Chapitre VII. Appréciation des preuves relatives aux éléments matériel et mental des infractions nécessitant la démonstration d’un contexte particulier : exemple du génocide
p. 385-416
Texte intégral
1Les preuves retenues par les instances pénales internationales pour le crime de génocide donnent une indication de ce que l’organe juridictionnel international estime nécessaire dans la démonstration de violations graves du droit international humanitaire qui nécessitent l’existence du contexte particulier de leur perpétration. D’autres infractions auxquelles sont attachées une intention spécifique et la mise en place d’un cadre contextuel, tel le crime contre l’humanité, auraient aussi pu être retenues1. Toutefois, le crime de génocide présente l’avantage que ses éléments constitutifs sont plus ou moins clairement fixés et non contestés. Il est dès lors plus facile d’identifier et d’apprécier les preuves retenues par le juge international pour chacun d’eux et de discuter des difficultés qu’elles soulèvent en termes de plein respect des droits de l’accusé. C’est pour cette raison que l’analyse des éléments de preuve retenus se limitera au seul crime de génocide.
2Pour conclure à la commission du crime de génocide, des faits et une intention spécifiques doivent être démontrés. Les TPI ont dû se pencher sur ces questions ainsi que sur la nature du lien à établir entre celui qui est accusé du chef de génocide et une politique discriminatoire préexistante. Dans cet exercice, des difficultés probatoires surgissent. Par exemple, l’intention spécifique de l’accusé est rarement expresse et l’organe juridictionnel doit dès lors l’inférer des circonstances de chaque espèce. Or, cet exercice doit se faire aussi dans le plein respect des droits de l’accusé. Il serait, par exemple inacceptable de conclure qu’il nourrit automatiquement une intention génocidaire parce que le crime qu’il a commis est concomitant à la perpétration d’un génocide sans démontrer également au moins qu’il savait ou était conscient que ses actions s’inscrivaient aussi dans ce contexte plus général. Pour saisir de manière plus précise ce qui doit être établi dans les cas où un individu est mis en accusation du chef de génocide devant les instances pénales internationales, il est nécessaire de rappeler les origines du crime de génocide, les applications qui, par le passé, en ont été faites, ainsi que les éléments constitutifs du crime.
Section I – Origine du génocide et application aux crimes des Puissances de l’Axe
3Selon Raphaël Lemkin, le génocide – terme résultant de la contraction du mot grec genos (race, tribu) et du suffixe latin cide (tuer) – se référait à une politique se matérialisant par un ensemble de faits tendant à la destruction d’individus non à titre individuel mais en raison de leur appartenance à des groupes donnés. À cet égard, il observe :
[le génocide désigne] un plan coordonné d’actions différentes qui tendent à détruire les fondations essentielles de la vie des groupes nationaux, dans le but de détruire ces groupes mêmes. L’objectif d’un plan pareil serait la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion, et de l’existence économique des groupes nationaux, et la destruction de la sécurité personnelle – de la liberté, de la santé, de la dignité, et même des vies des individus qui appartiennent à ces groupes. Le génocide est dirigé contre le groupe national comme entité, et les actions qu’il entraîne sont dirigées contre les individus, non dans leurs capacités individuelles, mais comme membres du groupe national2.
4Sans être mentionné expressément, le crime de génocide a reçu une première consécration juridique, indirecte mais officielle, dans le statut du TMI de Nuremberg, aux termes duquel étaient constitutives de crimes contre l’humanité « les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux3. » L’acte d’accusation de Nuremberg imputa spécifiquement aux accusés l’intention de se livrer à un
génocide délibéré et systématique, c’est-à-dire à l’extermination de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire des races ou classes déterminées de population et de groupes nationaux, raciaux ou religieux, particulièrement les Juifs, les Polonais, les Tziganes4.
5Bien que le crime contre l’humanité pour motifs politiques, raciaux ou religieux dût être commis à la suite d’un autre crime rentrant dans la compétence du TMI de Nuremberg ou être lié à un tel crime et que le Tribunal ne se fût pas référé expressément au crime de génocide dans son jugement, l’examen des faits retenus comme étant constitutifs du crime contre l’humanité re : persécution est indicatif des circonstances dans lesquelles un inculpé peut aujourd’hui se voir juger coupable de génocide5.
6Douze accusés ont été déclarés coupables en raison de mesures de persécution élaborées, planifiées, encouragées, incitées, ordonnées ou prises contre les Juifs ou autres groupes en Allemagne, ainsi que contre diverses populations rencontrées au fur et à mesure de la progression de l’armée allemande dans les territoires occupés6. Tous ces accusés occupaient des positions d’autorité, le TMI de Nuremberg concluant qu’ils avaient participé volontairement et consciemment à la mise en œuvre de la politique de persécution et qu’ils avaient connaissance des atrocités commises par leurs subordonnés. Dans tous les cas, afin d’évaluer la culpabilité des accusés, le Tribunal de Nuremberg bénéficiait de nombreux éléments de preuve directs : décrets signés, déclarations publiques et admissions confirmant le désir de l’un ou de l’autre d’aboutir à une « solution finale de la question juive » ou à la fin des autres groupes ciblés.
7Le Tribunal a retenu comme mesures traduisant une persécution contre les Juifs d’Europe celles qui visaient notamment à les évincer de la vie économique, à confisquer leurs biens, à leur interdire certaines professions, à les déporter en masse ou à les déclarer tout simplement « hors la loi ». Le Tribunal a aussi relevé la mise en œuvre d’un programme d’extermination pure et simple matérialisant la « solution finale ». D’autres mesures visaient à détruire en totalité des entités nationales, notamment en Pologne, en réduisant les populations ciblées à un niveau de famine.
8Pour ce qui était des mesures de propagande et d’incitation présentant l’élément discriminatoire requis, l’accusé Streicher, qui n’avait jamais été un des conseillers intimes du Führer, fut jugé coupable de crime contre l’humanité pour avoir, à titre d’éditeur d’un journal, « pendant vingt-cinq ans, prêché, par la parole et par la plume, la haine des Juifs » et ainsi avoir semé « dans l’esprit allemand le virus de l’antisémitisme et pouss[é] le peuple à se livrer à des actions hostiles à l’égard des Juifs7. » Estimant que Streicher connaissait le sort réservé aux Juifs et qu’il était tenu régulièrement informé des progrès de la « solution définitive », le Tribunal conclut que le fait d’inciter « au meurtre et à l’extermination, à l’époque même où, dans l’Est, les Juifs étaient massacrés dans les conditions les plus horribles réalisait ‘la persécution pour des motifs politiques et raciaux8. » Pour sa part, l’accusé Fritzsche, commentateur de la radio allemande et accusé par le ministère public d’avoir incité et encouragé la perpétration de crimes contre l’humanité pour des motifs discriminatoires, en falsifiant sciemment des nouvelles en vue d’exciter les passions qui conduisirent aux atrocités décrites9, ne fut pas déclaré coupable de ce chef. Le Tribunal estima en effet que « [s]on poste et ses responsabilités officielles n’étaient […] pas assez importants pour faire supposer qu’il participa à l’élaboration et à la rédaction des campagnes de propagande ». Bien que Fritzsche fût un antisémite convaincu, le Tribunal considéra que ses discours ne poussaient pas à la persécution ou à l’extermination des Juifs et que le sort qui leur était réservé dans l’Est lui était inconnu10.
9Les Tribunaux institués par les Puissances alliées dans les zones d’occupation, en application de la loi n° 10 du conseil de contrôle allié du 20 décembre 1945, se sont expressément référés au crime de génocide. Ils ont précisé la portée de l’incrimination et contribué à consacrer la place de l’interdiction du génocide en droit international. De manière générale, les Tribunaux alliés ont estimé que l’adoption et la mise en œuvre des ordonnances tendant à l’extermination d’un groupe, l’utilisation de l’appareil judiciaire à cette fin, la commission de meurtres en masse dans des camps de concentration ou la conduite d’expériences médicales en vue de trouver le meilleur moyen pour détruire la capacité de reproduction des groupes visés s’inscrivaient précisément dans le cadre de la politique d’extermination génocidaire prônée par le régime nazi11. Toutefois, le Tribunal militaire américain à Nuremberg précisa que, pour déclarer les accusés coupables de génocide, tant la preuve d’une politique de persécution raciale et d’extermination que celle d’une conduite spécifique de l’accusé visant à mettre en œuvre une telle politique devaient être établies. Le Tribunal a dès lors pris soin de vérifier, pour chacun des accusés, si les éléments de preuve révélaient au-delà de tout doute raisonnable que chaque accusé avait consciemment participé au plan ou y avait pris une part active12.
10L’histoire du génocide et des autres incriminations connexes révèle que, dans les premières années, les tribunaux les ont réservés, en principe, aux individus en position d’autorité. Ils exigeaient, à ce titre, tant la preuve, au-delà de tout doute raisonnable, d’une politique discriminatoire que celle d’une participation consciente ou active de l’accusé à la mise en œuvre du plan. La responsabilité de celui dont le poste et les fonctions officielles n’étaient pas assez importants pour laisser supposer une participation quelconque dans l’élaboration et la conception des campagnes discriminatoires n’était pas retenue.
Section II – Précisions sur les éléments constitutifs du crime du génocide
11La convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après : « Convention sur le génocide »), fruit de longs et turbulents débats, constitue la référence essentielle pour l’étude des éléments constitutifs du crime de génocide en droit international13. La définition du crime retenue par la Convention sur le génocide est énoncée en son article II, qui dispose :
Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
12Le choix des rédacteurs a été de ne pas identifier de façon conceptuelle la notion de génocide et de définir le crime par la description de ses deux éléments constitutifs : la perpétration de certains actes énumérés (l’élément matériel ou actus reus) et l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel (élément mental ou mens rea). Les caractéristiques de chacun de ces deux éléments seront analysées ainsi que celles propres au sujet actif, c’est-à-dire à l’auteur possible du crime de génocide. Ces précisions données, il sera plus aisé d’explorer les preuves retenues par l’organe juridictionnel international contemporain pour établir la perpétration du crime de génocide et d’en vérifier la justification et l’adéquation.
Sous-section I – Élément matériel
13L’image intuitive que l’on se fait du génocide est celle de la destruction d’un groupe déterminé par le biais de massacres organisés et de mesures à grande échelle portant gravement atteinte aux droits fondamentaux des membres du groupe. La définition de l’article II de la Convention sur le génocide ne manque pas de surprendre à cet égard en raison du fait que le caractère massif et à grande échelle du génocide n’y est pas expressément mentionné. La définition se limite à identifier cinq catégories d’actes et à affirmer que la perpétration de « l’un quelconque » de ceux-ci est suffisante pour que l’on puisse conclure à un génocide.
14La formulation de l’article II de la Convention sur le génocide indique très clairement que la liste des actes visés est limitative, choix qui paraît avoir été dicté par le souci de respecter le principe général du droit pénal nullum crimen sine lege14. Toutefois, cette liste recouvre une grande variété de situations.
A) Meurtre de membres du groupe
15C’est la figure la plus claire du génocide physique, unanimement reconnue et donnant rarement lieu à des explications15. Une anomalie existe toutefois dans les différentes versions du texte : tandis que la disposition en français se réfère au « meurtre », d’autres versions emploient des termes aux acceptions plus vastes (notamment “killing” en anglais), qui désignent également les homicides non intentionnels. Cette disposition requiert-elle la conscience et la volonté de porter atteinte à la vie des victimes, comme le terme « meurtre » semble le suggérer ? C’est la lecture qu’en a fait une chambre de première instance du TPIR qui a jugé l’expression anglaise trop générale et la version française plus précise et qui a dès lors retenu l’interprétation la plus favorable à l’accusé16. Une telle interprétation s’impose du reste dans la logique même de la définition. Dans la mesure où le crime de génocide requiert une « intention de détruire le groupe », il présuppose nécessairement l’intention de perpétrer l’élément matériel (dol général et non simple négligence) et notamment la conscience et la volonté de tuer les membres du groupe. C’est ce qu’a conclu la chambre saisie de l’affaire Kayishema, en considérant que, dans le contexte du génocide, il n’existe pas vraiment de différence entre le meurtre et l’homicide en raison du fait qu’ils doivent tous deux être perpétrés avec l’intention de détruire en tout ou en partie un groupe comme tel17.
B) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe
16Il s’agit ici d’une deuxième modalité du génocide physique, qui « vise deux sortes d’atteintes susceptibles d’être portées à un individu, à savoir l’atteinte à son intégrité physique, qui suppose une forme ou une autre de dommage corporel, et l’atteinte à son intégrité mentale, qui suppose une forme ou une autre d’altération des facultés mentales18. »
17Deux difficultés interprétatives ont été soulevées à son sujet. D’abord, la disposition inclut les « atteintes à l’intégrité mentale », expression ajoutée au cours des débats de la Sixième Commission19 dont le sens est assez vague. La référence a été introduite à l’origine afin de couvrir les génocides effectués au moyen de stupéfiants et lésant les facultés mentales des membres du groupe20. Il peut également être difficile d’évaluer le degré de « gravité » de l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale des individus au regard de la définition. La Commission du droit international a interprété l’expression comme requérant « une gravité telle qu’elle menace de détruire en tout ou en partie [le] groupe », mettant ainsi en évidence le caractère instrumental de ces actes par rapport à l’intention génocidaire.
18La jurisprudence internationale insiste que les atteintes à l’intégrité physique ou mentale doivent être examinées à la lumière des circonstances de l’espèce21. Elle a toutefois estimé que sont couverts la torture et les traitements inhumains et dégradants22, les mutilations et les interrogatoires accompagnés de passages à tabac ou de menaces de mort23 les viols24, la réduction à l’esclavage et à la famine, la détention dans des camps de concentration ou des ghettos25, la déportation26 et la persécution des membres du groupe27. Cette catégorie inclut les violations graves des droits fondamentaux de l’Homme ne causant pas nécessairement sa mort ou des séquelles permanentes ou irréversibles. En d’autres termes, il s’agit des « actes inhumains » tels que visés par les définitions des crimes contre l’humanité, pourvu que ces actes soient dirigés contre les membres du groupe. De plus, le caractère grave des atteintes portées a été mis en relation avec l’intention de détruire le groupe lui-même28.
C) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle
19C’est sans doute la catégorie la plus obscure des actes constitutifs de génocide. La formule provient du projet de convention sur le génocide de 1948 du Comité spécial du Conseil économique et social des Nations Unies, qui avait suggéré d’inclure la « soumission à des traitements ou conditions de vie destinées à entraîner la mort29. » Elle-même dérivait d’une disposition plus détaillée d’un autre projet, présenté en 1947 par le secrétaire général, qui se référait à la « soumission à des conditions de vie telles que, faute de logement, d’habillement, de nourriture convenables, d’hygiène et de soins médicaux, ou par l’effet de travail ou d’exercices physiques excessifs, les individus sont voués à dépérir ou à mourir30. » Le commentaire du secrétaire général précisait qu’il entendait par là couvrir la « mort lente » des membres du groupe placés dans des camps de concentration ayant un taux de mortalité élevé. C’est en ce sens que cette catégorie fut comprise dans l’affaire Eichmann, première instance, dans laquelle le Tribunal prit par ailleurs soin de préciser que la disposition couvrait les cas où l’imposition de ces conditions n’avait pas en fait entraîné la mort des victimes31. Une chambre du TPIY a également considéré que de tels actes peuvent être pratiqués tant dans des camps de détention qu’au moyen de sièges et de bombardements de villes ou de zones protégées32. Les chambres du TPIR y ont inclus, notamment, « la soumission d’un groupe de personnes à un régime alimentaire de subsistance, l’expulsion systématique des logements, la réduction des services médicaux nécessaires en deçà du minimum33 » ainsi que le viol34. Dans tous les cas, ces mesures doivent présenter un degré de gravité tel qu’elles menacent l’existence physique des membres du groupe.
20On remarquera que la lettre c) se réfère directement au « groupe » et non aux individus qui le composent. C’est le « groupe » qui est soumis à des conditions d’existence devant entraîner « sa destruction physique totale ou partielle », et non nécessairement – pourrait-on en déduire – la destruction de ses membres. Prenons le cas des déportations et expulsions de membres du groupe qui, selon une opinion dominante, ne peuvent constituer un génocide que si elles sont conçues de sorte à aboutir à la mort (lettre a) ou à porter de graves atteintes à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe (lettre b)35). Contrairement à cette interprétation, on pourrait inclure dans la lettre c) des cas où les déplacements en masse seraient exécutés d’une manière telle qu’ils entraîneraient la destruction physique du groupe, sans qu’il ne soit porté gravement atteinte à l’intégrité physique de ses membres : par exemple, en déportant les Hommes et les femmes dans des lieux séparés36 ou en imposant une dispersion des membres du groupe. Une telle interprétation permet de donner un sens spécifique et utile à cette disposition. Toutefois, il ne faut pas ignorer la référence expresse à la « destruction physique », qui n’autorise pas à inclure dans cette catégorie les actes portant uniquement atteinte aux caractères culturels du groupe.
21Enfin, la mention spécifique d’une intention (« soumission intentionnelle ») a mené certains auteurs à se demander – pour répondre généralement par la négative – si une condition supplémentaire était requise pour ce genre d’actes, à savoir s’il fallait démontrer une certaine préméditation37. Cette « intention » semble plutôt se référer au dol général de l’infraction – c’est-à-dire à la conscience et à la volonté de commettre l’actus reus – commun à toutes les hypothèses de génocide38.
D) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe
22Cette expression pourrait regrouper toutes les mesures de « génocide biologique », et notamment la stérilisation des individus, les avortements forcés, la séparation des sexes – en imposant, par exemple, une résidence obligatoire dans des lieux séparés ou en assignant systématiquement des lieux de travail séparés et éloignés aux Hommes et aux femmes – ou même les entraves d’ordre juridique au mariage39.
23Les TPI ont également pris en considération sous ce chef les mutilations et violences sexuelles massives, notamment les viols40. Dans l’affaire Akayesu, une chambre de première instance du TPIR a noté que :
[d]ans le contexte de sociétés patriarcales, où l’appartenance au groupe est dictée par l’identité du père, un exemple de mesure visant à entraver les naissances au sein du groupe est celle où, durant un viol, une femme dudit groupe est délibérément ensemencée par un Homme d’un autre groupe, dans l’intention de l’amener à donner naissance à un enfant, qui n’appartiendra alors pas au groupe de sa mère41.
24De plus, cette chambre a souligné que les mesures visées par cette disposition peuvent être d’ordre physique ou mental : le viol, par exemple, peut amener la victime et les autres membres du groupe à refuser subséquemment de procréer42.
E) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe
25Cette catégorie est la seule survivante de l’énumération des actes de « génocide culturel » proposée dans le projet du secrétaire général : elle y était considérée comme visant la disparition des traits caractéristiques du groupe dans les nouvelles générations43. Elle a cependant été retenue dans la mesure où ses effets sont susceptibles de se rapprocher de ceux du génocide physique ou biologique, puisque ces actes visent « à imposer à des jeunes êtres des conditions de vie de nature à leur causer un préjudice grave, ou même à les faire mourir44. » Le TPIR a précisé à ce sujet que la menace d’un tel transfert peut être suffisante au regard de cette disposition45. Le projet d’éléments des crimes, adopté par la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale, ajoute que
le terme « forcé » ne se limite pas à la force physique et peut comprendre un acte commis en usant à l’égard desdites personnes ou de tierces personnes de la menace de la force ou de la coercition, par exemple menace de violence, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un climat coercitif46.
Sous-section II – Élément mental
26Le crime de génocide est caractérisé par son élément mental, à savoir l’intention spécifique de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel.
A) Considérations générales
27Actus non facit reum nisi mens sit rea. Le principe selon lequel un tribunal ne doit conclure à la culpabilité d’une personne en droit pénal que si elle est mal intentionnée, présente un état d’esprit blâmable, se retrouve dans plusieurs codes pénaux et a été qualifié de principe général du droit47. Pour conclure à la culpabilité d’une personne, un élément psychologique est toujours requis48. En d’autres termes, pour qu’il y ait sanction, il faut qu’il y ait faute49. La preuve de cet élément psychologique est nécessaire pour éviter que celui qui est moralement innocent, c’est-à-dire qui ne comprend pas ou ne désire pas les conséquences de ses actes, soit déclaré coupable.
28Les infractions les plus graves, pour lesquelles des peines d’emprisonnement sévères sont prévues et qui entraînent dès lors de lourdes conséquences pour le prévenu50, requièrent généralement la preuve d’une faute subjective (dol) de l’accusé qui porte sur la conscience qu’il a de l’acte incriminé ou à tout le moins la conscience de la vraisemblance de ses conséquences51. Dans le droit canadien, par exemple, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ont expressément été reconnus comme infractions devant obligatoirement présenter ce degré de faute subjective.
29Cet état d’esprit positif (dol général) se compose, en principe, de deux éléments : un élément de connaissance effective, de conscience, et un élément de volonté infractionnelle. Autrement dit, l’agent doit avoir effectivement eu la conscience des éléments matériels du délit et la volonté de l’accomplir52. De nombreux droits englobent dans cette intention la connaissance effective d’une conséquence certaine ou quasi-certaine qu’engendrent la conduite prohibée et la volonté d’agir malgré cette certitude ou quasi-certitude53.
30Outre la conscience et la volonté de l’auteur, la loi peut exiger une intention perverse particulière, désignée comme intention spécifique (dol spécial, dolus specialis54). Dans le cas d’infractions requérant une intention spécifique, il ne suffit pas que l’auteur ait agi avec connaissance et volonté ; encore faut-il qu’il ait agi à dessein pour atteindre un certain résultat prohibé55. Toutefois, il importe peu que son objectif ait été atteint pour conclure à l’existence de l’infraction. L’intention spécifique exige que l’acte ne soit incriminé que s’il « est objectivement susceptible d’engendrer un dommage particulier et pour autant que la réalisation de ce dommage soit recherchée ou acceptée par l’agent56. »
31L’intention spécifique ne doit pas être confondue avec les mobiles qui poussent à agir. En règle générale, l’infraction est indifférente aux mobiles, quels qu’ils puissent être57.
B) Élément mental spécifique du génocide
32Le crime de génocide peut être classé parmi les infractions les plus graves dans l’échelle des incriminations nationales et internationales. Si l’incrimination n’offrait aucune indication quant à l’élément psychologique requis pour conclure que ce crime a été perpétré, force serait de conclure que la nature même de l’infraction exige la preuve d’une faute subjective (dol général) en termes de connaissance effective des éléments matériels de l’infraction et de volonté d’agir de l’agent.
33Loin de rester muette à cet égard, la règle incriminant le génocide exige expressément de la part de l’accusé une intention spécifique, soit celle de détruire tout ou partie d’un groupe donné comme tel. Meurtres ou atteintes graves à l’intégrité physique ne sauraient être qualifiés de génocide s’ils ne sont pas commis contre ces individus qua membres d’un groupe-cible58.
34La doctrine, les États et les instances juridictionnelles nationales et internationales sont unanimes pour affirmer que cet élément subjectif spécifique constitue la caractéristique du génocide et en fait le crime le plus grave qui soit59. À cet égard, le représentant du Brésil observa, lors des débats au sein de la Sixième Commission, que « ce qui caractérise le génocide, c’est l’intention spéciale de détruire un groupe, sans laquelle, quelles que soient l’atrocité d’un acte et son analogie avec les actes décrits dans la convention, il ne peut être qualifié de génocide60. »
35Les TPI ont confirmé la nécessité de démontrer cette intention spécifique en ces termes :
[i]l résulte de cette définition que le génocide requiert que des actes soient perpétrés contre un groupe, avec une intention criminelle caractérisée, celle de détruire le groupe, en tout ou en partie. L’effectivité de la destruction partielle ou totale du groupe n’est pas nécessaire pour conclure à l’existence du génocide ; il suffit que l’un des actes énumérés dans la définition soit perpétré dans une intention spécifique61.
