III. La nouvelle physionomie du “Ius” et le remaniement du droit naturel
p. 462-529
Texte intégral
1On se souvient que Ius n’avait eu dans le Mémoire qu’un seul sens, où venaient se confondre droit objectif et droit subjectif.95 Dans ce chapitre liminaire du Traité, Grotius lui attribue au contraire trois sens nettement distincts : le terme ius y désigne tantôt une simple relation ; tantôt le droit subjectif ; tantôt la norme objective. On reprendra brièvement chacun de ces trois aspects, avant de s’arrêter plus longuement au dernier.
2Le premier, le plus général des trois sens, fait de ius un synonyme de iustum, le terme étant pris dans un sens négatif plutôt qu’affirmatif, explique Grotius, signifiant donc avant tout « ce qui n’est pas injuste ». Serait injuste, précise-t-il, « ce qui répugnerait à la nature du lien de société existant entre êtres rationnels ».96 Ius désigne donc ici un rapport à autrui ou du moins l’absence d’un rapport d’inadéquation. Dans une certaine mesure, ce « juste » grotien répond ainsi au dikaion d’Aristote. Il s’en distingue cependant par son ascendance stoïcienne, clairement manifestée par les renvois à Cicéron, à Florentin et à Sénèque.97 Ces références expliquent d’ailleurs pourquoi notre auteur incline vers une formulation négative : les trois Romains en question parlent de la violation du lien social et de ses conséquences ; ce sont elles qu’ils qualifient d’injustes : partant, le « juste » qui en résulte n’a pas de contours bien précis.
3Ces contours ne sont guère raffermis par la distinction supplémentaire entre deux types de sociétés, celle entre égaux et celle entre personnes inégales, dont résulteraient deux types de iustum, l’un æquatorium, l’autre rectorium.98 On reconnaît là, non sans quelque déformation encore, l’opposition aristotélicienne, retravaillée par les scolastiques, entre le droit à proprement parler, qui n’existe qu’entre citoyens égaux, et le droit secundum quid, régissant les relations entre le chef de la famille d’une part, sa femme, ses enfants et ses esclaves de l’autre ;99 en même temps Grotius se souvient ici de la différenciation faite dans le Mémoire entre le régime juridique des agents volontaires et celui des subordonnés :100 différence maintenue dans son principe,101 mais privée de l’importance systématique d’autrefois. Il paraît donc bien viser, à travers ce premier sens de ius, l’idée générale représentée par le dikaion du Stagirite dont le nom est du reste invoqué ici en toutes lettres, mais il ne s’en écarte pas moins par la connotation « sociale » de ce « juste » qu’il fait remonter par ailleurs aux stoïciens.
4Aristote sert du reste surtout de transition : car Grotius enchaîne aussitôt avec la seconde acception de ius, censée dériver de la précédente « et qui se rapporte à la personne ». Il la définit comme Qualitas moralis personae competens ad aliquid iuste habendum vel agendum.102 D’aucuns y ont vu la première vraie définition du droit subjectif ;103 ce qui paraît un peu exagéré, si l’on songe aux définitions comparables données plus tôt déjà de la même réalité par certains jésuites, qui ont sans doute servi de modèle immédiat à notre auteur sur ce point comme sur tant d’autres.104 Quoi qu’il en soit, Grotius divise cette « qualité morale » à son tour en facultas et aptitudo, suivant qu’elle est parfaite ou imparfaite.105 La « faculté » désigne à proprement parler le droit-pouvoir et Grotius l’associe avec la justice commutative ; 1’« aptitude » se rattache en revanche à la justice distributive, désignant le mérite et, semble-t-il, la dignité d’une personne.106 Grotius s’intéresse en fait seulement à la facultas, dans laquelle il reconnaît le droit au sens propre.107
5A plusieurs points de vue, cette notion de droit subjectif est plus large que la nôtre. D’abord par son lien avec le suum, qui, débordant ce que les Romains y avaient inclu, embrasse chez Grotius comme chez Doneau108 l’ensemble des catégories de pouvoirs juridiques rentrant dans la compétence d’un sujet de droit : liberté, pouvoirs de commandement, droits réels109 de toute sorte, droits personnels. Véritable émanation du sujet de droit, on reconnaît dans ce faisceau de compétences le système de droits subjectifs esquissé dans le Mémoire :110 l’idée y était entièrement contenue, si ce n’est qu’au lieu d’en faire alors une acception distincte de ius, Grotius en avait fait un simple reflet du droit objectif. Ensuite la facultas grotienne embrasse non seulement les droits des particuliers, mais encore les compétences publiques de l’Etat. En les appelant respectivement vulgaris et eminens, il les distingue tout en leur reconnaissant une nature commune.111 Par rapport au Mémoire, il s’agit là d’une innovation dont l’origine remonte sans doute aux Espagnols.112
6Dans sa troisième acception, ius devient synonyme de lex, ce mot étant pris ici dans un sens large, non technique, incluant toute règle obligatoire au point de vue non seulement de la justice, mais également d’autres vertus : raison pour laquelle Grotius préfère désigner l’objet de ces normes comme rectum plutôt que simplement comme iustum, terminologie cicéronienne rappelant en même temps l’idée aristotélicienne de la justice en tant que vertu générale.113
7C’est bien comme lex, comme droit objectif, que le ius était apparu également dans les prolégomènes du Mémoire. Toutefois, la structure de ce droit objectif présente dans le Traité plusieurs remaniements significatifs. Car au lieu d’intégrer les diverses familles de normes dans une seule construction en cascade qui les rende solidaires les unes des autres, Grotius les répartit maintenant, de part et d’autre d’une grande ligne de partage, en deux catégories générales : le ius naturale et le ius voluntarium.114 Tirée du fondement de validité des deux cercles de normes, cette division représente dans son principe une variation sur un thème à la fois médiéval et antique : on y reconnaît le couple scolastique formé par le droit naturel et le droit positif ; et Grotius n’a pas tort, en dépit des réserves justifiées de Barbeyrac,115 de la faire remonter au Stagirite.116 Pourtant, à son habitude, il ne manque pas de lui imprimer un tour assez personnel.
8Le ius naturale régit les conduites humaines ayant une valeur morale intrinsèque, positive ou négative, dévoilée par leur relation de convenance ou de répugnance avec la nature rationnelle de l’homme. L’obligation qu’il statue procède d’un rapport inhérent aux choses et non d’un acte de volonté, fût-il divin.117 Au contraire c’est d’un commandement que dépend la validité du ius voluntarium : les actions qu’il régit sont en soi neutres, leur valeur morale résulte du fait d’avoir été ordonnées, permises ou défendues par une instance compétente. Selon la nature de cette autorité législative, ce droit positif se divise à son tour en divin et humain.118 Le droit positif divin émane de la volonté de Dieu, qui remplit ici une fonction constitutive : les obligations qu’elle statue n’ont aucun rapport nécessaire avec la nature de l’action concernée : moralement neutre, celle-ci ne devient licite ou illicite qu’à la suite du commandement divin.119 Quant au droit volontaire humain, il comprend au premier chef, et par excellence, le droit civil. Mais Grotius y inclut encore deux autres cercles de normes ; l’un, plus étroit, comprend les règles issues de la puissance dominicale ou paternelle ; le second, plus large que le droit civil, n’est autre que le droit des gens.120
9Telles sont dans leurs grandes lignes les trois acceptions de ius dans le Traité de 1625. Comme ces trois aspects étaient déjà implicitement compris dans l’acception unique qu’en présentait le Mémoire,121 il ne serait pas étonnant que cette triple division ne provoquât aucune modification substantielle sur le fond des thèses grotiennes en la matière. Toutefois, le fait même que Grotius dissocie désormais, ne fût-ce qu’au niveau conceptuel, ce qu’il avait laissé autrefois confondu, paraît en soi digne d’attention, et on lui cherchera une explication plus loin.122 Pour l’instant, il nous faut examiner un aspect de ce nouveau système du ius qui semble, lui, devoir entraîner des changements en profondeur, à savoir la nouvelle configuration du droit objectif, dont on vient d’esquisser les traits généraux. Il s’agit plus spécialement d’évaluer l’incidence du remaniement sur deux composantes de l’ancien système : le ius naturale et le ius gentium secundarium. Le premier semble s’être réincarné dans le droit naturel du Traité ; le second semble se perpétuer dans ce que Grotius y désigne sans autre qualificatif comme droit des gens. Ces deux sources du droit se retrouvent ainsi de part et d’autre de la ligne de partage qui traverse le nouveau système du droit objectif. On les examinera tour à tour afin de mesurer l’écart par rapport à leurs ancêtres présumables du Mémoire.
10Des deux, c’est le droit naturel que cette métamorphose paraît avoir affecté surtout : on s’y arrêtera d’autant plus longuement qu’on l’a négligé jusqu’ici, alors qu’une tradition solidement implantée voit précisément dans la conception grotienne du droit naturel l’élément décisif et fondamental du De iure belli ac pacis, puisque sur lui repose en dernière analyse le droit international soi-disant contenu dans le Traité. L’apport de Grotius en la matière ne peut se mesurer que par référence aux prédécesseurs qui l’ont inspiré ; on examinera leurs thèses après une brève esquisse des deux conceptions du droit naturel que Grotius développe à vingt ans d’intervalle.
1. Les deux conceptions grotiennes du droit naturel
11Dans le Mémoire, le droit naturel, tant primaire que secondaire, procède de la volonté divine qui fonde sa validité de façon immédiate. Grotius l’exprime clairement à propos du droit naturel primaire : d’abord par le lien étymologique qu’il relève entre ius et iustum, d’une part, Iupiter et iubere, d’autre part ; puis surtout en affirmant – d’après une formule courante chez les scolastiques et qu’il fait remonter ici aux paroles adressées par Anaxarque à Alexandre le Grand après le meurtre de Clitus – que « ce n’est pas tant parce qu’une chose est juste que Dieu la veut, mais qu’elle est juste parce que Dieu le veut ».123 Ce qui dans le Traité deviendra droit volontaire divin se trouve donc placé dans le voisinage immédiat du droit naturel et n’en diffère pas dans son essence : « La volonté de Dieu n’apparaît pas seulement à travers des oracles et des signes extraordinaires, mais surtout par l’intention du créateur », à savoir par « certaines propriétés naturelles », qu’il a imprimées à sa création. Ces propriétés sont de deux ordres, amour de soi – source de l’instinct de conservation et du droit naturel primaire – et amour d’autrui – source du principe de sociabilité dont dérive le droit naturel secondaire.124 Conservation et sociabilité, cette double loi meut toute créature, des minéraux à l’homme. Or, si le droit naturel issu de ces propriétés élémentaires « est toujours et partout du droit », affirme Grotius, c’est « parce que la volonté divine est immuable et éternelle ».125 Ne qualifie-t-il pas, un peu plus loin, le ius naturae et gentium de « droit divin » ?126 Ne désigne-t-il pas, sitôt après, le droit naturel comme « ce que Dieu dicte à travers la nature » ?127 Et n’y égale-t-il pas, encore une fois, les deux manifestations de la volonté divine – per naturam et per scripturam –, volonté considérée à nouveau comme iustitiae norma ?128 Dans la mesure où elle est divine, cette loi universelle est sans doute aussi rationnelle ; mais ce trait demeure secondaire : importe surtout qu’elle traduise le commandement divin ; c’est de lui que paraît dépendre de manière exclusive et immédiate la validité du droit naturel tout entier. D’un bout à l’autre, le De iure praedae est comme transi par la présence divine, et ce jusque dans l’épilogue où Dieu est appelé « le seul auteur et éducateur » du nouvel Etat batave, Sa bonté procédant, là encore, de Sa volonté.129
12Or, vingt ans plus tard, cette conception semble radicalement abandonnée. On sait comment sera défini alors le droit naturel : « Ius naturale est dictatum rectae rationis, indicans actui alicui, ex eius convenientia aut disconvenientia cum ipsa natura rationali, inesse moralem turpitudinem, aut necessitatem moralem, ac consequenter ab auctore naturae Deo talem actum aut vetari, aut praecipi. »130 Grotius reconnaît donc maintenant à certains actes humains une valeur morale intrinsèque qui se mesure par rapport à la nature rationnelle de l’homme, la droite raison ayant pour fonction de la dévoiler et de formuler la norme qui en découle. Le commandement divin s’y ajoute, mais n’en constitue pas, semble-t-il, le fondement de validité : à première vue, sa portée n’est que déclaratoire. Il y a donc solution de continuité par rapport à la volonté divine, ce que Grotius accentue avec force, en dissociant cette fois le droit naturel du droit volontaire au point d’affirmer son immutabilité même au regard de Dieu.131 Non seulement Il ne pourrait rien y changer, mais ce droit naturel, affirme un célèbre passage des Prolégomènes, vaudrait même si Dieu n’existait point ou ne se souciait pas des affaires humaines : « etiamsi daremus, quod sine summo scelere dari nequit, non esse Deum, aut non curari ab eo negotia humana » ;132 hypothèse que Grotius s’empresse certes de déclarer absurde, mais qui n’en indique pas moins, semble-t-il, que, d’un bout à l’autre de l’ouvrage, il a voulu faire dépendre la validité du droit naturel uniquement de valeurs objectives, inhérentes aux actions humaines, et non de la volonté divine.
13Dans les vingt ans qui séparent les deux ouvrages, Grotius semble donc avoir accompli sur ce point une volte-face. Suspendue autrefois à la volonté de l’Auteur de la nature, la validité du droit naturel dépend maintenant des qualités inhérentes à cette nature elle-même. Certes le terme de nature ne recouvre pas exactement la même réalité dans les deux œuvres : dans le Mémoire il s’était appliqué à toute la création ; dans le Traité il ne désigne plus que la nature humaine. D’elle seulement, Grotius affirme qu’elle est intrinsèquement rationnelle et sociale ; et en fonction d’elle uniquement il pose l’autonomie et la perséité des valeurs morales, ainsi que l’immutabilité du droit naturel qui en résulte.133 Sans doute ce dernier équivaut-il en gros au droit naturel secondaire du Mémoire, dont le trait saillant avait déjà été sa rationalité.134 Pourtant, au lieu de l’ancrer comme celui-ci dans un système plus général de sources issu tout entier d’une volonté initiale, Grotius le sépare maintenant de son assise antérieure pour le fixer sur un socle indépendant, la nature humaine. Conditionné par elle uniquement, le droit naturel en gagne une apparence autonome et absolue. Car cette nature humaine nouvellement consolidée devient elle-même le fondement des valeurs et des normes qui en dérivent, si bien que les compétences du Créateur à son égard paraissent notablement limitées.
14D’un volontarisme marqué, Grotius semble ainsi avoir évolué vers un intellectualisme non moins patent : telles sont en effet les étiquettes désignant les courants philosophiques antagonistes dont il paraît se faire tour à tour le représentant. Etait-ce bien son intention ? L’affirmer reviendrait, semble-t-il, à constater une véritable rupture dans ses conceptions. Or, cette interprétation rejoindrait en un sens une opinion traditionnelle, qui voit dans le système du De iure belli ac pacis le premier à fonder le droit naturel sur des bases purement rationnelles, autonomes et laïques, en sectionnant le cordon ombilical par lequel les théologiens l’avaient toujours relié à l’autorité divine ;135 là serait même le principal mérite de l’œuvre, et il serait dû en particulier à une immersion dans les doctrines stoïciennes remises à l’honneur par l’humanisme après les longues ténèbres du moyen âge.136 Cet acte prométhéen,137 Grotius l’aurait donc accompli au sein de sa propre œuvre, en abandonnant au bout de deux décennies la position volontariste de sa jeunesse.
15Avant d’approfondir la question, brossons de quelques traits cette alternative philosophique, qui, déjà séculaire, agitait plusieurs des plus éminents esprits à l’époque même de Grotius. Les racines de la controverse plongent dans l’antiquité gréco-romaine et chrétienne. Produit de la rencontre du volontarisme judéo-chrétien avec l’idéalisme hellénique, le conflit fut toutefois longtemps voilé grâce aux médiations offertes par le stoïcisme et le néoplatonisme, dont naquirent plusieurs tentatives de conciliation et de synthèse. Ce n’est que la haute scolastique, grâce à la réception d’Aristote par les dominicains et la réaction volontariste des franciscains, qui la font éclater et lui donnent, après plusieurs péripéties, la forme particulière sous laquelle l’abordent les théologiens du xvie siècle et, à leur suite, Grotius lui-même.
2. Le droit naturel chez Gratien et chez quelques théologiens du xiiie siècle
16Jusqu’à Grotius, la doctrine en la matière sera conditionnée de près ou de loin par le traité des lois de Gratien, où se dessine déjà le conflit, bien que tout l’effort de l’auteur vise à le contenir. On sait que les vingt premières Distinctions de la Concordia traitent principalement de l’opposition globale entre le ius et le fas, soit entre, d’un côté, les lois humaines, de l’autre, ce que Gratien semble désigner tout à la fois comme lois divines et droit naturel.138 Son intention générale paraît assez claire : opposer les normes dont le contenu et la validité dépendent de la volonté humaine et celles qui en sont indépendantes. Moins claire est en revanche sa conception de ce dernier groupe de normes. Qualifiant le droit naturel de plusieurs manières et le rapportant de diverses façons aux lois divines et humaines le Magister en a fait un véritable casse-tête qui à ce jour n’a cessé de diviser ses interprètes. Deux questions sont devenues classiques : Gratien a-t-il admis une plusieurs acceptions du ius naturale ? Et dans quelle mesure a-t-il identifié celui-ci avec le ius divinum ?139 Voilà in nuce toute notre problématique. Mais commençons par suivre la démarche du maître.
17Les grandes lignes de son traité des lois ont été dessinées plus haut.140 Le ius naturae surgit dès le dictum initial : par une formule devenue célèbre, Gratien le définit comme quod in lege – entendons celle de Moïse – et evangelio continetur, puis il en résume la substance et la spécifie par la règle d’or. Suit le premier canon, à savoir la définition isidorienne du fas et du ius, égalés respectivement à la lex divina et à la lex humana. Puis Gratien enchaîne avec le second dictum et conclut que « omne quod fas est nomine divinae vel naturalis legis accipiatur ».141 Ce début suggère une identité pure et simple entre la loi divine telle qu’elle s’exprime dans l’Ecriture, et le droit naturel, égalé ici en pratique à la loi naturelle.
18Ensuite, nous le savons déjà, Gratien se laisse dériver jusqu’à la quatrième Distinction par un chapelet de définitions isidoriennes, non sans préciser qu’il s’agit d’un détour, d’une alia divisio iuris qui lui fait momentanément abandonner le fil principal de son exposé.142 Or nous savons aussi que cette digression s’ouvre par la définition du ius naturale tirée des Etymologies.143 Manifestement inspirée de l’antiquité païenne, elle paraît à première vue inconciliable avec la lex naturalis telle qu’elle vient d’être circonscrite dans les dicta. Sans nous arrêter pour l’instant à leur relation possible, revenons, avec la cinquième Distinction, au thème principal de Gratien, l’opposition entre les lois humaines et le droit naturel : celui-ci, nous dit-il, a la préséance à la fois dans le temps et dans l’ordre de la dignité :144 deux aspects traités successivement au cours des quatre Distinctions suivantes et qui nous valent plusieurs autres spécifications du droit naturel.
19Abordant l’aspect temporel, Gratien affirme que le droit naturel existe depuis la création même de l’homme, désigné ici comme creatura rationalis, et qu’il est demeuré immuable. Mais il se souvient aussitôt de son équation précédente et en retire une objection : si le droit naturel « est contenu dans la loi et dans l’Evangile », comment serait-il immuable, puisque certaines normes du droit révélé ont en fait perdu leur validité ?145 Aussi, distingue-t-il au sein de l’Ecriture deux types de normes : les moralia, immuables et constituant le droit naturel au sens propre, et les mystica, règles cultuelles qui lui sont conformes par l’esprit, mais peuvent se modifier en surface.146 Voilà sauvée la persistance du droit naturel, et Gratien peut s’attaquer d’un cœur net à la mutabilité du droit humain, en esquissant sa genèse et en alléguant l’exemple topique de la propriété privée, contraire au régime initial de propriété commune.147
20Quant à la force dérogatoire du droit naturel, il la déduit de plusieurs textes, d’abord à l’égard de la consuetudo, puis par rapport à la constitutio148 et finit, dans un dictum assez complexe, par une nouvelle série d’équations qui résument en même temps l’ensemble du raisonnement. Les normes du droit naturel y sont égalées successivement aux commandements de Dieu, aux normes de l’Ecriture et aux lois divines ; ces dernières se fondant, suivant Isidore lui-même, sur la natura, le cercle se referme et l’on rejoint le ius naturale149 Pratiquement, Gratien conclut que toutes les lois humaines contraires à une règle d’origine divine – dont il n’a fait, semble-t-il, qu’énumérer trois manifestations différentes – sont contraires aussi au droit naturel et doivent en perdre toute validité.
21Ainsi le droit naturel se trouve d’une part rattaché à la nature rationnelle et censée être immuable à l’homme ; d’autre part il est mis sur le même pied que les normes d’origine divine. Malgré la tension qui en résulte, à peine résorbée par la distinction entre moralia et mystica, il est difficile de nier que Gratien liait étroitement le droit naturel à la loi divine. Pourtant, la multiplicité même de leurs liens semble trahir qu’il ne s’agit pas d’une identité pure et simple. Au risque d’être anachronique, considérons-les au titre de sources formelles d’abord, puis de sources matérielles.
22Qu’il n’ait pu simplement les identifier au point de vue formel résulte du fait que le droit naturel est censé être apparu avec le genre humain lui-même, alors que l’origine – positive – du droit divin est postérieure.150 Il les a donc rapprochés sans les confondre. S’il ne se montre pas plus explicite sur la question, c’est que son propos ne le demandait point : voulant opposer en bloc aux mores issues de la volonté humaine le droit qui en est indépendant, il lui suffisait de retenir un certain nombre de traits communs aux deux catégories de normes supérieures – leur immutabilité et leur force dérogatoire – sans qu’il fût nécessaire de spécifier en détail leur relation. Distincts par leurs sources formelles, les deux ordres de règles n’en découlent pas moins d’une seule source matérielle, Dieu lui-même, opérant tantôt en créateur, tantôt en législateur. Ce dédoublement fonctionnel – nouvel anachronisme de notre part puisque l’idée n’en fut pas clairement énoncée avant la haute scolastique – semble bien constituer la base implicite du raisonnement de Gratien. De là cette identité de fond et d’origine qui s’établit au niveau des moralia entre les deux types de normes.
23La signification profonde de cette identité s’éclaire du reste seulement si l’on précise le sens, théologique plus que juridique, que Gratien attribuait à la notion de droit naturel. La fameuse équation posée dans le dictum initial – « ius naturae est quod in lege et evangelio continetur » – résulte en réalité d’une longue tradition judéo-chrétienne. Que la loi naturelle s’exprimât à travers la loi révélée de l’Ecriture était à l’époque de Gratien une sorte de lieu commun parmi les théologiens, fonction directe de leur concept même de nature. Au lieu de la nature incréée et permanente des Gentils, dont les dieux ne sont que les administrateurs irresponsables, voire de lointains spectateurs, la nature judéo-chrétienne se confond avec la création du Dieu unique. Or cette nature a été viciée par le péché. Aussi serait-il vain de vouloir en déduire des normes de conduite. S’il y a un droit naturel, il ne peut se rapporter qu’à la nature primitive de l’homme, antérieure au péché. Mais comme celle-ci a disparu, le droit naturel ne peut être connu autrement que par une révélation subséquente. D’où l’idée d’égaler le droit naturel avec les normes de l’Ecriture.151
24De là aussi le caractère légaliste et positiviste de ce droit naturel : le ius naturae de Gratien, on l’a dit, se réduit en fait toujours à une lex naturalis.152 Distincte du « juste naturel » d’Aristote, cette loi morale révélée pouvait cependant se concilier dans une certaine mesure avec celle, tout à la fois rationaliste et utilitaire, des stoïciens. Le premier essai notable avait été entrepris dans ce sens par Philon d’Alexandrie, suivi bientôt par des docteurs chrétiens.153 On sait quel parti ils tireront sur ce point de l’Epître aux Romains.154 La notion stoïcienne de droit naturel pénétrera ainsi par des voies diverses – notamment Ambroise155 – dans la doctrine chrétienne et ne manquera pas de la transformer en ajoutant à la révélation la rationalité. On connaît la célèbre formule du Contra Faustum dans laquelle Augustin, définissant la loi éternelle, fait cohabiter la volonté et la raison divines, et qui, grâce à sa réception dans les Sentences du Lombard, sera l’un des points de départ des disputes scolastiques sur le fondement de validité du droit naturel.156 C’est donc des premiers siècles chrétiens qu’il faut dater le conflit virtuel devinable dans l’équation de Gratien. Il était d’ordinaire recouvert par l’hypothèse d’une créature en soi rationnelle mais dont la raison a été obscurcie et affaiblie par le péché ; et il suffisait d’admettre que cette corruption n’eut pas été totale pour qu’un jugement et une conduite morales fondés sur la raison demeurassent possibles, sans que la révélation en devînt jamais superflue.
25De cette doctrine traditionnelle, Gratien a pu trouver les reflets chez Anselme de Laon, Pierre Abélard et surtout Hugues de Saint Victor.157 Le De sacramentis de ce dernier est de peu antérieur à la Concordia, et c’est là que Gratien paraît avoir puisé le clair de son inspiration. On y trouve notamment l’équation de la loi naturelle avec la règle d’or, double précepte positif et négatif inscrit de tout temps au cœur de l’homme et dont la vigueur reste absolue ; plus tard, les sept commandements de la seconde table du Décalogue sont venus l’expliciter : ensemble, ils représentent les préceptes « immobiles », et Hugues les oppose aux préceptes « mobiles » ajoutés par la suite au gré des circonstances.158 La distinction est sans doute à l’origine de celle pratiquée par Gratien entre moralia et mystica ; et c’est peut-être le De sacramentis qui lui aura suggéré l’équation entre loi naturelle et loi révélée, l’homme ne pouvant connaître la loi naturelle et mettre en œuvre sa force dérogatoire que par le truchement de l’Ecriture.
26Tels nous paraissent en dernière analyse l’origine, le sens et la portée du célèbre dictum qui ouvre la Concordia. A vrai dire, entre la conception qu’il recèle et celle du De sacramentis subsiste une différence, virtuelle pour l’instant, mais déjà importante. Car, tout en le maintenant derrière l’écran du droit révélé, Gratien accorde au droit naturel une place plus éminente qu’Hugues. Celui-ci avait fixé son attention sur les sacrements et leur fonction dans l’histoire du salut. La période de la loi naturelle y demeure la plus éloignée du salut final ; aussi, la période subséquente du droit écrit s’en trouve-t-elle revalorisée au point que le droit écrit et les sacrements de l’Ancien Testament rendent la loi naturelle superflue ; ce droit est à son tour partiellement abrogé par les normes et les sacrements du Nouveau Testament. La perspective de Gratien est différente : de ce drame théologique il retire surtout la teneur juridique, ce qui l’amène à faire ressortir les aspects demeurés dans l’ombre chez Hugues et notamment à conférer une place nouvelle au droit naturel.
27Elle se marque d’abord par la double prééminence, hiérarchique et temporelle, que lui accorde Gratien. Certaines de ses formulations pourraient faire songer à un droit naturel de type rationnel et antique : n’est-il pas « né avec la créature rationnelle, invariable dans le temps et immuable » ?159 et l’illustration par le régime de la propriété ne rappelle-t-elle pas les thèses d’un Sénèque ? Mais l’on sait que la doctrine patristique avait reçu cette idée à sa manière, notamment par Ambroise, Augustin et Isidore.160 Peut-être est-ce grâce à ce dernier surtout que le ius naturale tend chez Gratien, en dépit de la médiation toujours indispensable du droit révélé, à devenir un critère d’équité autonome face au droit positif humain.
28Que Gratien n’ait pas voulu renoncer entièrement à cette médiation semble résulter a contrario de ce qu’il place la définition isidorienne du droit naturel dans une alia divisio iuris : on est tenté de croire que c’est pour éviter un contact direct avec sa propre notion de droit naturel qu’il l’a cloisonnée de la sorte.161 Car en omettant toute mention d’une révélation, en fondant le droit naturel sur le seul instinctus naturae, Isidore l’avait rendu immédiatement accessible même aux Gentils : or, cette extrémité, Gratien a voulu probablement l’éviter. S’ensuit-il pour autant que les deux conceptions ne sauraient coïncider au moins en partie ? Il se peut que Gratien ait vu dans l’énumération d’Isidore une sorte de minimum « commun à toutes les nations », indépendant de la révélation : cela ne répondait-il pas, en un sens, à son propre droit naturel, inhérent dès les origines à la « créature rationnelle » et invariable dans le temps ?162 Nouvelle équivoque dont il laisse à son lecteur le soin de décider.
29Voilà comment se conjuguent dans le traité des lois de la Concordia plusieurs thèmes d’origine différente et en partie incompatibles. Cherchant à désamorcer leur conflit virtuel, Gratien réunit en fait les principaux éléments d’un débat qui ne cessera de s’amplifier jusqu’à l’époque de Grotius, tant dans le camp des juristes que surtout dans celui des théologiens. Les premiers chercheront à concilier les notions divergentes léguées par leurs sources, comme on a constaté plus haut à propos du ius gentium ; toutefois leurs spéculations demeurent longtemps assez sommaires, ce qui ne saurait étonner au vu de leurs préoccupations avant tout pratiques. Ce sont donc bien davantage les théologiens qui s’arrêteront à la question du droit naturel. Grâce à eux, l’ensemble de la question gardera d’ailleurs une teinte religieuse. Car pour eux la loi reste avant tout l’un des moyens par lesquels Dieu assiste l’homme dans sa quête du salut, moyen coordonné à celui de la grâce :163 d’un bout à l’autre, c’est donc en définitive le problème théologique du péché qui conditionne leurs débats sur la loi naturelle. Telle est la perspective qui confère à la discussion sa véritable envergure ; l’aspect proprement juridique demeure longtemps en périphérie.
3. La résurgence d’un droit naturel intellectualiste au xiiie siècle et la synthèse thomiste
30Les théologiens commenceront par voguer pour un temps dans le sillage d’Hugues de Saint Victor, grâce surtout à l’écho que ses thèses trouveront, peu après la Concordia, dans les Sentences du Lombard. Celles-ci comportent deux principaux groupes de Distinctions sur lesquels les théologiens vont greffer leurs disputes concernant la loi en général et la loi naturelle en particulier : le premier groupe a trait au problème du péché ; le second traite du Décalogue.164 Mieux encore que chez Gratien, la loi naturelle garde ici une saveur théologique, désignant un ordre moral inné que le Décalogue a proclamé sous forme positive à la suite de la déchéance humaine.
