L’étude des migrations internationales avec une perspective de sociologie politique du développement
p. 49-52
Texte intégral
Introduction
1La migration se définit comme le franchissement de la frontière d’une entité politique et administrative, un franchissement s’accompagnant également de la volonté de celui qui franchit la frontière de s’installer dans la nouvelle entité pour un minimum de temps donné (Boyle et al.1998). En considérant la structuration politico-administrative contemporaine où l’Etat-nation est l’entité de référence et partant de cette définition, nous pouvons rapidement dégager deux grandes catégories des migrations : les migrations au sein des Etats, et les migrations entre Etats ou migrations internationales qui nous concernent ici. Selon Held (1999 : 2), les migrations internationales sont une partie intégrante, voire même les révélateurs, de la mondialisation1, celle-ci étant comprise comme l’approfondissement et l’accélération de l’interconnexion mondiale dans différents aspects sociaux contemporains. La mondialisation implique entre autres des flux transfrontaliers, des réseaux transnationaux, dont le principal outil est sans conteste la technologie moderne de l’information et de la communication, toujours plus perfectionnée mais aussi toujours meilleur marché ces cinquante dernières années (Castells 1996 ; Dufoix 2003 : 113-120).
2Comment aborder la question migratoire dans une perspective de sociologie politique du développement ? En d’autres termes, quelles sont les problématiques en rapport avec les migrations qui d’emblée peuvent intéresser la sociologie politique du développement ou être classées (arbitrairement d’ailleurs) comme de son ressort ? Dans quelle mesure les migrations peuvent-elles stimuler ou au contraire freiner le développement d’une société donnée, par exemple au Sud ?
Les migrations : facteur de changement social des Etats d’origine et de destination ?
3Nous poser ces questions, c’est repartir d’une affirmation au sujet de la persistance, voire de la résistance transformatrice et adaptative des Etats-nations, pour reprendre le constat de Cohen (2003) : nous vivons encore dans des sociétés à Etats-nations, produits, par exemple en Occident, d’un long processus historique endogène, ou résultats d’un difficile processus d’importation-réappropriation dans les sociétés non occidentales avec leurs fragiles Etats postcoloniaux restés dans de nombreux cas à l’état de projets à concrétiser à travers différentes stratégies de construction statonationale. Contrairement aux discours catastrophistes, voire fantasmatiques, déployés ces vingt dernières années et qui prêchaient une prétendue fin des Etats-nations (et d’autres références identitaires localisées ?) avec la mondialisation, force est de constater jusqu’à présent le contraire (Martin, Metzger, Pierre 2003) : en dépit d’intéressantes conclusions et évolutions conceptuelles sociologiques et historiques récentes, qui remettent en cause quelques présupposés tenaces, notamment la conception de l’Etat comme évidence et lieu unique de la souveraineté dans les sociétés – particulièrement celles du Sud en crise (Pouligny, Pouyé 2004 : 48), l’Etat n’en demeure pas moins l’entité politico-administrative pertinente d’organisation du lien sociopolitique, de la citoyenneté et de la sécurité au début du XXIe siècle. Rappelons que cet Etat, aujourd’hui malmené et sollicité à la fois, s’est construit depuis le XVe siècle autour d’un certain nombre de mythes ou projets fondateurs traditionnels, tels l’homogénéisation culturelle et politique de la population gouvernée, et donc le mythe ou projet de faire coïncider l’organisation politique qu’est l’Etat avec sa population (peuple, nation), ou encore la prétention de l’Etat à réguler tous les flux entrant sur son territoire. Quels sont les effets des migrations sur les Etats d’origine, mais aussi sur les Etats de destination des migrants ? Dans quelle mesure les migrations stimulent ou freinent le développement qui, dans une perspective de sociologie politique, implique des transformations des rapports de pouvoir, c’est-à-dire des relations politiques dans telle société considérée ?
Immigration et diversité ethnique dans l’Etat d’accueil
4Dans les pays du Nord où arrivent et s’installent des immigrés, les problèmes portent sur des enjeux spécifiques. D’abord, les pays d’accueil n’intègrent que rarement l’idée d’une installation définitive des migrants sur leur territoire, et moins encore l’idée de constitution de communautés ethniques et de nouvelles formes de diversité ethnico-culturelle sur ce territoire. Les migrants eux-mêmes voient souvent les choses de cette façon, considérant l’expatriation comme une parenthèse qui se refermera avec le retour au pays d’origine. L’expérience des immigrés peut ainsi longtemps rimer avec illégitimité persistante et double absence ici et là-bas (Sayad 1999). Or, cette installation est inévitable car pour diverses raisons tous ne rentrent pas toujours, notamment à cause du caractère social du processus migratoire. En effet, ce processus une fois enclenché peut fort bien se poursuivre (s’autonomiser par exemple vis-à-vis des contrôles étatiques) à travers des réseaux formels et informels.
