VI. La justice matérielle bilatérale et la guerre juste des deux côtés
p. 203-223
Texte intégral
1La dissociation des causes permet aussi à Grotius de trancher d’une façon plus nette que ses prédécesseurs la célèbre question de savoir si une guerre peut être juste des deux côtés à raison de sa justification matérielle. Elle est débattue surtout parmi les auteurs du xvie siècle. Les scolastiques médiévaux gardent le silence : non que certains n’y aient songé, – Huguccio lui-même en témoigne865 – mais la réponse devait leur paraître trop évidente pour admettre une discussion sérieuse. S’ils parlent de bellum iustum ex utraque parte, ils l’entendent en général dans un sens un peu différent : à savoir, que la guerre est juste pour le belligérant actif en vertu de sa compétence et du côté de son ennemi à raison du tort commis par ce dernier.866 On rejoint donc l’idée du meritum867 et par là le principe de la justice unilatérale, véritable axiome,868 si bien sanctionné par l’autorité d’Augustin869 qu’il allait pour eux sans dire. C’est au cours du xve siècle seulement que d’aucuns s’y arrêteront ;870 et brusquement, au siècle suivant, la question devient une véritable mode : ce qui amènera Grotius à prendre position à son égard.
2Le problème fut d’ailleurs posé de diverses manières, tant par des juristes que par des théologiens ; raisonnant sur des textes différents, ils firent naître plusieurs courants distincts.
1. La thèse de l’incertitude matérielle chez les juristes et son origine indirecte chez Fulgose
3Considérons d’abord les juristes. L’origine lointaine de leur débat n’est autre que la glose Ergo ius gentium, qui avait cherché, on se souvient, à mettre en accord avec la mentalité médiévale la loy Ex hoc iure gentium.871 Après Accurse, la plupart des légistes jugeront la glose aussi peu satisfaisante que le texte même qu’elle prétendait éclairer. Mais comme on ne pouvait l’ignorer, des générations de commentateurs se sont appliquées à la « sauver » ou à imaginer des justifications nouvelles, sans que toutefois l’idée sous-jacente à la glose, l’allusion à la cause matérielle, fût jamais mise en doute.
4Seul Raphaël Fulgose retrouvera, au début du xve siècle, la conception romaine inhérente au texte d’Hermogénien.872 Si ce dernier a fait dériver la guerre du ius gentium, affirme le commentateur, c’est en un sens très particulier. En effet, n’ayant point de supérieur commun, les peuples – gentes – ont institué la guerre comme juge suprême de leurs litiges, lui faisant adjuger les parts selon les forces en présence, sans égard à la justice de la cause. Telle lui paraît la seule explication du fait que plusieurs textes du Digeste reconnaissent à la guerre des effets semblables en faveur des deux parties. Ainsi Fulgose dissout le lien noué par les glossateurs entre le ius gentium et la justice matérielle de la guerre. Sans nier que celle-ci existe et qu’elle ne peut se trouver que dans un seul camp, il la déclare pourtant radicalement inconnaissable à raison de la situation particulière des gentes, qui, en vertu de leur souveraineté, sont acculées à saisir de leur litige ce juge particulier, seul compétent pour en « connaître » et trancher. Fulgose sait bien que l’arrêt ainsi rendu ne saurait toujours coïncider avec la justice matérielle : mais il ignore à dessein cette divergence, pour transporter toute la question sur un terrain purement formel et procédural. Grâce à ce postulat d’agnosticisme et d’irrationalité,873 où revivent en un sens les ordalies et les duels germaniques, Fulgose rejoint l’attitude des jurisconsultes romains en ne s’arrêtant qu’à la forme et aux effets de la guerre.
5Mais par là même il élude le problème qui nous occupe en ce moment et qui avant tout préoccupait ses contemporains, celui de la justice bilatérale matérielle. Il n’est pas étonnant que sa position soit restée isolée et incomprise en son siècle. Son intuition ne sera retrouvée à proprement parler que par Balthasar Ayala, à l’époque où naissait Grotius.874 Si d’autres se sont réclamés de Fulgose, ce n’est jamais sans le déformer, en rétablissant de façon subreptice le lien avec la cause matérielle qu’il avait si nettement tranché. A son argument purement formaliste et « décisionniste »875 de la nécessité procédurale viendra donc se substituer la thèse de l’incertitude matérielle.
6L’initiateur de cet infléchissement est André Alciat, que la question de la justice bilatérale a occupé à plusieurs reprises. Il la soulève d’abord dans ses Paradoxes publiés en 1516, à l’âge de 26 ans.876 De la solution de Fulgose qu’il y invoque, il ne retient en fait qu’un aspect, celui de l’incertitude où se trouvent les parties quant à la justice de leurs causes. Mais au lieu de faire découler cette incertitude du statut des parties, du fait purement formel de leur égalité souveraine, comme l’avait fait Fulgose, il la déduit de la nature de leur cause, supposée par hypothèse complexe et embrouillée. L’égalité des parties, qui chez Fulgose constituait une donnée initiale et intangible, n’est ici qu’un corollaire du doute qui entache la cause matérielle, et elle disparaît avec ce doute lui-même. C’est donc en lui et dans la bonne foi implicite qu’il faut voir et l’origine et la limite de la justice bilatérale de la guerre. Dès lors, la cause matérielle y joue un rôle tout au moins indirect.877
7De prime abord imperceptible, l’écart d’Alciat par rapport à son modèle s’agrandira plus tard dans son explication du locus ordinarius même qui avait suscité le problème, soit le texte d’Hermogénien.878 La guerre y devient un procès, considéré entre le moment de la litiscontestation et celui de la sentence. Dans cette phase, affirme notre auteur, la loi présume la bonne foi des litigants, si bien qu’aucun n’agit a priori de façon injuste.879 L’image est aussitôt transposée à la guerre en vertu de l’argument étymologique tiré de hostire, qui signifie précisément « être égal ».880 Cela trahit cependant du même coup les limites de leur égalité : dès que l’injustice de l’un des belligérants est évidente, il cesse d’être hostis, pour devenir latrunculus.881 Alciat ne précise d’ailleurs pas les origines de l’incertitude : réside-t-elle dans la subjectivité des parties – ce qui nous ferait rejoindre l’argument de l’erreur – ou dans la nature intrinsèque de la cause, soit que les deux parties puissent se prévaloir d’un titre ou que la situation soit objectivement embrouillée et impénétrable ? Il ne semble pas y avoir réfléchi et les deux idées ont sans doute coexisté dans son esprit, avec une prédominance de la seconde : c’est la situation objective, plutôt qu’une erreur subjective, qui paraît conditionner la bonne foi et l’égalité procédurale des parties.
8Plus tard dans le xvie siècle, le passage de Fulgose sera encore évoqué par Covarruvias et invoqué par Gentili. Il est symptomatique que tous deux assimilent sa thèse à celle d’Alciat, en escamotant l’importante nuance qui les sépare. On ne peut exclure du reste, vu les usages de l’époque,882 qu’ils n’aient connu Fulgose qu’à travers Alciat ; du moins ne retiennent-ils en fait que l’interprétation de ce dernier.
9Toutefois, ce qu’Alciat avait laissé confondu, Covarruvias le dissocie : d’un côté, la situation juridique objective, qui n’est jamais, à son avis, favorable qu’à l’une des parties ; de l’autre côté, les prétentions subjectives des parties, qui peuvent sembler les favoriser toutes deux, mais seulement grâce à une erreur commise de bonne foi.883 Cette analyse revient en fait à repousser la thèse d’Alciat – que Covarruvias croyait sauver – au profit de celle des théologiens : Vitoria n’est pas mentionné, mais, à défaut d’avoir été publiés, ses enseignements circulaient déjà sous forme de notes de cours lorsque la Relectio in Regulam Peccatum fut écrite, et Covarruvias avait du reste suivi ses cours à Salamanque.884
10Vitoria est en revanche cité par Gentili, ensemble avec Fulgose et Alciat, voisinage qui rend la position du maître d’Oxford difficile à saisir.885 Il se rapproche le plus, semble-t-il, d’Alciat, puisque l’égalité des parties résulte, là aussi, de l’obscurité enveloppant la cause ; l’image des ténèbres revient avec insistance.886 A cette égalité, Gentili statue d’ailleurs la même limite qu’Alciat : la mauvaise foi de l’une des parties la prive de sa légitimation et donc de son statut de hostis.887
11Ainsi, les juristes ont imaginé deux constructions principales, voisines mais distinctes, pour expliquer la justice bilatérale de la guerre ; leurs théories demeureront du reste dans l’ensemble minoritaires et pour ainsi dire des curiosités, leurs collègues se bornant à ne pas réfléchir au problème : d’une part, la thèse décisionniste de Fulgose et, d’autre part, la thèse de l’incertitude matérielle d’Alciat.888 Malgré leur parenté, seule la seconde nous occupera dans ce contexte, puisqu’elle est seule à prendre appui sur l’élément matériel ; il était nécessaire, toutefois, de mentionner la première, parce qu’elle en est l’aïeule directe.889
2. La thèse de l’erreur et de l’ignorance chez les théologiens
12De la thèse d’Alciat, fondée sur l’incertitude objective, il faut distinguer une thèse voisine, d’un caractère subjectiviste : elle fait procéder la bilatéralité de l’ignorance où se trouve l’une des parties ; plutôt que sur un doute, elle se fonde donc sur une erreur. Elle est distincte aussi par son origine : ce ne sont pas les juristes mais les théologiens qui l’ont conçue.
