Différentes façons d’être femme : la construction d’un nouveau féminisme indigène ?
p. 313-323
Note de l’éditeur
Référence : Castillo, Rosalva Aída Hernández. “Différentes façons d’être femme : la construction d’un nouveau féminisme indigène ?” in Christine Verschuur, Genre, postcolonialisme et diversité de mouvements de femmes, Genève, Cahiers Genre et Développement, n°7, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2010, pp. 313-323, DOI : 10.4000/books.iheid.5902 – Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1Il aurait été impensable de parler d’un féminisme indigène au Mexique il y a dix ans ; cependant, dès le soulèvement zapatiste – qui a débuté le 1er janvier 1994 –, on voit apparaître un mouvement de femmes indigènes au niveau national qui se bat sur plusieurs fronts. D’une part, ces femmes indigènes organisées unissent leurs voix à celle du mouvement indigène national pour dénoncer l’oppression économique et le racisme qui marquent l’insertion des populations indigènes dans le projet national. D’autre part, elles luttent à l’intérieur de leurs organisations et de leurs communautés pour transformer les éléments de la « tradition » qui entraînent leur exclusion et leur oppression. En analysant les revendications et les stratégies de lutte de ces femmes, on constate qu’un nouveau féminisme indigène voit le jour. Bien que certaines de ses demandes coïncident avec celles des secteurs du féminisme national, ce féminisme s’en distingue également de façon substantielle. En effet, le contexte économique et culturel au sein duquel les femmes indigènes ont construit leurs identités de genre a marqué leurs luttes, leurs conceptions de la « dignité de la femme » et leurs stratégies d’alliances politiques. Les identités ethniques, de classe et de genre ont déterminé les stratégies de lutte de ces femmes : elles ont choisi de prendre part à des luttes d’un caractère plus global, tout en créant des espaces de réflexion spécifiques sur leurs expériences d’exclusion – en tant que femmes et en tant qu’indigènes.
Les antécédents des luttes actuelles
2En rendant plus visibles leurs demandes, le zapatisme a joué un rôle catalyseur dans la création d’espaces de réflexion et d’organisation pour les femmes indigènes. Il n’est cependant pas possible de comprendre la force actuelle de ces mouvements sans tenir compte de leurs expériences dans les luttes indigènes et paysannes au cours des deux dernières décennies.
3On voit surgir au Mexique, principalement à partir des années 1970, un mouvement indigène important ; celui-ci commence à remettre en question le discours officiel affirmant l’existence d’une nation homogène et métisse. Des revendications culturelles et politiques s’ajoutent aux revendications pour la terre ; elles tracent les grandes lignes de la lutte pour l’autonomie des peuples indigènes. Les femmes indigènes s’intègrent à de nouveaux espaces de réflexion collective qui surgissent suite aux changements importants dans l’économie domestique. Dans le cas du Chiapas, l’organisation du Congrès indigène de 1974 est considéré comme un point de rupture dans l’histoire des peuples indigènes. À partir de cette rencontre, à laquelle participent les peuples indigènes tzotziles, tzeltales, choles et tojolabales, les revendications en matière de culture commencent à s’ajouter aux revendications paysannes d’une distribution agraire plus juste. Bien que les travaux sur ce mouvement ne mentionnent pas la participation des femmes1, nous savons, grâce à des témoignages de participantes, que ce sont elles qui se sont chargées de la « logistique » de nombreuses marches, piquets et rencontres étudiées par ces travaux. Si ce rôle d’« accompagnement » continuait à les exclure de la prise de décision et de la participation active dans les organisations, il leur a permis de se réunir et de partager leurs expériences avec des femmes indigènes provenant de diverses régions du pays. La participation active des femmes aux mobilisations paysannes s’accompagne de certains changements dans l’économie domestique qui ont fait qu’un nombre croissant de femmes prennent part au commerce informel de produits agricoles ou artisanaux dans les marchés locaux. Il n’est pas possible de comprendre les mouvements politiques plus larges si l’on ne tient pas compte des dynamiques locales dans lesquelles se situent ces femmes indigènes. Le « boom pétrolier » des années 1970, ainsi que le manque de terres cultivables, a conduit à un exode rural des hommes du Chiapas. Ces hommes ont migré vers les zones pétrolières en laissant leurs femmes s’occuper de l’économie familiale (Collier 1994 ; Flood 1994). Ces processus de monétarisation de l’économie indigène ont été considérés et analysés comme des facteurs de perte de pouvoir pour les femmes à l’intérieur de la famille, leur travail domestique devenant de moins en moins indispensable à la reproduction de la force de travail (Nash 1993). Toutefois, ce processus a été contradictoire pour de nombreuses femmes. Tout en restructurant leur position à l’intérieur de l’unité domestique, en prenant part au commerce informel, elles sont entrées en contact avec d’autres femmes indigènes et métisses, et des processus d’organisation ont commencé à voir le jour par l’intermédiaire de coopératives, qui se sont converties au fur et à mesure en espaces de réflexion collective (Hernández 1998a).
