes de planning familial avaient défini des cibles quantitatives passablement coercitives pour faire accepter aux femmes mariées d’âge reproductif l’utilisation d’une méthode contraceptive moderne (pilule, injection, stérilet, implants, stérilisation). Dans certains pays, des systèmes de récompenses ou de sanctions négatives étaient même prévus pour les prestataires de service en vue d’arriver aux objectifs quantitatifs fixés (faire diminuer le taux de croissance démographique de quelques points en peu de temps, augmenter la prévalence contraceptive, etc.) (Reysoo, Huq et van der Kwaak 1995).
6Lors de la Conférence internationale sur les femmes à Nairobi, en 1985, s’est joué un moment clé pour l’organisation de la résistance à ces politiques top-down, coercitives et abusives, grâce au mouvement international des femmes, et plus particulièrement au mouvement international de la santé des femmes1. Parallèlement, l’analyse des problèmes de développement s’était élargie et il était devenu clair que la dégradation environnementale n’était pas seulement causée par un taux de natalité élevé dans les pays du Sud, mais également par les modes de production et surtout les modes de consommation dans les pays du Nord. Dix ans plus tard, en 1994, la Conférence internationale sur la population au Caire a vu s’adjoindre à son intitulé et à ses débats le « D » de développement. La CIPD a été l’une des conférences internationales organisées par les Nations unies dans les années 1990 où les questions de développement ont été débattues avec une perspective sensible aux problématiques plus larges (environnement, droits, questions sociales) et où les questions d’égalité de genre et les droits des femmes ont été mondialement reconnus (Rio de Janeiro sur l’environnement en 1992, Vienne sur les droits humains en 1993, Le Caire avec la CIPD en 1994, Copenhague avec le Sommet social en 1995 ainsi que Beijing sur les femmes en 1995).
7La CIPD a constitué un moment particulièrement important pour le mouvement international des femmes. Non seulement, elle a marqué un changement paradigmatique dans les politiques de population qui sont passées de cibles quantitatives à des choix autonomes en matière de reproduction, mais elle a également introduit un changement conceptuel (santé reproductive, santé sexuelle, droits reproductifs et droits sexuels) qui impliquait la transformation d’une approche orientée étroitement sur la santé en une approche élargie vers une base de droits reproductifs (Reysoo et Appelman 1994). En matière de planning familial, l’intégration de la responsabilité des hommes dans les questions de reproduction humaine a été explicitée. Et lors de la discussion de tous les chapitres du Programme d’Action du Caire, les questions d’égalité et d’équité de genre et l’empowerment des femmes et des filles ont eu une place centrale.
8Toutefois, l’introduction d’un nouveau cadre conceptuel ne pouvait pas à elle seule garantir que le sens des nouveaux concepts soit intégré. Les acteurs politiques et les décideurs de la santé n’avaient pas assimilé immédiatement le potentiel transformateur de l’approche de la reproduction humaine en remplaçant les cibles par les considérations de droits et d’éléments qualitatifs, tels que la culture, les valeurs, les rapports sociaux de sexe, la subjectivité et l’éthique.
9Pour pouvoir mettre en œuvre des politiques de santé reproductive et sexuelle qui tiennent compte des aspects qualitatifs et identitaires des relations entre partenaires et la signification de leur sexualité, les connaissances étaient insuffisantes. C’est alors qu’une multitude d’études sur les rapports sociaux de sexe (genre) et l’application d’une approche basée sur les droits reproductifs ont vu le jour. Un des corollaires de ce changement paradigmatique était que les questions de reproduction humaine ne pouvaient plus être abordées de façon abstraite, quantitative et sans tenir compte du contexte socioculturel. Cela impliquait de remettre des questions liées à la sexualité explicitement sur le devant de la scène et de tenir compte des rapports sociaux de sexe comme système de domination entre hommes et femmes.