13En premier, c’est à l’époque même de Fulgose que l’un d’entre eux souleva le problème en Espagne : il s’agit du vaillant Tostado, évêque d’Avila, qui, à une puissante érudition théologique, alliait de solides connaissances de droit. Contrairement à Fulgose, qui regarde tout naturellement vers l’ancienne Rome, son commentaire se porte vers les antiquités hébraïques, bizarre résultante de ses contacts avec les milieux rabbiniques et de l’esprit de Reconquête qui animait toujours l’Espagne. Comme pour son collègue d’Hippone un millénaire plus tôt, c’est un texte du livre de Josué qui forme son point de départ.
14Il y est dit, vers la fin du récit de la prise du pays de Canaan, « qu’il n’y eut point de cité qui ne se fût rendue au fils d’Israël, hormis les Hivvites qui habitaient Gabaon, car il les prit toutes de haute lutte ».890 Ce passage, qui ne correspond d’ailleurs pas au texte de la Vulgate,891 paraît contradictoire : pourquoi prendre de force des villes qui se sont toutes rendues ? Ce n’est pas de leur propre gré qu’elles se sont rendues, explique Tostado, mais bien sous la contrainte, après une résistance désespérée contre un ennemi rendu implacable grâce à la sainte mission qui l’animait. De là une double question : les Cananéens menaient-ils une juste guerre en combattant les Hébreux ? Et, dans l’affirmative, comment ces derniers pouvaient-ils néanmoins poursuivre à leur tour une guerre juste ? Cela nous fait déboucher, à propos d’un cas d’espèce biblique, sur le problème de la justice bilatérale de la guerre.892
15La réponse à la première question, de beaucoup la plus complexe, forme un véritable traité sur la légitime défense. Parmi les multiples distinctions tracées par Tostado, les plus importantes sont, d’une part, celle entre la défense de la vie et des biens, d’autre part, la défense contre le pouvoir judiciaire et celle contre des particuliers. La résistance au pouvoir judiciaire est en principe interdite, pourvu que ce pouvoir se fasse dûment reconnaître pour tel : or, bien qu’appelés à exécuter un arrêt divin, les Israélites n’étaient aux yeux des Cananéens, obnubilés à dessein par Yahvé, que des ennemis ordinaires qui les attaquaient sans raison apparente. Dès lors, il leur était non seulement permis, mais en outre commandé de défendre leur vie, car en se livrant sans défense ils eussent commis un péché mortel, puisque, à l’instar d’un suicide, cela revenait à disposer sans droit d’un bien qui appartenait à Autrui.893 Quant à leurs biens matériels, ils n’avaient pas semblable obligation de les défendre, mais en avaient pleinement le droit, au besoin en tuant leurs agresseurs, pourvu qu’ils le fissent cum moderamine.894 Aussi les Cananéens menaient-ils subjectivement une juste guerre de défense, bien qu’elle fût en contradiction avec la situation juridique objective.
16Mais comment justifier dès lors la guerre des Israélites ? N’attentaient-ils pas à la vie de leurs adversaires dont on vient de constater qu’ils avaient l’obligation de la défendre ? Ils suivaient un ordre divin, explique Tostado, un ordre qui les contraignait de façon absolue à punir les Cananéens pour leurs crimes, aggravés encore par leur résistance à l’exécution judiciaire.895 Comment justifier d’autre part la privation de leurs terres ? Israël en était devenu propriétaire, continue Tostado, grâce à une donation divine ; par surcroît, il jouissait d’un envoi en possession.896 Cette fois, prévaut donc la situation juridique objective.
17De là une situation poignante et tragique – integrae contrarietates897 – où les adversaires se déchirent sous l’effet d’une contrainte qui non seulement rend leur combat juste de part et d’autre, bien qu’à des titres différents, mais leur interdit toute autre conduite, sous peine de commettre un péché mortel. La clé en est l’aveuglement des Cananéens voulu par Yahvé : ce facteur modifié, leur défense devenait injuste. Le pivot de la construction réside donc dans une erreur, une ignorance invincibles.
18Plus discrètement que celui de Tostado, le commentaire aux Sentences de John Mair, enseigné à Paris à l’époque même où Vitoria y étudiait,898 soulève aussi, en passant, la question de la justice bilatérale. A propos du problème classique des restitutions, le maître écossais évoque une guerre entre deux monarques où « chacune des parties jouit du consentement virtuel de son roi l’autorisant à récupérer ce qu’elle n’a pu obtenir par une autre voie ».899 Un peu plus loin, il met deux armées adverses au bénéfice d’une ignorance également probable ; celle-ci peut, à son avis, se produire en la personne des chefs autant qu’en celle des subordonnés ; mais souvent les subordonnés seront seuls à jouir de l’excuse, si bien qu’il devient possible de concevoir une guerre juste pour eux, alors qu’elle ne le serait pas pour leurs supérieurs.900
19L’ignorantia probabilis de Mair, comme un peu plus tard celle de Vitoria, descend évidemment du probabiliter credere que Raymond de Peñafort avait appliqué au tiers acheteur d’une pièce de butin entachée d’un vice.901 Elle paraît assimilable, dans ce contexte, à l’ignorance invincible. Les fugitives allusions de l’Ecossais à la justice bilatérale pointent donc vers une même clé de voûte que la construction plus achevée de l’évêque castillan : l’erreur. Mais plutôt qu’en Terre promise, cette erreur survient ici dans un contexte quotidien, presque banal. Si par la suite on évoquera souvent l’exemple de Tostado, on pensera en réalité toujours à la situation brossée par Mair : c’est ce qui apparaîtra dès Vitoria, à qui les deux textes étaient probablement connus.
3. Le doute et l’erreur chez Vitoria
20Le passage consacré par Vitoria à la justice bilatérale est assez bref : il n’occupe dans le De iure belli que le quatrième dubium au sein d’un ensemble de « doutes » relatifs à la cause de guerre.902 Toutefois, sa vraie portée ne se dévoile que si on le confronte avec les trois dubia qui précèdent ;903 et ceux-ci doivent, à leur tour, être considérés en relation avec une brève casuistique figurant parmi les remarques vitoriennes sur la Quaestio de bello de saint Thomas.
21Là, Vitoria s’était demandé si le prince avait le droit de prendre les armes dans les trois hypothèses suivantes : en présence d’un traité d’alliance ; afin d’intervenir en faveur d’un peuple opprimé par son monarque ; ou pour prendre la défense d’un autre prince contre un tiers, mais en l’absence de traité d’alliance.904 Dans les deux derniers cas, Vitoria envisage la possibilité d’un doute ; dans les deux, il statue un devoir d’abstention.905 Entre autres arguments, il fait valoir qu’une guerre ne saurait être juste des deux côtés à la fois :906 en effet, juge-t-il, à vouloir admettre qu’on puisse faire la guerre pour un bien se trouvant en la possession d’autrui, lors même qu’on fait valoir un droit sur lui, on admettrait la possibilité d’une guerre juste des deux côtés : ce qui lui paraît manifestement absurde en vertu de la maxime In pari causa possessor potior haberi debet.907 En invoquant cette règle sur le maintien de l’état de possession, Vitoria rejette implicitement l’analogie tracée par certains juristes entre le droit de faire la guerre et celui d’agir dans un procès. Parti d’une situation analogue, une cause embrouillée et incertaine, il en tire des conclusions opposées quant au droit d’agir des parties.
22Le De iure belli confère un tour plus général à ces idées qu’il réduit à quelques maximes : aussi bien la casuistique initiale s’y transforme-t-elle en une sorte de procédure à suivre par le belligérant potentiel. Plus haut, on a effleuré cette procédure au point de vue des subordonnés : on y a vu que, dans la ligne de la tradition sommiste, Vitoria met à la charge de ceux-ci un double devoir : de s’enquérir d’abord dans la mesure de leur possibilités, d’obéir ensuite, même en cas d’incertitude, pourvu qu’après leur examen l’ordre ne se révèle pas manifestement illicite.908 L’innovation de Vitoria consiste avant tout à transposer cette double obligation, mutatis mutandis, aux chefs : d’où une nouvelle procédure, parallèle à la précédente.