36Ainsi peut être éliminée d’emblée toute atteinte à un groupe donné qui n’impliquerait pas une volonté de le détruire en tout ou en partie et qui relèverait plutôt d’une catastrophe naturelle ou d’autres causes assimilables.
37Autant était-il important de maintenir la notion d’intention spécifique pour les représentants étatiques participant aux travaux préparatoires à la Convention sur le génocide, autant était-il superflu de conserver celle de la préméditation. Certes, la préméditation peut exister, et le génocide être commis, si le résultat prémédité des actions commises est la destruction d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel62. Le plan nazi de détruire des groupes ciblés, adapté aux situations spécifiques des différents pays, est illustratif de cette dernière hypothèse63.
38Bien que l’intention spécifique soit expressément requise, elle n’est pas définie de manière objective. À cet égard, d’aucuns soutiennent qu’il eût été préférable d’incriminer les politiques dont le génocide est le résultat objectif afin d’empêcher les auteurs d’actes de génocide de prétendre qu’ils n’étaient pas animés par cette intention64. Cette approche avait du reste été suggérée lors des travaux préparatoires à la Convention sur le génocide mais finalement rejetée65. La démonstration de l’intention spécifique laisse dès lors un large pouvoir discrétionnaire aux juges pour apprécier les circonstances de chaque espèce66.
39Enfin, les mobiles ou les raisons qui ont poussé l’auteur à agir ne sont pas pertinents dans la détermination de l’intention spécifique requise pour le crime de génocide. Il avait été question, au moment de l’élaboration de la convention de 1948, de tenir compte des mobiles et de ne considérer comme génocide que les actes commis dans l’intention de détruire un groupe « en raison de l’origine nationale ou raciale, des croyances religieuses ou des opinions politiques de ses membres67. » Cette proposition n’a pas été retenue et la Convention sur le génocide est généralement interprétée comme faisant abstraction des modfs ou desseins ultérieurs de l’accusé68. Il est possible en effet que, sans avoir été initialement poursuivie, la destruction d’un groupe soit recherchée à l’occasion de la mise en œuvre d’une politique dont l’objectif originel est totalement différent. Ainsi, une politique de meurtres, menée avec l’intention de détruire un groupe spécifique, sera qualifiée de génocide, même si elle est motivée par le but de s’approprier des biens des membres de ce groupe ou comme méthode de conduite des hostilités69.
40En résumé, il peut être considéré, comme la chambre saisie de l’affaire Jelisic l’a relevé, que cette intention spécifique exige deux éléments précis : « celle-ci suppose, d’une part, que les victimes appartiennent à un groupe identifié ; d’autre part, l’auteur présumé doit inscrire son acte dans un projet plus vaste de destruction du groupe comme tel70. »
1) Intention de détruire en tout ou en partie
41La convention de 1948 ne fixe aucun seuil quantitatif. Un seul meurtre, une seule atteinte à l’intégrité physique d’un membre du groupe seraient suffisants, pourvu qu’ils soient accompagnés de l’intention spécifique de leur auteur, leur concrétisation devant être objectivement susceptible d’engendrer la destruction totale ou partielle du groupe comme tel71. Le crime de génocide peut ainsi avoir été commis alors que ses victimes effectives sont peu nombreuses, sans qu’il soit nécessaire de recourir à la notion de tentative72.
42Toutefois, l’intention de détruire « en tout ou en partie » un groupe donné doit nécessairement viser une partie substantielle de ce groupe. Cette portion substantielle est mesurée soit en fonction du nombre élevé de membres visés du groupe (destruction massive) ou de l’impact qu’entraîne pour le groupe la disparition des membres ciblés73. Dans ce dernier cas, bien qu’il s’agisse d’une élimination partielle, celle-ci est susceptible d’altérer profondément la persistance des fondements essentiels du groupe en raison des membres qu’elle touche. On a estimé que des attaques notamment contre les dirigeants, les intellectuels, les artistes ou les membres du corps enseignant seraient susceptibles de causer un tel résultat74.
43Dans le cas d’atteinte à une partie d’un groupe ou d’un nombre peu élevé de victimes, la preuve de l’intention spécifique nourrie par l’auteur peut s’avérer difficile. À moins de bénéficier d’une manifestation d’intention expresse, le nombre de victimes peut dès lors jouer un rôle prépondérant dans la détermination de l’existence de l’intention génocidaire. Une étroite relation existe ainsi entre l’identification du groupe victime et la preuve de l’intention spécifique requise pour la démonstration de la commission du crime de génocide75.
2) Intention de détruire un groupe… comme tel
44La Convention sur le génocide ne définit pas la notion de « groupe comme tel ». À cet égard, le projet du secrétaire général précise que le génocide vise un groupe humain à travers les individus qui le composent, ce groupe étant constitué d’un « certain élément de la population dont les membres ont des traits communs qui les distinguent des autres éléments de la population76. » Ainsi définis, les groupes humains sont nombreux et divers77. La Convention sur le génocide viserait toutefois la protection de groupes présentant une certaine permanence et des caractères spécifiques78. Une chambre de première instance du TPIR a interprété de façon restrictive cette référence en spécifiant à cet égard qu’
un critère commun aux quatre ordres de groupes protégés par la Convention sur le génocide est que l’appartenance à de tels groupes semblerait ne pouvoir être normalement remise en cause par ses membres, qui y appartiennent d’office, par naissance, de façon continue et souvent irrémédiable79.
45À la lumière de ces critères, la chambre a néanmoins conclu que le groupe tutsi au Rwanda constitue un groupe ethnique comme tel, même si elle a reconnu que les critères distinctifs retenus ont été, en partie, artificiellement créés.
46Le groupe victime peut constituer tant la majorité qu’une minorité, voire faire partie du même groupe que l’auteur80 ; il peut en outre être composé de plusieurs groupes protégés au regard de la convention81.
3) Intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux
47Seuls ces groupes sont protégés par la Convention sur le génocide. Afin de délimiter ce à quoi chacun se réfère, les spécificités d’un groupe peuvent servir, en conjonction avec d’autres, à définir celles d’un autre. Dans ce contexte, le groupe national peut être perçu comme un ensemble d’individus qui se distinguent du reste de la population par leurs similitudes linguistiques, ethniques, religieuses et culturelles plutôt que par leur nationalité ou citoyenneté au sens strict82. Pour sa part, le groupe religieux se réfère à une idée de communauté religieuse unie par un même idéal, pouvant inclure les convictions théistes, non théistes et athées83.
48Tout essai de conceptualisation qui tendrait à définir avec rigidité chacun des groupes irait à rencontre du but et de l’esprit de la Convention sur le génocide, qui visent à protéger des groupes aussi larges que possible dans la mesure où ils sont stables ou facilement identifiables par des spécificités propres84. En fait, la force de cet instrument international réside dans la flexibilité des caractéristiques des groupes qui y sont mentionnés.
49Ainsi, la détermination objective des caractéristiques propres à chaque groupe n’est pas essentielle ; ce qui importe, c’est la perception qu’ont les auteurs et les membres du groupe ciblé des différences qui les distinguent. Plutôt que de mettre l’accent sur la spécification de critères précis et objectifs permettant d’identifier un groupe comme tel, il convient d’établir que des mesures ont été prises en pratique pour les distinguer. Au Rwanda, par exemple, le groupe tutsi a été isolé et distingué par des mesures législatives et administratives même si, objectivement, les membres du groupe tutsi ne se distinguent pas des Hutus par leur langue, leur religion ou le territoire qu’ils occupent85. Dans ce sens, la chambre saisie de l’affaire Jelisic a choisi d’apprécier l’appartenance à un groupe national, racial, ethnique ou religieux à partir d’un critère subjectif :
c’est la stigmatisation, par la collectivité, du groupe en tant qu’entité ethnique, raciale ou nationale distincte, qui permettra de déterminer si la population visée constitue, pour les auteurs présumés de l’acte, un groupe ethnique, racial ou national86.
C) Qualité de l’auteur
50En raison de l’intention spécifique requise et des moyens qu’elle suppose, il est légitime de vérifier les qualités inhérentes de l’auteur présumé du crime de génocide qui doivent, pourrait-on arguer, obligatoirement être démontrées avant de conclure à la perpétration de ce crime.
1) Considérations générales
51Selon les principes de Nuremberg87, les personnes ayant commis des crimes de droit international engagent leur responsabilité pénale individuelle88. La Convention sur le génocide dispose expressément, en son article IV, que « [l]es personnes ayant commis le génocide […] seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers ».
52La Convention sur le génocide est donc limpide et ne donne lieu à aucune difficulté d’interprétation : toute personne ayant commis un acte de génocide engage sa responsabilité pénale individuelle sur le plan international et est susceptible d’être poursuivie pour ce crime, quelle que soit sa position et sa qualité pour agir – à titre privé ou en tant qu’organe d’un État.
53L’affirmation de la responsabilité pénale de tout « particulier » oblige-t-elle à conclure que tout acte répondant à la description figurant dans la convention doit recevoir une telle qualification, à partir du moment où l’acte est commis dans le contexte d’un génocide perpétré sur un territoire donné ? Répondre par l’affirmative impliquerait la potentielle poursuite pour génocide, sans discrimination aucune, tant du dirigeant ayant conçu le génocide que de tout exécutant qui n’a pas conscience du contexte plus général dans lequel s’inscrivent ses actes. Un tel résultat laisse dubitatif.
54Le dol spécial requis pour le crime de génocide permet d’exclure d’emblée tous les actes qui pourraient répondre à la définition de l’élément matériel mais pour lesquels l’auteur n’avait pas, au moment de la perpétration, l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe comme tel. Cela explique notamment que, selon les termes de la Convention sur le génocide et la conception générale du dol spécial en droit pénal, les actes de l’accusé doivent être objectivement susceptibles d’aboutir à la destruction du groupe. De plus, cette destruction doit être recherchée ou tout le moins acceptée par l’auteur89. Or, il est difficile de concevoir comment une intention génocidaire peut se former chez l’auteur des actes en cause s’il n’a pas participé à la conception effective et à la mise en œuvre du plan de génocide. Un lien doit dès lors être établi entre les actes de l’accusé et la politique discriminatoire, de nature telle qu’il soit établi, au-delà de tout doute raisonnable, que l’accusé connaissait cette politique et qu’il en était un participant conscient.
55Cette approche découle d’une interprétation de la définition conventionnelle qui respecte pleinement l’objet et le but de la condamnation du génocide par le droit des gens et permet d’éviter la banalisation du crime par une extension abusive de son champ d’application. En adoptant la Convention sur le génocide, la communauté internationale voulait marquer sa plus haute réprobation et ainsi qualifier de « crime des crimes » le génocide90.
56L’interprétation prônée ici, qui vise à limiter l’incrimination pour génocide aux personnes ayant pris part à la conception et à la mise en œuvre effective du plan génocidaire, n’est du reste pas étrangère au droit international. C’est en ce sens que se sont prononcées, avant 1948, les premières instances pénales internationales, qui n’ont retenu l’incrimination que pour les personnes occupant une position effective d’autorité et ayant fait usage de cette position pour mettre en œuvre leur in tendon de détruire un groupe91. La pratique contemporaine est toutefois un peu moins claire : en ce sens, en dépit de la démonstration objective qu’un génocide a été commis en ex-Yougoslavie, seules quelques personnes sont inculpées de ce chef devant le TPIY. Au contraire, au Rwanda, tous les accusés doivent faire face à une telle charge, quels que soient le rang occupé ou les fonctions exercées par eux.
