Recrutement de Palestiniennes en Israël, patriarcat et mouvements de femmes en Palestine
p. 289-292
Note de l’éditeur
Référence : Loubani, Hanadi, et Jennifer Plyler. “Recrutement de Palestiniennes en Israël, patriarcat et mouvements de femmes en Palestine”, in Christine Verschuur et Fenneke Reysoo, Genre, nouvelle division internationale du travail et migrations, Cahiers Genre et Développement, n°5, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2005, pp. 289-292, DOI : 10.4000/books.iheid.5762. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1[…]
– Comment l’occupation militaire israélienne perpétue-t-elle le patriarcat dans la société palestinienne ?
2– […] De nombreuses études ont montré que l’occupation israélienne actuelle est un élément clé de ce maintien du patriarcat dans la société palestinienne.
3L’occupation israélienne a anéanti le droit des Palestiniens à l’autodétermination, et a ainsi empêché le développement d’une constitution ou d’institutions légales en Palestine. En l’absence d’institutions légales autochtones, les Palestiniennes sont soumises à des lois étrangères archaïques et ne peuvent pas s’appuyer sur le registre légal pour faire progresser leurs droits.
4Par exemple, la loi sur le statut de la personne en vigueur dans les Territoires occupés est une combinaison d’éléments répressifs et dépassés du droit ottoman, du droit de l’Empire britannique et du droit jordanien tel qu’il était avant que les femmes ne revendiquent le droit de voter. En outre, les éléments du droit ottoman qui sont en vigueur sont antérieurs au mouvement de sécularisation, et sont donc basés sur la loi de la charia (religieuse). Faute d’Etat indépendant, il est impossible de développer un cadre légal autochtone à même de défendre les droits des Palestiniennes – et c’est un résultat direct de l’occupation israélienne.
Recrutement des Palestiniennes pour travailler en Israël
5Dans le domaine du travail, les Palestiniennes ont toujours été très actives, et elles sont souvent la seule source de revenu pour leur famille car beaucoup d’hommes Palestiniens ont été tués, blessés, rendus invalides ou emprisonnés par les forces d’occupation israéliennes. Comme dans toute nation colonisée, la main-d’œuvre palestinienne a été sollicitée et exploitée pour permettre le développement de la puissance coloniale. Dans ce contexte, à l’intérieur des Territoires occupés, des « intermédiaires » israéliens recrutent des Palestiniennes pour travailler en Israël. Ces emplois sont à la fois saisonniers et contractuels, et sont la porte ouverte à l’exploitation. Bien que privées du droit de retourner vivre dans leur pays, les Palestiniennes des Territoires occupés sont recrutées pour traverser la Ligne verte quotidiennement et aller travailler dans les usines israéliennes. Les Palestiniennes des Territoires occupés constituent le groupe le moins bien payé, après les Juifs israéliens, les Juives israéliennes, les Arabes israéliens, les Arabes israéliennes et les hommes Palestiniens. Dans ce contexte, les Palestiniennes ne peuvent pas s’organiser collectivement ou rejoindre les syndicats.
6[…] Ces deux dernières années, des centaines de postes de contrôle de l’armée israélienne ont été mis en place partout en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, et limitent la liberté de mouvement des Palestiniens. Les femmes qui passent par ces postes de contrôle sont souvent victimes de harcèlement sexuel et d’intimidation de la part des soldats israéliens ; par conséquent, de nombreuses familles ont peur de laisser leurs filles quitter la maison. En particulier, les femmes qui vivent dans les zones rurales, qui doivent passer de nombreux postes de contrôle pour se rendre dans les zones urbaines, ont été privées de leur droit à l’éducation. Par exemple, lorsqu’une Palestinienne est arrêtée ou harcelée par un soldat israélien à un poste de contrôle, elle est non seulement victime des soldats d’occupation, mais elle risque aussi d’avoir des problèmes avec sa famille parce qu’elle rentre tard. C’est ainsi dans leur corps même que les Palestiniennes font l’expérience explicite des effets de l’intersection entre l’occupation et le patriarcat.
– Pouvez-vous retracer l’histoire de la participation politique des Palestiniennes ?
7– Les Palestiniennes ont toujours été extrêmement actives politiquement, avant même la création de l’Etat d’Israël. La première Intifada a parfaitement symbolisé la conscience politique des Palestiniennes et leur capacité à s’organiser et à se mobiliser. Leur ingéniosité a permis la poursuite de la première Intifada. Les femmes se sont engagées dans de nombreux secteurs de la société civile et dans les comités populaires.