31Ce n’est qu’à partir du xiiie siècle, grâce à la redécouverte en occident des œuvres oubliées d’Aristote, que certains théologiens prêteront une attention nouvelle à un droit naturel indépendant de toute révélation, autonome à la fois par ses fondements et par son intelligibilité, et donc accessible directement à la raison humaine, devenue elle aussi principe moral autonome. Dès lors, le conflit encore voilé chez Gratien se fait plus aigu dans la mesure même où l’équation communément admise entre ce droit naturel et la loi révélée devient problématique. Les auteurs s’en voient induits à trouver de nouvelles justifications à la dualité des normes résultant de la coexistence d’une loi divine et d’une loi naturelle.165 Leurs explications varient en fonction de l’idée qu’ils se font de la nature humaine. Il n’était guère possible d’ignorer la déchéance résultant du péché, ce qui continuait du même coup à justifier l’existence du droit révélé. Mais cette déchéance et l’obscurcissement subséquent des facultés morales de l’homme pouvaient se concevoir plus ou moins profonds. La plupart des auteurs admet qu’un reste de ces facultés ait survécu tout au moins sous forme de syndérèse.166 D’aucuns conçoivent un droit naturel en fonction de cette nature déchue : ce qui, par la doctrine des états,167 ouvrira la voie à un droit naturel de type rationnel, proche en pratique des vues grecques et romaines. Il n’est guère étonnant que chez plus d’un auteur la confluence de ces notions antagonistes provoque des thèses en partie incohérentes.
32Ce désarroi se reflète déjà chez un Guillaume d’Auxerre168 dont la Summa aurea commence à trahir la présence d’Aristote, encore que ses définitions du droit naturel rappellent avant tout les formules de certains jurisconsultes romains ; pourtant, malgré une apparence rationaliste, on est renvoyé finalement à la conception traditionnelle des pères de l’Eglise.169 Ce conflit se perpétue dans plusieurs questions particulières, dont notamment ce vieux point d’achoppement que représente le régime de la propriété, résolu ici à l’aide de la doctrine des états.170 Guillaume pose du reste ouvertement le problème né de la coexistence d’une loi naturelle et d’une loi divine ; elles diffèrent à son avis au point de vue formel, mais non materialiter.171 Quant à l’intelligibilité de ce droit naturel, elle résulte du fait qu’il est « écrit au cœur de l’homme » ; en évoquant ici le concept d’imago dei, Guillaume semble vouloir maintenir un lien direct avec la divinité créatrice dont l’intention demeure reconnaissable dans sa créature même déchue.172
33Pour éviter l’affrontement direct entre droit révélé et droit naturel, certains auteurs choisissent de les traiter sous des rubriques séparées et de les insérer dans des compartiments distincts d’un tableau général de lois. Du même coup, il devient possible de différencier les fondements de validité de ces deux sources de droit. Ce développement prend déjà corps dans la somme théologique attribuée à Alexandre de Hales, qui marque fortement le caractère rationnel et autonome du droit naturel.173 Même ainsi, ce droit naturel n’échappe pourtant pas au conflit des sources qui l’inspirent. Il y apparaît comme une dérivation de la loi éternelle, qui, ressuscitée à partir de saint Augustin surtout, tient elle-même une place de choix dans le système d’Alexandre.174 La loi naturelle n’en est que la manifestation dans la créature, au sens où l’avaient entendue les stoïciens : subie passivement par la créature irrationnelle, elle fait l’objet d’un choix de la part des êtres rationnels.175 Alexandre la compare à une marque imprimée dans l’âme humaine par la loi éternelle, tel le cachet laissé par un sceau.176
34Or cette loi naturelle continue à gouverner l’homme. C’est là qu’Alexandre s’écarte de la conception traditionnelle, plus nettement encore que ne l’avait fait Guillaume d’Auxerre : le péché a pu abolir la loi de la grâce, mais non la loi naturelle.177 Pourtant le franciscain n’entend pas rompre ouvertement avec la tradition : si le péché n’a pas atteint la loi naturelle dans son essence, il a néanmoins modifié certains de ses effets et appelé à la vie des institutions nouvelles. Par ce biais, Alexandre tient compte néanmoins de la déchéance humaine et le marque à plusieurs reprises en opposant la natura bene instituta à la natura destituta per peccatum : ainsi notamment dans sa discussion du régime de la propriété et de l’inégalité des conditions, véritables paradigmes qui le ramènent à la doctrine des états.178 Au lieu de disparaître dans la condition de l’homme déchu, la loi naturelle demeure gravée dans son cœur et peut s’y lire comme se devine le soleil dans la brume.179 Alexandre se trouve ainsi à mi-chemin entre la corruption totale admise par certains Pères et la nature une et immuable des Gentils : dualité qui subsistera par la suite, bien que dans des proportions assez variables, chez la plupart des auteurs de la haute scolastique.
35Aucun d’entre eux n’a sans doute marqué davantage le caractère intellectualiste et autonome de la loi naturelle que saint Thomas : de lui procède en grande partie ce courant doctrinal qui aboutira à l’etiamsi daremus grotien.180 Dans le traité des lois, dont on a examiné plus haut un aspect,181 la lex naturalis représente l’une des quatre catégories de normes, placée entre la loi éternelle et la loi humaine, et à côté de la loi divine.182 Celle-ci répond chez Thomas au même besoin que chez ses prédécesseurs, mais plus clairement encore que chez Alexandre elle y est devenue norme positive, dissociée de la loi naturelle non seulement par sa manière d’apparaître, la révélation, mais surtout par son objet spécifique, la fin surnaturelle de l’homme.183 Inversement, la loi naturelle ne vise que la fin naturelle de celui-ci et peut donc être connue en dehors de toute révélation par le pouvoir de la rationalité humaine.
36Ainsi, bien que dérivée de la loi éternelle qui se confond avec le plan même du Créateur,184 la loi naturelle n’est pas subie passivement par la créature rationnelle. La raison humaine étant au contraire un principe agissant et autonome, elle reproduit à travers la loi naturelle par analogie la loi éternelle, à laquelle elle participe donc sur un mode actif.185 Cette participation est sous-tendue par l’hypothèse d’une correspondance, dans leurs ordres respectifs, des rationalités divine et humaine, impliquant à son tour une représentation à maints égards antique de la nature humaine, qui domine ici clairement les conceptions patristiques.186 Dans cette participation analogique, d’origine stoïcienne et platonicienne, réside la principale caractéristique de la loi naturelle thomiste.
37C’est donc de l’être même de l’homme en tant que créature rationnelle qu’y résulte immédiatement la loi naturelle ; et, dans cette mesure, le sollen se résorbe dans le sein, puisque celui-ci contient, en vertu de sa structure même, les valeurs morales qu’il suffit de révéler par une opération de l’intellect. Le contenu de la loi naturelle se déduit ainsi des propriétés inhérentes à l’homme, ses inclinations naturelles dont on suppose, dans la ligne du Stagirite, qu’elles le conduisent vers son bien spécifique et sa fin « naturelle ». Il est vrai que Thomas ne pose en ce sens que quelques principes généraux rappelant des axiomes de géométrie et qui demandent à être concrétisés par les déductions qu’on en fait – ce qui est la fonction propre de la loi humaine 187 –, si bien qu’en pratique la loi naturelle se réduit à une exigence toute formelle, celle de conformer ses actions à la droite raison :188 mais c’est précisément ce faisant que la raison humaine est censée reproduire analogiquement la raison divine et participer à la loi éternelle.
38Cette rationalité foncière et active représente l’épine dorsale, le véritable principe de validité de l’ensemble du système de lois de Thomas ; ainsi le veut sa conception même de la loi et du commandement. Leur force obligatoire provient de la raison de leur auteur, non de sa volonté ; la volonté ne joue qu’un rôle d’appoint, puisque seule la raison peut « ordonner » des actes vers une fin et que c’est de cette fin que résulte la validité de la loi.189 La loi est toujours au premier chef dictamen practicae rationis,190 et cela vaut pour les quatre catégories de normes distinguées par Thomas. C’est à travers la recta ratio que les lois naturelle et humaine représentent des dérivations de la loi éternelle ; et c’est par là qu’elles valent en tant que lois.191 Ce principe lie, dans leurs ordres respectifs, autant les hommes que Dieu lui-même. Ainsi, sans nier la toute-puissance divine, Thomas ne l’admet en fait qu’à titre d’hypothèse : en pratique, Dieu manifestera sa puissance nécessairement comme potestas ordinata, lié qu’il est lui-même par sa propre nature et donc par sa propre rationalité.192
39Telles sont les grandes lignes de la conception thomiste du droit naturel. Le traité des lois de la Somme réussit sur ce point une synthèse originale où viennent s’unir des motifs tirés de l’idéalisme hellénique, du stoïcisme et de la patristique. Il représente l’un des systèmes les plus purement intellectualistes que l’on ait conçu.
4. La réaction volontariste des franciscains : Jean Duns Scot et Guillaume d’Occam
40Face à la synthèse thomiste, qui demeurera en général caractéristique des dominicains, se dresseront bientôt avec force les théologiens franciscains.193 C’est Jean Duns Scot qui conduit l’attaque, en faisant valoir une image plus traditionnelle de la divinité et de son rapport à la création. A ses yeux, c’est la volonté qui représente la puissance la plus noble ; elle ne saurait en conséquence se voir enchaîner par l’intellect. Non que ce dernier ne continue à jouir d’une valeur propre et autonome ; mais la volonté demeure libre à son égard ; et c’est dans son essentielle liberté qu’elle constitue le véritable principe moral.194 De cette option de base procède tout le système scotiste.
41C’est la volonté divine qui constitue la source unique et immédiate de la loi naturelle. Et ce primat de la volonté se répercute aussi sur le destinataire de cette loi : elle s’adresse au premier chef non pas à l’intellect, mais à la volonté de l’homme, qui lui répond par une détermination en dernière analyse libre de toute injonction de l’intellect.195 Loin d’être un acte de connaissance, l’observation de la loi naturelle ne peut être ici qu’un acte d’obéissance. Le sollen est rétabli dans son essence propre, totalement distincte de celle du sein. Ainsi, tant chez le Créateur que dans Sa créature, c’est la libre volonté qui représente le point de départ absolu et le véritable principe de validité de tout le système.
42La volonté divine y conserve donc logiquement une discrétion entière dans la détermination des valeurs morales. A une exception près toutefois : c’est sans Sa volonté que Dieu est lui-même le souverain bien. En effet, ce n’est que par rapport à ce qui est extérieur à Dieu que Duns refuse de reconnaître une limitation quelconque à Sa liberté ; cette liberté cesse en revanche en ce qui concerne Son propre être. Dieu ne saurait dès lors refuser de se considérer soi-même comme Bien suprême. Dès lors, l’amour de Dieu s’impose nécessairement comme valeur ultime aux actions humaines, sans que Lui-même ne puisse rien y changer. Mais c’est la seule valeur nécessaire ; toutes les autres sont contingentes et dépendent de Sa libre volonté.196
43De là plusieurs conséquences pour le droit naturel. En premier lieu ses normes ne peuvent plus se déduire par voie rationnelle de l’ordre de la création : le lien thomiste entre l’ontologie et le normatif est dissous. Corrélativement, le concept de lex aeterna est abandonné.197 Le souverain bien est seul à déterminer les normes du droit naturel qui ne comporte dès lors à strictement parler qu’une seule règle, la défense de haïr Dieu exprimée dans les deux premiers commandements du Décalogue. Ceux-ci sont par conséquent les seuls à être vraiment indispensables, même pour Dieu. Il n’y a pas de valeurs morales inhérentes à la création ; à l’image de celle-ci, toutes les valeurs sont contingentes, produits de la libre volonté divine.198 Ainsi les commandements de la seconde Table du Décalogue ne relèvent pas du droit naturel au sens propre, si bien que Dieu a pu, sans se contredire, statuer plusieurs dispenses à leur égard.
44Duns n’en admet pas moins un droit naturel au sens large, dont les normes résulteraient, sinon d’un rapport nécessaire avec le souverain bien, du moins d’une « consonance » avec lui. En ce sens large, les commandements de la seconde Table du Décalogue représenteraient néanmoins du droit naturel. Duns considère les valeurs qu’ils expriment comme inhérentes aux actes visés et donc comme antérieures à toute promulgation. Il reste entendu que cela ne peut valoir que dans un sens relatif, puisque l’ensemble de la création demeure contingent face à la volonté divine. La nécessité relative de ces normes, qui les empêche d’être du droit positif pur et simple, les faisant devenir précisément du droit naturel large loquendo, provient de leur lien avec le souverain bien en vertu du principe de la consonance.199 Partant, la recta ratio trouve néanmoins un certain champ d’application : pris au sens large, le droit naturel de Scot ne saurait donc se réduire à une pure « morale du précepte »,200 bien qu’en dernier ressort ce soit la volonté divine qui constitue son fondement de validité.
45A maints égards, Duns n’avait fait que revaloriser la doctrine chrétienne traditionnelle qu’il sentait menacée par l’aristotélisme thomiste et peut-être, au-delà, par des tendances averroïstes. Son opposition à l’Aquinate, qui alimentera en grande partie la suite du débat, avait cependant trouvé une limite grâce à leur point de départ commun en ce qui concerne leur théorie de la connaissance et de l’être, à savoir leur réalisme.201 C’est cette base commune qu’abandonnera au contraire le nominaliste Guillaume d’Occam qui, franciscain lui aussi, poussera le volontarisme jusqu’à un sommet inégalé. Exaltant bien davantage encore la potestas dei absoluta, il parvient à faire crouler jusqu’au dernier bastion d’objectivisme moral que Duns avait laissé subsister : l’amour de Dieu, qui répondait à Sa bonté essentielle. Ainsi Dieu pourrait, sans se contredire, commander qu’on Le haïsse, et cette haine deviendrait dès lors une vertu.202 En soi, les actions humaines sont donc toutes moralement indéterminées ; seul un acte de volonté peut leur conférer une valeur positive ou négative. Le sens même de la création se détermine de façon absolue et exclusive sur cette volonté. Dès lors, le contenu des normes morales – qui chez Thomas dépendait de la rationalité, chez Scot, de la relation au bien suprême – est devenu ici parfaitement indifférent et ne dépend plus que de la libre volonté du Législateur. Les normes juridiques n’ont d’autre fondement que cette volonté, si bien que l’on aboutit à un pur légalisme positiviste, excluant jusqu’à l’idée même d’un droit naturel, fût-il fondé seulement sur la consonance scotiste. Le droit naturel, quasi-autonome chez Thomas, vient à nouveau se confondre, ici, avec le droit divin positif. Il était logique, dans cette perspective, de lui substituer tout simplement le Décalogue, sans même plus sous-entendre aucune équation avec un droit naturel « obscurci » par le péché : de fait, c’est bien ce qu’Occam admet, rejoignant en un sens une position assez conforme à la tradition chrétienne.203 Corrélativement, au point de vue de la connaissance du droit naturel, la place dominante tenue dans le système thomiste par l’intellect se trouve occupée ici par l’obéissance absolue aux injonctions positives de la volonté divine, quelles qu’elles soient.204
46Ces conséquences extrêmes et presque choquantes, Occam ne les avait énoncées que sur le mode hypothétique, afin de mieux faire ressortir les bases de sa pensée, à savoir la rupture totale entre la nature créée et le fondement en dernière analyse divin des valeurs éthiques ; et la liberté inconditionnelle qui en résulte théoriquement pour Dieu n’implique nullement l’arbitraire de Sa volonté : lors même que celle-ci peut demeurer incompréhensible à l’homme, son essentielle bonté ne fait aucun doute pour Occam,205 d’autant que la puissance divine, même absolue, reste liée par le principe de non-contradiction.206 Pourtant, de l’œuvre assez peu systématique 207 du Venerabilis inceptor, la postérité retiendra avant tout les aspects audacieux et en apparence blasphématoires, dont en particulier l’affirmation que Dieu pourrait ordonner à Sa créature de Le haïr et que la haine de Dieu en deviendrait une vertu. Ces aspects ne manqueront pas de susciter très tôt déjà des réserves scandalisées et des répliques non moins paradoxales que ne l’avaient été les thèses d’Occam elles-mêmes.
5. L’hypothèse « etiamsi daremus » chez Grégoire de Rimini
47Encore du vivant d’Occam, surgit dans son propre camp un antagoniste de taille en la personne du général augustin Grégoire de Rimini.208 Cherchant à définir la notion de péché dans son commentaire aux Sentences datant de 1344, il part des deux phrases augustiniennes alléguées sur ce point par le Lombard : en les combinant, il fait apparaître le péché comme un « acte volontaire de commission ou d’omission allant contre la droite raison ».209 Le critère réside donc dans la ratio recta, égalée suivant saint Augustin à la raison divine. Mais Grégoire souligne que cette raison est droite avant même d’être divine : elle demeurerait valable, affirme-t-il dans une formule en apparence blasphématoire et que Grotius rendra célèbre, même si par impossible la raison divine ou Dieu n’existaient point ou se trouvaient dans l’erreur : car les actions qui lui seraient contraires n’en constitueraient pas moins des péchés.210 La recta ratio en acquiert une portée autonome, presque au-delà de ce que Thomas avait admis, permettant d’inférer l’objectivité de certaines valeurs morales. Il existe donc des actions bonnes ou mauvaises par elles-mêmes. Contre Occam, Grégoire estime notamment inconcevable que Dieu ordonne qu’on Le haïsse : la valeur morale qui résulte pour certains actes de leur rapport à la recta ratio, s’impose donc à Dieu lui-même, et vaut à plus forte raison pour l’homme, en dehors de toute norme positive.211
48Pourtant, objecte Grégoire, le péché humain n’est-il pas conditionné par un commandement divin, ainsi que l’attestent plusieurs autorités ?212 Tirant alors un parti adroit d’un passage du De sacramentis d’Hugues de Saint Victor,213 il répond en distinguant deux catégories de préceptes, indicatifs et impératifs, suivant le mode grammatical qui sert à les formuler. Le praeceptum imperativum n’est autre que le commandement positif de Dieu, tandis que le praeceptum indicativum résulte de la seule cognitio indicativa seu enuntiativa obtenue par la recta ratio. Or, même ce deuxième type de précepte, que Grégoire désigne à la suite d’Hugues comme naturel, suffirait à constituer l’obligation morale et le péché consécutif.214 C’est donc au prix d’une définition très large de la norme obligatoire que Grégoire préserve, en dehors même du camp thomiste, l’idée de valeurs morales objectives, inhérentes à l’ordre naturel et valables même à l’égard de son Auteur, qui voit Sa liberté corrélativement limitée par la recta ratio.
6. Positions de compromis au sein de la « via moderna » : Jean Gerson et Gabriel Biel
49Le raisonnement de Grégoire ne put recevoir de consécration plus éloquente que d’être reproduit, sous forme un peu simplifiée il est vrai, mais en partie textuellement dans le Collectorium sententiarum de Gabriel Biel. Bien que nominaliste, se proposant essentiellement de rendre sous forme abrégée la pensée de Guillaume d’Occam,215 le maître de Tubingue fait sur ce point de larges concessions à l’intellectualisme. C’est ce que font apparaître ses développements sur le Décalogue et la loi en général, passages directement inspirés de deux écrits du chancelier Gerson.
50Celui-ci avait, pour sa part, établi une relation étroite entre loi divine, loi naturelle et loi humaine positive, la validité des trois étant rapportée de façon directe ou indirecte à la volonté législatrice de Dieu : il n’y a pas de doute que ce disciple de Pierre d’Ailly reste fidèle en principe à l’option de base volontariste de la via moderna.216 Mais, en même temps, Gerson admet que cette volonté divine se manifeste nécessairement de façon rationnelle. Il ne manque pas, en effet, de poser ouvertement la question de la préséance entre la volonté et la raison divines ; or, c’est de façon théorique seulement qu’il accorde le primat à la volonté ;217 en pratique, il admet que les deux puissances sont équivalentes et même impensables l’une sans l’autre en Dieu, si bien que ce sont les deux ensemble qui constituent pour l’homme la ratio obligatoria de la loi.218
51Telle est en fait très exactement la pensée reprise par maître Gabriel, qui se réfère du reste expressément à Gerson. Il lui emprunte l’ensemble de ses définitions relatives à la loi et à ses trois espèces, et il admet à son tour « quod recta ratio precipientis una cum voluntate est ratio obligationis inferioris id est quo inferior obligatur. »219 II est remarquable, du reste, – et presque paradoxal pour un descendant spirituel d’Occam – que Biel apporte cette précision afin d’appuyer non pas l’élément rationnel, qui paraît d’emblée acquis, mais bien l’élément volitif que doit comporter à son avis la lex obligatoria sive permissiva220 Cette lex obligatoria, que Biel appelle aussi preceptiva – et qui peut consister en une injonction ou en une prohibition – comprend, semble-t-il, tout ensemble la lex imperativa et la lex indicativa, bien que Biel ne revienne pas en cet endroit sur cette distinction. En effet, il paraît admettre, avec Grégoire de Rimini auquel il emprunte celle-ci, que la lex indicativa comporte également un commandement divin, lors même qu’elle s’exprime « sur le mode indicatif ».221
52Cela révèle du reste le véritable enjeu de tout ce débat : il n’est autre que la conception qu’on se fait de la loi et de son caractère obligatoire ; pour les uns, l’obligation implique le commandement d’un supérieur, alors que pour les autres une nécessité logique suffit à la constituer. Entre ces extrêmes, la position de Gerson et de Biel recherche une sorte d’équilibre incluant les deux termes à titre égal.
53C’est la recherche d’un compromis de cet ordre qui animera aussi la doctrine du xvie siècle en cette matière. Par delà leurs divisions confessionnelles, les auteurs cherchent presque tous à concilier les deux positions ; et s’ils accordent la préséance à l’une d’entre elles, ils prennent aussitôt des dispositions pour en éviter les conséquences extrêmes, en tenant compte aussi de la thèse opposée. Nous examinerons dans la suite les positions les plus représentatives, d’abord chez les protestants, puis chez les catholiques.
7. Aperçu de la doctrine protestante du droit naturel
54La doctrine jusnaturaliste protestante est conditionnée dès ses origines par une option de base légaliste et volontariste.222 La composante rationnelle, qui ne manque à vrai dire presque jamais, y demeure d’ordinaire en retrait. A titre exceptionnel seulement, certains auteurs font prévaloir l’intellect sur la volonté. La doctrine dominante cherche à harmoniser les deux points de vue, tout en accordant la préséance à la volonté.
55L’attitude volontariste des premiers réformateurs s’explique en grande partie grâce à leur visée fondamentale et historique, celle de retrouver, par delà l’institution de l’Eglise romaine et la scolastique qu’elle avait engendrée, la vérité du christianisme primitif. Cette recherche des sources les replace à maints égards dans la situation des Pères de l’Eglise. Ils se trouvent pris entre, d’une part, le fait premier, irréductible pour toute pensée judéo-chrétienne, de la chute de l’homme, entraînant la corruption de sa nature originelle, et, d’autre part, l’exigence d’un ordre de normes primant les lois humaines par sa stabilité et son autorité. Dans ce dilemme, les premiers réformateurs – dont en particulier Luther, Zwingli et Calvin – accentuent avant tout la misère de l’homme et l’impuissance minant ses facultés initiales. La nature humaine actuelle ne pouvait dès lors constituer à leurs yeux la base d’un droit naturel véritable. Ce pessimisme foncier quant à la situation de l’homme entraîne du même coup le rejet de l’intellectualisme thomiste qui avait au contraire minimisé autant que possible les effets du péché originel. Conséquence inévitable : la volonté divine redevient source de validité immédiate du droit naturel ;223 celui-ci ne peut être connu que par le truchement d’une révélation 224 qui représente aux yeux de l’homme déchu sa règle de vie initiale.225 D’où la grande attention que portent les protestants au droit révélé, qui, surtout chez les premiers réformateurs, tend à résorber pratiquement le droit naturel. D’où aussi leurs discussions nourries sur le Décalogue et sa validité actuelle aux yeux des chrétiens.
56Cette attitude plutôt négative face au droit naturel, qui exclut à coup sûr tout l’héritage antique recueilli par le thomisme, est conforme à certaines tendances patristiques ; elle coïncide aussi pour cette même raison avec les thèses volontaristes de l’Ecole franciscaine. On connaît l’influence qu’exerça l’occamisme sur le jeune Luther à travers Gabriel Biel. Grâce à sa destruction systématique de l’analogia entis thomiste, la via moderna livrait un instrument de combat idéal aux réformateurs, appliqués à opérer une scission aussi nette que possible entre le sollen de la loi naturelle originaire et le sein de l’homme actuel, gouverné, lui, par un droit positif purement volontariste, destiné avant tout à tenir en échec ses tendances mauvaises. Cette césure entre l’être et la norme trouve une formulation exemplaire dans la doctrine luthérienne des deux « régiments »226 et dans la doctrine zwinglienne des deux justices ;227 idée que l’on retrouve chez Calvin et dont on a sans doute raison d’affirmer qu’elle a aidé de manière décisive à promouvoir, après les franciscains, la notion moderne du droit en tant que règle purement positive, laïque, externe et « sanctionnable ».
57Aucun des réformateurs n’admet cependant une corruption si totale de la nature humaine qu’il ne subsisterait pas au moins cette étincelle de pureté que les scolastiques avaient désignée comme syndérèse. C’est ainsi que Calvin réduit en un endroit la « Loy naturelle » à « un sentiment de la conscience, par lequel elle discerne entre le bien et le mal suffisamment, pour oster à l’homme couverture d’ignorance, entant qu’il est redargué par son tesmoingnaige mesme ».228 Et d’ordinaire on va plus loin, en concédant à l’homme jusque dans sa déchéance certaines de ses facultés premières. On suivait en cela le vieil adage scolastique qui ne privait Adam que de ses dons surnaturels, alors que sa nature, elle, aurait été seulement blessée. Dès lors, même atteinte et affaiblie de la sorte, cette nature pouvait néanmoins servir de soubassement à un droit naturel, fût-ce au prix d’une division de celle-ci en primaire et secondaire, dans la ligne de la doctrine scolastique des états. Un point de départ favori en ce sens seront les notiones communes stoïciennes, imprimées uniformément par Dieu à l’âme humaine. A partir de là, il redevient possible de revaloriser l’intellect humain en lui assignant une fonction même modeste dans la perception de la loi naturelle, fût-ce en étroite liaison avec la loi révélée. D’où l’insistance fréquente sur le caractère vere divinum du droit naturel, résurgence de la vieille hantise de l’averroïsme.
58Tel sera en fait le courant dominant parmi les théologiens et surtout les juristes protestants qui prolongent ainsi le délicat compromis auquel avaient abouti à la fin du moyen âge un Gerson ou un Biel. On notera en ce sens l’effort constant de Melanchton d’équilibrer raison et volonté ;229 nulle part cela n’apparaît mieux que dans sa remarquable interprétation scripturaire du droit naturel aristotélicien.230 La doctrine du Praeceptor Germaniae, qui n’est pas incompatible avec le thomisme, aura en fait une influence pratique plus considérable sur les juristes allemands que celle de Luther lui-même.231 Cette influence est perceptible dans une mesure variable chez Oldendorp,232 Lagus233 et Kling,234 ainsi que chez le Danois Hemmingsen.235 L’importance de ces auteurs tient moins à l’originalité de leurs thèses – celles-ci ne font d’ordinaire que reprendre des motifs scolastiques, augmentés, il est vrai, d’un apport humaniste notable – qu’aux considérations de méthode dont ils les accompagnent. A travers eux s’affirmera un certain intellectualisme illustré plus tard encore par l’exemple de Benedict Winkler, dont les Principiorum iuris libri quinque236 sont contemporains du De imperio summarum potestatum de Grotius. Ainsi, bien que le problème de la perséité des valeurs morales ne paraisse nulle part clairement posé, le volontarisme pur de Luther se trouve tout au moins mis en échec.
59Une composante rationnelle n’est pas absente de la pensée de Calvin, plus juridique que celle de Luther,237 mais le volontarisme y prime également. A son tour, Calvin prolonge sur ce point le courant franciscain, atténué sans doute par une influence du stoïcisme romain qui avait retenu son attention à travers le De dementia de Sénèque. Plus d’un juriste protestant s’est rallié à cette position. Il importe de relever en ce sens avant tout l’exemple d’Hugues Doneau, dont nous savons déjà combien il a marqué l’univers juridique de Grotius.238
60C’est parmi les adversaires protestants des calvinistes orthodoxes qu’il faut rechercher les auteurs peut-être les plus rationalistes du camp réformé. On songe d’abord à Richard Hooker, qui ne cesse d’insister sur le caractère rationnel de la volonté divine ; si celle-ci a posé librement une loi éternelle, elle accepte maintenant d’en être liée et de ne pas l’outrepasser.239 De même, au niveau du droit naturel, la volonté humaine ne mérite véritablement son nom que si elle recherche le bien à la lumière de la droite raison ; sinon il ne s’agit pas de « volonté » au sens propre, mais d’un simple « appétit » inférieur.240 Cette recherche du bien coïncide avec celle même du droit naturel ; elle est dirigée par la raison, à laquelle la volonté est tenue d’obéir ; et, chose remarquable, Hooker envisage à cet égard une double méthode correspondant de manière frappante à celle que projettera Grotius trois décennies plus tard.241 Ce droit naturel, qui semble impliquer certaines valeurs objectives,242 est du reste clairement dissocié, tant du droit civil et du droit des gens, que du droit divin révélé. En voilà assez pour montrer que ce système est à maints égards comparable à ceux engendrés du côté catholique par le courant thomiste ; l’autorité de l’Aquinate est du reste invoquée à plusieurs reprises dans le premier chapitre de 1’Ecclesiastical Polity.243
61La concordance avec saint Thomas devient même parfaite chez François du Jon. Ses thèses théologiques De legibus Mosis iudicialibus et earum observatione, qui sont à peu près contemporaines du livre de Hooker, nous présentent un système de lois rigoureusement calqué sur celui du traité des lois de la Somme théologique. Dès la première page cela nous est illustré de manière éloquente par la définition générale de la loi que du Jon reprend textuellement de Thomas ;244 et l’analogie n’est pas moins remarquable tout au long du système quadripartite de lois qu’il développe dans la suite.245 On se trouve ainsi devant un véritable monument d’intellectualisme dans lequel la volonté ne semble plus avoir la moindre part. Du Jon est sur ce point aux antipodes de Calvin et de Luther.
