Genre et migration : les lignes directrices de l’Organisation internationale du travail pour une aide aux travailleuses migrantes
p. 339-352
Note de l’éditeur
Référence : Kawar, Mary. “Genre et migration : les lignes directrices de l’Organisation internationale du travail pour une aide aux travailleuses migrantes”, in Christine Verschuur et Fenneke Reysoo, Genre, pouvoirs et justice sociale, Cahiers Genre et Développement, n°4, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2003, pp. 339-352, DOI : 10.4000/books.iheid.5774. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1Cet article va porter essentiellement sur les travailleuses migrantes volontaires, dans leurs pays de destination. On considère souvent les migrations internationales comme un phénomène transitoire répondant à des situations temporaires de pénuries et de surplus de main-d’œuvre. Or de nombreux éléments montrent que, tout en étant en constante évolution dans sa nature, son échelle et sa composition, cette forme de mouvement de population est en fait une caractéristique structurelle importante et persistante des économies de nombreux pays dans le monde.
2Selon les chiffres de 2002 de la Division population des Nations unies, les migrations ont connu une croissance constante, et le nombre de migrants atteint 175 millions de nos jours. Dans les pays développés, presque une personne sur dix est un migrant. Par contraste, ce chiffre est de presque une personne sur 70 dans les pays en développement. Si on étudie plus précisément certains pays, comme ceux du Golfe persique, on voit que la main-d’œuvre migrante représente 60 % de la population au Bahreïn, 91 % dans les Emirats arabes unis, 80 % au Koweït et 90 % au Qatar. […]
Genre et migration : pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables ?
3Malgré les difficultés et les contraintes qu’elle engendre, la migration donne aux femmes des possibilités nouvelles et une indépendance financière, en plus d’améliorer le statut qu’elles ont chez elles et dans leur communauté. Mais avant tout, les migrantes sont maintenant des contributrices très importantes aux économies de leur pays d’origine par l’intermédiaire des fonds privés qu’elles y envoient.
4Au Sri Lanka en 1999, 62 % du total des envois de fonds venaient de migrantes ; ces envois représentaient plus de 50 % de la balance commerciale. Pendant l’année 2001 aux Philippines, la contribution des femmes s’est élevée à 6,2 milliards de dollars. En fait, des études ont montré que les migrantes ont tendance à envoyer chez elles une plus grande partie de leur revenu que les hommes migrants1. La question des envois de fonds ne saurait être sous-estimée car elle est révélatrice de l’importance du lien qui existe entre les migrations de travail et le développement général du pays d’origine des migrants. En 2002, selon des estimations basses du FMI, le montant des envois de fonds vers les pays en développement dépassait 80 milliards de dollars par an. Si l’on considère que le montant de l’aide publique au développement excède rarement le chiffre de 60 milliards de dollars par an, on voit que les migrants apportent plus de ressources financières à leur pays que l’ensemble des agences de développement des pays riches. Comme en général les femmes envoient chez elles plus d’argent que les hommes, elles sont des contributrices financières importantes pour l’économie de leur pays2.
5La migration permet certes aux femmes d’avoir une vie meilleure, mais elle comporte également des désavantages et des risques qui n’existent pas pour les hommes :
Lorsqu’elles prennent la décision d’émigrer, certaines femmes ont des attentes irréalistes. Elles manquent d’informations sur le processus et les procédures d’émigration, sur les perspectives d’emploi. Parfois, elles n’ont pas non plus le savoir-faire, ni les moyens de couvrir les frais. Elles risquent alors de se trouver dans des situations irrégulières où elles sont susceptibles d’être exploitées.
Les travailleuses migrantes se répartissent en général dans des emplois moins diversifiés que les hommes.