4La migration, l’expérience d’organisation, les groupes religieux, les organisations non gouvernementales, et même les programmes de développement officiels ont influencé la façon dont les hommes et les femmes indigènes ont restructuré leurs relations au sein de l’unité domestique et ont repensé leurs stratégies de lutte.
5L’Église catholique – par le biais du Diocèse de San Cristóbal – a également joué un rôle très important dans la promotion d’espaces de réflexion. La théologie de la libération – qui guidait le travail pastoral de ce diocèse – ne promouvait pas une réflexion sur le genre, mais l’analyse des inégalités sociales et du racisme de la société métisse lors des cours et ateliers dispensés a permis aux femmes indigènes de remettre également en question les différences de genre au sein de leurs propres communautés.
6À la fin des années 1980, un groupe de religieuses a commencé à soutenir cette ligne de pensée, et a montré la nécessité d’ouvrir une Aire des femmes dans le Diocèse de San Cristóbal. J’ai analysé dans d’autres articles cette rencontre entre femmes religieuses et indigènes, qui a donné lieu à la création de la Coordinadora Diocesana de Mujeres (Coordination diocésaine de femmes, CODIMUJ), l’un des principaux espaces d’organisation des femmes du Chiapas2. L’expérience d’organisation et la réflexion sur le genre ont permis à ces femmes de jouer un rôle plus important dans le mouvement de femmes.
7Toutefois, c’est seulement à partir de l’apparition publique de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) en 1994 que les femmes indigènes ont commencé à faire entendre leurs voix dans des espaces publics, non seulement pour soutenir les revendications de leurs compagnons ou pour représenter les intérêts de leurs communautés, mais également pour exiger le respect de leurs droits spécifiques en tant que femmes3.
Du « féminisme » aux féminismes
8Bien que la construction de relations plus équitables entre hommes et femmes soit devenue un point central de la lutte des femmes indigènes organisées, celles-ci n’ont pas revendiqué le concept de féminisme dans leurs discours politiques. Ce concept continue à être assimilé au féminisme libéral urbain, qui a, pour beaucoup de femmes indigènes, des connotations séparatistes éloignées de leurs conceptions, selon lesquelles une lutte conjointe avec leurs compagnons indigènes est nécessaire.
9Celles d’entre nous qui sommes arrivées au féminisme par le militantisme dans des organisations de gauche connaissent le poids idéologique des discours représentant le féminisme comme une « idéologie bourgeoise, individualiste et diviseuse » qui sépare les femmes des luttes de leurs peuples. Les expériences du féminisme libéral anglo-saxon – qui partaient effectivement d’une vision très individualiste des « droits citoyens » – ont été utilisées pour créer une représentation homogénéisante du « féminisme ». Depuis quelques décennies, de nombreux féminismes mexicains luttent pour s’approprier ce concept et lui donner des significations nouvelles. La revendication d’un « féminisme indigène » ne sera possible que dans la mesure où des femmes indigènes donneront un contenu propre au concept de « féminisme », et le considèreront comme utile pour créer des alliances avec d’autres organisations de femmes.
