Contrôle des services de santé au Bangladesh par la population, et notamment les femmes
p. 221-226
Note de l’éditeur
Référence : Sen Gupta, Rina. “Contrôle des services de santé au Bangladesh par la population, et notamment les femmes”, in Christine Verschuur et Fenneke Reysoo, Genre, pouvoirs et justice sociale, Cahiers Genre et Développement, n°4, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2003, pp. 221-226, DOI : 10.4000/books.iheid.5678. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
Problématique
1La mise en place d’un processus de contrôle dans un centre de santé a fait l’objet d’un projet de recherche-action que nous exposons ici. Il portait sur la surveillance de la responsabilité effective de l’Etat comme aspect déterminant de l’affirmation des droits des citoyens. La méthode a été de : a) explorer l’offre de services sanitaires au sein d’un complexe de santé de district, en se concentrant plus particulièrement sur l’accueil des femmes ; b) lancer des actions citoyennes et réactiver des mécanismes durables de responsabilisation.
2Dans ce but, le projet a testé certaines stratégies au niveau de l’administration locale (Upazila) afin d’en évaluer l’efficacité et l’application. Le projet a travaillé avec les personnels de santé de la municipalité de Pathorghata, en particulier le personnel de l’hôpital local, avec l’objectif de les responsabiliser devant leurs clientes. Le projet a également travaillé avec certains groupes de femmes et certaines patientes, pour les informer sur leur droit à demander et à recevoir des services sanitaires adéquats dans les centres publics.
3Le taux de mortalité maternelle est en moyenne 100 à 500 fois plus élevé dans les pays en développement que dans les pays développés1. La plupart des mères souffrent après l’accouchement de diverses maladies liées à la santé maternelle. Le dernier Projet de suivi de la Conférence internationale sur la population et le développement, mis en œuvre par l’organisation Naripokkho, a montré qu’une femme souffre en moyenne de 5 à 6 maladies différentes simultanément. Cette morbidité est due essentiellement aux faits que les femmes ne sont pas conscientes de leurs propres besoins sanitaires ; elles ne connaissent pas bien leurs droits à la santé reproductive ; elles manquent d’information sur l’existence de centres de santé spécifiquement prévus pour elles ; les besoins sanitaires des femmes sont négligés par les membres de leur famille ; certaines pratiques sociétales conservatrices empêchent les femmes d’aller dans les cliniques ou à l’hôpital ; les contraintes économiques freinent les dépenses de la famille pour les soins médicaux des femmes2.
4Au Bangladesh, trois femmes meurent en moyenne chaque heure de complications liées à la grossesse et à l’accouchement. Le taux de mortalité maternelle (nombre de décès pour 1000 naissances vivantes), que l’on estime actuellement à 4,5, est non seulement l’un des plus élevés au monde, mais il est aussi honteusement élevé si on le compare à celui de certains pays comme le Sri Lanka (0,8 pour 1000 naissances vivantes). A l’échelle mondiale, on estime désormais que le taux de mortalité maternelle d’un pays est un indicateur du statut global des femmes. Au Bangladesh, le taux de mortalité maternelle traduit non seulement le terme d’une vie de discrimination sexuelle, de négligence et de dénuement, mais également l’échec d’un système sanitaire incapable d’être efficace dans son offre de services et de soins. A la fin du XXe siècle, la mortalité maternelle n’est plus un défi pour la médecine. Toutes les découvertes ont été faites pour sauver les femmes de morts liées à la grossesse ; les solutions tiennent à des facteurs sociaux et politiques.
5Pourtant, au Bangladesh le niveau élevé du taux de mortalité maternelle demeure un défi. Sur les quatre millions de femmes qui sont enceintes chaque année, on estime que 600’000 développent des complications. Beaucoup en meurent, dans une mare de sang, dans des convulsions, voire le corps déchiré. Environ neuf millions de femmes ont survécu aux rigueurs de la grossesse et de l’accouchement mais souffrent de complications durables telles que fistules, prolapsus de l’utérus, incontinence et douleurs pendant les rapports sexuels. Les nombreux problèmes de santé et de nutrition que rencontrent les filles et les femmes résultent de leur situation défavorisée et de leur statut social et économique inférieur3.