10Dans ce cadre, le programme de la recherche en santé de la reproduction de l’OMS a initié un certain nombre de recherches. Une équipe de l’OMS a par exemple travaillé en réseau pour produire un manuel de formation afin de sensibiliser les décideurs de la santé publique aux conséquences pour les systèmes de santé de l’introduction de la perspective de genre et des droits reproductifs (Manual Transforming Health Systems : Gender and Rights in Reproductive Health). C’est ainsi qu’une équipe de chercheures de l’IHEID s’est associée en 2004 avec l’équipe de l’OMS pour traduire et adapter ce manuel aux réalités de l’Afrique de l’Ouest en matière de reproduction et de sexualité.
11La perspective de genre et des droits reproductifs nous avait prédisposées à étudier les modalités de négociation des rapports sexuels entre jeunes hommes et femmes afin de fournir des informations pour les programmes de santé reproductive. Cependant, sur le terrain (à Bamako en 2005 et 2006), nous avons observé des stratégies amoureuses et des pratiques sexuelles dont les manuels de santé publique ne parlent pas. En effet, contrairement au message programmatique d’abstinence, de fidélité et d’usage du préservatif, nous avons rencontré une jeunesse sexuellement active mettant en scène des jeux identitaires basés sur des constructions de jeunes hommes et femmes inspirées d’images mondialement diffusées.
12Le concept d’échange économico-sexuel de Paola Tabet (voir dans ces Actes) nous a paru adéquat pour comprendre les motivations, les modalités et les stratégies des jeunes hommes et femmes qui se lancent dans les relations sexuelles.
Les échanges économico-sexuels (Tabet 2004)
13Pour sortir d’un discours moral et d’une vision des politiques publiques qui réduirait à un utilitarisme économique ces transactions sexuelles et amoureuses, il y a tout d’abord nécessité de les informer et de les documenter.
14Ce qui, au plan méthodologique, n’est pas chose aisée car nous sommes face à des pratiques individuelles et sociales qui se situent à la fois au centre et à la marge du social. D’une part nous nous trouvons face à des pratiques qui semblent généralisées, voire banalisées et quantifiées : ainsi à Bamako, le directeur d’une caisse de micro-crédit nous dira : « Quand tu prends aujourd’hui 100 filles dans le quartier ici, tu vas trouver 40 ou 50 filles qui font ce genre de chose » et elles sont alors présentées comme des faits reconnaissables, visibles d’un point de vue sociologique. D’autre part, du côté des normes sociales et culturelles, elles sont de l’ordre du tabou, de la marginalité, voire de la subversion et de l’illégalité, à tel point que l’on pourrait même douter de leur existence. « Le phénomène est déguisé » nous dira ce même interlocuteur.
15Par conséquent, l’éclairage qui sera privilégié dans ce colloque pour appréhender ces pratiques sera celui d’une approche émique et socio-anthropologique afin d’interroger leurs contenus et modalités à partir du sens que leur donnent les acteurs sociaux. En ouverture de nos réflexions, nous examinons les sémantiques locales dont elles font l’objet dans un certain nombre d’expressions populaires. Certaines, par effet de caricature, voire de stigmatisation, désignent des rôles de genre et des postures de classe. D’autres se structurent autour de la dimension économique. La part financière des transactions exprime alors les aspirations de leurs « bénéficiaires » à une culture matérielle du luxe. Nous pouvons en établir la typologie suivante :
soit elles caractérisent une partition des rôles des partenaires ou la spécificité du lien relationnel ;
soit elles ciblent des groupes sociologiques situés aux deux extrémités de l’échelle sociale ;
soit elles sont appliquées aux biens et ressources qui motivent les transactions.
16Ad 1) Nous avons repris, pour l’intitulé de ce colloque, l’expression « Chic, chèque, choc » qui distingue le chic – le partenaire « beau mec bien habillé » –, le chèque – « pourvoyeur, l’argentier » –, et le choc – « l’élu du cœur », expression répandue en Afrique de l’Ouest francophone avec diverses variantes. Au Niger, on dira le beau, le riche, le cœur.