62Toute lacunaire qu’elle soit, notre brève évocation des principales thèses protestantes en matière de droit naturel montre assez comment celles-ci ont eu le temps, au bout de quelques décennies, de parcourir tout le champ couvert par la scolastique, que les protestants affectent souvent de mépriser, mais qu’ils ignorent rarement et dont ils reprennent en pratique, avec quelques variations, les principales solutions. En dépit du manque d’originalité qui s’ensuit, la réflexion protestante paraît dans ce domaine plus intéressante qu’en matière de ius gentium. A ce titre déjà, le droit naturel protestant mériterait une étude globale approfondie ; et une telle étude s’imposerait, semble-t-il, tout spécialement au regard de Grotius.246
8. Le droit naturel de la Seconde scolastique
63Tournons-nous maintenant vers les initiateurs du renouveau catholique du xvie siècle. Au rebours des protestants, l’option dominante de ces auteurs va dans le sens de l’intellectualisme ; orientation due sans doute à l’héritage thomiste dont se réclament surtout les dominicains, plus tard aussi les jésuites, et qui les conduit assez naturellement à l’acceptation de l’objectivité de certaines valeurs morales. Plusieurs d’entre eux cherchent pourtant à tenir compte également, dans une mesure variable, de thèses volontaristes ; et celles-ci dominent même clairement chez quelques auteurs espagnols. Dès lors, on se retrouve là aussi devant un éventail doctrinal assez étendu et fort nuancé.
64Que la visée fondamentale de la Seconde scolastique soit d’ordre intellectualiste ne fait pas de doute. Ainsi, en commentant l’article même où Thomas déclare la loi en général être aliquid rationis, Cajetan explique que l’intellect, en effet, n’a besoin pour devenir loi que d’être mu par la volonté ; alors que la volonté a besoin, elle, pour devenir loi, et d’être mue et d’être réglée par l’intellect : ce qui confirme à ses yeux la supériorité de l’intellect sur la volonté en tant que principe de validité de la loi.247 Le général dominicain continue par se ranger du côté de celui qu’il commente en ce qui concerne la question, tout ensemble cruciale et symptomatique, de la dispensabilité des normes du Décalogue. Dans une longue glose, il prend position contre Duns Scot, dont on se souvient qu’il avait considéré comme dispensable les commandements de la seconde Table, alors que pour Thomas l’ensemble du Décalogue avait été indispensable, même au regard de Dieu. L’argumentation de Cajetan est significative quant à son intellectualisme. Pour justifier les précédents bibliques qui sont à l’origine de la solution de Scot – dont en particulier la spoliation des Egyptiens par Israël et le sacrifice d’Isaac commandé à Abraham – il adopte un double point de vue. Tantôt il considère la règle examinée en tant qu’elle participe de l’ordo iustitiae ; et à ce titre elle s’impose à son avis même à Dieu. Tantôt il la considère dans son application à une espèce concrète ; auquel cas Dieu peut la rendre inapplicable, non pas en suspendant sa validité, mais en modifiant la qualification de l’état de fait en cause : ce qui avait été la solution de Thomas. Est-ce à dire que la volonté divine puisse néanmoins se voir déterminée par un élément extérieur à elle-même ? A nouveau, Cajetan répond par une distinction. Il concède à Scot que tel n’est pas le cas dans l’absolu, en ce sens que Dieu garde en effet toute liberté quant à l’être ou au non-être des choses : et il y a là une échappée volontariste certaine. En revanche, dès qu’il s’agit d’une relation au sein même de la création, Sa liberté se trouve restreinte quant à la « rectitude » ou à 1’« obliquité » de cette relation : et en ce sens relatif, Cajetan admet la perséité de certaines valeurs morales même face à leur Auteur.248
65Vitoria ira encore plus loin dans cette direction en limitant la compétence du Créateur jusque dans l’acte même de la création. C’est ce qui paraît résulter du passage de sa Leçon sur l’homicide où il défend, contre Gabriel Biel notamment, l’existence de proprietates et inclinationes naturales découlant nécessairement de l’essence des choses, Dieu étant tenu, semble-t-il, tant par ces essences que par leurs conséquences, sans avoir pu leur donner une forme différente.249 L’ensemble du raisonnement est fortement intellectualiste. Cette même veine se poursuit dans la leçon où Vitoria s’interroge – de manière toute significative – sur les obligations de l’homme parvenu à l’usage de sa raison. A son avis, l’être humain capable de raisonner serait en mesure de pécher même s’il ignorait l’existence de Dieu. Toutefois, cela n’empêche pas Vitoria de prendre ses distances face à « l’imagination de Grégoire », à savoir la possibilité d’un péché en l’absence de loi ou même de législateur divins ; car au sens propre le péché implique à ses yeux une loi ; partant, il implique l’existence d’un législateur, encore que la loi puisse être communiquée « par la lumière naturelle ou par la révélation ».250 Par ce biais, Vitoria limite la thèse de l’objectivisme des valeurs morales, en rejetant l’idée de lex indicativa chère à Grégoire de Rimini. Le véritable enjeu du débat est donc toujours la notion même de loi naturelle et de ses conséquences morales. Les observations de Vitoria indiquent que l’on a parfaitement conscience, du côté catholique aussi, de cet aspect du problème.
66Toutefois, le fait de reconnaître la nécessité, pour qu’il y ait loi au sens propre, d’un supérieur qui l’édicté, n’implique pas fatalement le volontarisme juridique : c’est ce qu’illustre admirablement l’exemple de Soto, qui examine lui aussi ce côté problématique du concept de loi naturelle. Sa solution consiste à distinguer le mal moral représenté par certaines actions, du péché que celles-ci peuvent entraîner. La ratio mali se conçoit, nous dit Soto, « etiamsi per impossibilis cogitationem loquendo nec Deus esset neque alius superior »251 à cause du seul renversement de l’ordre de la raison : l’allusion au fameux passage de Grégoire-de-Rimini est évidente. Quant à la ratio culpae, en revanche, elle suppose à son avis, pour être réalisée, un supérieur auquel on est tenu d’obéir : et c’est à partir de là qu’il fausse compagnie à Grégoire.252 Or, malgré cette concession au volontarisme, Soto n’en demeure pas moins parfaitement rationaliste, autant que l’avait été Thomas d’Aquin lui-même : se posant en effet, dès l’entrée de son traité juridique, la question du fondement de validité de la loi, c’est en faveur de la raison, contre la volonté qu’il opte ;253 et cette conception s’affirme jusque dans la loi humaine, dont la validité dérive, elle aussi, de la loi naturelle, par le truchement de la raison.254 Enfin, la même doctrine perce dans la discussion de la loi mosaïque et de sa dispensabilité : ayant énuméré les principales positions – à savoir celles d’Occam, de Scot, de Thomas et de Durand – Soto se décide pour celle de l’Aquinate et reconnaît par là l’objectivité de certaines valeurs morales.255
67Pour être dominant au sein de la Seconde scolastique, le courant intellectualiste n’y est cependant pas exclusif, ainsi que l’atteste le cas du franciscain Alfonso de Castro. Conformément aux traditions de son ordre, l’idée qu’il se fait de la loi humaine – le seul type de norme à l’occuper en principe dans son étude sur la loi pénale – est rigoureusement volontariste. C’est ce que révèle sa définition de la loi en tant que « recta voluntas eius, qui vicem populi gerit, voce aut scripto promulgata, cum intentione obligandi subditos ad parendum illi »256 Seul l’adjectif recta sépare Castro des positivistes modernes ;257 il est vrai qu’il insiste beaucoup sur ce qualificatif ; pourtant, celui-ci paraît inessentiel pour fonder le caractère obligatoire de la loi humaine. Il n’est pas certain si Castro maintient cette conception en ce qui concerne la loi naturelle, et l’on est même tenté d’en douter. Qu’il se soit rangé sur ce point plutôt du côté des intellectualistes semble résulter de sa polémique contre une définition cicéronienne de la loi et surtout de sa division tout à fait thomiste des sources du droit. Ainsi, dans une discussion relative à l’erreur de droit et à son objet, le droit naturel se trouve clairement divorcé du droit divin positif :258 alors que celui-ci est séparable de la nature humaine, le droit naturel en est au contraire indissociable – ce qui rend l’erreur de droit excusable dans le cas du droit divin révélé pour ceux qui n’en sont point concernés, alors qu’aucun humain n’est excusable d’une ignorance du droit naturel. Castro n’indique d’ailleurs pas clairement la source de validité de ce droit naturel ; plusieurs indices font croire à son caractère rationaliste ; le fait qu’il est qualifié de « divin » laisse toutefois supposer un acte de « position » et donc de commandement implicite dans l’acte même de la création de la nature humaine.259 Castro trahit ainsi le même type de préoccupation que Vitoria ou Soto.
68Si chez Castro le volontarisme paraît confiné à la loi humaine, il n’en va plus de même chez le juriste Vasquez. S’interrogeant à son tour sur le caractère dispensable ou non du Décalogue, il pose le problème dans les termes mêmes de Soto en énumérant à sa suite les quatre positions soutenues par les scolastiques. Mais contrairement à Soto il se décide pour la position d’Occam. Il admet ainsi que Dieu ne pourrait certes pas, sans de justes raisons, dispenser l’homme de l’observation de Sa présente loi. Mais rien ne L’aurait empêché à son avis d’imprimer dans l’âme et dans l’esprit de Sa créature d’autres préceptes, obéissant à une rationalité différente.260 Cet acte, Dieu aurait été libre de l’accomplir dans le passé et II pourrait même, semble-t-il, y procéder dans le présent.261 Il s’ensuivrait un renversement total des valeurs. La volonté divine n’est ici arrêtée par aucune rationalité ; c’est plutôt celle-ci qui représente le libre produit d’une volonté en apparence purement arbitraire. Cette position, qui prend à dessein le contre-pied de celle de Soto, constitue un sommet de volontarisme au sein du camp catholique du xvie siècle ;262 elle dépasse clairement ce que même un Cajetan était prêt à concéder en ce sens.
69L’option intellectualiste continue cependant à porter la doctrine des théologiens. Malgré d’importantes nuances, cela vaudra encore pour les jésuites de la fin du xvie siècle ; ils nous intéressent ici d’autant plus qu’ils stimuleront directement la nouvelle réflexion grotienne en la matière. Thomistes au sens large, ils reconnaissent tous l’existence de valeurs morales objectives découlant d’une loi naturelle, mais ne s’accordent entièrement ni sur la nature de celle-ci ni sur ses conséquences. Selon toute vraisemblance, Grotius connaissait en 1625 les thèses de cinq d’entre eux au moins : Grégoire de Valentia, Gabriel Vazquez, Luis Molina, Francisco Suarez et Léonard Lessius.
70De Grégoire, retenons la définition de la loi naturelle : « naturale Rationis nostrae iudicium seu dictamen, quo per lumen nobis ab aeterno lege impressum & inditum, evidenter cognoscimus ea esse facienda, quae ita sunt recta, & naturae nostrae consentanea, ut ea negligere sit deforme & naturae repugnans ; & contra, ea esse vitanda, quae facere turpe sit, & naturae rationali minime congruum ».263 Cette définition réunit plusieurs des éléments qui figureront dans celle de Grotius, au point que l’on est tenté, de prime abord, de croire à un emprunt littéral. Cela vaut en particulier pour ce iudicium seu dictamen naturale rationis nostrae, dont la fonction est de dévoiler un rapport de valeur en prenant pour étalon la natura rationalis de l’homme, conçue elle aussi comme autonome par rapport à son Créateur. Cependant, à la différence de Grotius et d’une manière plus thomiste, Grégoire établit un lien avec la loi éternelle, garante de la validité de l’ensemble. Thomiste est aussi l’intellectualisme de Grégoire : son dictamen rationis comprend tout à la fois un jugement et un commandement ;264 partant, il suffit à constituer une authentique loi naturelle dont la validité actuelle est indépendante de tout commandement divin et dont la violation représente un véritable péché.265
71Un seul auteur est allé plus loin encore dans l’opposition au volontarisme, Gabriel Vazquez.266 Thomas d’Aquin, Grégoire de Rimini et son homonyme de Valence font primer la raison sur la volonté, mais reconnaissent au moins à titre implicite une subjectivité, qu’elle soit divine, angélique, humaine « ou autre, s’il y en avait une ».267 Or, voilà ce que Gabriel Vazquez écarte en affirmant que les valeurs morales statuées par la loi naturelle tiennent à un rapport rationnel, indépendant de la volonté et même de tout jugement divins. Elles se fondent sur « quelque chose d’antérieur », la nature même de Dieu. De ce rapport de convenance ou de discordance purement objectif naîtraient non seulement le bien et le mal, mais du même coup le péché. La nature elle-même devient donc en un sens législatrice. C’est à titre accessoire seulement que Dieu formule la loi, et ne saurait, semble-t-il, faire autrement que de l’édicter.268 Sa volonté législatrice, dont Vazquez s’empresse d’affirmer la réalité, même à l’égard des normes issues du droit naturel, n’a donc ici qu’une portée déclaratoire. Mais comme la notion même de loi, devenue purement « indicative » au sens de Grégoire de Rimini, menace de s’anémier, Vazquez préfère en fin de compte parler de ius naturale plutôt que de lex naturalis ; le terme de loi conviendrait en effet plutôt à la législation positive,269 œuvre d’un acte de choix et de volonté, qu’au droit naturel, règle du juste et de l’injuste totalement indépendante d’un tel acte.270
72Quant à Molina, tout en admettant également la perséité de certaines valeurs morales, fondement du droit naturel,271 il réserve cependant une part évidente à l’élément volontariste. C’est ce que fait apparaître en particulier sa critique d’une opinion de Gerson, qu’il ne reproduit du reste que déformée.272 Le Doctor christianissimus aurait soutenu que la loi naturelle ne pourrait d’aucune façon être qualifiée de loi divine.273 Molina estime pour sa part que, dans la mesure où l’on reconnaît qu’il s’agit bien d’une loi, elle doit avoir un auteur ; cet auteur ne peut être que Dieu en tant que créateur de la nature ; si bien que la loi naturelle est divine aussi, lors même qu’elle n’a pas été révélée.274 Bien qu’en partie mal fondée, cette polémique fait du moins apparaître la conception molinienne de la loi naturelle : car, chemin faisant, il concède à Gerson que « si par impossible il n’y avait point de Dieu, si c’était de nous-mêmes que nous tenions la lumière naturelle de l’intellect qui nous indique le bien à faire et le mal à fuir, ... ces jugements de notre intellect ne seraient pas à proprement parler des lois, puisqu’ils ne proviendraient pas d’un supérieur et ne sauraient donc entraîner ni faute ni péché à l’égard de Dieu ».275 S’opposant implicitement à l’objectivisme extrême des valeurs morales, Molina aboutit donc sur ce point à une position rappelant celles de Vitoria et de Soto.
73Il sera suivi dans cette voie médiane par Suarez, qui marie en un remarquable compromis l’intellectualisme et le volontarisme. Sa conception de la loi naturelle résulte en grande partie d’une critique des thèses de Vazquez. Sans rejeter l’idée de l’objectivité des valeurs morales statuées par la loi naturelle, il juge la construction de son adversaire insuffisante sur deux points principaux : l’un a trait à la conception même de cette objectivité ; l’autre, à la notion de loi.
74Vazquez avait choisi pour mesure du rapport de convenance ou de répugnance la natura rationalis elle-même. Suarez estime qu’il faut dissocier deux choses, la nature et la raison naturelle. La première constitue le fondement du rapport en question ; mais seule la seconde peut servir de support à une loi naturelle. Suarez réintroduit ainsi la subjectivité que Vazquez avait éliminée : outre le rapport en tant que tel, il exige un acte de jugement, dictamen naturale rectae rationis.276
75L’autre objection est tirée de la notion même de loi : il n’y a loi, estime Suarez, que si la règle énoncée s’accompagne d’un effet obligatoire ; cet effet ne peut provenir que d’une volonté législatrice et partant d’un législateur. Contrairement à Thomas, Suarez fait primer la volonté sur l’intellect au sein de la loi.277 On ne pourra donc parler de « loi » naturelle qu’à la condition qu’elle exprime la volonté d’un législateur. C’est ce qui lui fait rejeter la notion de lex indicans introduite par Grégoire de Rimini ; et à plus forte raison il refuse de considérer comme loi naturelle ce que Vazquez avait fait passer pour tel.278
76A partir de là, Suarez construit sa propre notion de loi naturelle. En tant que loi, celle-ci suppose à son avis par définition un acte de volonté statuant des obligations, le législateur n’étant autre en l’espèce que Dieu.279 S’agissant cependant de loi naturelle, ce commandement n’est pas arbitraire et ne saurait constituer à lui seul la valeur morale des actions réglementées. C’est en effet de la qualité morale intrinsèque des actions concernées que dépend au premier chef cette valeur : car, révélée par un acte de jugement de la droite raison, leur nature intrinsèque suffit à rendre bons ou mauvais ces actes, bien que sans le concours du commandement divin il n’en découle aucun effet obligatoire.280 La loi naturelle naît ainsi de la conjonction d’une valeur morale objective inhérente aux actions et d’un acte de volition divin dont la teneur correspond certes nécessairement à la nature de l’acte, mais qui est seul en mesure de statuer à son sujet une obligation véritable.281 Incluant un double élément volontariste et intellectualiste, la construction de Suarez dépasse donc les positions antagonistes de Thomas d’Aquin et de Duns Scot par une authentique synthèse.
77Enfin, il y a lieu de s’arrêter brièvement au disciple de Suarez que fut Léonard Lessius. Non pas qu’il ait beaucoup approfondi le ius naturale ; pourtant, la brève description qu’il en donne est d’autant plus intéressante au regard de la conception de Grotius que celui-ci semble avoir lu à fond le De iustitia et iure du jésuite.282 L’intérêt de sa définition ne provient pas de ce qu’elle fait naître le droit naturel ex ipsis rerum naturis, c’est-à-dire ex natura rationali, & naturali conditione operum ; ni de ce que la « rectitude » de ce droit résulte de la natura rerum elle-même, si bien qu’elle se voit soustraite à tout acte de commandement libre, tant divin qu’humain, et que le droit naturel en ressort immuable.283 Tout cela n’est pas très noveau. Importe davantage la condition qui sous-tend ces affirmations : à savoir l’existence d’une nature humaine donnée : supposita existentia naturae humanae. Car c’est seulement parce que celle-ci est supposée constante que le droit naturel qui en résulte est qualifié d’immuable : « sicut naturae conditio est immutabilis, ita quoque lex naturalis est immutabilis, manentibus iisdem circumstantiis rerum ».284 Or, le passage n’exclut pas que Dieu puisse modifier ces « circonstances » ; et à notre avis cette possibilité transparaît en filigrane dans les tournures de Lessius. D’où l’importance de ces brèves notations pour les thèses grotiennes sur ce point : comme on cherchera à le montrer dans la suite, l’immutabilité du droit naturel, que le juriste hollandais affirme avec plus de force encore que le jésuite belge, doit s’entendre toujours sur ce mode relatif et avec cette réserve qui maintient en fin de compte à Dieu toutes ses compétences envers Sa créature.
78Tels sont, jusqu’à Grotius, les protagonistes du débat sur le droit naturel ou plutôt la loi naturelle. Comme la doctrine de la guerre juste, ce débat jaillit de quelques thèmes hérités de l’antiquité, mais qui ne se profilent et ne s’affrontent véritablement qu’à partir de la scolastique médiévale. Gratien seulement réunira les principaux éléments qui conditionnent les positions subséquentes. Elles se développent entre deux extrêmes : d’un côté, le légalisme judéo-chrétien qui trouvera sa principale expression dans le volontarisme franciscain ; de l’autre, l’intellectualisme antique, dont saint Thomas et ses successeurs dominicains et jésuites se feront les champions. Le double enjeu porte, d’une part, sur la notion même de loi et son essence, d’autre part, sur l’autonomie de l’ordre moral face à son Auteur. Toutefois, l’opposition demeure longtemps bien plus discrète et implicite, moins globale, moins absolue et radicale que nous sommes tentés de l’admettre en rétrospective. Elle ne sera réalisée dans toute son ampleur et formulée dans toute son acuité qu’à partir de la Seconde scolastique, et notamment par les jésuites précédant immédiatement Grotius.
9. La relativité du revirement grotien en matière de droit naturel
79Revenant à notre juriste, nous voyons de prime abord nos impressions précédentes se confirmer : envisagées sur cet arrière-fond doctrinal, les deux conceptions grotiennes du droit naturel paraissent diamétralement opposées. Celle du Mémoire semble tenir du volontarisme scotiste et occamiste perpétué au xvie siècle dans le protestantisme. Le droit naturel du Traité peut en revanche se rattacher au courant thomiste qui, s’inspirant de l’idéalisme hellénique, commande au xvie siècle la majorité de l’école ibérique, malgré une part de volontarisme perceptible chez presque tous ses représentants. Le revirement paraît absolu et radical : comment concilier l’etiamsi daremus du Traité avec le stat pro ratione voluntas régissant le droit naturel du Mémoire ? On songe à l’interprétation d’un Ambrosetti, pour qui Grotius aurait été dominé d’abord par des conceptions protestantes du droit naturel, pour se convertir vingt ans plus tard, sous l’influence de la scolastique espagnole, à la thèse de la perséité des valeurs morales.285 Selon Droetto, la volte-face serait même plus totale, puisqu’elle conduirait Grotius à se détacher de la mouvance de la théologie scolastique pour entrer dans celle de la pensée moderne.286 Les deux interprétations reviennent à constater au sein de la pensée grotienne un net revirement, assez comparable, semble-t-il, à la rupture qui surviendra dans les conceptions de Leibniz en matière de droit naturel.287 Ces interprétations paraissent à première vue plausibles. En fait, pourtant, même celle d’Ambrosetti nous paraît aller trop loin ; à plus forte raison doutons-nous du bien-fondé des vues de Droetto.
80En effet, parler d’une rupture, impliquerait non seulement un bouleversement en profondeur du système, par opposition à une simple modification en surface, mais supposerait encore qu’aux deux moments envisagés Grotius ait eu conscience au même degré de l’alternative avec toutes ses implications ; de sorte qu’en optant d’abord pour le volontarisme il aurait repoussé l’intellectualisme avec autant de délibération et de vigueur qu’il aurait fait l’inverse deux décennies plus tard. A moins d’un tel retournement de l’intention, il vaut mieux parler, plutôt que d’une véritable rupture, d’un développement accompagné d’une importante correction. Nous croyons que le revirement ne dépasse en fait guère cette ampleur. Car aucune des deux positions n’exclut la thèse adverse aussi radicalement que l’apparence le suggérerait ; et l’on trouve même dans chacune d’elles des traces discrètes de l’autre. Reconsidérons-les toutes deux à ce point de vue.
81Concernant le droit naturel du Mémoire, n’allons pas mettre en doute son caractère volontariste : les deux regulae qui l’énoncent comportent le même velle que les sept autres ; elles sont toutes solidaires et en fin de compte suspendues à la volonté qui s’exprime dans la première d’entre elles, celle de Dieu lui-même.288 On ne contestera pas non plus que Grotius dût être conscient d’un choix possible, puisque l’opposition aristotélicienne entre le juste naturel et le juste positif lui était connue dans son principe ; sans doute est-ce à l’Aquinate qu’il emprunte la formule qu’il attribue à Anaxarque, cette même formule qu’il mettra dans le Traité au service de la thèse opposée.289
82Pourtant, tout en insistant on ne peut plus clairement sur l’aspect volontariste, le Mémoire n’exclut nulle part en termes exprès la position intellectualiste ; et l’on peut même y repérer plus d’un élément qui viendra à prévaloir en 1625. Car déjà Grotius déclare que de la création résulte un « ordre naturel » et que les êtres sont dotés de « certaines propriétés naturelles » traduisant « l’intention du créateur » en dehors de toute révélation directe ;290 et c’est par déduction nécessaire que semblent se dégager de ces propriétés initiales le bien et le mal, ainsi que les normes qui leur correspondent. En ce sens, Grotius parle d’un ius per se, par opposition au droit positif qui est un ius ex alio, dû à un acte de volonté humain.291 Nous connaissons du reste déjà les deux pulsions fondamentales qui animent cet ordre naturel, l’instinct de conservation et la sociabilité, dont la coexistence préfigure le système de 1625. Or, déjà la sociabilité est en fait confinée à l’être rationnel qu’est l’homme, donnant naissance, sans aucun acte de volonté véritable, au consensus gentium et à la concordia universalis, fondements d’un droit naturel secondaire spécifiquement humain, appelé de ce fait également droit des « gens » primaire.292 Là encore, n’est-ce pas de façon nécessaire que ce « consentement », cette « concorde » tendent « vers le bien et le vrai », alors que « le mal et l’erreur » seraient par essence « infinis et contradictoires », ce qui les rend inaptes, semble-t-il, à faire l’objet d’un accord ?293 Du reste, en 1625 encore Grotius admettra que le droit naturel puisse être établi, au moins a posteriori, à l’aide de ce sensus communis dont les résultats doivent en principe correspondre à ceux obtenus par la méthode a priori, « plus subtile », opérant par « rei alicuius convenientia aut disconvenientia necessaria cum natura rationali ac sociali ».294 Déjà en 1605, c’est par sa rationalité que l’homme s’apparente à Dieu malgré son actuelle déchéance : un vers d’Epicharme met en évidence cette base commune si fortement accentuée par Cicéron.295 Comment du reste Grotius aurait-il pu songer, en dehors de cette hypothèse fondamentale de rationalité, à conduire ses démonstrations « à l’exemple des mathématiciens » ?296 Par sa cohésion même, l’ensemble du système suppose une sorte de nécessité intrinsèque, celle-là même qu’exprimeront en toute clarté les deux célèbres passages de 1625.297 Le droit naturel secondaire de 1605 en est déjà tout empreint : déjà, il n’est que le produit médiat d’une volonté divine essentiellement rationnelle.
83Remarquons d’autre part que Grotius avait sans doute conscience, au-delà de l’apparente uniformité des regulae énonçant les sources du droit, de la différence qualitative de ces « volontés » qui s’enchaînent. Les velle du particulier, des citoyens ou du magistrat, dont dérivent respectivement les contrats et les lois civiles, n’ont rien à voir avec le velle de Dieu, qui est non seulement législateur mais encore créateur d’un ordre naturel supposé rationnel et immuable.298 N’est-il pas significatif, du reste, que ce soit au traité des lois de saint Thomas que Grotius renvoie sur ce dernier point, et plus précisément à la définition de la lex aeterna en tant que « ratio divinae sapientiae, secundum quod est directiva omnium actuum et motionum » ?299 Quant à cet autre velle qui, intercalé entre ces extrêmes, donne naissance au droit naturel secondaire, il est issu du consentement des êtres humains en tant que tels ; or, cette « volonté », qui est plutôt une sorte de concordance générale et spontanée, les habite pour ainsi dire malgré eux ; elle n’est en rien assimilable à l’acte de volonté arbitraire qui fonde le droit positif : reflet indirect de la volonté divine, elle implique déjà une nature spécifiquement humaine, incontestablement sociable et rationnelle.300 Ainsi, derrière la façade uniformément volontariste, on détecte maints aspects qui ne paraissent pas incompatibles avec le droit naturel de 1625.301
84Considérant maintenant ce dernier, on ne contestera point qu’il tient en principe bien du courant intellectualiste, tel qu’il s’était cristallisé dans la doctrine dominicaine et jésuite au xvie siècle. Toutefois, c’est pour cette raison même qu’il n’exclut pas nécessairement une composante volontariste. De fait, c’est là l’impression que laisse une confrontation avec le droit naturel des jésuites. A bien considérer la célèbre définition énoncée au premier livre du De iure belli ac pacis, on note en particulier qu’elle semble réunir les éléments décisifs de la conception suarézienne : conjonction d’une composante volontariste, le commandement divin, et d’une composante rationaliste, dédoublée elle-même en une valeur morale inhérente à l’action envisagée, grâce à son rapport avec la nature rationnelle, et un jugement porté sur ce rapport par la recta ratio.302 On conviendra certes que l’accent s’est un peu déplacé. Suarez avait insisté d’abord sur l’aspect volitif ; Grotius ne le mentionne qu’à la fin, après l’élément objectif qui semble primer dans sa pensée. Est-ce à dire que le commandement divin n’aurait à ses yeux qu’une fonction déclaratoire et accessoire dont on pourrait au fond se passer, l’obligation étant pleinement constituée par le rapport objectif et rationnel de valeur ? On se rapprocherait alors de la position de Gabriel Vazquez, ainsi que d’aucuns l’ont soutenu.303 Leur avis paraît corroboré d’abord par la systématique grotienne, qui, opposant le droit naturel au droit « volontaire », semble exclure du droit naturel tout élément volitif ;304 et l’on fera valoir dans le même sens les deux fameux passages déjà évoqués où Grotius affirme l’immutabilité du droit naturel même au regard de Dieu, et sa validité, même dans l’hypothèse de l’inexistence de Dieu.305 Nous croyons pourtant que l’on attache à ces deux formules une portée que Grotius ne leur a jamais attribuée ; et que sa systématique ne l’empêchait nullement d’inclure dans la définition du droit naturel une composante volitive. Dès lors, sa position réelle coïncide davantage avec les thèses de Suarez, de Lessius ou de Molina qu’avec celles de Vazquez ou de Grégoire de Valentia.
85En ce qui concerne d’abord l’immutabilité du droit naturel, elle n’a qu’une portée relative. De toute évidence, Dieu reste l’auteur de la nature et, partant, l’auteur médiat du droit naturel ; aussi, Grotius continue-t-il en plusieurs endroits à qualifier celui-ci de divin.306 Ce qu’il refuse à Sa puissance n’est ni la possibilité d’avoir pu créer un monde différent, régi par un autre droit naturel ; ni même probablement le pouvoir actuel de le faire : mais uniquement, après avoir créé l’homme de la sorte, l’ayant doté d’un être spécifique, d’une nature rationnelle et sociable, de lui imposer arbitrairement un droit naturel différent de celui qui résulte avec une nécessité quasi-mathématique de ses propriétés intrinsèques.307 En définitive, il refuse à Dieu la liberté de se contredire, ainsi que l’avaient fait Cajetan et Fernando Vasquez. Dès lors, son droit naturel n’implique pas l’absolue nécessité que Gabriel Vazquez lui avait attribuée à raison de ce quid prius conditionnant le pouvoir divin jusque dans l’acte même de la création.