Le plus souvent, la migration des femmes n’a aucun lien avec une progression de carrière ou l’acquisition de compétences. Beaucoup de travailleuses migrantes ont des compétences et des qualifications qui ne sont pas reconnues et pas nécessaires dans les types de postes qu’elles occupent. En fait, de nombreuses études indiquent que la migration induit une déqualification pour certains groupes de femmes. Par exemple, nombre de Philippines diplômées d’université travaillent dans les services domestiques ou dans l’industrie du plaisir.
Contrairement aux hommes, la plupart des migrantes finissent par travailler dans les emplois 3D [« dirty, degrading, dangerous », sales, dégradants, dangereux], et se trouvent isolées. Elles peuvent difficilement mettre en place des réseaux et accéder à des informations et à des systèmes d’aide sociale.
Les femmes plus que les hommes ont tendance à travailler dans le secteur informel, secteur qui n’est couvert par aucune législation du travail et aucune protection sociale.
Les migrantes ne connaissent pas assez bien leurs droits, elles ont peur des autorités et ne s’organisent pas collectivement.
D’un point de vue individuel, la plupart des femmes émigrent pour sortir de la pauvreté et trouver de meilleures perspectives d’emploi que dans leur pays. En majorité, elles considèrent leur emploi comme temporaire, le temps d’atteindre certains objectifs personnels ou familiaux (par exemple l’accumulation d’une épargne qui permettra de créer une entreprise, la construction d’une maison, l’éducation des enfants, le remboursement d’une dette, etc.). Mais il est difficile d’atteindre ces objectifs à court terme ou sur la durée d’un seul contrat, pour plusieurs raisons : [le montant élevé de] la dette à rembourser à la ou les personnes qui ont permis d’émigrer, le prélèvement du salaire, des salaires moindres que ceux prévus dans le contrat original, des connaissances insuffisantes en matière de gestion de l’argent et de l’épargne. Par conséquent, les femmes restent à l’étranger plus longtemps que prévu, ou font des cycles migratoires d’allers et de retours entre leur pays d’origine et le pays de destination.
Dans la plupart des pays de destination, les autorités traitent les travailleuses migrantes comme des personnes ayant peu ou pas de droits. Dans les cas d’exploitation ou d’abus, le système judiciaire n’est pas toujours interprété en faveur de la travailleuse qui a été abusée. Dans certains pays d’Europe et d’Amérique latine, des amendements à la loi ont été faits de manière à appliquer les droits humains et du travail des travailleurs immigrés. Mais beaucoup de pays de destination en Asie et au Moyen-Orient ne reconnaissent toujours pas les droits des travailleurs immigrés et n’ont pas encore pris de mesure concrète visant à les faire respecter.
Le retour au pays et la réintégration sont parfois plus problématiques pour les travailleuses migrantes que pour les hommes (avec par exemple les effets socio-psychologiques de la migration, ou ses conséquences sur les relations familiales, ou encore avec des difficultés financières, des problèmes d’emploi). […]
Les formes de discrimination, d’exploitation et d’abus contre les femmes
A cause d’une gestion inadaptée des migrations de travail dans les pays de destination
6En principe, les migrations régulières, parce qu’elles visent à répondre à une demande pour certains emplois, devraient stimuler la croissance économique et faire progresser la diversité culturelle et l’intégration. Pourtant, la plupart des travailleurs migrants sont confrontés à des réactions négatives, qui se traduisent parfois par un racisme avéré. Certains pensent des immigrés qu’ils volent les emplois de la population nationale. Les travailleurs migrants, notamment les femmes, prennent cependant les emplois que la population nationale refuse de prendre. Voici quelques éléments expliquant la persistance de cette situation alors même que la demande en main-d’œuvre immigrée augmente dans beaucoup de pays :
les gouvernements n’ont pas de cadre clair pour la formulation d’une politique en matière de main-d’œuvre immigrée ;
les gouvernements ne disposent pas de mécanismes efficaces de gestion des migrations, ce qui entraîne notamment des violations des droits des travailleurs migrants par les recruteurs et les employeurs illégaux ;
les gouvernements ne disposent pas de services adaptés d’aide aux migrants ;
au niveau national, les chances offertes aux hommes et aux femmes sont très inégales ;
la contribution économique des travailleurs migrants n’est toujours pas reconnue dans le pays de destination ;
des inégalités de genre existent déjà dans les politiques des pays de destination.