23Le devoir de s’enquérir devient absolu pour les chefs : rien ne saurait les excuser de n’avoir mis tout en œuvre pour clarifier la situation juridique.909 Or, il se peut que même après cette opération subsiste un doute quant à la légitimité de leur cause, des titres plausibles existant de part et d’autre.910 Que décider alors ? Le prince ne saurait s’en remettre à un devoir d’obéissance : c’est donc en ce point que doit cesser le parallélisme avec les subordonnés. Au devoir d’obéir de ces derniers, Vitoria substitue, à la charge du prince, une double obligation de ne pas modifier l’état de possession par la force et d’accepter des négociations. Il envisage deux hypothèses, suivant que le bien litigeux se trouve aux mains de l’une des parties ou qu’il est au contraire vacant.911 Ici, les parties sont invitées à s’entendre par voie de négociations ; là elles doivent respecter l’état de possession, sans que le possesseur puisse toutefois se fermer aux arguments avancés par la partie adverse, ce qui nous ramène au devoir de négocier. Chose importante : aucune de ces situations n’est en soi de nature à livrer une cause de guerre suffisante. Celle-ci naîtrait seulement si l’une des parties ne s’en tenait pas à cette procédure de règlement pacifique : c’est alors qu’elle commettrait une iniuria et livrerait du même coup une juste cause de guerre à la partie adverse.912
24On le voit, cet exposé et les principes sous-jacents étaient virtuellement contenus dans le commentaire à la Quaestio de bello. Comme là-bas, l’exemple choisi nous situe dans le climat des temps modernes ; le conflit de deux monarques à propos d’un duché fait songer aux guerres d’Italie, et telle est bien la toile de fond du raisonnement de Vitoria. Mais l’on y retrouve surtout la règle directrice formulée dans le commentaire, lointaine dérivation des interdits possessoires et dont l’obligation de négocier n’est qu’un corollaire. Enfin, l’argument invoqué là-bas revient non moins de trois fois au cours de ces trois premiers dubia : il n’est autre que l’impossibilité d’une guerre juste des deux côtés.913
25Or, cela n’empêche pas Vitoria de se demander sitôt après, dans le quatrième dubium, si une guerre peut être juste des deux côtés à la fois.914 Sa réponse est double : en règle générale il en exclut la possibilité ; mais il l’admet à titre d’exception, en vertu de l’ignorance de l’une des parties.915 A son avis, ce sont les subordonnés avant tout qui pourront bénéficier de cette situation.916 Pourtant il ne semble pas l’exclure au profit des chefs, pourvu qu’ils se trouvent dans un état d’ignorance invincible.917 Le De indis nous en fournit deux exemples : les Peaux-Rouges résistant aux Espagnols ; et les Français défendant la possession de la Bourgogne contre l’Empereur qui a sur elle un droit certain.918 Vitoria aurait pu y ajouter l’exemple des Cananéens face à Israël.
26La question soulevée par ce quatrième dubium est inattendue : Vitoria ne vient-il pas d’invoquer par trois fois, à titre d’argument, l’impossibilité d’une guerre juste des deux côtés ? La question paraît donc ici plus paradoxale encore qu’elle ne l’avait été sous la plume d’Alciat, un quart de siècle plus tôt. Comment justifier le procédé ? Constatons d’abord que, malgré les apparences, il n’implique aucune antinomie. En effet, si la réponse à cette quatrième question est plus nuancée que ne le laissait attendre le caractère péremptoire de l’argument allégué dans les trois autres, c’est grâce à cette nuance-là que Vitoria précise la portée même de son raisonnement précédent. Car l’argument y avait servi à trancher un cas de doute, dont la partie en cause était nécessairement consciente : la réponse à la quatrième question vise en revanche un cas d’ignorance, dont la victime est, avec la même nécessité, inconsciente. On se trouve donc dans deux hypothèses distinctes et presque complémentaires, qui ne se rapprochent que grâce à la perspective commune choisie par Vitoria, consistant à embrasser la situation globale formée par les acteurs et leur jeu réciproque.
27En substance, la première de ces hypothèses correspond à celle qui avait conduit Fulgose et Alciat à leurs thèses ; la seconde, à celle qui se trouvait à la base du raisonnement de Tostado et de Mair. Implicitement Vitoria refuse la voie adoptée par les deux juristes : voilà le sens de sa démarche dans les trois premiers dubia. Dans le quatrième, il se rallie aux conclusions des deux théologiens, tout en leur conférant l’aspect d’un principe général. Telle est la double importance de ce développement : rejet voilé des conceptions de certains juristes, il marque un progrès sur les théologiens antérieurs.
28Insistons en particulier sur la distance qui sépare Vitoria de Fulgose et d’Alciat. Malgré la nuance qui les distingue, ceux-ci comparent la guerre rigoureusement à un procès : les parties s’affrontent devant Bellone déguisée en Justice ; la victoire tient lieu de sentence comme dans un duel judiciaire ; et la cause de guerre se transforme en objet du litige. Certes, les analogies tirées du domaine de la procédure judiciaire ne manquent pas non plus chez Vitoria : n’enjoint-il pas au prince demandeur de respecter la possession de l’adversaire parce qu’un juge en ferait autant ?919 n’est-ce pas un juge qui, un peu plus loin, attribue des parts équitables lorsque le bien disputé n’est aux mains d’aucune des parties ?920 ne va-t-il pas enfin jusqu’à suggérer une sorte de dédoublement fonctionnel dans la manière dont le prince est censé s’acquitter de son devoir d’enquête ?921 Pourtant, à la différence des juristes, Vitoria n’identifie pas cette procédure imaginaire avec l’action guerrière elle-même. Il y voit au contraire une phase préalable au « procès », amiable plutôt que contentieuse, et dont la fin principale est d’éviter la guerre. Au lieu de miser sur un pari judiciaire, il demande aux parties d’agir en juges éclairés, la seule rationalité de leur décision étant censée prévenir le conflit. L’éventuelle cause de guerre – l’iniuria qui naîtrait seulement, on l’a vu, si l’une des parties violait la procédure de règlement pacifique – est donc clairement dissociée de l’objet du litige, qui en est seulement la cause lointaine. Sa survenance aurait pour effet de transformer brusquement le statut des parties : de plaideurs égaux, les adversaires se mueraient alors, l’un en délinquant, l’autre en exécuteur d’une sentence imaginaire, provoquée plutôt que prononcée, par le fait même de l’iniuria.922 Contrairement aux juristes, qui admettent la licéité bilatérale de la guerre à raison d’une cause incertaine, Vitoria ne conçoit donc, au plan objectif, qu’un droit de guerre unilatéral, fondé sur une cause certaine : si, à titre exceptionnel et presque d’excuse, il concède la bilatéralité, il ne la fonde pas sur un doute, mais sur l’ignorance de l’une des parties et donc sur une erreur : aussi n’a-t-elle jamais chez lui qu’une portée subjective.
4. La question du probabilisme chez Vitoria et chez ses successeurs
29Pourtant il s’est trouvé en notre siècle des critiques pour lui reprocher d’avoir rompu sur ce point précis avec la pureté originelle, prétendument patristique, de la doctrine de la guerre juste. Vanderpol a cru percevoir chez lui un premier « fléchissement », minime certes mais lourd de suites, par rapport aux vrais principes. Cette faille se percevrait dans l’un des exemples déjà mentionnés du De indis ;923 elle se réduit même, nous semble-t-il, à l’emploi d’un seul terme, le probabilis qui accompagne ignorantia : voilà où se serait ouverte la brèche par laquelle le probabilisme aurait fait irruption dans la doctrine de la guerre, abaissant dangereusement les barrières dont l’avaient entourée les Pères et les premiers scolastiques.924
30Or, à supposer que la pensée de Vitoria nous ait sur ce point été fidèlement transmise,925 le contexte montre que cette probabilis ignorantia équivaut pour lui à l’ignorantia invincibilis figurant un peu plus haut ; et non pas l’inverse, comme le voudrait Vanderpol. Du reste, les deux expressions se trouvent égalées aussi dans le De iure belli.926 La valeur de probabilis semble avoir été plus forte à l’époque de Vitoria que ne le suggère de nos jours, à la lumière des Provinciales notamment,927 le terme de probabilisme. Les abus, le laxisme associés d’ordinaire avec celui-ci, et qui guettent toute casuistique morale, ne se manifestent pleinement que chez certains théologiens post-tridentins : ce sont eux du reste, on le sait, qui forment la cible préférée de Pascal.
31Ce sont eux aussi que visent en première ligne les critiques, non plus seulement de Vanderpol, mais d’autres auteurs modernes. Ils s’en prennent avant tout à trois jésuites, Suarez,928 Valentia929 et Molina,930 auxquels ils se plaisent à opposer leur frère intransigeant Vazquez.931 Bien que ces critiques ne portent pas rigoureusement sur les mêmes points ni toujours sur les mêmes auteurs, elles procèdent d’une intention commune. Elles leur reprochent de s’être écartés de la doctrine de saint Thomas et de saint Augustin. A la guerre pénale du moyen âge ils auraient substitué, en la déformant subrepticement, une conception édulcorée, plus agréable à certains princes, réduisant la guerre à un procès civil : ce que traduirait notamment l’admission, à partir de cette époque, de la guerre juste des deux côtés. Les moteurs décisifs de cette corruption auraient été l’application du probabilisme au domaine de la guerre932 et la prédominance croissante du volontarisme juridique.933
32Ces objections ont été réfutées par Regout, à l’aide d’arguments qui nous paraissent pour l’essentiel convaincants. Une critique éventuelle, constate-t-il, devrait au premier chef s’adresser à Vitoria lui-même : ses successeurs n’ont fait que suivre ici son enseignement, tout en le développant, il est vrai, d’une façon qui laissait place, par certaines expressions maladroites, à quelque doute sur l’orthodoxie de leurs thèses. Pourtant, continue Regout, à bien les scruter, aucun de ces auteurs n’a véritablement admis dans le domaine de la guerre le probabilisme au sens où le clament leurs critiques modernes :934 ils s’en tiendraient tous à la conception médiévale de la guerre juste, qui n’aurait pas été uniquement l’indicative935 et dont ils se seraient bornés à développer certains aspects.