17On trouve un certain nombre d’expressions pour caractériser la posture socio-économique dominante du partenaire. Au Ghana, au Cameroun, au Swaziland ou dans certains pays d’Europe de l’Est, on parle de « sponsors ». En Côte d’Ivoire, le terme grotto désigne un homme jouissant d’une aisance financière, généralement plus âgé et marié, qui entretient des relations sexuelles avec une étudiante qu’il aide financièrement. Et celui de gnanhy pour une femme jouissant également d’une position économique favorable, plus âgée, mariée ou non, qui aide financièrement un étudiant en échange de relations sexuelles.
18De la même façon, les expressions de sugar daddies ou sugar mummies soulignent le caractère intergénérationnel de la relation et son organisation non seulement au féminin, mais aussi au masculin. Ainsi L’Indépendant, journal béninois, intitulait un article consacré à ce sujet (octobre 2006) « Les femmes s’offrent des “bureaux” sans état d’âme ».
19Ad 2) Au sommet de la hiérarchie sociale, en plus des hommes et femmes nantis déjà mentionnés, on pointe les étudiants et les étudiantes ou les filles BCBG (bon chic bon genre) qui « tapinent par goût du luxe » comme le titrait récemment un hebdomadaire genevois. Au bas de l’échelle sociale, ce sont les jeunes en situation de migration. À Bamako, les jeunes filles de la campagne placées en ville comme employées de maison, sont présentées soit comme des victimes et des proies faciles en raison de leur absence d’éducation, de leur naïveté à cause desquelles elles se « feraient avoir », soit comme des arrivistes qui chercheraient à transgresser l’ordre social pour ressembler à leurs « patrons » et les toiser dans l’ostentation.
20Ad 3) Diverses terminologies désignent les biens ou activités de luxe pouvant être obtenus via les échanges économico-sexuels : « 4C » (car, cellular phone, cash, clothes), « 3V » (villa, vidéo, voiture) « JTH » (Jakarta – petite moto chinoise au Mali –, téléphone, hôtel). En Occident, on parle de « prostitution accessoire » ou de « prostitution sac à main ».
21La prise en compte du regard des acteurs, et plus particulièrement des actrices, engagés dans les échanges économico-sexuels fait apparaître d’autres logiques sociales mais également des stratégies et des positionnements personnels. Un extrait de l’article « Comment se débrouille-t-on à Bamako lorsqu’on est jeune, jolie et sans argent ? En sachant parler aux hommes » paru dans la presse locale bamakoise (L’Essor 4 octobre 2006) nous en donne une illustration. Il évoque la trajectoire de réussite économique par la séduction et la reconnaissance sociale, mais aussi la gestion subtile de plusieurs relations entre opportunités de rencontre et élections personnelles :
Moi, je vis avec 5 hommes différents… l’un est commerçant, l’autre fonctionnaire, le troisième entrepreneur et les deux autres hommes d’affaires… J’ai fait la connaissance de mon premier garçon, le commerçant. Au début il me gâtait beaucoup. C’est de lui que j’ai reçu en un seul coup et pour la première fois de ma vie 100’000 CFA… J’ai commencé à sortir avec l’entrepreneur qui me rôdait déjà autour. L’homme était tellement content de m’avoir qu’il m’a même acheté un Yamaha mate 50… J’ai jonglé une année entre ces deux amoureux avant de me mettre avec le premier homme d’affaires qui m’a acheté mon premier cellulaire. J’ai fait la connaissance du fonctionnaire au cours d’un voyage en IIIème Région là où vivent mes parents… le cinquième… c’est en cherchant une puce Ikatel que je l’ai connu. Il est bel homme et il m’a attiré immédiatement… Il y a deux semaines, mon premier homme d’affaires m’a offert une voiture, une Mercedes 190. J’ai donc donné la moto à mon petit frère. Il faut bien me comprendre. Je ne suis pas une prostituée, mais j’essaie d’améliorer ma situation. À ce jour, j’ai commencé à construire une maison en ciment pour mes parents dans le village et quand ce chantier prendra fin, je vais tout arrêter pour me marier et donner un sens à ma vie.
22Ainsi nous sommes face à des relations sexuelles et amoureuses qui peuvent s’inscrire dans un multi-partenariat ou non. Elles sont dynamiques et peuvent se faire et se défaire. Enfin, elles combinent de façon complexe sentiment amoureux, sexualité et ressource matérielle.