5Quelle que soit la politique officielle poursuivie, l’immigration peut provoquer des rejets dans certains secteurs fragiles de la population, particulièrement en temps de restructurations économiques et sociales profondes. Les migrants et les minorités allogènes sont perçus comme une menace contre le niveau de vie, les modes de vie et la cohésion sociale. C’est ainsi que le succès des partis d’extrême droite ou populistes (et racistes) depuis le milieu des années 1980 – dans une Europe en pleine restructuration économique – doit beaucoup aux campagnes contre les immigrés non européens. Des discours démagogiques manipulant les angoisses (Caloz-Tschopp 1993) présentent souvent ces immigrés comme l’explication diabolique (dans le sens de Poliakoff) de tous les malheurs du moment (chômage, insécurité…)2.
6Dans la perspective genre, on peut se demander dans quelle mesure les migrantes dans les Etats démocratiques acquièrent ou n’acquièrent pas de nouveaux droits susceptibles de faire éclater le modèle familial patriarcal. Comment ces droits acquis participent-ils ou non à la redéfinition des rôles et des capacités autonomes d’action sociale des migrantes, y compris dans une dynamique de bilatéralité référentielle ? Nos recherches doctorales sur la diaspora congolaise en Suisse nous enseignent que pour de nombreuses Congolaises exilées en Suisse, le contexte helvétique, en dépit de multiples incertitudes et tracas (permis de séjour précaire, faiblesse des salaires, racisme), leur a permis une triple libération : primo, la libération du système politique autoritaire mobutiste ; secundo, la libération du modèle familial patriarcal qui, dans le domaine privé, exerce un autoritarisme masculin sur les femmes, particulièrement dans les milieux ruraux ou les couches urbaines inférieures ; tertio, l’acquisition d’un potentiel d’action sociale autonome grâce à l’égalité hommes-femmes inscrite désormais dans la loi comme un pilier fondamental de la vie sociale et politique suisse.
Bibliographie
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10.4324/9781315843100 :CALOZ-TSCHOPP M.-C., 1993, « L’angoisse face à la sécurité intérieure de l’Alleingang européen », in Coordination asile Suisse, Mouvement pour une Suisse ouverte, démocratique et solidaire (MODS), SOS-Asile Vaud, Europe : Montrez patte blanche. Les nouvelles frontières du « laboratoire Schengen », Genève, Centre Europe-Tiers Monde (CETIM), pp. 193-216.
CASTELLS M., 1996, The rise of the network society, Oxford, Blackwells.
10.1002/9781444319514 :COHEN S., 2003, La résistance des Etats. Les démocraties face à la mondialisation, Paris, Le Seuil.
DUFOIX S., 2003, Les diasporas, collection « Que sais-je ? », Paris, PUF.
10.3917/puf.dufoi.2003.01 :HELD, D., McGREW, A., GOLDBLATT, D., PERRATON, J., 1999, Global Transformations : Politics, Economics and Culture, Cambridge, Polity.
SAYAD A., 1999, La double absence, Paris, Le Seuil.
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Notes de bas de page
1 Ces dernières années, il y a eu une croissance régulière des effectifs immigrés, c’est-à-dire des résidents hors de leurs pays d’origine, dans le monde. Ils sont passés de 84 millions en 1975 à 105 millions en 1985 et 120 millions en 1990. En outre, ces flux se féminisent, avec 52,5 % d’hommes contre 47,5 % de femmes en 1990 alors que la proportion était de 80 % contre 20 % quelques décennies plus tôt. Parmi eux, 13 millions sont des réfugiés reconnus par le HCR. Mais les migrants internationaux demeurent une minorité très réduite – 2 % de la population mondiale – et les migrations internes représentent des volumes plus élevés. L’importance des migrations internationales comme facteur de changement social tient à leur concentration dans certains pays et certaines régions. Selon l’ONU, 90 % des migrants vivent dans 50 pays (OIM 2000 : 3-19).
2 Lire aussi Taguieff 2004 : 7-13.
Auteur
Etudiant, IUED, Genève.
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