33Considérant le problème à notre tour, commençons par fixer les deux points de mire de la critique : le fait d’abord que certains auteurs aient admis qu’une guerre puisse se déclencher à la suite d’une cause simplement vraisemblable, sans être établie avec une certitude absolue ; puis le fait que cette cause et le tort correspondant aient cessé d’impliquer à leurs yeux une culpabilité. Réservons ce dernier point, qui touche au but même de la guerre en tant qu’institution, à l’examen de la causa finalis grotienne,936 pour nous arrêter seulement au premier problème : dans quelle mesure la doctrine des causes de guerre incertaines contredit-elle la doctrine traditionnelle de la guerre juste ?
34En ce qui concerne Vitoria lui-même, on a constaté que, s’il est le premier théologien à poser ouvertement ce problème, rien dans sa solution n’implique une rupture véritable. Il nous reste donc à examiner l’interprétation que ses successeurs ont donnée de ce groupe de dubia937 et les développements dont ils l’ont fait suivre. Cette filiation a été examinée en partie par Regout, qui s’est attaché surtout aux trois jésuites pris à parti, Suarez en tête. Or c’est le dominicain Bañez qu’il faut à notre avis considérer en premier lieu, car c’est de lui que semble procéder le mouvement décisif. L’antériorité de son commentaire de la Quaestio de bello sur celui de Suarez nous paraît quasi-certaine.938
35Les thèses de Bañez concernant la guerre tiennent en général de Cajetan plutôt que de Vitoria ;939 mais dans son exposé sur les causes de guerre incertaines ce rapport tend à se renverser : le principe d’action fondamental est encore emprunté à la Summula Caietani, mais les éléments de la discussion s’inspirent de la Relectio vitorienne. Il vaut la peine d’observer sa démarche de près : on y découvrira un nouvel exemple des procédés de construction de la scolastique tardive.
36Bañez commence par suivre le plan général de Vitoria : il part du devoir qu’a le prince de s’enquérir sur la situation juridique, en juge plutôt qu’en partie ; puis il suppose que l’examen ne soit pas concluant ; enfin il évoque les deux hypothèses de Vitoria, le bien étant ou bien aux mains d’une des parties ou bien vacant.940 A propos de ce dernier cas, il introduit une nuance, sans dépasser pour autant le cadre des dubia vitoriens, en distinguant deux nouvelles hypothèses : dans la première, les droits en présence paraissent équivalents, dans la seconde l’un des deux semble prévaloir : la solution, consistant à diviser le bien selon les droits respectifs, n’est en somme qu’une application de celle suggérée par Vitoria.941
37Alors seulement, Bañez s’aventure en terre nouvelle : il pose le cas d’un bien se trouvant aux mains de l’une des parties, mais sur lequel l’autre estime avoir un titre supérieur. Ainsi, chose que Vitoria n’avait pas envisagée, les règles sur la division de la propriété entrent en conflit avec celles qui régissent la garantie de la possession. Au vu de la situation incertaine, Bañez commence par accorder la préférence à la possession : sans iniuria manifeste, on n’est pas justifié à procéder à un acte de justice vindicative comme l’est la guerre selon l’enseignement de Cajetan.942 Ce tort serait pourtant réalisé, continue-t-il, si le demandeur faisait valoir son droit supérieur auprès du possesseur et que celui-ci se refusait à partager le bien en fonction des droits en présence. Dès lors, estime Bañez, ce seraient les règles sur la propriété qui auraient le dessus ; et il en naîtrait le droit de déclarer la guerre, sans qu’il soit d’ailleurs spécifié si elle pourrait porter sur l’ensemble du bien ou sur la part correspondant au droit.943
38Comme chez Vitoria, la guerre ne représente donc que le résultat, tout à fait évitable, d’une procédure visant à l’origine une solution amiable, l’échec étant dû à la rupture des règles du jeu par l’une des parties. Mais poussant la casuistique plus loin que Vitoria, Bañez se voit amené à rendre plus absolues les règles ébauchées par le maître et même à introduire des hypothèses et des règles nouvelles. Car, si Vitoria avait toujours envisagé un doute égal de part et d’autre, Bañez pose deux cas de vraisemblances inégales. Recherchant la solution dans le procédé de partage que Vitoria s’était borné à suggérer prudemment en cas de probabilités égales, Bañez l’érigé en maxime générale et lui trouve même un fondement nouveau assez inattendu dans un passage du traité du droit de saint Thomas.
39L’acception de personne peut-elle vicier n’importe quel jugement, avait demandé le saint docteur, en tirant une objection du fait que les jugements ne font d’ordinaire appel qu’à la justice commutative, alors que l’acception de personne viole uniquement la justice distributive. Or, faisait-il valoir, toute procédure n’en reste pas moins liée à la justice distributive si on la considère au point de vue, non plus de son objet, mais de sa forme : partant, l’acception de personne peut vicier tout jugement, par le truchement d’une faute de procédure.944 De cette conclusion, Bañez reprend, en manière de corollaire, l’idée que tout jugement est lié par sa forme à la justice distributive : et de conclure à son tour que, si deux vraisemblances inégales s’affrontent, le juge est tenu de trancher par référence aux principes de la justice distributive et de partager le bien en cause suivant les mérites respectifs des parties.945 Il parvient de la sorte à tirer d’un texte concernant l’acception de personne une maxime judicatoire : ce qui, pour être parfaitement scolastique, correspond sans doute peu à l’intention du Docteur angélique. L’élégance de la pirouette ne saurait cacher que des vraisemblances concernant l’objet du litige passeront difficilement pour les « mérites » envisagés par la justice distributive d’Aristote.946 Par ce biais, la probabilité d’un titre juridique se substitue à sa réalité objective, par hypothèse inconnue ; et de la comparaison des probabilités devenues « mérites » découlera la solution du litige, l’incertitude initiale sur le fond étant recouverte par une certitude procédurale.
40Passant au cours romain du Suarez sur le De caritate, on reste frappé devant les analogies qui malgré plusieurs nuances le rapprochent sur ce point des thèses de Bañez.947 La procédure vitorienne y est reprise avec la même ouverture sur le cas des probabilités inégales, si ce n’est que l’exposé de Suarez se présente en ordre inversé par rapport à celui de Bañez : chez ce dernier le principe général de partage ne se cristallise qu’au bout de la casuistique ; Suarez le mentionne d’entrée de cause et son renvoi à la justice distributive suggère qu’il entend le motiver de la même façon.948 Devant cette analogie, force est de constater que, lorsqu’on se demande si ces deux auteurs sont tombés dans l’hérésie du probabilisme, le jugement porté sur l’un vaudra aussi pour l’autre : leur relation avec Vitoria est semblable. Dans quelle mesure se sont-ils écartés de ses vues ? Le but et les principes généraux de leurs constructions sont les mêmes que chez leur prédécesseur : la guerre ne se justifie que face à un tort certain. Toutefois le procédé par lequel ils établissent cette certitude dépasse, semble-t-il, l’intention des brèves remarques, assez restrictives, de Vitoria : il est difficile de ne pas voir là une véritable innovation par rapport au modèle.
41Car Vitoria n’avait pas encore imaginé cet artifice par lequel la vraisemblance de fait se convertit en certitude de droit ; et qui, d’une probabilité, fait naître un titre juridique certain, devenu fondement légitime d’une revendication. Voilà ce qu’on a qualifié, à juste titre croyons-nous, de probabilisme. Mais cela suffit-il pour se rallier aux récriminations de Vanderpol ? En ne considérant que cet élément isolé, on est tenté de lui emboîter le pas : car cela semble bien avoir pour effet de faciliter au prince le déclenchement d’une guerre, en amollissant les verrous qui devaient l’en prévenir. Mais ce serait oublier qu’il ne s’agit que d’un élément, grandi outre mesure par les critiques en vertu d’une perspective moderne.949 A le replacer au contraire dans l’ensemble de la procédure, on s’aperçoit que les probabilités n’y tiennent qu’un rôle indirect et subordonné. Le principe demeure : seul un tort certain représente une cause de guerre valable. Tout au plus concédera-t-on que ce tort s’établirait ici plus facilement que chez Vitoria.