86Quant à l’autonomie du droit naturel face au Créateur censée découler de l’hypothèse etiamsi daremus, certains en font remonter l’idée à Marc-Aurèle ;308 mais c’est avec raison, croyons-nous, que d’autres y ont vu avant tout un souvenir scolastique.309 Peu importe du reste que Grotius le tienne de Grégoire de Rimini lui-même ou seulement de seconde main, de Biel, de Soto, de Molina, de Vazquez ou de Suarez : en tout état de cause, c’est à tort qu’on y a vu l’acte décisif fondant le caractère purement séculier du droit naturel. Car dès avant lui plusieurs scolastiques, dont en particulier Vazquez, sont allés au moins aussi loin dans cette direction.310 Reste à savoir si Grotius entendait les suivre ou si ce n’est pas plutôt vers Suarez qu’il s’est orienté en fait.
87Plus qu’ailleurs, la numérotation postiche311 des Prolégomènes entrave ici l’intelligence du texte : c’est seulement en lisant le passage dans sa continuité initiale qu’on parvient à évaluer correctement la portée de l’hypothèse etiamsi daremus, qui est fonction étroite du contexte. Car, s’il est vrai que l’ensemble est bien articulé, la segmentation artificielle n’en menace pas moins de faire perdre de vue le rôle exact que l’argument est censé y jouer. On est en présence d’une formule qui tout à la fois précise ce qui vient d’être développé et assure la transition vers un aspect nouveau du raisonnement. Grotius vient de poser, contre l’opinion symbolisée par Carnéade, l’existence d’un droit naturel fondé sur la nature sociable de l’homme ;312 de ce droit, il a énoncé plusieurs règles fondamentales, et c’est d’elles qu’il soutient qu’elles vaudraient « même si Dieu n’existait pas où n’avait cure des affaires humaines ». Mais cela ne constitue que le début d’une période qui, affirmant aussitôt l’existence de Dieu, débouche sur le droit divin volontaire : telle est la transition que la formule est censée assurer.313
88Or, ce contexte montre à l’évidence que l’hypothèse etiamsi daremus est pour Grotius, comme pour ses prédécesseurs scolastiques, précisément une simple hypothèse, posée d’emblée comme absurde, mais qui permet de mieux cerner la portée d’une affirmation.314 Malgré sa tournure en apparence absolue, il se meut, là encore, dans le relatif.315 Ce qu’il entend mettre en lumière n’est autre, à nouveau, que la base objective et la nécessité interne du droit naturel, qui sont en effet indépendants de la volonté divine ;316 mais il ne s’agit que d’une nécessité et d’une autonomie rélatives, valant pour la création actuelle.317 Voilà tout ce que veut illustrer l’hypothèse de l’inexistence de Dieu.
89Elle ne vaut pas au-delà de ce point précis : toute la suite, et les protestations mêmes de Grotius, dont la sincérité ne saurait laisser le moindre doute chez cet homme profondément croyant, démontrent bien qu’il ne songe pas un instant à nier la compétence de Dieu à l’égard du droit naturel ; à cette nuance près qu’il s’agit d’une compétence indirecte, celle d’un créateur plutôt que d’un législateur. Car Son rôle d’auteur médiat est aussitôt réaffirmé avec force, au point qu’on se sent reporté au début très volontariste des prolégomènes de 1605.318 Or, pas plus que dans l’autre passage, Grotius n’entend restreindre ici à la manière de Gabriel Vazquez la liberté divine dans l’acte même de la création, en l’enchaînant à l’impératif de sa propre rationalité. Retournant une formule de Dufour, on pourrait dès lors parler, à propos des deux passages étudiés, d’une « réserve volontariste »,319 encore qu’elle demeure implicite.
90Mais, revenant à la définition du droit naturel figurant au chapitre premier,320 il est même permis d’aller plus loin et d’affirmer que le rôle de la volonté divine ne se limite pas à la création de la nature ; elle conditionne en outre directement la validité du droit naturel en tant que loi obligatoire. Malgré les apparences, la fonction du commandement divin n’y est pas simplement déclaratoire. Serrant la définition de plus près, on s’aperçoit que Grotius y distingue en réalité la valeur morale en tant que telle et l’obligation imposée à l’homme. La première existe objectivement, en dehors de la volonté actuelle de Dieu ; mais elle ne suffit pas à constituer l’obligation au plein sens du terme, qui ne résulte que du commandement divin. Voilà ce que Grotius entend exprimer en utilisant tour à tour deux couples d’adjectifs distincts : la valeur morale objective – moralis turpitudo ou necessitas moralis – s’exprime par le couple debitum-illicitum ; l’obligation au sens propre se traduit en revanche par le couple vetitum-praeceptum.321
91Or, ne retrouve-t-on pas là très précisément la distinction que Vitoria et Soto avaient fait valoir contre Grégoire de Rimini et Gabriel Biel, et qu’à son tour Suarez avait opposée au raisonnement de Vazquez ?322 Grotius reprend bien la distinction suarézienne entre, d’une part, la « bonitas vel malitia ex vi obiecti praecise spectati, ut est consonum, vel dissonum rationi rectae, & secundum eam [actus] posse denominari, & malum, & peccatum, & culpabilem secundum illos respectus, seclusa habitudine ad propriam legem » ; et, d’autre part, la « specialis ratio boni et mali in ordine ad Deum addita divina lege prohibente vel praecipiente ».323 Or nous savons que Suarez avait, lui aussi, établi une relation nécessaire entre les deux choses, Dieu ne pouvant refuser d’interdire ce qui est intrinsèquement mauvais ni omettre de commander le bien. C’est dans le même sens qu’il faut entendre les deux adverbes consequenter et necessario appliqués par Grotius à la sanction divine : chez les deux auteurs, cette sanction est donc tout à la fois « obligée » et constitutive de l’obligation.
92Du reste, cette conception n’est pas absente non plus de l’hypothèse etiamsi daremus des Prolégomènes : car Grotius l’accompagne d’une restriction qui, bien qu’en général inaperçue, est un indice de la relativité de tout son raisonnement. Au lieu d’affirmer simplement la validité du droit naturel en dehors de la volonté divine, il dit, avec une nuance, que « tout cela aurait lieu, en quelque manière, à supposer même que Dieu n’existât point ».324 Ce locum aliquem haberent ne saurait être, à notre avis, qu’une allusion au fait que les principes de droit naturel précédemment énoncés suffiraient certes en eux-mêmes à constituer le bien et le mal en soi et auraient à ce titre quelque incidence sur la conduite humaine, mais qu’une obligation véritable, dont la violation entraînerait un péché, ne résulterait à leur égard que de la sanction divine concomitante.325
93Les deux passages en cause ont donc en substance la même portée, essentiellement relative : ce que Grotius avait posé au début de sa rédaction, il le réaffirme de façon elliptique dans les Prolégomènes. Bien que son intention soit un peu différente dans les deux endroits,326 il est permis de les rapprocher : tous deux établissent l’existence d’un droit naturel, nécessaire au sens où l’entendront Leibniz, Wolf et Vattel, mais qui, pour être constitué en loi authentique, s’accompagne d’un commandement divin.
94C’est par là que cette position correspond sur tous les points décisifs à celle de Suarez et s’oppose implicitement à celle de Vazquez.327 Caractéristique nous paraît à cet égard, outre l’élément volontariste du commandement, la scission qu’opère Grotius entre la recta ratio et la natura rationalis, la médiation étant assurée par le dictatum… indicans : les trois facteurs figurent chez Suarez.328 Or celui-ci les avait énoncés contre les thèses de Vazquez, à qui importait seul le rapport de valeur objectif, cet aliquid prius situé en dehors de tout acte de jugement ou de volonté, fussent-ils divins.329 D’ailleurs la convergence avec Suarez se confirme par les quatre spécifications que Grotius apporte à sa notion de droit naturel.330 En ce sens, Reibstein a raison de parler, à propos de Suarez et de Grotius, au rebours de l’opinion traditionnelle qui voit dans ce dernier le laïcisateur du droit naturel,331 d’une Retheologisierung des Naturrechts : si ce n’est qu’elle se dirige, à notre avis, moins contre le juriste Fernando Vasquez, comme il l’admet, que contre le théologien Gabriel Vazquez.332 Quoi qu’il en soit, retenons que la volonté divine, loin d’être absente du droit naturel de 1625, demeure donc essentielle pour son caractère de loi obligatoire.333
95Si notre analyse des deux conceptions grotiennes du droit naturel est correcte, leur divergence, réelle au demeurant, est cependant moins considérable que les formulations tranchées de notre auteur pourraient le faire croire : il s’agit plutôt d’une importante correction à laquelle Grotius n’attachait sans doute pas le poids que nous sommes tentés de lui attribuer avec trois siècles et demi de recul. La différence réside dans les formules plus que dans le fond.334 Les deux œuvres nous mettent en présence d’un droit naturel composite où se conjuguent des éléments volontaristes et intellectualistes, bien que leur harmonie soit pour ainsi dire renversée. Aux yeux de notre auteur, les deux conceptions ne s’excluaient sans doute pas véritablement. Plusieurs passages du Traité montrent que Grotius n’entendait pas y rejeter sa pensée de 1605 : ainsi, tout le début du chapitre concernant la licéité de la guerre ;335 et, plus encore, le début des Prolégomènes, qui, malgré l’hypothèse etiamsi daremus, rappelle en nombre de points le système juridique du Mémoire.336 N’est-il pas significatif, aussi, que la note rattachée dès l’édition de 1642 à la définition du droit naturel au premier chapitre, invoquera côte à côte les autorités de Thomas et de Scot ?337 Enfin, on l’a déjà dit, même en 1625 Grotius n’hésite pas à affirmer que le droit naturel « peut être dit également divin » ;338 en effet, « bien qu’il résulte de principes inhérents à la nature humaine, il est cependant attribuable à Dieu puisque c’est Lui-même qui a voulu que de tels principes existassent en nous ».339
96Ce n’est donc pas tant le droit naturel en soi qui se transforme, que surtout sa place au sein du système. Tout se passe comme si Grotius éclairait de plus près, en 1625, un aspect de la pyramide légale de 1605, laissé alors dans l’ombre, pour en faire apparaître maintenant la structure interne. Ce nouvel éclairage porte moins sur le droit naturel que sur son mode de dérivation ou, si l’on veut, sur le sommet de la pyramide. C’est là, en effet, que se situe l’origine de la divergence. Le système du Mémoire renonce encore à dissocier les fonctions créatrice et législatrice de Dieu : toutes deux restent confondues dans le velle divin, de sorte que, malgré une différenciation implicite, le droit naturel demeure proche à la fois de son homologue primaire et de la loi divine révélée. Conséquence directe de cette option : la nature humaine n’est pas aussi clairement singularisée, bien que le raisonnement de Grotius, on vient de le dire, implique l’existence d’une telle nature, qui y forme déjà le soubassement du droit naturel secondaire. Le Traité, au contraire, envisage séparément les deux fonctions divines, ce qu’exprime à l’évidence le nouvel emploi de la formule d’Anaxarque ;340 corrélativement, il reconnaît un statut nouveau à la nature humaine en approfondissant ses qualités intrinsèques dont apparaissent maintenant toutes les conséquences, même face au Créateur de cette nature. Dès lors, ce n’est plus que de façon médiate que Dieu garantit la validité du droit naturel, à travers Sa créature qui ne laisse pas, elle, d’être le produit de Sa libre et souveraine volonté.
10. Confirmation du caractère relatif et graduel de cette évolution par d’autres écrits de Grotius
97La relativité de ce changement nous est dévoilée aussi par un examen des écrits de Grotius faisant état de la problématique du droit naturel entre 1605 et 1625. Aucun de ces écrits ne révèle la moindre rupture ; ils témoignent plutôt d’un élargissement progressif au cours des années, ainsi que d’une lente transition où des motifs volontaristes et intellectualistes, loin de jamais s’exclure, ne cessent de se côtoyer et de s’associer en des proportions toujours nouvelles. L’impression dominante qu’on en retire est que, très tôt déjà – peut-être dès avant la rédaction du De iure praedae –, les grandes lignes de la pensée juridique grotienne sont acquises : et que toute la suite se réduit à un approfondissement de certains aspects.
98Commençons par l’écrit sans doute le plus contemporain du Mémoire – encore que la date de sa composition nous échappe en l’état actuel de nos connaissances –, à savoir les thèses réunies dans le libelle De acquitate, indulgentia et facilitate341 Grotius cherche à y montrer que ces trois vertus, qui relèvent à son avis toutes de la volonté, ne sont point en conflit avec celle de justice, prise au sens général de justice légale. C’est avant tout son examen de l’aequitas et de l’indulgentia qui sont ici de quelque intérêt.
99Analysant en effet les propriétés de ces deux vertus, Grotius les confronte avec les diverses catégories de lois ; cela nous vaut une esquisse d’un système légal qui reproduit en gros celui du Mémoire, peut-être grâce à une commune inspiration vasquézienne. Mais il s’y ajoute une importante nuance, sans doute d’origine thomiste : le droit naturel se trouve clairement dissocié du droit divin révélé. Alors que le premier repose sur les notitiae imprimées par Dieu en l’homme, le second résulte de règles ordonnées par Dieu extra ordinem.342 L’apparence très volontariste du Mémoire s’en trouve aussitôt considérablement atténuée.
100Est-ce à dire que l’aspect rationaliste en gagne du terrain pour autant ? On ne saurait l’affirmer sans réserves, bien que plus d’un indice aille dans ce sens. Que le double thème de la perséité de certaines valeurs morales et de l’immutabilité des lois correspondantes affleure dans cet écrit n’étonne guère : n’est-ce pas précisément le problème de la dispense qui depuis des siècles avait été l’une des sources du débat sur les propriétés de la loi naturelle ? De fait, plusieurs passages semblent impliquer l’idée de l’immutabilité des valeurs morales. Ainsi, Grotius évoque en un endroit ce qui est inhonestum simpliciter et ce qui est ex officio necessario faciendum ;343 plus loin, il oppose entre eux les naturaliter illicita et les civiliter illicita ;344 ailleurs encore, certains vices et vertus sont considérés comme infinita.345 Dans tous ces cas, il exclut l’intervention soit de l’équité soit d’une dispense ; toutefois, dans les trois cas, il n’envisage la question qu’au point de vue de l’autorité humaine.
101On trouve en plus diverses mentions d’une catégorie de normes spéciales appelées prima principia naturae ; ces principes semblent représenter les normes suprêmes du droit naturel, et Grotius leur reconnaît de ce fait une absolue précellence.346 En guise d’illustration, il cite l’amour et le culte de Dieu.347 Songe-t-il à Duns Scot qui avait vu dans ces règles de la première Table du Décalogue précisément le droit naturel au sens propre, immuable au regard même de Dieu puisque simple émanation de son être ?348 L’origine immédiate de ces prima principia se situe sans doute plutôt chez Soto, qui lui-même en tient la notion de saint Thomas :349 et c’est bien en des termes voisins des deux dominicains que Grotius justifie la spoliation des Egyptiens par Israël, ainsi que le sacrifice d’Isaac par Abraham, en refusant d’admettre qu’il y ait eu dans ces cas une véritable dispense.350 La remarque se limite-t-elle à la simple constatation qu’une telle dispense n’a pas été accordée ou implique-t-elle en outre l’impossibilité pour Dieu de l’accorder ? Le contexte favoriserait la seconde interprétation ; toutefois, un peu plus loin Grotius semble reconnaître le pouvoir de dispense divin à l’égard de toute loi, ce qui tend à exclure qu’aucune d’entre elles soit absolue. La question ne se pose pas de la même façon en ce qui concerne l’application de l’équité à ces prima principia naturae ; Grotius se borne à lui refuser ici la moindre place.351
102En définitive, le problème qui nous occupe n’est pas encore clairement posé dans ces thèses de jeunesse. La principale impression qui s’en dégage est celle d’une remarquable neutralité entre les deux pôles du volontarisme et de l’intellectualisme. Et en un sens c’est là, malgré les oscillations que nous enregistrons dans la suite de son évolution, la caractéristique de fond du droit naturel grotien.
103Notre problème affleure à nouveau dans la préface du Mare liberum écrite en automne 1608. Grotius y oppose d’emblée à l’opinion de ceux qui ne voient dans le droit que coutumes arbitraires et pouvoir déguisé – soit ceux que symbolisera Carnéade en 1625 et dont l’ancêtre est sans doute le Trasymaque de la République de Platon – une double notion de juste et d’injuste suapte natura.352 D’aucuns y ont perçu l’amorce d’un revirement par rapport au volontarisme initial de notre auteur.353 Mais un examen du texte nous persuade du contraire. Sans doute le mot de nature s’y trouve-t-il accentué d’une façon nouvelle ; sans doute les lois qui en procèdent imposent-elles à l’humanité un ordre de justice objectif et immuable. Mais cette double qualité, Grotius la met en valeur surtout à l’égard de l’homme : ce qu’il avait déjà sous-entendu dans le Mémoire. Ce droit naturel ne dérive-t-il pas, du reste, là aussi, de propriétés que Dieu a ancrées dans l’humaine nature, et dont II continue à garantir la validité en tant que conditor rectorque universi ?354 II est difficile d’apercevoir là un revirement ; il se peut en revanche que Grotius ait commencé à se rendre compte d’une faille possible dans son système initial ; en accentuant cet aspect demeuré jusque-là implicite, il aurait cherché à y obvier.
104On en doute cependant à la lecture de l’écrit ébauché un lustre plus tard environ et qui devait préparer la défense de ce même Mare liberum contre les assauts de Welwod : nous visons plus précisément le passage des folios 10 et 10’ de la Defensio, où Grotius achève la phase « inartificielle » de sa démonstration, fondée sur des arguments d’autorité, avant d’aborder la démonstration « artificielle », étayée au contraire par des arguments rationnels.355 La nature de ce passage explique sans doute pourquoi cette conclusion intermédiaire, qui assure en même temps la transition, respire une atmosphère on ne peut plus « volontariste » : car Grotius s’y emploie tout entier à montrer que l’argumentation fondée sur l’autorité suffirait en l’espèce pleinement, sans aucun secours de la raison. Ce mode de preuve, qui vaut à coup sûr pour le droit divin révélé, il ne voit pas pourquoi « on ne retendrait point à certaines normes du droit des gens ». Bien entendu, Grotius vise le ius gentium primarium, qu’il dit « statué par une sorte de providence divine », selon la formule des Institutes de Justinien :356 en dehors de toute révélation directe, Dieu en a « insinué » les normes dans l’âme humaine, et ce « divin instinct » suffit à les rendre obligatoires, à supposer même qu’elles ne puissent se justifier par le moindre argument rationnel. Ce droit des gens « naturel », nous le savons, il l’oppose à la fin du passage à un autre ius gentium, « qui tire son origine du consentement tacite des peuples » ; pourtant il les rapproche au point de vue du mode de preuve – qui reste en cet endroit son propos essentiel – puisque tous deux s’établissent « tant par l’usage très ancien des nations civilisées, que par l’autorité de leurs plus grands sages ».357 Malgré leurs fondements distincts, les deux catégories de normes peuvent donc, le cas échéant, être pleinement obligatoires « etiamsi causa esset obscura, cur ita constitui debuisset ».358
105Ainsi, l’insondable volonté divine, que l’on croyait mise en retrait par le suapte natura du Mare liberum, revient en force dans la Defensio de celui-ci, au point de s’imposer par moments à l’exclusion du principe concurrent de la validité rationnelle. Grotius semble donc atteindre ici un sommet de volontarisme qui dépasse même sa position de 1605. Il est vrai que tout le raisonnement demeure tributaire du contexte et obéit aux données concrètes de la polémique ; et surtout, qu’il est à nouveau hypothétique, comme l’indique l’etiamsi de tout à l’heure : en effet, sitôt après, l’argumentation rationnelle n’en vient pas moins se joindre à la volonté divine. Voilà qui illustre à merveille la relativité de toutes les positions, de tous les « revirements » de notre auteur, si absolus qu’ils puissent paraître à première vue : constatation d’autant plus frappante en l’espèce que, malgré ses accents volontaristes, ce passage de la Defensio comporte déjà, on l’a vu, plusieurs des éléments que fixera définitivement le Traité de 1625.359
106Une impression analogue se dégage du De imperio summarum potestatum circa sacra, composé vers la même époque que la Defensio contre Welwod.360 C’est là que commencent à se dessiner avec plus de fermeté quelques-unes des options rationalistes de notre auteur ; mais en même temps se perçoit le caractère graduel et relatif de son évolution. Injustement négligées, les réflexions du De imperio traduisent en fait une étape essentielle de la pensée juridique grotienne.361
107L’ouvrage vise à démontrer, contre le calvinisme orthodoxe de Gomarus, que le pouvoir de commandement de l’organe suprême de l’Etat s’étend aussi en principe au domaine religieux. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Grotius marque ici avec tant de force la distinction entre le droit naturel et le droit divin positif en différenciant leurs fondements respectifs. D’entrée de cause, il se libérait ainsi de la tutelle que pouvaient exercer sur sa démonstration les normes révélées de l’Ecriture, chères précisément aux calvinistes purs, en les repoussant dans le domaine du contingent et en ne retenant comme base nécessaire à son raisonnement que le droit naturel au sens propre. Ce dernier autorise à son avis la réunion du pouvoir politique souverain et du suprême ministère sacré en une seule personne, lors même que les lois judaïques et chrétiennes les ont dissociés : union personnelle parfaitement admissible, affirme Grotius, puisque les deux fonctions sont si peu incompatibles suapte natura que leur exercice par un seul individu serait même « assez conforme à la nature et à la droite raison ».362
108Cette conformité générale, caractérisée surtout par une absence de conflit, il a soin aussitôt de la distinguer des naturalia quae se aliter habere non possunt.363 Différenciation significative en ce qu’elle atteste sous un nouvel angle raffinement de sa conception du droit naturel : elle nous met en présence, d’une part, du premier sens que Grotius donnera à Ius en 1625 364 et, d’autre part, d’une notion plus stricte du droit naturel, fondée sur des propriétés intrinsèques ; celui-ci étant le droit naturel au sens étroit et propre du terme, celui-là seulement dans un sens large et impropre.365 Le départ entre actions debita aut illicita suapte natura et celles quae talia effecta sunt imperio divino revient au chapitre suivant, où Grotius précise les bornes imposées à la compétence législatrice de la puissance souveraine. Le droit divin positif apparaît clairement comme « volontaire » face au droit naturel à proprement parler, « tiré de principes naturellement connus ou de ce qui en dérive naturellement, c’est-à-dire de façon certaine et définie ».366 A cette distinction répond en quelque manière la considération épistémologique figurant un peu plus loin, relative aux principes qui garantissent la vérité du jugement humain : Grotius y oppose à la fides extrinseca garantie par l’autorité divine ou humaine, la fides intrinseca fondée sur les principia quae rei insunt.367 A côté du principe d’autorité, relevant d’une volonté parfois insaisissable et même en apparence irrationnelle, s’impose à nouveau, avec une force égale mais à titre distinct, la nécessité intrinsèque des choses.
109Voilà donc, semble-t-il, l’idée de la perseitas boni et mali pleinement dégagée et reçue dès 1614. Principe moral autonome fondé sur la rationalité inhérente aux choses, les normes qui en résultent paraissent clairement dissociées non seulement de celles découlant d’un commandement divin mais aussi de ce qu’on nomme droit naturel au sens large. Pourtant d’autres passages du De imperio montrent que la situation n’est pas encore aussi nettement tranchée ; et que, plus généralement, des options apparemment incompatibles cohabitent assez paisiblement dans cet esprit généreusement éclectique. A plus d’un égard, en effet, Grotius met en 1614 sur le même pied le droit naturel et le droit divin positif. Les actions qu’ils visent respectivement n’y sont-elles pas au même titre « moralement définies » ?368 ne s’opposent-elles pas en bloc aux actions « moralement indéterminées » qui font seules véritablement l’objet du droit positif ?369 et ne voyons-nous pas, un peu plus loin, droit naturel et droit divin confondus, tous deux étant au même titre Deo vetita ou Deo iussa ?370 Grotius n’a donc pas clairement opté : rien ne le démontre mieux que la formule, plusieurs fois reprise, selon laquelle Deus vetat per naturam.371 Aussi, n’est-on pas étonné de le voir attribuer l’immutabilité indifféremment aux deux types de normes : et ce, non tant parce qu’il se limite à l’affirmer au regard de l’homme, mais surtout parce qu’il la fait dériver d’une seule et même cause, la volonté divine.372
110Les positions de Grotius se précisent en revanche avec un écrit théologique achevé au printemps 1615, semble-t-il, bien que publié seulement en 1617, à savoir la Defensio fidei catholicae de satisfactione Christi adversus Faustum Socinum.373 Grotius s’y attaque au De Iesu Christo servatore que Socin avait publié en 1594 ; sans doute visait-il à mettre par là une distance entre l’arminianisme et le socinianisme. La dispute porte sur la signification de la mort du Christ : alors que Socin refuse d’y voir la source du salut éternel de l’humanité, estimant que ce salut est un effet uniquement de l’amour divin, Grotius y voit au contraire un châtiment dont l’effet est de laver l’humanité de ses péchés et de lui assurer le salut. Il n’y a d’ailleurs pas lieu d’insister sur leurs thèses respectives ; seuls nous intéressent ici certains aspects de l’argumentation grotienne ayant trait à la problématique du droit naturel.
111Cette argumentation montre que les positions essentielles de 1625 sont désormais acquises. Non seulement, comme dans le De imperio, le droit naturel se voit déclaré immuable et distinct du droit divin positif, puisqu’on ne saurait confondre « ce que Dieu veut parce que c’est juste » et « ce qu’il rend juste en le voulant » ;374 mais plusieurs précisions montrent qu’il implique désormais la valeur morale objective de certaines conduites humaines. Les conséquences de cette objectivité s’imposent même à Dieu, en vertu de Sa propre nature, et limitent Sa compétence législative à l’égard des actes humains concernés. Non que l’être de Dieu et ses propriétés enchaînent Sa volonté au point de lui faire produire nécessairement certains effets ; car Il garde de ces propriétés un libre usage.375 Pourtant il naît de là certaines barrières, qui arrêtent Sa liberté et rendent impossible tout acte de volonté qui les dépasserait :376 limite tracée par tout ce qui est intrinsèquement et nécessairement illicite.377 En ce sens, Grotius parle d’une « injustice qui résulte des choses, et non du droit positif où la liberté divine demeure intacte » ;378 d’un « mal intrinsèque issu de la nature immuable de la chose », par opposition au « mal extrinsèque dû à la violation d’un précepte divin » ;379 de lois pénales « absolument irrelaxables parce que leur violation comporte un mal immuable dû à la nature même de la chose », au rebours des lois positives, « absolument relaxables ».380 Et il précise que l’éthique, tout comme la physique, connaît deux acceptions du terme « naturel », suivant que la qualité dont on parle « est nécessairement attachée à l’essence d’une chose », et « résulte nécessairement du rapport des choses aux natures rationnelles », ou qu’il existe seulement un rapport de convenance, de correspondance générale, exempt de véritable nécessité, si bien que cela n’est « naturel » que dans un sens impropre :381 rappel de la « consonance » scotiste, mais qui indique par contrecoup que notre auteur, tout en réservant un domaine certain à la libre volonté divine, n’en a pas moins clairement réalisé les implications de la position intellectualiste.
112Que tel soit le cas résulte aussi, à n’en pas douter, d’un échange de lettres avec Antoine de Wael au sujet précisément de la Defensio contre Socin dont Grotius avait envoyé le manuscrit à son interlocuteur.382 Dans sa réponse de la mi-juin 1615, de Wael fait une série d’observations et soulève entre autres la question de savoir s’il n’y aurait pas lieu d’admettre l’existence, en la personne de Dieu, d’une justice si absolue qu’elle en imposerait des limites à la nature et à la sagesse divines elles-mêmes, lui interdisant d’accorder la grâce aux pécheurs en dehors d’une juste satisfaction. Cette omnimoda et absoluta necessitas qui s’imposerait même à Dieu, rappelle à maints égards le aliquid prius de Gabriel Vazquez.383 Or, la réponse de Grotius indique qu’il n’entend pas pousser l’intellectualisme jusqu’à ce point. Sa lettre du 29 juin 1615 est à cet égard spécialement instructive. Grotius y rejette certes le volontarisme extrême de la via moderna : Dieu est en effet lié par les exigences du juste qui sont en principe les mêmes que celles valant pour les humains. Mais il refuse d’admettre la nécessité absolue suggérée par de Wael : la décision divine est libre ; c’est seulement lorsqu’elle est prise qu’il s’ensuit une nécessité qui, elle, est absolue.384 On aboutit ainsi à une position rappelant celle de Lessius, dont l’enseignement de Suarez n’est pas éloigné. Il n’y a pas de doute que Grotius se range dès lors en principe du côté des intellectualistes, quelle que soit sa position précise au sein de leur groupe. Peut-être la correspondance avec de Wael aura-t-elle exercé en ce point un effet catalyseur.
113Car une autre lettre, antérieure d’un mois et demi à peine, adressée à son frère Guillaume, marque encore certains flottements qui rappellent les positions du De imperio. Etudiant à Leyde, Guillaume lui avait soumis des thèses qu’il s’apprêtait à défendre exercitii gratia : et l’aîné lui fournit entre autres – « en toute hâte » car il se dit fort occupé – quelques indications sur la notion de droit naturel, qu’il résume ensuite à l’aide d’un schéma disposé « par dichotomies ». A nouveau le droit naturel au sens propre est dissocié de ce qui n’en a que l’apparence et relève en fait de la convenance plutôt que de l’obligation juridique stricte. Quant au droit naturel véritable, il apparaît, là aussi, comme « ce que Dieu ordonne ou défend par le truchement de la nature ». Dans le schéma, Grotius parle en revanche déjà du « ius naturale… ita ut a natura dictatur »,385 le verbe préfigurant, semble-t-il, le dictatum rectae rationis de 1625. Ce droit naturel, il le déclare à nouveau absolument immuable au regard de l’homme ; et pour la première fois il soulève aussi la question de sa mutabilité au regard de Dieu, mais la laisse encore ouverte.386 Il évoque d’autre part toute la problématique des modifications apparentes du droit naturel, sans qu’à vrai dire ses explications « hâtives » atteignent à une clarté parfaite :387 on peut y voir cependant un indice du cheminement qu’opère en lui d’idée de l’immutabilité du droit naturel. Pourtant le principe ne s’en est pas encore pleinement dégagé, le lien direct avec la volonté divine semble loin d’être interrompu.