Les défis pour les syndicats et les membres de la société civile
7Dans nombre de pays de destination, les syndicats, les associations de travailleurs migrants et d’autres ONG jouent un rôle déterminant pour compenser les insuffisances du soutien de l’Etat et des services publics. Mais les travailleuses migrantes rencontrent beaucoup de difficultés pour profiter des actions des syndicats et des ONG, pour les raisons suivantes :
dans certains pays de destination, les travailleurs immigrés n’ont pas le droit d’adhérer à des syndicats ou d’en former ;
certains syndicats n’ont pas de position claire vis-à-vis des travailleurs immigrés ;
les immigrées rencontrent encore plus de difficultés pour rejoindre et/ou former des syndicats ;
certains syndicats ont des ressources et des capacités insuffisantes ;
certains pays de destination n’ont pas de société civile très active ;
les ONG de certains pays de destination se concentrent sur les services et la protection ;
l’établissement de réseaux au niveau international, mais également dans les pays d’origine, est un outil puissant mais pas assez développé.
Réparer les discriminations et les abus : les instruments internationaux
8Les principes et les instruments internationaux de défense des droits humains fondamentaux, des droits des travailleurs et des droits des migrants sont basés essentiellement sur les principes d’égalité, de non-discrimination et de protection. Selon ces principes, les pays de destination ont non seulement l’obligation de ne pas violer les droits des individus, mais aussi celle de prendre des mesures pour que les migrantes et les migrants jouissent effectivement de ces droits. […]
9De nombreux instruments importants en matière de droits humains visent à garantir l’égalité. Certains de ces instruments ne concernent pas spécifiquement les migrants mais plutôt l’ensemble des citoyens et des non-citoyens. D’autres sont spécifiquement destinés aux migrants et aux victimes de trafic, et s’appliquent aussi bien pour les travailleurs en situation irrégulière que pour les travailleurs en situation régulière. […]
Réparer les discriminations et les abus : quelques lignes d’action
10Ces dernières années, la portée et la diversité des mesures qui peuvent être prises par les différents acteurs dans les pays d’origine et de destination pour réparer les discriminations et les abus dont sont victimes les travailleuses migrantes se sont considérablement développées. Pour réparer les discriminations, l’exploitation et les abus contre les migrantes, des approches et des stratégies complémentaires doivent être adoptées par toutes les parties concernées. La section qui suit donne le détail de lignes d’action et des exemples de bonnes pratiques qui suggèrent des voies possibles.
Quelques lignes directrices pour les pays d’origine
11[…]
12Les pays sources ont un rôle à jouer pour permettre des migrations de travail sûres et protégées, et qui tiennent compte des questions de genre. Voici quelques lignes d’action :
une meilleure réglementation des conditions de recrutement de la main-d’œuvre, afin de réduire le nombre de recrutements illégaux avant le départ ;
des formations préalables au départ ;
la création et le suivi d’accords bilatéraux sur l’emploi avec les pays de destination ;
un renforcement du rôle des ambassades et consulats dans les pays de destination :
par une mise à jour suivie de la liste et des informations relatives aux migrants, et par le maintien de contacts avec ceux-ci,
par la présence d’attachés en charge de l’emploi,
par des services d’aide, un soutien aux associations de migrants, et par la mise en place de programmes de formation,
dans les cas de conflit et/ou d’abus, par un rôle de représentation des travailleurs migrants dans les négociations avec les autorités et la police.
Quelques exemples de bonnes pratiques dans les pays d’origine
13Les Philippines sont le pays où les législations et les règlements concernant les migrants sur le départ sont les plus nombreux. Ces lois et règlements sont établis par l’Administration pour la protection des travailleurs expatriés.
