Femmes burundaises et effets de la mondialisation. Évolutions différentes en milieu rural et urbain
p. 207-213
Texte intégral
1La mondialisation transparaît dans l’imbrication croissante des économies, la suppression des barrières administratives, législatives, réglementaires et non réglementaires… aux flux commerciaux, financiers et technologiques. Phénomène caractérisé par l’accélération de la « déterritorialisation » et de l’homogénéisation des structures économiques et technologiques, elle acquiert des dimensions politique, sociale et culturelle toujours plus larges.
2Certes, elle s’accompagne de l’accroissement de la pauvreté, du chômage, des inégalités et des exclusions sociales, coûts sociaux qui reposent en premier lieu sur les épaules des femmes. Mais, bien que la balance penche du côté des effets négatifs, la mondialisation s’accompagne aussi de la création de structures offrant des opportunités de gain de pouvoir aux femmes.
3En effet, la mondialisation agit sur les champs de négociation dans lesquels se déroule le jeu de rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes. Ces champs sont entre autres :
les conditions de vie : satisfaction des besoins des femmes par rapport à ceux des hommes (approvisionnement alimentaire, revenus…) ;
l’accès aux ressources, soit aux facteurs de production tels que la terre, le crédit, le travail, la formation, etc. ;
la conscientisation : l’information, la scolarisation, etc., permettent la prise de conscience personnelle, de sortir de l’ignorance et de dépasser certaines croyances et pratiques considérées au départ comme normales ;
la participation : l’implication des femmes et des hommes dans la vie économique, politique et sociale ;
le contrôle : sur le travail des femmes et des hommes, sur les revenus, sur les facteurs de production, sur sa propre vie…
4Dans ces cinq champs de négociation, il apparaît des rapports de pouvoir fortement inégaux entre les hommes et les femmes au Burundi. Tout changement intervenant dans ces champs en faveur des femmes, plus particulièrement dans la conscientisation, peut être considéré comme une acquisition d’un niveau supérieur de pouvoir. Ce qu’a permis la mondialisation à travers trois facteurs, à savoir :
l’extension des structures d’information et des réseaux de communication, ainsi que l’expansion de l’action des réseaux internationaux de solidarité au-delà des limites territoriales et administratives ;
la transformation des pratiques de l’Etat suite aux restructurations liées à la globalisation, ainsi que la réorientation de l’assistance financière et technique des institutions financières internationales, d’ONG, d’institutions internationales spécialisées… vers les associations de base ;
la détérioration des conditions de vie suite aux restructurations économiques (PAS) véhiculées par la mondialisation.
5Ces facteurs ont été en partie1 à l’origine, d’une part, des regroupements des femmes burundaises en associations de solidarité et d’entraide, de la protection des droits de la femme et de la promotion de la femme (une vingtaine d’associations actuellement, voir annexe) ; d’autre part, de l’implication de certaines femmes dans la création d’activités génératrices de revenus.
6Au-delà du lobbying, ces associations organisent des journées de réflexions et de débats sur des thèmes sociaux, politiques, économiques, etc., des journées de formation en matière de mouvements associatifs et d’activités génératrices de revenus, des échanges d’informations sur les activités menées par d’autres associations locales, nationales ou étrangères, des journées de sensibilisation aux droits des femmes… Cela a permis chez certaines femmes la prise de conscience de leurs droits et de leurs capacités, et de sortir (au moins partiellement) de l’ignorance et du carcan traditionnel caractérisé par le silence et l’indifférence, accroissant leur pouvoir d’action (« l’information, c’est le pouvoir »). Ainsi, elles ont pu revendiquer et obtenir la participation d’un groupe de femmes au processus politique de négociation pour la paix d’Arusha (Tanzanie), qui les avait pendant longtemps écartées ; certaines femmes ont commencé à revendiquer et à obtenir leurs droits à la succession et à la propriété foncière ; des langues se sont déliées pour dénoncer des abus faits aux femmes par les hommes, abus qui paraissaient être des tabous auparavant : l’appel lancé les 7 et 8 juin 2001 aux femmes burundaises pour le port des T-shirts noirs en signe de désapprobation du détournement des mineures a été suivi par la plupart des femmes, des conférences pour dénoncer les hommes qui battent leurs femmes ont pu être organisées, une structure d’accueil des femmes battues est opérationnelle à Bujumbura2, etc. Maintenant, les femmes en association obtiennent plus facilement des crédits (même s’ils restent faibles !) pour divers petits projets agricoles ou d’artisanat que si elles sont seules. Grâce à la sensibilisation des femmes à leurs droits dans le domaine de la sexualité et de la reproduction, les associations ont permis de briser certains tabous ; certaines femmes ont pu ainsi acquérir un certain pouvoir de contrôle et de décision en matière de procréation, même si ce pouvoir reste encore faible et que des conflits apparaissent le plus souvent dans ce domaine.
