VIII. Les limites formelles de la guerre juste : la conduite des hostilités et les effets juridiques de la guerre
p. 250-311
Texte intégral
1Après l’ouverture de la guerre, passons à sa conduite. Si Grotius parle ici de modus belli gerendi, avons-nous dit, c’est moins au sens de Kriegsmanier1144 qu’au titre de « mesure » venant limiter le ius que l’on fait valoir contre l’ennemi. Plutôt qu’un corps de règles de comportement, ce deuxième aspect de la forma belli désigne donc les effets licites de la guerre. Dans le langage du temps, cela se nomme plus spécialement « droit de guerre » ou ius belli.1145 Certes, ces effets s’analysent en une somme de maux corporels ou patrimoniaux qu’on est en droit d’infliger à l’ennemi. Pourtant on est encore loin de ce que le Règlement de La Haye appellera les « moyens de nuire à l’ennemi » et partant de la notion moderne de ius in bello.1146 Bien que le moyen âge ait vu naître un usus in bello1147 relatif à la profession des armes et dont il y a des traces dans la doctrine de l’époque,1148 celle-ci aborde la conduite de la guerre par un autre biais, rejoignant la problématique moderne seulement par un détour. Il en va encore ainsi de Grotius.
2Son point de départ étant le ius, le droit subjectif que le belligérant cherche à actualiser en lui conférant une « forme », on retombe ici, avons-nous dit, sur la distinction entre agents volontaires et instruments subordonnés.1149 Or, demandera le lecteur moderne, introduite à propos de la cause matérielle, cette distinction ne devient-elle pas artificielle et superflue lorsqu’on examine les actions résultant de cette cause, ainsi que leurs limites ? Les chefs et leurs soldats font-ils autre chose, en réalité, que de se diviser le travail, les uns donnant les ordres, les autres œuvrant en conséquence, si bien que, l’un n’allant pas sans l’autre, il en résulte une seule et même action, certes complexe, mais que l’on se borne en définitive à envisager sous deux aspects différents ? Les restrictions qui s’imposent aux chefs ne doivent-elles pas nécessairement se répercuter sur leurs forces armées ? De sorte que les parties belligérantes apparaissent en fin de compte sous les traits d’ensembles compacts, animés chacun d’une seule intention, engagés dans une même action complexe et dont les effets concernent au même titre tous leurs constituants. Telle serait sans doute la vision de l’internationaliste moderne, habitué à considérer le belligérant comme une entité morale unitaire, sujet de droit exclusif auquel sont imputées toutes les actions accomplies en des qualités diverses par les personnes physiques constituant ses organes.1150 Il n’en va pas encore ainsi du temps de Grotius. Ce qui intéresse alors théologiens et juristes sont les actions individuelles et leurs répercussions juridico-morales.1151 Dans cette perspective, la division grotienne tirée du statut des personnes est loin de n’avoir qu’un rôle théorique : car les effets juridiques de la guerre ne sont pas nécessairement les mêmes pour les chefs et pour leurs subordonnés. On peut même se demander si ce n’est pas dans le domaine des effets de la guerre qu’il faut rechercher la principale raison de cette distinction.1152
3Aussi bien, leurs droits de guerre diffèrent-ils en fonction de leurs causes matérielles respectives. Comme, au niveau des chefs, la justice matérielle ne se trouve selon l’hypothèse grotienne que d’un seul côté, leur droit de guerre est nécessairement unilatéral, bénéficiant seul au belligérant actif.1153 De plus ce droit est restreint par une double proportionnalité : il ne peut s’exercer qu’envers des personnes ayant une part dans l’iniuria et seulement dans la mesure de leur responsabilité : eatenvs bellvm ab agentibvs volontarie ivste geritvr qvatenvs intra id ivs manet qvo de agitvr intraqve personas ei ivri obligatas.1154 Puisque ce droit de guerre est strictement limité par la cause matérielle, on le qualifiera de causal, au sens où ce terme s’emploie dans la théorie des actes juridiques.
4Quant au droit de guerre des subordonnés, il s’exprime ainsi : ivste bellvm eatenvs svbditi gervnt qvatenvs svperior ivbet.1155 Comme ce sont les ordres de leurs supérieurs qui représentent la cause matérielle de leur action, leur droit de guerre en devient à son tour d’une certaine manière causal. Nous savons cependant que Grotius admet à certaines conditions que cette cause matérielle se réalise dans les deux camps :1156 aucune difficulté dès lors à concevoir un droit de guerre bilatéral au profit des subordonnés. Ce que vient préciser une double formule : depraedatio rervmqve captarvm detentio svbditorvm respectv ex vtraqve parte ivsta datvr : praecedente scilicet ivssv cvi ratio probabilis non repvgnet.1157 Puis : ivsta rervm bello pvblico externo captarvm acqvisitio vtraqve ex parte respectv svbditorvm datvr, ivssv scilicet praecedente cviratio probabilis non repugnet.1158 Considérés dans l’ensemble de la guerre, ces effets bilatéraux apparaissent donc en même temps comme indéterminés, puisque, à ce niveau, le principe de la proportionnalité est battu en brèche ; et l’on peut même se demander si, dans cette perspective élargie, il ne conviendrait pas de les qualifier d’abstraits, à nouveau dans le sens de la théorie des actes juridiques. Laissant pour l’instant cette question ouverte, retenons simplement que les effets licites de la guerre, tout en découlant de principes communs, obéissent chez le jeune Grotius à un double régime, selon la condition des individus envisagés.
5Le départ entre agents volontaires et sujets continue donc à jouer un rôle cardinal ; qu’en est-il en revanche de la division pratiquée par Grotius au sein de la cause matérielle, suivant qu’elle désigne le motif de l’action – la causa circa quam – ou son objectif – la causa in qua ?1159 Contrairement au chapitre précédent, elle n’est plus appliquée ici avec rigueur ; mais elle n’a pas disparu pour autant. Les deux aspects transparaissent en réalité dans la conclusion relative aux agents volontaires ;1160 et il n’en va pas autrement de son corollaire, bien que leur fusion y soit encore plus complète : ivste corpora laedvntvr svbditorvm qvatenvs delicto merentvr, avt qvatenvs innocentes exsecutionem impedivnt : praeda avtem ivste capitvr ab omnibvs et semper vsqve ad debiti svmmam.1161 On en retrouvera corrélativement les traces dans le droit de guerre des subordonnés. La distinction est donc maintenue, mais au lieu de servir de principe de division à l’exposé, ses deux versants tendant à se confondre.
6Les raisons logiques de cette union sont faciles à saisir. Souvenons-nous que la causa circa quam et la causa in qua ne représentent que les deux pôles abstraits de cette entité complexe qu’est la cause de guerre : la première étant le motif, la seconde le mobile.1162 Tant que l’on considérait la cause matérielle au point de vue statique, il était possible d’isoler ses deux pôles et de leur conférer une existence apparemment autonome, bien que purement conceptuelle. Si en revanche on envisage l’ensemble de façon dynamique, cette autonomie conceptuelle s’efface à nouveau, si bien que le mobile et le motif se réduisent à n’être plus que deux moments indissociables au sein de l’action belligérante. Or, dès qu’on s’interroge sur les limites du droit de guerre, cette perspective dynamique devient inéluctable. Les bornes que l’on impose à l’action du belligérant n’ont guère de sens si l’on fait abstraction de l’impact de cette dernière sur son objet. Aussi n’est-il pas étonnant que ce soit sous cette forme coordonnée qu’apparaissent les deux aspects dans la tradition. Si pour un instant Grotius les a isolés, ce n’est là qu’un nouvel effet de sa méthode « résolutive », consistant à disséquer la doctrine reçue en éléments simples.1163
7C’est vers la tradition, tout à la fois recueillie et décomposée dans le Mémoire grotien, qu’il faut une nouvelle fois se tourner. Notre analyse tiendra compte d’une double polarité, suivant que le droit de guerre est conçu comme proportionnel ou indéterminé, d’abord ; comme unilatéral ou bilatéral, ensuite. Ces alternatives, qui coïncident en partie seulement, dépendent ensemble d’une polarité plus élémentaire entre droit de guerre causal et droit de guerre abstrait. A vrai dire, ces termes manquent chez nos auteurs, et les options qu’ils recouvrent y demeurent le plus souvent implicites. Malgré cet anachronisme, nous allons examiner quelques textes successivement selon les deux alternatives énoncées en premier ; la question de savoir si le droit de guerre est abstrait ou causal leur étant commune, on la soulèvera à propos de chacune d’entre elles.
(i) Première alternative : droit de guerre proportionnel ou indéterminé
8Envisagés globalement au premier de ces points de vue, nos auteurs s’accordent tous pour considérer comme strictement proportionnel et causal un type de « guerre » particulier, la légitime défense. Ils se divisent en revanche en deux grands courants face à la guerre au sens propre. Les légistes et les canonistes du for externe s’arrêtent avant tout à un droit de guerre indéterminé, sans qu’il soit certain qu’ils le conçoivent en même temps comme abstrait. Les sommistes et les théologiens soutiennent au contraire l’idée d’un droit de guerre proportionnel et causal. Au xvie siècle seulement, apparaissent quelques tentatives de conciliation. Nous examinerons l’un après l’autre ces courants, avant d’achever par quelques remarques sur la légitime défense.
1. Les textes romains et leur interprétation par les légistes
9Le premier courant pouvait se réclamer de plus d’un modèle parmi les peuples anciens ;1164 mais c’est la pratique des Romains qui s’imposait avant tout à l’attention des légistes. Dans leurs textes, la guerre apparaît à propos de trois thèmes : les sources du droit ; la captivité et le postliminium ; les acquisitions par fait de guerre. Le premier a été effleuré et nous occupera encore plus loin ;1165 on a évoqué aussi l’institution du postliminium, qui jette une lumière si vive, bien qu’indirecte, sur le régime des guerres antiques ;1166 il nous reste à parler des acquisitions dues à la guerre.
10Elles représentent aux yeux des juristes romains une modalité des acquisitions iuris gentium. Le texte principal en la matière, extrait des Res cottidianae sive aureae de Gaius, figure en tête du quarante et unième livre du Digeste, entrelardé de plusieurs fragments tirés de Florentin.1167 Un de ces fragments sépare les deux phrases qui nous intéressent ; mais la continuité est suffisamment manifeste pour qu’on puisse les placer bout à bout : « Item quae ex hostibus capiuntur, iure gentium statim capientium fiunt : ... adeo quidem, ut et liberi homines in servitutem deducantur : qui tamen, si evaserint hostium potestatem, recipiunt pristinam libertatem. »1168 La seconde partie complète nos renseignements sur la captivité et le postliminium ; la première nous livre un témoignage aussi concis que limpide de la conception romaine des effets de la guerre.
11Ces effets portent indifféremment sur les personnes et les biens, les deux étant placés sur le même pied que les choses sans maître. Grâce au ius gentium, ils sont acquis à l’occupant par le simple fait qu’il s’en est emparé. Il est fort significatif que la guerre se trouve ainsi rapprochée de la chasse : souvenir évident de l’aspect prédateur qu’elle avait revêtu à l’origine et que rappellent encore quelques remarques d’Aristote.1169 Du même coup, ce passage illustre le principe du droit de guerre abstrait : loin de réaliser un droit préalable, la guerre fait au contraire naître par elle-même le droit. Entre le motif de la guerre et ses effets il y a donc solution de continuité : partant, ces effets sont abstraits, d’une étendue indéterminée et virtuellement illimitée. A l’instar de la proie du chasseur ou du territoire découvert par l’explorateur, les captifs et le butin constituent la récompense du guerrier. Repris tel quel dans les Institutes de Justinien, ce passage topique s’intègre sans difficulté dans la conception que trahissent d’autres textes recueillis par Tribonien et ses collègues : elle paraît commune aux juristes romains.1170
12Quel en fut l’accueil chez leurs successeurs médiévaux de Bologne ? Nulle part ils ne soulèvent le problème précis qui nous occupe ici. Tout au plus certaines gloses semblent-elles impliquer que le droit de guerre ne se produirait qu’en faveur de la partie soutenant la bonne cause :1171 partant, il deviendrait causal, sans être pour autant restreint par la règle de la proportionnalité. Parfois semble affleurer l’idée romaine de la régularité de la guerre.1172 Dans l’ensemble, les glossateurs se bornent à laisser parler les textes eux-mêmes, dont le sens était à cet égard assez clair. On ne saurait en déduire qu’ils s’y soient entièrement associés ; mais peut-être se taisaient-ils d’autant plus volontiers que la pratique ambiante allait déjà très certainement dans le sens d’un droit de guerre indéterminé et pratiquement abstrait.1173
2. Augustin, Isidore et leurs interprètes décrétistes
13Quant aux décrétistes, ils se voient confrontés, dans la Concordia, à deux groupes de textes, l’un isidorien, l’autre augustinien. Le premier perpétue l’esprit romain, l’autre pourrait se qualifier de judéo-chrétien, dans la mesure où il prolonge les guerres saintes d’Israël et du moyen âge. Ce dernier groupe n’est autre que la Cause 23, dont la septième question concerne directement les biens des hérétiques.1174 Quant au premier groupe, il comprend deux canons tirés des Etymologies ;1175 insérés au début de la Concordia, ils définissent le ius gentium et le ius militare :1176 c’est eux que nous allons examiner d’abord.
14Le canon Ius gentium, pendant de la loy Ex hoc iure gentium, mentionne parmi les institutions relevant du droit des gens notamment la guerre et quelques-uns de ses effets immédiats, captivité, servitude et postliminium1177 Les gloses rattachées aux deux derniers termes en donnent une interprétation restrictive. Ainsi le postliminium paraît limité aux biens,1178 tandis que les effets de la servitude se dédoublent suivant la licéité de la guerre qui l’a provoquée.1179 L’intention paraît voisine des gloses parallèles des légistes, sans que cela clarifie davantage la nature du droit de guerre.
15Quant au canon Ius militare, il contient entre autres des remarques sur la division du butin ; on doit y tenir compte, selon Isidore, de la dignité et des mérites des personnes, sans négliger la part du prince.1180 Rattachée à ce dernier élément, la glose Non ergo omnia cherche à résoudre une contradiction avec le canon ambrosien Dicat aliquis,1181 qui semble affirmer que l’ensemble du butin est acquis au prince : celui-ci n’en a que la garde, explique le glossateur, et il est tenu, à l’exception de la part qui lui est dévolue, de le distribuer parmi ses soldats, suivant leurs mérites.1182 Cette question, qui occupera également Grotius1183 et qui constitue l’une des clés de la guerre médiévale, ne nous renseigne pas davantage sur la nature du droit de guerre ni sur son étendue. Bornons-nous à constater que la réponse ne fait état d’aucune limite de ce genre ; mais il n’est pas possible d’en tirer des conclusions plus fermes.
16Nous tournant vers le second groupe de canons, inclus dans la Cause 23, arrêtons-nous à deux textes. Et d’abord au canon Dicat aliquis évoqué il y a un instant. Ambroise cherche à y justifier pourquoi Abraham restitua au roi de Sodome l’ensemble des biens qu’il avait repris aux ennemis de celui-ci,1184 hormis ce que ses subordonnés avaient consommé et les parts qu’il avait attribuées à ses associés, sans rien revendiquer pour soi-même. Il aurait voulu de la sorte statuer un exemple de discipline militaire : quant à son propre salaire, il était d’un autre ordre. On est donc devant un problème semblable au précédent ; aussi, la glose Haec litera videtur se borne-t-elle à en répéter la solution.1185 En outre, elle renvoie cependant à la loy Item quae ex hostibus.1186 Reconnaissance implicite d’un droit de guerre abstrait ? Tenant compte des hésitations des légistes sur ce point, on ne saurait l’affirmer avec certitude ; du moins semble-t-il que Jean le Teutonique ne statue aucune proportionnalité.
17Notre problème affleure aussi, d’autre part, dans la glose Iudex ergo, rattachée au canon Dominus noster.1187 S’interrogeant sur les conséquences du déni de justice, Laurent d’Espagne1188 s’y demande dans quelle mesure, après s’être satisfait par la guerre, le lésé pourrait obtenir une indemnité additionnelle en actionnant son débiteur en justice ou même en lui faisant une nouvelle guerre. En sens affirmatif, Laurent fait valoir trois arguments. Il allègue d’abord que les dommages issus de la guerre ont été infligés à titre de peine, sanctionnant la contumace : ce qui n’exclurait pas que l’on continue, dans une seconde phase, par revendiquer son droit en justice. L’idée de la contumace revient dans le troisième argument, où elle paraît justifier un droit de guerre infini. Mais c’est le second argument qui est peut-être le plus instructif : car il affirme clairement – et il est pratiquement seul à le faire dans toute la Glose – le principe du droit de guerre abstrait. Les biens pris à l’ennemi, avance Laurent, ne servent pas à éteindre une dette, mais sont acquis par fait de guerre ; et son renvoi à la loy Item quae ex hostibus nous fait penser que c’est bien un droit de guerre abstrait qu’il vise. Mais en l’absence d’explications plus fournies, il n’est, là non plus, possible de conclure avec certitude ; du reste, en tout état de cause, ce droit serait unilatéral.1189
18Quoi qu’il en soit, ce triple argument est mis en échec par une objection qui réintroduit l’idée de proportionnalité. Laurent estime en effet que la bonne foi interdirait qu’on revendique à nouveau un droit ayant déjà été accordé ; et il ne fait guère de doute que cette objection l’emporte dans son esprit sur les trois arguments précédents.
19Ce revirement peut étonner. Il s’explique sans doute par la nature du texte glosé. Rappelons en effet que le canon Dominus noster servait à justifier non tant la guerre en général que surtout l’une de ses formes « particulières », les représailles :1190 c’est à coup sûr par rapport à celle-ci que vaut la limite de la bonne foi. Plus haut, nous avons constaté que les juristes ont approfondi la notion de cause matérielle surtout à propos des représailles.1191 Pourtant la question de la mesure des dommages infligeables à la partie adverse n’a pas suscité beaucoup d’attention.1192 Le premier théoricien en la matière, Jacques de Belvisio, n’en souffle mot ; et la principale autorité, Bartole,1193 soulève la question aussi peu que le feront Jean de Lignano ou Luc de Penna plus tard. Ce silence s’explique à notre avis par une double considération.
20Le trait le plus saillant des représailles était qu’une personne s’y trouvait lésée pour le forfait d’une autre. C’est l’élément précis que vise Balde lorsqu’il reproche à l’institution de ne pas tenir compte de la débita proportio exigendi :1194 il n’a pas en vue la proportionnalité au sens où nous l’entendons ici, soit l’équivalence des dommages réciproques, mais bien la charge inégale qu’impose la réparation aux justiciables du prince fautif, le véritable responsable étant épargné au détriment d’une victime innocente. Voilà le point le plus choquant de l’institution ; il n’est pas étonnant que ce soit lui avant tout qu’on se soit efforcé de justifier.
21L’autre considération a trait à la procédure des représailles et plus précisément à la concession de la lettre de marque. C’est elle qui fixait la compétence du lésé et partant l’étendue de son action.1195 La décision en incombait à l’autorité concédante. Sans doute usait-elle d’une certaine marge d’appréciation en tenant compte notamment du comportement de l’adversaire lors de l’épuisement des recours locaux, ainsi que des frais encourus par le lésé. Le dommage initial n’était donc qu’un élément de la décision ; aussi pouvait-il paraître vain de vouloir limiter en manière de principe l’étendue des représailles par rapport à ce dommage.1196
22Il reste cependant que le droit de représailles était sans doute sujet à la limite générale de la proportionnalité : l’action du lésé devait en gros compenser le dommage global causé par la partie adverse. En ce sens paraît être allé la pratique.1197 Ainsi le voulait aussi l’idée de « reprise » sous-jacente à l’institution.1198 Et c’est sans doute à cela que se rapporte la remarque de Laurent d’Espagne : c’est pour les représailles avant tout que vaut la limite de la bonne foi qu’il statue. Par contrecoup, nous croyons que l’idée du droit de guerre abstrait qui s’exprime, semble-t-il, dans l’un des trois arguments positifs du glossateur n’en demeure pas moins valable, mais uniquement dans ce qu’Innocent IV appellera la guerre au sens propre ; c’est du moins ce que paraît indiquer le renvoi de Laurent au Digeste.1199
3. La formule d’Innocent IV et ses répercussions chez ses successeurs : droit de guerre causal, mais indéterminé
23La même indécision quant à la nature et à l’étendue du droit de guerre prévaudra chez les décrétalistes et plus tard chez la plupart des commentateurs. Elle se constate en particulier dans les deux célèbres passages d’Innocent IV, qui visent à clarifier entre autres la question des effets de la guerre.1200 C’est même là un des buts essentiels de sa fameuse tripartition des guerres : strictement limités pour la defensio et l’exsecutio iurisdictionis, ces effets obéissent à un régime différent dans le cas de la guerre de prince. Innocent l’exprime par une formule qui fera date : « In iusto autem bello quod fit ex edicto principis dicimus quod res occupate sunt capientium et liberi homines capti fiunt servi. »1201 On se trouve devant une synthèse d’éléments romains et canoniques combinés d’une manière inédite.
24La trame paraît romaine, comme l’indique le renvoi aux loix Hostes ;1202 mais cette trame finit par disparaître sous un jeu d’équations et de substitutions. Au Populus Romanus d’Ulpien, Innocent subroge le princeps, comme l’avait déjà suggéré la glose Ergo ius gentium.1203 Quant au bellum publice decernere, il est supplanté par bellum ex edicto gerere, tiré du canon Iustum est bellum.1204 Enfin, les deux phrases rattachées à la définition d’Ulpien sont remplacées en substance par la règle gaïenne relative à l’acquisition des biens ennemis ex iure gentium.1205 De cet ensemble hybride, quelle est la portée exacte ? Innocent perçoit-il le principe romain du droit de guerre abstrait ? et, si oui, entend-il le maintenir ou au contraire l’atténuer par celui de la causalité ?
25Il est certain, d’abord, qu’il veut singulariser les effets de la guerre de prince par rapport à ceux des formes de guerres mineures ; ou plutôt, tenant compte de sa conception générale, ce sont là les effets ordinaires de la guerre, alors que ceux des autres types de contrainte paraissent d’une nature inférieure. Innocent perçoit bien la notion romaine de guerre en ce qu’il pose ses effets comme indéterminés ; il n’est pas certain en revanche s’il les conçoit de manière abstraite. Car la raison et la nature juridiques de ces effets demeurent en partie obscures. D’un côté, ils semblent se rattacher à la compétence plénière du princeps et à l’edictum qui la manifeste en fléchissant au besoin les règles ordinaires du droit civil ;1206 dans cette mesure, ils semblent être abstraits. Pourtant, d’un autre côté, ces conditions formelles ne paraissent pas suffisantes. Car Innocent parle bien d’une guerre juste,1207 et il est peu probable qu’il veuille s’en tenir à une régularité toute formelle : n’énumère-t-il pas, dans son commentaire à la décrétale Olim causam, deux types de causes matérielles ?1208 Puis il y est question de iustum prelium, au sens, dirait-on, de juste combat.1209 Enfin, malgré l’allusion certaine à la loy Item quae ex hostibus,1210 on chercherait en vain la moindre mention du ius gentium. Aussi paraît-il douteux qu’il eût admis, dans toute sa rigueur, la conception romaine des effets de la guerre. L’édit du prince est implicitement motivé, et sa guerre suppose en conséquence la justice matérielle : bien que les effets en soient d’une étendue indéterminée, Innocent ne paraît pas s’être détaché du principe de la causalité.
26Les successeurs du grand pontife ne lèveront guère le doute que laissent planer ses succinctes remarques. Il y a lieu à cet égard d’examiner un double développement, dont l’un se greffe sur un cas d’espèce, tandis que l’autre prolonge la systématique amorcée par Innocent.
27Commençant par ce dernier aspect, rappelons que la classification tripartite d’Innocent sera reprise par de nombreux canonistes qui accentueront surtout la distinction entre la guerre au sens propre et les formes mineures de conflit. Il est intéressant, au point de vue qui nous occupe ici, de relever les expressions par lesquelles ils marquent cette différence.
28Ainsi, le Frère d’Asti déclare la guerre de prince juste simpliciter, alors que les formes de guerre mineures sont justes seulement ex causa.1211 Dans un sens voisin, Balde distingue la iustitia imperii sive potestatis supremae et la iustitia causae.1212 Cette terminologie paraît suggérer la différence entre effets abstraits et causals. Impression renforcée à la lecture du bref développement de Balde où les effets de la guerre sont différenciés en fonction de la personne du belligérant : seule la guerre de l’empereur sortirait de pleins effets, servitude comprise ; les autres formes de guerre, entre cités ou entre particuliers, ne produiraient en revanche par elles-mêmes aucun effet ; tout au plus la guerre entre civitates pourrait-elle entraîner l’acquisition de biens, pourvu qu’il existe une causa. Ne doit-on pas en conclure inversement que cette dernière ne joue aucun rôle dans la guerre impériale ? Cette conclusion n’est pourtant pas inéluctable : car au lieu de s’exclure, les deux principes pourraient se cumuler. Ainsi, lorsque Balde affirme, à propos de la guerre du particulier, qu’elle est juste ex sola causa, cela n’empêche pas nécessairement que la cause ne puisse jouer un rôle aussi dans la guerre de l’empereur : la iustitia imperii sive potestatis supremae viendrait simplement s’y ajouter, provoquant un effet supplémentaire mais sans constituer pour autant un principe justificateur autonome. En somme, la cause matérielle demeurerait toujours sous-entendue dans la décision impériale, ce qui revient à nier les effets abstraits de la guerre.
29La concision des remarques de Balde ne permet pas de dépasser ces conjectures. Le Collectorium de Gabriel Biel, dont les remarques se situent dans le même sillage, ne nous avancent pas davantage. A son avis, les effets de la guerre juste simpliciter – qu’il fait coïncider avec celle ex edicto principis – se produisent sans limites à l’égard des personnes et des biens ennemis, et sans le moindre devoir de restitution.1213 Ces effets découlent évidemment de la personne du belligérant. Mais, là aussi, il demeure douteux s’ils se produiraient en porte-à-faux, sans le support d’une cause matérielle. Du moins est-il certain que la cause ne sert point de mètre au droit de guerre du prince, si bien que, à défaut d’être abstrait, celui-ci échappe en tous cas au principe de la proportionnalité.