23Il n’y a pas donc pas un modèle unique mais un « chic, chèque, choc » à géométrie variable allant :
d’une relation intergénérationnelle entre deux partenaires dans la longue durée
jusqu’à des relations pouvant mobiliser un nombre plus important de partenaires
en passant par des transactions de redistribution entre les partenaires où les ressources obtenues du « chèque » pourront être redirigées vers le « choc » ou vers la famille.
24C’est pourquoi, afin de cerner et d’analyser ces pratiques, nous avons opté pour des études de cas ancrées dans des contextes géographiques et culturels divers afin d’atteindre également une perspective comparative : sommes-nous dans une mouvance globale ? Et quelles en sont les caractéristiques ?
Modalités et contenus des échanges économico-sexuels
25Que se passe-t-il dans ces transactions amoureuses et sexuelles ? Sur quoi l’échange porte-t-il ? À quel moment de la relation et selon quelles modalités de réciprocité ou d’asymétrie se produit-il ? Dans quels lieux ?
26Plusieurs registres sont à l’œuvre comme on pourra le voir dans les différentes études de cas qui seront présentées dans ce colloque :
le registre émotionnel et amoureux : l’amour, l’affection, l’amitié
le registre sensuel et du plaisir : le jeu sexuel et érotique, la découverte et l’expérience
le registre du pouvoir : compétition, domination, soumission, manipulation
le registre de la reconnaissance sociale et du prestige
le registre de la reproduction et de la contraception : désir d’enfants ou enfant non désiré, filiation et statut des enfants qui peuvent naître de ces échanges
le registre économique : avantages, bénéfices matériels et financiers
27Mais ne retrouve-t-on pas là les éléments de n’importe quelle relation amoureuse et sexuelle reconnue et gérée par un code social et moral ? Quelle est alors la spécificité de la transaction autour du bénéfice économique ? C’est pourquoi il nous semble fondamental de ré-interroger la place de la dimension économique dans les relations hétérosexuelles à la lumière de la notion d’« échange économico-sexuel » conceptualisée par Paola Tabet.
28Ces transactions sexuelles et amoureuses révèlent les stratégies d’acteurs et d’actrices et leurs constructions identitaires en décalage, comme on l’a déjà souligné, avec les représentations normatives et coercitives des politiques nationales et internationales notamment vis-à-vis de la contraception et du sida.
29Quel sens les protagonistes donnent-ils eux-mêmes à leurs propres pratiques ? Visiblement pas celui de pratiques incluses dans une forme de prostitution généralisée ou institutionnalisée. Serait-on alors en face de nouvelles normes sexuelles ? Ou de l’émergence de formes d’émancipation ? D’une révolution sexuelle ? Et en même temps, ces transactions seraient-elles apparentées au cycle de vie de la jeunesse, la norme restant le contrôle de la sexualité des femmes au sein de l’institution du mariage ? Pour éclairer cette tension entre un contrôle politique, social et moral de la sexualité dans la ligne de Foucault et l’émergence d’un sujet émancipé au sens de Giddens, nous reviendrons avec Véronique Mottier (dans ces Actes) sur la sexualité comme construction sociale.
30En postulant des recompositions identitaires de genre, nous souhaiterions les aborder selon deux axes :
1. Les transactions comme pratiques sociales de la mondialisation
31Que nous disent les objets, les services et les ressources qui motivent ces échanges ? Ils sont tantôt associés à la nécessité (survie), tantôt à la futilité (le luxe), tantôt au prestige et à l’ostentation. Il nous semble nécessaire de replacer ces pratiques dans le contexte de la mondialisation selon un double mouvement. D’un côté on considérera la consommation comme une contrainte sous la forme de son pouvoir de séduction relayé par les médias, les cultures musicales et des loisirs : une manchette titrait récemment « Les filles accros au téléphone portable ». Dans ce sens il serait impossible d’échapper à la consommation de certains biens au risque de n’être personne et d’être stigmatisé du côté de la pauvreté. De l’autre, on se demandera si ce désir effréné de consommation n’est pas une manière de se rendre maître de son destin et ne serait pas alors le support d’une construction de soi et d’une transformation du rapport au corps.