42En substance, Suarez professe ainsi la même doctrine que Bañez et, si les deux se sont éloignés de l’enseignement initial de Vitoria, ils se retrouvent tous deux à une distance égale de lui et sur la même trajectoire. Notons cependant que le jésuite s’exprime en des termes plus elliptiques, qui ne laissent transparaître les méticuleuses démonstrations du dominicain que par allusion : si bien que la construction initiale de Vitoria, demeurée parfaitement discernable chez Bañez malgré le développement qu’il lui a fait subir, devient moins facile à saisir chez Suarez. Certes, il rappelle par deux fois le pivot de cette construction,950 à savoir le clair départ entre la phase préalable, l’examen de la cause qui devrait aboutir à un règlement pacifique du litige ; et la guerre éventuelle qui ne fait que sanctionner la faute d’une des parties ayant entraîné l’échec de cette procédure. Mais au cours de l’exposé, ce cloisonnement tend à s’effacer et les deux phases à se fondre l’une avec l’autre ; or, bien que ce ne soit là que le résultat d’une malencontreuse concision, on n’en gagne pas moins l’impression que la phase préalable a perdu son caractère pacifique, ne visant plus qu’à calmer la conscience du prince résolu par avance à prendre les armes.951 Sans doute est-ce de cette impression, superficielle au demeurant, que provient le grief de probabilisme adressé à Suarez.
43Le poids de ce grief pèse plus lourdement sur son disciple Lessius, dont cette partie du commentaire à la Quaestio de bello suit de près la démarche de Suarez.952 Ce qui chez l’Espagnol n’avait été qu’une impression, passe chez le Belge au rang de principe.953 La distinction des deux phases procédurales semble s’effacer, le déclenchement de la guerre est fonction directe des probabilités en cause. Là on est justifié à parler de probabilisme. Mais comme le manuscrit de Bruxelles n’a été publié qu’après la première guerre mondiale, il semble avoir échappé à ce type de reproche et n’a d’ailleurs pu exercer, pour cette même raison, qu’une influence réduite. L’impression de probabilisme se renforce du reste encore à la lecture d’un passage du De iustitia et iure de Lessius.954
44Il en va différemment de Valentia, qui a donné à la doctrine des causes probables son expression la plus critiquée, bien qu’au rebours de Lessius ce soit à l’expression que cette critique doive se limiter : car sur le fond, Valentia n’est pas plus probabiliste, ici, que son camarade de volée Suarez, quand bien même il s’exprime d’une manière encore plus concise et plus équivoque. La cause de guerre doit être à ses yeux « certaine ou du moins très probable ».955 Or, la suite de l’exposé montre que cette « probabilité » équivaut pour lui à ce que les médecins légistes appellent une « vraisemblance confinant à la certitude » ;956 et que sur tout le reste Valentia est plus proche de Vitoria que Bañez lui-même. Là non plus, la guerre juste des deux côtés n’est admise per se ; elle l’est seulement per accidens, en vertu d’une ignorance invincible.957 En ce sens, Valentia invoque notamment l’exemple des Amorites,958 puis le cas des innocents soumis à un prince inique, en montrant que la lutte, juste de part et d’autre, l’était cependant par rapport à des objets distincts ; ce qui exclut l’idée même du combat judiciaire,959 supposant des prétentions également justifiées à l’égard d’un objet unique. Dans un ordre d’idées voisin, il nie que les actions réciproques des belligérants puissent se justifier au même titre du point de vue de la vertu de prudence.
45Enfin, l’analyse la plus détaillée et en même temps la plus orthodoxe du problème nous est donnée par Molina.960 Proche de Vitoria, comme à l’ordinaire, il examine les deux hypothèses posées par lui, tout en tenant compte des développements introduits par Bañez, non sans une critique voilée à l’égard de ce dernier.961 Son exposé tient de Vitoria aussi par son attention à la pratique contemporaine – il évoque le différend hispano-portugais sur les Moluques,962 ainsi que la dispute concernant l’annexion du Portugal par l’Espagne963 – et par l’atmosphère proprement internationale qui en émane, traduite en particulier par l’obligation de proposer l’arbitrage avant d’en venir aux armes.964 En substance, Molina raisonne selon les mêmes principes et aboutit aux mêmes conclusions que ses collègues, tout en montrant une réticence encore plus marquée à l’égard du déclenchement inconsidéré d’une guerre.965
46Telle nous paraît la vraie étendue des caries probabilistes décelables chez les théologiens auscultés. A n’en pas douter, ceux-ci dépassent la tradition médiévale en ce qu’ils élargissent la perspective : ils approfondissent la situation globale résultant de l’affrontement des adversaires et considèrent les hypothèses nouvelles qui en résultent : d’où la nécessité de recourir à des constructions inédites. Ce faisant, ils ne touchent cependant pas véritablement aux bases établies par leurs devanciers. Demeure intact en particulier – sauf peut-être chez Lessius – le principe cardinal que seul un tort certain est de nature à livrer une authentique cause de guerre.
47Pourtant nous savons que, parmi les jésuites de la fin du xvie siècle, il s’est déjà trouvé un critique radical de toute la doctrine des causes de guerre probables, ce qui lui a valu autant d’éloges966 que ses opposants ont essuyé de blâmes de la part de leurs censeurs modernes : Gabriel Vazquez. C’est dans ses Disputations relatives à la Prima Secundae, à propos du problème classique de la qualité morale d’une action volontaire fondée sur un jugement erroné qu’il soulève également la question des opinions probables, afin de déterminer dans quelle mesure celles-ci autorisent l’action sans mettre la conscience en péril.967 Entre autres, il envisage le cas d’un royaume sur lequel deux monarques font valoir des prétentions concurrentes, chacun estimant la sienne mieux fondée que celle de l’adversaire : dans quelle mesure, demande Vazquez, peuvent-ils se fier à cette probabilité et déclarer la guerre ?968
48Niant cette possibilité de manière absolue, il met en cause non seulement les thèses de ses prédécesseurs immédiats, de Bañez à Valentia, mais aussi celles de Vitoria lui-même. Son attaque paraît viser un double objectif : l’un est de caractère plus général, à savoir l’idée vitorienne du dédoublement fonctionnel permettant à chaque partie de se faire juge en sa propre cause ; l’autre est plus spécial, à savoir la construction par laquelle Bafiez et Suarez parviennent à transformer la vraisemblance en certitude. Il n’est pas évident du reste pourquoi Vazquez ne mentionne ses vrais adversaires, ses contemporains immédiats, que par allusion – recentiores aliqui969 – en attribuant leurs thèses tantôt à Vitoria, tantôt, par un détour assez compliqué, au Navarrais. Celui-ci ayant en effet préconisé le recours à l’arbitrage lorsque le différend ne pouvait se trancher ni par le droit, à défaut de juge supérieur, ni par les armes, les forces étant égales,970 Vazquez en déduit que si, au contraire, une décision était possible par la voie des armes à raison de la disparité des forces, il n’aurait pas interdit que l’on y recoure.971
49Une fois les objectifs désignés, Vazquez les attaque de front, en rejetant l’idée que chacune des parties puisse, à partir d’une probabilité, trancher à elle seule le différend en sa propre faveur, par un jugement souverain et exécutoire ; car la probabilité subjective passerait alors pour une certitude objective ; chacune des parties agissant de la sorte, la guerre deviendrait juste de part et d’autre ; et, en l’absence de toute injustice coupable clairement établie, elle perdrait sa justification essentielle en cessant d’être un acte de justice vindicative972 punissant une faute. N’aboutirait-on pas au duel judiciaire ? Comment dès lors échapper à la contradiction, sinon par l’arbitrage obligatoire, où c’est le jugement d’un tiers qui vient trancher le litige ?973
50Telles sont, fortement résumées, les thèses de Vazquez. Ses coups de bélier frappent-ils vraiment des murailles imaginaires, comme semble l’affirmer Regout ?974 Il est certain que, si ses critiques ne visaient que Vitoria et Azpilcueta, elles dépasseraient leur objet : le Navarrais ne s’est en fait pas prononcé sur la question et le professeur de Salamanque ne l’a fait qu’avec de prudentes réserves, sans jamais attacher une valeur absolue aux analogies procédurales qui étayent ses solutions. Mais si on les rapporte à Bañez et à ses successeurs, qui ont dépassé les enseignements de Vitoria, les critiques vazquéziennes portent au moins en partie au but. Elles mettent à nu l’aspect problématique de leur construction et qui avait cessé de paraître tel en cette fin de siècle. Rejetant en bloc la doctrine baroque des causes de guerre probables, Vazquez se rabat sur une conception plus fruste de la guerre juste, essentiellement vindicative et « augustinienne », dans le style d’Alexandre de Hales et de Cajetan.975 Ce faisant, il interprète toutefois la tradition de façon trop étroite.976
51Pourtant, chose remarquable, il n’exclut pas la possibilité d’une guerre juste des deux côtés à raison d’une ignorance invincible,977 ce qui achève de montrer que, si cette question présente avec celle des causes de guerre incertaines une connexité – superficielle, due à l’analogie de la perspective –, elle n’en demeure pas moins distincte par son fondement, qui relève de l’erreur et non du doute. Par delà leurs divisions, ce point est donc admis communément par les théologiens du xvie siècle.