10Pour le moment, de nombreuses revendications de ces femmes – que celles-ci soient adressées à l’État, aux organisations ou aux communautés – mettent l’accent sur la « dignité de la femme » et sur la construction d’une vie plus juste pour tous et toutes. La Loi révolutionnaire des femmes, promue par des militantes zapatistes, est l’un des nombreux documents qui illustre ces nouvelles revendications de genre4. Cette loi est composée de dix points, dans lesquels on retrouve : le droit des femmes indigènes à la participation politique et aux postes de pouvoir ; le droit à une vie sans violence sexuelle et domestique ; le droit de décider du nombre d’enfants que l’on souhaite avoir et élever ; le droit à un salaire juste ; le droit de choisir avec qui se marier ; le droit à des services de santé et d’éducation de qualité, etc. Bien que toutes les femmes indigènes ne la connaissent pas en détail, cette loi est devenue le symbole d’une possible vie meilleure pour les femmes. Ces nouvelles revendications de genre se sont exprimées de diverses façons lors de forums, de congrès et d’ateliers qui ont été organisés depuis 1994. Elles remettent en question tant les perspectives essentialistes du mouvement indigène – qui a présenté les cultures centraméricaines comme des cultures harmonieuses et homogènes – que les discours généralisateurs du féminisme – qui mettent l’accent sur le droit à l’égalité, sans tenir compte de la marque de la classe et de l’ethnicité sur les identités des femmes indigènes.
11Face au mouvement indigène, ces voix nouvelles ont remis en question les perspectives idylliques des cultures préhispaniques en s’interrogeant sur les inégalités qui caractérisent les relations entre genres. Elles ont également contesté la dichotomie entre tradition et modernité – que l’indigénisme officiel a reproduite, et que partage, dans une certaine mesure, le mouvement indigène indépendant. Selon ce dernier, seules deux options se présentent : se maintenir immuablement dans la tradition, ou changer avec la modernité. Les femmes indigènes revendiquent leur droit à la différence culturelle et demandent également le droit de changer les traditions qui les oppriment ou les excluent : « Nous devons aussi penser ce qu’il faut faire de neuf dans nos coutumes, la loi devrait seulement protéger et promouvoir les us et coutumes que les femmes, les communautés et les organisations considèrent et analysent comme étant bonnes. Les coutumes que nous avons ne doivent faire de mal à personne »5.
12Dans le même temps, les femmes indigènes remettent en question les généralisations sur « La Femme » qui ont été faites par le discours féministe urbain. Le désir d’imaginer un front uni des femmes contre le « patriarcat » a conduit beaucoup de féministes à nier les spécificités historiques des relations de genre dans des cultures non occidentales6.
13Il est en ce sens important de reprendre la critique que certaines féministes de couleur ont faite du féminisme radical et libéral nord-américain, qui présente une vision homogénéisante de la femme et ne reconnaît pas que le genre se construit de diverses façons dans différents contextes historiques7.
La brèche culturelle entre métisses et indigènes
14Il me semble que nous, féministes urbaines, avons souvent manqué de sensibilité culturelle face à la réalité des femmes indigènes, en considérant que nous partagions avec elles une expérience commune face au patriarcat. La formation d’un large mouvement de femmes indigènes et métisses a été rendue difficile par ce manque de reconnaissance des différences culturelles.