57Par ailleurs et de manière surabondante, incriminer du chef de génocide tous ceux qui auraient commis des actes entrant dans l’une ou l’autre catégorie prévue par la Convention sur le génocide – qu’ils soient hauts dirigeants ou exécutants – irait à l’encontre d’une saine politique pénale. Dans ces circonstances, le juge devrait appliquer au crime de génocide une échelle de peines très large de manière à respecter le principe d’individualisation. Il créerait de ce fait des catégories de génocidaires, grands et petits. Un tel exercice est antinomique au crime même de génocide, qui est particulièrement odieux et dont la proscription absolue lui confère un caractère proprement aggravant92.
58L’incrimination de génocide doit partir de ces considérations. Afin d’établir l’intention génocidaire, le juge doit prendre en compte un ensemble d’éléments lui permettant de déterminer dans quelle mesure les actes commis par l’inculpé étaient objectivement susceptibles d’engendrer le dommage recherché, à savoir la destruction du groupe visé par la politique discriminatoire. Comme les génocides ne répondent pas à un archétype unique, chaque affaire oblige à examiner avec minutie la position occupée par la personne accusée dans les structures politiques, civiles ou militaires, les fonctions effectivement exercées, l’extension de ses pouvoirs de jure et de facto, son ascendant sur les individus et, en général, tous les éléments pertinents pour déterminer sa participation réelle dans la conception et la mise en œuvre du plan génocidaire. Il ne s’agit aucunement d’établir d’emblée une présomption de culpabilité pour les dirigeants et d’exonérer en toutes circonstances les personnes n’occupant pas de position officielle. Il s’agit plutôt de procéder à une analyse détaillée des circonstances de chaque espèce afin de déterminer les éléments propres au crime de génocide au regard de la définition reconnue par le droit international.
59La détermination de la formation de l’intention génocidaire chez l’inculpé sera éminemment guidée par les particularités de l’espèce. L’analyse de l’application jurisprudentielle de l’incrimination pour génocide permet de comprendre comment ce cadre théorique est mis en pratique et les problèmes qu’il soulève.
2) Application jurisprudentielle
60Dans le contexte de l’ex-Yougoslavie, 17 personnes ont officiellement été accusées de génocide ou de complicité de génocide93. Douze d’entre elles ont comparu94. Seuls Kristic, Jelisic et Sikirica ont déjà fait l’objet d’un jugement, ce dernier ayant été acquitté du chef de génocide à la suite d’une requête présentée par la défense aux termes de l’article 98 bis du règlement95. Trois des accusés étaient chefs de camps de détention au moment des événements incriminés96, alors que les autres occupaient des postes de hauts dirigeants.
61Dans le cas des trois commandants de camps, les faits décrits dans les actes d’accusation couvrent la période entre les 24 mai et 30 août 1992, bien que les accusés aient occupé leurs fonctions pendant des périodes plus courtes encore97. Les actes d’accusation dressés contre Jelisic et Sikirica présentent sommairement les atrocités commises par chacun d’eux ou leurs subordonnés. L’acte d’accusation de Meakic est un peu plus prolixe : outre la description des conditions prévalant au camp d’Omarska, il expose de façon générale la prise du pouvoir par les Serbes dans la municipalité de Prijedor et les actes de violence perpétrés contre la population civile.
62Aucun des actes d’accusation ne précise de quelle manière les trois accusés ont poursuivi le dessein de détruire les Musulmans et les Croates bosniaques. Dans l’affaire Jelisic, la chambre qui a prononcé le jugement a conclu que, bien que l’opération menée contre la population musulmane de la municipalité de Brcko eût été organisée, l’accusation n’avait pas démontré que cette organisation visait la destruction du groupe98. Les faits de Jelisic ne pouvaient dès lors s’inscrire dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique génocidaire globale. Estimant toutefois qu’il existait des circonstances exceptionnelles au regard desquelles un accusé pourrait « nourrir le projet d’exterminer un groupe dans son ensemble, sans que cette intention soit soutenue par un minimum d’organisation à laquelle participent d’autres individus99 », la chambre a conclu, après vérification, que ce n’était pas le cas en l’espèce et que l’accusé agissait de « façon arbitraire, plutôt que sur la base d’une intention claire de destruction d’un groupe100. »
63Pour ce qui est de l’accusé Meakic, même s’il était reconnu qu’un génocide avait effectivement eu lieu en Bosnie-Herzégovine pendant la période couverte et que les groupes ciblés correspondaient à ceux identifiés dans l’acte d’accusation, il faut encore que cet accusé eût perpétré ses crimes avec l’intention spécifique requise et que ses actes fussent objectivement susceptibles d’engendrer la destruction des groupes. A cet égard, il faut procéder à un examen approfondi de l’étendue de ses pouvoirs et fonctions effectives, de la durée de son affectation, de la place qu’il a occupée au sein de la hiérarchie militaire ou civile et de tous autres éléments permettant de circonscrire sa participation réelle et sa contribution à la conception effective et à la mise en œuvre du plan génocidaire.
64La situation se présente sous un angle différent pour les autres accusés. Outre Milosevic qui, au moment des faits incriminés, occupait le poste de président de la république fédérale de Yougoslavie, tous paraissent aussi avoir été de hauts dirigeants. Selon les actes d’accusation contre Brdanin, Drljaca, Kovacevic101, Krajisnik, Plavsic, Stakic, Talic et Zupljanin, tous auraient planifié, organisé, ordonné et mis en œuvre une campagne visant à chasser les populations non-serbes des territoires qui les concernaient et à liquider celles qui, restées dans ces régions, n’adhéraient pas au concept d’un État serbe. Tous les actes d’accusation explicitent les larges pouvoirs de jure des accusés en raison des hautes fonctions militaires ou civiles qu’ils exerçaient au moment des crimes allégués. Dans ces cas, comme il sera démontré ci-après pour les accusés Karadzic et Mladic, intention génodicaire et politique discriminatoire se confondaient102. Pour leur part, Blagojevic, Kristic, Obrenovic et Pandurevic sont accusés de génocide en raison de leur participation aux événements qui ont entouré le drame de Srebrenica en 1995. Krstic a du reste été jugé coupable de ce chef103. Dans cette affaire, la chambre a, dans un premier temps, conclu qu’un génocide avait été perpétré contre la population bosniaque, à Srebrenica, en juillet 1995. Elle a par la suite vérifié la responsabilité de l’accusé à cet égard, pour conclure qu’il avait été un rouage important de toute l’opération. Tout en notant que l’accusé n’avait pas participé à l’élaboration du plan génocidaire, la chambre a considéré « qu’il avait toutefois joué un rôle prépondérant dans sa mise en œuvre104. »
65Bien que Karadzic et Mladic n’aient pas encore comparu devant l’une des chambres du TPIY, leurs actes d’accusation ont fait l’objet d’un examen dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve105. Dans le premier acte d’accusation (IT-95-5), le génocide n’est retenu que pour la détention de civils dans des camps d’internement et pour les traitements inhumains qu’ils y ont subis ; le deuxième acte d’accusation (IT-95-18) concerne la prise de l’enclave de Srebrenica en juillet 1995. À l’époque des faits incriminés, Karadzic, à titre de président de l’administration des Serbes de Bosnie, occupait le poste hiérarchique le plus élevé, tandis que Mladic était commandant en chef de l’armée de cette même administration. Dans ce contexte, Karadzic et Mladic sont accusés de génocide contre les Musulmans bosniaques en tant que groupes national, ethnique ou religieux.
66La chambre du TPIY a d’abord observé que l’ensemble des faits relatés dans les actes d’accusation présentaient une nature similaire et dévoilaient une ligne de conduite révélatrice de la « politique de nettoyage ethnique106 ».
67Par la suite, l’organe juridictionnel s’est attaché plus précisément à l’analyse de l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe comme tel. Cette vérification s’avérait d’autant plus importante que la chambre était appelée à connaître d’une responsabilité de hauts dirigeants. Après examen des faits portés à sa connaissance, elle a conclu que cette ligne de conduite révélait effectivement dans son ensemble une intention génocidaire107.
68Enfin, pour ce qui était de la responsabilité pénale individuelle des accusés, la chambre a considéré que certains de leurs actes ont pu être planifiés ou ordonnés dans une intention génocidaire. Pour elle, cette intention ressortait de l’effet conjugué des discours des accusés, des projets préparant ou justifiant ces actes, du caractère massif de leurs effets destructeurs ainsi que de leur nature spécifique visant à miner les fondements du groupe108.
69La chambre a dès lors assimilé et confondu la politique du parti serbe préalablement identifiée à l’intention spécifique propre aux dirigeants politiques et militaires qui l’ont prônée et effectivement conçue. En l’espèce, en raison du rôle déterminant de ces deux hauts dirigeants dans la conception et la mise en œuvre de la politique génocidaire, l’approche suivie par la chambre, dans le cadre de l’examen de ces actes d’accusation aux termes de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, paraît pleinement justifiée.
70Contrairement au TPIY, l’ensemble des personnes inculpées dans le contexte du drame rwandais sont accusées publiquement du chef de génocide. Toutefois, seuls six accusés ont fait l’objet de jugements qui fournissent des indications quant à la qualité requise de l’auteur d’un crime de génocide109. Des informations utiles peuvent également être tirées des affaires dans lesquelles les accusés ont reconnu leur responsabilité du chef de génocide, de complicité dans le génocide ou d’incitation à le commettre110.
71Dans leur examen au fond des affaires, les chambres ont estimé nécessaire, dans un premier temps, de vérifier si un génocide avait effectivement eu lieu en avril 1994 au Rwanda, abstraction faite de toute responsabilité pénale individuelle111. À cet égard, elles ont abouti à la conclusion qu’il ne faisait aucun doute que les tueries généralisées et systématiques perpétrées à l’échelle du pays visaient l’extermination du groupe tutsi112. En outre, les chambres ont observé que le génocide paraissait avoir été minutieusement organisé113.
72Se penchant par la suite sur la question de la responsabilité pénale des accusés et sur celle, sous-jacente, de l’intention qu’ils auraient nourrie, la chambre saisie de l’affaire Akayesu a estimé nécessaire de formuler la mise en garde liminaire suivante :
[i]l s’agit pour elle uniquement d’apprécier la responsabilité pénale individuelle de l’accusé pour les crimes qui lui sont reprochés, dont celui de génocide, et dont la preuve doit être rapportée par l’accusation. Malgré l’incontestable atrocité des crimes commis au Rwanda en 1994, les juges se doivent d’examiner les faits présentés en toute sérénité et de toujours garder à l’esprit la présomption d’innocence. En effet, la gravité des charges retenues rend d’autant plus nécessaire un examen scrupuleux et minutieux de tous les éléments à charge et à décharge, dans le cadre d’un procès équitable et respectueux de tous les droits de l’accusé114.
73Toutefois, l’appréciation par les chambres du TPIR de l’intention génocidaire des accusés s’est avérée inégale et parfois, faut-il le relever, fortement discutable. L’examen des jugements prononcés révèle que les fonctions exercées par les huit personnes condamnées à ce jour par le TPIR étaient diverses et couvraient des positions aussi variées que celles de premier ministre, de préfet, de bourgmestre, de chef de milice, de commerçant ou d’animateur de radio. Dans les cas des accusés Kayishema et Akayesu, respectivement préfet et bourgmestre au moment des faits incriminés, les chambres du TPIR ont examiné avec attention les pouvoirs de jure et de facto des accusés ainsi que leur ascendance effective sur ceux qui auraient directement commis les atrocités115. Elles ont également vérifié les mesures qu’ils auraient prises pour y mettre un terme ou punir les auteurs116. Elles ont relevé au passage la participation directe des accusés et l’appui qu’ils ont fourni pour la mise en œuvre effective de la politique génocidaire identifiée au préalable117.