7En outre, même si on compte encore très peu de femmes burundaises dans les instances de décision, certaines femmes, individuellement ou en association, ont pu créer des activités génératrices de revenus (petits commerces, maisons de couture, salons de coiffure, téléshops, cybercafés, maisons de fournitures de bureau, artisanat…) en suivant des modèles copiés sur d’autres associations ou d’autres femmes grâce à l’extension des structures d’information et de communication ou à l’échange d’informations entre et au sein des associations. Ce qui leur permet de générer du revenu propre, d’augmenter leur prise en charge et de réduire en partie leur dépendance vis-à-vis de l’homme. Elles enregistrent ainsi un certain progrès dans l’autonomie et le pouvoir économique tout en participant au processus économique. Même si l’homme, par sa valeur symbolique véhiculée par le patriarcat, garde le droit de regard sur les activités et les revenus de sa femme, cette dernière conserve un certain contrôle de son revenu. En plus, l’estime des femmes, leur marge de manœuvre individuelle et leur pouvoir de négociation vis-à-vis des autres membres de la famille s’accroissent. Cela ne va pas toujours de soi entre époux et épouse, suite à des stratégies individuelles de certaines femmes qui veulent sauvegarder la dignité de leurs maris et une apparente harmonie dans le couple. Mais on peut le remarquer par exemple lorsque des hommes (jeunes ou adultes, mariés ou célibataires) vont solliciter une assistance financière ou matérielle auprès de leurs tantes, sœurs ou cousines qui ont une activité génératrice de revenus, ou lorsque c’est une femme ou une fille qui prend en charge les études des autres membres de la famille. Durant cette négociation, le pouvoir décisionnel et la conduite de la négociation incombent en partie à la femme.
8Cependant, cette évolution du pouvoir des femmes liée à la mondialisation profite plus aux femmes des milieux urbains3, plus particulièrement les élites féminines (femmes aisées, instruites, ayant accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication ainsi qu’aux textes juridiques en grande partie rédigés en français), qu’aux femmes agricultrices des milieux ruraux.
9Plusieurs éléments peuvent expliquer cette évolution différente. D’une part, les associations ainsi que les structures de formation et d’information sont concentrées dans les centres urbains ou, lorsqu’elles sont présentes dans les milieux ruraux, sont éloignées d’une grande partie des femmes qui sont alors découragées par la distance que leur budget temps, accaparé par le poids des charges (productives, reproductives et communautaires), ne permet pas d’affronter. Les structures sociales et économiques plus développées en milieu urbain que rural, le degré élevé d’analphabétisme des femmes en milieu rural4 ainsi que les résistances symboliques et culturelles plus marquées en milieu rural qu’urbain ne sont pas neutres dans cette évolution différente.
10D’autre part, les restructurations économiques (PAS) instaurées pour imbriquer les économies nationales dans l’économie mondiale n’ont pas épargné le secteur agricole, et n’ont fait qu’accentuer la dégradation des conditions de vie des agriculteurs. Jouant leur rôle de « gagne-pain », les hommes agriculteurs se sont alors retrouvés sur le chemin de l’exode rural5, à la recherche d’un supplément de revenus. Les femmes ont alors vu leurs charges s’accroître ; l’agriculture se féminise. Le poids d’une agriculture de subsistance et peu productive repose désormais sur leurs épaules, sans qu’elles disposent pour autant d’une marge de manœuvre suffisante du point de vue décisionnel ou d’accès aux ressources productives. L’ignorance, la méconnaissance des opportunités potentielles et de leurs droits ainsi que l’isolement et l’enfermement dans le carcan traditionnel et culturel pourraient en partie expliquer ce manque de gain de pouvoir et de changement d’attitude vis-à-vis de la subordination dont elles font objet.