114L’année d’après, la situation se modifie. Guillaume lui soumet d’autres thèses, qui suscitent une nouvelle série de commentaires. Entre autres il y est question de la définition et du fondement obligatoire de la stipulation romaine : il s’agit bien d’une convention verbale, approuve Hugo, et en conséquence sa « force obligatoire résulte de la nature, c’est-à-dire de la condition même de la créature rationnelle et donc aussi du droit des gens primaire, non positif ».388 Or la suite semble indiquer que la nature représente ici un principe autonome, distinct de la volonté divine. Car s’il vise bien encore au premier chef les « propriétés de la créature rationnelle », Grotius élargit pourtant le champ de vision en fondant l’obligation conventionnelle sur « ce qui est commun à toute nature rationnelle », et donc aussi au Créateur. Dieu lui-même est tenu par la sainteté des promesses comme l’atteste d’ailleurs l’Ecriture. Aussi faut-il remonter à un principe plus fondamental que la volonté divine : soit à la nature même de Dieu, manifestée dans la loi éternelle. Inclus dans une commune rationalité, Dieu et l’homme lui sont tous deux soumis, si bien que le droit naturel devient opposable même à son Auteur.389 Ce passage, dont la substance reparaîtra dans le De iure belli,390 traduit déjà, semble-t-il, le principe de l’objectivité des valeurs morales ; il se peut que ce soit là un écho indirect de la correspondance avec de Wael, bien qu’à vrai dire le thème cicéronien de la rationalité commune aux divinités et aux humains fût déjà familier à notre auteur en 1605 :391 nouveau témoignage de la relativité de toutes ses positions, de tous ses revirements, qui se réduisent souvent à de simples changements de perspective ou d’éclairage. Quoi qu’il en soit, les tournures de Grotius, fort sommaires au demeurant, laissent peu de doute sur le fait que dès 1616 il était pleinement entré dans le champ de tension délimité par Gabriel Vazquez et Francisco Suarez ; et la correspondance avec de Wael tend à montrer qu’il penchait déjà pour la position de l’auteur du De legibus.392
115La dernière étape de sa pensée juridique antérieure au Traité de 1625 est consignée dans l’Inleidinge tot de hollandsche Rechts-geleerdheid,393 ces institutes composées à Loevestein et qui, à l’instar de leurs aïeules romaines, s’ouvrent par une brève évocation des sources du droit. Leur systématique est déjà celle du De iure belli : le Goddelick gegeven wet est classé, avec le Burger-wet et le Volcker-wet, dans le Gegeven wet, droit positif opposé globalement au Aengeboren wet.394 D’autre part, la définition de ce droit « inné » comporte tous les traits décisifs de la célèbre formule de 1625 : « Aengeboren wet in den mensche is het oordeel des verstands, te kennen ghevende wat zaken uit haer eighen aerd zijn eerlick ofte oneerlick, met verbintenisse van Gods wegen om ‘t zelve te volgen. »395 Comme en 1625, le rapport moral objectif, qui existe par lui-même dans les actions, est dissocié à la fois du jugement qui le révèle et du commandement divin qui le sanctionne. D’autre part, contrairement au De imperio, seules ces actions-là sont désormais « moralement déterminées » : elles seules font au juste l’objet du droit naturel. A leur propos, Grotius répète la thèse de l’immutabilité, là encore, à vrai dire, seulement au regard de l’homme ;396 peut-être ce manuel orienté vers la pratique, qu’il servira plusieurs siècles durant, n’était-il pas l’endroit de pousser jusqu’à ses dernières conséquences l’idée de l’objectivité des valeurs morales. Nul doute pourtant que le principe général en était acquis depuis la Defensio fidei catholicae de 1615, si bien que cette conséquence est sans doute impliquée dans l’Inleidinge, lors même qu’elle ne trouvera son expression définitive que dans le Traité de 1625.
11. Essai d’explication du revirement : les influences probables
116Notre survol de l’évolution grotienne en matière de droit naturel nous permet d’affirmer la relativité du changement survenu entre le Mémoire et le Traité, et, partant, de rejeter l’idée d’une véritable rupture. Dans l’ensemble, les passages examinés, d’ailleurs toujours tributaires du contexte, révèlent une lente et irrégulière transition, au cours de laquelle des positions en apparence incompatibles viennent sans arrêt voisiner : d’un bout à l’autre, on assiste à un compromis entre volontarisme et intellectualisme, et si l’accent se déplace certes du premier vers le second, aucun n’en vient jamais à exclure entièrement l’autre. Voilà pourquoi on se trouve à notre avis non devant une rupture véritable, mais devant un approfondissement accompagné d’une correction intellectualiste.
117Il reste cependant que la correction est bien réelle : à un aspect demeuré dans l’ombre en 1605, Grotius attache en 1625 une importance telle qu’il l’élève au rang de principe autonome. Pour être moins absolu qu’on le soupçonnait d’abord, ce revirement demeure significatif et demande à être expliqué en lui-même. Une constatation primordiale doit ici être retenue : le changement ne porte pas sur le but poursuivi par notre auteur ; il porte seulement sur les moyens appelés à son service. En effet, à travers tous les chatoiements de l’évolution allant du Mémoire au Traité, le but de Grotius demeure fixe : établir l’existence d’un ordre de normes soustrait à l’arbitraire, à l’inconstance de la volonté humaine ; ordre de normes qu’il s’agit par conséquent de rendre immuable par le recours à un principe supérieur, indépendant du caprice de l’homme.397 C’est uniquement sur les modalités de ce principe que porte le changement, et c’est là dessus que doit donc porter notre explication.
118Dans le Mémoire, Grotius a choisi de fonder l’ensemble du système sur la volonté divine elle-même en y ramenant toutes les volontés inférieures. C’est bien la cohésion de l’ensemble que doit servir ce monisme volitif englobant jusqu’au droit naturel ; et c’est en vue de rendre ce dernier immuable que Grotius le rattache presque immédiatement à la volonté divine par le truchement de cette « volonté de tous » qui n’est que le reflet de l’intention du Créateur dans Son œuvre. Il va de soi que la volonté divine est supposée à la fois juste et immuable,398 comme elle l’avait été non seulement chez saint Thomas auquel Grotius renvoie en tête de son exposé, mais en pratique aussi chez Scot et même chez Occam ;399 et il paraît hors de doute que notre auteur la considérait comme rationnelle au sens où l’avait été la lex aeterno, tant de l’Aquinate que des stoïciens.
119En recherchant cette base incontestable devant étayer sa démonstration, Grotius avait, à n’en pas douter, déjà conscience de l’alternative fondamentale du volontarisme et de l’intellectualisme ; mais il importe de constater que dans son esprit – de manière bien typique pour lui – il ne s’agissait pas d’une exclusive. Si son droit naturel est d’apparence volontariste, c’est en vue d’assurer l’homogénéité du système plutôt que pour en bannir tout élément intellectualiste. Cette homogénéité lui paraissait alors en soi une garantie de stabilité, puisqu’elle contribuait à la cohésion déjà souvent relevée de l’ensemble. On dira qu’il aurait pu tout aussi bien atteindre ce résultat en choisissant pour principe de validité unique la ratio, à la manière de Cicéron, de saint Thomas ou de François du Jon.400 Si en présence de ces modèles non seulement familiers, mais, en ce qui concerne les deux premiers, fréquemment invoqués, Grotius a néanmoins opté pour le velle, on est forcé d’admettre de sa part un choix délibéré. Les motifs de ce choix ne sont pas faciles à saisir. Il nous paraît plausible d’en voir l’origine dans une conception assez rigoureuse de la loi, qui par définition implique un commandement et, partant, un acte de volonté. Ce point de départ une fois admis, il était impossible de faire échapper à ce moule général le droit naturel si on voulait le faire apparaître comme une loi obligatoire. Voilà pourquoi Grotius l’entoure d’un manteau volontariste : non pas pour en exclure toute composante intellectualiste, mais pour satisfaire à une certaine idée de la norme juridique et pour assurer l’homogénéité du système.
120Le fait même du choix, on l’a dit, suppose de sa part, en 1605 déjà, la conscience d’une alternative. Nous croyons cependant que cette alternative ne lui était alors présente que dans son principe, non dans toutes ses conséquences. C’est ce qui explique à notre avis qu’il négligeait encore l’aspect rationaliste du droit naturel, dont seuls quelques indices montrent qu’il était loin de le nier.401 Or, c’est précisément parce que ces implications lui échappaient encore qu’il ne se rendait pas compte, en 1605, qu’en misant sur la volonté divine de manière aussi inconditionnelle, en faisant d’elle le principe de validité actuel et exclusif du droit naturel, il menaçait virtuellement d’affaiblir ce dernier, en le privant de toute validité et donc de véritable stabilité intrinsèques.402 De cette conséquence possible, il ne semble pas encore avoir eu conscience, pas plus que de la menace potentielle qu’elle représentait pour la solidité du système ; celle-ci lui paraissait implicitement acquise : on voit mal comment il aurait voulu étayer ses thèses de jeunesse en supposant le contraire.403 Plus tard seulement lui est apparu cette menace, comme si, derrière la divinité cicéronienne de sa jeunesse, avait surgi un dieu occamien ou luthérien.404 Alors seulement, il perçoit véritablement les ultimes implications d’une alternative dont jusque-là seul le principe lui était présent : alors il réalise les ressources insoupçonnées de l’intellectualisme et de l’objectivisme moral. D’où le nouveau statut du droit naturel au sein d’un système remanié. L’autonomie relative qui en résulte pour le droit naturel vise moins à transformer ce droit en lui-même – car, pour être une loi au plein sens du terme, l’acte de commandement divin lui demeure indispensable même en 1625405 –, qu’à parer une faille dans le premier système grotien. Le changement porte, pour ainsi dire, davantage sur le costume et sur la mise en scène que sur le caractère des personnages ou sur le sens de la pièce. Les deux versions du droit naturel diffèrent moins sur le fond que leurs apparences pourraient le suggérer : aux yeux de Grotius, elles devaient être comparables, sinon dans le détail de leurs articulations, du moins par l’intention générale.406
121La principale inspiration de cette correction intellectualiste qui se dessine non sans hésitations à partir de 1614, semble provenir des derniers scolastiques, dont il se confirmerait ainsi que Grotius ne les connût qu’à la suite de la rédaction du Mémoire de 1605.407
122Mais cela signifie-t-il que la conception jusnaturaliste du jeune Grotius soit inversement le produit de son environnement protestant ? L’influence du protestantisme sur les premières conceptions juridiques de notre auteur demeure pour l’instant une question ouverte ; sa solution n’est nullement facilitée par le silence presque total qu’il garde face aux réformateurs et qui rend conjecturale toute tentative de réponse. Nous croyons cependant que dans l’ensemble l’influence protestante apparaîtrait comme négligeable.408 Le fait essentiel à retenir est que Grotius n’est ni luthérien ni calviniste, mais arminien.409 Ses premiers maîtres en théologie avaient été Jan Wtenbogaert et François du Jon chez qui Grotius avait logé durant plusieurs années à La Haye.410 En outre la mentalité érasmienne de l’Université de Leyde le prédisposait à une attitude peu sectaire, remarquablement ouverte aux divers courants de la scolastique du moyen âge et du xvie siècle ; car ici les renvois ne manquent point dans ses œuvres.
123Cela dit, on accordera certes que cette première mouture du droit naturel grotien répond bien à une tendance dominante parmi les auteurs protestants, par son double caractère légaliste et volontariste. On songe en particulier à Doneau, dont on a déjà noté l’influence déterminante sur d’autres aspects du Mémoire ; il est plausible d’admettre un emprunt analogue de sa conception du droit naturel. S’il est vrai, comme nous le croyons, que ce soit avant tout en fonction d’une certaine idée de la norme juridique que Grotius s’est décidé pour une formulation volontariste de son droit naturel, une des sources pourrait bien s’en trouver dans le commentaire du grand huguenot qui insiste avec tant de vigueur sur le commandement que doit comporter une norme pour être une loi et donc du droit, ce qui suppose nécessairement l’existence d’une volonté législatrice qui, dans le cas du droit naturel, n’est autre, en dernière analyse, que Dieu lui-même.411 Il est remarquable que les formules grotiennes dépassent même celles de Doneau par leur volontarisme. Ajoutons que cette conception devait parfaitement convenir au public principalement visé par le Mémoire, les objecteurs mennonites : envisagée à ce point de vue, l’option grotienne, loin d’être le fruit d’une ingénuité juvénile, s’intègre au contraire dans le projet lucidement délibéré d’un avocat désireux avant tout de convaincre son auditoire qui, en l’espèce, était protestant.
124Pourtant cela ne suffit pas pour affirmer que Grotius soit tributaire au premier chef de conceptions protestantes du droit naturel. S’il doit beaucoup à certains juristes protestants comme Doneau, Gentili ou du Faur, c’est à titre de juristes plutôt que de protestants.412 C’est indépendamment de leur confession qu’ils viennent rejoindre la lignée d’auteurs catholiques qui ont pu l’inspirer dans un sens analogue, à commencer par Duns Scot et Guillaume d’Occam, jusqu’à Alfonse de Castro et Fernand Vasquez, une part décisive revenant probablement à Gerson et Biel, dont la position coïncide en substance avec celle du jeune Grotius, grâce aux éléments rationalistes discrets mais certains qu’elle comporte.413 De fait, la scolastique catholique suffirait en elle-même à expliquer les premières thèses grotiennes, une fois qu’on considère celles-ci dans leur teneur véritable plutôt que dans leurs formulations superficielles.
125Quoi qu’il en soit, en l’état actuel de nos connaissances, l’option volontariste du jeune Grotius ne saurait s’expliquer en fonction d’une influence précise et clairement déterminante, quelle qu’en soit l’origine. Face à l’éventail déjà considérable d’autorités divergentes auxquelles il se voyait confronté, sa solution paraît découler d’un choix autonome dont tous les mobiles ne pourront sans doute jamais être élucidés avec certitude.
126A cette indétermination des sources du système initial s’oppose la relative précision de l’influence ayant provoqué son évolution ultérieure, à savoir la lecture des jésuites. A confronter Grotius avec ces théologiens, on s’aperçoit du reste aussi combien est relative sa prétendue laïcisation du droit naturel, puisque plusieurs des jésuites l’ont tout à la fois précédé et dépassé dans cette voie. Possibilité inhérente à l’aristotélisme thomiste et naturellement développée à ce titre par la scolastique tardive, elle avait en fait trouvé de puissantes impulsions même au sein de la via moderna, puisque c’est là précisément qu’a germé l’hypothèse etiamsi daremus. Face à ces thèses, Grotius n’a fait qu’adopter une position de compromis qui coïncide en substance avec celle de Suarez et qui ne le conduit nullement à la laïcisation qu’on lui attribue.414 Il vise aussi peu à écarter Dieu de son système415 qu’à séparer le droit de la morale. Le droit fait encore pour lui partie intégrante de l’éthique,416 et, s’il s’applique certes à le saisir dans sa spécificité, notre examen de son évolution en matière de droit naturel montre à l’évidence que, d’un bout à l’autre, Dieu demeure un des termes du débat et que, contrairement à l’opinion de Droetto, Grotius ne sort pas véritablement du cadre défini par la scolastique.417 Il est difficile d’apercevoir en lui à ce titre le Galilée du droit qu’en a fait Cassirer418 ou « l’Homère du Droit de la Nature et des Gens » qu’y a vu Caumont.419
127Cela permet aussi de répondre à la thèse de Dilthey qui fait valoir à l’appui de cette laïcisation une influence stoïcienne.420 Si notre analyse quant au rapport entre les deux œuvres grotiennes est correcte, cette thèse semble devoir tomber d’elle-même. Car la présence des stoïciens est déjà marquée dans le Mémoire, et Cicéron y est déjà le principal inspirateur. Or, le De iure praedae se trouve évidemment aux antipodes de toute laïcisation ; même si le volontarisme n’y est que de façade, comme nous le croyons, l’ensemble n’en est pas moins porté par l’autorité divine. Si donc l’inspiration stoïcienne a pu servir à édifier un tel système, il n’est guère possible d’y voir le facteur décisif de la laïcisation prétendument survenue vingt ans plus tard. Il paraît du reste d’autant plus difficile d’attribuer au stoïcisme un effet de rupture par rapport à la doctrine chrétienne traditionnelle que celle-ci avait elle-même absorbé et christianisé dès saint Ambroise421 d’importants éléments du Portique qui seront parmi les piliers de la synthèse thomiste.
12. Le « ius gentium » du Traité
128Après le droit naturel, examinons encore brièvement le ius gentium de 1625, du moins quant à sa définition et son fondement de validité, réservant d’autres aspects pour la suite de notre analyse.422 Grotius définit maintenant le droit des gens comme étant « quod Gentium omnium aut multarum voluntate vim obligandi accepit » ; et il précise que son existence s’atteste, comme celle du droit civil non écrit, « usu continuo & testimonio peritorum ».423 Qu’il s’agisse à ses yeux d’un droit positif, nous est indiqué à l’évidence par sa place systématique au sein du droit objectif, où il figure avec le ius civile dans le droit « volontaire » par opposition au ius naturale.424 Souvent, du reste, il s’accompagne de l’adjectif voluntarium.425 On se trouve donc bien à première vue devant une réincarnation du ius gentium secundarium de 1605.
129Force est pourtant de constater que les définitions respectives ne coïncident plus et paraissent même, au point de vue de la première en date, difficiles à concilier : car la formule et, plus encore, le mode d’établissement de ce nouveau ius gentium rendent un son étonnamment moderne si on les compare à l’accord tacite de 1605, réfractaire ou du moins indifférent au critère de l’usage.426 N’est-on pas en présence, déjà, d’un droit coutumier tel que l’entend la majorité des publicistes actuels ? Sur ce point aussi, on est donc amené à se demander dans quelle mesure Grotius a entendu rompre avec sa position initiale.
130Notre réponse sera analogue à la précédente. On enregistre bien un revirement partiel, mais il conduit à une simple réorientation, plutôt qu’à une rupture. Sans doute est-ce là aussi la lecture de Suarez qui est à l’origine du changement ; et là aussi on voit paisiblement coexister des thèses que l’argumentation du jeune Grotius avait paru rendre incompatibles. Mais à la différence de son évolution relative au droit naturel, qui, par des précisions croissantes, a fait aboutir notre auteur à une conception plus anguleuse, précise et tranchée, celle du ius gentium le conduit à l’inverse vers un concept plus ample et moins net.427
131Or, nos précédentes recherches sur le ius gentium ont révélé que l’infléchissement perceptible dans le Traité est pleinement réalisé dès la Defensio contre Welwod : tous les éléments et jusqu’à certaines formulations s’y trouvent déjà consignés. Sans reprendre ces passages en détail, constatons en substance que le motif de l’accord tacite y subsiste en tant que principe de validité ; mais que Grotius l’a surmonté d’un moyen de preuve escamoté dans le Mémoire, la prisca humani generis consuetudo.428 Déjà, il compare cet usage à la coutume en droit interne, elle aussi qualifiée de taciti consensus index.429 Plusieurs signes nous ont permis de déceler dans ces passages mêmes la marque de Suarez :430 il fait peu de doute à nos yeux que ce soit sa conception du ius inter gentes, étroitement associée aux mores, qui est à l’origine de l’élargissement des vues grotiennes. Déjà, notre auteur ne voit donc plus la moindre contradiction entre la coutume et l’accord tacite, comme devaient le lui suggérer plusieurs jurisconsultes romains.
132Il n’en ira pas autrement dix ans plus tard dans le Traité. Si l’élément matériel, la « pratique » y sont mis en avant, c’est qu’ils apparaissent d’abord à l’observateur et qu’ils sont indispensables à la connaissance de la norme. Pourtant l’élément subjectif est maintenu dans la définition même, et plus d’un passage dans le corps de l’œuvre indique que cette « volonté des peuples » correspond à une Vereinbarung.431 Car c’est bien encore par le truchement de l’accord tacite que s’opère la distinction entre l’authentique ius gentium et le droit civil commun.432 Certes, le critère matériel, emprunté lui aussi à Suarez dès l’époque de la Defensio, s’y ajoute en quelque sorte à titre de cause finale.433 Ce n’est pas lui, cependant, ni la coutume en soi, mais bien l’accord tacite qui garantit la validité du ius gentium voluntarium et définit son unité face aux autres groupes de normes : il y a donc sur ce point continuité par rapport au ius gentium secundarium du Mémoire.434
133Il nous reste à considérer plus bas si par d’autres aspects Grotius s’est rapproché davantage de la notion classique de droit international et, plus généralement, dans quelle mesure celle-ci est déjà présente dans le De iure belli ac pacis : c’est alors du reste qu’apparaîtront les liens entre la théorie des sources du droit et la théorie de la guerre, en comparaison avec leur état respectif de 1605.435
13. Vue d’ensemble du « Ius » de 1625 : sa place dans le Traité
134Arrêtons là notre examen de ces deux composantes essentielles du système juridique de 1625 que sont le ius naturale et le ius gentium. L’analyse a révélé que par rapport à leurs ancêtres de 1605 elles présentent des aspects inédits, mais que ces aspects sont en un sens superficiels, n’atteignant pas véritablement la substance des deux concepts en cause. Cette observation vaut dans une certaine mesure pour tout le système du Ius consacré par le Traité : ce ne sont pas les bases de la pensée grotienne qui se sont modifiées ; mais la présentation en est si différente qu’on se croirait presque devant l’œuvre d’un autre homme. Jetons encore, avant de passer plus loin, un coup d’œil global sur le Ius de 1625 et sur sa place au sein du Traité.
135A comparer ce Ius avec son ancêtre de 1605, sa caractéristique la plus saillante est sans doute qu’il a pour ainsi dire cessé de former un système. On se souvient en effet qu’autrefois le Ius était présenté comme la somme des sources formelles du droit, ainsi que des institutions et normes matérielles fondamentales censées en dériver, l’ensemble étant ostensiblement intégré dans une ferme construction. De cette construction, on retrouve certes des vestiges égaillés au second chapitre du Traité et au début des Prolégomènes qui en reproduisent de façon très résumée l’idée générale.436 Elle est en revanche abandonnée au chapitre introductif du Traité : car, au lieu de l’exposé synthétique d’autrefois, Grotius se borne à y présenter sur un mode purement analytique les trois acceptions majeures du terme ius. Ce faisant, il parvient à mettre en évidence et à dissocier ce qui était resté confondu dans le système du Mémoire. Cela vaut tout spécialement pour la relation entre sources formelles du droit et normes matérielles censées en dériver : ce lien direct, si frappant autrefois,437 est dissous ; il ne subsiste qu’une série de définitions formelles juxtaposées, sans véritable lien entre elles.
136Rien n’illustre mieux ce contraste avec l’ancien système que le problème posé dans ce chapitre initial par la coexistence de la définition du droit naturel, longuement examinée toute à l’heure, avec le premier des trois sens de ius. Celui-ci répond avant tout, on se souvient, au lien naturel de société unissant les humains ; or, comme la sociabilité qui en est la source dépend à son tour de la rationalité propre à l’homme, on est conduit à penser qu’il s’agit également d’un droit naturel.438 Pourtant Grotius ne tire pas les mêmes conséquences pratiques des deux définitions en cause. Dans un cas, il y a corrélation précise de certaines valeurs, négatives ou positives, avec la nature rationnelle et partant sociale de l’homme ; dans l’autre, on est devant une simple absence de conflit avec cette nature, considérée sous l’aspect social plutôt que rationnel.439 La première définition fait naître des injonctions précises et absolues ; la seconde, plus large, ne fait qu’autoriser un nombre indéterminé de conduites, la seule limite étant tracée par le domaine de l’injuste. Faut-il admettre dès lors qu’on se trouve devant un double droit naturel, pris tantôt au sens large, tantôt au sens strict ?440
137Qu’une telle distinction fût familière à notre auteur, en tout cas dès l’époque du De imperio summarum potestatum, on l’a constaté plus haut.441 Cela admis, il n’en est pas moins déconcertant que tout au long du Traité l’acception large du droit naturel soit en fait seule à apparaître. Significatif est à cet égard le début du second chapitre où la licéité de la guerre est examinée entre autres au point de vue du droit naturel :442 de fait, c’est uniquement en fonction de cette acception large de ius que Grotius y raisonne ; et le contexte semble indiquer que c’est à cela qu’il réduit au fond tout le droit naturel. C’est encore ce que suggère le début des Prolégomènes, où domine clairement cette acception du droit naturel.443 Or, n’est-on pas amené, par contre-coup, à mettre en doute l’utilité pratique de l’autre définition, malgré les soins laborieux dont Grotius l’avait entourée sur le moment ? On ne peut s’empêcher d’éprouver une impression d’incohérence : à quoi bon cette double acception du droit naturel, dont la relation n’est pas évidente et dont on finit en pratique par ne retenir qu’une seule ?
138Que Grotius substitue en pratique la notion large de ius au droit naturel strict, peut à vrai dire s’expliquer. Car, on l’a rappelé toute à l’heure, cette acception large a pour effet d’ouvrir un espace de licéité ; dans cet espace viennent se situer les adiaphora, conduites moralement indifférentes qui ne deviennent bonnes ou mauvaises qu’à raison de facteurs extrinsèques. Or, parmi ces conduites neutres figure la guerre : elle n’est juste ou injuste qu’à raison des circonstances.444 C’est ce qui explique précisément l’emploi de la notion large de droit naturel au début du second chapitre qui vient d’être évoqué ;445 et si, plus généralement, cette notion prédomine dans l’ensemble du Traité, c’est que le thème n’en est autre que la guerre, comme nous cherchons à le montrer.
139Cette explication suffit-elle à résorber l’incohérence ? Différents passages du Traité semblent trahir que Grotius a procédé à cette substitution en toute lucidité.446 Il pouvait s’y croire autorisé par le fait que les deux définitions se situent en théorie sur des plans distincts, ce qui exclut une véritable collision. Rappelons en effet qu’à l’origine il n’établissait aucune relation directe entre ces définitions qui, dans la mesure même où elles répondent à deux acceptions différentes de ius, désignent des types de réalités distincts.447 Cela ne rend à vrai dire pas moins problématique la substitution de fait qu’il opère et la contamination qui s’ensuit. Mais il semble en avoir assumé les conséquences.
140Or, Grotius devait savoir aussi qu’il rendait par là pratiquement inutile l’acception stricte du ius naturale. Tel a sans doute été le cas. S’il l’a néanmoins dessinée avec tant de précision, c’était avant tout pour compléter son tableau du Ius. C’est là le reflet d’une nouvelle attitude devant son matériau. Rompant consciemment avec sa manière de 1605, il cherche maintenant à présenter au lecteur un tableau aussi complet que possible, plutôt qu’un système aussi cohérent que possible du Ius, au risque même de n’en point utiliser toutes les composantes durant sa démonstration.
141Il avait à cet égard plusieurs modèles précis qui ne sont autres, une nouvelle fois, que les traités juridiques des jésuites, en particulier ceux de Suarez et de Lessius. Les deux présentent sur ce point des tableaux tripartites tout à fait comparables dans leur principe au sien, ius venant à désigner tantôt une relation d’équité, tantôt le droit subjectif, tantôt la norme juridique objective et sa source formelle.448 Certes, Grotius s’éloigne un peu de ces modèles par le contenu cicéronien qu’il attribue à la première acception, alors qu’elle avait maintenu chez les deux Espagnols davantage de sa teneur aristotélicienne. Mais par-delà ces nuances, les classifications envisagées sont essentiellement analogues en ce qu’elles dissocient les trois acceptions et refusent par conséquent de les inclure dans un système. C’est bien cette absence de système, de construction unitaire qui distingue la nouvelle conception grotienne du Ius de son aïeule du Mémoire.449
142On a vu que cette refonte du Ius commence à s’esquisser dès 1613 ou 1614, ainsi qu’en témoignent la Defensio Maris liberi et le De imperio summarum potestatum.450 La nouvelle division était donc acquise de longue date lorsque Grotius décidait de la placer en tête de son grand Traité, démantelant du même coup le système de 1605. Il est vrai que celui-ci n’en disparaît pas sans traces, comme on vient de le relever. On est d’autant plus justifié à se demander pourquoi Grotius a introduit cette conception nouvelle. Il se peut qu’il se soit rendu compte des insuffisances du système initial du Ius, qui par désir de cohésion l’avait obligé à maintenir à l’état implicite plusieurs distinctions qu’il savait peut-être déjà cruciales.451 Mais en plus de ce motif théorique intervient sans doute aussi le désir d’éviter les tensions que le trop de cohésion du premier système avait provoquées dans l’architecture du Mémoire. Il y a sur ce point une divergence marquée entre la structure des deux œuvres. Alors qu’autrefois tout semblait devoir se tenir sans le moindre jeu au sein d’un mécanisme global, Grotius renonce maintenant à ce désir absolu de cohésion. Le Traité en perd beaucoup de l’apparence « mathématique » du Mémoire. Certes, la rigueur affaiblie au niveau du texte ne s’en rétablit pas moins au niveau supérieur du sens.452 Mais l’on dirait que Grotius évite désormais une excessive solidarité entre les deux termes qu’il continue par ailleurs à considérer comme fondamentaux pour son étude, Ius et Bellum.453 Cela lui permettra, au cours de l’exposé sur la Guerre, de puiser avec plus de liberté au réservoir du Droit. De cette liberté, on sait qu’il fera un abondant usage, puisque c’est de manière en apparence imprévisible et presque aléatoire que semblent intervenir les sources du droit dans sa démonstration sur la guerre : sans doute est-ce de là surtout que provient l’impression de désordre ressentie par plus d’un lecteur du De iure belli ac pacis.454
143Il s’ensuit à notre avis que le système du Ius remplit au sein du Traité une fonction moins essentielle que dans le Mémoire. Certes, on ne saurait le réduire à n’être qu’un somptueux portique. Mais son action sur le corps de l’œuvre est moins directe, moins mécanique qu’elle ne l’avait été autrefois. Cet effacement relatif du système des sources du droit devient plus remarquable encore au regard de l’importance persistante du système des droits subjectifs ; en effet, comme on le verra encore, ce dernier maintient non seulement sa cohésion initiale, tout en s’affinant considérablement, mais encore la fonction déterminante qu’il avait revêtue dans le Mémoire.455 C’est bien ce système de droits subjectifs qui soutient tout le Traité grotien ; et, dans la mesure où il y conditionne directement la iustitia belli, on en déduira que c’est la question de la guerre, plutôt que celle des sources du droit, qui en forme le vrai centre de gravité. A partir de ce centre, l’ouvrage a été pensé et en partie repensé. Sur cet aspect tout au moins, on relève donc une remarquable analogie avec la composition du Mémoire. Comme alors, – et cela apparaîtra encore mieux dans la suite – c’est un remaniement partiel de la conception du Bellum qui provoque le changement au sein du Ius. Mais à la différence de ce qui s’était passé en 1605, où ce mouvement avait déterminé une précision importante dans un secteur assez limité du système des sources du droit, sans modifier celui-ci par ailleurs,456 l’effet en est plus général en 1625 et il s’exerce avant tout dans le sens d’une dissociation globale du système.
