Le crédit individuel “Adashen-Mata”
p. 207-211
Texte intégral
1L’organisation non gouvernementale Weybi est une ONG de lutte pour la défense des intérêts stratégiques de la femme nigérienne. Dans cet objectif, elle a créé Adashen-Mata, une solution pragmatique inspirée du système traditionnel de tontine. Adashen-Mata a pour but de contribuer à financer les activités génératrices de revenus des femmes en vue d’assurer leur autonomie financière. Adashen-Mata a été créé après plusieurs phases de luttes dont voici une brève description.
Première phase : la lutte théorique
2La lutte théorique (idéologique si l’on peut dire) a polarisé l’organisation au démarrage. Il faut rappeler qu’à l’origine, l’idée de constituer l’ONG Weybi provenait d’un groupe de femmes universitaires qui se sont demandé ce qu’elles pouvaient faire face à la situation critique que vit la femme nigérienne. Une situation qui est illustrée par :
une absence totale de la femme dans les prises de décision,
des conditions de vie précaires,
l’injustice sociale, l’analphabétisme poussé, une santé désastreuse… tout cela se reflétant dans des indices de développement humain parmi les plus bas au monde.
3Aussi, tout naturellement et à la faveur du contexte de démocratisation qui s’amorçait à l’époque, l’ONG Weybi s’est lancée d’entrée de jeu (en particulier à travers son journal du même nom “Weybi”) dans un débat autour de grands thèmes tels que :
l’organisation des femmes en groupements capables de s’imposer dans leur milieu afin de les aider à prendre la parole (1991),
la défense du droit de vote des femmes (1992),
la démocratie et les femmes (1993),
la claustration des femmes et l’utilisation abusive du travail des petites filles (1993-1997),
la promotion de l’éducation de la petite fille (1993-1997),
la défense du code de la famille (1994).
4Et malheureusement c’est à ce niveau-là que d’autres organisations sont intervenues pour combattre nos actions ainsi que celles de toutes les organisations féminines de défense de droits et libertés des femmes en utilisant hélas des femmes pour ce faire.
5D’une façon générale l’effervescence politique qui a caractérisé cette démocratisation naissante s’est soldée négativement pour les femmes car elles ont été utilisées sans contrepartie honorable au cours des votes qui ont eu lieu et des régimes qui se sont succédé jusqu’à ce jour.
Deuxième phase : les projets de développement et l’autonomie
6Après ce premier faux pas, Weybi a décidé de changer de stratégie d’intervention tout en poursuivant le même but. Au lieu de ne s’intéresser qu’à la défense des droits théoriques, notre organisation a compris que l’obtention de ces droits découle naturellement de l’acquisition du droit de pouvoir choisir. Elle a donc considéré que l’atteinte de cet objectif passe par la recherche de l’indépendance économique des femmes. Elle a, de ce fait, privilégié la constitution et l’animation de groupements féminins dans différents corps de métiers où la femme a acquis traditionnellement une maîtrise technique, tout en recherchant une ouverture sur des activités modernes et des marchés rémunérateurs.
7Sur un plan plus global, à partir de l’analyse des contraintes que vivent en général les femmes dans leur milieu et des atouts qu’elles possèdent, Weybi a soutenu diverses AGR (moulins, boutiques coopératives, embouche, petit élevage, commerce, etc.) au sein des groupements féminins, en recherchant la meilleure synergie possible entre ces AGR afin d’accroître la motivation des femmes et de consolider leur organisation. Les résultats atteints à cet égard sont assez remarquables. A titre d’exemple, dans la localité de Garbel et alentours (arrondissement de Kollo), où Weybi a concentré un certain nombre d’AGR judicieusement choisies, après deux ans à peine d’activités et d’animation, les femmes du groupement ont créé dix écoles et se sont engagées à en prendre en charge le fonctionnement grâce aux ressources tirées de leurs différentes AGR. Elles ont également financé elles-mêmes un moulin pour les femmes d’une localité voisine.
8Actuellement Weybi compte dans ses rangs sept antennes et cent groupements féminins avec plus de 30 000 membres exerçant dans divers corps de métiers et répartis sur l’ensemble du territoire national (Diffa, Mirriah, Dosso, Agadez, Arlit, Téra, Say, Niamey Commune, etc.).
9Cependant deux constats décevants se dégagent de cette phase :
les appuis que les femmes reçoivent d’horizons divers sont malgré tout insuffisants et aléatoires,
il existe de nombreuses activités génératrices de revenus auxquelles les femmes se livrent mais leur expansion est limitée faute de crédit.
10En outre, dans la plupart des projets de développement, il est aisé de constater qu’en matière de crédit et de financement d’activités spécifiques par groupes sociaux une certaine discrimination subsiste encore aujourd’hui à l’endroit des femmes. Cette situation perdure malgré l’approche “Genre et Développement” prônée par divers organismes de développement qui reconnaissent qu’aucun développement social harmonieux n’est possible sans une démarche qui appréhende de façon équilibrée les préoccupations aussi bien des hommes que des femmes.
11Par ailleurs, d’une manière générale, l’expérience pratique de Weybi a montré que le système classique de financement des projets destinés aux femmes est véritablement inefficace.
