Chapitre I. Caractéristiques du système probatoire pénal international
p. 256-260
Texte intégral
1L’examen du système probatoire pratiqué par les cours et tribunaux internationaux se limite aux instances contemporaines. Les règles de procédure et de preuve suivies par les TMI de Nuremberg et de Tokyo ou celles des tribunaux d’occupation institués par les forces alliées à la suite de la Seconde Guerre mondiale dans le cadre de la loi n° 10 du conseil de contrôle allié sont peu instructives ; elles s’avéraient plus souples que celles des instances pénales nationales. Il était entendu que les questions de procédure et de preuve ne devaient en aucun temps permettre à un coupable d’échapper à la justice. Devant ces instances, par exemple, la preuve par déclaration assermentée (affidavit), qui ne permet pas la confrontation avec la partie adverse, a été largement utilisée. En outre, les règles énumérées dans la Convention de Genève de 1929 relative au traitement des prisonniers de guerre ont été considérées comme inapplicables aux criminels de guerre, même si elles représentaient les règles minima de justice généralement admises3. Enfin, ces procès ont été menés avant l’adoption d’instruments définissant les paramètres de la procédure équitable et sans que les accusés ne puissent dès lors bénéficier du raffinement et de la précision qui ont été apportés à ce concept par les organes de contrôle internationaux à vocations régionale ou universelle.
2De manière générale, le système probatoire fixe les règles qui permettent de légitimer et d’évaluer les moyens par lesquels la démonstration d’un fait s’opère. Ces règles identifient notamment les parties à la procédure ainsi que leur rôle respectif. Elles attribuent la charge de la preuve et fixent le niveau de preuve requis pour convaincre l’instance juridictionnelle saisie de la justesse d’une prétention. Enfin, ces règles peuvent retenir certains éléments de preuve, exclure d’autres et établir la valeur probante et la pertinence qu’elles leur attachent.
3Le système probatoire varie en fonction tant de la tradition juridique dans laquelle les instances s’inscrivent que de leur nature pénale, civile, internationale ou nationale. En outre, l’organisation du système probatoire des instances pénales internationales est influencée par des facteurs qui leur sont propres, tels leur mode de création – notamment par traité ou résolution du conseil de sécurité –, la position qu’elles occupent face aux juridictions nationales en termes de primauté, de complémentarité ou de subsidiarité, et la place qu’elles réservent à la prise en compte d’intérêts de tiers, qu’ils soient étatiques ou privés. Trois phases, auxquelles sont attachées des obligations probatoires différentes pour chaque protagoniste, caractérisent le mode de démonstration pratiqué par les instances pénales internationales : l’enquête, la première comparution de l’accusé, y compris la phase préparatoire, et le procès proprement dit.
Section I – Enquête
4Au stade de l’enquête, avant même que l’acte d’accusation ne soit dressé et confirmé, l’ensemble du processus probatoire repose sur l’organe de poursuite : le procureur. C’est à cet organe que revient le fardeau de convaincre le tribunal qu’il existe de bonnes raisons de mener une enquête. La procédure n’est pas publique et a lieu en l’absence de la personne qui en fait l’objet (ex parte). À ce stade, des variations caractérisent les modes de preuve utilisés par les TPI et la CPI, non pas tant en ce qui a trait au niveau de preuve requis – qui paraît a priori analogue – mais plutôt en termes d’intervention de tiers dans la procédure. Dans le cas des TPI, le procureur mène les enquêtes, sans nécessité d’autorisation, sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources4. S’il estime qu’au vu des présomptions qui s’en dégagent il y a lieu de poursuivre, c’est-à-dire qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour soutenir raisonnablement qu’un suspect a commis une infraction relevant de la compétence du Tribunal5, il établit un acte d’accusation qu’il soumet à un juge pour confirmation6. L’autonomie et la très grande liberté dont jouit l’organe de poursuite des TPI s’expliquent en partie par les compétences (ratione materiœ, loci, personœ et temporis) somme toute limitées dévolues à ces instances et par la primauté dont elles jouissent par rapport aux juridictions nationales ; à cet égard, par exemple, elles ne requièrent pas la vérification de l’épuisement des recours disponibles au niveau étatique. La situation est différente pour ce qui est de la CPI.