15L’une des tentatives avortées de formation d’un large mouvement a été la Convention étatique des femmes chiapanecas (Rojas 1996) qui a été formée en septembre 1994. Avant la réalisation de la Convention nationale démocratique, convoquée par l’EZLN, des femmes d’ONG, de coopératives de production et d’organisations paysannes se sont réunies pour élaborer ensemble un document, présenté lors de la réunion d’Aguascalientes. Ce document présentait les revendications spécifiques des femmes du Chiapas ; il a donné naissance à la Convention étatique des femmes chiapanecas, un espace hétérogène dans les domaines culturel, politique et idéologique. Femmes métisses urbaines d’ONG, féministes et non féministes, et femmes membres des Communautés ecclésiastiques de base, nous nous sommes réunies avec des femmes monolingues des Altos, surtout des tzetales et des tzotziles, des tojolabales, choles et tzetales, de la forêt ainsi qu’avec des femmes indigènes mames de la Sierra. Cette organisation a eu une durée de vie très courte : seules trois réunions ordinaires ont pu être organisées, ainsi qu’une réunion spéciale, avant que la Convention ne soit dissoute. La tâche de reconstruction historique de cet ample mouvement reste à faire, avec une analyse critique des stratégies du féminisme urbain, afin de pouvoir créer des ponts avec les femmes indigènes. Mais nous devons nous rappeler que, bien que minoritaires, les femmes métisses ont assumé les postes de pouvoir au sein d’une hiérarchie interne non reconnue.
16De nombreuses femmes ayant participé à la Convention ont ensuite été invitées par l’EZLN comme conseillères ou participantes à la table ronde numéro un sur « La culture et les droits indigènes » qui a eu lieu en 1995 à San Cristobal de la Casas. Lors de cette table ronde, un atelier spécial a été consacré à « La situation, les droits et la culture de la femme indigène ». Les conseillères métisses en charge des comptes rendus de cet atelier n’ont pas consigné les descriptions détaillées que faisaient les femmes indigènes de leurs problèmes quotidiens ; elles n’ont noté que les revendications générales de démilitarisation et les critiques du néolibéralisme. C’est à partir de ces expériences quotidiennes – effacées des rapports et des mémoires de ces rencontres – que les femmes indigènes ont construit leurs identités de genre d’une façon différente de celle des féministes urbaines. Ce n’est qu’en nous rapprochant de ces expériences que nous pourrions comprendre la spécificité de leurs revendications et de leurs luttes. Après ces expériences, il n’est pas surprenant que, lors du Premier congrès national des femmes indigènes en octobre 1997, les participantes aient décidé que les métisses ne pourraient assister qu’à titre d’observatrices. Cette décision a été qualifiée de « séparatiste », voire de « raciste » par certaines féministes, qui, pour la première fois, ont été réduites au silence par les femmes indigènes. Il s’agit là d’arguments similaires à ceux qui sont employés contre les femmes, lorsque nous réclamons notre propre espace au sein des organisations politiques.
17Il est important de reconnaître que, compte tenu des inégalités ethniques et de classes, nous, les femmes métisses – parlant mieux l’espagnol et sachant mieux lire et écrire – avons tendance à être hégémoniques dans la discussion, même si nous ne le sommes pas intentionnellement. Il est donc fondamental de respecter la création d’espaces propres et d’attendre le moment propice pour faire des alliances. Les femmes purépechas, totonacas, tzotziles, tzetales, tojobales, mazatecas, cucatecas, otomies, triquis, nahuas, zapotecas, zoques, choles, tlapanecas, mames, chatinas, popolucas, amuzgas et mazahuas qui se sont réunies à Oaxaca lors de cette première rencontre nationale de femmes indigènes vivent leurs propres processus, qui ne sont pas toujours convergents avec les temporalités et les agendas du féminisme urbain.
18On trouve une illustration de ce fossé culturel qui sépare femmes métisses urbaines et indigènes dans les critiques sévères émises par certaines féministes sur la Seconde loi révolutionnaire des femmes, proposée par les indigènes zapatistes, parce qu’elle inclut un article interdisant l’infidélité. Cette modification de la Première loi révolutionnaire des femmes a été considérée comme une mesure conservatrice, résultat de l’influence de l’Église sur les communautés indigènes. Ces critiques précipitées doivent tenir compte du contexte dans lequel cette revendication des femmes indigènes se situe ; dans leur réalité quotidienne, l’infidélité masculine et la bigamie sont justifiées culturellement au nom de la « tradition » et sont étroitement liées à la violence domestique. L’interdiction de l’infidélité peut être considérée comme une mesure moraliste et rétrograde par les femmes urbaines ; cependant, pour certaines femmes indigènes, elle pourrait permettre de rejeter une tradition qui les rend vulnérables au sein de l’unité domestique et de la communauté.