14Un séminaire d’orientation obligatoire d’un jour est organisé avant le départ. On y donne des informations sur des questions diverses allant des procédures de voyage aux droits des travailleurs et aux pièges de la vie à l’étranger. Sur les lieux de travail, en particulier là où les travailleuses migrantes sont très nombreuses, le gouvernement des Philippines a posté des représentantes pour le travail à l’étranger, qui ont le rôle d’attachées en charge des personnels expatriés, d’agents de protection, et de coordinatrices. On trouve ces attachées à Hong Kong, en Corée du Sud, à Singapour, Saipan, Taïwan, en Espagne, en Italie, à Abu Dhabi et à Dubaï.
15Aux Emirats arabes unis et au Liban, l’Ambassade des Philippines propose des programmes de formation pour les employées domestiques, et des programmes d’aide pour leur permettre d’accéder à des emplois plus qualifiés. Le programme qui est mené au Consulat de Dubaï pendant les weekends est exemplaire dans la mesure où il est de type communautaire et autogéré. Dans le cadre de ce programme, l’Ambassade propose, entre autres, des cours gratuits d’informatique, de cuisine, de couture et de photographie. Ce sont des ressortissants philippins vivant à Dubaï et aux Emirats arabes unis qui enseignent eux-mêmes et organisent les cours gratuitement. Les hommes et les femmes, parfois accompagnés de leurs enfants, viennent et sortent des cours, s’inscrivent, discutent et demandent des informations, souvent dans une atmosphère très animée3.
16A l’occasion des élections présidentielles et législatives de 2004, quelque 7 millions de Philippins résidant à l’étranger ont voté pour la première fois auprès des missions diplomatiques.
Quelques lignes directrices pour les pays de destination
17Pour les autorités des pays d’accueil, il est très important d’arriver à développer et à adopter une politique nationale globale et efficace, parallèlement à des mesures de gestion des migrations et de lutte contre les discriminations, l’exploitation et les abus contre les travailleurs migrants. Voici quelques autres lignes d’action :
un renforcement de l’administration et de la gestion des migrations en lien avec le marché du travail :
par la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux avec les pays d’origine sur les échanges de main-d’œuvre,
en vérifiant que les politiques migratoires prennent en compte les questions de genre,
par la réglementation et la supervision des activités des agences de recrutement,
par des contrôles adaptés chez les employeurs,
par un renforcement des poursuites.
la préparation de législations spécifiques couvrant les emplois domestiques ;
une bonne gouvernance par une protection sociale et du travail adaptée, et par la mise en place d’instances et de services de soutien fonctionnels pour les travailleurs migrants ;
une liberté d’association et une plus grande facilité d’organisation et de représentation pour les travailleurs migrants ;
des mesures de promotion de l’égalité entre les genres et de lutte contre la xénophobie et le racisme.
Quelques exemples de bonnes pratiques dans les pays de destination
18Le gouvernement canadien a intégré les questions de genre dans son programme migratoire national. On a développé un modèle permettant de définir une politique migratoire à partir des questions liées au genre. Sur la base d’une matrice « d’analyse de genre », chaque nouvelle politique migratoire et chaque nouvelle question législative est soumise à un test permettant d’en prévoir les impacts potentiels en matière de genre.
19Taïwan a adapté ses réglementations pour permettre à un travailleur de quitter son employeur lorsqu’on peut prouver que celui-ci a commis des infractions. Parmi ces infractions, on trouve non seulement le retrait du passeport, les abus physiques et les violations des droits légaux du travailleur migrant, mais également le non-paiement du salaire depuis trois mois et le non-respect des stipulations salariales mentionnées dans le contrat.