32Dans un tel processus identitaire, les objets pourraient être lus comme un prolongement du corps : téléphone cellulaire, MP3, clefs de voiture et de moto, marques de vêtements, de chaussures, de sacs à main procèdent d’une mise en scène dans la sphère publique et notamment dans les activités de loisirs. Ainsi, au delà de leur plus-value marchande, on pourrait les voir comme participant d’une pratique sociale de la mondialisation (en référence à Bayard 2004) et s’articulant sur le double mode de l’uniformisation (ce sont les mêmes biens que l’on souhaite posséder à l’échelle planétaire) et de la distinction (il faut être en mesure d’acquérir ceux qui sont situés en haut de la hiérarchie).
33Et sur ce point, il faut souligner que les acteurs sociaux, dans un processus d’appropriation, opèrent des classifications sémantiques des objets mondialisés qui renvoient à une hiérarchie socio-économique. Ainsi, au Mali, un vieux modèle de téléphone portable sera taxé de « talkie walkie » alors que le dernier modèle de Nokia sera appelé un « serpent », au Burkina une Yamaha dame 80 cm3 sera appelée « mon mari est capable » et si c’est une mobylette chinoise pas chère « Tonton n’a pas d’argent ». Un vieux modèle de Mercedes sera taxé de « mon père était riche ».
34Le corps serait alors à la fois porteur d’« un idéal transnational » (Biaya 2001), érotisé, paré, survalorisé et même virtualisé et médiateur de la consommation au travers des échanges économico-sexuels : nous réserverons une session de ce colloque à l’approfondissement de cette relation entre corps et consommation.
2. Les échanges économico-sexuels comme dynamiques de genre
35La seconde voie que nous aimerions explorer est celle des dynamiques de genre. Les registres « traditionnels » de féminités et de masculinités semblent ébranlés dans ces pratiques transactionnelles. Que signifie alors être un homme ou une femme dans ces nouvelles configurations identitaires ?
36La mobilisation rapide de ressources importantes induit-elle une conquête de l’espace public pour les jeunes femmes alors, que dans un mouvement inverse, les jeunes hommes se retrouveraient en posture de retrait par leur faible pouvoir d’échange économique ?
37Sommes-nous alors face à des pratiques de subversion des jeunes filles et des femmes vis-à-vis d’une masculinité virile et « pourvoyeuse » traduisant un processus d’empowerment inédit et de revendication des bénéfices de la croissance économique, ou assistons-nous à une instrumentalisation des corps qui deviendraient les « marques » de distinction, au même titre que Gucci, Dolce & Gabbana, Vuitton… des élites qui concentrent pouvoir politique et capacité de débourser ?
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Appelman, S. et F. Reysoo (Eds). 1994. Everything you always wanted to know… Lexicon and comments on the new population concepts from a gender perspective. Oegstgeest : Network of Gender Experts in Development Agencies in the Netherlands/Vrouwenberaad Ontwikkelingssamenwerking.
Bayard, J. F. 2004. Le gouvernement du monde : une critique politique de la globalisation. Paris : Fayard.
Biaya, T. K. 2001. Les plaisirs de la ville : masculinité, sexualité et féminité à Dakar (1997-2000). African Studies Review. 44 (2) : 71-85.
10.2307/525575 :Reysoo, F., A. van der Kwaak et N. Huq, 1995. The Incentive Trap : A Study of Coercion, Reproductive Rights and Women’s Autonomy in Bangladesh. Leiden : Research Information Centre, Leiden University/Dhaka : Narripokkho.
Tabet, P. 2004. La Grande Arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel. Paris : L’Harmattan (Bibliothèque du féminisme).
Notes de bas de page
1 En fait c’est lors de la 4e rencontre du Mouvement international de la santé des femmes à Amsterdam en 1984 qu’ont été lancés les nouveaux concepts de droits reproductifs et santé reproductive en lien étroit avec la lutte contre les avortements à risques et les méthodes contraceptives hors du contrôle des utilisatrices.
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Chic, chèque, choc
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