74Pour ce qui est de l’accusé Ruzindana, bien qu’il ait été conclu à sa responsabilité du chef de génocide, le jugement est particulièrement ténu en ce qui concerne la démonstration de l’intention spécifique qu’il aurait nourrie. En effet, Ruzindana ne semble avoir ni occupé ni exercé quelque fonction d’autorité de facto ou de jure qui aurait pu lui permettre de participer à l’application de la politique génocidaire. Peut-être la chambre a-t-elle estimé que l’accusé a profité de la situation chaotique qui prévalait alors au Rwanda pour prendre, en partie, le contrôle des opérations118. Les preuves paraissent ténues à cet égard. Toutefois, à l’égard de Ruzindana, elle ne l’affirme pas expressément. Enfin, les trois plaidoyers de culpabilité méritent que l’on s’y arrête quelques instants. D’une part, que le premier ministre du gouvernement transitoire reconnaisse sa culpabilité dans la perpétration du génocide paraît légitime ; les faits invoqués à l’appui de la reconnaissance de culpabilité de l’accusé Kambanda laissent présager qu’il a nourri l’intention spécifique requise. D’autre part, les plaidoyers de culpabilité du chef de milice et de l’animateur de radio doivent être traités avec plus de réserve. L’on doit regretter que les jugements sur la peine ne donnent pas d’indication suffisante permettant d’évaluer leur intention spécifique respective. À tous égards, tant dans le cas de Ruzindana que dans ceux de Serushago ou de Ruggiu, l’on peut s’interroger sur l’existence de cette intention qui requiert que les actes en cause aient été objectivement susceptibles d’aboutir à la destruction du groupe visé.
Section III – Preuves retenues pour la démonstration du génocide
75Ces preuves se réfèrent respectivement aux éléments matériel et mental du crime.
Sous-section I – Démonstration de l’élément matériel
76La preuve de l’élément matériel du crime de génocide a été portée devant les instances pénales internationales sous la forme de témoignages rendus sous serment en audience119. Ces instances ont accordé une valeur probante aux témoignages relatant les faits constitutifs de génocide, tels que vus directement par les personnes appelées à la barre. Aucun des faits constitutifs du génocide n’a été inféré de présomptions circonstancielles. Ainsi, par exemple, une chambre de première instance du TPIR s’est référée à des témoignages qui contredisaient l’allégation de l’accusé selon laquelle il aurait tenté d’empêcher des massacres120 ; des témoins ont également apporté la preuve directe de la participation de cet accusé dans des meurtres spécifiques121. La même approche a été retenue pour les autres faits constitutifs de génocide, notamment pour les atteintes graves à l’intégrité physique et mentale122 ; pour les violences sexuelles, par exemple, la chambre saisie de l’affaire Akayesu « n’a pris en compte que les éléments de preuve qui sont directs et qui ne prêtent pas à équivoque123. » Ce sont d’ailleurs ces mêmes principes qui ont régi la preuve de faits semblables dans des procès concernant d’autres incriminations, comme le crime contre l’humanité.
Sous-section II – Démonstration de l’élément mental
77C’est en se fondant sur les éléments de preuve soumis et les faits de notoriété publique124 que les chambres des TPI déterminent si la culpabilité des accusés a été démontrée au-delà de tout doute raisonnable. Seules seront examinées ici les preuves retenues pour démontrer l’intention spécifique requise pour la preuve du génocide.
78D’aucuns estiment que le fait de devoir prouver l’intention spécifique caractérisant le crime de génocide offre une échappatoire permettant aux personnes ou entités accusées de plaider qu’elles n’étaient pas animées par une telle intention125.
79Compte tenu que l’exigence de la preuve directe de l’intention spécifique ne serait rien d’autre qu’une probatio diabolica, les tribunaux et la doctrine s’entendent pour affirmer que cette intention peut s’inférer des circonstances et que des présomptions peuvent être utilisées à cet égard :
[l’intention spécifique au crime de génocide] peut être inférée d’un certain nombre d’éléments, tels la doctrine générale du projet politique inspirant les actes [de génocide] ou la répétition d’actes de destruction discriminatoires. L’intention peut également se déduire de la perpétration d’actes portant atteinte au fondement du groupe, ou à ce que les auteurs des actes considèrent comme tels, actes qui ne relèveraient pas nécessairement en eux-mêmes de l’énumération [des actes de génocide], mais qui seraient commis dans le cadre de la même ligne de conduite126.
80Les TPI ont dès lors retenu, comme faits révélant une intention génocidaire et qui se réfèrent directement à l’accusé, l’attitude calomnieuse de ce dernier par rapport au groupe victime127 ou le caractère systématique et répété de ses actions128. Dans l’affaire Kambanda, où l’accusé a plaidé coupable du chef de génocide, il appert de l’acte d’accusation que son intention, si elle avait été démontrée, aurait été inférée de la politique qu’il a adoptée et mise en œuvre à titre de premier ministre et qui avait pour conséquence la destruction du groupe tutsi ; il aurait du reste également reconnu, dans un document gardé sous scellé, avoir directement incité la population à commettre des tueries129.
81Les TPI ont considéré que l’intention génodicaire peut s’inférer du projet de créer un État ethniquement homogène là où les populations sont mélangées et le fait d’exclure des groupes non serbes ou de les déporter par la force130. Le caractère massif des effets destructeurs, le nombre de victimes sélectionnées en raison de leur appartenance à un groupe (plus le nombre de victimes est élevé et plus l’on peut s’interroger sur la nature accidentelle de l’événement), le type d’armes utilisées, le viol systématique des femmes appartenant au groupe ciblé et le fait de les empêcher d’avorter pour qu’elles donnent naissance à des enfants d’une identité nouvelle, la désorganisation des groupes par l’humiliation et la terreur, la destruction des lieux de culte et des bibliothèques peuvent aussi s’avérer des éléments pertinents131. En fait, l’intention au moment de la perpétration du génocide peut se déduire de l’existence d’un plan ou d’une politique ou de l’ensemble des « actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe, que ces autres actes soient commis par le même agent ou même par d’autres agents132. »
82Devant d’autres juridictions, les mesures discriminatoires contre les biens et les mesures économiques ont aussi été utilisées pour démontrer l’intention requise, parmi un ensemble d’éléments de preuve concordants133. Toutefois, la Cour internationale de Justice a estimé que l’intention génocidaire ne peut être inférée de l’utilisation de l’arme nucléaire, malgré sa capacité destructive massive inhérente134. De même, le génocide ne peut être déduit de la disparition totale ou partielle d’un État135.
Notes de bas de page
1 La recevabilité de tels éléments de preuve a déjà été discutée : voir supra, partie II, chap. v.
2 Lemkin, R., « Le génocide », Revue générale de droit pénal, 1946, n° 1-2, p. 25. L’étude originale est : Lemkin, R., Axis Rule in Occupied Europe, Washington, DC, Carnegie Endowment for Internadonal Peace, Division of International Law, 1944, p. 371.
3 Statut du TMI de Nuremberg, art. 6, lettre c). Voir également Charte du TMI de Tokyo approuvée le 19 janvier 1946 par le Commandant suprême des Forces alliées en Extrême Orient, art. 5, lettre c).
4 Acte d’accusation reproduit in : Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international, 14 novembre 1945 – 1 octobre 1946, Nuremberg, 1947 (Procès de grands criminels de guerre devant le TMI de Nuremberg), vol I, p. 4647.
5 Toutefois, dans le cas de crimes contre l’humanité, la preuve de l’intention visant à détruire en tout ou en partie un groupe comme tel n’est pas requise.
6 II s’agit des accusés Göring, von Ribbentrop, Keitel, Kalterbrunner, Rosenberg, Frank, Frick, Streicher, Funk, Seyss-Inquart et Bormann (ce dernier par contumace). Pour sa part, l’accusé Jodl a été jugé coupable du chef de crimes contre l’humanité en raison de sa participation dans la mise en œuvre du plan Barbarossa (nom de code allemand pour l’invasion de l’URSS) qui comprenait un plan d’élimination des commissaires soviétiques, d’après lequel ces derniers pouvaient être exécutés sans jugement, sur la seule décision d’un officier : Procès des grands criminels de guerre devant le TMI de Nuremberg, cité à la note 4, p. 348. Sur le plan Barbarossa, voir Taylor, T., The Analomy of the Nuremberg Trials, Boston, Litde, Brown and Company, 1992, p. 256.
7 Procès des grands criminels de guerre devant le TMI de Nuremberg, cité à la note 4, p. 322. Le TMI a noté que, dès 1938, Streicher a commencé à demander l’anéantissement de la race juive, traitant le Juif de « bacille », de fléau, déclarant qu’il n’était pas un être humain et l’accusant d’être « un parasite, un être nuisible, un malfaiteur et un propagateur de maladies, qui doit être détruit dans l’intérêt de l’Humanité » : ibid.
8 Ibid., p. 324.
9 Ibid., p. 363.
10 Ibid., p. 363-364. Le juge Nikitchenko (URSS) ajoint une opinion dissidente contre cette partie de la décision du Tribunal : ibid., p. 377-380.
11 Voir à cet égard notamment l’affaire Amon Goeth dans laquelle l’accusé fut poursuivi pour génocide. Cette affaire est commentée in : The United Nations War Crimes Commission, Law Reports of Trials of War Criminals (LRWC), London, 1949, vol. VII, p. 1-10 ; et, l’affaire Franz Hoess, ibid., p. 11-26. Ce dernier a été, entre 1940 et 1943, commandant du camp d’Auschwitz.
12 Voir l’affaire Josef Altstötter, ibid., vol. VI, p. 1-100 notamment p. 62. Cette affaire impliqua des juges, procureurs et fonctionnaires dans le ministère de la justice du gouvernement allemand. Voir également l’affaire Ulricht Greifelt, ibid., vol. XIII, p. 1-69 notamment p. 6-12 et 36-42.
13 Entre le 11 décembre 1946, date à laquelle l’Assemblée générale des Nations Unies a chargé le Conseil économique et social « d’entreprendre les mesures nécessaires en vue de rédiger un projet de Convention sur le crime de génocide » (doc. off. NU AG A/RES 96 (I) du 11 déc. 1946), et le 9 décembre 1948, jour où elle a adopté le texte final du traité (doc. off. NU AG A/RES 260 A (III) du 9 déc. 1948), certains projets se sont succédés. D’abord, sur instruction du Conseil économique et social, le secrétaire général, faisant appel à la Division des droits de l’Homme et à un groupe de trois spécialistes (Henri Donnedieu de Vabres, Vespasien Pella et Raphaël Lemkin), présenta, en 1947, un projet de convention sur le crime de génocide, accompagné d’un commentaire. Ce projet, inspiré des principes dessinés par la résolution 96 (I), fut soumis aux observations des Etats membres des Nations Unies : « Projet de convention sur le génocide » présenté par le secrétaire général au Conseil économique et social, doc. off. NU CES E/447 du 26 juin 1947 (ci-après « Projet du Secrétaire général »). Pour les communications des États, voir doc. off. NU AG A/362 du 25 août 1947. Invité à nouveau par l’Assemblé générale à poursuivre ses travaux sur la question (doc. off. NU AG A/RES 180 (II) du 21 novembre 1947), le Conseil économique et social établit un Comité spécial du génocide, composé cette fois de représentants étatiques (Conseil économique et social, résolution 117 (VI) du 3 mars 1948, doc. off. NU CES E/374). Le Comité spécial, composé par des représentants des États-Unis, de l’URSS, du Liban, de la Chine, de la France, de la Pologne et du Venezuela, élabora un second projet commenté de convention : « Rapport du Comité spécial sur le génocide », doc. off. NU CES E/794, 5 avril – 10 mai 1948 (ci-après « Projet du Comité spécial »). C’est ce dernier projet, revu par la Sixième Commission de l’Assemblée générale, qui a fait l’objet du vote final en 1948 (voir les débats correspondants dans : doc. off. de la Troisième Session de l’Assemblée générale, première partie, questions juridiques, Sixième Commission, comptes rendus analytiques des séances (21 septembre – 10 décembre 1948), Paris, Palais Chaillot, 1948, spécialement 63e à 110e séances, p. 4-509 et 128e à 134e séances, p. 659-718 (ci-après « comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission »)).