5. La justice matérielle bilatérale chez Grotius et son rejet du subjectivisme de ses prédécesseurs
52Examinant lui aussi, l’année même de la mort de Vazquez, « cette question difficile et hautement controversée »,978 Grotius entend la résoudre non pas en fonction des auteurs, mais à la lumière des principes qu’il vient de poser lui-même en fait de cause matérielle. Car c’est là qu’il voit le nœud du problème. Toutes les autres conditions de la guerre juste, dit-il en songeant peut-être au Frère d’Asti,979 – compétence, mesure et intention – peuvent se trouver réunies de part et d’autre ; jamais en revanche cela ne sera le cas de la cause matérielle, du moins en tant qu’elle concerne les agents volontaires ; mais comme les subordonnés sont mus par une cause distincte, leur situation pourra en différer : c’est donc en fonction de ce clivage essentiel que Grotius résout également ce problème-là.980
53Ainsi, en ce qui concerne les chefs, il ne considère ni l’hypothèse des probabilités concurrentes – que Vitoria au moins lui aurait permis d’envisager, car par ailleurs il paraît, sur ce point encore, tout ignorer entre Bañez et Valentia – ni même celle, chère aux juristes, d’une situation juridique obscure : il n’admet que l’hypothèse d’une situation, sinon toujours tranchée, du moins toujours déterminable, de telle manière que le ius vient se situer tout entier d’un côté, l’iniuria de l’autre. Tout au plus admet-il à l’instar des théologiens la possibilité d’une erreur commise de bonne foi par l’une des parties, telle que sa pratique du for a pu lui en faire rencontrer. Cependant il refuse d’en tirer la moindre conséquence juridique. A supposer même que l’erreur soit excusable, il n’en découlerait à son avis pas le moindre droit en faveur du plaideur qui en est la victime. La guerre ne sera donc jamais juste des deux côtés en ce qui regarde les agents volontaires : eorvm qvi volvntarie agvnt respectv bellvm ex vtraqve parte ivstvm non datvr.981 Conclusion tranchée, qui ne contredit pas vraiment les thèses des théologiens. S’ils ont admis la justice bilatérale de la guerre, c’est toujours en un sens impropre, per accidens, en tenant compte de la subjectivité de l’un des belligérants, mais jamais à titre objectif, per se. En affirmant que la guerre ne saurait être juste pour les deux belligérants à la fois, Grotius ne fait que donner de leur commune doctrine une interprétation stricte.
54La situation des subordonnés est différente. Car pour eux la iustitia belli s’évalue non par référence au point unique que représente le ius, mais en fonction des ordres reçus de leurs supérieurs respectifs et donc par rapport à des instances distinctes, indépendantes, qui les obligent de part et d’autre au même degré grâce à une présomption de licéité réfragable seulement en cas d’illicéité manifeste. Partant, la guerre peut être à leurs yeux objectivement juste des deux côtés à la fois.982
55On n’a pas prêté une attention suffisante à la nouveauté de cette conception grotienne, reflet direct de ce qui a été nommé plus haut la dissociation des causes matérielles. L’innovation ne réside pas dans la distinction entre chefs et subordonnés : on l’a dit, bien d’autres l’avaient à tout le moins esquissé avant lui.983 On aurait tort aussi de rechercher la nouveauté dans l’idée de présomption et d’obéissance : elle était au fond implicite déjà dans le Contra Faustum.984 Mais, de ces éléments connus, Grotius déduit avec une rigueur presque mathématique une conséquence qui lui permet de reformuler le principe de la justice bilatérale en tant qu’il regarde les subordonnés.
56Evaluée toujours par rapport à une seule cause matérielle, la bilatéralité n’avait jamais été envisagée que sous un jour négatif, à raison de l’excuse tirée de l’écran d’ignorance séparant les sujets des affaires publiques, si bien que, fondée sur le fait purement subjectif de l’erreur invincible, elle ne devait son existence qu’à une illusion.985 Cela se reflète bien dans la terminologie de nos auteurs : ainsi Covarruvias avait distingué la justice quoad veritatem et celle quoad opinionem, seule la seconde pouvant se réaliser de part et d’autre ;986 et après lui Molina soutiendra la possibilité d’une guerre juste de part et d’autre formaliter tantum, sans qu’elle puisse jamais le devenir materialiter.987 Des auteurs du xvie siècle, Grotius allègue sur ce point notamment Vitoria, Covarruvias et Soto,988 tous partisans, avec diverses nuances, du principe de la justice bilatérale subjective. C’est à eux qu’il songe lorsqu’il présente sa solution, restée à son avis jusque-là inaperçue. Il écarte en fait le caractère subjectif de leur construction, en faisant porter la présomption de justice non plus sur l’unique cause matérielle de la guerre, mais sur les ordres émanant de part et d’autre des supérieurs : glissement à peine perceptible, mais qui nous paraît décisif : car ce qui, ailleurs, était demeuré tout au plus implicite trouve ici une justification positive. Raisonnant, au point de vue des subordonnés, en fonction de centres de référence distincts et investis d’une autorité égale, Grotius parvient à concevoir à leur niveau une guerre objectivement juste de part et d’autre ; non plus seulement formaliter et quoad opinionem, mais aussi materialiter et quoad veritatem.
57Dès lors, le statut juridique objectif dont on a vu que Grotius fait bénéficier les combattants réguliers,989 se trouve réalisé de part et d’autre au même degré, non plus en guise de cas limite exceptionnel et précaire, mais à titre de régime juridique ordinaire. Grotius n’est certes pas le premier, en cette fin du chapitre vii, à ranimer la vieille figure romaine du iustus hostis : il s’en faut de beaucoup, puisque dès l’automne du moyen âge le miles – redevenu peu à peu, à travers le mercenariat, du chevalier qu’il avait été, le combattant régulier qui nous est familier – avait occupé les esprits, comme le marquent plusieurs dissertations réunies dans l’Oceanus iuris.990 Mais notre auteur est le premier, semble-t-il, à l’insérer dans un cadre théorique cohérent, tenant à la fois du monde ancien et de la philosophie morale chrétienne. C’est dans cette perspective que sa formule conclusive assume tout son sens : svbditorvm respectv bellvm ex vtraqve parte ivstvm datvr : praecedente scilicet ivssv cvi ratio probabilis non repvgnet.991
Notes de bas de page
865 F. H. Russell, The Just War, p. 92, note 14.
866 Cf. supra, p. 165, note 609.
867 Cf. supra, pp. 165 ss.
868 Bañez parle d’un « commune axioma Theologorum & Iurisperitorum ». De fide, spe, et charitate, xl, 1, Dubitatur quinto, 2a conclusio, col. 1360, i. f.
869 De civitate Dei, xix, 7.
870 La question fut cependant effleurée en passant par Ange de Pérouse, en 1396 déjà, dans sa disputation Renovata guerra ; cf. infra, p. 205, note 877. Pourtant ses brèves notations sont restées à l’écart des courants de pensée que nous décrirons dans la suite.
871 Cf. supra, pp. 98-99, notes 215 et 216.
872 Raphaël Fulgosius, In primant Pandectarum partem commentariorum tomus primus, Lyon, 1554, ad Dig., 1, 1, 5.
873 Il s’agit plus précisément d’irrationalité matérielle au sens de Max Weber ; cf. Rechtssoziologie, aus dem Manuskript herausgegeben und eingeleitet von Johannes Winckelrhahn, Neuwied am Rhein et Berlin, 1967, pp. 122 ss.
874 Cf. infra, pp. 298 ss.
875 Au sens de Cari Schmitt ; cf. Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes, Hambourg, 1938, p. 66 ; Der Nomos der Erde, p. 128. Dans les deux cas, le terme est appliqué à Jean Bodin.
876 Andreas Alciatus, Paradoxorum iuris civilis liber secundus, cap. xxi, in : Opera omnia, t. iv, Francfort, 1617, coll. 46-48.
877 Dans le titre même de ce Paradoxe, Alciat se réclame expressément de Fulgose. Il n’est pas certain si son interprétation déformée des thèses de ce dernier ne pourrait être due à une influence de la disputation Renovata guerra d’Ange de Pérouse (cf., pour la donnée, supra, p. 117). Cet auteur y avait en effet clairement posé et admis dans son principe l’hypothèse d’une guerre entre deux personnes non souveraines, et qui serait juste de part et d’autre parce que chacune se déclarerait en état de légitime défense et que leurs allégations seraient également plausibles. Il conclut par cette remarque générale : « Multe enim possunt existere cause propter quas quilibet potest habere iustam causam faciendi guerram sicut videmus in bello iudiciali in quo unus habet iusticiam. tamen alter habet iustam causam litigandi nec ex eius parte lis dicitur improba quod apparet quia releuatur a refectione expensarum propter iustam causam litigandi… » Loc. cit., n. 1, fol. 56r. Antérieure de trois décennies aux commentaires de Fulgose, cette disputation devrait être considérée comme le véritable ancêtre de la thèse de la justice bilatérale fondée sur l’incertitude matérielle ; pourtant Alciat, que nous considérons comme son auteur, ne semble pas avoir connu le texte d’Ange, si bien que la continuité est rompue. La disputation d’Ange n’est, à notre connaissance, invoquée nulle part sur ce point.