Notes de bas de page
95 Cf. supra, pp. 61-62.
96 IBP, i, i, iii, 1.
97 Ibid. Cet aspect « social » de l’œuvre grotienne a été particulièrement accentué par G. Gurvitch, « La philosophie du droit de Hugo Grotius et la théorie moderne du droit international », RMM, 35 (1927), pp. 365-391. Cf. aussi, du même, L’Idée du Droit Social, Paris, 1932, pp. 171-190. De l’avis de cet auteur, Grotius serait à l’origine de la théorie « socialiste » du droit, par opposition à la théorie médiévale dominée par le corpus mysticum. L’argumentation est cependant aussi peu convaincante qu’elle est mal étayée ; ainsi, un des principaux passages censé illustrer ce droit « social » est tiré d’une œuvre, non de Grotius, mais de Campanella (et commentée par Grotius) ; op. cit., p. 177, note 3, qui renvoie à F. Thomae Campanellae Philosophiae realis, pars tertia. Quae est de politico, in aphorismos digesta, iii, 5, in : H. Grotius, Quaedam hactenus inedita, Amsterdam, 1652, pp. 108-109. Pour une excellente critique de l’interprétation de Gurvitch, cf. Roger Labrousse, « Il problema della originalità di Grozio », RIFD, xxviii (1951), pp. 3-20.
98 IBP, i, i, iii, 2. Au ius rectorium correspond sans doute la iustitia gubernatrix (IBP, ii, xx, xxiv, 1), appelée aussi rectrix (IBP, ii, xx, xxvii) ou rectoria (IBP, ii, xxiv, vii).
99 Cf. supra, p. 411, note 2018.
100 Cf. en ce sens IBP, ii, xxv, I, 2, i. Pr. ; ii, xxv, iii, 4 ; ii, xxv, viii, 1.
101 Cf. en part. IBP, i, v, iii.
102 IBP, i, i, iv.
103 M. Villey, Leçons, pp. 221 ss.
104 Cf. p. ex. F. Suarez : « Et iuxta posteriorem, & strictam iuris significationem solet proprie ius vocari facultas quaedam moralis, quam vnusquisque habet, vel circa rem suam, vel ad rem sibi debitam. » De legibus, i, 1, n. 5. Ou encore L. Lessius : « Tertio, accipitur ius pro legitima potestate. Sic acceptum potest hoc modo describi, Ius est potestas legitima ad rem aliquam obtinendam, vel ad aliquam functionem, vel quasi functionem ; cuius violatio iniuriam constituit. » De iustitia et iure, ii, 2, n. 2.
105 IBP, i, i, iv. C’est la distinction que Vattel vulgarisera sous forme de droits et d’obligations parfaits ou imparfaits ; Le Droit des Gens, i, § 17, p. 10. Pour la distinction entre obligations internes et externes qu’il y associera, cf. infra, pp. 579 ss.
106 IBP, i, i, viii, 1.
107 La même distinction semble être posée au début des Prolégomènes ; le droit au sens propre y est réduit à la justice commutative (n. 8) et opposé à une acception large de ius, comprenant d’une part certaines autres vertus (n. 9), d’autre part la justice distributive (n. 10), l’ensemble étant compris, semble-t-il, dans le droit naturel (n. 11, i. Pr.). La portée précise de Proleg., nn. 9-10, n’est cependant pas claire. Il est probable qu’il faille mettre le passage en relation avec IBP, ii, vii, iv. Cf. aussi le commentaire d’Erik Wolf, Das Problem der Naturrechtslehre, Versuch einer Orientierung, 3e éd., Karlsruhe, 1964, p. 133, que nous ne saurions cependant suivre dans sa distinction, à ce propos, d’une « première » et d’une « seconde » nature humaine, dont la première semble tenir de la rationalité, la seconde de la faiblesse humaine. Quoi qu’il en soit, il est certain que Grotius marque une tendance à exclure la justice distributive, qu’il nomme « assignatrice », de ce qu’il considère comme le droit au sens propre, et il est conscient du fait qu’il s’écarte par là d’Aristote (cf. IBP, i, i, viii, 2). Le ius strictum ne comprend pour lui en définitive que la justice « explétrice » ; cf. aussi infra, pp. 579-584.
108 Cf. supra, pp. 178-179.
109 Sur le droit de propriété chez Grotius, cf. Robert Feenstra, « Der Eigentumsbegriff bei Hugo Grotius im Licht einiger mittelalterlicher und spätscholastischer Quellen », in : Festschrift für Franz Wieacker zum 70. Geburtstag, Göttingen, 1977, pp. 208 ss.
110 Cf. supra, pp. 177-179.
111 IBP, i, i, vi. Selon les témoignages concordants de Boecler et de Leibniz, Grotius semble être à l’origine de l’expression dominium eminens ; de fait, nous ne l’avons rencontrée chez aucun auteur antérieur. J. H. Boecler, In Hugonis Grotii fus Belli et Pacis Commentatio, pp. 85-141 ; G. W. Leibniz, Caesarini Furstenerii tractatus, xix, i. f., p. 93. Grotius distingue du reste le dominium eminens de l’imperium, tant sur terre (IBP, ii, iii, iv) que sur mer (IBP, ii, iii, xiii), encore que par ailleurs le premier semble être compris dans le second (IBP, ii, iii, xix, 2 ; ii, viii, xi , 1 ; ii, ix ; iii, xix, vii ; iii, xx, vii, 1 ; iii, xxiii, v, 1).
112 On songe en particulier à Covarruvias, qui, discutant les vues de Bartole en la matière, distingue tria dominia : dominium iurisdictionis ; dominium locorum pertinentium ad universitatem iure universitatis ; et dominium particulare. Relectio in Regulam Peccatum, ii, § 9, n. 8. Cf. aussi L. Molina, De iustitia et iure, ii, iii nn. 8-13, et L. Lessius, De iustitia et iure, ii, 3, 1, n. 2. Plus généralement, E. Reibstein, Johannes Althusius, pp. 203 ss ; R. Feenstra, « Der Eigentumsbegriff », pp. 209 ss.
113 IBP, i, i, ix, 1. Cf. M. T. Cicero, De officiis, i, (3) 8 ; iii, (3) 14 ; De finibus, v, (23) 65 ; Aristote, Ethique, v, 1129 b-1130 a. Cf. aussi infra, pp. 579 ss.
114 IBP, i, i , ix, 2.
115 J. Barbeyrac, ad IBP, i, i, ix, 2 (quae apud Aristotelem exstat).
116 Cf. supra, pp. 314-315.
117 IBP, i, i, x-xiii.
118 IBP, i, i, x-xiii.
119 IBP, i, i, xv.
120 IBP, i, i, xiv.
121 Cf. supra, pp. 61-62.
122 Cf. infra, en part. pp. 525-529.
123 IPC, cap. ii, fol 5’ (p. 8). Cf. Plutarque, Les vies des hommes illustres, trad. Amyot, Vie d’Alexandre-le-Grand, chap. lxxxvi-xc.
124 IPC, cap. ii, regulae i et ii, leges i-iv, foll. 5’-7 (pp. 8-14). Notons l’important rajout des foll. 5’a-5’a’, qui remplace un passage de teneur analogue mais beaucoup plus bref ; il est entièrement consacré au versant instinctif et « conservateur » de la loi naturelle, et montre bien que Grotius n’entendait pas négliger cet aspect. Contrairement à une opinion reçue, il en ira encore ainsi dans le IBP qui, bien que dominé par les quaedam consequentia propres à la nature rationnelle de l’homme, n’en maintient pas moins, à l’adresse de l’homme aussi, les prima naturae ; cf. également infra, pp. 531-533.
125 IPC, cap. iii, fol. 15 (p. 33). Pour mesurer la portée de la phrase, qui se situe dans le chapitre relatif à la licéité de principe de la guerre, il convient de tenir compte du contexte et du point que Grotius entend démontrer : à savoir que la loi évangélique n’a en rien modifié la licéité de la guerre même entre chrétiens ; le renvoi implicite à la définition du droit naturel figurant au chapitre ii est cependant hors de doute. Relevons aussi les lignes rajoutées au haut du fol. 11’ (p. 23, med.), où Grotius oppose à la mutabilité du droit civil le caractère immuable du droit naturel en faisant appel à leurs « causes » respectives : soit la volonté humaine pour l’un, une « cause perpétuelle » pour l’autre. Encore que dans les lignes qui précèdent semble affleurer l’idée de relations intrinsèquement nécessaires, il est plausible de rapporter cette « cause perpétuelle », qui a pour effet de faire « durer perpétuellement » les droits naturels, à la volonté divine.
126 « Bella igitur gerere nullo iure repugnante concessum est. Iuri enim divino, hoc est naturae et gentium, congruere iam satis apparuit. » IPC, fol. 15’ (p. 34).
127 IPC, cap. iii, fol. 15’ (p. 34).
128 IPC, fol. 16 (p. 35).
129 « Deum vero immortalem auctorem solum educatoremque reipublicae istius, quem ob voluntatem Optimum, ob potestatem Maximum dicimus… ». IPC, cap. xv, Epilogus, fol. 163 (p. 341).
130 IBP, i, i, x, 1.
131 IBP, i, i, x, 5
132 IBP, Proleg., n. 11.
133 Grotius insiste à plusieurs reprises sur ce point : la « nature » en question est qualifiée à tour de rôle de « rationnelle » (IBP, i, i, x, 1), de « rationnelle et sociale » (IBP, i, i, xii, 1) et d’« humaine » (IBP, Proleg., nn. 7, 9, 15).
Tout en reconnaissant à certains comportements animaux une sociabilité élémentaire et une apparence de raison (IBP, Proleg., n. 7), Grotius n’en rejette pas moins clairement la conception ulpienne du droit naturel (IBP, i, i, ix) ; les animaux n’ont du droit tout au plus qu’une ombre (IBP, i, ii, iii, 2 ; cf. aussi, pour une application concrète, IBP, ii, v, xii, 3).
134 Par opposition au droit naturel premier, entièrement dominé par l’amor sui et la cupido, le droit naturel secondaire a pour principe l’amor alterius et l’amicitia ; cf. infra, Annexe i, p. 632. Certes, Grotius reconnaît cette faculté d’amitié dans une certaine mesure aussi aux animaux, voire à la nature inanimée. Mais il la voit spécialement développée en l’homme, et ce déjà grâce à sa raison : par elle aussi, le droit naturel secondaire devient le propre de l’homme, méritant à ce titre l’appellation de droit des gens primaire ; IPC, cap. ii, fol. 6’ (pp. 11-12).
135 Parmi beaucoup d’autres, citons l’avis de F. J. Stahl : « Es ist die Aufgabe, jede Sphäre, jede Beziehung des menschlichen Daseyns zur vollständigen Entfaltung zu bringen. Desswegen musste die Moral ihre Sonderung erhalten von der Religion, mit der sie zuerst ununterschieden zusammenfloss. Diese Aufgabe zu erfüllen, that Grotius den mächtigen Schritt, zu sagen, es gebe ein jus naturale (d. i. ein Sitten- und Rechts- Gesetz), wenn es auch keinen Gott gäbe. » Die Philosophie des Rechts, vol. ii, 2e éd., Heidelberg, 1845, ii, 1, § 24, p. 73. Innombrables sont les auteurs à avoir soutenu cette thèse depuis ; cf. p. ex. J. Joubert, Etude sur Grotius, pp. 16-24. Pour une version sociologique de l’argument, Franz Borkenau, Der Übergang vom feudalen zum bürgerlichen Weltbild, Paris, 1934, pp. 143-144, et, dans la même ligne, Wolf Rosenbaum, Naturrecht und positives Recht, Neuwied et Darmstadt, 1972 (Soziologische Texte, 83), pp. 264-265.
136 L’aspect stoïcien de la thèse a été accentué par Wilhelm Dilthey : « In den drei ersten Dezennien des 17. Jahrhunderts tritt eine Reihe von Werken hervor, welche alle auf eine autonome Konstituierung und philosophische Grundlegung der moralischen, rechtlich-politischen Welt gerichtet waren. Hierbei bedienen sich aber einige der wichtigsten unter ihnen, darunter auch Grotius, ganz vorwiegend der stoisch-römischen Lehren. Aus dem Material derselben bauen sie ein natürliches System der moralischen Welt auf. » « Die Autonomie des Denkens », p. 276. Il est vrai qu’un peu plus loin le même auteur considère l’hypothèse etiamsi daremus comme un dépassement du stoïcisme : « Die so festgestellten Rechtsbegriffe haben nach ihm (sc. Grotius) ihre Geltung unabhängig von dem Glauben an ihre Begründung in einer auf Gott ruhenden teleologischen Ordnung. "Auch wenn es keinen Gott gäbe", würden die Sätze des Naturrechts ihre independente Allgemeingültigkeit haben. Die klare Erkenntnis dieses Gedankens ist der grösste Fortschritt, den die Rechtslehre dieser Epoche besonders durch die Autorität des Grotius über die römische Stoa hinaus getan hat, welche jenen theologischen oder metaphysischen Zusammenhang festhielt. » Op. cit., p. 280. Cf. également infra, p. 501, note 308.
137 On sait par ailleurs que d’autres ont revendiqué cet acte de sécession, avec autant de détermination et une formule non moins célèbre, en faveur de Gentili ; cf. supra, p. 354, note 1725.
138 Cf. supra, pp. 320 ss.
139 Cette double question est formulée par S. Chodorow, qui estime cependant que la seconde (soit, dans l’ordre où il les énonce, la première) est une fausse question ; Christian Political Theory and Church Politics in the Mid-Twelfth Century, Berkeley, Los Angeles, Londres, 1972, p. 98. La discussion qu’il fait suivre est l’une des meilleures que nous connaissions sur le sujet. Cf. aussi J. Gaudemet, « La doctrine des sources du droit dans le Décret de Gratien », RDC, i (1951), pp. 5-31 ; F. Arnold, « Die Rechtslehre des Magisters Gratianus », SG, i (1953), pp. 453-482 ; A. Wegner, « Über positives göttliches Recht und natürliches göttliches Recht bei Gratian », ibid., pp. 505-518.
140 Cf. supra, pp. 324-325.
141 Gratianus, Decretum, Dist. 1, d. a. c. 1 ; c. 1 ; d. p. c. 1.
142 Cf. supra, p. 325.
143 Cf. supra, p. 322, note 1537.
144 Gratianus, Decretum, Dist. 5, d. a. c. 1.
145 Ibid., Dist. 5, d. a. c. 1,§2.
146 Ibid., Dist. 5, d. p. c. 3.
147 Ibid., Dist. 8, d. a. c. 1
148 Ibid., Dist. 8, d. p. c. 1 ; d. p. c. 9 ; Dist. 9, d. a. c. 1.
149 « Cum ergo naturali iure nichil aliud precipiatur, quam quod Deus uult fieri, nichilque uetetur, quam quod Deus prohibet fieri ; denique cum in canonica scriptura nichil aliud, quam in diuinis legibus inueniatur, diuine uero leges natura consistant : patet, quod quecumque diuinae uoluntati, seu canonicae scripturae contraria probantur, eadem et naturali iuri inueniuntur aduersa. Unde quecumque diuinae uoluntati, seu canonice scripture, seu diuinis legibus postponenda censentur, eisdem naturale ius preferri oportet. Constitutiones ergo uel ecclesiasticae uel seculares, si naturali iuri contrariae probantur, penitus sunt excludendae. » Gratianus, Decretum, Dist. 9, d. p. c. 11.
150 Ibid., Dist. 6, d. p. c. 3, et Dist. 8, d. a. c. 1.
151 Ce problème est amplement mis en lumière par F. Flückiger, Geschichte des Naturrechtes, vol. i, Zollikon-Zürich, 1954, parties iv et v, pp. 284 ss.
152 J. Sauter, Grundlagen, p. 72, note 2.
153 F. Flückiger, op. cit., pp. 297 ss.
154 Epître aux Romains, ii, 14. Pour être traditionnelle (et donc historiquement seule importante pour nous) cette interprétation ne correspond pourtant pas au sens véritable du verset ; c. f. F. Flückiger, op. cit., pp. 295 ss.
155 F. Flückiger, op. cit., pp. 360 ss ; pour la relation entre Ambroise et Cicéron, cf. T. Zielinski, Cicero im Wandel der Jahrhunderte, Stuttgart, 1973, pp. 106 ss.
156 A. Augustinus, Contra Faustum Manichaeum, xxii, cap. 27, PL, 42, col. 418. Le motif est repris dans les chapitres suivants ; cf. 28 ; 30 ; 43. Sur la position-clé de saint Augustin, voir en particulier J. Sauter, Grundlagen, pp. 57 ss ; H. Welzel, Naturrecht, pp. 52 ss.
157 S. Kuttner, « Zur Frage der theologischen Vorlagen Gratians », SZ (k), 67 (1934). pp. 243-268 ; M. Villey, Leçons, pp. 189-201.
158 Hugo de Sancto Victore, De Sacramentis Christianae Fidei, ii, xii, en part. cap. iv, PL, 176, coll. 351 ss. Pour l’auteur en général, voir M. Grabmann, Die Geschichte, vol. ii, pp. 229 ss.
159 Cf. supra, p. 471.
160 R. W. et A. J. Carlyle, Mediaeval Political Theory, vol. i, pp. 19 ss et 132 ss.
161 Cf. supra, p. 471, note 143.
162 Rappelons aussi l’implication étymologique tirée de nasci, dont dérivent à la fois nationes et natura, implication isidorienne que Gratien a peut-être encore ressentie ; cf. supra, p. 322, note 1538.
163 Cf. supra, p. 329, note 1569.
164 Petrus Lombardus, Liber Sententiarum, en part. ii, 35, et iii, 37.
165 On trouvera des renseignements sur quelques-unes de leurs conceptions chez M. Grabmann, « Das Naturrecht der Scholastik von Gratian bis Thomas von Aquin », ARW, xvi (1922-1923), pp. 12-53, et O. Lottin, Le Droit Naturel chez Saint Thomas d’Aquin et ses prédécesseurs, Bruges, 1931. Cf. aussi F. Flückiger, Geschichte des Naturrechtes, pp. 411 ss.
166 Ce terme, par lequel les auteurs désignent en général la conscience morale et plus spécialement son centre actif et mouvant, semble remonter à saint Jérôme ; cf. A. Lalande, Vocabulaire, v° Syndérèse.
167 Sur ce point, Jean-Marie Aubert, Le droit romain dans l’œuvre de saint Thomas, Paris, 1955, pp. 28 ss. Cf. également ci-après, note 170.
168 Sur cet auteur, voir notamment M. Grabmann, « Das Naturrecht der Scholastik », pp. 18 ss, et F. Flückiger, Geschichte des Naturrechtes, pp. 422 ss.
169 Guillermus Altissiodorensis, Summa aurea in quattuor libros sententiarum, Paris, 1500, iii, vii, i. pr., fol. 153’.
170 Il est significatif que Guillaume admet bien d’un côté que la propriété privée répond à la situation de l’homme déchu, mais n’en maintient pas moins de l’autre côté que la nature humaine et sa rationalité sont demeurées intactes. Dès lors, le droit naturel trouve à s’appliquer non plus seulement à la nature prélaps, mais aussi à l’homme déchu, si ce n’est qu’il se voit adapté aux conditions altérées. D’où l’idée de concevoir deux états différents de la nature humaine, bene instituta dans son état d’innocence, lapsa ou corrupta dans son état actuel. Loc. cit., iii, vii, i, 1, foll. 153r-153v. Malgré sa corruption, la nature humaine n’en demeure pas moins chez Guillaume natura, et non pas, comme l’avait encore admis Hugues de Saint Victor, potius ruina ; partant, ii est possible d’ériger sur cette base un droit naturel à la fois autonome et rationnel.
171 A la base de son raisonnement se trouve une distinction entre vertus politiques et théologiques, la loi naturelle faisant partie des premières, nous conduisant cependant vers les secondes ; loc. cit., iii, vii, i, 3, foll. 154r-154v.
172 Ibid., iii, vii, i, 4, fol. 154v.
173 Pour l’aristotélisme d’Alexandre, cf. J. Sauter, Grundlagen, pp. 65 ss.
174 Summa theologica, ii, nn. 224-240.
175 Ibid., nn. 241-258.
176 Ibid., ii, n. 241, ad obiecta, 2.
177 Ibid., n. 246.
178 Ibid., nn. 247, 257, 258.
179 Ibid., n. 246, solutio.
180 En ce sens aussi Günter Stratenwerth, Die Naturrechtslehre des Johannes Duns Scotus, Göttingen, 1951, p. 91.
181 Cf. supra, p. 328.
182 Thomas de Aquino, S.T., i, ii, 91, 1-4.
183 Ibid., i, ii, 91, 4-5, et i, ii, 98-108.
184 Ibid., 1, 11, 91, 1, et i, ii, 93.
185 Ibid., 1, 11, 91, 2.
186 F. Flückiger, Geschichte des Naturrechtes, pp. 436 ss. L’opposition patristique et stoïcienne entre le droit naturel primitif et le droit naturel postérieur à la chute subsiste à vrai dire chez Thomas ; mais elle est d’autant plus estompée que dans son système l’ensemble de la nature s’oppose en tant que tel à la surnature et se trouve ordonné vers celle-ci. Cf. aussi E. Troeltsch, Augustin, die christliche Antike und das Mittelalter, Munich et Berlin, 1915, pp. 160 ss.
187 S.T., i, ii, 94, 2.
188 F. Flückiger, Geschichte des Naturrechtes, pp. 454 et ss. Cf. aussi H. Welzel, Naturrecht, pp. 60-61, qui relève surtout l’aspect problématique de cette démarche.
189 S.T., i, ii, 17, 1 ; i, 11, 90, 1.
190 Ibid., i, ii, 91, 1, corp. ; i, ii, 91, 3, corp.
191 Op. cit., i, ii, 93, 3, ad 2.
192 Op. cit., i, 25, 5, corp. Cf. aussi G. Stratenwerth, op. cit., pp. 46 ss.
193 Cf. G. Stratenwerth, Die Naturrechtslehre des Johannes Duns Scotus, en particulier pp. 5-7 et 21-58. Cf. aussi H. Welzel, Naturrecht, pp. 66-81 ; Alexander Koyre, Descartes und die Scholastik, Darmstadt, 1971, pp. 80-93 ; G. de Lagarde, La naissance de l’esprit laïque, vol. ii, Louvain et Paris, 1958, pp. 214-258 ; M. Villey, La formation, pp. 179-198 ; Heinz Heimsoeth, Die sechs grossen Themen der abendländischen Metaphysik und der Ausgang des Mittelalters, 6e éd., Darmstadt, 1974, pp. 218 ss. L’opposition entre l’intellectualisme et le volontarisme se trouve encore traitée dans maint autre ouvrage ; plus spécialement en relation avec Grotius, chez H. Fortuin, De natuurrechtelijke grondslagen van De Groot’s volkenrecht, La Haye, 1946, pp. 147-162, et J. St. Leger, The « Etiamsi Daremus » of Hugo Grotius, Rome, 1962, pp. 61-95.
194 H. Heimsoeth, op. cit., pp. 220 ss.
195 Ibid., pp. 224-225.
196 G. Stratenwerth, op. cit., pp. 73-83.
197 G. Stratenwerth, op. cit., p. 6 ; H. Welzel, Naturrecht, p. 76.
198 G. Stratenwerth, op. cit., pp. 73-83.
199 I. Duns Scotus, Opus oxoniense, iii, xxxvii, § Alio modo dicuntur. G. Stratenwerth, Die Naturrechtslehre, pp. 83-88.
200 En ce sens, G. Stratenwerth, op. cit., p. 86, note 362, contre G. de Lagarde, La naissance, vol. ii, ix, ii, p. 245, dont il interprète toutefois la pensée de manière par trop tranchée (à moins que celle-ci n’ait été reformulée de la première à la seconde édition de son ouvrage, que nous avons seule consultée).
201 H. Heimsoeth, Die sechs grossen Themen, pp. 181 ss.
202 Guilhelmus de Ockam, Super quattuor libros sententiarum annotationes, Lyon, 1495, ii, 19, ad 4um dubium et ad 5um dubium.
203 Guilhelmus de Ockam, Dialogus, ii, vi, Monarchiae tomus secundus, p. 934. Cf. aussi H. Welzel, Naturrecht, pp. 81-89, qui montre bien comment des thèses apparemment révolutionnaires se marient facilement, chez cet auteur, avec les positions les plus traditionnelles ; plus que chez d’autres, du reste, le danger est grand, ici, d’attacher une importance excessive et une portée trop générale à certaines tournures destinées dans l’esprit de l’auteur à ne résoudre que des points particuliers : moins encore que Duns, Occam n’est un systématicien.
204 Guilhelmus de Ockam, Quotlibeta Septem, Strasbourg, 1491, iii, 13.
205 C’est sans raison que Marc-Edouard Chenevière affirme, après avoir correctement constaté que l’école nominaliste « identifiait le juste à la volonté de Dieu », « qu’il s’agissait d’une volonté purement arbitraire », par opposition aux réformateurs pour qui ce caractère arbitraire aurait été seulement apparent, parce que la volonté divine « appartient à un autre ordre de justice que le nôtre » ; La pensée politique de Calvin, Genève et Paris, 1937, p. 44, note 41. En réalité les nominalistes médiévaux pensaient déjà comme les réformateurs, qui ne font ici que prolonger leur position. Il est vrai que l’avis de Chenevière concernant les nominalistes peut se réclamer de la haute autorité de Leibniz, qui avait déjà interprété la position volontariste dans ce sens ; Observationes de principio juris, in : Opera omnia, éd. Dutens, t. iv, iii, en part. § ix, p. 272. H. Welzel montre cependant bien que cette interprétation est outrée, puisqu’aucun des volontaristes, de Scot et d’Occam à Hobbes et à Pufendorf, n’a mis en doute l’essentielle bonté divine, ce qui exclut l’arbitraire ; Naturrecht, p. 149.
206 Quotlibeta septem, vi, 1. Le principe de non-contradiction y est fréquemment invoqué ; cf. p. ex. Quotlibeta septem, iii, 3 ; iv, 14 ; v, 1, 2, 4 et 6 ; de même Super quattuor libros sententiarum annotationes, ii, 19, F et O-Q.
207 Les positions de base nous paraissent cependant cohérentes ; l’opinion de E. Hochstetter, qui admet un revirement tardif d’Occam, nous semble être infondée, en tous cas à la lecture des textes qu’il invoque ; cf. Viator mundi, 1950 (Franziskanische Studien 32), p. 14 ; cité par H. Welzel, op. cit., p. 83, note 12. Le texte de Hochstetter ne nous a cependant pas été accessible et du reste il n’y a pas lieu ici d’approfondir ce point.
208 II est vrai que d’aucuns ont contesté l’appartenance de Grégoire au camp nominaliste ; en fait il est au premier chef augustinien.
209 Gregorius Ariminensis, Super secundo sententiarum, Venise 1522, dit. xxxivxxxvii, q. 1, art. 2, 1°, fol. 118r.
210 « Si queratur cur potius dico absolute contra rectam rationem quam contracte contra rationem diuinam. Respondeo ne putetur peccatum esse precise contra rationem diuinam & non contra quamlibet rectam rationem de eodem : aut estimetur aliquid esse peccatum : non quia est contra rationem diuinam inquantum est recta. sed quia est contra earn inquantum est diuina. nam si per impossibile ratio diuina siue deus ipse non esset aut ratio illa esset errans adhuc si quis ageret contra rectam rationem angelicam vel humanam aut aliam aliquam si qua esset peccaret. Et si nulla penitus esset ratio recta adhuc si quis ageret contra illud quod agendum esse dictaret ratio aliqua recta si aliqua esset peccaret. Et ideo in ponendo conclusionem dixi peccatum esse agere contra rectam rationem seu contra illud quod agendum esset secundum rectam rationem. » Loc. cit., foll. 118r-118v. H. Welzel fait toutefois observer que l’hypothèse « etiamsi daremus » apparaît déjà durant le haut moyen âge, en particulier chez Duns Scot ; Naturrecht, p. 94, note 16.
211 Loc. cit., cor. 2.
212 Ibid., sed contra.
213 Hugo de Sancto Victore, De sacramentis fidei christianae, i, vi, vii; PL, 176, col. 268. Cf. aussi ibid., i, iv, xxv; PL, 176, col. 245.
214 Op cit., dist. xxxiv-xxxvii, q. 1, art. 2, 1°, cor. 2, § Ad ista respondeo, fol. 119r.
215 Gabriel Biel, Collectorium, ii, 35, q. unica, art. 1.
216 Ioannes Gersonius, De consolatione theologiae monitum, ii, 2 ; in Opera omnia,
Anvers, 1706, t. i, p. i, col. 147.
217 Ioannes Gersonius, Liber de vita spirituali animae, lectio 3 ; in : Opera omnia, Anvers, 1706, t. iii, i, col. 26.
218 Ibid., coll. 19 et 26 ; cf. aussi De potestate ecclesiastica et de origine iuris et legum, consideratio 13 ; in : Opera omnia, t. ii, coll. 250-256. Cet aspect nous semble avoir été négligé par H. Welzel dans son jugement sur Gerson ; cf. Naturrecht, pp. 90-91.
219 Gabriel Biel, Collectorium, iii 37, art. 1, nota 1, B, i. f. On signalera aussi la double étymologie qu’il assigne à lex (soit legere et ligare) en rapportant la loi à la volonté.
220 Loc. cit.
221 La distinction semble concerner plutôt le mode d’établissement que le caractère intrinsèque de la norme.
222 En ce sens p. ex. Josef Bohatec, Calvin und das Recht, pp. 3 ss.
223 « Neque enim disputare fas est aut in controversiam revocare quale sit quod statuit is, cuius voluntas certissima est regula iustitiae et rectitudinis. » J. Calvin, Ad Ephes., 6, 1 ; cité par J. Bohatec, Calvin und das Recht, p. 90, note 366.
224 Cf. p. ex. Huldrych Zwingli, De duplici iustitia, divina et humana liber unus, trad, par Rodolphe Gualtherus, in : Opera, Zurich, 1545, t. i, foll. 306v et 309r ; Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne, iii, p. 198.