30Venons-en cependant à l’autre développement annoncé plus haut, le cas d’espèce soulevé par le Hostiensis dans le passage même de sa Lectura où il discute la classification des guerres d’Innocent IV. Qu’adviendrait-il, demande l’archevêque, si un empereur inique et pécheur, sommé par le pape, s’obstinait et allait jusqu’à déclarer la guerre à l’Eglise ? « Dira-t-on que cette guerre est juste de sa part, puisqu’il l’a déclarée en sa qualité d’empereur-prince ? » Conclusion inadmissible, juge-t-il, car l’empereur est appelé d’office à protéger l’Eglise ; en l’attaquant, il commet un abus de pouvoir et tous les fidèles seraient tenus de se tourner contre lui ; le pape peut même délier les vassaux d’Empire de leur serment de fidélité : ce qui achève de rendre manifeste l’allusion aux démêlés de Grégoire VII et d’Henri IV. Le Hostiensis résout donc le problème en admettant la supériorité pontificale. Il ajoute cependant que la solution ne différerait pas si les deux juridictions se trouvaient sur un pied d’égalité ou même si le pape était subordonné à l’empereur : car, en raison du péché de ce dernier, le pape deviendrait son supérieur.1214
31On le voit, ce développement ne répond pas directement à notre problème ; mais il indique du moins deux choses : la concision d’Innocent fut bien ressentie comme problématique ; et la justice de la guerre, fût-elle impériale, ne semble pas être indépendante de sa cause matérielle. On objectera que, même illicite sur le fond, la guerre pouvait produire les effets énoncés par Innocent ; et que le Hostiensis l’aurait admis sans hésiter si, au lieu de se placer dans l’hypothèse très particulière d’une collision entre les deux luminaires de la chrétienté, il s’était limité à la sphère temporelle. Cependant il est peu probable qu’il ait voulu dissocier les effets de la guerre de sa cause matérielle : s’il qualifie en l’espèce la lutte de l’empereur d’injuste, il paraît viser aussi ses effets, puisque toute la question est soulevée à la suite de la discussion, amorcée par Innocent, des effets de la guerre de prince. En irait-il autrement s’il avait envisagé une hypothèse plus générale ? Il paraît vain de vouloir deviner ses opinions probables sur la question : toute son attention porte sur le cas d’espèce et c’est à lui que se limitent ses conclusions.
32Même indécision, vers le milieu du xve siècle, chez le Panormitain, qui revient à son tour aux « dits notables » d’Innocent et du Hostiensis. Le simple fait d’être déclarée par l’empereur ou le pape, fût-ce contre leurs subordonnés, ne suffit pas à rendre la guerre juste ; car tous deux peuvent pécher ; leurs actes ne sont licites que dans la mesure où ils s’exercent selon l’esprit de leurs fonctions ; il importe donc que leurs guerres aussi se fondent sur une cause « légitime et naturelle ». Cette condition réalisée, on conçoit même que l’empereur fasse une guerre juste, sinon contre l’Eglise, du moins contre la personne d’un pape hérétique ou schismatique.1215 On ne saurait mieux affirmer l’importance de la cause matérielle, même au regard du premier prince de la chrétienté.1216
33Cette conclusion ne paraît pas infirmée par les règles que le Panormitain établit dans le même passage au sujet du droit de guerre des subordonnés. Il retient ici le principe de la cause matérielle putative en statuant une double présomption réfragable : favorable à la justice de la guerre de l’empereur et contraire à celle d’une guerre faite par une personne non-souveraine.1217 Conséquence possible, les effets de la guerre impériale pourront se produire en dehors de toute cause véritable, pourvu que l’absence de celle-ci ne suffise pas à renverser la présomption. Or cela revient à reconnaître tout au moins indirectement la règle de la causalité. Certes, le Panormitain n’exprime pas cette conséquence en toute clarté. Il n’affirme le devoir de restitution que dans le cas d’une guerre non souveraine ; l’étend-il aussi au cas d’une guerre de prince manifestement injuste ? On est tenté de le croire. En ce sens ira du moins l’interprétation, postérieure de quelques décennies, de Juan Lopez qui suit d’abord le Panormitain à la trace, mais affirme ensuite sans ambages, en se résumant, que dans la guerre injuste ni le prince ni ses hommes n’acquièrent aucun bien.1218
34Ainsi, malgré leurs développements, les successeurs d’Innocent n’ont pas levé l’ambiguïté de ses thèses. Ils ne paraissent pas prêts à admettre le principe du droit de guerre abstrait, fût-ce au profit de l’empereur ; mais ils ne consacrent pas pour autant une causalité stricte des effets, puisque ceux-ci échappent à la proportionnalité. Telle semble être, tout compte fait, la position dominante des juristes et de quelques théologiens sur cette question, jusqu’à la fin du moyen âge. La même incertitude prévaudra du reste dans l’interprétation que donneront des textes romains les juristes du xvie siècle. De manière presque stéréotypée, ils énumèrent les principaux effets de la guerre de prince, avec, semble-t-il, toujours cette double implication : qu’ils dépendent de l’existence, en tous cas présumée, d’une cause matérielle, sans que celle-ci serve pour autant à déterminer leur étendue. A défaut d’être abstraits, les effets sont donc virtuellement illimités.1219
4. La formule de Raymond de Peñafort : droit de guerre strictement causal et proportionnel
35Toutefois, à côté de ce courant « romanisant », favorable à un droit de guerre indéterminé, se dessinait dans la doctrine du for interne une position proprement « médiévale », contenant le droit de guerre dans une stricte proportionnalité. L’initiateur n’en est autre que Raymond de Penafort qui soutient au paragraphe 19 de sa Somme que le belligérant peut s’approprier tout ce qu’il prend à son ennemi ou à ses alliés, « jusqu’au point où il s’estime satisfait en conscience de tout le dommage qu’il a subi et de l’ensemble des efforts et des frais causés par la guerre, à moins que l’ennemi ne se soumette à un jugement ou veuille rendre satisfaction de son propre gré » ; quant aux subordonnés de l’ennemi, « il ne doit point les spolier, pour autant du moins que, redoutant Dieu plus que les hommes, ils refusent d’appuyer de leur aide, appui et conseil la guerre injuste de leur maître ; car, conclut-il, la peine ne doit frapper que les responsables ».1220 On le voit, l’ample période de Raymond statue une double proportionnalité, en faisant voisiner si directement l’étendue et les victimes du droit de guerre que ce n’est pas sans quelque artifice que nous dissocierons dans la suite les deux aspects.
36Le principe du droit de guerre proportionnel, exprimé on ne peut plus clairement dans la formule du paragraphe 19, paraît avoir aux yeux de Raymond une portée générale. Il est vrai qu’au paragraphe 17, soit à l’endroit même où il introduit les cinq conditions de la guerre juste, il semble admettre un droit de guerre indéterminé : n’y affirme-t-il pas que, lorsque ces conditions sont toutes réalisées, le belligérant acquiert tout ce qu’il prend aux nocentes, sans aucun devoir de restitution ?1221 Pourtant la contradiction n’est à notre avis qu’apparente. Elle pourrait n’être que le résultat d’une tournure elliptique qui n’en sous-entend pas moins les limitations du paragraphe 19. Mais en supposant même que Raymond entende réellement affirmer au paragraphe 17 un droit de guerre indéterminé, la règle de la proportionnalité ne s’en trouverait pas vraiment enfreinte ; car il semble y inclure un facteur supplémentaire, à savoir la qualité des ennemis : hérétiques ou infidèles ; l’indétermination du droit de guerre procède donc ici de l’idée de guerre sainte, cas-limite où même un droit de guerre illimité demeurerait en un sens proportionnel.1222
37La thèse limitative de la Raymondine se retrouve avec une constance remarquable dans l’ensemble de la littérature sommiste, sans qu’il s’y ajoute rien de très nouveau. Et, des sommistes, la règle du droit de guerre proportionnel passe chez les théologiens : elle est reprise en particulier par Ulrich de Strasbourg, Richard de Middleton, Antonin de Florence, Gabriel Biel, Adrien VI et John Mair.1223 Tous leurs développements sur ce point peuvent se retracer, de près ou de loin, jusqu’à la Raymondine.
5. Répercussions de ces thèses sur le belligérant passif et spécialement sur le sort des victimes de la guerre
38Nous constatons ainsi l’existence de deux courants dominants en matière de droit de guerre, symbolisés respectivement par Innocent IV et par Raymond de Peñafort ; le premier admet un droit de guerre indéterminé, le second s’en tient à une stricte proportionnalité. Quelles en sont les conséquences respectives pour le sujet passif de la guerre juste ? Cette question nous fait rejoindre nos considérations sur l’ennemi et sur la manière – « romaine » ou « médiévale » – de l’envisager ;1224 elle nous fait soulever aussi le problème essentiel des victimes de la guerre.
39Renversant l’ordre suivi jusqu’ici, on examinera d’abord la position des sommistes et des théologiens. La formule de Raymond, avons-nous dit, marie étroitement l’étendue et les victimes du droit de guerre.1225 Ce voisinage n’est à vrai dire pas fortuit : car c’est à travers lui que s’opère la jonction de deux éléments que Raymond a tenus jusque-là distincts : d’une part la question posée au paragraphe 10 de ce chapitre – dont il faut se souvenir qu’il porte sur certains délits patrimoniaux, rapine, brigandage, incendie1226 – et d’autre part les considérations du paragraphe 17 sur la guerre juste, destinées essentiellement à trancher ladite question : à savoir « ce qu’il en est des princes, chevaliers ou autres personnes qui, durant leurs guerres, spolient les pauvres et s’emparent mutuellement des paysans, les contraignant à se racheter ou à expirer misérablement ».1227 C’est avant tout le sort de ces « innocents » qui préoccupe Raymond : de là son principe de la double proportionnalité, qui vise non seulement à distinguer la juste spoliation de la rapine illicite, mais surtout à restreindre le cercle des victimes de la guerre.
40Cet aspect passif du principe de la proportionnalité se perpétue, lui aussi, dans la doctrine sommiste et théologique postérieure à Raymond, sans qu’il s’y ajoute rien d’essentiel. Tout au plus note-t-on quelques développements secondaires. Ainsi le Frère d’Asti met encore mieux en évidence que Raymond lui-même le pôle passif de la limitation du droit de guerre.1228 Quant à Ulrich de Strasbourg, il approfondit l’idée de « nocuité ». C’est elle que semble traduire au premier chef le concept de noxia rencontré plus haut.1229 Est-ce Ulrich qui aurait introduit dans la doctrine le terme d’« innocents » ? Raymond n’avait encore mentionné que les nocentes. Quoi qu’il en soit, notons chez Ulrich une tendance à restreindre le cercle des innocents : le critère de base demeure certes l’assistance fournie au seigneur injuste, – comme nous en persuade aussi Richard de Middleton1230 – mais aux yeux d’Ulrich la contrainte exercée par le seigneur ne saurait excuser le subordonné.1231 Gabriel Biel apportera à cette idée une nuance supplémentaire : à son avis, le sujet ne perd sa qualité d’innocent que si, malgré sa réprobation, son aide reste active ; il demeure en revanche innocent si le seigneur le prive de ses biens malgré lui.1232 Lointaine application du Deum plus quam homines timere de Raymond, cette différenciation n’en paraît pas moins assez académique.
41Ainsi, ce sont les auteurs du for interne qui ont le mieux illustré la conception « médiévale » de l’ennemi et du droit de guerre. Inversement, les juristes du for contentieux devaient être amenés à concevoir l’ennemi sous des traits plus « romains ». Certains indices vont à coup sûr dans ce sens ; cela n’exclut pourtant pas d’importantes concessions à la thèse opposée. Dans l’ensemble, l’ambiguïté de leurs positions relatives au droit de guerre laisse également une large place à l’incertitude en ce qui concerne les victimes de la guerre.
42Les légistes effleurent à peine la question. Il est vrai que les compilations byzantines ne traitent pas le problème ex professo ; les effets de la guerre antique ne s’y aperçoivent que par reflet, à travers la captivité, le postliminium et la servitude ; cela suffit pour faire entrevoir un droit de guerre illimité quant aux victimes,1233 mais n’a pas suscité des commentaires de la part des légistes médiévaux, si ce n’est que certains d’entre eux indiquent comment la servitude antique fut atténuée grâce au rançonnement.1234
43La situation des décrétistes était différente dans la mesure où la Cause 23 les mettait en présence d’ennemis assez particuliers. Mais la glose Non solum haeretici a vite fait d’inclure dans la condition de ceux-ci « tous les ennemis », ce qui paraît comprendre non seulement tous les genres d’ennemis, mais aussi l’ensemble des individus qui en font partie.1235 A vrai dire, la glose n’a trait qu’à leurs biens : elle va jusqu’à admettre une sorte de postliminium en faveur des hérétiques convertis, à l’instar des captifs rentrés de l’ennemi. Quant à la personne des hérétiques, la Cause 23 abondait en textes justifiant toutes sortes d’atteintes à leur égard, inspirées surtout de l’Ancien Testament et de la patristique. Bien que l’ennemi y soit d’ordinaire envisagé de façon globale, l’idée sous-jacente est toujours celle d’une responsabilité personnelle de chacun, impliquant tout au moins une omission fautive de sa part : ainsi se combine avec des éléments « romains » la conception « médiévale », individualiste, de l’ennemi.1236
44Voilà ce que traduisent aussi les brèves notes que l’on trouve sur ce point chez Innocent et Balde. « Celui qui mène un juste combat, nous dit le pontife, pourra s’emparer des biens et des personnes, non seulement de l’ennemi, mais aussi de ses vassaux et de ses sujets, dans la mesure où ils l’aident injustement. »1237 Quant au commentateur, il s’exprime un siècle après par une formule assez voisine que nous avons déjà rencontrée dans le Mémoire grotien : le défi porté contre une personne, affirme-t-il, s’étend à ses « complices » et à ses « aides ».1238 Au sens strict, on l’a vu, seul l’adversaire principal est « ennemi », les autres le deviennent seulement par l’assistance qu’ils lui fournissent.1239 Mais en pratique cette assistance se présumait sur la base de l’allégeance, à moins que l’attitude inverse ne soit clairement manifestée, par des actes équivalant à une trahison. Dès lors, c’est d’une façon plutôt « romaine » que l’ennemi se déterminait par avance, sans égard à l’attitude individuelle, par la déclaration de guerre.1240 Sans doute est-ce là aussi ce qu’il faut sous-entendre chez Innocent : pas plus que Balde ne le préoccupe le sort des éventuels « innocents ». Ainsi leurs formules se présentent comme un mélange d’éléments antiques et médiévaux : nouveau reflet de l’ambiguïté signalée plus haut dans leur conception du droit de guerre.
6. Les « innocents » médiévaux sont-ils comparables à nos « civils » ? La signification de la Paix de Dieu
45Ouvrons ici une parenthèse et demandons-nous si l’on est justifié à voir dans le départ que tracent Raymond et ses successeurs entre « noyseux »1241 et « innocents » une préfiguration de la dichotomie classique entre combattants et civils ? La réponse doit être nuancée : les deux divisions sont apparentées, mais ne le sont que de manière indirecte ; leur esprit diffère dans la mesure même où diffèrent les types de guerres dont elles relèvent.1242
46On ne trouve pas au moyen âge la réplique exacte de l’idée moderne, toute formelle, de régularité, qui conditionne tout ensemble le statut de combattant et celui de personne civile. Beaucoup plus « économique » par ses procédés que proprement « militaire », la guerre médiévale n’a que faire de cette distinction : lui importe avant tout le soutien matériel qu’une personne apporte à l’adversaire : c’est par là que se définissent en fin de compte les nocentes. Il est évident qu’ils comprennent nombre d’individus que nous classerions dans la catégorie des civils. La référence de Raymond à la cause de guerre achève d’ailleurs de creuser l’écart entre les deux conceptions.
47Il n’empêche que sa distinction est au moins l’un des ancêtres de nos catégories modernes : à maints égards, celles-ci ne sont qu’une lointaine formalisation – liée à un apport « romain » et plus encore à une constellation particulière du pouvoir politique en Europe – des principes de la guerre médiévale. La règle fondamentale subsiste : est ennemi tout individu contribuant, par voie directe ou médiate, à la résistance adverse, ce qu’on présume de l’ensemble des nationaux.1243 Toutefois, dès la seconde moitié du xviiie siècle, par une sorte d’entente tacite, les Puissances européennes en vinrent à limiter les opérations militaires aux troupes régulières et à en excepter les civils. Il restera cependant toujours sous-entendu que c’est seulement parce que ceux-ci ne contribuent pas directement à l’effort ennemi en se tenant à l’écart des opérations que l’on peut sans inconvénient les épargner de part et d’autre ;1244 et l’on sait que ce statut, loin d’être absolu, demeure strictement conditionné par une abstention effective de tout acte de résistance, bien que celui-ci soit défini de manière plus étroite qu’au moyen âge.1245 On le voit, ce n’est là qu’une application, assez particulière il est vrai, du principe de l’« innocence » de la Raymondine.1246
48Cette conclusion nuancée n’est pas contredite à notre avis par l’institution de la Paix de Dieu dans laquelle on peut être tenté d’apercevoir une protection des civils avant la lettre. La Paix avait été consacrée par le même Raymond dans la collection de Décrétales qu’il compila peu après la rédac-tion de sa Somme pénitentielle. Sous le titre De treuga et pace, il y recueillit le canon 21 et une partie du canon 22 adoptés en 1179 au troisième concile du Latran à l’instigation du pape Alexandre III.1247 Le premier de ces textes se rapporte à la Trêve, le second à la Paix de Dieu ; plus ancienne que la Trêve, celle-ci aura la vie plus longue, bien que toujours assez miséreuse quant à ses effets pratiques. Devenu décrétale Innovamus, le canon 22 garantit une « sécurité convenable » aux « prêtres, moines, clercs, frères convers, pèlerins, marchands, paysans occupés aux champs ou qui s’y rendent ou en reviennent, ainsi qu’aux animaux portant des semailles ».1248 Le texte avait à l’origine continué par interdire de nouveaux péages et d’en augmenter les anciens, mais, contrairement à la première des Compilations anciennes,1249 Raymond a relégué cette partie, avec la sanction de l’ensemble, à un autre endroit de sa collection.1250 Ce qui en subsiste sous la rubrique De treuga et pace semble dès lors compléter la décrétale précédente, relative à la Trêve, et constituer, comme le suggère le titre rajouté par la suite, une sorte de protection des civils en temps de guerre.
49Il se peut que Raymond y ait songé. Pourtant le complément retranché sur les péages, ainsi que l’absence de toute mention de la guerre, indiquent qu’à l’origine tel n’a pu être l’objet exclusif de la disposition. La congrua securitas qu’elle accorde n’est pas limitée au temps de guerre. C’est ce qu’exprimait avec plus de clarté son aïeule datant du second concile du Latran, célébré en 1139 : elle statuait que les mêmes catégories de personnes omni tempore securi sint.1251 La seule limitation qui, faite à raison du lieu et du type d’activité, rejaillit nécessairement sur le temps, concerne les agriculteurs et leurs bêtes ; mais elle reste en principe indépendante du temps de guerre.1252 La disposition a donc une portée générale et, à ce point de vue déjà, on n’est pas justifié à y voir une protection des « civils » avant la lettre, fonction stricte d’un état de guerre. La Paix représente un type de limitation assez différent de celui institué par la Trêve de Dieu, qui, elle, est bien liée à la guerre, cherchant précisément à lui imposer des restrictions temporelles. Le fait qu’elles voisinent souvent ne suffit pas à rendre les deux institutions solidaires, voire complémentaires.
50Sans doute constate-t-on, en remontant le cours du temps, que ce voisinage se retrouve de manière assez constante dans nombre de conciles œcuméniques et provinciaux, ainsi que dans le Décret de Gratien lui-même.1253 Pourtant leurs origines, ecclésiastiques et françaises toutes deux, demeurent par ailleurs distinctes et indépendantes. La Trêve semble postérieure de plus d’un demi-siècle à la Paix, apparue en Auvergne durant le dernier quart du xe siècle. Dès l’origine, elle plaçait sous une protection spéciale avant tout les biens mais aussi les personnes des ecclésiastiques, des marchands et des paysans. Les motifs présumables sont d’ordre plus économique que spirituel. Ce que, vu le pouvoir étatique évanescent, les évêques entendaient protéger dans leurs diocèses était sans doute un certain ordre public et l’existence de la grande masse de leurs fidèles ; mais à coup sûr visaient-ils au premier chef les biens de l’Eglise, proies tentantes pour les gens d’armes et les brigands. Plus tard, Urbain II saura mettre à profit l’institution pour la première croisade, rendue d’autant plus attrayante que les croisés savaient que leurs biens et leurs familles se trouveraient en congrua securitate durant leur absence. Et certains princes apercevront vite le parti qu’ils pourront en tirer contre une turbulente noblesse. Le mobile économique transparaît du reste dans la décrétale Innovamus elle-même.1254
51Cela étant, on ne saurait nier toutefois que l’institution de la Paix se justifiait surtout en fonction de la guerre et entretenait donc avec elle un lien de choix : pourvu qu’on entende bien par guerre la faide issue du Siècle de fer, diffuse et permanente, avec son cortège d’exactions souvent difficiles à distinguer de simples actes de banditisme. En souffrait le plus cruellement, une nouvelle fois, la masse des pauperes, aussi démunie qu’étrangère aux événements. Si, dans ces conditions, l’Eglise entreprenait de les protéger, il y a sans doute quelque lointaine coïncidence avec les règles du droit international classique sur la protection de la population civile : en particulier le rapport entre la protection et le fait de ne pas porter d’armes, qui se retrouvera dans la législation des empereurs allemands.1255 Mais ce lien est par trop ténu et recouvert par trop de différences fondamentales pour prêter à une véritable analogie. N’est-il pas significatif à cet égard que la protection – notamment du paysan – s’effaçait dans l’hypothèse précise où son seigneur faisait l’objet d’une faide ?1256 Là reparaissaient d’un coup les règles coutumières que nous avons vues se dessiner chez Innocent et Raymond.
52Au reste, lorsque celui-ci se décide à recueillir dans sa collection la décrétale Innovamus, la Paix décline déjà, comme avant elle la Trêve, et il n’est pas facile de savoir quelle aura été en fin de compte l’effectivité pratique des deux institutions durant leur brève existence.1257 D’emblée, la Paix ne suscitera que peu de commentaires de la part des décrétistes, ce qui rendra bien mince même le filet de vie doctrinale qui lui restera.1258 Le Panormitain,1259 puis Guillaume Mathieu1260 mettront en doute sa validité, et Cajetan restreindra en outre son champ d’application en ce qui concerne les marchands indigènes.1261 Un siècle plus tard, le jeune Grotius se ralliera à ces réserves.1262
7. La portée réelle de ces conceptions et leur coexistence jusqu’à la fin du moyen âge
53A vrai dire, il est probable que les conséquences effectives des deux conceptions divergentes du droit de guerre défendues respectivement par Raymond de Peñafort et par Innocent IV se soient en pratique rejointes dans une très large mesure.1263 Et cela n’est pas fortuit. Car chez Innocent l’ennemi au sens strict se réduit également au responsable de l’iniuria ; c’est seulement par voie d’association qu’on s’en prend à ses « aidans et confortans »1264 et donc à l’ensemble des « noyseux ». En ce sens, Innocent est également tributaire de la conception « médiévale » de l’ennemi ; l’impression « romaine » que ses thèses nous laissent est due avant tout au fait que cette association devait s’établir ici par une présomption toute formelle. Or, chez Raymond aussi la présomption de « nocuité » devait en pratique exister dès qu’un individu ou une communauté ne rejetait pas l’allégeance envers le hostis son seigneur : on voit mal ce que pouvait signifier d’autre, en dernière analyse, le fait de « redouter Dieu plus que les hommes ». Tout cela réduit considérablement l’écart réel entre les deux conceptions, animées toutes deux par un fond « médiéval ».
54La coïncidence possible de leurs effets pratiques ne les empêche pas toutefois de rester distinctes en théorie par l’interprétation qu’elles donnent de ce fond commun et par l’étendue qu’elles reconnaissent, partant, au droit de guerre. Cette divergence théorique est intéressante en soi : comment l’expliquer ? Les usages de la guerre médiévale ayant donné raison, semble-t-il, à Innocent, c’est la conception restrictive de Raymond qu’il nous faut avant tout expliquer. Elle se justifie en partie grâce au contexte immédiat, le cas de conscience examiné. Mais il faut tenir compte également de la fonction plus générale de cette première somme du for interne. La guerre et ses excès intéressaient Raymond avant tout au point de vue des sanctions qu’ils entraînaient à la charge des pénitents. L’absolution dépendait en particulier de la satisfaction qui à son tour impliquait la restitution des objets injustement ravis s’ils existaient encore, ou du moins une réparation adéquate lorsque la restitution se révélait impossible. Tels étaient les principes fixés par le Lombard au sujet du sacrement de pénitence.1265 La règle posée par Raymond vise avant tout à faciliter la décision du père confesseur : c’est pourquoi il est amené à éclairer en quelque sorte du dedans un aspect qu’Innocent avait pu négliger. Voilà aussi pourquoi ses thèses ont tout naturellement éclos tant chez ses successeurs sommistes que chez les théologiens ; car la question se posait différemment dans le for externe où ce sont des conditions formelles, « extérieures », qui déterminaient les droits de guerre.
55Ainsi s’explique la coexistence prolongée de ces attitudes divergentes devant les limites du droit de guerre : au lieu de se faire concurrence, elles se superposent en quelque sorte, chacune valant dans une sphère propre. Voilà aussi comment elles ont pu s’ignorer mutuellement : à peine si l’on note un léger étonnement chez Baptiste de Salis, qui juge « fort singulière » la position du Hostiensis écartant tout devoir de restitution en cas de guerre juste.1266
56Seul vers la fin du moyen âge certains auteurs, sans poser le problème clairement, paraissent du moins tenir compte des deux courants antagonistes. Ainsi Gabriel Biel semble différencier le droit de guerre selon qu’il dérive d’un bellum iustum simpliciter ou d’un bellum iustum ex causa, en limitant l’éventuel devoir de restitution à ce dernier.1267 Une solution voisine est suggérée par Adrien VI, qui restreint le droit de guerre proportionnel à la guerre privée ; dans la guerre de prince il admet en revanche que cette mesure soit dépassée : le dommage excédentaire est censé valoir comme peine.1268 Chez Sylvestre de Prierio les deux principes coexistent et s’ignorent.1269
57Quant à l’autre aspect du problème, les victimes de la guerre, les considérations de Sylvestre sont du plus haut intérêt. Il cite plusieurs interprétations du concept d’innocence ; seule raisonnable lui paraît la suivante : le juste belligérant peut infliger aux sujets innocents tous les dommages matériels qu’il juge nécessaires pour obtenir la victoire : celle-ci acquise, il est cependant tenu de leur restituer ce qui peut subsister des biens ravis. A plus forte raison devra-t-il indemniser les innocents qui ne sont pas sujets du belligérant ennemi, à moins qu’il ne leur ait infligé le dommage sans le vouloir, comme lorsqu’une ville entière est livrée au sac ou à l’incendie : le châtiment que cela représente atteint aussi les innocents.1270
58L’opinion de Sylvestre est remarquable à plusieurs titres. D’abord il semble la considérer comme nouvelle : et en effet on la recherche en vain chez ses prédécesseurs. Partant, elle se présente à la fois comme singulière et comme isolée. Sa principale nouveauté tient au fait qu’elle ignore les innocents pour la durée des opérations militaires jusqu’à la victoire : on voit donc se dessiner un critère temporel. La règle est cependant atténuée par le devoir subséquent de restitution ; par le fait aussi que les dommages doivent frapper les innocents seulement dans leurs biens, sans qu’il soit du reste spécifié comment on pourrait mettre leur vie à l’abri par exemple d’un bombardement ; par l’exigence enfin qu’aucun dommage intentionnel ne soit infligé aux étrangers résidant auprès de l’ennemi.