5La création par voie conventionnelle de la CPI et le fait que cette instance se caractérise par sa permanence et par sa complémentarité face aux instances nationales7 se répercutent sur son système probatoire. En effet, ce dernier ménage la souveraineté étatique en permettant la participation, aux fins de protéger leurs intérêts, d’États ou de tiers intéressés, dès le stade de l’enquête. En outre, le statut de la CPI reconnaît expressément que certains motifs peuvent faire obstacle à la production d’éléments de preuve déterminants en raison du fait qu’ils sont confidentiels ou ont trait à la sécurité nationale. L’organe de poursuite peut ouvrir une enquête si une situation lui a été déférée par un État partie ou par le conseil de sécurité8 et qu’il estime que des bases raisonnables justifient de poursuivre9. Il peut également commencer une enquête de sa propre initiative au vu de renseignements reçus de différentes sources10. Dans ce dernier cas, toutefois, son action est soumise au contrôle d’une chambre du Tribunal qu’il doit convaincre de l’existence de bonnes raisons d’ouvrir cette instruction, et un État peut, comme dans les autres cas, intervenir pour obtenir que le procureur lui défère l’enquête relative aux personnes concernées11. L’enquête, une fois ouverte, permet au procureur de demander à la Cour l’émission d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître contre une personne s’il existe des motifs raisonnables de croire que cette dernière a commis le crime dont elle est soupçonnée, et afin de garantir qu’elle se présentera le moment venu12. La procédure se poursuivra par la suite au siège du tribunal dès le transfert de la personne concernée.
Section II – Transfert et comparution
6Dans le cas des TPI, l’acte d’accusation ayant été confirmé, l’inculpé comparaît dès son transfert à titre d’accusé et ne peut, à ce stade, contester les preuves du procureur13. En revanche, le statut de la CPI prévoit un débat limité mais contradictoire au cours duquel le procureur doit établir, avant la mise en accusation, qu’il existe des motifs substantiels de croire que le comparant a commis le crime. À cet égard, il peut se fonder sur des documents ou résumés et n’est pas tenu de faire comparaître les témoins14. De son côté, la personne qui a comparu peut contester les charges et présenter ses propres preuves15, bien qu’à ce stade et aux termes du statut, le procureur n’ait pas l’obligation de lui communiquer les preuves recueillies, qu’elles soient à charge ou à décharge16. À l’issue de ce débat, la chambre ne confirme les charges que si elle est convaincue que le procureur a apporté des preuves suffisantes17. Cette vérification par la chambre n’est pas sans rappeler celle exercée par le juge de confirmation des TPI, à la différence que, dans le cas de la CPI, l’accusé participe à l’audience et l’organe juridictionnel compétent est composé de trois juges plutôt que d’un seul.
7S’organise par la suite la communication des pièces par le procureur. Pour toutes les instances pénales internationales, le procureur doit informer la défense de l’existence d’éléments de preuve de nature à disculper en tout ou en partie l’accusé (preuves à décharge). Pour ce qui est de la CPI, cette obligation revêt d’autant plus d’importance que le procureur doit étendre son enquête à tous les faits et éléments de preuve qui peuvent être utiles pour déterminer s’il y a responsabilité pénale et, ce faisant, enquêter à charge et à décharge18. Organe d’une entité internationale, le procureur devrait a priori bénéficier, à ce stade, d’un accès plus facile aux éléments de preuve que la défense. Toutefois, des tempéraments importants se rapportent notamment à la protection de renseignements confidentiels ou touchants à la sécurité nationale, ainsi qu’à la protection des agents de l’État, des témoins et des victimes19.
8Les moyens de preuve transmis et les exceptions préjudicielles présentées, le procès au fond commence. Les statuts et règlements de procédure et de preuve organisent alors un système qui vise à assurer des moyens équivalents aux parties dans la démonstration des faits et la présentation des arguments, mais qui s’avère nettement asymétrique pour ce qui est de la charge de la preuve, situation qui se justifie du reste pleinement par le respect impératif de la présomption d’innocence.
Section III – Procès
9Dans le procès, le procureur porte le fardeau de la preuve. Il lui incombe de convaincre la majorité de la Cour ou du Tribunal de la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable20. S’il échoue, l’accusé doit bénéficier de la présomption d’innocence et être acquitté. Le statut de la CPI prévoit expressément que l’accusé ne peut se voir imposer le renversement du fardeau de la preuve ni la charge de la réfutation21. Sur ce point, les textes régissant les TPI ne sont pas tout à fait concordants puisqu’ils ont imposé longtemps à l’accusé, par exemple, la preuve de l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant sa mise en liberté provisoire22 ou celle du défaut total ou partiel de responsabilité23.