20En Afrique du Sud, une législation qui concerne les employés domestiques, les jardiniers, les chauffeurs, les personnes qui s’occupent des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées, est en vigueur depuis 2003 et garantit aux employés domestiques tous les droits du travail et toutes les normes de salaire minimum, temps de travail, heures supplémentaires, congés annuels, congé maternité, congé maladie, etc. La loi a prévu une augmentation de salaire obligatoire de 8 % pour tous les employeurs. Elle oblige également les employeurs à inscrire les travailleurs et à cotiser tous les mois au Fonds d’assurance chômage4.
21Au Costa Rica, l’Institut national pour les femmes, l’autorité nationale pour les femmes mise en place par la loi, travaille en étroite collaboration avec l’ASTRODOMES (Association des travailleurs-euses domestiques), a coopéré avec le Bureau du Médiateur et avec des ONG de femmes pour amender la législation actuelle du travail et la législation sur l’immigration, de façon à mieux protéger les employés domestiques5.
22En Jordanie en 2003, le Ministre du travail a appuyé la définition d’un contrat spécial pour les employés domestiques non jordaniens. Ce contrat permet d’améliorer la coordination entre les différents pays sources, garantit les droits des travailleurs migrants à l’assurance santé, aux soins, aux congés, et réaffirme les droits des travailleuses migrantes à être traitées conformément aux normes internationales en matière de droits humains.
23L’Italie a procédé à quelques amendements à sa loi, de manière à couvrir les travailleurs migrants, conformément au principe qui veut que les étrangers aient le même niveau de sécurité sociale que les nationaux. La Loi sur l’immigration réglemente en détail les prestations sociales pour les travailleurs migrants saisonniers. Lorsqu’il emploie ce type de main-d’œuvre, l’employeur doit ainsi s’acquitter auprès de l’Institut national de sécurité sociale des cotisations familiales et de chômage non volontaire. Ces cotisations financent le fonds national pour les politiques migratoires, mis en place au terme de l’article 45 de la Loi sur l’immigration.
24Le Ministère du travail de Singapour a publié en quatre langues un guide pour les employeurs de travailleurs domestiques étrangers, pour leur permettre de « développer une relation étroite et cordiale avec [leur] employé domestique étranger », et pour souligner certains éléments nécessaires pour l’obtention du permis de travail et certains devoirs de l’employeur.
25Le Bureau des affaires intérieures de Hong Kong a publié Votre guide des services à Hong Kong dans plusieurs langues. Ce guide est remis aux nouveaux immigrés. Il donne des informations diverses, entre autres sur l’obtention et le renouvellement du permis de travail, les droits et les obligations, en passant par les adresses de diverses organisations de soutien.
Quelques lignes d’action pour les syndicats des pays de destination
Défendre la liberté d’association et le droit aux conventions collectives pour tous les travailleurs, nationaux ou immigrés (en accordant une attention particulière à la liberté d’association des employés domestiques immigrés). Les travailleurs migrants doivent pouvoir adhérer aux syndicats existants ou former leurs propres syndicats.
Faire pression pour que les gouvernements ne séparent pas les politiques migratoires et les procédures administratives pour les travailleurs migrants des questions de marché du travail.
Représenter les travailleurs migrants, qu’ils soient ou non membres des syndicats, dans la défense de lois de prévention des discriminations, de l’exploitation et des abus, mais aussi du trafic des travailleuses migrantes.
Développer une politique syndicale claire sur les préoccupations particulières des travailleurs migrants, notamment au sujet des lieux de travail notoirement problématiques. Lorsque c’est pertinent, mettre en place au sein des syndicats nationaux des guichets/unités pour les migrants, à même de prendre en charge l’organisation des travailleurs migrants et les questions qui les concernent spécifiquement.