59Une décennie plus tard, cette conception se retrouve dans la Summula Caietani : mais au lieu d’être noyée parmi d’autres considérations, comme dans la Summa summarum, elle est mise en évidence à la fois par sa place et par une formulation plus tranchée. Cajetan part de l’idée « romaine » que dans la guerre toute la communauté adverse est présumée ennemie et qu’il n’y a donc pas lieu d’en excepter les innocents. Contrairement à Sylvestre, il nie même l’obligation de restitution ultérieure à leur égard. Mais il atténue aussitôt son affirmation : il ne vise, lui aussi, que des dommages matériels ; et lui aussi interdit qu’ils soient infligés à dessein, cette fois même à l’égard des sujets du belligérant ennemi ; quant aux résidents non-sujets, dont surtout les membres de l’Eglise, il les veut totalement à l’abri de la guerre.1271
60Ces limitations ne coïncident pas en tous points avec celles de Sylvestre ; mais l’idée principale de celui-ci, alors insolite, n’en est pas moins réaffirmée par l’autorité du général dominicain sous la forme d’une règle bien frappée qui passera à ses successeurs : toute la communauté adverse est considérée comme ennemie jusqu’au moment de la victoire. Par une curieuse ironie, nous voyons ainsi la dernière somme importante de cas de conscience annuler le régime d’exception que la première d’entre elles, la Raymondine, avait cherché à garantir aux innocents, assez exactement trois siècles plus tôt. Avec Cajetan, on aboutit, du moins pour la durée des opérations, à une conception « romaine » de l’ennemi, sinon du droit de guerre lui-même.
8. La synthèse de Vitoria
61Mais le coup de barre décisif sera donné, sur ce point encore, par Francisco de Vitoria, le premier à réunir en une synthèse exhaustive et cohérente ce qui était demeuré jusqu’alors disparate et fragmentaire. Dans son œuvre se note d’ailleurs sur ce point une évolution comparable à celle relevée plus haut pour la cause matérielle :1272 la simple casuistique du commentaire à la Somme et du De indis est ramenée dans le De iure belli à ses principes sans en perdre tout à fait son aspect initial. Nous savons déjà que Vitoria consacre au problème une importante section de la Relectio, soit l’ensemble des « doutes » relatifs à sa quatrième question principale – quid et quantum liceat in bello iusto –, le problème du modus belli gerendi étant plus spécialement visé par quantum.1273
62Le maître de Salamanque fait valoir un certain nombre de distinctions, dont aucune ne paraît clairement dominer les autres. De leurs associations résulte un éventail de limites arrêtant l’action du juste belligérant. Ces critères ne sont qu’en partie de son invention ; il n’en est aucun à n’avoir été tout au moins esquissé par ses prédécesseurs. Son travail a consisté d’abord à les rendre explicites, à les saisir en tant que critères ; puis à les rapprocher les uns des autres et à les combiner entre eux. Sous l’apparence d’une casuistique non dépourvue d’élégance, nous trouvons donc là une belle manifestation de cette volonté de construction caractérisant la Seconde scolastique ; et peut-être est-il permis d’y apercevoir déjà un exemple de la méthode « mathématique » du jeune Grotius dont on constatera du reste combien il est tributaire, sur ce point encore, de l’exposé vitorien.
63Commençons par énumérer les distinctions de Vitoria, en partant de la nature de l’action, pour en arriver à son objet. L’action peut d’abord être intentionnelle ou accidentelle, comme l’avaient indiqué Cajetan et Sylvestre.1274 D’eux aussi provient le critère voisin tiré du moment auquel on se place, la césure décisive intervenant à la victoire : auparavant, – dum res est in periculo – prévaut la loi de la nécessité, fonction à son tour de la fin visée ; la victoire acquise – parta victoria —, cette nécessité s’estompe et resserre du coup les limites de l’action du vainqueur ;1275 critère valant d’ailleurs, semble-t-il, autant pour chaque lutte isolée que pour l’ensemble de la guerre.1276 Une autre différenciation résulte des types de dommages licites, selon qu’ils atteignent la personne de l’ennemi – dans sa vie ou dans sa liberté – ou ses biens, par une diminution de son patrimonie ; ces critères paraissent tirés de la théorie de la légitime défense.1277 Enfin Vitoria reprend la séparation classique entre « noyseux » et « innocents ».1278
64Son exposé s’articule en première ligne autour de cette dernière division. Les innocents apparaissent de prime abord comme un récif à l’abri des flots. Ils s’en trouvent pourtant recouverts peu à peu par l’action des trois distinctions précédentes. Vitoria parvient ainsi à justifier la pratique effectivement suivie à leur égard et à la concilier avec les principes restrictifs revendiqués en leur faveur par ses devanciers sommistes et théologiens. L’atteinte à leur vie demeure licite, pourvu qu’elle ait lieu avant la victoire, en vertu des nécessités de la guerre et par un accident, sinon imprévu, du moins inévitable.1279 Quant à leurs biens, ils peuvent être détruits, même intentionnellement, mais seulement si la victoire ne peut être obtenue autrement ; le même argument sert à justifier leur spoliation.1280 Il suffirait à expliquer aussi les effets des représailles à l’égard des innocents ; mais Vitoria en appelle ici au critère formaliste énoncé avant lui par Cajetan, de leur appartenance à l’Etat adverse.1281 La même idée viendra justifier aussitôt leur captivité, la conséquence « romaine » de la servitude n’étant évitée que par la coutume « chrétienne » du rançonnement.1282 Quant aux otages, Vitoria interdit en tout état de cause leur mise à mort.1283
65Tel est le catalogue savamment nuancé des atteintes licites infligeables aux innocents. Quant aux nocentes, Vitoria admet qu’on use à leur égard du droit de guerre le plus strict, au besoin en les faisant périr, même après la victoire, en guise de punition, et en les privant de leurs biens.1284 Cas extrême, qui reste au demeurant conforme au principe de la proportionnalité. Celle-ci s’évaluant d’après un double critère, le tort subi dans le passé et la paix à instaurer dans l’avenir,1285 l’idée de causalité se trouve élargie par l’inclusion d’une intention finale. L’exigence de proportionnalité n’en devient que plus évidente ; elle sous-tend l’ensemble du développement et trouve une expression générale tout à la fin de la Relectio.1286 Vitoria la fait valoir même dans l’acquisition des biens ennemis, où ses références indiquent par ailleurs qu’il s’en tient aux thèses des juristes.1287
9. Les successeurs de Vitoria
66Les successeurs scolastiques de Vitoria ont suivi d’assez près son exposé fouillé sur les limites du droit de guerre. Tous consacrent une partie distincte et assez étendue de leurs commentaires à ce point, qu’il devint alors courant de désigner comme debitus modus. Mieux encore que le maître de Salamanque ils en font ressortir les principes directeurs, sans du reste s’accorder toujours sur les priorités. Ainsi Bañez fait du critère de la nocuité l’axe principal de son exposé, alors que les types de dommages ne viennent qu’en second lieu.1288 Les explications de Suarez obéissent en revanche aux phases de la guerre : combinant le critère temporel de Vitoria avec les phases imaginées par Cajetan, il obtient une triple division ; dans ce cadre, qui n’est du reste pas rigoureusement respecté, vient s’insérer le critère de la nocuité, puis celui des types de dommages.1289 Plus casuistiques, Jean Azor et Grégoire de Valence font prévaloir la nocuité et le temps.1290 Molina enfin donne la préférence au caractère du dommage.1291
67De ces descendants de Vitoria il convient de rapprocher un collatéral, en la personne d’Alberico Gentili : son exposé sur les iura belli est comparable aux leurs grâce aux principes et aux critères mis en jeu, bien qu’il les dépasse par sa richesse. Il témoigne d’une inspiration qu’on peut qualifier d’humanitaire1292 avant la lettre, à l’instar de celle de Vitoria. Pourtant Gentili n’en oublie jamais qu’il est juriste et cherche donc, dans l’esprit des commentateurs, à mesurer chacune de ses thèses à l’aune des textes. Il en résulte un exposé des plus fouillés et des plus proches de la pratique effective de son temps, sans que soient négligées les innovations possibles.
68De fait, la systématique de Gentili prend appui sur plusieurs des distinctions vitoriennes. Fondamentale est à cet égard la division temporelle tirée de la victoire : cela est si vrai que les droits de guerre durante bello et ceux post bellum font l’objet de livres distincts, le second et le troisième respectivement. Celui-là tient compte à son tour de la qualité des personnes et du type de biens atteints par les dommages, bien que ces deux critères demeurent plus implicites que le précédent.1293 Demeure implicite aussi, dans ce livre, la référence à la cause de guerre, et l’on peut même se demander si Gentili n’a pas voulu délibérément l’ignorer : ses limitations durante bello obéissent en fait à des critères formels, qui laissent l’étendue du droit de guerre indéterminée ; d’où l’étonnante modernité de cette conception, qui représente probablement, à cette époque, ce qui se rapproche le plus d’un ius in bello au sens moderne.1294 Quant au troisième livre, il rappelle Vitoria en ce qu’il soumet l’exercice des droits postérieurs à la victoire à l’exigence d’une proportionnalité générale et fortement assouplie ; comme chez le dominicain, elle se détermine à la fois en fonction du tort passé et de la sécurité future, division tout à fait consciente et voulue, traduite par les deux termes ultio et pax.1295
10. La proportionnalité stricte des droits issus de la légitime défense
69Avant de refermer ce volet de nos considérations, arrêtons-nous encore brièvement à un type de « guerre » particulier, la légitime défense. Par delà leurs divergences, avons-nous dit plus haut, les auteurs s’accordent sur le caractère strictement causal et proportionnel des droits qui en découlent.1296 Cette double limite est à vrai dire inhérente au concept même de légitime défense ; elle s’exprime en général dans nos textes par la notion de moderatio inculpatae tutelae.
70Apparue dans la loy Recte possidenti, qui fut promulguée au temps de Dioclétien, cette expression désignait à l’origine la limite à observer par le juste possesseur dans la défense de son bien contre une attaque illicite.1297 Ce sont seulement les juristes médiévaux qui ont étendu la portée du moderamen – comme ils l’appelleront de préférence – de manière à l’appliquer aussi à la défense de la personne : résultat sans doute du rapprochement de la loy Recte possidenti de plusieurs autres textes du Digeste, grâce à la notion commune du vim propulsare.1298 De là on tirera d’abord la restriction de principe, interdisant que la repulsio ne dégénère jamais en ultio : limite générale déjà évoquée1299 et qui trouvera une précision supplémentaire dans le moderamen inculpatae tutelae.1300 Celui-ci en acquiert dès lors une portée générale, définissant les bornes légitimes de toute « guerre » de défense, quel que soit le bien en péril.
71Gratien n’avait pas fait état lui-même du moderamen inculpatae tutelae dans les textes relatifs à notre problème. La notion apparaît chez les décrétistes, avec Etienne de Tournay, à propos du canon isidorien Ius naturale1301 ou encore, plus souvent, au sujet de la Cause 23. Jean le Teutonique la consacre dans la glose Qui repellere possunt,1302 et ses renvois à plusieurs décrétales indiquent que la notion avait entre-temps pénétré dans la législation pontificale. C’est à propos de la décrétale Olim causam inter vos qu’Innocent IV se préoccupera de la question du dépassement du moderamen.1303 Le problème était du reste assez disputé. En général, la proportionnalité se fixait d’après la nature de l’attaque et de son objet, le plus souvent par référence à des éléments externes ; mais une minorité d’auteurs en appelait à l’intention qui présidait à la défense.1304 La question reçut une extension progressive jusqu’à la fin du moyen âge, notamment grâce à la casuistique de Lignano recueillie dans la Sylvestrine.1305 Mais comme elle ne joue pour notre problème qu’un rôle mineur, nous nous bornerons à renvoyer à la littérature.1306 Retenons simplement que c’est la légitime défense qui livrait l’expression la plus claire du principe de la proportionnalité.
(ii) Seconde alternative : droit de guerre unilatéral ou bilatéral
72Mais il est encore une autre manière d’envisager le droit de guerre, selon qu’on l’accorde à un seul des belligérants ou aux deux ensemble. Conséquence directe du rapport qu’on établit entre l’action et sa cause matérielle, cette alternative dépend plus généralement de la conception même qu’on se fait de la guerre. Ainsi les textes romains, partant de l’idée de guerre-duel,1307 nous mettent en présence d’un droit de guerre abstrait et bilatéral : c’est ce qui résulte, à n’en pas douter, de la juxtaposition des loix Hostes et Item quae ex hostibus ;1308 attitude que reflète encore un célèbre passage de la Politique d’Aristote, qui perçoit la servitude de guerre comme l’effet d’une règle conventionnelle attribuant au vainqueur le bien conquis.1309 Inversement, les théologiens et sommistes médiévaux soutiennent un droit de guerre causal et unilatéral ; qu’il nous suffise de renvoyer à nos remarques antérieures sur la cause matérielle et la guerre juste des deux côtés.1310 Si, au xvie siècle, d’aucuns admettent cette dernière dans le sens particulier et restreint que l’on connaît, ils en tirent tout au plus une cause d’excuse en faveur de l’une des parties, mais non un droit de guerre bilatéral ; et même s’ils allèguent les règles romaines, ils ne les font valoir d’ordinaire qu’en faveur de la partie menant une guerre juste.1311 On ne trouve à cela que de rares exceptions parmi les jésuites espagnols immédiatement antérieurs à Grotius.1312
73Entre ces positions extrêmes, il y avait cependant un large champ ouvert à l’ambiguïté : à nouveau, c’est elle qui domine la plupart des thèses des juristes médiévaux. Ceux-ci évitent en général de soulever ouvertement le problème de la bilatéralité, ce qui nous réduit à conjecturer leur attitude. L’équivoque se marque déjà chez les légistes et les décrétistes qui tendent à interpréter les principes romains dans le sens de l’unilatéralité ;1313 mais leurs brèves remarques restent suffisamment imprécises pour ne pas exclure une certaine bilatéralité : indétermination qui marquera aussi la doctrine de leurs successeurs jusqu’au xvie siècle. Rares sont les juristes qui posent clairement la question de la bilatéralité et la tranchent dans un sens ou un autre : on les examinera en détail, après un bref exposé de la doctrine dominante, équivoque, illustrée notamment par Innocent et Bartole.
11. La doctrine dominante : Innocent et Bartole
74Selon toute vraisemblance, avons-nous dit, Innocent considère les effets de la guerre ex edicto principis sur les personnes et les biens ennemis comme indéterminés.1314 Or, vu qu’il n’avait pas clairement opté pour le principe de la causalité, on peut se demander si, alléguant la loy Hostes, il admettait, en fait sinon en paroles, un droit de guerre bilatéral. A nouveau, son silence est difficile à pénétrer. Mais le contexte suggère l’unilatéralité. Car en comparant, dans son commentaire à la décrétale Olim causam, la légitime défense avec d’autres formes de guerre, dont celle faite par le prince, il n’a sans doute entendu relever que les éléments contrastants : tout le reste est censé demeurer égal, soit en particulier l’hypothèse générale de l’unilatéralité, qui vaut à la fois pour la légitime défense et pour l’action de police du magistrat.1315 Et sans doute est-ce par rapport à cette hypothèse générale qu’il raisonne aussi dans le commentaire à la décrétale Sicut et infra, qui ne fait que résumer le développement plus fouillé de la décrétale Olim causam ; interprétation rendue d’autant plus probable que ce texte-là suppose la distinction entre guerre juste et injuste.1316
75On dira cependant qu’avec sa conception élargie du princeps1317 il lui devenait possible de concevoir une guerre entre deux princes chrétiens égaux et souverains : hypothèse où la question de la bilatéralité ne pouvait plus être éludée. Innocent aurait-il accepté alors d’appliquer dans toute leur rigueur les règles romaines qu’il invoque ? Il ne soulève pas la question, ce qui le dispense d’y répondre. Sans vouloir le faire à sa place, nous inclinons à penser que, même dans la guerre de prince, Innocent considérait les droits comme unilatéraux.1318 Pourtant sa formule trop concise pouvait s’interpréter autrement et venir étayer un droit de guerre bilatéral.
76Ce pas, il semble bien qu’il ait en pratique été fait un siècle plus tard par Bartole. Certes, nous savons déjà qu’en commentant le texte même invoqué par Innocent il a repris la triple division des guerres imaginée par le pontife et devait donc tenir compte des limitations inhérentes à ce passage ;1319 et le vaste tableau des duo genera gentium semble exclure, de prime abord, tout droit de guerre bilatéral au sein de ce que Bartole considère comme le peuple romain.1320 Pourtant nous savons aussi que son argument le conduit par la suite à envisager précisément l’hypothèse omise par Innocent, soit le cas de deux villes italiennes « qui ne reconnaissent point de supérieur », telles qu’il en voyait guerroyant sous ses yeux à la manière des Etats-cités du monde antique. Au-delà des Alpes, deux puissants monarques de la chrétienté venaient d’ailleurs d’engager une lutte qui opposera leurs pays plus d’un siècle durant.
77On conçoit mal que Bartole ne se soit posé, à leur sujet aussi, la question qu’il soulève à propos des cités italiennes : à savoir si l’on pouvait les considérer comme hostes au sens d’Ulpien et de Pomponius. Et en cas de réponse affirmative il lui était difficile d’échapper à la conséquence qui se dégageait des textes romains : la reconnaissance tout au moins implicite d’un droit de guerre bilatéral et abstrait.
78De fait, en ce qui concerne les cités italiennes, il n’y a pas de doute que Bartole entend leur accorder les droits de guerre à titre égal, bien qu’il s’exprime tout en nuances. Certes, affirme-t-il, les droits de captivité et de postliminie, qui devraient intervenir « grâce au droit des gens dérivant des coutumes antiques » sont abolis entre chrétiens en vertu des mores moderni temporis. Mais cela ne vaut que pour les personnes, s’empresse-t-il d’ajouter, quant aux biens, le principe romain est sauf, quoiqu’il tienne compte, là aussi, de la pratique de son temps.1321
79Les explications de Bartole prennent tout leur sens à la lumière de l’usus armorum médiéval : c’est cette coutume propre à l’estât militaire que désignent en fait les mores moderni temporis.1322 Au lieu d’être réduits en esclavage, les captifs gardaient leur statut de personnes libres. On se limitait à les détenir à la manière d’otages jusqu’à leur rachat. En pratique, ils étaient même souvent remis en liberté, sur parole, à charge de verser la rançon ; obligation sanctionnée au besoin par des voies fort efficaces mettant en cause leur honneur.1323 Partant, les droits réels que les Romains avaient déduits de la captivité, ainsi que leurs conséquences pour la condition de l’individu, se transformaient en de simples rapports d’obligation. Telle fut la signification « christianisée » des formules romaines concernant la captivité, la servitude et le postliminium. Si la guerre n’en demeurait pas moins l’une des principales sources d’esclavage, c’est au contact surtout des infidèles.1324 Ainsi l’esclavage subsistera en Espagne sous la forme antique jusqu’à la fin de la Reconquista, alimenté notamment par des razzias, la guerre de course et la piraterie.1325 Là où ces conditions font défaut, l’esclavage disparaît au profit du servage : tel est le cas en France dès le xe siècle au plus tard.1326 Au sein de la chrétienté, les règles romaines relatives à l’esclavage de guerre ne pouvaient donc s’appliquer que sous bénéfice d’inventaire,1327 ce qui suscita leur interprétation particulière par les juristes. Remarquons toutefois que le rachat des prisonniers de guerre se pratiquait aussi entre chrétiens et musulmans, et que certains ordres religieux en avaient même très tôt fait leur spécialité.1328
80Quant aux biens, ils sont en principe acquis, dans ce régime de l’usus armorum, à celui qui se les approprie ; pourtant, là aussi, la règle romaine a besoin d’être différenciée, ce qui amène Bartole à concilier deux textes apparemment contradictoires et à les faire cadrer avec les mores moderni temporis. Les immeubles sont acquis à l’Etat belligérant. Les meubles doivent être livrés au capitaine, qui les redistribue parmi les soldats, selon leurs mérites, en nature ou en espèces.1329 Comme il apparaît dans la suite du texte, Bartole fait ici allusion à la pratique de l’abutinage, indispensable pour la discipline des troupes puisque, autrement, les soldats s’égaillaient, chacun à la recherche de son profit personnel.1330 A cette pratique s’étaient déjà référées les deux gloses décrétistes Non ergo omnia et Haec litera videtur.1331 De même que le rançonnement dans le domaine des prisonniers, l’abutinage constitue dans celui des biens une étape intermédiaire, conduisant peu à peu vers le régime, entièrement public, du droit international classique.1332
81Voilà comment Bartole, envisageant une hypothèse ignorée par Innocent, fait entrevoir le « droit d’armes » de son temps, dont la pratique consacre la bilatéralité du droit de guerre. Que ses contemporains le comprissent bien en ce sens là, nous est attesté par la critique évoquée plus haut de son disciple Ange de Pérouse : ne reprend-il pas son « père et maître » précisément pour avoir admis le droit de postliminie entre deux cités rebelles à l’Empire, alors que ce privilège ne s’applique, à son avis, qu’aux guerres extérieures de la chrétienté, bien entendu au profit seulement des chrétiens.1333 Peut-être cette réaction explique-t-elle pourquoi Bartole n’a donné à son opinion qu’une expression déformée : c’était un moyen de ne pas heurter une orthodoxie qui, à défaut de régner parmi les gens d’armes, continuait à dominer l’opinion des docteurs.
82L’équivoque de la formule d’Innocent n’est donc pas entièrement levée chez Bartole : et les auteurs mettront d’autant plus longtemps à la dissiper qu’ils évitent de poser le problème clairement. Ils préfèrent se transmettre de toutes pièces leurs remarques éparses en manière d’axiomes dont la seule allégation faisait autorité.1334 Signe peut-être d’un certain embarras devant une pratique qui leur échappait : ne pouvant ni la dompter dans le sens indiqué par les théologiens, ni, par crainte de rompre avec ceux-ci, lui appliquer franchement les règles romaines, ils se cantonnent dans une position mitoyenne. Quoi qu’il en soit, leur doctrine se présente sur ce point comme un courant charriant côte à côte des membra disiecta difficiles à concilier.
83Toutefois, ce manque de cohésion si gênant pour un esprit moderne est loin d’incommoder nos docteurs ; il s’explique à vrai dire, en partie du moins, par le fait que la littérature sur la guerre s’adressait non à des personnes abstraites régies par un droit public au sens moderne, mais à un ensemble plutôt mal défini d’individus de toutes origines, liés par une vague communauté d’intérêts due à leur métier commun, celui des armes. Les juristes s’intéressent avant tout aux rapports de droit personnels et aux litiges de tous ordres résultant de ce métier comme de tout autre domaine de la vie ; ils cherchent à les régler en leur appliquant des normes tirées des deux corps de droit, normes civiles, canoniques ou féodales complétées par un ensemble d’us et coutumes, règles que nous attribuerions toutes au droit privé. Le ius armorum constitue ainsi un assemblage assez incongru de normes visant directement les membres d’une corporation, princes, nobles, vassaux, sergents, mercenaires, routiers, dont l’activité est soumise à ce droit comme celle des marchands l’est au ius mercatorum. La cohésion systématique reste d’autant plus faible que la littérature juridique avait pris souvent un tour casuistique : il importait surtout d’avoir à disposition des règles pratiques en vue de trancher des litiges concrets. A cette fin, l’apparente clarté d’une formule d’Innocent suffisait entièrement : pourquoi donc s’élever à des vues plus globales, plus cohérentes, mais de pure théorie ? Néanmoins, l’apparent désordre, qui n’est alors pas le propre de la doctrine de la guerre, s’estompe ou du moins s’atténue dès qu’on l’envisage sous l’angle de sa visée pratique, l’activité particulière d’un estât médiéval.
84Ce n’est pas avant l’Ecole de Salamanque que le ius belli prend peu à peu l’aspect de notre droit des conflits armés. Mais l’influence de ces théologiens sur les juristes ne sera pas immédiate. Même les traités d’un Belli ou d’un Bocer, tous deux de la seconde moitié du xvie siècle,1335 ne se comprennent encore que dans la perspective médiévale. Bien que mieux ordonnés, ils restent proches, à cet égard, de leurs ancêtres rédigés par Juan Lopez,1336 Claude Cotereau,1337 Martin de Lodi,1338 Honoré Bonnet,1339 Christine de Pisan1340 ou même Jean de Lignano :1341 tous, ils tiennent d’une double inspiration, du commentaire juridique axé sur la pratique et de la littérature médiévale des « miroirs » ; et leur ordonnancement est fonction directe de l’optique « estatique ».1342 La mutation doctrinale s’amorcera seulement avec le xvie siècle, précisément à partir de l’Espagne où se trouvaient alors les observateurs les plus lucides de la refonte, dans le nouveau creuset « étatique », de ce qui avait été une profession transnationale ; et ce n’est que dans certains traités de la fin du siècle, ceux d’Ayala et de Gentili, que le climat se modifie véritablement.
12. Le droit de guerre bilatéral et abstrait dans la guerre « romaine » : le Panormitain, Fulgose, Alciat et Gentili
85Si la question de la bilatéralité des effets n’a pas reçu de solution bien tranchée au sein même de la chrétienté, deux juristes du xve siècle en affirment du moins le principe en ce qui concerne les guerres externes de celle-ci : il s’agit de Fulgose et du Panormitain, dont les conclusions se rejoignent sur ce point, non pas, semble-t-il, parce qu’ils auraient été au contact l’un de l’autre – les passages en question ne se ressemblent guère – mais par une commune référence aux textes romains sur la matière.
86En ce qui concerne les guerres entre souverains chrétiens, l’Abbé sicilien prolonge en substance l’attitude évasive d’un Innocent ou d’un Bartole, avec sans doute les mêmes sous-entendus.1343 Quant à la guerre « déclarée au pontife romain », en revanche, il admet sans ambages que les effets s’en produiraient aussi en faveur des agresseurs.1344 Sa double référence au pape et à la loy Hostes indique à notre avis qu’il vise dans ce passage une espèce de guerre bien précise, celle que le Hostiensis avait désignée comme « romaine », et partant une guerre externe de la chrétienté.1345 Son laconisme ne permet pas, à vrai dire, de préciser s’il a pleinement réalisé le caractère abstrait que les juristes romains attribuaient aux effets de la guerre. Il paraît toutefois difficile d’admettre que cette conséquence ait pu échapper à l’un des esprits les plus aigus de tout le xve siècle : s’il ne l’exprime pas clairement, c’est, une fois encore, pour sauver la façade doctrinale.
87Jusque dans leur fuyante concision, les remarques du Panormitain s’insèrent ainsi dans la tradition majoritaire des juristes ; l’insolite construction de Fulgose rompt en revanche clairement avec celle-ci. Plus haut, nous en avons brossé les traits généraux ;1346 au risque de se répéter, il nous faut y revenir plus en détail, tellement ce passage paraît décisif pour notre problème. Car, de tous les auteurs médiévaux, Fulgose est le seul à conférer au principe romain des effets abstraits une expression claire et consciente.
88Son texte représente, on se souvient, l’un des nombreux essais d’expliquer pourquoi Hermogénien avait rangé la guerre parmi les institutions iuris gentium.1347 L’un des points d’appui essentiels de Fulgose est précisément la constatation que les Romains avaient admis la bilatéralité des effets de la guerre, sous forme d’acquisitiones dominiorum et de servitutes.1348 Son explication revêt la forme d’une sorte de syllogisme complexe, dont la mineure n’est autre que cette constatation, la majeure étant représentée par un résumé des principaux commentaires suscités par la glose Ergo ius gentium.1349 Sa conclusion consiste moins à rejeter la glose – son respect pour elle est connu1350 – qu’à l’interpréter d’une manière inattendue, qui, pour s’écarter à coup sûr de l’intention de son auteur, rejoint cependant, par un détour bizarrement poétique, celle d’Hermogénien, d’Ulpien et de Gaius.