19On trouve la même division face à la loi contre la violence domestique. Les féministes urbaines du Chiapas ont lutté plusieurs années pour l’alourdissement des peines contre les maris violents ; en 1998, elles ont enfin obtenu la modification de l’article 122 du Code pénal : il augmente les peines dans les cas de violence domestique. Les femmes indigènes, n’étant pas indépendantes économiquement, sont désormais directement affectées par la peine que la loi impose à leurs maris et se trouvent sans soutien économique pendant la durée de leur incarcération.
20Le cas du droit au patrimoine et à la pension alimentaire présente un caractère similaire. La lutte sur le plan législatif n’est pas d’une grande aide lorsque les époux des femmes indigènes n’ont ni terre ni emploi fixe.
21Dans le cadre de la lutte contre la violence domestique au sein de contextes multiculturels, la proposition de Chandra T. Mohanty mérite d’être suivie : « La violence masculine doit être théorisée et interprétée au sein de sociétés spécifiques, afin de pouvoir être mieux comprise et pour que l’on puisse s’organiser de façon plus efficace pour la combattre » (Mohanty 1991, 67). Si la reconnaissance de similitudes entre les femmes nous permet de créer des alliances politiques, la reconnaissance de différences est une condition préalable à la construction d’un dialogue respectueux, ainsi qu’à la recherche de stratégies de lutte qui soient davantage en accord avec les différentes réalités culturelles.
22Peut-être la construction d’un tel dialogue – interculturel, respectueux et tolérant entre femmes indigènes et métisses – contribuerait-elle à la formation d’un nouveau féminisme indigène, basé sur le respect de la différence et le rejet de l’inégalité.
L’expérience des organisations de femmes mapuches : résistances et défis face à une double discrimination
« Le besoin de participer, je l’ai dans le sang, c’est désespérant quand je sais qu’il y a une réunion et que je ne peux pas y aller » (Hilda Wenteo, dirigeante mapuche-williche, sud du Chili)
Les femmes mapuches ont participé à la sphère publique dès la naissance des premières organisations mapuches urbaines du début du XXe siècle. C’est ainsi qu’en 1937, la première organisation de femmes mapuches a vu le jour, la société féminine Yafluayin, ou Fresia. Cette initiative est appuyée par des leaders mapuches hommes, dans une « période d’apogée du mouvement émancipateur et politique des femmes chiliennes » (Foester et Montecino1988, 173).
Les objectifs auxquels tentait de répondre la société féministe Frésia, selon Foester et Montecino (1988) étaient de « poser les bases nécessaires à la formation d’une entité culturelle, et unir toutes les araucanas autour d’objectifs purement culturels » (173). Cette organisation féminine dura peu, mais ses dirigeantes continuèrent sans aucun doute à participer de façon active à des organisations mixtes, dans une lutte commune pour les droits du peuple mapuche. […]
En 1978, des femmes mapuches ont fortement participé à la création des Centres culturels mapuches nés pour s’opposer à la loi dictée par le gouvernement militaire qui divisait les terres communautaires. Deux ans plus tard, ces organisations se sont transformées juridiquement pour devenir l’Association collective de petits agriculteurs et artisans du Chili, ADMAPU. Une femme a occupé la présidence de cette association mixte pendant deux ans.
C’est au début des années 1990, dans le contexte de la transition démocratique, qu’ont commencé à émerger les premières organisations féminines, tant en milieu urbain qu’au sein des communautés. Ces organisations ont été encouragées par la Loi indigène 19.253, promulguée en 1993. Une autre loi, ayant principalement un effet au niveau rural, était la loi 19.418, qui concernait les comités de voisinage et d’autres organisations communautaires et encourageait les associations en ateliers de travail.