Informer les membres des syndicats pour les sensibiliser au rôle et aux contributions des travailleurs migrants, à leurs problèmes, notamment aux problèmes que rencontrent les travailleuses migrantes. Les syndicats peuvent faire beaucoup pour dissiper certaines idées xénophobes et fallacieuses sur les travailleurs migrants, par exemple :
en mettant en place des services et des unités d’aide aux travailleurs migrants, et notamment aux travailleuses migrantes. En annonçant largement l’existence de ces services pour que les travailleurs migrants sachent où trouver de l’aide ;
en travaillant avec d’autres groupes de la société civile à la promotion des droits des travailleurs migrants et à la lutte contre le racisme et la xénophobie ;
en renforçant la mise en réseaux et la solidarité entre les syndicats des pays de destination et d’origine, dans le but d’échanger des informations sur les pratiques de recrutement, les méthodes d’action des trafiquants, les développements sur le marché du travail, les problèmes des travailleuses migrantes, etc.
Exemples de bonnes pratiques pour les syndicats des pays de destination
26Au Costa Rica, l’Association des travailleurs-euses domestiques l’ASTRO-DOMES a créé un syndicat en 1991. Il compte 400 membres dont la plupart sont nicaraguayen-nes, mais avec aussi certain-e-s salvadorien-ne-s, hondurien-ne-s et guatémaltèques. Il est affilié à la Confédération des travailleuses domestiques d’Amérique latine et des Caraïbes.
27Le plan d’action Non au racisme et à la xénophobie ! de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), qui compte plus de 125 millions de membres partout dans le monde, comporte une section spécifique pour les travailleurs migrants. Ce plan d’action énonce les obligations suivantes pour les syndicats :
inciter les gouvernements à régulariser les travailleurs sans papiers ;
faire pression pour l’adoption d’une loi de protection des travailleurs de l’économie clandestine ;
travailler avec les communautés pour apporter un soutien et une assistance légale aux travailleurs sans papiers ;
lancer des campagnes spéciales pour l’organisation collective des travailleurs migrants, y compris de ceux qui n’ont pas de papiers ;
participer activement à la définition des politiques migratoires et d’immigration, dans le but de protéger les intérêts des travailleurs et de leurs familles ;
dans les pays d’origine comme dans les pays de destination, travailler conjointement à la protection et à la défense des droits des travailleurs migrants.
28L’Internationale des services publics (ISP) met l’accent sur le jumelage des syndicats des pays sources et de destination, afin d’avoir plus de poids pour inciter les gouvernements à développer des accords bilatéraux pour la protection des travailleurs migrants. Par exemple, les Philippines et le Royaume-Uni ont passé un accord garantissant de justes conditions d’emploi aux infirmières philippines travaillant au Royaume-Uni.
Le rôle déterminant des ONG et des associations de migrants
29Partout dans le monde, les ONG sont de plus en plus nombreuses à traiter des besoins et des préoccupations des travailleurs migrants, et notamment des travailleuses migrantes. Selon le Centre des migrants d’Asie, en 1999, on dénombrait au moins 300 ONG d’aide aux migrants. Ces organisations ont leurs réseaux, en place et fonctionnels, et leurs programmes et stratégies. En Europe également on compte de plus en plus d’organisations réunies en de vastes réseaux traitant des questions de migration et de racisme. Beaucoup de ces organisations reçoivent des financements de l’Union européenne pour agir comme plates-formes de mise en réseaux et de lobbying. L’Amérique latine a aussi des ONG et des associations traitant des questions de migration forcée, des coalitions de travailleurs domestiques, etc. Ces organisations s’ajoutent aux ONG internationales qui accordent une attention spécifique aux questions de migration6. Ces associations, ONG et autres groupes de la société civile ont des activités très diverses pour traiter des besoins spécifiques des femmes. Globalement, on peut les classer dans les trois niveaux de stratégie suivants :
les « stratégies de compassion et de défense », qui passent par des interventions d’urgence et des services d’aide, la dénonciation des abus et des violations des droits et la protection, par l’organisation de groupes de pression pour la protection des droits du niveau local au niveau international ;
les « stratégies d’empowerment et de développement des compétences » dans lesquelles on construit, on organise et on forme les migrants eux-mêmes mais aussi les groupes de soutien et des ONG pour répondre aux problèmes des migrants ; on crée des syndicats de migrants ; on forme des migrants et des ONG pour des campagnes, pour qu’ils s’organisent et répondent aux problèmes ; on forme des réseaux de migrants aux niveaux local, régional et international ; on met en place des mouvements de migrants ;
les stratégies de « justice sociale », dans lesquelles on remet en cause collectivement les facteurs déclencheurs des migrations et du trafic (la pauvreté, les politiques nationales, le chômage, la corruption, etc.) ; on défend la justice sociale, y compris par un changement des rôles/rapports sociaux qui mènent à une exploitation/oppression de classe, de genre et sociale ; on met en avant la participation sociale, économique et politique des migrants ; on mobilise les ressources des migrants pour renforcer leur pouvoir économique et politique ; on met en place des programmes de réintégration et on développe des alternatives à la migration7.