89La solution consiste à mettre franchement hors de cause la justice matérielle de la guerre, pour n’envisager ses effets qu’au plan de la procédure. La guerre, personnifiée, y officie comme une dernière instance judiciaire à laquelle les parties recourent afin de lui faire trancher leurs litiges. Suivant un passage de Lucain – que Grotius, éditeur de la Pharsale, n’ignorera point – il voit en elle un juge suprême, attribuant aux parties de plein droit ce qu’elles se sont appropriées dans la lutte.1351 Cette « procédure » suit donc la maxime des « débats », le juge étant réduit à un rôle passif, se contentant de sanctionner les résultats librement acquis. Aussi, Fulgose ne parle-t-il d’adjudication que dans un sens transposé ; et il paraît assez peu convaincu aussi de la réalité du jugement divin qu’il mentionne à la suite de Lucain. Mais, quoi qu’il en soit de cette personnification plutôt littéraire que juridique, le but est atteint : les effets de la guerre, obtenus non tant par la force des arguments que par le seul argument de la force, se trouvent sanctionnés par le « prononcé » d’une autorité, fût-elle hypothétique, et passent donc en « force de chose jugée », de part et d’autre, sans le moindre égard à la cause matérielle.1352 On ne saurait exprimer avec plus de vigueur le principe des effets abstraits que par le ministère de ce juge fantoche qui ignore précisément tout du litige.
90L’idée de la guerre juste – que la glose avait introduite dans le débat – se trouve donc entièrement formalisée : en toutes lettres, Fulgose égale iustum et publicum.1353 Or, dans sa foulée procédurale, cette équation l’amène à restreindre fortement la capacité d’être partie et la qualité pour agir. Ne peuvent comparaître devant cette ultime instance que des personnes n’ayant pas d’autre juge : soit les peuples libres et les rois indépendants. Eux seuls satisfont aux définitions des hostes énoncées par Ulpien et Pomponius : le publice decretum suppose qu’il y ait populus ; les populi liberi et leurs rois sont à leur tour égalés aux gentes ; et comme ce sont ces gentes qui auraient érigé la guerre en juge, Fulgose y voit un motif suffisant pour attribuer l’institution au ius gentium : ce qu’il fallait démontrer.1354
91Or cela signifie aussi qu’il n’y a bellum au sens d’Hermogénien qu’au dehors de la chrétienté ; au dedans, soutient Fulgose, les luttes armées, si justes soient-elles, ne seront jamais que dissensiones, vis illationes ou vis propulsationes. Car les chrétiens ont tous un supérieur commun en la personne du pape. Il est donc logique que, dans ce cadre restreint, la bilatéralité abstraite des effets de la guerre doive cesser. La preuve de son allégation, Fulgose la tire du fait que les querelles entre chrétiens n’engendrent aucun droit de guerre, ni captivité, ni postliminium : façon inattendue d’interpréter les moderni mores auxquelles Bartole avait attribué l’atténuation des rigueurs du droit de guerre romain.1355 Fulgose ne mentionne donc que les effets personnels ; il ne souffle mot en revanche des effets patrimoniaux. Sans doute n’aurait-il pu, là aussi, que constater la coutume de son époque, mais qui, demeurée « romaine » au dedans même de la chrétienté, aurait mal cadré avec ce qu’il entendait montrer : là il pouvait donc seulement s’incliner en silence devant l’évidence des faits.
92Bloc erratique au milieu de la commune opinion des bartolistes, la construction hardie de Fulgose demeurera longtemps le témoin incompris d’une conception apparemment révolue.1356 On a déjà montré comment ses thèses furent réinterprétées par Alciat et Gentili, qui, moins rigoureux, firent subrepticement rentrer l’élément matériel : ce qui chez Fulgose avait été une nécessité procédurale absolue à raison de la situation des parties, devient chez eux une incertitude relative entachant la cause matérielle. Au lieu d’une impossibilité radicale de « connaître », il ne subsiste qu’un doute sur la cause. C’est grâce à cet élément matériel que les parties deviennent hostes ; inversement, cette qualité et l’égalité qui en dérive se perdent à mesure que le doute sur la cause est levé.1357
93Ainsi les effets bilatéraux sont conditionnés au moins négativement par la cause matérielle. Il devrait s’ensuivre que leur régime deviendrait unilatéral lorsque la situation se clarifie et que l’un des adversaires en deviendrait latro. Toutefois Alciat n’en tire des conséquences immédiates qu’en ce qui concerne le devoir de suite des subordonnés.1358 Il est moins explicite quant aux effets acquisitifs de la guerre mais il paraît bien admettre que sa thèse impliquerait une conséquence analogue en ce qui concerne la servitude, ce qui l’amène à interpréter d’une manière assez particulière un texte de Paul sur le postliminium.1359 Il est encore plus vague quant aux effets réels de la guerre, mais il n’y a aucune raison d’admettre que sa conclusion aurait varié.
94Telle serait aussi la conséquence que Gentili devrait tirer de sa thèse, inspirée directement de la bilatéralité causale imaginée par Alciat. Or, cela ne l’empêche pas d’ériger les effets bilatéraux en principe général : ils ne cesseraient pas de se produire, semble-t-il, même en cas d’injustice manifeste de l’un des belligérants.1360 Il est significatif que, sur ce point précis des effets, Gentili invoque Fulgose plutôt qu’Alciat, à vrai dire sans se rendre, ou du moins sans tenir compte de leur divergence. Derrière Fulgose on sent le poids des textes romains. Gentili y est certes sensible, mais sa justification est surtout d’ordre pragmatique : le cas d’une cause manifestement injuste serait assez rare pour qu’on puisse le négliger en posant la règle générale de la bilatéralité ; de telles situations ne se produisent-elles pas aussi dans les luttes du for, où, bien souvent, l’injustice évidente de l’une des parties ne peut être sanctionnée, par défaut de preuves ? Gentili se résigne donc à prendre acte de cette imperfection de la justice humaine et en relègue la sanction dans l’au-delà.1361 Il attribue ainsi à la règle de la bilatéralité une validité générale, en dépit du fondement peu solide qu’il lui assigne.
13. Un catalyseur du droit de guerre bilatéral : la question de la rescousse chez les Espagnols du xvie siècle
95Dès le xvie siècle, le problème des effets bilatéraux de la guerre sera examiné de façon plus consciente dans la doctrine des juristes et des théologiens espagnols. Tantôt c’est à un point de vue général qu’ils le considèrent, notamment à propos de l’hypothèse de la guerre-contrat ; tantôt ils le discutent en fonction de la question concrète des biens rescous. On s’arrêtera d’abord à ce dernier aspect, discuté en particulier par Covarruvias, Azpilcueta, Molina, Lessius1362 et Suarez.
96Par « bien rescous » on entend des objets repris à l’ennemi et dont il s’agit de déterminer le sort ultérieur : demeurent-ils acquis au rescourrant ou doivent-ils retourner à leurs anciens propriétaires ? Question rentrant par excellence dans le ius armorum et « disputée » à ce titre entre autres par Ange de Pérouse,1363 la rescousse nous intéresse ici moins en elle-même que par ses implications pour les effets de la guerre ; implications qui seront tirées peu à peu au clair par les canonistes et les théologiens mentionnés. Il est fréquent dans le développement de la théorie juridique que les principes n’apparaissent ainsi qu’à la faveur et dans la mesure où l’exigent des points en apparence subordonnés de la pratique. En l’espèce, cela n’est à vrai dire pas fortuit : le problème soulevé par la rescousse correspond à celui que cherchait à résoudre le postliminium romain ; or, n’est-ce pas cette lucarne même qui nous a permis d’entrevoir le principe romain de la bilatéralité du droit de guerre ?
97Covarruvias consacre un paragraphe entier de sa Relectio aux effets de la guerre, examinant d’abord longuement le problème de la servitude, pour finir avec quelques observations sur le sort des biens.1364 Ses termes indiquent qu’il ne conçoit en principe qu’un droit de guerre unilatéral, fonction de la cause matérielle. C’est à propos des biens qu’il soulève la question de la rescousse. Résumant d’abord les interprétations données par les commentateurs aux textes romains sur le postliminium, il s’arrête en particulier à l’opinion d’Ange de Pérouse, qui distinguait la reprise instantanée d’un bien de sa reprise ex intervallo : dans le premier cas, le bien reviendrait automatiquement au propriétaire, dans le second, au capteur puisque entretemps la propriété initiale aurait été interrompue par l’acquisition ennemie.1365 Covarruvias constate que cette solution est consacrée également par les Siete Partidas. Là se trouve précisément la pierre d’achoppement qui déclenche ses réflexions sur la bilatéralité des effets. Car la ley en question déclare cette règle valable face à des pirates ; elle admet en conséquence que ceux-ci puissent devenir propriétaires de leur butin, ce que Covarruvias juge scandaleux.1366 Aussi ne peut-il s’expliquer la disposition qu’en admettant que le Sabio Rey ait entendu stimuler l’ardeur de ses soldats face aux pirates en leur faisant acquérir les biens rescous.1367
98Mais, chemin faisant, il nous dévoile sa propre interprétation des textes romains, qui lui paraissent contredire la solution des Partidas. Car les Romains opposaient sur ce point les hostes aux piratae ; et comme ils ne reconnaissaient les droits de guerre qu’aux premiers, le postliminium devenait superflu à l’égard des seconds.1368 De l’avis de Covarruvias, ils auraient admis la bilatéralité non pour avoir douté de la justice de leur cause, mais parce qu’ils auraient mis leurs ennemis au bénéfice d’une présomption de bonne foi, présomption réfusée aux pirates.1369 On a déjà montré qu’en réintroduisant l’élément matériel dans le débat, au moins à titre d’illusion, il s’écarte en fait de la conception purement formaliste des Romains.1370 Non qu’il ignore l’acception formelle de l’adjectif iustus, remise en lumière par Guillaume Budé,1371 mais il juge que les Romains ne l’ont point admise en ce qui concerne leurs guerres.
99Il y a là un glissement proche de celui d’Alciat et qui conduit Covarruvias à ne recevoir la règle romaine dans la chrétienté qu’avec des réserves, ce qui lui fait statuer un devoir de restitution en cas de guerre menée de mauvaise foi. Pourtant il semble du même coup confiner ce devoir in animae iudicio.1372 Il ne tranche donc pas clairement. En fin de compte c’est moins la règle romaine en soi qui paraît changer que son application inter christianos principes : alors que les Romains auraient toujours présumé la bonne foi de leurs ennemis, cette présomption serait affaiblie, voire renversée entre chrétiens. Elle est renversée dans tous les cas en ce qui concerne les Turcs et les Sarrasins : les qualifiant de tyrans, plutôt que de pirates ou de brigands, Covarruvias estime leur cause nécessairement inique, vu qu’ils occupent des terres chrétiennes, et il leur refuse en conséquence tout droit de guerre ; leurs prisonniers chrétiens ne deviennent pas des esclaves et peuvent s’enfuir librement.1373 Ainsi, malgré son grand prestige dans la suite, la position du Bartole hispanique manque de rigueur : rejetant le principe du droit de guerre abstrait, elle semble tenir en partie de la thèse de l’incertitude, en partie de celle de l’erreur.
100Ce n’est pas à propos d’un texte légal mais d’une espèce concrète qu’Azpilcueta discutera, après la mort de son illustre disciple, le problème de la rescousse : à la suite du désastre de Ksar-el-Kébir,1374 semble-t-il, les Maures vainqueurs s’étaient appropriés certaines pierres précieuses, pour les vendre ensuite à vil prix à des prisonniers chrétiens ; ceux-ci étant rentrés au Portugal, il s’agit de savoir si les biens en cause leur restent acquis ou s’ils doivent échoir à leurs anciens propriétaires.1375 Telles sont les données. Peut-être la solution d’Azpilcueta, obtenue après une confrontation de deux séries d’arguments contraires, constitue-t-elle une réponse implicite à Covarruvias qui n’y est cependant pas mentionné.
101En faveur de la restitution aux anciens propriétaires, le Doctor Navarrus fait valoir un double argument : les Maures n’ont pu devenir propriétaires des biens, à défaut de juste cause ; et ce vice matériel n’a pas été couvert par l’autorité publique ayant présidé à leur guerre ; partant, les droits des anciens propriétaires ne se seraient jamais éteints et les biens devraient leur être restitués.1376 C’est dans cette pars affirmativa que l’on pourrait voir un rappel de la position de Covarruvias.
102En sens contraire, il fait valoir sept objections qui mettent en échec le devoir de restitution. Parmi elles, cinq tendent à prouver que les Maures avaient acquis les biens litigieux ; les deux autres montrent qu’ils ont passé dans la propriété de leurs nouveaux possesseurs.1377 Pour notre propos, il suffira de s’arrêter aux cinq premières objections. Trois d’entre elles dérivent des textes romains : les Maures auraient acquis les biens d’abord en vertu de la règle gaïenne des acquisitions iuris gentium reformulée par Innocent ; puis grâce aux règles sur la déréliction qui s’appliqueraient automatiquement aux biens perdus à la guerre ; enfin parce qu’ils menaient une guerre publique.1378 Les deux autres objections se fondent sur la coutume. Les rois chrétiens admettent entre eux, quant aux biens meubles, un droit de guerre bilatéral et indépendant de la cause matérielle : pourquoi ne pas le transposer aux guerres qui les opposent aux infidèles ? Par surcroît, il existe bien entre chrétiens et musulmans une règle coutumière attribuant le butin aux capteurs à raison de la seule qualité souveraine des belligérants ; elle se fonde sur un accord tacite résultant d’une pratique très ancienne perpétuant les usages antiques en la matière ; du moins serait-on bien en peine d’alléguer une pratique contraire.1379
103Ce n’est pas sans hésiter que le Navarrus fait prévaloir ces objections sur la pars affirmativa : le sujet lui paraît trop peu exploré, malgré son importance et sa fréquence.1380 Il est donc conscient de n’avoir pas épuisé la question ; mais son esquisse reste précieuse. Non seulement elle indique que le point était sinon très discuté, du moins ressenti comme un problème ; mais elle vaut surtout par la nature des arguments allégués en faveur de la bilatéralité. Trois d’entre eux nient expressément que la justice de la cause joue le moindre rôle quant aux effets de la guerre publique : l’un, traditionnel, suit la loy Hostes en renvoyant à la qualité du belligérant ; les deux autres, plus insolites, en appellent à des règles coutumières. Parmi celles-ci, la première justifie ouvertement ce que Bartole et le Panormitain n’avaient laissé qu’entrevoir, la bilatéralité abstraite du droit de guerre entre princes chrétiens. Le fondement juridique de la règle est désigné simplement comme consuetudo omnium Regum Christianorum ;1381 plutôt qu’à un droit public européen avant la lettre, Azpilcueta songe sans doute à l’usus armorum médiéval dont les coutumes, mêmes « étatisées », demeuraient vivantes. Quant à l’autre règle, semblable dans son principe sinon par ses destinataires, elle a pour fondement le ius gentium : droit des « gens », dirait-on, au double sens de « peuples » et de « gentils », ce qui justifie sa validité par analogie aussi à l’égard des infidèles. La conventio communis tacite per consuetudinem antiquissimam inducta qui en forme la base nous occupera encore plus loin.1382
104En donnant à ces arguments la préséance, Azpilcueta bat en brèche toute la doctrine canonique antérieure, malgré la délicate prudence qu’il y met. Voilà un moment où la pratique fait ouvertement irruption dans cet horizon dominé – et souvent bouché – par des textes : ce n’est pas un hasard que cette brèche se produise dans un avis de droit.
105Le problème de la rescousse laissera des traces aussi chez les théologiens de la fin du siècle. Lessius et Molina se réclament tous deux de Covarruvias ; mais ils confèrent à ses thèses un tour plus précis. Leurs exposés présentent du reste de frappantes analogies. Tous deux partent de l’idée que les soldats n’acquièrent le bien meuble rescous qu’à la double condition que l’ennemi en soit devenu propriétaire et que leur guerre soit juste ; sinon le bien doit être restitué à l’ancien propriétaire.1383 Ils interprètent d’ailleurs la conception romaine dans le même sens que Covarruvias, mais refusent, plus catégoriquement que lui, de l’appliquer aux luttes entre princes chrétiens : Lessius, parce qu’il veut tenir compte seulement de la situation juridique objective, qui ne peut à son avis favoriser que l’un des belligérants à la fois ;1384 Molina, en leur interdisant d’entrer en guerre avant de s’être persuadés que cette situation leur donne raison.1385 Vient enfin un dernier trait commun : tout cela valait stando in iure naturali : droit auquel il est cependant possible de déroger, même entre princes chrétiens, par une norme positive d’origine légale ou coutumière.1386 Voilà comment se justifierait la règle des Partidas mise en cause par Covarruvias ; mais de telles normes ne valent à leur avis que là où elles ont été édictées ou adoptées.1387
106Cette même justification figure déjà en substance dans le cours romain de Suarez, qui, malgré sa publication tardive, a sûrement inspiré l’exposé de son disciple Lessius en la matière et probablement aussi celui de Molina : peut-être cette source commune explique-t-elle les analogies entre leurs exposés. Et il est probable que Suarez soit aussi à l’origine de la réflexion plus générale consacrée par les trois jésuites au problème de la bilatéralité abstraite des effets de la guerre, à propos de l’hypothèse de la guerre-contrat.
14. La bilatéralité abstraite des effets de la guerre fondée sur le motif du contrat chez les théologiens jésuites
107De l’avis de Suarez, la bilatéralité reconnue aux effets de la guerre par les Romains aurait découlé d’une sorte d’accord tacite avec leurs hostes, érigeant le vainqueur en maître sur ses conquêtes, ce qui aurait entraîné l’appropriation mutuelle du butin sans égard à la cause de guerre. Quel que soit le bien-fondé de cette interprétation des textes « césaréens », Suarez juge la conception qui s’en dégage révolue et inique. Cela revient en fait à rejeter l’hypothèse de la guerre-contrat.1388
108Pourtant cette réfutation de principe n’empêche pas Suarez de soulever une question à propos de l’hypothèse même qu’il réprouve : quels seraient les effets d’une telle guerre in foro animae ? continue-t-il, en reléguant sa réponse à la fin de la disputatio, en manière d’appendice, comme pour en atténuer l’effet.1389 Parvenu à ce point, il reformule son hypothèse encore plus nettement : à supposer, demande-t-il, qu’une guerre se fasse de part et d’autre volontairement, sans égard à la cause, serait-elle contraire aux vertus de charité ou de justice, entraînant de la sorte un devoir de restitution ?1390 En creux, on reconnaît la vieille maxime augustinienne qui, faisant dépendre la légitimité d’une guerre de sa nécessité,1391 exclut ce type de duel purement volontaire. Suarez savait pourtant fort bien que de tels combats n’avaient en pratique rien d’insolite ; dès lors, bien qu’en apparence simple hypothèse, le problème est loin d’être purement « scolastique ».
109Au regard de Dieu, explique-t-il, ce type de lutte ne satisferait pas à la justice, à raison notamment des homicides qui s’y perpètrent, et par là il répond à la question initiale des effets « en conscience » d’une telle guerre. En revanche, continue-t-il, à ne considérer que les parties en elles-mêmes, il n’en résulterait aucun devoir de restitution. A preuve, quatre arguments dérivant tous de l’idée de contrat, sous-jacente à l’ensemble du développement : il n’est pas possible, d’abord, d’infliger un tort à celui qui l’a d’emblée accepté ; en outre, les parties en lutte ont d’avance consenti à ce que les biens perdus soient acquis en pleine propriété aux adversaires respectifs ; malgré son caractère immoral, cet accord produirait des effets de droit, sans obligation de réparer les dommages – comme dans un duel – ni de restituer les biens acquis – comme dans le jeu ; enfin, chacun peut récupérer sur l’adversaire ses dépenses à raison de la même idée de réciprocité. Toutefois, comme pour amortir une nouvelle fois le choc possible, Suarez finit élégamment par accorder à l’opinion contraire une certaine « probabilité » et « à plus forte raison la sécurité ».1392
110On ne s’étonne guère de retrouver la teneur de ce passage, fortement concentrée, dans le manuscrit de Lessius qui suit de près la démarche de son maître. Lui aussi ne soulève le problème qu’à la fin de l’article premier de la Quaestio de bello, à propos de la recta intentio qui dans cette hypothèse fait précisément défaut, les adversaires étant mus « sola libidine dominandi, utraque parte consentiente ut victor regnet ». Il se rallie aux conclusions de Suarez, par référence à la fois au duel et aux contrats : actes librement consentis de part et d’autre, ils peuvent être contraires à la charité, mais non à la justice, si bien que les transferts de biens résultant d’une telle guerre sont valables en droit, sans entraîner aucune obligation de restituer ni de réparer.1393
111Enfin Molina tiendra le même raisonnement dans un contexte un peu différent, à propos de la traite des esclaves pratiquée notamment par les Portugais : ceux-ci se trouvaient dans la position de tiers acheteurs par rapport aux vendeurs indigènes, dont on suppose que c’est par la violence qu’ils se sont emparés de leurs victimes.1394 Aussi Molina pose-t-il le problème dans les termes mêmes, antérieurs de près de quatre siècles, de Raymond de Peñafort : le tiers-acheteur a dans ce cas le devoir de s’enquérir sur la justice de la guerre ayant provoqué la servitude de ces personnes.1395 C’est à ce propos qu’il examine entre autres les effets patrimoniaux d’une guerre où aucune des parties ne se soucie de la justice de la cause. Lui aussi admet dans ce cas l’existence d’une sorte de convention tacite sortissant des effets réguliers entre les parties, en dépit de son objet qui la rend condamnable en conscience.1396 Cette solution se retrouve dans une autre disputation, relative au duel et dont on reparlera plus bas.1397 Ces effets n’ont certes qu’une validité relative, confinée aux parties ; mais à ce titre du moins ils excluent tout devoir de restitution ou de réparation : si bien que les tiers, s’étant assurés de l’existence de cet accord, pourraient à leur tour acheter le produit d’une telle guerre et le revendre régulièrement.
112La coïncidence de cette démonstration avec celle de Suarez est suffisante pour qu’on puisse admettre une filiation semblable à celle qui est certaine dans le cas de Lessius. On se trouve devant un point de doctrine généralement partagé dans la scolastique jésuite : une guerre entreprise librement de part et d’autre, en vertu d’une espèce de contrat aléatoire dont l’exécution implique des transferts de biens réciproques et consentis d’avance, produit des effets de droit réguliers tout au moins entre les parties : d’où une virtuelle égalité dans leurs acquisitions mutuelles, avec exclusion corrélative du devoir de restitution. Bien qu’enrobé de précautions, ce raisonnement revient à reconnaître en fait la possibilité d’une guerre dont les effets sont bilatéraux et abstraits. On reviendra sur la nature de ces effets, dont l’idée a peut-être contribué de manière décisive à la pensée grotienne concernant la iustitia belli.1398 Pour l’instant, bornons-nous à conclure que, par un biais assez différent, les trois jésuites de la fin du xvie siècle rejoignent ainsi la thèse esquissée au début du xive par Fulgose. Il est d’autant plus curieux de constater qu’aucun de ces passages, virtuellement subversifs et contraires à l’idée même de guerre juste, n’a été relevé par les critiques modernes des magni Hispani.1399
113Il se peut que Suarez ait connu le théorème de Fulgose ; pourtant, malgré leur commune référence aux textes romains, malgré les similitudes de leurs constructions et la convergence de leurs résultats, on hésite à faire descendre le jésuite espagnol directement du commentateur italien. Bien qu’il n’exclue pas entièrement l’idée de l’accord, Fulgose avait fondé son raisonnement sur une sorte de nécessité procédurale : chez Suarez c’est la libre volonté des parties qui prévaut et conditionne leur égalité juridique par le truchement d’un accord tacite. Ce motif nous conduit vers une autre source possible, les Controverses illustres de Fernando Vasquez de Menchaca, parues environ deux décennies plus tôt.1400 Le juriste de Valladolid aborde toutefois les effets de la guerre sous un biais assez différent.
15. La bilatéralité abstraite chez Fernand Vasquez : le triple motif de l’humanité, du contrat et de la prescription
114Le point de départ de Vasquez est l’institution de la servitude qui lui paraît contraire au théorème général placé au seuil de son ouvrage : à savoir que tout pouvoir politique et toute loi ne se justifient que dans la mesure où ils visent « l’utilité publique des citoyens eux-mêmes ».1401 Pourtant, constate-t-il au vu des textes, la servitude se fonde bien sur l’ordre juridique et peut même, selon les cas, se réclamer de quatre sources de droit différentes, dont chacune lui apporte dans son ordre quelque justification.1402 Parmi elles, l’intéresse avant tout la servitude issue du droit des gens. N’est-elle pas contraire au droit naturel, demande-t-il sur les traces d’Ulpien,1403 puisque ce droit consacre la liberté de l’homme ? Difficulté aussitôt résolue par l’argument classique de la « conservation », en vertu duquel la « servitude » ne serait qu’un moindre mal substitué au mal plus grave que représenterait la mise à mort des captifs.1404 La servitude tire donc son sens de la guerre, qui, elle, serait le fruit de la propriété ; et comme, selon Hermogénien, la distinctio dominiorum dérive du droit des gens, celui-ci représente la cause lointaine de la servitude qui ne fait en réalité qu’atténuer les fâcheux effets de deux de ses principales institutions, la propriété et la guerre.1405
115Vasquez renouvelle ainsi l’interprétation génétique des bartolistes ;1406 de surcroît, au lieu de se borner à constater la filiation logique de trois institutions juxtaposées dans les textes d’Hermogénien et d’Isidore, il imprime à l’ensemble, dans la ligne de son théorème de base, une intention qui n’est pas sans rappeler avant la lettre celle du droit humanitaire moderne.1407 Alciat avait certes esquissé cette thèse1408 mais en était aussitôt revenu : elle l’aurait conduit à justifier les effets de la guerre aussi en faveur du belligérant ouvertement injuste, ce qui n’était pas compatible avec sa thèse de l’incertitude matérielle. Faisant au contraire usage de cet argument, Vasquez se voit amené à exclure de son raisonnement la justice de la cause. L’asservissement « conservateur » se produit donc de part et d’autre et représente un effet abstrait de la guerre. Par voie de conséquence, il consacre le droit de fuite de tous les esclaves iure gentium, comme l’avaient déjà fait Covarruvias et Fulgose, prenant le contre-pied de la doctrine amorcée par la glose Alibi dicitur.1409
116Mais la bilatéralité s’applique également aux biens : Vasquez s’éloigne ainsi de son point de départ, pour en venir aux effets réels de la guerre. Survient ici la distinction, déjà notée plus haut et bientôt mise à profit par Grotius lui-même, entre princes et soldats.1410 Cela nous indique d’emblée que Vasquez n’envisage que l’hypothèse d’une guerre de part et d’autre publique.
117En ce qui concerne les soldats, il allègue d’abord l’argument de la présomption qui doit leur faire estimer juste la guerre de leur prince. Pourtant ce n’est pas cet argument qui justifiera les effets bilatéraux de la guerre : car c’est là que Vasquez en appelle à l’idée du contrat, d’une façon à vrai dire un peu différente de Suarez. C’est la relation juridique entre le soldat et le prince qui lui paraît de nature contractuelle, allusion fort réaliste au mercenariat. Cet accord reposerait, en ce qui concerne les soldats, sur une double condition tacite : qu’ils peuvent perdre tous leurs biens et jusqu’à leur vie ; et qu’inversement ils peuvent, à leur profit, les faire perdre à l’ennemi. En présence de ce consentement mutuel, il n’y a rien de choquant à ce que des acquisitions aient lieu de part et d’autre sans le moindre égard à la justice de la guerre :1411 résultat voisin de celui obtenu par Suarez,1412 malgré la construction différente, plus complexe et un peu baroque de Vasquez.