878 Andreas Alciatus, In aliquot Digestorum titulos commentaria, ad Dig., 1, 1, 5, nn. 14 ss.
879 « ... videtur, quod licita sit argumentatio de bello ad litem iudiciariam. ... Sed in iudicio, quando lis contestata est, & partes iurarunt de calumnia, quamvis necessarium sit, quod altera iniuste litiget : tamen ex quo lex praesumit vtranque partem esse in bona fide, ideo dicuntur iuste litigare interim donec iudicetur. Sic in nostro casu bella ipsa sunt ex vtraque parte licita, ratione dubietatis. » Loc. cit., nn. 27-28.
880 Ibid., n. 28, c. med.
881 « Vnde potest sic distingui, quod aut sumus in dubio, quae pars foueat iustitiam : & tunc vtraque pars dicitur iuste litigare, ratione dubietatis… aut clarum est, quod vna pars iniuste belligerat, & tunc illi iniuste litigantes, non dicuntur hostes, sed potius latrun-culi… » Loc. cit., n. 28. L’argument du doute conditionnant l’égalité « hostile » est repris plus bas aux nn. 30 et 44.
882 Sans les avoir consultées soi-même, on reprenait communément l’ensemble des références alléguées par un auteur sur un point donné, afin d’augmenter le poids d’une thèse.
883 D. Covarruvias, Relectio in Regulant Peccatum, ii, § 10, n. 6, p. 507.
884 La Relectio in Regulam Peccatum date de 1547-1548. Covarruvias, après être devenu bachiller en Leyes en 1534, avait suivi des cours de théologie chez Soto et Vitoria ; cf. Luciano Perena Vicente, Diego de Covarrubias y Leyva, Maestro de Derecho internacional, Madrid, 1957, pp. 17 et 39.
885 A. Gentilis, De iure belli, i, 6, pp. 47 ss.
886 Ibid., en part. pp. 48-49 et 50.
887 Ibid., p. 49, c. med. Il est vrai cependant que vers la fin du chapitre Gentili paraît admettre l’égalité des parties et des droits même dans un tel cas ; ibid., pp. 51-52.
888 Cf. également Richard Zouche, Iuris et iudicii fecialis explicatio, Oxford, 1650, ii, 6, p. 116 (CIL, n° 1).
889 On reviendra aux thèses de Fulgose ci-après, pp. 285-287.
890 « Non fuit ciuitas, quae se non traderet filijs Israël, praeter Heuaeum, qui habitabat in Gabaon, omnes enim bellando cepit. » A. Tostatus, Commentaria in Iosue, cap. xi, q. ix, p. 12.
891 Voici le texte correspondant de la Vulgate : « Non fuit civitas, quae se traderet filiis Israel, praeter Hevaeum, qui habitabat in Gabaon : omnes enim bellando cepit. » Jos., xi, 19, suivant l’éd. A. Martini, Prato, 1828. Cette version correspond au texte hébreu ; pour la lecture qu’il nous en fit, nous remercions M. Edward Kossoy. La variante que suit Tostado, et qui semble avoir correspondu à une tradition manuscrite, implique un contresens ; il s’en rend bien compte et finit par attribuer en fait au texte le sens de la Vulgate et de l’hébreu. Cf. op. cit., p. 14.
892 Op. cit., q. xi, pp. 14 ss.
893 Ibid., p. 17, col. b.
894 Ibid., p. 18.
895 Op. cit., q. xii, pp. 18 s.
896 Ibid.
897 Ibid. p. 19.
898 Cf. T. Urdanoz, Obras de Francisco de Vitoria, Madrid, 1960, Introducción biografica, pp. 8 ss.
899 I. Maior, In quartum Sententiarum quaestiones, xv, q. xx, fol. 88v.
900 Ibid., fol. 89v.
901 Cf. supra, pp. 191-192.
902 De iure belli, n. 32.
903 Ibid., nn. 20-31.
904 Comentarios, ad S.T., ii, ii, 40, 1, nn. 5-7. En cet endroit affleure déjà en des termes presque modernes la problématique de l’intervention.
905 Ibid., nn. 6 et 7. Le problème du doute est ensuite soulevé à propos des subordonnés, n. 8.
906 Ibid., n. 7.
907 Dig., 50, 27, 128 ; cf. aussi Dig., 50, 27, 126. Il est probable cependant que Vitoria songeait plutôt à la formulation de Boniface viii, Liber Sextus, v, xii, 65.
908 Cf. supra, p. 197.
909 De iure belli, n. 21.
910 Ibid., n. 27.
911 Ibid., nn. 27 et 28.
912 Alors que les chantres modernes de Vitoria ont voulu faire de lui le prophète de la Société des Nations à l’aide de comparaisons spécieuses, la parenté de cette procédure de règlement avec celle des arts 12 ss du Pacte de la S. d. N. semble avoir passé inaperçue.
913 De iure belli, nn. 20, 27 et 28.
914 « Quartum dubium est an possit esse bellum iustum ex utraque parte. » Ibid., n. 32.
915 « Respondetur. Prima propositio : Seclusa ignorantia manifestum est quod non potest contingere. Quia si constat de iure et iustitia utriusque partis, non licet in contrarium bellare, nec offendendo nec defendendo. »
Secunda : Posita ignorantia probabili facti aut iuris, potest esse ex ea parte qua vera iustitia est bellum iustum per se, ex altera autem parte bellum iustum, id est, excusatum a peccato bona fide. Quia ignorantia invincibilis excusat a toto. Item, saltem ex parte subditorum saepe potest contingere. Dato enim quod princeps, qui gerit bellum iniustum, sciat iniustitiam belli, tamen (ut dictum est) subditi bona fide possunt sequi principem suum. Et sic ex utraque parte subditi licite pugnant. » Ibid., n. 32.
916 Outre le texte précité, relevons en ce sens le n. 49.
917 Ibid., n. 59.
918 De indis, iii, n. 6. Le concept d’ignorance invincible est discuté ibid., ii, nn. 8-9. Cf. aussi Thomas de Aquino, S.T., i, ii, 76, 2 et 3. Pour les critiques modernes à cet égard, cf. infra, pp. 212 ss.
919 De iure belli, n. 27.
920 Ibid., n. 28.
921 Ibid., n. 29. La notion de dédoublement fonctionnel lui est du reste appliquée par son inventeur même, Georges Scelle, « Jus in bello, jus ad bellum », in : Varia Juris Gentium. Liber Amicorum, Aangeboden aan Jean Pierre Adrien François, Leyde, 1959, p. 293.
922 II apparaîtra plus bas que même cette phase-là est en fait dédoublée, suivant qu’on se situe avant ou après la victoire. Cf. infra, pp. 420-421.
923 Cf. supra, p. 211, note 918.
924 A. Vanderpol, La doctrine scolastique, n. 179, pp. 267 ss.
925 Sur ce problème, cf. T. Urdanoz, Obras de Francisco de Vitoria, Introducción biografica, pp. 22 ss et 74 ss ; Herbert F. Wright (coéd.), De Indis et de Ivre Belli Relectiones, Prefatory Remarks concerning the Text, pp. 191 ss (CIL, n° 7),
926 De iure belli, n. 32. Cf. supra, p. 211, note 915.
927 Blaise Pascal, Les Provinciales, Paris, 1922, en particulier les lettres v et xiii, t. i, pp. 75 ss et 209 ss. Cf. aussi, du même, Pensées, éd. L. Brunschwicg, nn. 907 ss.
928 J. T. Delos, La société internationale, pp. 226 ss.
929 A. Vanderpol, La doctrine scolastique, n. 182, pp. 273-274. R. Regout, La doctrine, pp. 245 ss.
930 A. Vanderpol, La doctrine scolastique, nn. 176 et 180, pp. 261 ss et 271-272.
931 A. Vanderpol, op. cit., n. 174, pp. 256 ss.
932 A. Vanderpol, op. cit., nn. 172 et 173, pp. 250 ss.
933 J. T. Delos, La société internationale, en part. pp. 244 ss.
934 R. Regout, La doctrine, pp. 190 ss. Cet auteur ne perçoit une exception possible que dans un passage de Valentia, mais y voit seulement l’effet d’une « rédaction négligée ». Ibid., pp. 247-250.
935 Ibid., notamment à propos de Vitoria, pp. 152 ss et de Molina, pp. 250 ss. Cf. également infra, pp. 417 ss.
936 Cf. infra, pp. 407 ss.
937 Cf. supra, pp. 209 ss.
938 Car, si le cours de Suarez a été professé durant les années 1583 et 1584, c’est dans cette dernière année qu’ont paru les commentaires de Bañez, à Salamanque, apud S. Stephanum O. P. Pour le cours de Suarez, cf. Raoul de Scorraille, François Suarez, Paris, 1912, t. i, p. 174. Il est douteux que Suarez ait eu connaissance du commentaire de Bañez au moment de donner son cours. Sans le nier catégoriquement, Regout l’estime peu probable ; cf. La doctrine, p. 236. Pourtant il ne laisse pas d’être frappé par certaines analogies entre les deux œuvres. En l’absence de données plus probantes, on peut seulement affirmer que, si entre les deux auteurs il y a eu influence, elle s’est exercée de Bañez à Suarez : de sorte qu’il faut considérer en premier lieu le dominicain. Du reste, Regout admet lui-même que sa « doctrine mérite certainement qu’on lui prête plus d’attention qu’on ne l’a fait jusqu’à présent » ; op. cit., p. 236. S’il donne la préséance à Suarez c’est « pour des raisons d’ordre pratique », notamment parce que Suarez a essuyé plus de critiques que Bañez ; ibid., pp. 193-194.