10À la suite du réquisitoire et de la plaidoirie des parues, l’organe juridictionnel se retire pour délibérer à huis clos et évaluer l’ensemble des preuves qui lui ont été présentées. Il ne déclarera l’accusé coupable que si la majorité des juges est convaincue de sa culpabilité au-delà de tout doute raisonnable24.
11Le bref survol du système probatoire pénal international met en exergue certaines de ses caractéristiques fondamentales. D’abord et en raison de la présomption d’innocence, le fardeau de la preuve incombe essentiellement au procureur. Les faits peuvent également émerger à travers les échanges opposant les parties. En d’autres termes, c’est par le débat contradictoire entre la défense et l’accusation que l’intime conviction de l’organe juridictionnel se forme. Certes, à cet égard, certaines nuances ont été introduites qui permettent notamment à des tiers intéressés, entités publiques ou privées, de participer à la procédure et d’apporter des éléments additionnels, parfois en faveur ou au détriment de l’une des parties. Quoi qu’il en soit, la conviction de l’organe juridictionnel ne peut toutefois se fonder que sur les preuves recevables qu’il estime probantes et pertinentes.
Notes de bas de page
3 Voir notamment In re Yamashita, 327 U.S. 1 (1946). Cette affaire est commentée in : Law Reports of Trials of War Criminals (LRTWC), vol. III, p. 105 et seq. et LRTWC, vol. IV, p. 1 et seq. Le TMI, de Tokyo s’y est également référé : Judgment of the International Military Tribunal for the Far East, novembre 1948, p. 28.
4 Statut du TPIY, art. 18, par. 1 ; statut du TPIR, art. 17, par. l.
5 RPP des TPI, art. 47, lettre B).
6 Statut du TPIY, art. 18, par. 4 et art. 19 ; statut du TPIR, art. 17, par. 4 et art. 18.
7 Statut de la CPI, préambule al. 10 et art. 1.
8 Ibid., art. 13, lettres a) et b).
9 Ibid., art. 53, par. 1.
10 Ibid., art. 13, lettre c).
11 Ibid., art. 14, par. 3-4 et art. 18, par. 2 ; RPP de la CPI, règles 53-55. Pour ce qui est de l’intervention possible des victimes à ce stade, voir ibid., règle 50.
12 Ibid., art. 58 ; RPP de la CPI, règle 117.
13 RPP du TPIY, art. 62 et 62 bis ; RPP du TPIR, art. 62.
14 Statut de la CPI, art. 61, par. 5.
15 Ibid., par. 6.
16 Le statut ne prévoit que le droit, pour la personne concernée, d’être informée des éléments de preuve sur lesquels le procureur entend se fonder au moment de la confirmation : ibid., art. 61, par. 3, lettre b). Toutefois, le règlement de procédure et de preuve de la CPI semble étendre le droit à la divulgation prévu au stade du procès (ibid., art. 67, par. 2) au moment de la confirmation des charges : RPP de la CPI, règle 121, par. 1-2.
17 Statut de la CPI, art. 61, par. 7.
18 Ibid., art. 54, par. 1, lettre a).
19 Voir infra et notamment statut de la CPI, art. 54, lettres e) et f), 68, par. 1 et 6, 72 et 73 ; RPP des TPI, art. 70.
20 Statut de la CPI, art. 66 et 74 ; RPP des TPI, art. 87.
21 Statut de la CPI, art. 67, par. 1, lettre i).
22 RPP des TPI, art. 65. Cette disposition a été modifiée par les juges du TPIY en novembre 1999 afin d’éliminer la référence aux circonstances exceptionnelles : voir doc. NU IT/32/Rév. 17 (30 nov. 1999). Au mois d’août 2002, le RPP du TPIR contient toujours cette référence.
23 Delalic, cas n° IT-96-21, ordonnance relative au moyen invoqué par Esad Landzo (défaut total ou partiel de responsabilité mentale) (18 juin 1996).
24 Statut de la CPI, art. 65 et 74 ; RPP des TPI, art. 87.
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