118Reste à voir si les effets bilatéraux se produisent aussi en faveur des princes : elle a lieu en ce qui concerne leur éventuel asservissement ; mais qu’en est-il des biens ? Vasquez tranche dans le même sens, si ce n’est qu’au lieu de recourir à la figure de l’accord tacite, il avance un argument d’ordre procédural, qui se retrouvera encore chez Suarez et le jeune Grotius : soit l’impossibilité, pour le propriétaire lésé, de revendiquer son bien auprès d’un tiers acquéreur. Sans toucher au problème de la rescousse, il en infère que la propriété est acquise au capteur, quelle que soit la cause matérielle, pourvu que la guerre soit publique. Ces effets sont donc clairement abstraits. Ajoutons que l’ensemble du raisonnement se limite au for externe, réservant expressément le problème de conscience où prévaut l’unilatéralité causale.1413
119Plutôt que d’un argument philosophique et moral tiré de la littérature antique, comme pour les effets personnels, Vasquez est donc parti, dans le cas des biens, de la pratique militaire et juridique de son temps, pour en conclure également à une bilatéralité abstraite. S’il avait admis au sujet des personnes l’interprétation génétique donnée par les bartolistes à la loy Ex hoc iure gentium,1414 pour en tirer une conclusion inattendue, il n’en fait aucun cas pour les biens. Son argumentation y paraît inédite, et les marginales trahissent qu’il la considérait bien comme telle.1415 Ignorait-il les thèses antérieures d’Alciat et de Fulgose ? Il n’en cite aucun,1416 alors qu’ils lui sont par ailleurs familiers et qu’il a soin, d’ordinaire, avant d’aborder une « controverse », de faire un copieux inventaire des opinions en présence, en remontant parfois jusqu’aux glossateurs. L’absence de ces deux noms paraît donc étonnante.1417 Quoi qu’il en soit de ses sources, reconnaissons que Vasquez est peut-être le premier auteur à rejoindre véritablement la bilatéralité abstraite de tous les effets de la guerre admise par Fulgose.
16. La bilatéralité abstraite fondée sur les seules qualités formelles des belligérants : Balthasar Ayala
120L’autre juriste du xvie siècle à rejoindre Fulgose sera Balthasar Ayala. Cette fois, le commentateur de Piacenza est invoqué en toutes lettres et la coïncidence ne se limite plus aux résultats, comme chez Vasquez, mais en comprend l’intuition profonde, à la faveur d’un point de départ commun. Le pivot de leurs considérations est représenté par le belligérant « romain », que tous deux mettent en relation directe avec les effets de la guerre, ainsi que l’avait fait Ulpien lui-même : ces effets ne dépendent plus, dès lors, d’aucun autre facteur que de la nature du belligérant ; ils sont purement abstraits.
121Il est vrai qu’en plusieurs endroits Ayala semble lier la validité des effets à la juste cause du belligérant ; et parfois la qualité même de belligérant légitime paraît conditionnée par la cause poursuivie,1418 ce qui menace de susciter une équivoque rappelant celle d’Alciat ou de Covarruvias, allégués tous deux en plus de Vasquez et de Fulgose. Telle est d’abord l’impression que donnent certains passages du chapitre consacré aux causes de guerre. On sait que, pour des raisons paradoxales mais compréhensibles, Ayala s’occupe principalement d’un motif qui n’est précisément pas une cause de « guerre » au sens propre, la rébellion contre le pouvoir légitime ;1419 or, bien qu’il assimile les rebelles aux brigands et – le contexte néerlandais l’exigeait – aux pirates d’Ulpien, ce n’est pas à raison d’une qualification formelle, mais à partir de l’injustice de leur cause qu’il semble leur refuser le statut de belligérants pour les priver du bénéfice des effets de la guerre.1420 Il va même jusqu’à évoquer, sans trop de conviction d’ailleurs, la croyance, demeurée vivante chez certains auteurs et même chez le jeune Grotius, que la cause matérielle déciderait de l’issue du conflit.1421 Plus loin encore, le chapitre portant spécialement sur les effets de la guerre s’ouvre par quelques remarques générales qui, tout en qualifiant la guerre, aux termes de la règle gaïenne, de iustus modus acquirendi dominii, ne visent cependant que la guerre juste conditionnée par l’injustice adverse et donc par la cause matérielle, hypothèse qui paraît se vérifier à plusieurs reprises tout au long du chapitre.1422
122Pourtant nous croyons que ces passages représentent plutôt des maladresses que la vraie pensée d’Ayala. Car celle-ci apparaît par ailleurs avec une netteté suffisante pour que l’on soit en droit d’affirmer que bellum iustum y a d’ordinaire une valeur toute différente. De même que Fulgose avait réduit la guerre juste à la guerre publique, de même Ayala y attache un sens avant tout formel.1423 Ainsi, après l’examen traditionnel des causes matérielles, sans nier leur pertinence, il n’en écarte pas moins d’un seul coup cette considération dès qu’il en vient aux effets de la guerre. Il est catégorique : toute la question des justes causes a trait à l’aequum et bonum, « aux devoirs d’un homme de bien plutôt qu’aux effets de droit ».1424 Or, la plupart du temps c’est aux effets de la guerre et non à sa cause matérielle qu’il rapporte l’expression bellum iustum. Dès lors, si elle prolonge en apparence la tradition médiévale, la notion de guerre juste reçoit ici en réalité un sens nouveau, essentiellement formel.
123Ayala justifie cet emploi par l’argument philologique de Guillaume Budé.1425 Au début du siècle, celui-ci avait montré, en vue d’indiquer la vraie teneur de la notion de iusta hereditas, que iustum avait souvent pour synonyme, aux yeux des juristes romains, non pas verum, mais plenum, congruum ou idoneum, exprimant donc un rapport d’adéquation formelle plutôt que la justice matérielle, seule « véritable » dans l’esprit dominant de l’époque.1426 Aux nombreux exemples allégués par Budé, Covarruvias avait éloquemment ajouté, un demi-siècle plus tard, celui de la iusta vestis, désignant selon l’usage espagnol un vêtement « juste au corps » ;1427 mais nous savons que, tout en admettant cette acception en rapport avec hostis, acies ou proelium, l’évêque de Ségovie avait refusé de l’appliquer à bellum.1428
124Ce transfert sera opéré en premier par Ayala : et il le sera si bien que cette acception domine toute la première partie de son traité. Dès lors, la guerre sera « juste » dans la mesure où elle est faite par un pouvoir souverain ; et elle le resterait, produisant tous ses effets, même si sa cause était manifestement injuste.1429 La validité des effets est donc indépendante de la cause matérielle : la victoire et les efforts qui y conduisent en sont la seule mesure. C’est en ce sens aussi, sur un plan purement formel, nous explique Ayala, que ces effets se produisent de manière égale dans les deux camps et qu’une guerre pourra se dire juste de part et d’autre.1430 Nécessaire et suffisante, la condition unique en est que s’affrontent de véritables hostes, détenteurs exclusifs de la compétence de guerre.
125Ainsi, tout le système d’Ayala se trouve suspendu au princeps legitimus et au iustus hostis, couple indissociable ayant reçu des contours tranchés à partir du rebellis, contours pratiquement seuls retenus, à l’exclusion du substrat matériel des parties.1431 En termes modernes, Ayala répercute au plan international ses conclusions tirées du domaine interne : effet direct des thèses de Bodin.1432 De même que face à ses sujets, à supposer même qu’il les opprime, le prince légitime ne saurait devenir tyran, puisque la légitimité ne dépend que de l’origine, régulière et non usurpée, de son pouvoir, de même le prince ne saurait mener face à ses semblables une guerre qui, à défaut d’être « juste » sur le fond, ne produise les effets réguliers et « justes » statues par les jurisconsultes romains.
126On assiste là, par rapport aux thèses d’Alciat, de Covarruvias et de Gentili, à un important revirement. La source en est le commentaire de Fulgose et plus encore, semble-t-il, la République de Bodin : car, si l’argument fulgosien, et plus généralement médiéval, de l’absence de supérieur reste déterminant, Ayala l’emploie avant tout sous la forme nouvelle et moderne qu’il a reçue chez Bodin, en tant que summa potestas donnée au préalable à titre « absolu » en vertu de critères purement formels et investie, entre autres « marques de souveraineté », d’une compétence de guerre exclusive.1433 Le revirement consiste à définir le belligérant a priori et à en faire une donnée absolue, couvrant au besoin de son autorité l’élément matériel, alors que pour Alciat et ses successeurs cet élément demeurait au contraire déterminant et continuait, fût-ce de manière indirecte, à justifier et à définir le belligérant légitime, dont le statut n’était ainsi jamais que relatif et en quelque sorte précaire. Il en résulte une ligne de partage peu apparente mais décisive entre les conceptions abstraite et causale des effets mêmes bilatéraux de la guerre.
17. Contre-épreuve : la question des restitutions et des rémissions
127Droit de guerre causal ou abstrait, proportionnel ou indéterminé, unilatéral ou bilatéral – ces options théoriques devraient se refléter dans le domaine voisin des restitutions et des rémissions, qui nous plonge tout à la fois dans le confessionnal et dans les négociations de paix. Leurs traces plutôt clairsemées dans les manuels sur la guerre contrastent avec leur importance pratique considérable, puisque les effets de la guerre s’en trouvaient, suivant les cas, sanctionnés ou annulés. Vaste question, déjà effleurée et qui ne sera qu’effleurée à nouveau, quand bien même, étudiée à la lumière de la pratique, elle représenterait l’une des clés susceptibles de nous révéler la signification et la portée véritables des points de vue théoriques de nos auteurs. Il est probable que cette portée se révélerait dans bien des cas limitée. On se bornera ici à quelques indications éparses.
128Le devoir de restitution strict, proclamé par les sommistes et les théologiens, acquérait sans doute, par le truchement de la confession, une certaine efficacité pratique, au demeurant difficile à évaluer. Ajoutons que par cette même voie pouvait être sanctionnée aussi une bilatéralité de fait au profit des sujets du belligérant. En ce sens vont les règles sur leur devoir d’obéissance, la présomption de légitimité dont jouissent les ordres de leurs supérieurs, enfin l’excuse tirée de l’ignorance et de l’erreur. Sylvestre distingue ainsi le cas du subordonné ayant combattu dans une guerre qu’il croyait juste, du cas où il avait suivi l’ordre du supérieur tout en sachant la guerre injuste, le devoir de restitution demeurant entier dans ce dernier cas, alors que dans le premier il est limité aux biens encore existants lors de la prise de conscience de l’erreur.1434 Vitoria rejette cette distinction en limitant la restitution dans tous les cas aux biens encore existants.1435 Il est significatif qu’il place cette opinion aussitôt après sa démonstration relative à la guerre juste des deux côtés.1436 Ainsi transparaît la limite reconnue aux effets bilatéraux, mais aussi toute leur étendue. Car si le devoir de restitution ne devient actuel que dans la mesure où la situation se clarifie après coup et où les biens en cause existent encore, cela ne signifie-t-il pas que, dans l’hypothèse opposée, ce devoir demeure virtuel et que jamais il ne s’étend aux biens aliénés ou consommés ? Si l’on ajoute que d’ordinaire la situation juridique sous-jacente à la guerre devait demeurer obscure, il est plausible d’admettre que même in foro animae les effets de la guerre étaient en pratique bilatéraux, du moins en faveur des subordonnés. On saisit ainsi à la dérobée, comme par un jeu de miroirs, des pans entiers d’une pratique inavouée, mais tolérée devant la force des circonstances.
129Et il en allait ainsi, à plus forte raison, dans le for contentieux. Le devoir de restitution n’y devenait effectif – à vrai dire indépendamment de la cause matérielle – que si une partie avait succombé de façon évidente, à la suite d’une debellatio : sa guerre étant alors déclarée injuste par le vainqueur, toutes les normes sur la restitution – augmentée d’une réparation – pouvaient lui être appliquées, avec la bénédiction des savants grimoires qui ne s’étaient lassés de les répéter. Telle est la pratique reconnue par Gentili, qui ne se cache pas du reste son caractère problématique au regard de la théorie de la guerre juste ; mais il se console une fois de plus par la constatation que ce type d’injustice arrive aussi dans les litiges civils.1437 La situation était différente dans l’hypothèse d’une guerre indécise, terminée par voie de négociations. Le problème des restitutions et des réparations y était régulièrement soulevé, et la solution qu’on lui donnait déterminait en pratique les effets de la guerre. Or, cette solution dépendait moins, dans ce cas, de principes généraux que de la volonté des parties, conditionnée à son tour par le talent des négociateurs et par les forces en présence, telles qu’elles résultaient de la lutte préalable. Sans doute est-ce en ce sens-là qu’il faut entendre la remarque de Belli, demandant que l’on s’attache avant tout aux termes du traité de paix.1438 Pourtant, tout en reconnaissant cette liberté de principe, Gentili n’en cherchera pas moins à poser certaines règles générales en la matière, qui le conduisent, il est vrai, aux confins du droit et de la politique.1439
130Les pacigérants jouissaient-ils d’une entière liberté de sanctionner et de faire passer en droit les transferts de biens et les dommages occasionnés par la guerre ? Voilà qui soulève la question des rémissions. Elle se posait avant tout par rapport à leurs subordonnés respectifs, victimes principales de la guerre, à commencer par les rustici et les pauperes, puis en remontant aux nobiles et enfin aux vassalli du belligérant.
131Dès avant le milieu du xiiie siècle, Guillaume de Rennes avait soulevé le problème et tenté une solution assez nuancée. A moins du consentement des sujets, il interdit en principe que la paix soit conclue à leur détriment ; règle générale qu’il diversifie suivant le critère de la cause matérielle. Le belligérant injuste serait tenu de les indemniser dans la mesure où c’est à son instigation qu’ils ont été amenés à soutenir une guerre illicite. Mais Guillaume ajoute aussitôt que cela vaut en conscience seulement, non dans le for externe. Quant à l’autre belligérant, il ne devrait, à son avis, pas conclure la paix au détriment de ses sujets ; ce qui ne l’empêche pas de reconnaître qu’en pratique il en va souvent ainsi, usage qu’il approuve dans la mesure où, la paix ne pouvant être obtenue autrement, il sert le bien commun.1440
132Cette glose nous fait entrevoir que, dans cette hypothèse, la cause de la guerre devait jouer un rôle subordonné ; et que le règlement dépendait surtout des forces en présence, à raison non seulement de la guerre, mais aussi de la puissance effective, très variable, des belligérants face à leurs subordonnés : l’Etat médiéval pouvait opposer à leur liberté de décision des entraves au moins égales à celles d’un Etat démocratique moderne. Si nous ajoutons que la composition était sans doute le mode le plus fréquent de terminer les faides, on peut conclure à l’indépendance pratique des effets de la guerre par rapport à sa cause matérielle ; et le plus souvent ils devaient être bilatéraux, par le truchement d’une amnistie mutuelle. La bilatéralité ne résultait donc le plus souvent pas d’une norme positive, mais du fait que les belligérants renonçaient à se prévaloir de droits en pratique fort difficiles à déterminer. Par contrecoup, le dogme de l’unilatéralité du droit de guerre semble avoir joui d’une réalité surtout doctrinale.
133La question soulevée par Guillaume devint topique dans la littérature sommiste et théologique1441 ainsi que chez certains juristes du for externe. Ces derniers la discutent en manière de complément au titre des restitutions.1442 Les tenants de l’unilatéralité des effets atténuent les obligations qui devraient en résulter, par le jeu des rémissions mutuelles. Une fois de plus, le devoir de restitution se voit donc en pratique relégué « en conscience ».
134Ajoutons que les clauses de la paix obéissaient en général à des modalités devenues typiques. Selon Belli, les traités prévoyaient tantôt diverses formes d’amnistie, de pardon réciproque, tantôt la restitution, dans une mesure variable, des biens.1443 A nouveau, cette coutume conventionnelle résultait sans doute plutôt de nécessités militaires et politiques que de la situation juridique. Ainsi se réalisait d’une nouvelle manière la réciprocité pratique des effets de la guerre, non par l’action directe d’une norme juridique, mais au contraire parce qu’une règle généralement reconnue dans la doctrine – leur unilatéralité – se trouvait régulièrement mise en échec par la volonté des parties. Voilà ce qu’admet sans discussion un canoniste tel que Guerrero, par ailleurs scrupuleusement attaché au principe de l’unilatéralité.1444
135Ce détour devenait superflu dès que les auteurs reconnaissaient la bilatéralité abstraite du droit de guerre – ce qui nous situe toujours, à commencer par Fulgose lui-même, dans l’hypothèse d’une guerre publique.1445 Ainsi Fernando Vasquez conteste dans ce cas la nécessité d’une rémission pour annuler le devoir de restituer ou de réparer. Les dommages infligés, les biens saisis de part et d’autre, l’ont été « par droit de guerre » et donc de plein droit, sans qu’il fût besoin de la moindre rémission pour les régulariser. Celle-ci serait contenue – et semble-t-il à titre déclaratoire seulement – dans la paix conclue par les belligérants. Il en irait autrement des torts que subiraient des particuliers en temps de paix de la part d’étrangers ; mais dans ce cas leur prince n’aurait pas le pouvoir de prononcer leur rémission ; celle-ci paraît donc aussi impossible par temps de paix qu’elle est superflue par temps de guerre.1446
136Ayala esquisse une solution intermédiaire : d’accord avec Vasquez sur l’effet immédiat du droit de guerre, il n’en maintient pas moins, avec l’opinion traditionnelle, que le prince peut, en dehors de cette hypothèse, prononcer les rémissions que commanderait le bien commun.1447 Dans le même ordre d’idées, il fait valoir un argument que reprendra le jeune Grotius, en dépit de la distance qu’il marque par ailleurs à l’égard de la position tranchée de l’auditeur d’Anvers : la possession prolongée, même entachée d’un vice initial, doit être maintenue en faveur de la paix générale, application particulière des règles de la prescription.1448
137Enfin nous voyons, vers cette époque, le vénérable Azpilcueta abonder dans le même sens : « Jamais au cours d’une si longue vie, confie-t-il dans le consilium évoqué plus haut, n’ai-je vu, entendu ou lu qu’après une paix conclue sans autres conditions entre princes souverains, les sujets de l’un se fussent adressés à l’autre pour lui demander la restitution de leurs biens meubles enlevés durant la guerre par ses subordonnés et que ceux-ci leur fussent restitués. »1449 Il était alors presque nonagénaire.
138Arrêtons là nos considérations sur le iustus modus belli gerendi. Nous avons parcouru les principaux témoignages de la doctrine juridique et théologique entre le milieu du xiie siècle et la fin du xvie. Très tôt le problème est posé en termes clairs par les sommistes et certains théologiens, alors que chez les juristes du for externe prévaut longtemps l’ambiguïté. La divergence paraît due surtout au fait que les premiers se confinent au tribunal de l’âme et ont donc plus de liberté à faire appliquer les limites précises d’une doctrine bien tranchée, alors que les autres doivent louvoyer entre ces exigences théoriques et la pratique d’une classe d’hommes étroitement associée au pouvoir politique. L’écart entre leurs positions, sans doute moins important par ses résultats que les textes tendent à le suggérer, traduit ainsi un conflit semblable à celui relevé plus haut en matière de compétence de guerre : interprétant les faits, les auteurs s’en font d’une part les reflets dans leurs écrits, mais cherchent d’autre part à les infléchir à travers ces écrits mêmes. Mais cet effort théorique trahit aussi une divergence sur l’institution même de la guerre. Pour les théologiens et la plupart des canonistes, celle-ci n’est jamais justifiable qu’à titre d’exécution unilatérale d’un droit acquis au préalable, et c’est dans cette perspective causale qu’ils lui recherchent de justes limites, proportionnelles ou, le cas échéant, indéterminées. Quant aux civilistes, ils tendent en revanche d’emblée à ne voir en elle qu’une situation juridique comparable à un duel, déterminée par des critères formels, et dont ils se contentent d’enregistrer les effets de droit sans se soucier du fond du litige : chez eux put donc renaître la conception antique d’un droit de guerre bilatéral, indéterminé et abstrait. Toutefois, ce n’est pas le moindre des paradoxes que personne n’ait mieux aperçu et formulé cette dernière option que quelques théologiens-juristes jésuites, au temps même de la jeunesse de Grotius.
18. Grotius : sa solution réunit les divers courants de la tradition, mais elle présente des failles internes
139Revenons au Commentarius grotien. Le droit de guerre et ses limites y suit deux régimes distincts, avons-nous constaté, selon qu’il concerne les chefs ou les subordonnés. Pour les premiers, il est strictement proportionnel à la cause matérielle et donc nécessairement unilatéral et causal. En un sens il est causal aussi pour les subordonnés ; mais, vu la nature spéciale de leur cause matérielle, il peut, le cas échéant, devenir bilatéral et indéterminé. Il nous reste à rechercher le sens de cette construction et les motifs qui ont conduit notre auteur à imaginer ce double régime. Mais commençons par relier ses deux versants à leurs antécédents doctrinaux respectifs.
140Pour les chefs, Grotius s’inspire étroitement du courant doctrinal déclenché par la Raymondine, qui, retravaillé par les sommistes et les théologiens, a culminé dans la synthèse vitorienne. D’une manière plus stricte encore que Vitoria lui-même – qui semble avoir admis, ne fût-ce qu’à titre de cas-limite, la justice bilatérale même en faveur des princes, sans qu’il soit certain, à vrai dire, qu’il en aurait déduit un droit de guerre correspondant –, Grotius s’en tient ici au droit de guerre unilatéral. Quant à la proportionnalité, elle est doublement conditionnée par la cause matérielle, envisagée à la fois comme mobile et comme motif : la mesure des dommages infligeables à l’ennemi est limitée par le droit né de son tort ; et ces dommages ne doivent en principe frapper que les responsables du tort, non les innocents.
141Grotius reste donc fidèle au principe de la responsabilité individuelle : au ius que l’on fait valoir contre tel individu en lui infligeant un dommage, doit correspondre de sa part une iniuria équivalente.1450 La notion d’ennemi n’existant à proprement parler qu’au pluriel, ne désignant jamais une personne corporative ou collective, le droit de guerre se scinde en autant de droits distincts qu’il y a d’individus responsables. Afin de pallier le défaut de réalisme que cette double limitation menace de susciter, Grotius fait encore appel aux procédés mis en œuvre par Cajetan et Vitoria en vue d’élargir le cercle des objectifs licites : à savoir la division temporelle marquée par le moment de la victoire, ainsi que les critères tirés du type de dommages et de l’intention présidant à l’acte de guerre.1451
142A la manière de Cajetan, mais par des voies différentes, il admet que, avant la victoire, les nécessités de la guerre ont pour effet d’étendre à l’ensemble de la population ennemie le cercle des personnes susceptibles d’une atteinte licite. On sait qu’il en a préparé le terrain dès le chapitre précèdent, en approfondissant le concept d’iniuria, ce qui l’avait fait aboutir à une notion purement objective de la responsabilité.1452 Sur cette base, il continue maintenant à échaufauder tout un système de solidarités passives, justifiant par des figures juridiques issues du droit civil ou du droit pénal une relation qui pour nous relèverait du droit public interne ou international.
143Il imagine quatre types de solidarités. Une personne peut d’abord être tenue du fait d’un associé, non pas en vertu d’un contrat de société préalable, mais d’une des formes de participation au sens du droit civil ou pénal – ordre, conseil, consentement, aide, – toutes ces formes ayant fait l’objet d’études approfondies de la part des théologiens.1453 Puis l’Etat entier peut être tenu du fait d’un magistrat, en vertu d’une obligation conventionnelle comparable à celle résultant de l’actio institoria, le magistrat étant comparé à un marchand imprudemment engagé par la respublica qui par conséquent est tenu de ses actes illicites.1454 L’Etat peut aussi se voir imputer le fait d’un citoyen, dans la mesure où il le couvre de son autorité en omettant de le sanctionner : on retombe sur le canon Dominus noster et la glose Iudex ergo.1455 Inversement, le citoyen se verra obligé du fait de l’Etat et c’est par là, de façon toute traditionnelle, que Grotius justifie les représailles : à plus forte raison est-ce par là que s’explique la solidarité du corps des citoyens dans une guerre « pleine ». Ainsi Grotius aboutit au résultat résumé par Cajetan dans sa lapidaire formule affirmant que « l’Etat adverse est présumé tout entier ennemi ».1456
144D’autre part, Grotius tient un compte scrupuleux de la nature de l’atteinte et rejoint ainsi l’une des divisions fondamentales apportées en la matière par Vitoria : on n’a pas les mêmes droits envers la personne de l’ennemi qu’envers ses biens.1457 Pas plus chez Grotius que chez ses prédécesseurs on ne doit rechercher la principale raison de cette différence dans un humanitarisme de type moderne. Le statut particulier de la vie par rapport à celui des autres biens – parmi lesquels Grotius range aussi la liberté personnelle – dérive du fait que l’homme n’est censé disposer que de ces derniers, alors que Dieu seul est maître de la vie. Aussi admet-il que le belligérant actif se satisfasse indifféremment sur tous les biens patrimoniaux de la communauté adverse, sans excepter les innocents, aussi bien avant qu’après la victoire : car, si des maux de cet ordre frappent des innocents en dehors de toute culpabilité, affirme notre auteur à la suite de saint Thomas, ils ne les frappent du moins pas sans cause.1458 Il en va différemment des atteintes corporelles, qui ne peuvent sanctionner qu’une action et donc une responsabilité personnelles.1459 Cependant nous savons déjà combien celle-ci est large et somme toute purement objective, fonction seulement du fait qu’une personne augmente, fût-ce de manière toute indirecte, la résistance ennemie. Partant, toute la communauté adverse est en pratique exposée aux atteintes, tant patrimoniales que physiques, de la guerre.
145Cependant, sans en faire état en termes exprès, Grotius tient compte ici de cette autre distinction commune à Cajetan et à Vitoria, tirée de l’intention qui préside à l’acte de guerre : si des atteintes, mêmes physiques, peuvent se justifier par accident, elles ne sauraient être excusées lorsqu’elles sont infligées de façon intentionnelle, alors qu’il était possible, au vu de la situation militaire, de faire un clair départ entre « malins » et « innocents ». Cette excuse disparaît dans tous les cas après la victoire, si bien qu’à partir de ce moment des peines corporelles ne peuvent être infligées qu’aux nocentes.1460
146Telles sont en gros les limites du droit de guerre des chefs : elles devraient en principe se répercuter aussi sur l’action de leurs subordonnés. Pourtant, grâce à la cause matérielle particulière qui gouverne ceux-ci, leur droit de guerre peut non seulement dépasser cette limite, mais même, dans certaines conditions, s’ériger tout entier en porte-à-faux.1461 Conséquence directe, un droit de guerre bilatéral devient ici concevable. Grotius a-t-il entendu de la sorte, après avoir consacré au profit des agents volontaires le droit de guerre causal et proportionnel des théologiens et des sommistes, tenir compte ici des principes romains tels que la pratique médiévale et une partie de la doctrine des juristes les avaient recueillis, en concédant aux subordonnés de part et d’autre un droit de guerre indéterminé et pratiquement abstrait ? Que ces principes romains aient longuement retenu son attention ne fait guère de doute : outre les nombreux passages qui touchent à la question dans ses ouvrages juridiques,1462 n’est-il pas allé jusqu’à composer une longue paraphrase en vers sur le titre topique en la matière, à savoir De rerum divisione et acquirendo earum dominio ?1463
147Sans doute est-ce son intention générale. Pourtant, lorsqu’on serre le texte de plus près, on ne laisse pas d’être dérouté. En effet, non seulement cette bilatéralité ne semble pas remplir de fonction véritable dans le Mémoire, mais au chapitre x, relatif à la distribution de la proye, Grotius paraît retirer ce qu’il vient d’accorder au chapitre viii, en revenant à un droit de guerre unilatéral. Les ratures et rajouts qui abondent dans ces deux passages du manuscrit semblent trahir qu’il avait conscience des antinomies menaçantes ; mais son intention définitive reste difficile à saisir.