939 Cf. aussi R. Regout, op. cit., p. 236.
940 D. Bañez, De fide, spe, et charitate, xl, 1, Dubitatur quinto, conclusiones 1-3, coll. 1359-1362.
941 Ibid., concl. 3, i. f., col. 1362.
942 Cf. infra, pp. 409 ss.
943 Ibid., concl. 4, col. 1362.
944 Thomas de Aquino, S.T., ii, ii, 63, 4.
945 D. Bañez, op. cit., concl. 3, coll. 1361-1362.
946 Aristote, Ethique, v, 1130 ss.
947 Cf. sur ce point l’excellent exposé de Luciano Pereña Vicente, Teoria de la guerra en Francisco Suarez, vol. i : guerra y estado, Madrid, 1954, pp. 240-270.
948 F. Suarez, Opus de triplici virtute, xiii, vi, nn. 1-6. Tout se passe comme si Suarez avait intercalé après coup, fortement résumé, un passage entier de Bañez, devenu, dans l’éd. princeps de 1621, loc. cit., n. 1, alors que dans une première version, qui aurait pu se trouver à la base de son cours romain, il se serait limité aux deux cas principaux de Vitoria et qui, en tant que nn. 3-4, forment maintenant la suite de son exposé. Hypothèse à vrai dire infirmée par le fait, d’une part, que Suarez n’a sans doute pas songé lui-même à publier cette partie de son cours romain, parue seulement à titre posthume, si bien qu’on ne voit pas pourquoi il aurait revu ses notes ; et, d’autre part, à raison du témoignage indirect de Lessius, qui suit la même démarche dans son propre cours donné quelques années plus tard seulement, après avoir été parmi les auditeurs de Suarez à Rome ; cf. infra, pp. 217-218. Il est donc probable que le cours de Suarez a été donné en 1584 tel qu’il sera édité en 1621.
Rien n’empêche en revanche que Suarez ait eu connaissance de la construction de Bañez par le truchement de quelque manuscrit circulant dès avant la publication du De fide, spe et charitate en 1584, et qui aurait pu l’inspirer dans la composition de son cours. Pour le problème de la circulation des opinions et des manuscrits, cf. L. Perena, « La Genesis suareciana del ius gentium », Introduction à : F. Suarez, De Legibus (ii 13-20), De iure gentium, Madrid, 1973, p. xx, (Corpus Hispanorum de Pace, vol. xiv).
Quoi qu’il en soit de ces interactions, les analogies entre les passages de Suarez et de Bañez sont patentes.
949 Perspective née au cours du xixe siècle, quant à ses composantes humanitaires et pacifistes, et confirmée dès après la première guerre mondiale à raison de la composante technologique et de ses conséquences dans le domaine des moyens de guerre.
950 F. Suarez, Opus de triplici virtute, xiii, vi, nn. 1 et 6.
951 Cf. en particulier op. cit., loc. cit., n. 2. L’impression se renforce encore par le rejet de l’arbitrage obligatoire ; ibid., nn. 5 et 6.
952 L. Lessius, Commentarius in secundam secundae, xl, dubium 4, éd. Bittremieux, pp. 118 ss.
953 Cela se marque non seulement par les formules mêmes, qui laissent à peine entrevoir la dualité de la procédure, telle que l’avait conçue Vitoria, mais aussi par un ordre nouveau des cas.
954 L. Lessius, De iustitia et iure ceterisque virtutibus cardinalibus, Lyon, 1922, ii, v, iv, n. 12. Cf. infra, p. 294, note 1393.
955 G. de Valentia, Commentaria theologica, vol. iii, iii, xvi, ii, 5°, col. 714.
956 Il se peut que Valentia ait songé à la certitude procédurale de Bañez.
957 G. de Valentia, op. cit., loc. cit., 8°, coll. 716-718. A vrai dire, il semble ici fortement se rapprocher des juristes et de l’idée de l’incertitude matérielle. Pourtant nous croyons que opinio probabilis désigne ici simplement une « erreur plausible », exempte de toute négligence. Il reste que tout ce passage est équivoque et nous fait rejoindre l’appréciation de Regout, supra, p. 213, note 934.
958 Ibid., col. 717.
959 Ibid., col. 717.
960 L. Molina, De iustitia et iure, ii, ciii, nn. 1-14.
961 Loc. cit., nn. 7-8.
962 Loc. cit., nn. 3 et 11.
963 Loc. cit., n. 14.
964 Loc. cit., nn. 9-11.
965 Cf. aussi sur ce point infra, pp. 417-426.
966 A. Vanderpol, La doctrine scolastique, n. 174, pp. 256-258.
967 Thomas de Aquino, S.T., i, ii, 19, 6.
968 G. Vazquez, Commentariorum ac disputationum in primant secundae Sancti Thomae tomus primus, Lyon, 1631, disp. 64, cap. 3.
969 Ibid., n. 10.
970 Martinus ab Azpilcueta (Doctor Navarrus), Enchiridion sive Manuale confessariorum et poenitentium, Anvers, 1581, chap. xv, 21° (= n. 15), p. 246.
971 Ibid.
972 Pour cette notion, cf. infra, pp. 409 ss.
973 Ibid., nn. 10-20.
974 R. Regout, La doctrine, pp. 230 ss. Cet auteur reconnaît pourtant une certaine valeur aux objections de Vazquez.
975 Cf. infra, pp. 414 ss.
976 Cf. infra, pp. 419 ss.
977 Op. cit., loc. cit., n. 16.
978 IPC, cap. vii, fol. 35’ (p. 82). En marge du ms., Grotius avait écrit, puis biffé, le mot solvtio, à l’endroit même où commence ce développement.
979 Il avait énoncé quatre conditions de la guerre juste, en ajoutant aux trois conditions de saint Thomas la modestia. Summa astexana, iii, lxiv.
980 IPC, foll. 35’-36 (pp. 82-84).
981 IPC, fol. 36 (p. 83).
982 Ibid.
983 Cf. en particulier Alexandre de Hales, qui fait porter deux des conditions de la guerre juste, affectus et auctoritas, sur la personne du belligérant, persona indicentis bellum, deux autres en revanche, conditio et intentio, sur ses subordonnés, persona peragentis bellum ; Summa theologica, iii, n. 466. Cf. aussi St. Thomas, S.T., ii, ii, 40, 1, ad 1. Paulus de Castro, Lectura super prima digesti veteris, Lyon, 1511, ad Dig., 1, 1, 5, § In tex. ibi introducta bella, fol. 4r, col. a ; et, ad eundem loc., Repetitio, § Circa secundum de bello, fol. 5r, col. a ; Panormitanus, Super secundo decretalium, ad Decretales, ii, 24, 29, n. 12. A. Alciatus, In aliquot Digestorum titulos commentaria, ad Dig., 1, 1, 5, nn. 27 et 44, coll. 5 et 10. Dominicus de Soto, De iustitia et iure, v, i, 7 et v, iii, 5 ; P. Bellus, De re militari, ii, ii ; Fernandus Vasquius, Controversiae illustres, i, 9, nn. 15-18, pp. 110 ss. Pour John Mair et Francisco de Vitoria, cf. supra, pp. 208 ss.
984 Cf. supra, p. 190, note 776.
985 Cf. supra, pp. 197 et 201.
986 D. Covarruvias, Relectio in Regulam Peccatum, ii, § 10, n. 6.
987 L. Molina, De iustitia et iure, ii, disp. ciii, nn. 4 et 11.
988 Cf. infra, p. 223, note 991.
989 Cf. supra, p. 202, ainsi que infra, pp. 378 ss.
990 T.U.I., xvi ; cf. en particulier les textes de Laudensis, Caepolla, Coteraeus et Mantuanus.
991 IPC, fol. 36 (p. 84). L’écriture est différente à partir de praecedente. Cette seconde moitié de la formule paraît rajoutée. A l’origine, la formule avait été purement « romaine », l’élément « chrétien » ne s’est greffé sur elle que dans un deuxième temps. Relevons en ce sens le double point qui sépare les deux moitiés, et qui à l’origine avait sans doute été un point ; et surtout les corrections apportées erf marge aux références. D’abord Grotius n’a renvoyé qu’aux Controverses de F. Vasquez, qui fondent la bilatéralité du droit de guerre sur l’idée du contrat liant les mercenaires ; cf. infra, pp. 295-298. Si cette construction est en soi peu romaine, elle fait du moins abstraction de l’élément subjectif de la conscience du soldat, qui nous paraît proprement chrétien. Or cette unique référence a été biffée, puis récrite plus bas, mais précédée cette fois des renvois à Vitoria, Covarruvias et Soto. Cette modification correspond exactement au rajout de la seconde moitié de la formule conclusive, qui comporte un double élément autoritaire (absent chez Vasquez) et moral. Pour le probabilis compris dans le rajout, cf. supra, pp. 200-201, et, pour l’importance de ce remaniement concernant les effets de la guerre, cf. infra, p. 378.
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