Exemples de bonnes pratiques des ONG
30Une approche holistique visant à l’intégration : l’exemple de l’Italie. A Turin, en Italie, l’ONG Almaterra mène des activités dans plusieurs domaines afin de répondre aux principaux besoins des migrantes. Almaterra a été fondée par des femmes italiennes et des migrantes de différentes nationalités dans le but de créer un point de rencontre pour les migrantes. Almaterra mène la plupart de ses projets depuis le Centre Alma Mater, qui abrite plusieurs services d’aide permanents.
31Information sur les droits des travailleurs migrants : un exemple aux Etats-Unis. La Coalition de défense des droits humains pour les immigrés de Los Angeles (CHIRLA) a, entre autres activités, un programme d’éducation communautaire et un programme de dialogue. Elle vient en aide aux travailleurs migrants à bas salaires et de toutes les origines en leur fournissant les informations nécessaires lorsque la loi est modifiée, en cas de changement dans la procédure de délivrance du permis de séjour, ou lorsque les personnes ont besoin de connaître leurs droits au travail.
32Services sociaux et intervention de crise : un exemple au Liban. Le Comité pastoral des migrants d’Asie et d’Afrique (PCAAM), créé par Caritas, apporte une aide sociale et légale aux travailleurs migrants. Le Comité a créé trois centres pour répondre aux besoins des travailleurs domestiques migrants d’Afrique et d’Asie et mène les activités suivantes : il aide les femmes dans les centres de détention et en prison (incarcérées majoritairement parce qu’elles n’ont pas de papiers) ; il leur fournit un avocat et une aide légale, entre en contact avec les ambassades de leur pays d’origine, trouve un hébergement sûr pour les victimes d’abus, et trouve un emploi alternatif ou organise un rapatriement.
33Développement des capacités et aide à l’emploi : un exemple au Costa Rica. La Fondation pour l’aide et le progrès des migrants nicaraguayens au Costa Rica a deux objectifs principaux : l’élimination des discriminations à l’encontre des travailleurs migrants, et des conditions de travail équitables pour les migrants nicaraguayens. Parmi ses activités : un projet éducatif, visant à permettre aux migrants, essentiellement des travailleuses domestiques nicaraguayennes, d’avoir leur diplôme élémentaire ; un bureau pour l’emploi, qui aide les migrants à trouver des emplois appropriés ; une aide légale, pour permettre aux migrants de comprendre les procédures relatives à leur permis de résidence. La Fondation propose d’autres services tels qu’un suivi médical et un programme de radio qui donne aux migrants au Costa Rica l’occasion de communiquer avec leur famille au Nicaragua.
34Aide administrative et légale : un exemple à Hong Kong. Le Groupe des travailleurs migrants intérimaires a été créé en 1992 par des migrants et pour des migrants. Il apporte une aide et des conseils sur des questions relatives à l’immigration : la prolongation du permis de séjour, le changement d’employeur, une aide pour les personnes restées au-delà de la date d’expiration de leur visa, etc. Il apporte une aide légale et trouve un représentant légal dans les procédures de poursuites et devant les tribunaux du travail. Il aide également les migrants poursuivis pour des actes criminels8.