148Suivons-le d’abord dans la première partie de sa démarche, qui paraît aboutir, à en croire l’énoncé des deux corollaires achevant le chapitre viii, à la reconnaissance d’un droit de guerre bilatéral, profitant indifféremment aux subordonnés des deux côtés.1464 Grotius démontre en effet – premier corollaire – qu’ils sont en droit de détenir la proye ;1465 puis – second corollaire – que dans la guerre publique ils en deviennent les propriétaires.1466 Cependant la multiplicité même des raisons invoquées paraît trahir des hésitations. La possession bilatérale résulterait d’un prononcé des belligérants respectifs.1467 Quant à l’acquisition en pleine propriété, elle semble dériver tour à tour des règles sur l’usucapion, sur la prescription, sur les obligations naturelles, sur la sécurité juridique et sur l’occupation ; puis du concept de iustus hostis et de la bonne foi ; l’ensemble étant dominé par l’idée d’un accord tacite entre nations souveraines.1468
149Passons ensuite à l’autre versant de la construction. Au chapitre x, Grotius soulève la question de savoir qui devient propriétaire de la proye, ce qui est déroutant si l’on songe qu’il a paru l’attribuer, quelques pages plus haut seulement, aux subordonnés qui s’en sont emparés en tant que combattants légitimes. Il semblait d’ailleurs n’avoir fait que suivre, sur ce point, l’opinion séculaire des glossateurs et des commentateurs.1469 Or c’est précisément leur avis qu’il rejette d’une manière aussi catégorique qu’inattendue, pour attribuer la propriété de la proye au belligérant lui-même. Cette conception lui paraît correspondre à la nature des choses et à la vraie interprétation des textes romains. Elle vaudrait tant pour la guerre privée que pour la guerre publique. C’est seulement en vertu d’un acte d’assignation, préalable ou subséquent à la prise, que cette propriété serait transférée aux gens de guerre, dans une mesure que chaque belligérant resterait libre de fixer. Les glossateurs auraient été victimes d’une illusion qui leur aurait fait exagérer la portée de la règle capta capientium fiunt. En réalité les soldats acquerraient la proye non de façon directe, mais brevi manu, par un acte réunissant deux opérations distinctes, l’acquisition pour le belligérant et l’attribution au particulier.1470
150A vrai dire, tout paraît se tenir jusque-là : Grotius ne semble avoir fait que préciser un détail de sa construction. Celle-ci paraît sauve en ce qui concerne la guerre publique : au lieu d’acquérir la proye directement, les subordonnés l’acquièrent, à la manière d’un esclave ou d’un fils de famille romains, pour l’Etat qui la leur rétrocède à son tour ; en vertu d’un accord tacite, les Etats sont d’autre part convenus de respecter mutuellement cette assignation qu’ils ont opérée, chacun au détriment de l’autre, en faveur de leurs subordonnés respectifs ; solution confirmée par le rappel, en cet endroit même, de l’accord tacite apparu à la fin du chapitre viii, et dont l’objet paraît double, comprenant tout à la fois l’acquisition publique par les subordonnés et l’assignation subséquente.
151Pourtant Grotius raisonne en réalité durant tout le chapitre x en fonction d’un droit de guerre unilatéral. L’accord tacite y est certes rappelé, mais n’y joue plus qu’un rôle effacé.1471 Ce n’est pas en vertu de lui que l’Etat y attribue la proye à ses sujets, mais en vertu d’un droit préalable, fondé sur la cause matérielle de la guerre. Or nous savons que pour lui, agent volontaire, cette cause existe ou n’existe pas, mais ne souffre point d’être incertaine et ne peut favoriser qu’un seul côté à la fois.1472 Plusieurs tournures de Grotius trahissent à l’évidence que telle est son hypothèse tout au long du chapitre x.1473
152Cela exclut nécessairement le droit de guerre de l’un des Etats. Mais cela n’exclue-t-il pas, tout aussi nécessairement, le droit de guerre de ses sujets ? Comment cet Etat pourrait-il leur assigner un bien qu’il n’aurait pas acquis au préalable, fût-ce par l’intermédiaire de ces sujets mêmes, mais sans pouvoir bénéficier, quant à lui, de la marge d’incertitude dont ceux-ci jouissent dans les limites de la bonne foi ? C’est donc paradoxalement le caractère public et causal de la proye qui agit ici comme une sorte de verrou : car dès qu’on admet qu’elle est d’abord acquise à l’Etat en vertu d’une cause, pour ne devenir propriété des subordonnés qu’en vertu d’un transfert sinon subséquent du moins juridiquement distinct, on ne voit plus quels seraient la place et l’objet de l’accord tacite censé instituer la bilatéralité des acquisitions de guerre : le principe même de celle-ci paraît devenir incompatible avec ce qui précède.
153Cet accord, dont les seuls sujets possibles sont les Etats eux-mêmes, porterait-il sur la mise entre parenthèses de la cause matérielle ? Cela contredirait la conception d’ensemble du Mémoire, qui fonde le droit de guerre, tant entre Etats qu’entre particuliers, sur cette cause.1474 Ou viserait-il le fait spécifique de l’acquisition de bonne foi et pour autrui des sujets respectifs ? D’emblée l’accord serait dans ce cas entaché de mauvaise foi, puisqu’il impliquerait nécessairement que les sujets de l’une des parties fussent trompés : il est donc peu probable que Grotius y ait songé. Ou porterait-il encore sur la reconnaissance réciproque des assignations que font les Etats en faveur de leurs sujets ? Il n’entrerait alors en jeu qu’après la paix conclue, à défaut d’accord contraire ; à la façon d’une remise de dette tacite, il mettrait en échec, à partir de ce moment, le devoir de restitution ; c’est ainsi, on l’a vu, que Pierino Belli avait entendu la chose un demi-siècle auparavant. Grotius y a peut-être songé : le parti qu’il tire de l’institution du postliminium fait penser à une remise de dette non seulement tacite mais présumée. Pourtant, admettre cette explication reviendrait à rendre inutile, cette fois, les mentions de la cause matérielle au chapitre x :1475 on doit dès lors écarter aussi cette solution-là.
154Aucune explication ne vient donc aplanir le conflit. Pourtant Grotius aurait pu distinguer, parmi les biens pris à l’ennemi, des masses différentes et leur assigner des statuts juridiques distincts, permettant d’appliquer en partie le régime de la cause matérielle, en partie celui de l’accord tacite. Doneau lui offrait à cet égard une ouverture, en dissociant la proye au sens propre, qui est publique et comprend les biens pris à l’ennemi après la victoire, des biens enlevés durant les opérations et qui, dans la mesure où ce sont des soldats qui se les approprient, leur sont acquis directement et non brevi manu.1476 Or, loin de saisir la perche, Grotius réunit ces deux catégories de biens dans la proye, sans égard au moment où ils ont échappé au pouvoir des ennemis : par définition, la proye comprend à son avis l’ensemble des biens concédés aux soldats en vertu de la loi ; et si le in praeda esse s’oppose en tant que tel au publicari, il n’empêche que tous ces biens sont à un moment donné publics, puisque acquis à l’Etat.1477 Cette règle générale ne semble pas non plus modifiée par la distinction qu’il apporte à l’intérieur de la praeda, selon qu’il s’agit de corraria ou de butinum ou encore de pilagium :1478 bien que par définition la proye représente aux yeux de Grotius ce qui revient aux particuliers, elle ne peut cependant leur échoir qu’à raison d’une attribution par l’Etat, précédée nécessairement d’une acquisition de sa part : ce qui suppose l’existence d’une cause matérielle et empêche donc par contrecoup la bilatéralité du droit de guerre, sans que l’accord tacite des peuples paraisse susceptible d’y remédier.
155Le problème reste donc entier. Le raisonnement grotien semble présenter en cet endroit une faille. Il emboîte deux constructions incompatibles, entre lesquelles il fallait opter : ou bien le droit de guerre des subordonnés dépend d’un accord tacite entre leurs Etats respectifs, et dans ce cas il est direct, bilatéral et du même coup abstrait, la guerre devenant une sorte de duel ; ou alors on le fonde sur la cause matérielle de l’agent volontaire, ce qui rend l’acquisition par les subordonnés indirecte et ne laisse subsister ce droit que d’un seul côté, la guerre devenant une exécution unilatérale. Maintenues côte à côte, les deux constructions paraissent inconciliables. Des deux, c’est avant tout celle faisant intervenir la bilatéralité qui paraît faire problème. Pourquoi Grotius en a-t-il admis le principe, alors qu’il est contraire à la logique générale de son système, sans remplir aucune véritable fonction dans sa démonstration ? Et comment conçoit-il au juste cette bilatéralité ? Avant de se prononcer, il importe de clarifier un aspect du Mémoire déjà effleuré çà et là, mais demeuré jusqu’ici à l’écart, celui des sources du droit. Le moment est venu de les examiner. Le détour considérable auquel cela nous oblige nous fera pénétrer dans l’une des zones névralgiques du système grotien.
Notes de bas de page
1144 Synonyme de Kriegsgebrauch, cette expression est attestée dès le xviiie siècle. Ainsi, G. F. de Martens signale une Gründliche Nachricht tiber Kriegsceremonial und der Kriegsmanier parue en 1745, dont il n’indique cependant pas l’auteur ; cf. Précis du droit des gens moderne de l’Europe fondé sur les traités et l’usage, 3e éd., Göttingen, 1821, viii, iv, p. 463.
Il est coutume, depuis le xixe siècle, d’opposer la Kriegsmanier à la Kriegsraison. Cette dernière notion apparaît au xviie siècle en tant que ratio belli ou « raison de guerre » (cf. J. H. Boeder, In Hugonis Grotii Jus Belli et Pacis Commentatio, Strasbourg, 1704, p. 901 ; première éd. : 1663) et comporte d’emblée une double idée : tantôt elle représente dans le domaine de la guerre ce que la « raison d’Etat » est à celui de la politique, et prend alors une nuance péjorative ; tantôt elle n’est que l’expression d’une nécessité inhérente à la guerre, ce qui en fait à certains égards l’équivalent des usages de la guerre et donc de ce qui deviendra la Kriegsmanier (appelée anciennement plutôt Kriegsbrauch ; cf. Cunrad Dietrich, Diseurs vom Kriegs-Raub und Beutten, s. l., 1669 ; (éd. princeps 1632), iv, 2, 1, p. 58). Les deux sens sont expliqués par J. J. Moser, Grund-Säze des Europäischen Völcker-Rechts in Kriegs-Zeiten, Tubingen, 1752, ii, 1, § 21-27, pp. 81-82. La question de la Kriegsraison était alors discutée principalement en relation avec l’occupation d’un territoire neutre par un belligérant pour des raisons d’utilité ou de « bienséance » ; cf. F. H. Strube de Piermont, Dissertation sur la raison de guerre et le droit de bienséance, in : Ebauche des Loix naturelles et du Droit primitif, Amsterdam, 1744, en part. chap. v et vi, pp. 33-49 ; cette problématique était évidemment déjà bien plus ancienne ; cf., en ce qui concerne Grotius, infra, p. 602, note 925.
1145 On dira p. ex. qu’un bien revient à quelqu’un « par droit de guerre », iure belli ; cf. infra, p. 303. L’ancien ius belli est en ce sens avant tout un ius victoriae.
1146 Cf. Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (Annexe à la Convention (iv) de La Haye, du 18 octobre 1907), section ii, chapitre i, art. 22-28. Rapports faits aux Conférences de La Haye de 1899 et 1907, éd. J. B. Scott, Oxford, 1920, p. 515. Pour le développement du ius in bello moderne, cf. infra, pp. 597 ss.
1147 Pierre-Clément Timbal (éd.), La Guerre de Cent Ans vue à travers les registres du Parlement (1337-1369), Paris, 1961, pp. 259 ss. M. H. Keen, The Laws of War, passim.
1148 Cf. p. ex. Alexandre de Hales, Summa theologica, iii, nn. 467-470, où l’on se maintient cependant à un niveau plutôt éthique que proprement juridique. Pour le droit en la matière, voir p. ex. les ouvrages de Lignano et de Belli, et aussi infra, pp. 281 ss.
1149 Cf. supra, p. 224.
1150 Cette conception se trouve reflétée p. ex. à l’art. 3 de la Convention iv de La Haye du 18 octobre 1907.
1151 Cela répond bien à la nature de la guerre médiévale, qui, même générale, « s’analyse, sur terre comme sur mer, en une série de combats singuliers, mettant en jeu des intérêts particuliers, souvent arrêtés par des contrats de droit privé… ». P.-C. Timbal, La Guerre de Cent Ans, p. 259. Cf. également supra, pp. 93-94.
1152 Cf. infra, pp. 358 ss.
1153 Cf. supra, pp. 221-223.
1154 IPC, fol. 48’ (p. 107).
1155 IPC, fol. 52 (p. 118).
1156 Cf. supra, pp. 221-223.
1157 IPC, cap. viii, cor. ii, fol. 52’ (p. 119).
1158 IPC, cap. viii, cor. iii, fol. 53’ (p. 122).
1159 Cf. supra, pp. 148-150.
1160 Cf. supra, note 1154.
1161 IPC, cap. viii, cor. i, foll. 50’-51 (p. 115).
1162 Cf. supra, pp. 150-154.
1163 Cf. supra, pp. 67 ss.
1164 Cf. infra, pp. 154 ss.
1165 Cf. supra, pp. 98 et 204 et infra, pp. 284 ss.
1166 Cf. supra, pp. 99-101.
1167 Dig., 11, 1, 1-9.
1168 Dig., 41, 1, 5, i. f. et 7, i. pr. Cf. Otto Lenel, Palingenesia iuris civilis, Leipzig, 1889, vol. i, coll. 252 ss. Dans la suite, les deux fragments seront cités ensemble comme loy Item quae ex hostibus.
1169 Aristote, Politique, 1256 b.
1170 Voir p. ex. Dig., 41, 1, 51 ; 41, 2, 1, § 1 ; 49, 15, passim ; Inst. 2, 1, § 17 ; Gaius, Institutes, 1, 129 et ii, 69. Le même esprit prévaut encore chez Isidore, dont le dix-huitième livre des Etymologies s’intitule de manière significative De bello et ludis.
1171 Cf. en particulier la gl. ad Dig., 41, 1, 5, i. f., qui renvoie à la gl. Ergo ius gentium ; cf. supra, p. 99, note 216.
1172 En ce sens peut-être la gl. Quia nec ipsi ; cf. supra, pp. 101-103.
1173 On s’arrêtera dans la suite avant tout aux vues des décrétalistes, en négligeant celles des commentateurs légistes. Pour la doctrine de Bartole, cf. infra, pp. 280 ss.
1174 Cf. supra, pp. 23 ss.
1175 Etymologiae, v, vi-vii.
1176 Gratianus, Decretum, Dist. 1, 9 et 10. Pour la réception de ces textes par Gratien, cf. infra, pp. 320 ss.
1177 Cf. infra, p. 322, note 1539.
1178 « Postliminium est ius quo restituitur alicui res quam per captiuitatem amiserat, ut xxvj. q. iij. prima actione. & xxxiiij. q. j. cum per bellicam. nisi sint arma, quae non resti-tuuntur, quia illa turpiter amisit, vt. ff. de cap. i. if. » Ad D.G., Dist. 1, 9 (postliminia).
1179 « Alibi dicitur, quod seruitus sit inducta per ebrietatem. xxxv. dist., sexto die. alibi videtur inducta ex praescriptione septennij, vt dicam. j. dist. vie. c. ius autem… sed dicitur inducta de iure gentium : quia ius gentium eam approbat, non quod eam primo inuenerit. Si ergo bellum iustum est : qui capitur, fit seruus capientis : vt xxiij. q. v. dicat. & secundum hoc peccat taliter captus, si recedat a domino suo, vt xvij. q. iiij. si quis seruum. sed si bellum non est iustum, licitum est ei fugere, dum potest : vt. ff. de cap. nihil interest. » Ad D.G., Dist. 1, 9 (servitutes).
1180 « Ius militare est belli inferendi solempnitates, federis faciendi nexus, signo dato egressio in hostem uel commissio ; item signo dato receptio ; item flagitii militaris disciplina, si locus deseratur ; item stipendiorum modus, dignitatum gradus, premiorum honor, ueluti cum corona uel torques donantur ; item predae decisio, et pro personarum qualita-tibus et laboribus iusta diuisio, ac principis porcio. » Gratianus, Decretum, Dist. 1, 10.
1181 Gratianus, Decretum, C. 23, V, 25.
1182 « Non ergo omnia quae capiuntur in bello, sunt principis. & sic est contra xxiij. q. v. dicat. vbi dicitur quod regis sunt omnia. Sed die quod principis sunt omnia quo ad tuitionem, sed ipse tenetur ea diuidere secundum merita personarum. xij. q. ij. Vulteranae. &. c. concesso. » Ad D.G., Dist. 1, 10 (principis portio).
1183 Cf. infra, pp. 358 ss.
1184 Genèse, xiv.
1185 « Haec litera videtur sibi contradicere in eo quod dicit hic quod regis sint omnia : & iam dixit quod omnia sint victoris. ... Ad hoc dicas, quod Abraham non suberat isti regi, nec de regno suo erat : & ideo praeda erat in sua potestate : alioqui si non fuisset sua, non potuisset inde dedisse decimas Melchisedech. sed si sub aliquo militetur, praeda tota domini est, sed ipse tenetur aequaliter diuidere secundum personarum qualitates : vt. s. dist. j. ius militare. sicut decimae dantur episcopo… quod ergo dicitur quod de iure gentium nostra fiunt, quae capimus in bello : vt. ff. de acquir, rer. do. naturale. § ulti. verum est quod capientis est, sed tamen tenetur domino dare, vt diuidat secundum merita hominum. » Ad D.G., C. 23, v, 25 (omnia).
1186 Cf. supra, p. 254, note 1168.
1187 « Sed quid si aliquis in bello consecutus est totum suum interesse numquid adhuc ipsum in iudicio de hoc potest conuenire. uel an potest adhuc bellum habere contre ipsum. & uidetur quod sic quia pena (m) contumacie sue prestitit. unde adhuc agere potest ad estimationem rei ablate. ut. ff. de tabul. exhi. locum. par. penult. Item res ista non est ei soluta pro debito. set in bello sua est facta. ut. j. e. Q. v. dicat. &. Q. vii. si de rebus &. ff. de acquir. rer. do. naturale. § ult. Item quia contra contumacem in infinitum iurari potest. ut. ff. de rei uendi. qui restituere. arg. contra quia bona fides non patitur ut idem bis petatur. ff. de regul. iuris. bona fides. jo. » Ad D.G., C. 23, ii, 2 (civitas) ; selon Cod. Pal. lat. 624, fol. 193v. Pour la première partie de cette glose, cf. supra, p. 238, note 1070.
1188 Pour l’attribution à Laurent, voir F. H. Russell, The Just War, p. 172, note 130. C’est avec raison que Russell relève la transformation, dans les versions imprimées de la glose, de estimationem (qu’il lit, suivant B. N. Lat. 3903, estinationem) en restitutionem ; cf. en ce sens l’éd. Lyon, 1554, loc. cit. Mais c’est à tort qu’il juge cette modification « more appropriate », puisque le renvoi du glossateur à Dig., 43, 5, 3 demande clairement aestimationem.
1189 Relevons en ce sens aussi la glose Non solum haeretici, rattachée au dictum initial de la septième question de la Cause 23, où Gratien admet que les hérétiques soient entièrement privés de leurs biens. Le glossateur lui emboîte le pas, mais renchérit encore : « Non solum haeretici, sed omnes hostes licite possunt spoliari rebus suis, dummodo bellum sit iustum : & ille qui rem abstulit, iure factus est dominus illius rei. » Dans la ligne de la gl. Alibi dicitur, on suppose donc ici une guerre juste ; cf. supra, p. 255, note 1179.
1190 Cf. supra, p. 169.
1191 Cf. supra, pp. 168-170.
1192 Peut-être est-ce là ce que veut dire G. Kappus en affirmant : « Das Talionsprinzip spielte hierbei allerdings nie eine bemerkenswerte Rolle », en visant toutefois, semble-t-il, déjà l’époque où les représailles sont devenues exclusivement publiques ; Der völker-rechtliche Kriegsbegriff, p. 18.
1193 C’est seulement de manière indirecte qu’on infère, d’un passage relatif aux lettres de marque, que les dommages respectifs devaient en gros se compenser ; Tractatus represaliarum, iv, 6, nn. 13-14.
1194 Baldus de Ubaldis, Commentaria in Dig. vet., ad Dig., 1, 1, 5, n. 26.
1195 A ce point de vue encore, le dommage initial n’apparaît que comme cause médiate ; cf. supra, pp. 169-170.
1196 A notre connaissance, la seule autorité médiévale à le dire en termes clairs est la Summa angelica, v° Represalia, n. 1, 4o. Cf. aussi l’Encyclopédie, v° Représailles.
1197 Cf. les documents cités par R. de Mas Latrie, « Du droit de marque ou de représailles au Moyen âge », Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 28 (1867), pp. 295.
1198 Cf. supra, p. 169.
1199 Cf. supra, p. 257, note 1187.
1200 Cf. supra, pp. 111 ss.
1201 Innocens IV, Apparatus, ad Decretales, ii, 24, 29, n. 5.
1202 Cf. supra, p. 99, note 217.
1203 Cf. supra, p. 99, note 216.
1204 Cf. supra, p. 89, note 170.
1205 Cf. supra, p. 254, note 1168.
1206 Cf. supra, pp. 112-113.
1207 Cf. supra, p. 259, note 1201.
1208 Apparatus, ad Decretales, ii, 13,12, n. 8, i. f.
1209 Cf. infra, p. 267, note 1237.
1210 Cf. supra, p. 254, note 1168.
1211 Summa astexana, ii, lxiv, § Utrum iuste bellans.
1212 Baldus de Ubaldis, Commentaria super decretalibus, ad Decretales, ii, 24, 29, nn. 6-7.
1213 G. Biel, Collectorium, iv, xv, iv, art. 2, concl. 1. Cf. aussi art. 1, i. f.
1214 Hostiensis, Lectura, ad Decretales, ii, 13, 12, nn. 24-25.
1215 Panormitanus, Secunda pars super secundo decretalium, ad Decretales, ii, 24, 29, nn. 11-12.
1216 Pourtant cette position de principe ne préjuge qu’en partie de la licéité des effets de la guerre : on verra plus bas que le Panormitain admettait au moins par implication le principe inverse du droit de guerre abstrait ; cf. infra, pp. 284-285.
1217 Panormitanus, loc. cit., n. 13.
1218 Il le dit dans une phrase grammaticalement subordonnée, au début d’un développement concernant plus spécialement la question des rémissions : « Rogo bone magister, postquam praesupponis quod in iniusto bello non efficiuntur bona Principis, neque capientium : an et si inter Principes, qui bellum fecerunt, componatur pax, si potuerunt sine consensu subditorum bona subditis ablata in guerra remittere, ut capientes non teneantur ad restitutionem. » De bello et bellatoribus, fol. 323r. Ce passage s’accorde avec cette autre phrase, placée également dans la bouche du discipulus, vers la fin du développement relatif aux guerres « au sens propre » et « au sens impropre » : « Omnia supradicta placent, sed videtur grave, quod Doctores dicant ita indistincte, quod Imperator qui de iure et de facto, aut Rex Franciae, et Rex Hispaniae, qui secundum praedictos Doctores de facto nullum recognoscunt superiorem, ex sua mera voluntate possunt indicere bellum, et edictum de bello facere. » Ibid., fol. 322v. On pourrait voir là une confirmation indirecte de ce que le droit de guerre des souverains était considéré par les juristes comme abstrait. Quant au problème des rémissions, cf. infra, pp. 300 ss.
Les considérations du Panormitain seront, plus tard encore, reprises par Francisco Arias, sans qu’il n’ajoute cependant rien d’essentiel sur notre problème ; De bello et eius iustitia, nn. 12 et 158 ss, foll. 326v et 333v.
1219 P. Bellus, De re militari, ii, xii, nn. 1 et 2. Il est vrai que plus haut il semble admettre le principe de la proportionnalité, mais le contexte paraît indiquer qu’il y vise surtout le for de la conscience ; ibid., ii, i, n. 5. Pour Gentili, cf. infra, pp. 287-288.
1220 « Ad quaestionem propositam dico quod miles habens iustum bellum contra alium militem licite facit suum quicquid capit ab hoste uel uallatoribus eius siue subditis eius siue aliis quousque iuxta conscientiam suam sit sibi satisfactum de omni dampno dato et labore et operis tam suis quam suorum hominum uel donec ipse hostis offerat ius & uelit satisfacere ipsi. subditos aut (em) illos qui deum plus quam homines timentes nolunt suo domino in bello illicito impendere consilium auxilium uel fauorem credo nullatenus spoliandos uel in aliquo puniendos. pena enim suos debet tenere auctores nec est ulterius protrahenda quam delictum sit in excedente repertum. extra, de hiis quae fiunt a maiore parte cap. quaesiuit. i. q. iiij. c. i. » Raymundus de Pennafort, Summa de casibus, ii, § 19, cité selon ms. Bâle B ix 35, fol. 162v.
1221 « Circa principes, vel milites habentes guerras ad invicem, distingue, quia aut ille, de quo quaeritur, habet iustam guerram, vel bellum, aut non : in primo casu, scilicet, cum habet iustum bellum, & non exercet illud, nisi contra nocentes, & non habet intentionem corruptam, quidquid capit ab hostibus suum est, nec tenetur restituere. dist. 1. ius gentium 23. q. 7. si de rebus. » Raymundus de Pennafort, Summa de casibus, ii, § 17. Le ms. Bâle B ix 35 porte, au lieu de nocentes, necessitates, ce qui ne fait guère de sens. Il s’agit par ailleurs du même type de belligérant. Lors même que le § 19 mentionne seulement des milites, en laissant de côté les principes des § 10 et 17, il s’agit des mêmes belligérants, la guerre des milites ne pouvant être juste sans l’auctoritas principis, hormis le cas de défense. Il serait faux de n’y voir qu’une guerre « privée » et de confiner à elle le droit de guerre proportionnel, alors qu’il serait illimité dans la guerre de prince. La tournure introductive du § 19 (« Ad quaestionem propositam dico quod miles habens bellum… ») renvoie clairement aux deux autres passages et la réponse de Raymond a une portée générale.