225 En ce sens, Heinrich Schmid, Zwinglis Lehre von der göttlichen und menschlichen Gerechtigkeit, Zurich, 1959, pp. 93-103, où le contraste par rapport à saint Thomas nous paraît cependant un peu forcé.
226 H. Welzel, Naturrecht, pp. 100-101.
227 Zwingli, De duplici iustitia, passim et en part. fol. 310. Sur l’ensemble de la question, cf. H. Schmid, op. cit., passim, et spécialement pp. 2745. Voir également Max Huber, « Von göttlicher und menschlicher Gerechtigkeit », in : Vermischte Schriften, iv, Zürich, 1957, pp. 103-113.
228 Calvin, Institution, vol. i, chap. ii, p. 125, ainsi que chap. I, pp. 46-47. Pour Zwingli, cf. H. Schmid, op. cit., pp. 104-120, où se trouve discutée en part, sa conception de l’imago dei.
229 Philippus Melanchton, Loci communes theologici, De lege ; in : Opera, Bâle, 1541, t. ii, pp. 475-488 ; In v. librum Ethicorum Aristotelis Commentarius, Divisio iuris in ius naturale & ius positiuum, Opera, t. iv, pp. 188-189 ; Epithome philosophiae moralis, ii, ibid., pp. 229-230.
230 Loci communes theologici, pp. 482 ss.
231 H. Welzel, Naturrecht, p. 104.
232 Ioannes Oldendorpius, Iuris naturalis, gentium et civilis εισαγωγη, Cologne, 1539, tit. ii, Wat byllick vn recht ys, eyne korte erklaring, allen stenden denstlick, Rostock, 1529, passim, in : A. Freybe, « Johann Oldendorps Schrift über Billigkeit und Recht », SZ (r), 1893, pp. 100-114.
233 Conradus Lagus, Iuris utriusque traditio methodica, i, ii, foll. 2v-4r.
234 Melchior Kling, Enarrationes in libros iv Institutionum, tit. i, pp. 1-5.
235 Nicolaus Hemmingius, De lege naturae apodictica methodus, in : Opuscula theologica, s. l., 1586, pp. 266 ss.
236 Benedictus Winclerus, Principiorum Iuris libri quinque, livres i et iii, in : C. von Kaltenborn, Die Vorläufer, 2e partie, pp. 47 ss et 76 ss. Notons que l’ouvrage comporte un chapitre intitulé Iura naturalia esse aeterna, immutabilia, adeo ut nec a deo mutari possint, cum sint deus ipse ; op. cit., iii, vii, p. 90, ce qui rappelle à première vue IBP, i, i, x, 5 ; malheureusement Kaltenborn a jugé superflu d’en reproduire plus que le titre, qui caractérise à son avis suffisamment le contenu du chapitre ; nous croyons toutefois, à en juger par les quatre derniers mots, que cette conception est distincte de celle du IBP, et qu’elle est plutôt conforme à celle du IPC ; cf. infra, pp. 496 ss. Winkler paraît tributaire surtout de Melanchton, ce qui pourrait expliquer la coïncidence avec le IPC ; cf. infra, p. 521, note 412.
237 J. Bohatec, Calvin, p. 91, note 371.
238 Cf. supra, pp. 352 et 178-179, ainsi que infra, p. 520.
239 Richard Hooker, Ecclesiastical Polity, i, 2, pp. 70 ss.
240 Op. cit., i, 7, pp. 77 ss. Pour une distinction analogue, cf. I. Gersonius, De consolatione theologiae, ii, 2, coll. 148 ss.
241 Op. cit., i, 8 et 11, pp. 80 et 90 ss. Il est vrai que seule la méthode a posteriori y est en fait exploitée.
242 Op. cit., i, 8, pp. 79-80.
243 Op. cit., i, 3 et 8, pp. 72, 74 et 83.
244 Franciscus Iunius, Theses theologicae de legibus Mosis iudicialibus et earum observatione, th. i ; in : Opera theologica, Genève, 1613, t. i, col. 1877. Cf. aussi Thomas de Aquino, S.T., i, ii, 90, 4, corp.
245 Op. cit., thèses ii-vii, coll. 1879 ss.
246 Cette étude ne sera pas entreprise ici ; cf. cependant infra, pp. 519-521.
247 Caietanus, Commentaria, ad S.T., i, ii, 90, 1, ad 3.
248 Op. cit., ad S.T., i, ii, 100, 8 ; cf. également ad op. cit., i, ii, 100, 1.
249 F. de Victoria, De homicidio, nn. 4-6
250 F. de Victoria, De eo ad quod tenetur homo cum primum venit ad usum rationis, ii, nn. 8-10.
251 D. de Soto, De iustitia & iure, ii, iv, iii, ad 3, p. 32.
252 Ibid.
253 Op. cit., i, i, i, pp. 6 ss.
254 Op. cit., i, v, ii, pp. 40 ss.
255 Op. cit., ii, ii, viii, pp. 114 ss.
256 Alfonsus a Castro, De potestate legis poenalis libri duo, Lyon, 1556 (la lettre d’envoi est datée de 1550), i, 1, p. 5.
257 En ce sens, D. P. O’Connel, « Rationalism and Voluntarism in the Fathers of International Law », IYBIA, 1964, ii, pp. 11 s.
258 Op. cit., ii, 14, pp. 561 ss.
259 « Et hoc etiam est ius diuinum, quia Deus ipse, qui naturam condidit, est iuris naturalis author & institutor. » Op. cit., ii, 14, p. 561.
260 F. Vasquius, Controversiae illustres, i, 27, nn. 8-9, pp. 246-247.
261 Op. cit., i, 27, nn. 11-14, pp. 247-248.
262 Pourtant, l’opinion de Welzel, qui qualifie cette position de « phänomenalistische Naturrechtslehre » en la considérant comme singulière et unique, nous paraît exagérée ; Naturrecht, pp. 91-93. Vasquez s’insère sur ce point dans le courant général, essentiellement hybride, de la Seconde scolastique, tout en accentuant le pôle volontariste. Quoi qu’il en soit, c’est à tort que Gurvitch fait inversement dériver l’etiamsi daremus grotien, et plus généralement l’idée de la perséité des valeurs morales, de ce chapitre des Controverses (du reste cité avec une fausse référence) ; « La philosophie du droit de Hugo Grotius », p. 369, note 2. Il se rapprocherait davantage du vrai par son évocation de Biel (qui devient ici curieusement un disciple de saint Thomas) s’il ne citait un faux passage (ibid., note 3).
263 Gregorius de Valentia, Commentaria theologica, vol. ii, vii, iv, i, col. 757.
264 Loc. cit., coll. 759-760.
265 Op. cit., vol. ii, vii, iv, iii, coll. 766-769.
266 Sur cet auteur, cf. en particulier H. Welzel, Naturrecht, pp. 95-97.
267 Cf. supra, p. 483, note 210.
268 Gabriel Vazquez, Commentaria ac Disputationes, cl, iii, n. 23 ; cf. aussi xcvii, iii.
269 Op. cit., cl, iii, n. 26.
270 Son principal interlocuteur est ici Cicéron, dont il vient de passer en revue certaines thèses, loc. cit., cl, ii, nn. 14-15.
271 L. Molina, De iustitia et iure, i, iv, nn. 1-2.
272 Op. cit., v, xlvi, n. 14
273 . Gersonius, Liber de vita spirituali animae, lect. ii, cor. 5, in : Opera omnia, Anvers, 1706, t. iii, i, coll. 21-22.
274 L. Molina, De iustitia et iure, v, xlvi, n. 14
275 Ibid.
276 F. Suarez, De legibus, ii, 5, n. 9.
277 F. Suarez, De legibus, I, i 5.
278 Op. cit., ii, 5, n. 5.
279 Op. cit., ii, 6, nn. 5 ss.
280 Ibid., nn. 11-12.
281 Ibid., nn. 13 ss.
282 L’influence de Lessius sur Grotius a été soulignée par Robert Feenstra, « L’influence de la scolastique espagnole sur Grotius en droit privé : quelques expériences dans des questions de fond et de forme, concernant notamment les doctrines de l’erreur et de l’enrichissement sans cause », in : La seconda scolastica nella formazione del diritto private moderno, Milan, 1973, pp. 377 ss.
283 L. Lessius, De iustitia et iure, ii, 2, 2, n. 9.
284 Ibid.
285 G. Ambrosetti, I presupposti, notamment pp. 61-66 et 93-105. Sans admettre une vraie rupture, cet auteur parle d’un « itinéraire spirituel », d’une « évolution fondamentale », qui, partant d’une position à l’origine typiquement protestante, aurait conduit Grotius à épouser de plus en plus les thèses de la scolastique espagnole. Jusqu’au bout de cette évolution, il aurait cependant été tiraillé entre ces deux extrêmes, sans d’ailleurs jamais sortir du cadre de la pensée théologique : cette « perplessità » serait symptomatique de la « Zwiespältigkeit » grotienne (op. cit., pp. 37, 88) et soulignerait son aspect de figure de transition (ibid., pp. 25, 28, 36). Nous suivons cette interprétation en ce qu’elle admet la coexistence en Grotius d’éléments contradictoires (et ce dès le IPC, cf. op. cit., p. 10) et son orientation religieuse ; mais l’« itinéraire spirituel » esquissé par Ambrosetti (op. cit., pp. 62-63) nous paraît douteux ; cf. infra, pp. 517-523. Pour deux interprétations voisines de celle d’Ambrosetti, cf. J. Basdevant, « Hugo Grotius », pp. 230 ss, et P. Ottenwälder, Zur Naturrechtslehre, pp. 98 ss.
286 A. Droetto, « Ugone Grozio e l’“avversario” di Cartesio nella questione delle verità eterne », RIFD, xxiv (1947), pp. 58-80 ; « L’alternativa teologica nella concezione giuridica del Grozio », RIFD, xxxiii (1956), pp. 351-363 ; « I Prolegomeni al “De iure belli ac pacis” », Filosofia, xv (1964), pp. 158-168. Les trois articles sont reproduits in : A. Droetto, Studi groziani, Turin, 1968, pp. 35-63, 240-255, et 293-308. Pour cet auteur, le contraste entre le IPC, où tout dépend de la volonté divine, et le IBP, où tout se fonde sur le principe autonome et purement juridique de la rationalité et de la sociabilité humaines, est absolu : le premier ouvrage relèverait aussi sûrement de la scolastique médiévale que le second appartiendrait à la philosophie juridique moderne. Cette interprétation paraît tributaire entre autres des thèses « socialistes » de G. Gurvitch (cf. supra, p. 462, note 97). Leur source commune se trouve dans une observation de Leibniz : « Meo iudicio recte Grotius doctrinam Scholasticorum de lege Dei aeterno cum principio socialitatis coniunxit. » Philosophische Schriften, éd. Gerhardt, vol. vii, p. 499 ; cité par A. Droetto, Studi groziani, p. 37, note 4, et p. 298.
Une interprétation du même ordre semble être admise par G. A. Finch, De Iure Praedae Commentarius, Oxford et Londres, 1950, vol. i, Préface, pp. xx-xxii, et par G. Fassò, pour qui le ISP refléterait encore une position volontariste, alors que le IBP consacrerait un droit naturel fondé sur la seule raison humaine, « indipendentemente da ogni riferimento a Dio » ; Vico e Grozio, Naples, 1971, p. 17. Cf. cependant la position un peu différente de cet auteur dans des écrits antérieurs ; Prolegomeni al Diritto della guerra e della pace, traduzione, introduzione e note di Guido Fasse, Bologne, 1949, p. 24, note 1 ; « Ugo Grozio tra medioevo e età moderna », RF, 41 (1950), pp. 177-190.
287 H. Welzel, Naturrecht, pp. 145 ss.
288 Cf. infra, Annexe I.
289 IBP, i, i, x, 2 ; cf. supra, p. 467, note 123, ainsi que Thomas de Aquino, S.T., ii, ii, 57, 2, ad 3.
290 IPC, cap. ii, fol. 5’ (pp. 8-9).
291 IPC, fol. 11’ (p. 23).
292 Cf. supra, p. 312. Le caractère rationnel du ius gentium primarium résulte entre autres du passage suivant, tiré du chapitre relatif à la licéité de la guerre : « Quod omnium gentium consensu universali approbatur, id omnibus, inque omnes ius est. Est autem bellum eius generis : quia quod ius est naturae idem est ius gentium necessario, accedente scilicet ratione. » IPC, cap. iii fol. 15’ (p. 33).
293 Ibid. L’implication est relevée par J. Basdevant, « Hugo Grotius », p. 231, qui fait état de deux autres indices allant dans le même sens, qui nous paraissent cependant moins convaincants. Cf. aussi G. Ambrosetti, I presupposti, p. 100.
294 IBP, i, i, xii, 1.
295 IPC, fol. 6’ (p. 12). Cf. aussi infra, p. 515, note 391.
296 Cf. supra, p. 59, note 32.
297 Cf. infra, pp. 499 ss.
298 L’immutabilité du droit naturel résulte de plusieurs passages : « Primum ergo illud positum sit Iure Gentium primario iubente cuius ratio perpetua est et immutabilis… ». IPC, xii, fol. 96’ (p. 205). Ce passage sera biffé dans le Mare liberum et remplacé par cette phrase : « Fundamentum struemus hanc Juris Gentium, quod primarium vocant, regulam certissimam, cuius perpetua atque immutabilis est ratio… ». Ibid. L’élément volontariste s’est ici entièrement effacé, alors qu’il est encore discrètement présent dans la version initiale grâce au iubente. Cf. aussi dans ce sens le passage suivant : « … de eo nos loqui, quod immutabili lege naturae decretum atque constitutum est. » IPC, xiv, fol. 144’ (p. 301).
299 S.T., i, ii 93, 1, corp.
300 « On serait tenté d’y [dans le IPC] voir parfois l’homme comme déclarant plutôt que comme créant le droit, comme faisant plutôt acte d’intelligence que de volonté. » Basdevant, « Hugo Grotius », p. 231.
301 Cf. en ce sens les observations de F. de Michelis sur le IPC : « In realtà qui non si tratta affatto di volontarismo puro e semplice… Non di volontarismo giuridico bisogna quindi parlare a proposito di Grozio, bensì di una sorta di razionalismo naturalistico che si collega strettamente aile dottrine stoiche. » Le origini, p. 96 ; cf. également infra, p. 519, note 406.
302 Cf. supra, pp. 468 et 494-495.
303 Cf. R. Labrousse, « Il problema délia originalità di Grozio », RIFD, 28 (1951), pp. 15-16. D’autres considèrent que Grotius a cherché à combiner les positions de Vazquez et de Suarez ; cf. J. Sauter, Grundlagen, pp. 92 ss ; Anton-H. Chroust, « Hugo Grotius and the Scholastic Natural Law Tradition », NS, xvii (1943), pp. 129 ss ; H. Rommen, Le droit naturel, Paris et Fribourg, 1945, chap. iii, i. pr., pp. 91 ss ; J. St. Leger, The « Etiamsi Daremus », pp. 135-136. D’autres encore mettent en doute l’utilisation de Suarez par Grotius ; ainsi J. Basdevant, « Hugo Grotius », p. 264, note 1, sans indiquer la moindre raison et tout en relevant certaines analogies entre les deux auteurs ; de même J. Joubert, Etude sur Grotius, Paris, 1953, pp. 17-18 ; opinion évidemment indéfendable puisque Grotius renvoie plusieurs fois au De legibus dans le IBP.
304 Cf. supra, pp. 466-467.
305 Cf. supra, p. 468. Bien que leur portée soit différente – tant à raison de leur sens que par leurs positions respectives au sein du IBP –, les deux passages seront examinés côte à côte dans la suite.
306 Cf. infra, p. 506, notes 338 et 339.
307 IBP, i, i, xi, 5. Cf. aussi sa lettre du 21 mai 1638 à son frère Guillaume, à propos du livre de Claude Saumaise sur l’usure, qui avait critiqué, semble-t-il, l’usage fait dans le IBP de l’adjectif voluntarium en relation avec le droit divin positif : « Deo liberum erat hominem non condere. Condito homine, id est natura ratione utente et ad societatem eximiam conformata necessario probat actiones tali naturae consentaneas, contrarias improbat. At multa alia non necessario aut iubet aut punit, sed quia ita ipsi visum. Quo alio nomine melius designari potuerit ius illud, quod non positam hominis naturam immutabiliter sequitur, sed ita, ut voluntas divina libera interveniat, equidem non video. » Briefwisseling, ix, n° 3586, p. 301 ; cf. aussi H. F. Wright, « Some less known Works of Hugo Grotius », BV, vii (1928), pp. 209-210. Dans la même ligne relevons IBP, ii, xx, xliii.
308 Cf. déjà S. Pufendorf, De iure naturae et gentium, ii, iii, 19 ; puis G. Fassó, « Ugo Grozio tra medioevo ed età moderna », RF, 41 (1951), p. 184, et Paul-Dominique Dognin, qui, examinant l’hypothèse etiamsi daremus du point de vue de ses implications quant au rapport entre Dieu et le droit naturel, voit en Marc-Aurèle « manifestement l’un des inspirateurs du prologue précité du juriste hollandais » ; « La justice de Dieu et le droit naturel », RSPT, xlix (1965), p. 73. De fait, à considérer le passage des Pensées de Marc-Aurèle allégué par Fassó et Dognin (vi, 44), on reste frappé par les analogies de certains thèmes (l’hypothèse de divinités ne se souciant point du sort des humains) et même de certaines tournures (cette hypothèse étant aussitôt considérée comme impie). Ces analogies ont été soulignées plus récemment par Matija Berljak, qui fait valoir encore un autre passage des Pensées rappelant l’hypothèse grotienne (ii, 11) ; Il diritto naturale e il suo rapporta con la divinità in Ugo Grozio, Rome 1978, pp. 96-97. Comme l’avait déjà fait Dognin (loc. cit., p. 73, note 23), Berljak relève à l’appui de sa thèse les nombreux renvois aux Pensées de Marc-Aurèle dans les notes des Prolégomènes du IBP ; op. cit., pp. 62-71 et 94-99. Or, outre le fait qu’aucune de ces annotations ne se rapporte à Proleg., n. 11, et qu’aucune ne renvoie aux passages pertinents des Pensées, il semble avoir échappé aux deux auteurs que toutes ces notes ont été rajoutées en 1642 seulement, soit presque deux décennies après la rédaction des Prolégomènes. Dès lors, leur argument tend à se retourner contre eux : car, si c’est vraiment des Pensées de Marc-Aurèle que Grotius aurait tiré son inspiration en 1625, il serait bien étonnant qu’il n’y eût point renvoyé alors, d’autant qu’il s’agit du type de source qu’il aimait invoquer. Les six renvois de 1642, rajoutés sans doute après une lecture des Pensées, font donc plutôt figure de confirmation que de source d’inspiration.
Il serait concevable du reste que l’hypothèse rotienne ait germé de façon indépendante. A comparer en effet les deux aspects (alternatifs) de l’hypothèse – l’inexistence de Dieu et Son indifférence face au monde – avec les principes de la religio vera exposés au second livre du IBP, on constate qu’ils répondent négativement au premier et au troisième de ces principes (IBP, ii, xx, xlv). Ces principes sont si importants aux yeux de Grotius qu’il considère leur méconnaissance comme une juste cause de guerre : il n’y a donc pas de doute qu’on serait devant un summum scelus au sens de Proleg., n. 11. Or, ces principes de la vera religio paraissent à leur tour provenir en droite ligne de la réflexion sur le De veritate religionis christianae, commencée dès l’époque de Loevestein. Car c’est là que fut écrite la première version, en vers néerlandais, de cet ouvrage paru d’abord en 1622. S’il est vrai que ces vers destinés aux marins néerlandais n’ont rien de la technicité de la version latine parue cinq ans plus tard, ils n’en traduisent pas moins la même démarche, comme le soulignent à l’évidence les marginales. Cf. Bewys van den waren Godsdienst in ses Boeken ghestelt, s.l., 1622, i, pp. 2-10, et VRC, i, ii, viii. Ainsi, les principes de la vera religio sont déjà clairement contenus dans le Bewijs : il s’agit pour Grotius notamment de prouver l’existence de Dieu (« Bewijs datter is eene Godt… », p. 2) et le fait qu’il gouverne le monde (« Dat Godt de werelt bestiert », p. 9). Sur la relation entre le IBP et le VRC, cf. aussi les observations de R. Voeltzel reproduites infra, p. 522, note 417.
Au-delà même de cet opuscule, c’est peut-être dans la réflexion iréniste et œcuménique de Grotius qu’il faut rechercher la source initiale des principes de la vera religio : l’une des voies de réunir les Eglises chrétiennes semblait être en effet l’établissement d’une liste d’articles fondamentaux ; cf. Dieter Wolf, Die Irenik des Hugo Grotius nach ihren Prinzipien und biographisch-geistesgeschichtlichen Perspektiven, Marburg, 1969, pp. 13-14, 27, 89-91.
Ces considérations suffisent pour montrer combien il serait imprudent de vouloir assigner une origine unique à l’hypothèse etiamsi daremus ; comme toujours, Grotius semble avoir combiné des sources diverses, et il devait sans doute être ravi de voir sa propre réflexion réfléchie non seulement dans une lignée de traités scolastiques, mais aussi dans la pensée d’un empereur romain : on se trouve une nouvelle fois devant un cas de coïncidence éclectique.
309 Rappelons sur ce point l’ouvrage précité de J. St. Leger, The « Etiamsi Daremus », qui fait le tour de la question avec un bon inventaire de la littérature. Cf. aussi A.-H. Chroust, « Hugo Grotius and the Scholastic Natural Law Tradition », en particulier pp. 112 ss, qui confond cependant Grégoire de Rimini avec Grégoire de Valence ; G. Fassó, « Ugo Grozio tra medioevo ed età moderna », RF, 41 (1950), pp. 174-190 ; H. Welzel, Naturrecht, pp. 89-129.
310 Cf. supra, pp. 493-494.
311 La division en sous-paragraphes semble avoir été introduite par l’un des fils de Grotius, Pieter de Groot, en 1667 ; cf. C. van Vollenhoven, « Notice sur le texte du De iure belli ac pacis (1929) », Grotiana, ii (1929), pp. 36-37.
312 Cf. supra, p. 464, note 107, ainsi que p. 448.
313 Ces phrases-charnières sont typiques de la méthode de composition grotienne et abondent déjà dans le IPC.
314 « Dieser Satz will keineswegs eine Kluft zwischen der Religion auf der einen Seite, dem Recht und der Sittlichkeit auf der anderen Seite aufreissen. Denn Grotius bleibt seiner ganzen Persönlichkeit nach ein tiefreligiöser Denker : die sittliche Erneuerung, die reformatio der Religion liegt ihm nicht minder am Herzen als die geistige Begründung und Vertiefung der Rechtsidee. Der Satz, dass es ein Recht auch ohne die Annahme der göttlichen Existenz geben könne und müsse, ist daher keineswegs thetisch, sondern lediglich hypothetisch zu verstehen. » Ernst Cassirer, Die Philosophie der Aufklärung, Tübingen, 1932, p. 322.
315 C’est à tort que Nussbaum oppose sur ce point Grotius aux scolastiques, en affirmant qu’il serait allé « bien au-delà de leurs enseignements » ; A Concise History, pp. 104-105.
316 A. Falchi, « Carattere ed intento », p. 580.
317 Sur ce point on songe en particulier aux thèses de Lessius ; cf. supra, p. 495.
318 Cf. IBP, Proleg., nn. 11-17 et IBP, i, i, xv, 1.
319 A propos de la conception du IPC, cet auteur parle d’un « correctif rationaliste » ; expression qu’il attribue à J. Basdevant, alors qu’elle paraît en fait provenir de lui-même ; A. Dufour, Le mariage, p. 93, note 64.
320 Cf. supra, p. 468, note 130.
321 Cf. aussi IBP ii, xx, xxx, 4.
322 Cf. supra, pp. 490 ss.
323 F. Suarez, De legibus, ii, 6, n. 17.
324 IBP, Proleg., n. 11 ; c’est nous qui soulignons. Le aliquem est déjà discuté par Jean-Jacques Burlamaqui ; Principes du droit naturel, Genève, 1748, ii, § xv, pp. 146-147.
325 Comme le font observer A.-H. Chroust, « Hugo Grotius and the Scholastic Natural Law Tradition », p. 115, note 49, et H. Fortuin, De natuurrechtelijke grondslagen, p. 130, le aliquem est un rajout apparaissant dès la deuxième édition, en 1631. Contrairement à ce dernier auteur nous y voyons, plutôt qu’une atténuation, une précision de la pensée initiale.
326 On observera aussi que le droit naturel du début des Prolégomènes ne se recouvre pas entièrement avec la définition de IBP, i, i, x, 1 ; car si Grotius vise ici le droit naturel au sens strict, le haec quidem quae iam diximus de Proleg., n. 11, comprend, semble-t-il, également son acception large, ainsi que Proleg., n. 12, tend à le confirmer. Cf. aussi supra, p. 464, note 107.
327 La dépendance de Grotius par rapport à Suarez est fortement soulignée par G. Ambrosetti, I presupposti, pp. 109-127.
328 Cf. supra, pp. 494-495 et 503-504.
329 Cf. supra, p. 493.
330 IBP, i, i, x, 3-4 et 6-7. Cf. les distinctions de Suarez entre droit naturel positif et négatif (De legibus, ii, 14, nn. 6 et 14) ; entre droit naturel préceptif et dominatif (op. cit., ii, 14, nn. 16-18) ; entre normes de droit naturel obligeant immédiatement et celles qui supposent un acte de volonté humain (op. cit., ii, 14, n. 7) ; enfin sa discussion des mutations apparentes du droit naturel, dues à une modification ex parte materiae (op. cit., ii, 15, n. 16, où la question est soulevée, comme chez saint Thomas, S.T., i, ii, 100, 8, à propos de la dispense ; cf. aussi le De aequitate, de Grotius, infra, p. 508). Cf. également Ambrosetti, I presupposti, pp. 113-118.
331 Cf. supra, p. 469, note 135. Cette opinion, fruit surtout, semble-t-il, d’un anticléricalisme « éclairé », a été battue en brèche depuis plusieurs décennies par des autorités suffisantes pour n’être de nos jours plus qu’une « boutade comico-scientifique », suivant l’expression de Larequi. « Grocio, fundador del Derecho natural ? », RyF, 87 (1929), p. 532. Signalons surtout les bonnes discussions consacrées à cette question par E. Lewalter, « Die geistesgeschichtliche Stellung des Hugo Grotius », DVLG, 11 (1933) ; H. Welzel, Naturrecht, pp. 127-128 ; A. Dufour, Le mariage, pp. 91-96 ; H.-A. Chroust, « Hugo Grotius and the Scholastic Natural Law Tradition », passim ; J. Kohler, « Die spanischen Naturrechtslehrer », passim ; F. de Michelis, Le origini, pp. 96 ss ; E. Balogh, « The Traditional Element in Grotius’ Conception of International Law », NYULQR, vii (1929), p. 283. Cf. aussi les importantes études de J. Schlüter, Die Theologie des Hugo Grotius, Göttingen, 1919, pp. 93-101 ; P. Ottenwälder, Zur Naturrechtslehre des Hugo Grotius, Tübingen, 1950, notamment pp. 98-122 ; Giovanni Ambrosetti, I presupposti, passim ; pour diverses raisons, nous ne saurions suivre du reste ces quatre derniers auteurs en tous points.
332 E. Reibstein, Johannes Althusius, pp. 57-58, qui parle à vrai dire de Suarez, mais semble appliquer le même jugement à Grotius qui aurait profité de cette réorientation afin de rendre sa propre doctrine acceptable à l’orthodoxie protestante. En ce qui concerne Fernando Vasquez, la composante volontariste que révèle son œuvre nous fait croire que c’est à tort que Reibstein lui attribue un dessein laïcisateur ; Die Anfänge, passim.
333 Nos conclusions rejoignent en substance l’excellente analyse de Charles Edwards, « The Law of Nature in the Thought of Hugo Grotius », JP, 32 (1970), pp. 784-807, dont nous n’avons eu connaissance qu’après la rédaction de ce travail.
334 On concédera du moins qu’au niveau de la formulation le contraste est complet, et sans doute voulu. Ce n’est pas l’unique exemple d’un tel revirement : nous en avons rencontré un autre exemple dans l’opposition entre status et exsecutio, dont nous avons cru pouvoir dire qu’elle laissait intacte, sur le fond, la définition de la guerre ; cf. supra, pp. 457 ss. Tout aussi frappante est la nouvelle mise en scène de la guerre privée ; cf. infra, pp. 530 ss. Pour radicales qu’elles puissent paraître, ces volte-face demeurent donc en un sens superficielles et ne modifient pas la substance des positions grotiennes.
335 IBP, i, ii, i. Cf. infra, pp. 530 ss.
336 IBP, Proleg. nn. 6 ss. En ce sens aussi F. de Michelis, Le origini, p. 96, note 38.
337 IBP, i, i, x, 1 (Ius naturale est dictatum rectae rationis, i. f.). Les deux docteurs sont du reste invoqués aussi dans les prolégomènes du Mémoire ; et, chose remarquable, alors que Scot n’y est mentionné qu’une seule fois, on y trouve non moins de douze références à Thomas. Cela nous paraît symptomatique pour les options de fond de Grotius : son volontarisme est en grande partie de surface. Relevons d’autre part l’absence totale de Guillaume d’Occam, tant dans l’œuvre de jeunesse que dans celle de maturité.
338 IBP, 1, 1, xv, 1.
339 IBP, Proleg., n. 12.
340 Cf. supra, p. 497, note 289.
341 Ce qu’il est possible de savoir sur la genèse et la datation de cet opuscule se trouve réuni par R. Feenstra et J. E. Scholtens, « Hugo de Groot’s De aequitate. Tekstuitgave en tekstgeschiedenis met bijdragen over Nicolaas Blanckaert en over de voorrede tot de Inleidinge » ; RHD, 42 (1974), pp. 201-242. On y trouve aussi une édition critique de cet écrit, à laquelle nous nous sommes référé, par préférence à celle qui figure d’ordinaire en annexe aux éd. du IBP dès 1680. Cf. aussi J. ter Meulen et P. J. J. Diermanse, Bibliographie des écrits de Hugo Grotius, nn. 810-816, pp. 387-390, et Addenda, p. 649. Nous pensons qu’il est plausible de voir dans le De aequitate, avec F. de Michelis, une « composition remontant aux années de jeunesse de Grotius » ; Le origini, p. 102, note 45. C’est ce que semble confirmer un passage de la lettre du 18 mai 1615 à Willem de Groot ; Grotius y fait sans doute allusion au De aequitate, et celui-ci y apparaît comme un souvenir assez reculé : « Quaestionem περι επιειχειας memini me quibusdam Thesibus complecti, quorum exemplum apud Patrem puto exstare. Si is non habet schedas meas percurram. » Briefwisseling, i, n° 405, p. 391. Grotius reviendra sur les thèmes traités dans cet écrit au cours de la Defensio fidei catholicae, cap. iii ; sur cet écrit, cf. infra, pp. 512-513.