Paroles de migrantes
Pourquoi ai-je préféré aux chants des oiseaux, à l’odeur chaude et matinale du pain de ma mère, un réveil strident à 5 h 30 pour me plonger dans l’obscurité du métro et nettoyer vos bureaux ? Pourquoi ai-je préféré au cocon familial l’anonymat de cette grande ville du Nord ? Pourquoi est-ce que j’accepte de balayer vos couloirs pour un salaire de misère ? Parce que cette misère-là me soigne de l’inertie de mon pays et soigne mon père de son diabète. Le prix à payer est lourd. Nous sommes les premiers à en pâtir.
Farida, 32 ans, célibataire, licenciée en biologie
In : Agir ici, n ° 66, mars/juillet 2004, Paris
35Développement des capacités pour les organisations de migrants. Exemple d’un réseau régional. Le Centre des migrants d’Asie (AMC) est une ONG régionale basée à Hong Kong et créée en 1989. Par la création d’organisations de migrants et par un appui à ces organisations, et par un soutien aux projets d’organisation et de syndicalisation des migrants dans différents pays d’Asie, elle stimule le renforcement du pouvoir des migrants. L’AMC soutient ces organisations pour leur donner les moyens de dialoguer et de faire pression sur les gouvernements des pays d’origine et de destination. Le but est la promotion des droits humains des migrants, l’adoption de lois nationales de protection, et la ratification des textes des Nations unies portant sur les droits humains. L’AMC collecte des données, organise des formations et une éducation des groupes, notamment pour l’organisation d’un lobbying et de campagnes de sensibilisation, pour des programmes de réintégration et pour la création de solutions alternatives pour les migrants.
Source : Traduit de l’anglais. Extraits de la présentation au colloque de l’IUED Femmes en mouvement – Genre, migration et nouvelle division internationale du travail, Genève, 2004. Cet article est publié dans son intégralité (en anglais) dans Femmes en mouvement – Genre, migration et nouvelle division internationale du travail, collection Yvonne Preiswerk, textes réunis par Fenneke Reysoo et Christine Verschuur, UNESCO/DDC/iuéd : Genève, 2004..
Notes de bas de page
1 S. Forbes Martin, « Women and migration », Background paper for the Consultative meeting on Migration, mobility and how this movement affects women, United Nations Division for the Advancement of Women, 2-4 décembre 2003, p. 5.
2 Ibid., p. 6.
3 R. Sabban, 2002, Migrant Women in the United Arab Emirates : The Case of Domestic Workers, BIT, GENPROM Series, Gender and Migration, p. 40.
4 <http://www.labourguide.co.za/new_legislation-for-domestic-wor.htm>.
5 A. I. Garcia, M. Barahona, C. Castro et E. Gomariz, 2002, Costa Rica : Female Labour Migrants and Trafficking in Women and Children, BIT GENPROM Series on Women and Migration, Genève, p. 47.
6 Il s’agit par exemple de l’International Catholic Migration Commission, du World Council of Churches, du Mouvement international contre la discrimination et le racisme. Pour plus de détails sur le rôle de la société civile, voir P. Taran, « Human Rights of Migrants : Challenges of the New Decade », International Migration Quarterly Review, Volume 38, n ° 6, Numéro spécial 2/2000, p. 19.
7 V. Rex, 1999, Regional Strategies on Migration : A Decade of Collaboration, Asian Migrant Yearbook 1999, Asian Migrant Center, Hong Kong, p. 53.
8 Home Affairs Bureau, 2002, Your Guide to Services in Hong Kong, Hong Kong Administrative Region, p. 138.
Auteurs
Spécialiste des questions de genre et emploi, Organisation internationale du travail (OIT). Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de l’organisation.
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