1222 Deux des renvois de Raymond nous font en effet aboutir aux hérétiques et partant à la spoliation totale : outre le canon Si de rebus (Gratianus, Decretum, C. 23, vii, 2) il renvoie à un passage de sa propre Somme allant dans ce sens (Summa de casibus, i, § 2). Guillaume de Rennes lui emboîtera du reste le pas en commentant la formule limitative du § 19 ; il insiste certes sur le principe de la proportionnalité (« et non ultra »), mais ajoute aussitôt que cette limite peut être dépassée, selon la nature de l’ennemi : les infidèles et les hérétiques méritent en particulier qu’on les prive de tous leurs biens, meubles et terres, qu’on les réduise en esclavage et qu’on les « extermine » même de ce monde ; Guilielmus Redonensis, Apparatus, ad Summa de casibus, ii, § 19 (quousque), p. 188. On fera valoir dans le même sens la mention, par Raymond, de l’auctoritas ecclesie, à côté de celle du prince, dans la cinquième condition de la guerre juste : la guerre de l’Eglise est donc bien comprise dans son raisonnement. La peine sans bornes infligée aux hérétiques correspond bien à leur responsabilité, supposée infinie.
La règle de la proportionnalité paraît sous-entendue aussi au § 17 : on peut la considérer comme inclue dans le « non habet intentionem corruptam ». Guillaume de Rennes ne manque pas du reste de le noter en marge : « Usque satisfactum sit sibi de omni dampno et interesse secundum quod dicitur infra, eodem §, vers, ad quaestionem propositam » ; selon ms. Bâle B ix 35, fol. 159v. Pour le renvoi, cf. supra, note 1221, i. f.
En commentant la formule limitative du § 19, Guillaume fait appel, dans un sens voisin, à la bonne foi du juste belligérant : les dommages excessifs qu’il aura infligés à son adversaire ne seront excusables que s’ils ne violent pas les coutumes de la profession des armes : « sibi et suis iniuste tam etiam (= in ?) depredacionibus et rapinis quam incendiariis (= incendiis ?) et effracturis et uulneribus et cedibus et aliis quibuscumque. § Quid si ille qui iustum habet bellum fecerit incendia uel effracturas et arborum uel uinearum extirpaciones in terra propria aduersarij sui uel hominum eius numquid pro eis tenebitur in aliquo. Respondeo de illis dampnis non tenebitur quae bona fide intulit aut a quibus comode abstinere non potuit secundum industriam et consuetudinem bona fide pugnantium. si autem grassandi animo et maliciose ea intulit cum alias posset sibi comode consulere tenebitur et compensabuntur illa dampna cum dampnis sibi datis et hominibus suis usque ad concurrentes quantitates et de eo quod super excreuerit tenebitur satisfacere illis quos dampnificauit. » Guilielmus Redonensis, Apparatus, ad Summa de casibus, ii, § 19 (damno sibi dato) ; selon ms. Bâle B ix 35, fol. 162v ; les leçons sont empruntées à l’éd. Rome, 1603. Le texte de celle-ci commence par : « & suis, etiam iuste, tam in depraedationibus », ce qui paraît contradictoire.
Bien qu’assouplie – ce n’était que réalisme – la proportionnalité se voit donc en définitive maintenue à travers tous ces passages en tant que principe cardinal limitant le droit de guerre.
1223 Ulricus Argentinensis, Liber de summo bono, vi, iii, vii, § Si autem vere, et ix, § Non solum autem. Cod. Vat. lat. 1311, foll. 166r et 168r ; Ricardus de Mediavilla, Super quatuor libros Sententiarum, Brescia, 1591, iv, xv, art. v, q. iv, ad quartum, p. 221 ; Antoninus Florentinus, Summa maior, iii, iv, ii, 1 ; Gabriel Biel, Collectorium, iv, xv, iv, art. 2, cap. 2 ; Hadrianus vi, Quaestiones de Sacramentis in Quartum Sententiarum librum, De sacramento penitentie, De restitutione, § Aggredior casus speciales, foll. 48 ss ; Iohannes Maior, In Quartum Sententiarum quaestiones, xv, q. xx, fol. 88.
1224 Cf. supra, pp. 180 ss.
1225 Cf. supra, p. 263.
1226 Cf. supra, p. 34, note 170.
1227 Summa de casibus, ii, § 10, pp. 175.
1228 Comme Raymond, il isole les deux limitations du droit de guerre, puis les rajoute, sous le titre de modestia, comme quatrième condition de la guerre juste, à la triade de saint Thomas ; Summa astexana, ii, lxiv, § Ad maiorem ergo euidentiam, 4°.
1229 Cf. supra, pp. 166-167.
1230 Ricardus de Mediavilla, Super quatuor libros Sententiarum, iv, xv, art. v, q. iv, ad quartum, p. 221.
1231 Ulricus Argentinensis, Liber de summo bono, vi, iii, ix, § Tertia conditio ; Cod. Vat. lat. 1311, fol. 167v.
1232 Gabriel Biel, Collectorium, iv, xv, iv, art. 1, § Quarta conditio.
1233 Cf. ce passage éloquent d’Auguste, indiquant que le traitement des vaincus relevait d’une décision purement politique : « Bella terra et mari civilia externaque toto in orbe terrarum saepe gessi victorque omnibus veniam petentibus civibus peperci. Externas gentes, quibus tuto ignosci potuit, conservare quam excidere malui. » Res gestae divi Augusti, i, 3.
1234 Cf. infra, pp. 281-282.
1235 Cf. supra, p. 257. note 1189.
1236 Cf. supra, pp. 181 ss.
1237 Innocens IV, Apparatus, ad Decretales, ii, 13, 12, n. 9. Il signale cependant aussi un avis divergent sur le sort des « aides » et de leurs biens. Ibid.
1238 Baldus de Ubaldis, In tres priores libros Codicis commentaria, ad Cod., 3, 34, 2, n. 76.
1239 Cf. supra, pp. 182-183.
1240 En ce sens p. ex. ce passage d’une argumentation de corsaires boulonnais défendant devant le Parlement de Paris la prise qu’ils avaient faite en 1358 devant Ostende sur des marchands brugeois : « Dictis de Bolonia proponentibus ex adverso quod, guerra existente inter aliquos principes, eorum subditi possint, tam per terram quam per mare, guerriare, gravure, capere, occidere se invicem bonaque sibi applicare, sive sint bona inimicorum vel illorum de parte sua dictis inimicis adherencium, confortancium, consulencium directe vel per oblicum… » Arrêt du 24 mars 1361 ; in : P.-C. Timbal, La Guerre de Cent Ans, p. 262.
1241 C’est le terme par lequel Calvin rend le latin nocentes ; cf. Institution de la religion chrétienne, éd. Jacques Pannier, Paris, 1961, t. iv, chap. xvi, p. 213.
1242 Les réflexions consacrées à ce point par Richard S. Hartigan ne paraissent pas entièrement convaincantes : « Noncombatant Immunity : Reflections on Its Origins and Présent Status », RP, 29 (1967), pp. 205-220. Pour l’aspect plus strictement augustinien de la question, cf., du même, « Saint Augustine on War and Killing : The Problem of the Innocent », JHI, xxvii (1966), pp. 195-204, ainsi que les critiques formulées à son égard par Louis J. Swift, « Augustine on War and Killing : Another View », HTR, 66 (1973), pp. 373-383.
1243 Ce principe n’a jamais été abandonné, même à une époque aussi favorable à la protection des civils que le fut le xixe siècle. On le trouve ainsi proclamé dans les Instructions for the Government of Armies of the United States in the Field de Francis Lieber : « The citizen or native of a hostile country is thus an enemy, as one of the constituents of the hostile state or nation, and as such is subjected to the hardships of the war » (§ 23). Même ce champion de la protection des non-combattants que fut Bluntschli, tout en affirmant que « [d] ie friedlichen Bewohner in Feindesland, welche an dem Kampfe keinen thätigen Antheil nehmen, unterliegen zwar den nothwendigen Wirkungen des Kriegs und müssen der siegreichen Kriegsgewalt Gehorsam leisten, aber sie sind nicht als öffentliche Feinde zu betrachten und zu behandeln » (Das moderne Völkerrecht der civilisirten Staten als Rechtsbuch dargestellt, 2e éd., Nördlingen, 1872, § 573, p. 322), n’en reconnaît pas moins que « [i] n weiterm passiven Sinn sind aile Angehörigen des feindlichen States den Folgen der Feindschaft der Staten ausgesetzt und insofern passive Feinde » (loc. cit., § 569, p. 319).
1244 P. ex. E. de Vattel, Le Droit des Gens, iii, v, § 69-72, et viii, § 145-147. Relevons aussi ce remarquable passage tiré d’une leçon d’Adam Smith, postérieure de peu au traité de Vattel : « It is more from motive of policy than humanity that the effects of enemies are secured. When a French army invades Germany, the general makes a law that all the people who will live quietly, and do not rise against him, shall be secure in their persons and possessions, and he will punish a soldier as severely for injuring the peasants of his enemy’s country as those of his own… It is the interest of the general not to rob the peasants, because it would be difficult to march an army carrying all its provisions through the country of an enemy. But by engaging them to stay he is supplied without any other expedient. By this means war is so far from being a disadvantage in a well cultivated country, that many get rich by it. When the Netherlands is the seat of war ail the peasants grow rich, for they pay no rent when the enemy are in the country, and provisions sell at a high rate. This is indeed at the expense of the landlords and better sort of people, who are generally ruined on such occasions. This is so much the case that ail the poor people who are abroad, whenever they hear of a war, will not stay from their native country. » Lectures on Justice, Police, Revenue and Arms Delivered in the University of Glasgow by Adam Smith, Reported by a Student in 1763, éd. Edwin Cannan, Oxford, 1896, pp. 272-273. Précisons que l’auteur oppose ce régime, propre à la guerre sur terre, à celui, assez différent, de la guerre sur mer.
1245 Corrélativement, la guerre même a pris alors sa forme « classique », strictement « militaire », les aspects économiques tombant quelque peu en retrait. L’ordre économique européen tendait, au xixe siècle surtout, à former une sphère privée transnationale, soustraite à l’influence de la guerre. Cf. C. Schmitt, Der Nomos der Erde, pp. 207 ss.
1246 Pour un correspondant antique, voir Platon, République, v, xvi, 471.
1247 Gregorius IX, Decretales, i, 35, 1 et 2.
1248 « Innovamus autem, ut presbyteri, clerici, monachi, conversi, peregrini, mercatores, rustici, euntes et redeuntes, et in agricultura exsistentes, et animalia, quibus arant et quae semina portant ad agrum, congrua securitate laetentur. » Op. cit., i, 34, 2.
1249 Compilatio antiqua i, 1, 26, même rubrique. Cf. prolégomènes de E. Friedberg à son éd. des Decretales, coll. xix-xx.
1250 Gregorius IX, Decretales, iii, 39, 10.
1251 Consilium Lateranense ii, can. 11 ; in : Conciliorum oecumenicorum Decreta, éd. par Centro di Documentazione, Istituto per le Scienze Religiose, Bologna, 1962, p. 175.
1252 Selon Egied I. Strubbe, les premières paix d’Aquitaine visaient à réfréner « les brimades de ceux qui croyaient pouvoir s’élever au-dessus des lois et coutumes », alors que les paix du nord de la France, à commencer par celle de Bourgogne de 1023, s’attaquaient avant tout à la guerre privée. « La Paix de Dieu dans le Nord de la France », RSJB, t. xiv, pp. 492 ss. La paix de Thérouanne accentue encore ce mouvement ; mais, de façon significative, elle est devenue en fait une trêve de Dieu. Ibid., pp. 497 ss. Quant à la paix d’Aquitaine, voir spécialement R. Bonnaud-Delamare, « Les institutions de paix en Aquitaine au xie siècle », ibid., pp. 415 ss.
1253 Gratianus, Decretum, C. 24, iii, 25.
1254 Sur l’ensemble de la question, voir en particulier Hartmut Hoffmann, Gottesfriede und Treuga Dei, Stuttgart, 1964. Cf. aussi Ludwig Huberti, Studien zur Rechtsgeschichte der Gottesfrieden und Landfrieden, Ansbach, 1892. Pour les mobiles économiques, voir spécialement J. Goebel, Felony and Misdemeanor, pp. 297 ss ; sur les rapports avec la croisade, C. Erdmann, Kreuzzugsgedanke, pp. 53 ss et 335 ss. Cf. aussi G. C. W. Görris, De denkbeelden, pp. 116 ss.
1255 H. Fehr, « Das Waffenrecht », 1914, pp. 200 ss, qui met bien en lumière aussi les mobiles économiques.
1256 H. Fehr, op. cit., pp. 197 et 203, a contrario.
1257 La réponse à ce point ne saurait évidemment provenir d’une analyse doctrinale comme la nôtre, qui se confine forcément à l’aspect juridique de la question : elle impliquerait une recherche proprement historique sur l’ensemble des faits ; elle devrait en particulier réinsérer la Paix et la Trève dans un mouvement de paix beaucoup plus ample et complexe que nos observations peuvent le suggérer, mouvement qui était du reste appuyé également par divers autres procédés ; cf. C. S. J. Kennelly (Sister Dolorosa), The Peace and Truce of God : Fact or Fiction ?, thèse non publiée, Berkeley, 1962, remarquable travail dont nous n’avons eu malheureusement connaissance qu’après la rédaction du nôtre. Pour les divers procédés mis au service du mouvement de paix, cf. C. van Vollenhoven, Du Droit de Paix. De Iure Pacis, La Haye, 1932, passim.
1258 Sur la place de l’institution dans la doctrine, cf. H. Hoffmann, op. cit., pp. 217 ss.
1259 Panormitanus, Super primo decretalium, ad Decretales, i, 34.
1260 W. Mathiae, De bello iusto et licito, ii, 14.
1261 Caietanus, Summula, § Bellum quando dicatur iustum, 4°, 2, p. 38.
1262 IPC, fol. 50’ (pp. 112-113) ; un rajout en haut du fol. 50’ renvoie à Cajetan. En 1625, Grotius rediscutera ce point de façon plus fouillée au cours des temperamenta, ce qui semble traduire une réévaluation du problème ; IBP, iii, xi, x-xiii; cf. aussi iii, xii, iv, 4.
1263 Cf. supra, p. 181, note 723.
1264 J. Froissart, Chroniques, chap. Chap. clxx, p. 592.
1265 Cf. supra, pp. 35-36.
1266 Baptista de Salis, Summa casuum (Baptistiana), vo Bellum, 1°.
1267 Gabriel Biel, Collectorium, iv, xv, iv, art. 2, concl. 1-3.
1268 Hadrianus VI, Quaestiones de Sacramentis, loc. cit., § Sed an ne etiam, fol. 49r.
1269 Sylvester de Prierio, Summa summarum, v° Bellum 1, 9° (= n. 10).
1270 Sylvester de Prierio, op. cit., loc. cit., 10° (= n. 11), concl. 3.
1271 Caietanus, Summula, § Bellum quando dicatur iustum, 4°, pp. 37-38.
1272 Cf. supra, pp. 171-172.
1273 Ibid.
1274 Cf. supra, pp. 273-274, ainsi que F. de Victoria, De iure belli, nn. 35 et 37.
1275 Ibid., nn. 37, 39, 45, 46.
1276 L’idée revient comme un leitmotif dans le commentaire à la Somme, ad S.T., ii, ii, 40, 1, nn. 9-13, 15.
1277 Ibid., nn. 34 et 39 ; cf. aussi supra, pp. 94-95.
1278 Ibid., nn. 34 ss et 44 ss.
1279 Ibid., n. 37.
1280 Ibid., nn. 3940.
1281 Ibid., n. 41.
1282 Ibid., n. 42.
1283 Ibid., n. 43.
1284 Ibid., nn. 4449.
1285 Cf. supra, p. 172. L’idée est déjà esquissée chez Ulrich de Strasbourg, qui admet que l’on inflige à l’ennemi des dommages même en sus de ceux dont il s’est rendu responsable envers le belligérant actif, « ne ulterius eum inuadere presumat ». Liber de summo bono, vi, iii, ix, § Non solum autem, i. f.
1286 F. de Victoria, De iure belli, n. 60, can. ii et iii.
1287 Le régime de l’acquisition des biens ennemis se différencie, suivant qu’il s’agit de meubles ou d’immeubles. Ceux-ci ne peuvent être pris que dans les limites de la proportionnalité, qui s’évalue toutefois par référence non seulement au tort passé mais aussi à la sécurité future, notamment par l’occupation de places fortes ; De iure belli, nn. 54 et 55. Quant aux meubles, Vitoria déclare leur acquisition illimitée, selon les principes romains, mais conseille, à la suite de Sylvestre, qu’on s’en tienne néanmoins à une proportion équitable ; ibid., n. 51. Cf. aussi Comentarios, ad ST., ii, ii, 66, 8, n. 2.
1288 D. Bañez, De fide, spe, & charitate, xl, 1, Dubitatur 10°-12°.
1289 F. Suarez, Opus de triplici virtute, xiii, vii, nn. 6 ss.
1290 Ioannes Azorius, Institutiones morales, Brescia, 1622, iii, ii, vii, col. 135 ; G. de Valentia, Commentaria theologica, t. iii, iii, xvi, iii.
1291 L. Molina, De iustitia et iure, ii, cxvii ss.
1292 Quelle que soit la portée exacte de ce terme, il faut se montrer prudent lorsqu’on l’applique à la littérature scolastique. La perspective générale tant des théologiens que des juristes demeure fondamentalement distincte de celle des philanthropes des xviiie et xixe siècles.
1293 A. Gentilis, De iure belli, ii, 3-24.
1294 Cf. supra, p. 250, et infra, pp. 605 ss.
1295 « Praeterita vltionem respiciunt, futura pacis constitutae firmitatem : Imo vero hanc firmitatem respiciunt etiam praeterita. vt ex sequentibus apparebit. Sed tradendum de vtrisque est separatim. » De iure belli, iii, 1, i. f., p. 473. Le premier aspect fait l’objet des chap. 2 à 12 de ce livre, le second des chap. 13 à 24. Les deux phrases médianes du passage cité font allusion au début du chap. 2 : « ...hic de vltione iusta prospiciendum fuerit ante : vt succisis belli omnis quasi radicibus pax haberi certior possit. » Loc. cit., p. 473.
1296 Cf. supra, p. 253, i. f.
1297 Cod., 8, 4, 1.
1298 On en retrouve l’idée dans la loy Ut vim, supra, p. 104, note 236, et, sous sa forme la plus connue, à propos des interdits possessoires, Dig., 43, 16, 1, 27, ainsi qu’en matière de défense contre l’iniuria, Dig., 9, 2, 45, 4.
1299 Cf. supra, pp. 94 ss.
1300 La glose ad Cod., 8,4,1, présente une notion très large du moderamen, qui s’y divise en ses trois conditions classiques, modus, tempus et intentio. Cf. Panormitanus, Prima super secundo decretalium, 13, 12, n. 15, où cependant intentio est devenu causa.
1301 Cf. infra, p. 322, note 1537.
1302 Cf. supra, p. 94, note 195.
1303 Innocens IV, Apparatus, ad Decretales, ii, 13, 12, i. f.
1304 S. Kuttner, Kanonistische Schuldlehre, pp. 340 ss.
1305 I. de Lignano, De bello, capp. lxxvii ss. Sylvester de Prierio, Summa summarum, v° Bellum ii.
1306 Cf. en part, l’ouvrage précité de S. Kuttner, supra, note 1304.
1307 Cf. infra, pp. 426 ss.
1308 Cf. supra, p. 99, note 217, et p. 254, note 1168.
1309 Aristote, Politique, i, 1254 b et s.
1310 Cf. supra, pp. 203 ss.
1311 En ce sens Vitoria et ses successeurs ibériques ; cf. De iure belli, n. 51.
1312 Cf. infra, pp. 292 ss.
1313 Rien de plus significatif sur ce point que la glose Alibi dicitur relative à l’institution de la servitude mentionnée par le canon Ius gentium : la servitude ne frappe que le captif pris dans une guerre juste ; sinon il ne semble y avoir qu’une simple détention de fait, ce qui se marque en particulier par une différence au point de vue du droit de fuite, réservé au faux captif, interdit à celui qui est devenu esclave véritable ; cf. supra, p. 255, note 1179. Les légistes semblent manifester une attitude analogue face à la loy Item quae ex hostibus ; cf. supra, p. 254, note 1168.
1314 Cf. supra, pp. 259-260.
1315 Cf. supra, p. 112.
1316 Gregorius IX, Decretales, ii, 24, 29.
1317 Cf. supra, p. 113.
1318 Rappelons en ce sens que son raisonnement ne fait pas intervenir la notion de ius gentium, cf. supra, pp. 111-114 ; et remarquons aussi sa conception unilatérale des droits de guerre en matière de croisade, où d’autres juristes préconisaient pourtant l’application de la loy Hostes ; Apparatus, ad Decretales, iii, 24, 8.
1319 Cf. supra, pp. 114 ss.
1320 Ibid.
1321 Bartolus de Saxoferrato, Secunda super Digesto novo, ad Dig., 49, 15, 24, n. 16, et 49, 15, 28, n. 2.
1322 Pour les dénominations françaises de l’usus armorum, cf. P. Contamine, Guerre, Etat et Société, pp. 523-524, note 196.
1323 En particulier au moyen de la subversio armorum ; cf. p. ex. P.-C. Timbal, La Guerre de Cent Ans, pp. 307 ss ; M. H. Keen, The Laws of War, pp. 173-174. Quant aux précédents byzantins en la matière, voir M. A. Taube, « L’apport de Byzance au développement du droit international occidental », RCADl, 67 (1939-1), p. 322. Certains empereurs ont même préconisé l’échange pur et simple des prisonniers.
1324 Sur l’ensemble de la question, voir Charles Verlinden, L’esclavage dans l’Europe médiévale, i : Péninsule ibérique – France, Bruges, 1955, pp. 18 ss.
1325 Ibid., pp. 62 ss, 192 ss et 258 ss.
1326 Ibid., pp. 729 ss.
1327 M. Bloch, La société féodale, Liens, pp. 389 ss.
1328 C. Verlinden, op. cit., pp. 536 ss et 831 ss.
1329 Bartolus de Saxoferrato, Secunda super Digesto novo, ad Dig., 49, 15, 28. L’autre texte en jeu est Dig., 49, 15, 20.
1330 P. Contamine, Guerre, Etat et Société, pp. 524-525. F. Redlich, De praeda militari, pp. 27 ss. Citons aussi, pour l’époque de Grotius, cette disposition de l’Ordonnance genevoise sur la discipline militaire, adoptée en 1589 et revisée en 1603 : « Item quiconque aura pris un prisonnier de guerre sera tenu le consigner promptement es prisons de la Seigneurie, à peine de privation de ses droits ; et ne pourra relascher ny mettre à rançon de laquelle le prisonnier eust esté composé… Item que nul, tant de cheval que de pied, durant le combat n’ait a s’amuser au pillage, ny prendre prisonniers que le combat ne soit achevé, à peine destre dégradé des armes. » In : Emile Rivoire et Victor van Berchem, Les sources du droit du canton de Genève, Aarau, 1927-1935, t. 3, pp. 478 ss, en part. 480-481. L’auteur tient à remercier Mme Gabrielle Cahier de lui avoir signalé ce texte.
1331 Cf. supra, p. 256, notes 1182 et 1185. Pour la situation dans l’Empire byzantin, voir M. A. Taube, « L’apport de Byzance », p. 324.
1332 L’art. 4, al. 1, du Règlement de La Haye, en le rejetant, laisse encore entrevoir indirectement le régime médiéval.
1333 Cf. supra, p. 117.
1334 Ainsi Martin de Lodi se borne à énoncer, parmi d’autres règles juxtaposées sans suite, celles de Bartole sur le sort du butin et sur l’applicabilité entre chrétiens du postliminium ; Tractatus de bello, iv et xix, in : T.U.I., xvi, fol. 324r et 324v.
1335 Parus respectivement en 1563 et 1591.
1336 Ecrit durant la seconde moitié du xve siècle.
1337 Claudius Coteraeus, Tractatus de iure et de privilegiis militum, in : T.U.I., xvi, foll. 428v-456v L’ouvrage date sans doute de la première moitié du xvie siècle.
1338 Ecrit vers le milieu du xve siècle.
1339 Ecrit vers la fin du xive siècle, peut-être vers 1387.
1340 Ecrit en 1408-1409.
1341 Ecrit vers 1360.
1342 De là leur apparence incongrue et arbitraire pour un esprit moderne ; chose aussi bien aperçue que peu comprise par J. L. Brierly : « The recognition of international law as a separate object of study dates from the latter part of the sixteenth century. Earlier writers had written on some of the topics which fall within modem international law, especially on the usages of war and on the treatment of ambassadors ; but they did not separate the legal from the theological and ethical, or the domestic from the international, aspects of such questions. Thus side by side with questions such as whether war is ever justified, what causes for going to war are lawful and what unlawful, what means of waging war are permissible, and the like, they discussed questions of tactics, of military discipline, or of the duties of a vassal to help his lord, without feeling that they were treating together topics which properly belonged to different subjects. » The Law of Nations, 6e éd., p. 25.
1343 « An autem is qui non recognoscit superiorem de facto : ut rex francie vel reges hispanie possint inducere proprie bellum ? die quod sic : quare habent iura principis. non autem possunt habere recursum ad superiorem : cum illum non habeant in temporalibus. » Secunda super secundo decretalium, ad Decretales, ii, 24, 29, n. 8. Telle lui paraît l’opinion d’Innocent ; mais il estime que Bartole lui a donné une expression plus claire ; aussi reproduit-il les remarques du commentateur sur le postliminium entre chrétiens et le sort du butin : or on a vu que telle est la voie détournée par laquelle Bartole avait admis la bilatéralité dans les guerres entre souverains chrétiens.
1344 « Item predicti effectus sequuntur etiam ex parte illorum qui mouent bellum contra romanum pontificem in d. l. hostes. ita quod proprium bellum est siue romanum imperium moueat contra aliquem siue contra illud moueatur ab alio. Qualiter autem papa possit mouere bellum contra infideles, vide per Inno. in. c. quod super his. de voto. » Loc. cit., ad Decretales, ii, 24, 29, n. 7,
1345 Certes, il ne parle ici, du côté chrétien, que du pape et non de l’empereur. Cette dernière figure avait-elle déjà suffisamment pâli pour que le pape paraisse seul représenter la chrétienté entière au dehors ? Quoi qu’il en soit, cette guerre ne pouvait être conduite en pratique que par l’empereur, en tant qu’advocatus ecclesiae, ou, le cas échéant, par des princes souverains mandatés par le pape.
1346 Cf. supra, pp. 203-204.
1347 Ibid. ; cf. aussi supra, pp. 98-99.
1348 Raphaël Fulgosius, In primant Pandectarum partem Commentaria, ad Dig., 1, 1, 5, n. 1.
1349 Ibid.
1350 F. C. von Savigny, Geschichte des römischen Rechts, vol. vi, lvi, ii, p. 240, note 40.
1351 « ... quia incertum erat utra pars iure bellum mouerat, nec erat iudex communis utriusque superior, per quem id possit certum ciuiliter effici, optima ratione constituerunt gentes, ut eius rei iudex bellum foret : hoc est, ut quod in bello, uel per bellum caperetur, partis capientis fieret, quasi sibi adiudicatum a iudice fuisset : vt instit. de offi. iudi. par. fina. iuxta illud Lucani : Utendum est iudice bello. Et rursum arma tenenti : omnia dat qui iusta negat. quod namque bello uincebatur, uelut Dei iudicio contingebat : qui Deus omnium rectus & iustus iudex est, vt idem Lucanus testatur : Victrix causa deis placuit. cum prius dixisset, Quis iustius induit arma, Scire nefas magno se iudice quisque tuetur etc. » R. Fulgosius, loc. cit.