8Par exemple, les Palestiniennes ont joué un rôle moteur en 1987 dans la campagne de boycott des produits israéliens dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie. Ce boycott a été incroyablement difficile à organiser en l’absence d’industrie indigène. Pour convaincre les familles palestiniennes de boycotter les produits israéliens, il fallait leur fournir une autre source de revenu et des produits alternatifs. Les Palestiniennes ont donc mis en place leurs propres industries, par exemple des fabriques de fromages, de confitures, de pain, elles ont créé des jardins communautaires. Ainsi, elles ont pu non seulement encourager le boycott, mais aussi développer la base des infrastructures nécessaires à l’économie palestinienne.
9Toujours pendant la première Intifada, les Palestiniennes ont mené une campagne pour la réouverture des écoles (qui avaient été fermées par l’armée israélienne). Au cours de cette campagne, les mères palestiniennes ont ouvert des écoles communautaires clandestines pour leurs enfants. […]
10Lorsqu’on étudie l’histoire de l’activisme des Palestiniennes, on voit qu’il découle du besoin de satisfaire les besoins élémentaires, qu’il s’appuie sur une grande créativité et sur la non-violence. Ce qui ne veut pas dire que les Palestiniennes n’ont pas participé à la résistance armée au colonialisme, au contraire. Mais les Palestiniennes ont compris que, si la résistance armée à l’occupation est un droit au regard du droit international, la résistance non violente est un devoir.
– Comment la participation politique des Palestiniennes a-t-elle évolué au cours de la deuxième Intifada ?
11– […] Les Accords d’Oslo ont été pour beaucoup dans le recul de la participation politique des Palestiniennes au combat de libération nationale. La Plate-forme d’Oslo, si elle a répondu aux revendications des Palestiniens sur la question des territoires occupés en 1967, a focalisé l’attention de la communauté internationale sur le fait que les Palestiniens vivent une occupation. Ainsi, Oslo a mené à la reconnaissance de cette occupation, mais les accords ont aussi concentré les négociations sur cette seule question. En conséquence, l’intérêt des ONG s’est massivement mobilisé dans les Territoires occupés. Oslo a fait naître l’espoir d’un Etat palestinien (qui n’a jamais été concrétisé), et a mobilisé des acteurs internationaux pour aider les Palestiniens à construire les bases politiques, économiques et sociales d’un futur Etat.
12Ironiquement, l’industrie des ONG internationales (dominées par l’Occident) est également dominée par un paradigme libéral dont les motivations ne peuvent pas comprendre des priorités de libération nationale. Ainsi, en aidant à construire les bases d’un futur Etat, les ONG ont travaillé dans une logique strictement humanitaire, sans reconnaître que les Palestiniens sont un peuple occupé et que, donc, l’absence d’infrastructures d’Etat est en fait un résultat direct de l’occupation étrangère. Aussi les projets des ONG ont-ils cherché à traiter les symptômes et non la cause.
13Ce problème est particulièrement grave pour les organisations internationales de femmes. Les ONG internationales de femmes donnent des fonds pour faire progresser les droits des femmes et l’égalité entre les sexes, mais ne reconnaissent pas le lien qui existe entre le patriarcat palestinien et l’occupation israélienne. Actuellement, les donateurs internationaux font pression pour dissocier les combats féministes et la lutte nationale des femmes palestiniennes. Les organisations de femmes palestiniennes qui reconnaissent la relation entre le patriarcat et l’occupation ne reçoivent pas de fonds des donateurs étrangers qui refusent de faire ce lien. Par conséquent, le financement des ONG internationales dissocie encore plus féminisme et lutte nationale. En découlent une dépolitisation du mouvement des femmes palestiniennes et un genre de « schizophrénie », parce qu’elles savent que le lien entre le patriarcat et l’occupation est très réel, mais on ne leur donne pas d’espace pour en parler et pour s’organiser en conséquence.
Traduit de l’anglais. Texte original in : Association for Women’s Rights in Development, < www.awid.org >, 2003.
Auteurs
Doctorante à l’Université d’York, et l’une des fondatrices de Women for Palestine, groupe de solidarité féministe et antiraciste palestinien. Elle est également membre et fondatrice d’un groupe de dialogue des femmes palestiniennes et juives à Toronto.
AWID.
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