14 Ainsi le considère Nicomède Ruhashyankiko, dans son « Étude sur la question de la prévention et la répression du crime de génocide » présentée à la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités : doc. off. NU CES E/CN.4/Sub.2/416 du 4 juillet 1978, p. 14 (« Rapport Ruhashyankiko »). Voir également, projet du Comité spécial, ibid., p. 6.
15 Le projet du secrétaire général, cité à la note 13, p. 29, précise seulement que sont couverts autant les « massacres collectifs » que les « exécutions individuelles » ; pour sa part, le projet du Comité spécial, cité à la note 13, p. 6, se limite à parler de « meurtre » sans commentaire.
16 Akayesu, ICTR964, jugement (2 sept. 1998), par. 500-501. Voir cependant la discussion à ce sujet au sein de la Sixième Commission : comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission, cité à la note 13, 88e séance, p. 177.
17 Kayishema, ICTR951, jugement (21 mai 1999), par. 101-104. Cette interprétation a été confirmée par la suite : Kristic, cas n° IT9833, Judgement (2 août 2001), par. 485 ; Kayishema, ch. d’app., cas n° ICTR951, motifs de l’arrêt (1 juin 2001), par. 151 ; Bagilizhema, cas n° ICTR951, Judgement (7 juin 2001), par. 5. Ce dernier jugement a été confirmé en appel : ibid., ch. d’app., arrêt (3 juillet 2002). Le projet d’éléments des crimes, adopté par la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale le 6 juillet 2000, va dans le même sens en indiquant que « le terme “tué” est interchangeable avec l’expression “causé la mort de” » : Commission préparatoire de la Cour pénale internationale, rapport, texte final du projet d’éléments des crimes, doc. off. NU PC NICC/2000/lNF/3/Add 2 (ci après « Projet d’éléments des crimes »), art. 6, lettre a), note infrapinale 3.
18 Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité adopté par la CDI en 1996, reproduit in : Rapport de la CDI sur les travaux de sa quarante-huitième session (6 mai-26 juillet 1996), AG, 51e session, suppl. n° 10, doc. off. NU AG A/51/10 (ci-après : Projet de code de 1996 de la CDI), p. 112.
19 Sur la base d’un amendement proposé par l’Inde : comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission, cités à la note 13, 88e séance, p. 179.
20 Le projet du Comité spécial ne mentionne que « l’atteinte à l’intégrité physique » et est accompagné par une déclaration du représentant chinois, rappelant le « génocide » commis par le Japon « au moyen de narcotiques » au cours de la Deuxième Guerre mondiale et prônant l’ajout des atteintes à l’intégrité mentale dans le texte : Projet du Comité spécial, cité à la note 13, p. 6. Voir également à ce sujet : Graven, J., « Les crimes contre l’humanité », RCADI, t. 76, 1950-1, p. 500 et la “declaration of understanding” des États-Unis d’Amérique lors de leur ratification de la Convention sur le génocide, le 25 novembre 1988 : “permanent impairment of mental faculties through drugs, torture or similar techniques” (source : site internet des Nations Unies, Recueil des traités : https://treaties.un.org/).
21 Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 108 et 113. À cet égard, N. Robinson a écrit : “what is ‘serious’ harm is already a matter of interpretation to be decided in each instance on the basis of the intent and the possibility of implementing this intent by the harm done” : Robinson, N., The Genocide Convention. Its Origins and Interpretation, New York, Institute of Jewish Affairs, World Jewish Congress, 1949, p. 18.
22 Karadzic et Mladic, cas n° IT-95-5 et IT-95-18, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve (11 juillet 1996), par. 93 ; Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 504.
23 Akayesu, ibid., par. 711-712.
24 Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22, par. 93 ; Akayesu, ibid., par. 706-707 et 732-733.
25 District Court of Jerusalem, Attorney – General of the Government of Israel v. Adolf Eichmann, décision reproduite in : ILR, vol. XXXVI, 1968, p. 41, par. 199 : “the enslavement, starvation, deportation and persecution of the said Jews and by their detention in ghettos, transit camps and concentration camps in conditions which were designed to cause their degradation, deprivation of their rights as human beings, and to suppress them and cause them inhumane suffering and torture”.
26 Ibid. ; Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22, par. 93.
27 District Court of Jerusalem, Attorney – General of the Government of Israel v. Adolf Eichmann, ibid., p. 238 et Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 504.
28 Kristic, Judgement, cité à la note 17, par. 513 ; Akayesu, ibid., par. 733 ; Bagilishema, Judgement, cité à la note 17, par. 59. Le projet des éléments d’éléments des crimes va dans le même sens en précisant que ce comportement « peut comprendre, mais sans s’y limiter nécessairement, des actes de torture, des viols, des violences sexuelles ou des traitements inhumains ou dégradants » : Projet d’éléments des crimes, cité à la note 17, art. 6, lettre b), note infrapaginale 3.
29 Projet du Comité spécial, cité à la note 13, p. 6.
30 Projet du secrétaire général, cité à la note 13, p. 29. Dans l’affaire Kayishema, une chambre de première instance du TPIR a repris cette citation à son compte : Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 115.
31 District Court of Jerusalem, Attorney-General of the Government of Israël v. Adolf Eichmann, cité à la note 25, p. 235-236, par. 199. Voir également, Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22, par. 93.
32 Karadzic et Mladic, ibid.
33 Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 506. De manière similaire, le projet du secrétaire général incriminait la « privation de tout moyen d’existence par confiscation, pillage, interdiction de travailler, refus du logement et des approvisionnements accessibles aux autres habitants du territoire », mesures qui condamneraient les membres du groupe « à une mort à moyen terme au lieu de les condamner à la mort à court terme dans des camps de concentration, mais ce n’est en définitive qu’une différence de degré » : Projet du secrétaire général, cité à la note 13, p. 30. Voir également, Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 116 ; Projet d’éléments des crimes, cité à la note 17, art. 6, lettre c), note infrapaginale 4.
34 Kayishema, motifs de l’arrêt, cités à la note 17 ; Kayishema, ibid.
35 Ainsi, par exemple, voir le Projet du Secrétaire général, cité à la note 13, p. 28 ; Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22, par. 93 ; et indirectement (bien que le tribunal ait conclu que l’intention de détruire le groupe était absente dans le cas d’espèce) : District Court of Jerusalem, Attorney – General of the Government of Israël v. Adolf Eichmann, cité à la note 25, par. 185-186.
36 La déportation des Hommes et des femmes dans des lieux séparés peut aussi être considérée comme une mesure visant à entraver les naissances au sein du groupe : voir infra.
37 Verhoeven, J., « Le crime de génocide. Originalité et ambiguïté », Revue belge de droit international, vol. XXIV, 1991, p. 15.
38 Cet adjectif permet toutefois de souligner que l’élément psychologique du génocide requiert un dol, et non une simple négligence, même dans cette hypothèse où « l’intention de l’auteur […] peut apparaître avec moins de certitude » : Projet du secrétaire général, cité à la note 13, p. 29.
39 C’est l’énumération proposée par le projet du secrétaire général, ibid., p. 30.
40 La doctrine avait déjà prôné une telle approche, notamment pour le cas de l’ex-Yougoslavie : Petrovic, D., “Ethnie Cleansing – An Attempt at Methodology”, EJIL, vol. V, 1994, p. 357 ; Webb, J., “Génocide Treaty – Ethnie Cleansing – Substandve and Procédural Hurdles in the Application of the Genocide Convention to Alleged Crimes in the Former Yugoslavia”, Georgia Journal of International and Comparative Law, 1993, vol. XXIII, p. 402.
41 Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 507. Du même avis : Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 117. De même, une chambre du TPIY a considéré que « le viol systématique des femmes […] vise dans certains cas, par la conception forcée, à la transmission à l’enfant d’une identité ethnique nouvelle » et rentre donc dans le cadre d’un génocide en ex-Yougoslavie : Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22, par. 64 et 94.
42 Akayesu, ibid., par. 508.
43 Projet du secrétaire général, cité à la note 13, p. 31-33. Cette catégorie, qui avait recueilli l’accord des trois experts dans ce projet, n’apparaissait pas dans le projet du comité spécial, mais fut plus tard récupérée par la Sixième Commission.
44 Voir, à cet égard, la déclaration du représentant grec, lors de la présentation de son amendement visant à ajouter cet alinéa : comptes rendus des séances de la Sixième Commission, 82e séance, cités à la note 13, p. 186. En 1996, la CDI a interprété cette référence comme une figure de « génocide biologique » : Projet de Code de 1996 de la CDI, cité à la note 18, p. 112.
45 Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 509, Voir aussi, Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 118.
46 Projet d’éléments des crimes, cité à la note 17, art. 6, lettre e), note infrapaginale 5.
47 Voir Hennau, G., Veihaegen. J., Droit pénal général, Bruxelles, Bruylant, 1995, p. 277.
48 Pradel. J., Droit pénal comparé, Paris, Dalloz, 1995, p. 251-270.
49 À cet égard, la Cour Suprême du Canada a observé :
[ce principe] repose sur le respect de la personne et la notion de libre arbitre. Toute personne est responsable de sa volonté. Lorsqu’en exerçant son libre choix, un membre de la société adopte une conduite nuisible ou socialement inacceptable, contraire au droit criminel, il doit accepter les peines qu’impose la loi pour décourager de tels comportements. La justice n’exige rien de moins. Cependant pour être qualifié de criminel, l’acte reproché doit avoir été accompli consciemment. Pour qu’un délinquant soit passible d’une peine, le crime doit nécessairement comporter un élément intentionnel et un élément matériel.
Leary c. La Reine, [1978] 1 Recueil de la Cour Suprême du Canada (RCS) 34.
50 Les auteurs canadiens Côté-Harper, Rainville et Turgeon notent que la Cour Suprême du Canada se réfère, dans ces cas, aux « stigmates sociaux » pour l’auteur de l’infraction associés à « la preuve d’une certaine malhonnêteté » : Côté-Harper, G., Rainville, P., et Turgeon, Y., Traité de droit pénal canadien, 4e éd., Cowansville, Yvon Biais, 1998, p. 369-370.
51 À cet égard, la Cour Suprême du Canada explique :
[i]l ne s’agit pas de savoir si une personne raisonnable aurait prévu les conséquences de l’acte prohibé, mais si l’accusé était subjectivement conscient que ces conséquences étaient à tout le moins possibles. Dans l’application du critère subjectif, le tribunal examine l’intention de l’accusé et les faits tels que ce dernier croyait qu’ils étaient.
Rc. Théroux, [1993] 2 RCS 5, p. 5 et 18.
52 Voir, par exemple : en droit pénal anglais, Smith, J.C., Hogan, B., Criminal Law, 7e éd., Londres, Butterworths, 1992, p. 53-59 ; en droit pénal français, Desportes, F., Le Gunehec, F., Le nouveau droit pénal t. 1 (Droit pénal général), Paris, Economica, 1996, p. 358-361 ; en droit pénal italien, Mantovani, F., Diritto penale, parte generale, 2e éd., Padoue, CEDAM-Milani, 1988, p. 314.
53 Voir à cet égard Hennau, C, Verhaegen, J., Droit pénal général, op. cit. note 47, p. 297 ; Côté-Harper, G., Rainville, P., Turgeon, Y., Traité de droit pénal canadien, op. cit. note 50, p. 417 ; Pradel, Y., Droit pénal comparé, op. cit. note 48, p. 254-255. Ce dernier estime que l’extension est logique puisque la « conscience de la quasi-certitude d’un résultat équivaut au fait de vouloir ce résultat. Cette approche est consacrée dans les droits romano-germaniques tandis que les pays de common law sont partagés : les États-Unis la retiennent alors que le Canada la rejette. » Voir à cet égard, Lafave, Scott, Criminal Law, 2e éd., St. Paul, West Publishing, 1998, p. 223.