1352 « Ego autem puto bellum de quo hic loquitur, ex quo sequuntur captiuitates & postliminia, esse illud solum quod est indictum inter liberos populos uel reges, vt dicit dicta t. hostes & l. postlim. in. pr. non habita inquisitione qua ex causa ad bellum uentum sit. Nec cuius iustitiae causa sit. » Ibid., n. 5. Fulgose voit une preuve indirecte de la bilatéralité du droit de guerre dans Dig., 49, 15, 19, i. pr., qui se trouve allégué dans ce passage et qui accorde le postliminium à celui qui per iniuriam ab extraneis detinebatur : ce qui implique à son avis une perte préalable de la liberté et partant un droit de guerre même au profit d’un ennemi « injuste », pourvu, bien sûr, qu’il fût rex ou populus liber et donc hostis. De même, un peu plus haut, il avait accordé le droit de fuite, etiam dolo, à tout captif, non habito discrimine utra pars iuste bellum uel iniuste ageret. Ibid., n. 3. Cela revenait à nier de front la validité de la glose Alibi dicitur (supra, p. 255, note 1179) si Fulgose ne l’avait pas déjà réinterprétée ; cf. la note suivante.
1353 « Nihil ergo aliud querendum est, nisi an bellum iustum erat, id est publicum & ei (= si’ ?), ab eo indictum esset, qui potuisset indicere : hoc est quia populus liber, aut rex liber : ut hic sequitur in glos. & ita etiam debet intelligi glos. dicti cap. ius gentium & l. nihil interest, allega. per ipsam glos. decreti loquitur etiam in bello licito, seu iusto : hoc est publico et ab eo indicto qui potuisset indicere. » Ibid., n. 2. i.
1354 Ibid., n. 1. i. f., et nn. 3-4. Cf. aussi supra, notes 1352 et 1353. L’équation entre populi liberi et gentes demeure cependant implicite.
1355 Ibid., n. 5, § Not. ibi, iniuriam.
1356 Pour le problème de la guerre-duel, voir infra, pp. 426 ss.
1357 Cf. supra, pp. 204-206. Il est vrai que la thèse d’Alciat pouvait se réclamer au moins du « incertum erat utra pars iure bellum mouerat » de Fulgose, qui demeure cependant secondaire dans l’argumentation de ce dernier ; cf. supra, p. 285, note 1351.
1358 A. Alciatus, In aliquot Digestorum titulos commentaria, ad Dig., 1, 1, 5, n. 44.
1359 Ibid., n. 31, c. m. ; pour le texte de Paul, cf. supra, p. 286, note 1352.
1360 Cf. supra, p. 206, note 887.
1361 A. Gentilis, De iure belli, i, 6, pp. 51-52. Le même type de raisonnement reparaît plus loin, à propos des frais et dépens occasionnés par la guerre (op. cit., iii, 3, pp. 485 ss). Discutant le point de savoir à qui ceux-ci doivent incomber, Gentili met bien en lumière le caractère problématique de la comparaison de la guerre et du procès. Sa conception de la bilatéralité est, là aussi, causale : « Et quamvis iustum esse bellum utrinque possit : non id tamen videri parti utrique potest » (loc. cit., p. 487). Gentili réalise bien que c’est le vainqueur qui va en pratique déterminer la situation juridique, et il lui enjoint en conséquence d’agir en juge plutôt qu’en partie, dédoublement fonctionnel rappelant celui suggéré par Vitoria (loc. cit., pp. 487-488 ; cf. F. de Victoria, De iure belli, n. 60, can. iii).
1362 Sans être « Espagnol » au sens propre, ce jésuite belge fait cependant spirituellement partie du camp espagnol.
1363 Cf. infra, p. 289, note 1365.
1364 D. Covarruvias, Relectio in Regulam Peccatum, ii, § 11.
1365 Ibid., nn. 7 et 8. Cf. Angelus de Ubaldis, Disp. inc. Renovata guerra, nn. 2-4. Covarruvias fait encore état des opinions notamment de Jean d’André, de Bartole, de Bartholomée de Saliceto et de Jason de Mayno, ibid.
1366 Las Siete Partidas dei Sabio Rey Don Alonso el IX, v, ix, xiii. Le texte comporte cependant une casuistique nuancée, tenant compte notamment du moment de la rescousse (avant ou après que les pirates aient conduit le navire en lieu sûr), de la destination initiale des biens (en terre chrétienne ou en terre ennemie) et du caractère général du voyage (commerce, guerre ou plaisance). Le texte parle de cursarios, et il n’est pas clair s’il vise par là de simples pirates ou des corsaires au sens technique. Grégoire Lopez paraît incliner dans le second sens, alors que Covarruvias suppose des pirates au sens propre. Il n’est pas certain cependant que son opinion aurait varié dans l’hypothèse inverse, puisqu’il semble refuser la qualité de hostes aux Sarrasins et aux Turcs ; Relectio in Regulam Peccatum, ii, § 11, n. 6.
1367 Ibid., n. 8, i. f.
1368 Cf. supra, pp. 99-101.
1369 Relectio in Regulam Peccatum, ii, § 11, n. 8.
1370 Cf. supra, p. 206.
1371 Cf. infra, p. 299.
1372 Op. cit., loc. cit., n. 8.
1373 Covarruvias rompt d’ailleurs en cet endroit avec la tradition inaugurée par la glose Alibi dicitur, en ajoutant que ce droit de fuite existerait même si les capteurs avaient mené une guerre juste ; Relectio in Regulam Peccatum, ii, § 11, n. 6 ; cf. également supra, p. 255, note 1179.
1374 Tel est du moins l’événement que suggère le texte du Navarrus (« In bello & praelio Regis Sebastiani contra Mauros in Africa, cum Christiani victi fuissent… »), bien qu’il n’y soit pas parlé de la mort du roi Sébastien. En tout état de cause, l’affaire décrite doit se situer entre 1568 et 1578, dates de l’accession au pouvoir et de la mort de ce monarque.
1375 Martinus ab Azpilcueta, Consilia et Responsa, Cologne, 1616, t. i, De restitutione spoliatorum, consilium iii, pp. 130-131. Au sens strict, il ne s’agit donc pas d’un cas de rescousse (rescodere, reexcutere), puisqu’il manque la vis bellica ; mais le problème juri-dique est analogue.
1376 Ibid., n. 7, 1o et 2°. Ces deux arguments figurent à la fin du Consilium.
1377 Ibid., nn. 4 et 5 (= 5° et 6°).
1378 Ibid., n. 1 (= 1°) et n. 2 (= 2° et 3°).
1379 Ibid., n. 3 (= 4°) et n. 6 (= 7°).
1380 Ibid., n. 7, i. f.
1381 Ibid., n. 3 (= 4o).
1382 Ibid., n. 6 (= 7°). Cf. infra, pp. 311 ss.
1383 L. Lessius, Commentarius in secundam secundae, ad S.T., ii, ii, 40, 1, dubium 7, 4°, pp. 138-139. L. Molina, De iustitia et iure, ii, cxviii, nn. 1 et 2.
1384 L. Lessius, loc. cit., 4°, Dico 3°, p. 139.
1385 L. Molina, loc. cit., n. 11.
1386 L. Lessius, loc. cit., 4°, Dico 2°. L. Molina, loc. cit., n. 1.
1387 L. Lessius, loc. cit., 4°, Dico 3°. L. Molina, loc. cit., nn. 12 et 13. Molina insiste sur ce point et ajoute plusieurs remarques sur la coutume. Serait-ce une réponse implicite au Navarrus ? Molina refuse en effet de reconnaître à la coutume, dont celui-ci avait allégué l’existence entre chrétiens et musulmans, la moindre efficacité in foro animae. Sans faire état du consilium d’Azpilcueta, Molina fait allusion à l’espèce même qui l’avait suscité ; et il est troublant qu’il dit avoir été interrogé lui-même à son sujet ; loc. cit., n. 15. Aurait-elle été soumise à plusieurs docteurs par l’une des parties ou quelque instance judiciaire, dans la décennie qui sépare la bataille de Ksar-el-Kébir de la mort du Navarrus, soit entre 1578 et 1586 ? – Il est vrai que le cas devait se produire avec une certaine fréquence ; pour des cas analogues, traités en Angleterre par Gentili, cf. G. van der Molen, Alberico Gentili and the Development of International Law, Leyde, 1968, pp. 172-174.
1388 F. Suarez, Opus de triplici virtute, xiii, vii, n. 9.
1389 Ibid., i. f.
1390 Ibid., n. 22.
1391 Cf. supra, pp. 239-240.
1392 F. Suarez, loc. cit., n. 22.
1393 L. Lessius, Commentarius in secundam secundae, ad ST., ii, ii, 40, 1, dubium 9, pp. 141-142. Dans son De iustitia et iure, cet auteur admet un droit de guerre bilatéral quant à l’esclavage, à raison d’une cause matérielle incertaine, « si vtrimque iustitia belli sit ambigua ob probabile Ius vtriusque partis » ; mais sitôt la situation éclaircie, la partie « injuste » devrait relâcher ses captifs sans conditions. Op. cit., ii, v, iv, n. 12.
1394 L. Molina, De iustitia et iure, ii, disp. xxxv.
1395 Cf. supra, pp. 191-192.
1396 Loc. cit., nn. 13-17.
1397 Op. cit., iii, disp. lxxxii. Cf. infra, p. 436.
1398 Cf. infra, pp. 593 ss.
1399 Vanderpol va même jusqu’à commettre un remarquable lapsus dans sa traduction de la dernière phrase de ce passage. La doctrine scolastique, n. 384, i. f., p. 411. L’un des rares auteurs à discuter ce passage et à relever sa singularité dans le cadre général de la doctrine suarézienne et scolastique est Josef Soder, Francisco Suarez und das Völkerrecht, Francfort, s. M., 1973, pp. 308-309.
1400 Selon E. Reibstein, la première éd. des Controverses aurait parue à Salamanque en 1559, la seconde, révisée, en 1564 à Venise ; Die Anfänge des neueren Natur- und Völkerrechts, Studien zu den « Controversiae Illustres » des Fernandus Vasquius (1559), Berne, 1949, p. 17 ; Johannes Althusius als Fortsetzer der Schule von Salamanca, Karlsruhe, 1955, pp. 52-53. Or, nous n’avons pu trouver la moindre trace de la prétendue édition de 1559. Nicolas Antonius signale une seule édition antérieure à celle de Venise, 1564, à savoir celle de Barcelone, 1563 ; cf. Bibliotheca Hispana Nova, Rome, 1672, sub nomine Fernandus Vasquez Menchaca, t. i, p. 300. A supposer ce renseignement correct, cette dernière devrait être considérée comme l’éd. princeps : ce que font en effet A. Miaja de la Muela, Internacionalistas Espanoles dei Siglo XVI, Fernando Vazquez de Menchaca (1512-1569), Valladolid, 1932, p. 11, et C. Barcia Trelles, « Fernando Vazquez de Menchaca (1512-1569). L’école espagnole du Droit International du xvie siècle », RCADI, 67 (1939-1), p. 441, tous deux apparemment à la suite d’Antonius, sans qu’il soit certain qu’ils aient vu eux-mêmes cette édition. Dans cette hypothèse, il resterait du moins plausible d’admettre avec Reibstein que Vasquez ait remanié la première éd., puisque aussi bien la préface de l’édition vénitienne de 1564 est datée du 5 février de cette année, de Venise même. H. Thieme, « Natürliches Privatrecht und Spätscholastik », SZ (g), 70 (1953), p. 250, et G. Kisch, Erasmus und die Jurisprudenz seiner Zeit, Studien zum humanistischen Rechtsdenken, Bâle, 1960, pp. 398 ss, note 28, considèrent tous deux cette éd. comme princeps. Kisch signale que l’éd. de Venise, 1595, porte à la fin de la préface Venetiis V. Kalend. Februarii mdlxiii [1563], ce qui est probablement une faute d’impression ; les éditions de Venise, 1564, et Lyon, 1599, portent toutes deux mdlxiiii. Quoiqu’il en soit de l’éd. de 1563 signalée par Antonius, on peut considérer comme erroné l’avis de Reibstein concernant la date de 1559 ; erreur due, semble-t-il, à une confusion avec le De successionum creatione, qui, aux dires d’Antonius, loc. cit., parut, lui, précisément à Salamanque en 1559, la seconde éd. étant également celle de Venise 1564 (apud Bologninum Zalterium ; préface non datée).
1401 Fernandus Vasquius, Controversiae illustres, i, i, n. 10.
1402 Ibid., i, ix, nn. 1-2.
1403 Dig., 1, 1, 4. Cf. également infra, p. 316.
1404 L’argument est formulé notamment par Florentin, Dig., 1, 5, 4, et par Isidore, Etymologiae, v, xxvii, 32 et ix, iv, 43.
1405 Cf. supra, p. 98, note 215. Il est entendu que Vasquez ne raisonne pas en premier lieu par rapport à la pratique de son temps, mais par rapport aux textes des anciens. Pour l’esclavage médiéval, cf. supra, p. 281.
1406 Cf. infra, pp. 330 ss.
1407 Cf. supra, p. 277, note 1292.
1408 A. Alciatus, In aliquot Digestorum titulos commentaria, ad Dig., 1, 1, 5, n. 31.
1409 Cf. supra, p. 255, note 1179.
1410 Cf. supra, pp. 221 ss. Controversiae illustres, i, ix, nn. 4-8, 14 et 21.
1411 Ibid., nn. 16-18.
1412 Cf. supra, pp. 292-293.
1413 Op. cit., n. 19.
1414 Cf. infra, pp. 330 ss.
1415 La marginale du n. 19 porte : « Bellum iniustum si sit publice indictum tribuit dominium etiam principibus, egregia declaratio, id tamen dominium est revocabile » ; celle du n. 16 : « Bellum iniustum quoad Principes non esse iniustum quoad milites, egregia & nova declaratio ». Il se peut que l’usage que fait le jeune Grotius de l’expression Nova declaratio lui ait été suggéré par Vasquez.
1416 On pourrait voir un intermédiaire en Jason de Mayno, dont Vasquez allègue plusieurs passages, mais non celui où il renvoie à Fulgose.
1417 L’étonnement s’accroît encore lorsqu’on constate la même absence dans un passage correspondant de son traité, antérieur aux Controverses, sur les successions ; De successionum creatione, progressu, et resolutione tractatus, Venise, 1564, i, I, praefatio (= § 1), nn. 43-46. Car cette discussion-là se situe dans le prolongement exact de toutes celles qu’avait suscitées la glose Ergo ius gentium, qui forme aussi le point de départ de Vasquez. Or, s’il fait état de la plupart des opinions importantes sur ce point, d’Odofredus à Jason (ibid., n. 43), Fulgose et Alciat ne sont point à l’appel, bien qu’ils soient mentionnés en d’autres endroits du chapitre. En apparence, Vasquez se laisse guider surtout par Paul de Castro et Jason de Mayno ; pourtant sa position se rapproche davantage, en pratique, de celle de Fulgose et d’Alciat, lors même que son raisonnement se distingue des deux à la fois. Interprétant à son tour le texte d’Hermogénien, il commence par constater que la plupart des guerres sont injustes de part et d’autre ; or, comme toute autre norme, celle-ci doit viser à son avis au premier chef l’hypothèse la plus ordinaire ; partant, les guerres injustes y sont comprises au même titre que les guerres justes ; et les deux sortissent des effets patrimoniaux analogues, pourvu qu’elles soient déclarées par la personne compétente ; ibid., nn. 45-46.
1418 Cf. supra, p. 138, notes 453-456.
1419 Ibid.
1420 B. Ayala, De iure et officiis bellicis, i, 2, nn. 12-15, foll. 9v ss.
1421 IPC, cap. iii, fol. 15 (p. 32) ; rajout en haut de page. Cf. dans le même sens Alphonse Alvarez Guerrero : « Et licet praesentia Dei sit vbique, tantum in iusto bello solet adesse certantibus pro iustitia per specialem conseruationem, & protectionem ipsorum. » Speculum, xli, n. 16. Appliqué de façon « rétroactive » aux effets de la guerre, ce « théorème » a évidemment une portée pratique immédiate. Cf. infra, p. 301. Pour le problème de la guerre-duel, infra, pp. 426 ss.
1422 B. Ayala, De iure et officiis bellicis, i, 5, nn. 1 et 2, foll. 34r-34v. Cf. aussi ibid., nn. 3, 15 et 16, foll. 35r, 40r et 41r.
1423 Ibid., i, 2, n. 34, foll. 22r-22v. Pour Fulgose, cf. supra, pp. 285 ss.
1424 Ibid. i, 2, n. 33, fol. 22r.
1425 Ibid., i, 2, n. 34, i. pr., fol. 22’.
1426 C/. supra, p. 66, et infra, pp. 579 ss.
1427 D. Covarruvias, Relectio in Regulam Peccatum, ii, § 10, n. 6, p. 507.
1428 Cf. supra, p. 289.
1429 B. Ayala, De iure et officiis bellicis, i, 2, n. 33, foll. 22v-23r.
1430 Ibid., n. 35, fol. 23r.
1431 Cf. supra, pp. 138-139.
1432 Pour une démarche semblable chez Grotius, cf. infra, pp. 536 ss.
1433 Cf. supra, pp. 135 s. Un renversement analogue mais en sens inverse est donné avec la construction vattelienne de la belligérance dans la guerre civile ; cf. supra, pp. 147 s, ainsi que E. Reibstein, « Die Dialektik der souveranen Gleichheit bei Vattel », ZaöRV, 19 (1958), p. 627.
1434 Sylvester de Prierio, Summa summarum, v° Bellum i, n. 10 (9°).
1435 F. de Victoria, De iure belli, n. 33.
1436 Cf. supra, pp. 209 ss.
1437 A. Gentilis, De iure belli, iii, 3, pp. 485-487 ; cf. aussi supra, p. 288, note 1361.
1438 P. Bellus, De iure militari, x, i, n. 17, fol. 122v. En ce sens paraissent aller aussi les conclusions de E. H. Feilchenfeld et U. Kersten : pour la période qui nous concerne ici, ces auteurs admettent que les obligations imposées au vaincu tiraient leur origine toujours du traité de paix et que les indemnités de guerre ne se fondaient donc jamais sur une obligation antérieure, résultant directement de la guerre ; « Réparations from Carthage to Versailles », World Polity, i (1957), pp. 33-39.
1439 A. Gentilis, De iure belli, iii, 14, pp. 589 ss.
1440 Guilielmus Redonensis, Apparatus, ad Summa de casibus, ii, 19 (sibi dato), p. 188.
1441 Sylvester de Prierio, Summa summarum, v Bellum i, n. 13 (12°) ; Ulricus Argenti-nensis, Liber de summo bono, vi, iii, cap. ix, § Cuius vero subditi, fol. 168r ; Gabriel Biel, Collectorium, iv, xv, iv, art. 3, dub. 7 ; Hadrianus VI, Quaestiones de sacramentis, De restitutione, § Aggredior casus speciales, Quinto dubitatur, fol. 49r ; Ioannes Maior, In Quartum Sententiarum quaestiones, xv, q. xx, i. f., fol. 89v ; L. Molina, De iustitia et iure, ii, cxxiii.
1442 Cf. p. ex. P. Bellus, De re militari, x, i, n. 17, fol. 122v ; A. Gentilis, De iure belli, iii, 3, pp. 488-493.
1443 P. Bellus, loc. cit.
1444 A. Guerrerus, Speculum, xlii, n. 1, p. 372. Cf. aussi I. Lupus, De bello, et bellatoribus, fol, 323r.
1445 Cf. supra, pp. 285-287.
1446 F. Vasquius, Controversiae illustres, i, iv, n. 11.
1447 B. Ayala, De iure et officiis bellicis, i, 7, n. 7, foll. 81r-81v.
1448 Ibid., fol. 81v.
1449 Martinus ab Azpilcueta, Consilia et Responsa, t. i, De restitutione spoliatorum, consilium iii, n. 6 (7°), p. 131.
1450 Etant toujours entendu que cette dernière comprend, outre le forfait initial, l’ensemble des actes subséquents de résistance injuste à l’exécution et des frais de recouvrement qu’ils entraînent ; cf. supra, p. 249, note 1138.
1451 Cf. supra, pp. 274 ss.
1452 Cf. supra, pp. 183 ss.
1453 Cf. p. ex. Ricardus de Mediavilla, Super quatuor libros Sententiarum, iv, xv, v, q. iv. IPC, cap. viii, fol. 47a (pp. 103-104). Il s’agit d’un feuillet rajouté.
1454 IPC, foll. 47-47’ (p. 104).
1455 IPC, foll. 47’-48 (pp. 104-106) ; cf. supra, pp. 238-239.
1456 Cf. supra, p. 274.
1457 IPC, cap. viii, foll. 46’-47 (pp. 102-103) et foll. 48’-50’ (pp. 107-112).
1458 IPC, fol. 48’ (p. 107) ; rajouté en deux fois, au haut du feuillet. Cf. Thomas de Aquino, S.T., ii, ii, 108, 4, corp.
1459 IPC, fol. 47 (p. 103), et fol. 50 (p. 111).
1460 IPC, foll. 48’-49 (pp. 108-109).
1461 Cf. supra, pp. 199 ss et 221 ss.
1462 Cf. en part. Inleidinge tot de Hollandsche Rechts-Geleerdheid, II, 4, et IBP, ii, iii et ii, viii.
1463 Paraphrasis tituli Institutionum, De rerum divisione, & acquirendo earum dominio, in : Poemata omnia, pp. 314-329.
1464 IPC, foll. 52-52’ (pp. 118-119).
1465 IPC, cap. viii, cor. ii, fol. 52’ (p. 119) ; cf. supra, p. 252, note 1157. Dans le cadre du chap. viii, il s’agit du second corollaire, mais, dans le cadre de cette démonstration, du premier : il sera donc appelé « premier » dans la suite.
1466 IPC, cap. viii, cor. iii, fol. 53’ (p. 122) ; cf. supra, p. 252, note 1158. A son tour, bien que troisième dans le chapitre, il sera appelé « second » ; pour sa teneur et sa genèse, cf. infra, pp. 377 ss et Annexe iii, pp. 636-637.
1467 IPC, fol. 52’ (pp. 118-119).
1468 IPC, foll. 53-53’-53’a-53’a’ (pp. 119-122).
1469 Cf. supra, pp. 280-282. L’idée de l’acquisition publique de la proye existait certes aussi, surtout parmi les canonistes, et elle aura finalement le dessus (cf. supra, p. 256, notes 1182 et 1185). Pourtant, encore durant la première moitié du xvie siècle, Marianus Socinus (Nepos) expose l’opinion dominante comme faisant acquérir les biens meubles aux capteurs (par opposition aux immeubles acquis au prince), sous réserve de redistribution par le chef militaire ; et il poursuit : « ... ita se habet communis opinio, licet ego… dixerim contra Doctores, quod immo quae per milites particulares bellando propria sola virtute capiuntur ex hostibus fiant sua propria, & incontinenti. Fateor tamen punctum esse dubium, & communem opinionem esse, ut dixi. » Consilia, Venise, 1571, vol. iii, consilium 68, n. 107, fol. 99v.
1470 IPC, cap. x, foll. 58’-67’ (pp. 134-152).
1471 IPC, fol. 57’ (p. 132). Ce rappel suit immédiatement un passage établissant un parallélisme de principe entre guerre privée et publique quant à l’acquisition de la proye, et qui remplit tout le début du chap. x. Il constitue l’une de deux précisions tendant à atténuer ce parallélisme : c’est à quoi se limite ici le rappel de l’accord tacite entre Etats, inexistant entre particuliers ; il n’a pas d’autre fonction dans le chapitre. Or, chose intéressante, les droits des subordonnés dans la guerre publique reçoivent ainsi, par leur opposition même, sous cet angle, à la guerre privée, une tournure abstraite : « Nec alio modo commodius interpreteris id quod ex Doctoribus attulimus, privato bello capta capientium non fieri. hoc est, ipsum bellum ad hoc non sufficere, nisi causa quae rêvera iusta sit bellum comitetur. » Loc. cit. Ce qui tend à confirmer que telle a bien été idée de Grotius à la fin du chap. viii.
1472 Cf. supra, p. 221.
1473 Relevons en particulier les passages suivants : « Vnde sequitur rem hostilem nisi ob debitum acquiri non posse, (hoc est praeter possessionem debere causam accedere) quod quanquam alibi demonstratum est hoc tamen loco repetere non abs re fuit. » IPC, fol. 56’ (p. 129 ; rajout interlinéaire). Plus loin, après l’affirmation du principe de l’acquisition brevi manu : « Quod cum fit is rei gestae ordo est, ut opera illius ad me praeda perveniat, nullo tamen momento penes [me] substitura, sed in ipsum continuo transitura : (ut qui iam possessionem habeat, et causam dominii praecedentem.) Propterea diximus belli susceptorem dominum fieri primo ac per se et nisi aliter convenisset. » IPC, foll. 60-60’ (p. 138 ; rajout en haut de page, au-dessus de la ligne). Grotius a omis le me, en rapportant peut-être penes au me commandé par ad. Un peu plus bas, sur le même folio, après le rejet de l’idée de l’acquisition directe de la proye développée par les commentateurs (cf. infra, pp. 371 ss) : « Nam singuli illi capientes cum causa destituantur, ut diximus, sicut in privato, ita in publico bello non possunt acquirere. » IPC, fol. 60’ (p. 139). A la fin de la page, Grotius en vient à ce paradoxon : « Ex his novam colligemus sententiam capta bello publico, reipublicae fieri suscipientis donec ipsi satisfactum sit. » IPC, foll. 60’-61 (p. 139). Relevons ensuite la première partie de la conclusion relative à l’art. ii : « belli pvblici svsceptrix respvblica praedam acqvirit vsqve ad ivris svi satisfactionem. » IPC, fol. 67’ (p. 151). Et tout à la fin du chapitre, ces deux fragments, tirés de phrases distinctes : « cum respublica causam praestet, subditus caetera omnia… possessionem enim per ministros habet… causam a republica. » IPC, fol. 71’ (p. 162). Le dernier passage a en vue le particulier, armateur ou condottiere, mettant ses forces au service de l’Etat ; vu qu’il ne s’agit pas d’un véritable subditus, causa désigne ici sans doute moins la cause matérielle des subordonnés, que celle concernant les agents volontaires.
1474 Cf. supra, pp. 64-66 et 180.
1475 Cf. supra, p. 309, note 1473.
1476 H. Donellus, Commentarii, iv, xxi, § 10-11, vol. ii, pp. 429-430.
1477 IPC, fol. 69’ (pp. 156-157). D’ailleurs, à côté de ce sens technique de praeda, qui n’est défini qu’au chap. x, on trouve aussi un sens large, où praeda désigne l’ensemble des biens pris à l’ennemi. Cf. en ce sens IPC, cap. ii, i. f., fol. 14 (p. 30), et capp. iv et v, passim.
1478 IPC, foll. 69’-70 (p. 157). En 1625, les deux notions de corraria et de butinum joueront bien un rôle en ce sens-là ; Grotius ne paraît pas y avoir songé en 1605, bien que sa tournure ne soit pas exempte d’équivoque ; cf. infra, pp. 387-388.
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