12En effet, l’intérêt des femmes est polarisé autour d’une diversité de petites activités. Ce sont des opportunités nécessitant peu de ressources, qui surgissent momentanément et dont la satisfaction exige une réaction très rapide ou quasi instantanée. Il faut donc un système de crédit très flexible et très décentralisé. Or, les financements disponibles aujourd’hui imposent aux ONG le montage de projets dont on connaisse par avance toutes les étapes.
13Une fois le dossier élaboré et toutes les étapes franchies, l’opportunité de l’action ciblée est parfois dépassée ; les femmes bénéficiaires sont souvent démotivées et remettent en cause la crédibilité de l’ONG. Lorsque le projet finit malgré tout par se réaliser, les étapes finales n’épargnent pas non plus l’ONG (rapport d’exécution, rapport d’évaluation, etc.) alors qu’il s’agit parfois d’opérations ponctuelles et minimes au regard desquelles l’énergie dépensée par l’ONG (bénévolement !) apparaît tout à fait démesurée. Les difficultés qu’éprouve alors l’ONG à satisfaire les exigences des bailleurs de fonds finissent également par semer le doute chez ces derniers. Ainsi donc, le cycle entier du projet se révèle infernal pour l’ONG, qui risque ainsi de perdre de son efficacité et de sa crédibilité. En fin de compte au lieu du renforcement de la société civile, c’est l’inverse qu’on obtient.
14Par ailleurs, les financements par subvention, même à travers les ONG, engendrent une conséquence négative sur les groupements féminins. En effet, il s’opère une substitution de dépendance : les groupements qui reçoivent beaucoup de subvention finissent par être dépendants de l’ONG donatrice. Les femmes de ces groupements ne peuvent pas développer des initiatives sans le concours de l’ONG, dont l’activité elle-même est fortement dépendante du dynamisme de ses leaders. En fin de compte, ce qui constitue la force du système s’avère être sa principale faiblesse.
15En revanche, l’expérience de Weybi montre que là où les réussites ont été les plus fiables, les plus fréquentes et les plus marquées, c’est lorsqu’il s’est agi de crédit. Par conséquent le crédit se révèle comme le moyen le plus sûr pour mobiliser correctement les femmes. D’ailleurs, pour pallier l’insuffisance de financement, les femmes constituent des tontines entre elles, qui leur apparaissent comme la voie privilégiée pour leur permettre de mener quelques AGR et même d’acquérir une certaine autonomie. Aussi, c’est en accord avec les présidentes des groupements et à la demande des membres que Weybi a mis en place Adashen-Mata.
Perspectives
16Pour Weybi, le petit crédit est une école qui mène au grand crédit et qui favorisera l’émergence des femmes-entrepreneurs sur une base saine. Commencer petit et grandir sûrement ! Avec le petit crédit le nombre de bénéficiaires sera plus élevé (ce qui répond à une exigence de justice et de démocratie). Les femmes apprendront avant tout à gérer, et celles qui auront réussi pourront prétendre à des crédits plus importants. En outre, l’expérience d’organisation sera renforcée puisque le crédit Adashen-Mata, bien qu’individuel, se développe souvent au sein d’un groupement.
17L’essor économique qui peut en résulter favorisera le développement des filières porteuses. Ainsi, avec une assise économique confortable, les femmes pourront individuellement et collectivement s’impliquer en toute responsabilité dans tous les aspects du développement social. Ce dernier sera plus harmonieux et traduira correctement l’approche “Genre et développement” à laquelle Weybi adhère.
18Dans un tel cadre, Weybi pourra à nouveau mettre l’accent sur la lutte “théorique”, le débat d’idée. Le journal Weybi aura à cet égard un rôle essentiel à jouer. Par ailleurs nous espérons inscrire toute cette démarche dans la ligne définie lors de la Conférence Internationale des Femmes, tenue à Beijing, et du Forum des ONG, à Huairu, en Chine.
19Enfin, pour terminer notre exposé, j’ajouterai que la coopération internationale peut apporter beaucoup pour la réussite et le rayonnement de Adashen-Mata. Ce que nous attendons d’elle, en particulier sur la base d’un partenariat de type nouveau à caractère pédagogique et durable, c’est :
un appui financier remboursable et renouvelable,
un appui technique en gestion et comptabilité,
un concours dans le domaine de la formation de nos membres,
un soutien pour les activités d’études, d’expertise et de recherche-action ainsi que des échanges d’expérience, etc.
Bibliographie
Statuts et Plan d’Action de l’ONG WEYBI, 1992.
Rapports d’activité de l’ONG WEYBI, 1992-1997.
Programme d’Action 1997-2000 de l’ONG WEYBI.
Plates-formes d’intervention des femmes nigériennes a Beijing,
Confédération générale des femmes du Niger (COGAFEN), 1995
Journal de WEYBI, n° 0, 1993
Journal de WEYBI, n° 2, Spécial code de la famille, 1994
Situation juridique de la femme nigérienne, mars 1996 (brochure)
Auteur
Linguiste, Institut de recherches en sciences humaines, Niamey, Niger.
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