54 Hennau, C, Verhaegen, J., Droit pénal général, op. cit. note 47, p. 329.
55 Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 518.
56 Hennau, C., Verhaegen, J., Droit pénal général, op. cit. note 47, p. 329.
57 Voir Desportes, F., Le Gunehec, F., Le nouveau droit pénal, op. cit. note 52, p. 364-365 ; Smith, J.C., Hogan, B., Criminal Law, op. cit. note 52, p. 79-80.
58 Se référer à cet égard au préambule de la résolution 96 (I) de l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour sa part, le projet du secrétaire général précise que « certains actes qui peuvent avoir pour résultat la destruction tout au moins partielle d’un groupe humain, se trouvent exclus en principe de la notion de génocide, à savoir : la guerre internationale et la guerre civile, les violences individuelles n’ayant pas pour but la destrucdon d’un groupe humain, la politique d’assimiladon forcée d’un élément matériel, le déplacement en masse de la population » : Projet du secrétaire général, cité à la note 13, p. 27.
59 Voir Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 498 et 517 ; Rapport Ruhashyankiko, op. cit. note 14, p. 25-26. Voir aussi l’étude du rapporteur spécial Ben Whitaker à la sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités : « Version révisée et mise à jour de l’Étude de la question de la prévention et la répression du crime de génocide », doc. off. NU CES E/CN.4/Sub.2/1985/6 du 2 juillet 1985 (ci-après « Rapport Whitaker »), p. 23 ; Projet de Code de 1996 de la CDI, cité à la note 18, p. 108 ; Verhoeven, J., « Le crime de génocide. Originalité et ambiguïté », op. cit. note 37, p. 16.
60 Comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission, 72e séance, cités à la note 13, p. 87. Voir notamment la déclaration du représentant du Panama qui a affirmé que « [l]a caractéristique qui distingue le génocide de l’homicide de droit commun, c’est l’intention de détmire un groupe ». Ibid., 69e séance, p. 61-62.
61 Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22, par. 92. Voir aussi Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 91 et Jelisic, cas n° IT-95-10, jugement (14 déc. 1999), par. 61.
62 Verhoeven, J., « Le crime de génocide. Originalité et ambiguïté », op. cit. note 37, p. 20. Voir aussi Kayishema, ibid., par. 91.
63 R. Lemkin expose ce plan en détail dans son ouvrage Axis Rule in Occupied Europe, op. cit. note 2.
64 Verhoeven, J., « Le crime de génocide. Originalité et ambiguïté », op. cit. note 37, p. 17.
65 Lors des débats au sein de la Sixième Commission, l’Union soviétique avait suggéré un amendement aux termes duquel étaient substitués les mots « dans l’intention de » par « visant la destruction physique » : doc. off. NU AG A/C.6/223 et corr. 1 reproduit in : comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission, annexe, p. 22. Consulter également : comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission, 73e séance, cités à la note 13, p. 96-97.
66 Rapport Whitaker, op. cit. note 59, p. 23. Sur les problèmes de preuve propres au crime de génocide, voir infra.
67 Projet du Comité spécial, cité à la note 13, p. 5.
68 Certains représentants étatiques au sein de la Sixième Commission ont soutenu que l’expression « comme tel » maintenait l’exigence de démontrer les motifs qui ont poussé l’auteur à agir : Venezuela (comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission, 77e séance, cités à la note 13, p. 131) et Siam (ibid., p. 133). D’autres représentants ont soutenu le contraire : Brésil (ibid., p. 132) et URSS (ibid., p. 134).
69 Robinson, N., The Genocide Convention. Its Origins and Interpretation, op. cit. note 21, p. 16-17 ; Rapport Ruhashyankiko, op. cit. note 14, p. 26-27. Contra Shaw, M.N., “Genocide and International Law”, in : International Law at a Time of Perplexity: Essays in Honour of Shabtai Rosenne, Dinstein, Y., éd., Dordrecht/Boston/Londres, Martinus Nijhoff, 1989, p. 806.
70 Jelisic, jugement, cité à la note 61, par. 66. L’auteur présumé choisissant ses victimes en fonction de leur appartenance à un groupe donné, le génocide, de ce point de vue, s’apparente au crime contre l’humanité re : persécution : ibid, par. 68 ; Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 578. Toutefois, il s’en distingue en ce que, dans le cas du crime contre l’humanité, l’auteur ne cherche pas nécessairement à détruire la communauté visée comme telle : Jelisic, ibid., par. 79.
71 Robinson, N., The Genocide Convention. Its Origins and Interpretation, op. cit. note 21, p. 17 ; Rapport Ruhashyankiko, op. cit. note 14, p. 14. Contra : Affaire relative à l’Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), ordonnance du 17 décembre 1997, demandes reconventionnelles, opinion individuelle du Juge ad hoc Lauterpacht, notamment au par. 13 :
[a] single murder or other horrific act cannot be genocide. Only a series or accumulation of such acts, if they reveal collectively the necessary intent and are directed against a group identifiable in the manner foreseen in Article II of the Convention, will serve to constitute genocide – whereupon liability for the individual component crimes, as well as for the special crime of genocide, will fall not only upon the individuals directy responsible but also upon the State to which their acts are attributable.
72 De cet avis : Verhoeven, J., « Le crime de génocide. Originalité et ambiguïté », op. cit. note 37, p. 18.
73 C’est l’approche retenue dans les affaires Jelisic : jugement, cité à la note 61, par. 82 et Kristic, Judgement, cité à la note 17, par. 590-598. La chambre saisie de l’affaire Kayishema a exigé, pour sa part, l’intention de détruire un nombre considérable d’individus : jugement, cité à la note 17, par. 97.
74 Rapport de la commission d’experts pour l’ex-Yougoslavie, doc. off. NU CS S/25274 du 10 février 1993, par. 94.
75 Pour une opinion prenant en considération l’échelle relative et les effectifs totaux, consulter rapport Whitaker, op. cit. note 59, p. 19. L’auteur paraît toutefois principalement préoccupé par les difficultés liées à la démonstration d’un génocide dans les cas où le nombre de victimes est peu élevé.
76 Rapport du secrétaire général, cité à la note 13, p. 25.
77 Le rapport du secrétaire général exclut d’emblée les catégories professionnelles ou les groupes sportifs : ibid.
78 Dans l’affaire Akayesu, la chambre de première instance la estimé qu’ « [i]l apparaît, à la lecture des travaux préparatoires de la Convention sur le génocide, que le crime de génocide aurait été conçu comme ne pouvant viser que des groupes “stables”, constitués de façon permanente et auxquels on appartient par naissance, à l’exclusion des groupes plus “mouvants” qu’on rejoint par un engagement volontaire individuel, tels les groupes politiques et économiques » : Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 511 (citations omises). Voir aussi Jelisic, jugement, cité à la note 61, par. 69.
79 Akayesu, ibid.
80 Une telle situation a été qualifiée d’autogénocide, expression impliquant une destruction massive à l’intérieur de son propre groupe d’un nombre important de ses membres. À cet égard, se référer aux observations du rapporteur des Nations Unies sur les meurtres de masse au Kampuchea : doc. off. NU CES E/CN.4/SR.1510.
81 À cet égard, se référer notamment à la politique de purification ethnique, dans le contexte de l’ex-Yougoslavie, au regard de laquelle étaient visés les groupes qui n’étaient pas serbes. La chambre Jelisic a qualifié cette approche de négative c’est-à-dire une approche « qui consiste à identifier des individus comme ne faisant pas partie du groupe auquel les auteurs du crime considèrent appartenir et qui présente selon eux des caractéristiques nationales, ethniques, raciales ou religieuse propres, l’ensemble des individus ainsi rejetés constituant, par exclusion, un groupe distinct » : jugement, cité à la note 61, par. 71.
82 Dans l’affaire Akayesu, une chambre de première instance du TPIR a toutefois défini ces groupes de manière plus restrictive. Pour la chambre, le groupe national « qualifie un ensemble de personnes considérées comme partageant un lien juridique basé sur une citoyenneté commune, jointe à une réciprocité de droits et de devoirs » : Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 512. Elle a défini le groupe ethnique comme « un groupe dont les membres partagent une langue et une culture commune » : ibid., par. 513. Elle a rappelé que la « définition classique du groupe racial est fondée sur les traits physiques héréditaires, souvent identifiés à une région géographique, indépendamment des facteurs linguistiques, culturels, nationaux ou religieux » : ibid, par. 514. Voir également Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 98.
83 Consulter doc. off. NU AG A/8330, par. 16 à 20. Pour sa part, dans l’affaire Akayesu, la chambre saisie a défini le groupe religieux comme un groupe composé de membres partageant la même religion, confession ou pratique de culte : Akayesu, ibid., par. 515.
84 À cet égard, plusieurs États se sont référés à la stabilité des groupes : Brésil, Venezuela, Egypte, Royaume-Uni et Norvège (comptes rendus analytiques des séances de la Sixième Commission, 69e séance, cités à la note 13, p. 57-61). D’autres ont utilisé les expressions « stables et permanents » ou « cohésion et stabilité » : Brésil et Venezuela (ibid., 63e, 65e et 69e séances, p. 21, 57 et 61) ; « groupes nécessaires qui présentent des caractéristiques permanentes » : Iran (ibid., 74e séance, p. 99) ; « groupes d’individus qui possèdent, d’une façon permanente certains caractères communs » : Pologne (ibid, 64e séance, p. 19) ; et « groupements […] qui constituent des communautés différenciées et nettement définissables » : URSS (ibid., 74e séance, p. 105).
85 “Given the high rate of intermarriage in Rwanda and a common language, religion and geographic area of habitation over several centuries, it is unlikely that the Hutus and Tutsis can be distinguished from each other on an exclusively anthropological basis, despite distinct origins and histories” : Sunga, L., The Emerging System of International Criminal Law, La Haye, Kluwer, 1997, p. 112
86 Jelisic, jugement, cité à la note 61, par. 71. Cette approche a été reprise par la suite : Sikirica, cas n° IT-95-8, Judgement on Defence Motion to Acquit (3 sept. 2001), par. 88-89 ; Kristic, Judgement, cité à la note 17, par. 557 ; Bagilishema, Judgement, cité à la note 17. Contra : affaire des Droits des minorités en Haute-Silesie (écoles minoritaires), arrêt, CJL, série A, n° 12 (1928), p. 5 ; affaire Nottebohm, deuxième phase, arrêt, CIJ, Rec. 1955, p. 4.
87 Le droit de Nuremberg est composé du droit des infractions internationales énoncé dans le statut du TMI de Nuremberg et mis en œuvre dans le jugement rendu par ce Tribunal. Voir également la résolution 95 (I) de l’Assemblée générale : doc. off. NU AG A/RES 95 (I) du 11 décembre 1946, « Confirmation des principes de droit international reconnus par le Statut de la Cour de Nuremberg ». Ces principes ont été condensés en sept points par la CDI reproduit in : Annuaire de la CDI, 1950, vol II, p. 374-378.
88 « Il est admis, depuis longtemps, que le Droit international impose des devoirs et des responsabilités aux personnes physiques […] Ce sont des Hommes, et non des entités abstraites, qui commettent les crimes dont la répression s’impose, comme sanction du Droit international » : Procès des grands criminels de guerre devant le TMI de Nuremberg, cité à la note 4, p. 234-235.
89 Voir Hennau, C, Verhaegen, J., Droit pénal général, op. cit. note 47, p. 329.
90 Kambanda, cas n° IT-97-23, jugement portant condamnation (4 sept. 1998), par. 16. ; Akayesu, décision relative à la condamnation, citée à la note 16, par. 8.