11Ainsi, nous sommes amené à souligner que le global, en agissant sur le local, influe sur les rapports de genre mais différemment selon l’échelle sociale, et que certains « points noirs » subsistent dans les transformations des relations de genre liées à la mondialisation.
12Pour clore, nous voudrions soulever un certain nombre de questions que nous nous sommes posées mais auxquelles nous n’avons pas encore trouvé de réponses. L’inclusion des élites féminines dans les processus politique et économique ainsi que les transformations des rapports de pouvoir entre hommes et femmes des centres urbains, à travers les changements liés à la mondialisation, ne risquent-elles pas, en occultant les rapports de pouvoir fortement inégalitaires en milieu agricole rural, de perpétuer la domination masculine ? Comment ces transformations au niveau des élites des milieux urbains peuvent-elles se répercuter sur les autres couches sociales, plus particulièrement les femmes agricultrices, et faire évoluer les relations de genre en milieu agricole rural ? Les résistances culturelles et symboliques au changement, fortes en milieu rural, vont-elles céder et comment ?
Annexe
Associations de promotion de la femme (Burundi)
Association des femmes juristes (AFJ)
Fondation des femmes pour la paix, l’équité et le développement (FPED)
Organisation pour la promotion et la protection des droits de la femme et de l’enfant (OPPDFE)
Fédération des femmes pour la paix mondiale-Burundi (FFPM-Burundi)
Association pour la promotion économique de la femme (APEF)
Alliance des femmes pour la démocratie et le développement (AFDD)
Ishirahamwe ryo guteza Imbere Abakenyezi n’abana (IGAA), soit l’« Association pour la promotion des femmes et des enfants » (notre traduction)
Association des femmes musulmanes du Burundi (AFEMUBU)
Association réseau femmes et développement (RED)
Association burundaise des femmes chefs de famille (ABFCF)
Collectif des associations et ONG féminines du Burundi (CAFOB)
Association de la promotion des droits de l’enfant et des initiatives féminines de développement (APDEIF)
Association des veuves du Burundi (AVBU)
Appui aux filles déscolarisées (AFD)
Association des femmes africaines face au sida-Burundi (AFFSI-SWAA Burundi)
Association burundaise des femmes journalistes (AFEJO)
Solidarité jeunesse féminine (SJF)
Association pour le bien-être familial (ABUBEF)
Association volontaire pour le développement familial et communautaire (AVDFC)
Action mondiale contre l’ignorance et la pauvreté (AMIP)
Notes de bas de page
1 La détérioration des conditions de vie des populations suite à la guerre civile déclenchée en 1993 a contribué à renforcer les mouvements associatifs.
2 Mais elle reste secrète pour éviter les représailles des bourreaux des femmes, selon Mme Régine Cirondeye, présidente de l’ONG « Mélodie de la paix » qui se bat pour la dignité des femmes battues (<www.famafrique.org/nouv/nouv01-05-17b.html> au 27 janvier 2003).
3 La population urbaine représente 9 % (année de référence 1999) de la population totale, estimée à 6,7 millions d’habitants (World Bank, World Development Report 2000-2001, World Bank, Washington DC, 2001, p. 276).
4 Nous ne disposons pas de chiffres pour le milieu rural, mais le niveau national (selon la Banque mondiale, 63 % des femmes sont touchées par l’analphabétisme [World Bank, op. cit.]) donne une idée de l’importance de l’analphabétisme en milieu rural, qui compte 91 % de la population.
5 Certaines jeunes femmes rurales empruntent aussi le chemin de l’exode rural, mais elles demeurent une proie de la prostitution et restent cantonnées dans le rôle de domestiques (moins rémunérées et subordonnées à leurs patrons, de sexe masculin ou féminin).
Auteur
Etudiant IUED, Burundi.
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