342 AIF, nn. 6-8 et 25-30 ; Feenstra et Scholtens, p. 223 et pp. 226-227.
343 Op. cit., n. 11, p. 224
344 Op. cit., n. 31, p. 227.
345 Op. cit., n. 8, i. f., p. 223.
346 Op. cit., n. 8, p. 223.
347 Op. cit., ibid.
348 Cf. supra, pp. 480-481.
349 D. de Soto, De iustitia et iure, ii, iii, 1, p. 102 ; cf. Thomas de Aquino, S.T., i, ii, 90, 1 et 2 ; 91, 3 ; 94, 2.
350 AIF, n. 25, p. 226.
351 Op. cit., n. 8, p. 223.
352 « Error est non minus vetus quam pestilens, quo multi mortales, ii autem maxime qui plurimum vi atque opibus valent, persuadent sibi, aut, quod verius puto, persuadere conantur, iustum atque iniustum non suapte natura, sed hominum inani quadam opinione atque consuetudine distingui. Itaque illi & leges & aequitatis speciem in hoc inventa existimant, ut eorum qui in parendi conditione nati sunt dissensiones atque tumultus coërceantur : ipsis vero qui in summa fortuna sunt collacati, ius omne aiunt ex voluntate, voluntatem ex utilitate metiendam. » ML, praefatio, i. pr. Cf. IBP, Proleg., n. 5.
353 G. Ambrosetti, I presupposti, pp. 100-101 ; J. St. Leger, The « Etiamsi Daremus », pp. 141-142, qui y voit un indice du fait que Grotius aurait connu à ce moment déjà les Commentaria de Gabriel Vazquez ; ce dernier utilise en effet la tournure suapte natura par six fois dans l’une des disputations relatives au droit naturel (cl, iii). Hypothèse intéressante, mais condamnée sans doute à demeurer hypothèse ; et qui n’exclut en rien l’origine cicéronienne de l’expression, tout comme l’ensemble de la praefatio est cicéronienne par l’esprit : on sait que natura est l’un des mots-clé du De officiis autant que du De finibus bonorum et malorum. Provient du reste aussi de Cicéron le couple naturaopinio ; cf. p. ex. De legibus, 1, 10 et 16. C’est sans doute par ce biais que nombre d’auteurs en font état au xvie siècle ; cf. p. ex. N. Hemmingsen, De lege naturae, Epistola, pp. 167- 168, qui indique aussi les origines platoniciennes de l’idée.
354 ML, praefatio, i. pr.
355 DCQ, foll. 10-10’ (p. 347). Cf. supra, p. 391, et infra, Annexe v, pp. 640-641.
356 Institutes, i, ii, § 11.
357 DCQ, foll. 10-10’ (p. 347) ; cf. infra, Annexe v, p. 641.
358 Op. cit., fol. 10’ (p. 347).
359 IBP, i, i, xii et xiv, 2.
360 Publié à titre posthume en 1647, à Paris, cet ouvrage était achevé, semble-t-il, dès l’été 1614, bien qu’il ne reçût son titre définitif qu’en 1616 ou 1617. Pour sa genèse, cf. les lettres à G. Vossius de la fin d’août et du 14 septembre 1614 et celle à J. Polyander du 14 septembre 1614 ; Briefwisseling, i, n° 347, p. 349 ; n° 270, p. 351 ; n° 369, pp. 350-351. Cf. aussi J. ter Meulen et P. J. J. Diermanse, Bibliographie, n. 894. Ont été utilisé les deux éd. parues respectivement au tome iii (= vol. iv) des Opera omnia theologica, Amsterdam, 1679, et à Naples en 1780.
361 Parmi les rares auteurs ayant reconnu l’importance de l’ouvrage figurent J. Sauter, Grundlagen, p. 91, note 3 ; F. de Michelis, Le origini, pp. 154-158 ; et surtout A. H. Chroust, qui va jusqu’à y voir « without doubt his most important philosophical work » ; « Hugo Grotius and the Scholastic Natural Law Tradition », p. 126. Quoi qu’il en soit de ce jugement, il est certain que le traité constitue l’un des points de cristallisation décisifs de la pensée juridique grotienne.
362 ISP, ii, n. 3.
363 Ibid.
364 Cf. supra, pp. 462-464.
365 Cf. également infra, pp. 525-527.
366 ISP, iii, n. 3.
367 ISP, vi, n. 3.
368 ISP, iii, nn. 2 et 3.
369 ISP, iii, n. 4.
370 ISP, iii, nn. 5 et 10.
371 ISP, iii, n. 10. Une tournure analogue figure déjà dans le IPC : « ... homo, utpote Dei opificium, id quod Deus per naturam dictat, sequi compellitur ». IPC, cap. iii, fol. 15’ (p. 34).
372 ISP, iii, n. 13.
373 L’ouvrage fut rédigé probablement en 1614 déjà ; cf. la lettre du 23 octobre 1614 de G. Vossius à Grotius, Briefwisseling, i, n° 381, pp. 366-367. Grotius envoya l’opuscule à Vossius le 25 mars 1615 ; cf. Briefwisseling, i, n° 393, p. 377. Sur cet écrit, cf. en part. J. Schlüter, Die Theologie des Hugo Grotius, Göttingen, 1919, pp. 36-47, dont l’analyse ne nous paraît toutefois pas entièrement convaincante sur ce point ; aussi, nous rallierons-nous à la critique de H. Fortuin, De natuurrechtelijke Grondslagen, pp. 158-159. Cf. également F. de Michelis, Le origini, pp. 150-154. Pour le socinianisme, cf. A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Freiburg i.B., 1886-1890, vol. iii, pp. 653-691.
374 « Addi poterat, saepe voluntatem Dei ipsam sibi pro causa sufficere. Nam his exemptis quae certam & ad unum determinatam rectitudinem in se continent, quae Deus vult quia iusta sunt, hoc est, quia naturae suae congruunt ; in caeteris omnibus quae vult, iusta efficit volendo. » DFC, v, p. 315, b. La pagination renvoie à l’éd. des Opera theologica parue à Bâle en 1732, tome iv. Celle-ci ne semble pas être entièrement conforme à la première éd. de la Defensio fidei catholicae, Leyde, 1617 ; l’éditeur, Theodore Hillensberg, note en effet, au bas de la page de titre : editio novissima, juxta exemplar ipsius Authoris manu variis in locis auctum & emendatum, quod nobis ex sua Bibliotheca suppeditavit ; nous n’avons pu toutefois comparer les deux textes.
375 « Sunt ergo quaedam Dei proprietates, quorum exercitium, turn quoad actum, tum quoad tempus & modum actus, imo etiam quoad obiecti determinationem, pendet a libera ipsius voluntate, cui tamen semper praesidet Sapientia. » DFC, v, p. 317, a.
376 DFC, iv p. 313, a.
377 « ... Deus, cuius est Summa Potestas ad omnia per se non iniusta… » DFC, iv, p. 315, b. C’est ce que Schlüter n’a pas suffisamment relevé ; cf. supra, note 373.
378 DFC, iv, p. 312, a.
379 DFC, iii, p. 310, a. La distinction entre le mal (pravitas) et le péché (peccatum) ne paraît pas encore acquise, ce qui nous renvoie à Vazquez plutôt qu’à Suarez.
380 DFC, iii, p. 310, b.
381 DFC, iii, p. 311, a.
382 Lettre du 5 juin 1615 à Walaeus, Briefwisseling, i, n° 410, pp. 396-397.
383 Briefwisseling, i, n° 411, p. 398.
384 Briefwisseling, i, no 412, p. 400.
385 Lettre du 18 mai 1615, Briefwisseling, i, n° 405, p. 391.
386 Iura naturalia quae vere et proprie sunt talia, hoc est quae Deus per naturam iubet aut vetat – aliud enim censendum est de iis quae congruentiam quandam habent cum natura et rectius dicuntur πςεπειν quam δειν – omnino sunt immutabilia hominibus, quia inferior non potest mutare legem superioris. An Deo ipsi sint mutabilia alia est quaestio. » Ibid., p. 390. Toujours à propos de la même série de thèses, Grotius fait observer à son frère, quelques mois plus tard, dans sa lettre du 23 novembre 1615 : « Militem a querela esse liberum ordo a te in aliis satis accurate observatus omnino exigit ad primam potius quant in postremis Thesibus memorari ; nisi forte per indirectum hoc modo, Ius unde querela oritur positivum esse affirmamus, ideoque nec militem eo teneri. Verissimum est hoc, nam sicubi hoc ius dicitur naturale intelligendum est satis congruens aequitati naturali, non ex naturali necessitate descendens. » Op. cit., i, n° 433, p. 426.
387 Op. cit., i, n° 405, p. 390.
388 « Quod autem prima Thesi praesupponis, nempe quasvis verborum conventiones ex natura, hoc est, ex ipsa rationalis creaturae conditione ac proinde etiam ex Gentium Iure primario, non positivo, vim obligandi habuisse, id quanquam a Connano magna vi oppugnatur est tamen verissimum. » Lettre du 28 février 1616, Briefwisseling, i, n° 450, p. 500.
389 « Quin si subtilius aliquanto rem lubet intueri non ex sola proprietate creaturae rationalis, sed ex eo quod omni naturae rationali commune est, nascitur vinculum promissionis. Nam et homo quod Deo promittit tenetur praestare, unde votorum origo ; et Deus ipse manifeste satis ostendit suae quoque naturae esse conveniens stare promissis… Unde apparet ius hoc quo ad implenda promissa obstringimur ex aeterno lege, hoc est ipsius Dei natura, proficisci, ad cuius imaginem homo est conditus. » Op. cit., loc. cit.
390 IBP, ii, xi, iv.
391 « Est igitur, quoniam nihil est ratione melius, eaque est et in homine, et in deo, prima homini cum deo rationis societas. Inter quos autem ratio, inter eosdem etiam recta ratio communis est. » M. T. Cicero, De legibus, i, 7. Parlant dans le IPC de (ce qui deviendra dans le IBP) l’appetitus societatis (et qui y est encore appelé amicitia ou amor alterius), Grotius en voit déjà le fondement dans la ratio illa imperatrix dont l’homme a reçu « ab ipso Deo principium, qui mentis suae imaginem homini impressit » ; IPC, cap. ii, fol. 6’ (pp. 11-12). Cf. aussi la lettre à Walaeus du 29 juin 1615, Briefwisseling, i, n° 412, p. 400.
392 Selon toute vraisemblance, Grotius connaissait le De legibus suarézien dès l’époque de la Defensio contre Welwod ; cf. supra, pp. 392 ss. Il invoque du reste à plusieurs reprises Suarez dans le De imperio, cf. ISP, i, nn. 3, 9, 10 et 14. Nous n’avons pu toutefois identifier les brèves citations qu’il en donne : elles ne correspondent point, semble-t-il, aux thèses générales soit du De legibus, soit de la Defensio fidei catholicae. On est tenté de croire que Grotius les alléguait de seconde main. Nous avons examiné à cet égard plusieurs écrits de Roger Widdrington, que Grotius cite sous ISP, i, n. 14, mais sans résultat. Seule sa Disputatio theologica de Iuramento Fidelitatis, Londres, 1613, semble comporter des citations du De legibus de Suarez : au chap. 1er, qui porte sur certaines règles d’interprétation, Widdrington cite de larges extraits du livre vi, tandis qu’au chap. 3 il discute deux arguments tirés de De legibus, iv, 9, tout en manifestant du reste une opinion plutôt favorable à l’égard du jésuite. Quoi qu’il en soit, le fait que Grotius mentionne vers 1614 le nom de Suarez indique du moins que celui-ci ne lui était plus alors inconnu.
393 Nous avons eu recours à deux éditions de cet ouvrage, celle de R. W. Lee, Oxford, 1926, et celle de F. Dovring, H. F. W. D. Fischer, E. M. Meijers, Leyde, 1952. Pour la genèse de l’ouvrage, cf. aussi K. Wellschmied, « Zur Entstehung und Bedeutung der Inieidinge tot de Hollandsche Rechts-Geleerdheid von Hugo Grotius », SZ (g), 69 (1952), pp. 155 ss.
394 Inieidinge, i, ii, 4-13. Cette division résulte « uyt de maeckende oorsaeck », soit de la cause efficiente ; ibid., i, ii, 3.
395 Inleidinge, i, ii, 5, p. 3 ; cité d’après l’édition de Leyde.
396 « ’t Gunt by de aengeboren wet werd verboden is onghebiedelick : ‘t gunt by de selve gheboden werd onverbiedelick, de zaken blijvende in de selve gestaltenisse : ende in desen zin werd dese wet ghenoemt onveranderlick, hoewel andersints ‘t gunt by de selve wet vrij was gelaten, by andere wetten kan geboden ofte verboden werden : ende de zaken zelve door een andere wet ofte willige daed sulcks konnen werden verandert, dat de verbintenisse vans de aengheboren wet komt op te houden. » Inleidinge, i, ii, 6, i. f., p. 4. On observera que cette affirmation ne vaut que dans la mesure où « les choses demeurent dans la même condition », ce qui tend à confirmer le caractère relatif de l’immutabilité du droit naturel ; cf. supra, p. 503, note 317.
397 Rien ne souligne mieux cette intention que la phrase suivante du chap. iii du Mémoire : « Ius enim naturae, hoc est illud quod initio rebus creatis ad earundem conservationem Deus inseruit, cum divina voluntas immutabilis et aeterno sit, semper et ubique ius est… » IPC, fol. 15 (p. 33). Cf. aussi G. Fassó, « Ugo Grozio », pp. 177-178.
398 Cf. supra, p. 467, note 125 i. f.
399 Cf. supra, p. 482, note 205.
400 Cf. supra, pp. 478-479 et 488.
401 Cf. supra, pp. 497-499.
402 Cf. ce passage de Hume sur un point voisin : « It argues surely more power in the Deity to delegate a certain degree of power to inferior creatures, than to produce everything by his own immediate volition. It argues more wisdom to contrive at first the fabric of the world with such perfect foresight that, of itself, and by its proper operation, it may serve all the purposes of providence, than if the great Creator were obliged every moment to adjust its parts, and animate by his breath all the wheels of that stupendous machine. » An Enquiry concerning Human Understanding, vii, i p. 73.
403 Cette intention fondamentale est demeurée constante à vingt ans d’intervalle ; cf. IPC, cap. i, fol. 5 (p. 7) et IBP, Proleg., nn. 30, 31 et 58.
404 E. Lewalter montre admirablement l’importance des représentations divergentes qu’ont les auteurs de la divinité. « Die geistesgeschichtliche Stellung », notamment pp. 291- 292. H. Welzel y insiste pour sa part à propos de Leibniz, Naturrecht, pp. 148-152, tout en montrant cependant les dangers d’une interprétation caricaturale de la position volontariste : l’arbitraire qu’elle semble impliquer est en fait plus que neutralisé par le présupposé général de la bonté divine ; ibid., p. 149. Cf. aussi supra, p. 482, note 205.
405 IBP, i, i, ix, 1 et x, 1.
406 Notre interprétation rejointe en substance celle de H. Fortuin, De natuurrechtelijke Grondslagen, pp. 155 ss. Cf. aussi F. de Michelis, Le origini, pp. 96-97, qui explique la constance de la position grotienne par sa référence égale, dans les deux œuvres, aux stoïciens. Cf. aussi G. Fassó, « Ugo Grozio », pp. 177-178 et 184-185 ; ainsi que A. Dufour, Le mariage, pp. 91 ss.
407 Dans cette mesure, nous nous rallions donc aux thèses de G. Fassó et de G. Ambrosetti ; cf. supra, p. 496, note 285. Nous croyons pouvoir écarter par ailleurs, en tant qu’influence déterminante, le De veritate, prout distinguitur a revelatione, a verisimili et a falso, que Lord Edward Herbert of Cherbury publia à Paris en 1624, malgré les liens que ce dernier entretenait avec Grotius. Une influence de ce type nous paraît exclue tant par le fond que par la date de publication, antérieure d’une année à celle du IBP : les positions de Grotius étaient à ce moment déjà pleinement acquises.
408 L’opinion de Kaltenborn, qui attribue à Oldendorp, à Hemmingsen et à Winkler une influence décisive sur la conception grotienne du droit naturel (seul le IBP étant bien entendu visé, la découverte du IPC étant postérieure aux écrits de Kaltenborn ; cf. Die Vorläufer, 1re partie, pp. 200 ss) demanderait, pour être défendable, un supplément de preuve qu’il paraît difficile de fournir en l’état actuel de nos connaissances. Pour radical qu’il puisse paraître, l’avis de Thieme sur ces trois juristes semble ici plus proche du vrai : « Es bedeutet keine Schmälerung der Verdienste dieser Männer, wenn man nüchtern feststellt, dass sie mit dem, was sie über das Naturrecht lehrten, auf Grotius und auf die Nachwelt nicht die geringste Wirkung ausgeübt haben ». « Natürliches Privatrecht und Spätscholastik », SZ (g), 70 (1953), p. 231, note 3.
409 Cela est bien relevé chez M.-E. Chenevière, La pensée politique de Jean Calvin, p. 45. Cf. aussi F. Borkenau, Der Übergang vom feudalen zum bürgerlichen Weltbild, pp. 141 ss. En ce qui concerne la place importante de la traditio dans la méthode théologique grotienne, R. Voeltzel fait pertinemment observer : « Ici apparaît la différence radicale entre le point de vue de Calvin et celui de Grotius. A ce que Calvin a regardé comme imparfait et plein de menaces (Institution Chrétienne, I, 4 ss), Grotius attache une importance décisive. » « La Méthode théologique », p. 133, note 42.
410 W. J. M. van Eysinga, Hugo Grotius, p. 15. L’estime de Grotius pour du Jon apparaît en particulier dans ce passage d’une lettre du 24 décembre 1609 à Gomarus : « Praecipue autem D. Francisci Junii – cuius sancta mihi memoria est – praecepta mihi multa animo inhaerent. » Briefwisseling, i, n° 181, p. 158.
411 Cf. supra, p. 352, notes 1708 et 1709, ainsi que p. 488.
412 Il n’est pas exclu que Melanchton ait joué à cet égard un rôle de médiateur, comme paraît l’admettre P. Meylan, « Grotius et l’Ecole du Droit naturel », in : Hommage à Grotius, Lausanne, 1946, p. 53.
413 Cf. supra, pp. 484-485.
414 Lewalter a montré que la thèse de la « sécularisation » est incompatible avec le projet œcuménique qui traverse la vie de Grotius, toute entière orientée vers l’idéal érasmien de l’unité du corpus christianum, impliquant la continuité de l’ecclesia universalis par delà l’effondrement de l’empire médiéval. C’est en ce sens qu’il conclut : « Weit entfernt also, eine "Säkularisierung" theologischen Geistesgutes zu bedeuten, ist der Nerv des Grotiusschen Lebenswerkes vielmehr als die Spiritualisierung der imperialen Idee zu verstehen – ein Zug des Denkens, der dann bei Leibniz seine systematisch-philosophische Durchbildung erfahren hat. » « Die geistesgeschichtliche Stellung », pp. 282-283. Critiquant l’un des tenants de la thèse de « Grotius laïcisateur », ce même auteur fait observer plus généralement : « Das Beispiel Gurvitchs wird von hier aus ein deutlicher Beleg für die Unmöglichkeit einer anders als religions geschichtlich orientierten Dogmengeschichte der Rechtswissenschaft jener Jahrhunderte. » Ibid., p. 282, note 2, i. f. Cette remarque vaut pour la plupart des études historiques consacrées par des internationalistes au passé de leur discipline : des doctrines des « fondateurs » ils ne saisissent d’ordinaire qu’un aspect fragmentaire, arbitrairement découpé en fonction des données modernes, au mépris de l’univers spirituel assez différent, et nécessairement religieux, conditionnant l’ensemble des auteurs jusqu’à l’âge des Lumières.
415 Nombreux sont en fait les passages attestant le contraire : ainsi IBP, i, ii, v-x (licéité de la guerre au regard de la Bible) ; ii, xiii; iii, xix ; iii, xix, v (le serment est conçu comme une relation triangulaire impliquant Dieu) ; ii, xv, xii (exhortation des chrétiens à s’unir face aux autres religions) ; ii, xx, x-xiv (licéité du châtiment au point de vue de la Bible) ; ii, xx, xliv-li (châtiment des crimes contre Dieu) ; iii, xx, xliii, 2-3 (l’homme ne peut disposer librement de sa vie, qui appartient à Dieu). Significatif paraît à cet égard aussi ce classement des auteurs cités dans le IBP : « Of the 609 persons listed by profession, 159, or 26 per cent are primarily authorities on religion and theology ; 138, or 22.5 per cent are students or scholars of the law of one kind or another ; 124, or 20.5 per cent are historians ; 69, or 11 per cent are writers of literature ; 47, or 8 per cent are philosophers ; 28, or 4.5 per cent may be classed as essentially students of politics ; 15, or 2.5 per cent are rhetoricians ; 12, or 2 per cent are grammarians. The remaining 17, constituting 3 per cent of the total include the following professions : geography (5) ; strategy (3) ; medicine (2) ; astronomy (2) ; agriculture (1) ; surveying (1) ; lexicography (1) ; architecture (1) ; antiquities (1). » D. V. Sandifer, « Rereading Grotius », p. 462.
416 Cf. sur ce point aussi infra, pp. 580 ss. G. Fassó voit cette distinction virtuellement acquise dans IBP, Proleg., nn. 9 et 41 ; cf. Prolegomeni, pp. 22-23 et 40.
417 Cf. en ce sens les observations de R. Voeltzel, qui a raison de rapprocher sur ce point le VRC et le IBP : « Le De Veritate est la meilleure introduction possible au De Jure belli ac pacis qui, à raison sans doute, demeure l’œuvre maîtresse de Grotius. Il est utile de ne pas oublier que les deux ouvrages ont été pratiquement écrits en même temps, et que les mêmes thèmes et la même méthode y sont utilisés. Bien plus, ce qui ne figure parfois que comme allusions dans le De Jure trouve son développement dans le De Veritate. Cela doit conduire à refuser l’isolement qu’on a cru devoir faire de la notion grotienne de droit naturel par rapport aux fondements strictement théologiques de cette notion. Grotius n’a pas été le “laïcisateur” qu’on a prétendu ; ses successeurs sont seuls responsables de cette soi-disant paternité. En fait, à prendre l’œuvre de Grotius telle qu’elle est, le droit naturel ne peut se situer que par rapport à une théologie. » « La Méthode théologique », pp. 127-128.
418 « Grotius geht hier weniger inhaltlich als methodisch über die Scholastik hinaus. Durch ihn soll im Gebiet des Rechtes das gleiche erreicht werden, was Galilei im Gebiet der Naturerkenntnis erreicht hatte. Es soll eine Quelle der Rechtserkenntnis bezeichnet werden, die nicht der göttlichen Offenbarung entspringt, sondern die in sich selbst, in ihrer eigenen "Natur", sich bewährt und sich kraft ihrer von aller Trübung und Verfälschung fernhält. Wie Galilei die Autonomie der mathematisch-physikalischen Erkenntnis behauptet und verficht, so kämpft Grotius für die Autarkie der Rechtserkenntnis. » Ernst Cassirer, Die Philosophie der Aufklärung, pp. 323-324. Cela revient à attribuer virtuellement à Grotius un « droit pur » à la Kelsen ; cette interprétation anachronique ne nous paraît pas suffisamment démontrée par l’admiration de Grotius pour Galilée, alléguée en ce sens par Cassirer, ibid.
419 Aldrick Caumont, Etude sur la vie et les travaux de Grotius ou le droit naturel et le droit international, Paris, 1862, p. 174.
420 Cf. supra, p. 469, note 136.
421 On songe en particulier aux concepts de lex aeterno, de lex naturae, de ratio naturalis, ainsi qu’au système des vertus cardinales.
422 Cf. en part, infra, pp. 571 ss.
423 IBP, i, i, xiv.
424 Cf. supra, pp. 465-466.
425 Cf. p. ex. IBP, i, ii, iv, 2 ; ii, xviii, i ; iii, i, v, 5, ainsi que ii, xiii, xv, 2, i. pr., où ius gentium s’accompagne de constitutum.
426 Cf. supra, pp. 384 ss et plus particulièrement pp. 385-386.
427 Cette évolution semble même s’accentuer vers la fin de sa vie ; ainsi un passage de la Florum sparsio donne l’impression qu’il n’y tient même plus compte de la distinction acquise dans la Nova declaratio de 1605 et reprise dans la Defensio contre Welwod, puisqu’il y définit le ius gentium globalement comme « multis gentibus commune ex consuetudine antiqua » ; Florum sparsio ad Ius Iustinianeum, Paris, 1642, ad Dig., 1, 1, 1, p. 77. Lors même qu’il est permis de soutenir que la nature du passage en question n’appelait pas une spécification plus poussée de la notion de ius gentium, nous voyons là néanmoins un indice du fait que la distinction de la Nova declaratio n’avait pas aux yeux de Grotius l’importance que nous tendons à lui attribuer avec le recul historique.
428 DCQ, fol. 10 (p. 347) ; cf. infra, Annexe v ; pour le motif de la prisca consuetudo, supra, note 427.
429 Ibid.
430 Cf. supra, p. 392.
431 Au sens de H. Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, Leipzig, 1899, pp. 49 ss, et par opposition au Vertrag (traité-contrat), ibid., pp. 35 ss. Bien que Grotius ne distingue pas véritablement ces deux formes d’accords, sa définition même du ius gentium (supra, p. 523), ainsi que d’autres passages ne laissent guère de doute que c’est un traité-loi tacite qu’il a en vue, ou plutôt un faisceau de traités-lois, chacun d’entre eux étant à la base d’une norme ou d’une institution iuris gentium ; cf. infra, p. 587, note 836.
432 IBP, ii, iii, v et vi ; ii, iii, x ; ii, vi, i, 2 ; ii, viii, i, 2 ; ii, v, viii, xxxvi ; iii, i, viii, 2 et 5.
433 IBP, ii, viii, i et xxvi.
434 L’ancienne terminologie transparaît du reste encore en quelques endroits ; cf. IBP, i, i, xi, 1 ; i, i xiv, 1 ; i, ii, iv, 1.
435 Cf. infra, pp. 571 ss.
436 IBP, Proleg., nn. 15 ss, et i, ii, i-iv.
437 Cf. supra, pp. 60-62.
438 Cf. en ce sens IBP, i, i, x, 3, où la première acception de ius est qualifiée de droit
naturel « non proprie, sed ut scholae loqui amant, reductive ».
439 II suffit de comparer les définitions respectives ; cf. IBP, i, i, iii, 1, et i, i, x, 1.
440 Cette distinction, à la supposer justifiée, ne se confondrait pas avec celle faite dans les Prolégomènes, nn. 9-10 et 12, entre le droit au sens strict et au sens large, distinction visant avant tout à séparer la justice distributive du droit au sens propre ; cf. supra, p. 464, note 107.
441 Cf. supra, p. 511, note 365.
442 Cf. supra, note 436 ; spécialement explicite est à cet égard IBP, i, ii, i, 3, i. f.
443 Ibid., et supra, p. 504, note 326.
444 Cf. en ce sens IBP, i, ii, v, 1.
445 IBP, i, ii, i, 3. Là encore, Grotius est sans doute tributaire des analyses néo-scolastiques de la question : ainsi Bañez distingue, au début de sa discussion sur ce point, trois types d’actions humaines, en se réclamant de saints Thomas : celles « intrinsece bonae… quae ex partent obiecti habent bonitatem, vt dilectio Dei » ; celles « intrinsece malae, quae ex partent obiecti habent intrinsecam malitiam vt mendacium » ; et enfin celles qui sont « ex parte obiecti indifferentes, quae bene & male possunt fieri ex accidentibus coniunctis ». Quant à la guerre, il conclut : « Bellum non est per se intrinsece malum, sed seruatis iustis conditionibus semper fuit licitum in quacumque lege, & aduersus quoslibet hostes reipublicae. » De fide, spe, et charitate, xl, 1, Dubitatur primo, col. 1346, Cf. aussi F. Suarez, Opus de triplici virtute, iii, xiii, i.
446 Cf. p. ex., IBP, i, ii, i, 3, i. f.
447 Cf. supra, pp. 462-466.
448 F. Suarez, De legibus, i, 2, nn. 4-6 ; L. Lessius, De iustitia et iure, ii, ii, nn. 1-7.
449 Peu importe à cet égard le lien, à vrai dire assez artificiel, que Grotius tente d’établir entre le premier et le second sens de ius ; cf. IBP, i, i, iv, i. pr.
450 Cf. supra, pp. 509 ss.
451 Cf. supra, pp. 61-62.
452 Comparant à ce point de vue les deux ouvrages, Eysinga constate : « … l’ordre serré de l’exposition de la théorie générale a fait place à une présentation plus dégagée, plus souple, en même temps que plus ample. L’auteur n’a plus besoin de ne pas relâcher un seul instant et d’aucune façon l’argumentation serrée qui l’a conduit à ses conclusions. La vérité de sa conception lui est devenue acquise à tel point que sa manière de présenter les choses peut se laisser aller d’une façon plus libre, tout en gardant l’unité magistrale qui caractérise si admirablement le livre de 1625. » « Quelques observations sur le Mare liberum », p. 70.
453 IBP, i, i, titre, et ii, 2 ; i, i, iii, 1.
454 Cette observation suffit à montrer le peu d’utilité des nombreux exposés prétendant caractériser l’essentiel de la doctrine du IBP en se bornant à un résumé de la division du droit du premier chapitre surmontée de quelques citations des Prolégomènes.
455 Cf. infra, pp. 547 ss. On se souvient que les prolégomènes du IPC associent étroitement les sources du droit (regulae) et le système de droits subjectifs (qui se déduit des leges, elles-mêmes fonction directe des regulae) ; cf. supra, pp. 60-61, et infra, Annexe i, pp. 632-633.
456 Cf. supra, pp. 397-399.
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