91 Lors des travaux préparatoires de la Convention sur le génocide, certaines propositions tendaient à limiter le champ d’application de l’incrimination aux dirigeants (Projet du secrétaire général, cité à la note 13, p. 40-41, notamment la position de Donnedieu de Vabres) ou aux génocides favorisés ou tolérés par les gouvernants d’un État (amendement proposé par la France, doc. off. NU AG A/C.6/224). Si cette approche n’a pas été retenue, c’est parce qu’elle imposait une notion trop restreinte de génocide, excluant notamment les génocides entrepris par des organisations non étatiques fascistes, terroristes, paramilitaires, etc. À cet égard, voir les débats sur ce point au sein de la Sixième Commission : comptes rendus des séances de la Sixième Commission, 79e séance, cités à la note 13, p. 153-161 et 80e séance, p. 165-171. Du reste, la vision du génocide qui résulte de l’ensemble des travaux préparatoires semble toujours présupposer une organisation de moyens très vaste et un degré de participation de l’auteur à un très haut niveau. À cet égard, le projet du Comité spécial précise que « le génocide a en pratique le caractère d’un crime collectif qui suppose la collaboration d’un nombre plus ou moins grand de personnes » : Projet du Comité spécial, cité à la note 13, p. 8.
92 Kambanda, jugement portant condamnation, cité à la note 90, par. 42.
93 Référence est faite ici aux actes d’accusation rendus publics au 12 février 2002 : Meakic, cas n° IT-95-4 ; Karadzic et Mladic, cas n° IT-95-5-I et IT-95-18 ; Sikirica, cas n° IT-95-8-PT ; Jelisic, cas n° IT-95-10 ; Kovacevic et Stakic, cas n° IT-97-24 ; Krstic et Pandurevic, cas n° IT-99-33 ; Brdanin, Talic et Zupljanin, cas n° IT-99-36 ; Krajisnik et Plavsic, cas n° IT-00-39 et IT-00-40 ; Obrenovic et Blagojevic, cas n° IT-02-53 ainsi que Milosevic, cas n° IT-02-54.
94 Il s’agit de Blagojevic, Brdanin, Jelisic, Kovacevic, Krajisnik, Krstic, Milosevic, Obredovic, Plavsic, Sikirica, Stakic et Talic.
95 Sikirica, cas n° IT-95-8, Judgement on Defence Motions to Acquit (3 sept. 2001).
96 Les accusés Meakic, Jelisic et Sikirica étaient respectivement les chefs des camps d’Omarska, Luka et Keraterm.
97 Meakic aurait été commandant d’Omarska à partir de la fin du mois de juin alors que Jelisic aurait dirigé le camp de Luka pendant une partie du mois de mai seulement. Aucune précision n’est donnée quant à la durée de l’affectation de Sikirica.
98 Jelisic, jugement, cité à la note 61, par. 88-98. Le procureur n’a pas démontré, selon la chambre, que le choix des victimes répondait à une « logique précise de destruction des personnalités les plus représentatives de la communauté musulmane de Brcko au point de menacer la survie de cette communauté » : ibid., par. 93. La chambre d’appel a, pour sa part, estimé que les faits permettaient de conclure que l’accusé avait nourri l’intention génocidaire mais a toutefois refusé d’annuler l’acquittement : Jelisic, ch. d’app., cas n° IT-95-10, Judgement (5 juillet 2001), par. 41-77.
99 Ibid., par. 100. Cette hypothèse, inspirée de l’ouvrage de P. N. Drost, paraît fort peu probable en raison de la nature de l’intention requise de la part de l’auteur présumé. Sur ce point consulter : Drost, P.N., The Crime of State, Génocide, A.W. Sythoff, Leyden, 1959, p. 85.
100 Jelisic, jugement, cité à la note 61, par. 107.
101 Arrêté en juillet 1997, Kovacevic est décédé à La Haye en août 1998.
102 Toutefois, pour ce qui est de Kovacevic, les faits précis qu’il aurait posés et qui sont susceptibles d’incrimination du chef de génocide ne sont pas spécifiés. Ne sont pas précisés non plus sa position hiérarchique et son rôle exacts dans l’administration civile et l’identification de ses supérieurs, le cas échéant. Advenant que Kovacevic eût été traduit en justice, son intention spécifique de commettre le crime de génocide aurait dû être démontrée ; inférer de sa seule appartenance à la cellule de crise ou de son rang hiérarchique élevé son intention spécifique génocidaire serait manifestement contraire aux droits de l’accusé. Pour une situation similaire voir Djukic, cas n° IT-96-20.
103 Kristic, Judgement, cité à la note 17.
104 Ibid., par. 633 et 644.
105 Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22. Pour un commentaire sur cette procédure, voir supra, partie I, chap. iii, sec. IV.
106 Karadzic et Mladic, ibid., par. 90.
107 Ibid., par. 94.
108 Ibid., par. 95.
109 Akayesu, jugement, cité à la note 16 ; Kayishema, jugement, cité à la note 17 ; Musema, cas n° ICTR-9613, jugement (27 janv. 2000) ; Rutaganda, cas n° ICTR-96-3, jugement (6 déc. 1999), Ruzindana, cas n° ICTR-95-1 jugement (21 mai 1999) ; Bagilishema, Judgement, cité à la note 17.
110 Kambanda, jugement portant condamnation, cité à la note 90 ; Serashugo, ICTR-98-39, sentence (5 fév. 1999) ; Ruggiu, cas ICTR-97-32, jugement (1 juin 2000).
111 L’affaire Bagilishema se distingue par le fait que la chambre a préféré s’attarder uniquement à la nature de l’intention l’accusé, pour conclure qu’il n’avait jamais nourri une intention génodicaire. Cette décision a été confirmée en appel (3 juillet 2002). Les motifs de l’arrêt ne sont toutefois pas disponibles.
112 Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 114-116. Pour ce faire, la chambre s’est principalement fondée sur le témoignage d’experts ou de membres d’organisations non gouvernementales qui œuvraient au Rwanda à cette époque et qui ont été les témoins de tueries généralisées. Pour un examen de la responsabilité de l’ONU dans le contexte du génocide rwandais : voir doc. parl., Sénat de Belgique (session 1997-1998) 1-611/lss (6 déc. 1997), « Rapport fait au nom de la Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda » (rapporteurs : Mahoux et Verhofstadt). Voir aussi Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 289-291 et 312-313. Dans ce dernier cas, la chambre, après avoir constaté de manière générale qu’un génocide avait été commis au Rwanda, s’est assurée également de sa perpétration dans les régions visées dans l’acte d’accusation.
113 Akayesu, ibid., par. 123 et 125 : « À la lumière de ces éléments de preuve, la Chambre a dès lors conclu qu’ [i]l apparaît clairement que les massacres survenus au Rwanda en 1994 visaient un objectif déterminé : celui d’exterminer les Tutsis, choisis spécialement en raison de leur appartenance au groupe Tutsi, et non pas parce qu’ils étaient des combattants du FPR. En tout état de cause, les enfants et femmes enceintes tutsis ne sauraient par nature relever de la catégorie de combattants ». La Radio Télévision des Mille Collines a joué un rôle prépondérant dans la propagande anti-tutsie : ibid., par. 126. Au même effet : Kayishema, ibid., par. 289.
114 Akayesu, ibid., par. 129.
115 Akayesu, ibid., par. 704. Au cours de son procès, Akayesu aurait même reconnu qu’il avait le pouvoir de rassembler les populations et que celles-ci obéissaient aux instructions qu’il leur donnait. Voir aussi Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 479-507.
116 Kayishema, ibid., par. 513-516.
117 Ibid., par. 673 et 704
118 C’est ce que la chambre affirme lorsqu’elle estime qu’il faut, en outre des pouvoirs de jure de Kayishema, vérifier ses pouvoirs véritables exercés sur le terrain en raison de la situation chaotique qui prévalait alors au Rwanda : ibid., par. 478.
119 Dans le cas de reconnaissance de culpabilité, les chambres se sont même contentées des faits exposés dans les ententes conclues entre l’accusation et la poursuite.
120 Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 182 et 193.
121 Voir, par exemple, ibid., par. 255-268. Pour l’analyse de la crédibilité des témoignages, voir notamment par. 262 et 299-302.
122 Ibid., par. 405-415.
123 Ibid., par. 451.
124 Dans l’affaire Akayesu, la chambre a considéré comme faits irréfutables les documents fondamentaux relatifs à la création et à la compétence du Tribunal ainsi que certains rapports et documents des Nations Unies : Akayesu, ibid., par. 131 et 165.
125 A. Cassese souligne du reste que c’est ce qui s’est produit dans les cas de la Turquie – encore en 1985 – à propos des Arméniens en 1915-1916, du Brésil à propos de la destruction des populations indigènes en 1969 et du Paraguay pour répondre à l’accusation d’avoir massacré le groupe ethnique des Guayakis (Archés) ou consenti au massacre : Cassese, A., « La communauté internationale et le génocide », in : Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement. Mélanges Michel Virally, Paris, Pedone, 1991, p. 183.
126 Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, cité à la note 22, par. 92 et 94 ; Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 93.
127 Kayishema, ibid., par. 527, 538-540.
128 Ibid., par. 543-545.
129 Kambanda aurait également reconnu avoir participé à une réunion de haut niveau sur la sécurité à Gitarama en avril 1994 où a été débattu l’appui à apporter aux forces armée rwandaises dans la lutte contre le front patriotique rwandais et ses complices, à savoir les Tutsis et les Hutus modérés ; avoir pris la directive sur la défense civile adressée aux préfets le 25 mai 1994 et par laquelle sont encouragés et enhardis les Interahamwe ; et avoir ordonné l’érection des barrages routiers qui servaient à identifier les Tutsis.
130 Karadzic et Mladic, examen des actes d’accusation dans le cadre de l’article 61 du règlement de procédure et de preuve, ibid., par. 94.
131 Ibid.
132 Akayesu, jugement, cité à la note 16, par. 523. Voir aussi Jelisic, ch. d’app Judgement, cité à la note 98, par. 47 et 48. Kayishema, jugement, cité à la note 17, par. 93, 527-533 ainsi que ibid., motifs de l’arrêt, cités à la note 17, par. 147 et 158 ; Bagilishema, jugement, cité à la note 17, par. 62. Le fait de prendre en considération des actes commis par d’autres agents permet d’identifier une ligne de conduite délibérée dans laquelle s’inscrivent des violations graves du droit international humanitaire et permet de saisir la forme globale du crime. À cet égard, se référer à la discussion relative à la recevabilité d’une telle ligne de conduite : supra. Dans l’affaire Eichmann, première instance, le Tribunal a considéré que “all the acts perpetrated in the course of carrying out the ‘Final Solution’ of the Jewish problem are to be regarded as a single whole, and the accused’s criminal responsibility is to be determined acordingly” : District Court of Jerusalem, Attorney – General of the Government of Israel v. Adolf Eichmann, cité à la note 25, p. 232.
133 Pour ce qui est des mesures discriminatoires contre les biens, consulter l’affaire Flick reproduite in : The United Nations War Crimes Commission, LRWC, vol. IX, p. 26-29. Pour ce qui est des mesures économiques, se référer au jugement du TMI de Nuremberg qui a considéré que le fait pour l’accusé Göring d’avoir imposé aux juifs une amende d’un milliard de Reichsmark constituait une mesure discriminatoire : Procès des grands criminels de guerre devant le TMI de Nuremberg, cité à la note 4, p. 298-299.
134 Consulter l’avis consultatif de la CIJ dans l’affaire de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, CIJ, Rec. 1996, p. 226, au par. 26.
135 Affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), ordonnance du 13 septembre 1993, nouvelles demandes en indications de mesures conservatoires, CIJ, Rec. 1993, p. 345.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Cinq types de paix
Une histoire des plans de pacification perpétuelle (XVIIe-XXe siècles)
Bruno Arcidiacono
2011
Les droits fondamentaux au travail
Origines, statut et impact en droit international
Claire La Hovary
2009