L’une des premières organisations véritablement féminine en milieu urbain a été l’Association de femmes mapuche Kellukleaiñ pu zomo (Nous entraider entre femmes). Cette organisation est née en 1991, avec à sa tête Isolde Reuque, une dirigeante mapuche ayant une longue expérience du mouvement politique mapuche du début des années 1980. Cette organisation vise à « rendre sa dignité à la femme mapuche ».
Dans son autographie, cette dirigeante raconte : « Nous sommes nées parce qu’aucune des organisations mapuches ne donnait aux femmes une place prépondérante. Celles-ci occupaient toujours des postes secondaires, secrétaire, trésorière, chargée de telle ou telle chose dans les communautés ; dans les villes, c’étaient elles qui préparaient la table, qui servaient, et qui s’asseyaient autour de la table pour “décorer” (para servir de florero) » (Reuque 2003, 216).
En 1995 a lieu dans la ville de Temuco la première Rencontre nationale des femmes indigènes, promue par la Coordination des femmes d’organisations et institutions mapuche, dans le contexte de la préparation de la IVe Conférence mondiale des femmes à Beijing, en Chine. La même année s’est mis en place la Corporation nationale de développement indigène, CONADI – organisme chargé de coordonner la politique indigène qui ne prenait pas en compte la spécificité de genre.
Lors de cette rencontre nationale, des femmes indigènes de tout le pays se sont rencontrées pour la première fois : femmes des peuples aymara, rapanui, kawaskar, yagan et mapuche.
Dans ses conclusions, cette rencontre a notamment décidé « d’exiger de la CONADI et des organismes publics qu’ils intègrent la thématique de la femme indigène avec sérieux, et non avec des programmes marginaux ou des microprojets d’assistance » (Coordinación de Mujeres 1995).
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(Coord.) M. Sánchez Néstor Martha. 79-81. México : UNIFEM, Instituto de Liderazgo Simone de Beauvoir, México.
Traduit de l’espagnol par Saskia Velásquez
Source du chapitre : Traduit de l’espagnol. Texte original : Distintas maneras de ser mujer : ¿Ante la construcción de un nuevo feminismo indígena ? Lima : Centro de Estudios la Mujer en la Historia de América Latina. 2002.
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Notes de bas de page
1 Sur le mouvement indigène et paysan dans le cadre national, voir Mejía Piñeros et Sarmiento Silva (1987). Sur le Congrès indigène de 1974, voir Morales Bermúdez (1991).
2 Pour une analyse de l’impact des changements sur l’économie paysanne, voir Collier (1994) et Rus (1990).
3 Cette participation dans les espaces publics a donné lieu à une répression étatique mais aussi de la part des propres compagnons ou des communautés de ces femmes. Pour une analyse de la violence qu’ont dû subir les femmes organisées, voir Hernández (1998b).
4 Cette loi s’est fait connaître à travers l’organe informatif de l’EZLN, Despertador Mexicano (Le Réveil mexicain) ; distribuée dans différents endroits du Chiapas le 1 er janvier 1994, elle a été reproduite par la presse nationale et internationale. Pour une description et une analyse détaillée de la Loi révolutionnaire des femmes, voir Hernández (1994) et Rovira (1997).
5 Rencontres faites lors de l’atelier Los derechos de las mujeres en nuestras costumbres y tradiciones à San Cristóbal de las Casas en mai1994.
6 On peut retrouver ce féminisme eurocentriste dans les travaux de Daly (1978) et Cutrufelli (1983), parmi bien d’autres.
7 Pour une critique du féminisme occidental, voir les travaux de Trinh Min-ha (1989), Alarcón (1990) et Mohanty (1991, traduit en français dans le présent ouvrage).
Auteurs
Anthropologue, professeure et chercheuse au CIESAS, Mexico.
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