6Le BIRPERHT (Bangladesh Institute of Research for Promotion of Essential and Reproductive Health and Technologies) a mené dans tout le pays une évaluation épidémiologique des causes de décès chez les femmes âgées de 10 à 50 ans. Les résultats ont révélé que le plus fort pourcentage de décès (46,6 %) était dû à des causes médicales non maternelles. Même le pourcentage de morts par blessure et empoisonnement (21,5 %) était plus fort que celui des causes maternelles directes (20,1 %).
7Le Bureau des statistiques du Bangladesh indique que les morts de causes non naturelles chez les femmes sont plus nombreuses que les décès dus à des complications liées à la maternité. En outre, les données de surveillance démographique du Centre de recherche sur la santé et la population (ICDDRB) montrent que 14 % des décès maternels sont liés à une blessure due à la violence.
8Le programme sanitaire du gouvernement est critiqué entre autres parce qu’il concentre les services à destination des femmes sur la santé maternelle et reproductive. Pourtant la santé des femmes implique beaucoup plus que la santé maternelle et reproductive. Actuellement, le programme sanitaire du gouvernement du Bangladesh ne comporte pas de service spécifique à l’intention des femmes qui ne sont pas actives sexuellement, qui n’ont pas de problèmes liés à la santé reproductive, ou pour les femmes ménopausées.
9Les résultats d’autres projets de Naripokkho, comme « L’étude pilote sur la violence contre les femmes » et « Le suivi des interventions de l’Etat pour combattre la violence contre les femmes » confirment l’urgente nécessité de programmes de santé concentrés sur la santé des femmes prise globalement et non plus seulement sur la santé maternelle et reproductive.
10Ironiquement, bien que la politique sanitaire se concentre apparemment sur la santé reproductive, la conception et la qualité des services vont à l’encontre des intérêts réels des femmes. Par exemple, la priorité donnée à l’objectif d’une forte prévalence de la contraception ne laisse pas de place au traitement des éventuels effets indésirables d’un contraceptif. 82 % des naissances ont encore lieu en l’absence de tout personnel de santé formé4. Ce chiffre montre que la situation au Bangladesh reste catastrophique.
L’importance de la problématique pour les objectifs généraux de Naripokkho
11Naripokkho a acquis auprès du ministère de la Santé et de la Famille la réputation d’un groupe de défense de la santé et des droits des femmes. L’activisme de Naripokkho en faveur de la santé des femmes s’inspire des expériences des femmes elles-mêmes. C’est son lien avec le terrain et sa capacité à analyser l’expérience qu’il en retire au niveau de la politique et du programme de l’Etat qui ont permis à Naripokkho d’être reconnu par le gouvernement du Bangladesh. Avant le projet de « responsabilisation » visant à permettre à la population locale, notamment les femmes, de tenir les personnels de santé et l’Etat pour responsables d’une offre de services adaptée et sensible aux problèmes des femmes, Naripokkho avait construit, dans le cadre du Projet de suivi de la Conférence internationale sur la population et le développement, un partenariat durable avec l’ONG Sankalpa à Pathorghata, où le projet de recherche-action sur le genre, la citoyenneté et la bonne gouvernance a été mené. […]
Créer une culture de contrôle des services par la population bénéficiaire ?
12Avec ce projet de recherche-action, Naripokkho a pu prouver que la détermination peut faire changer les choses. Le Comité sanitaire consultatif de district (UHAC) est désormais plus sensible à sa responsabilité devant la population du complexe de santé de district de Pathorghata. L’un des membres du comité a mis une pancarte sur le fronton de l’hôpital, qui dit : « Personne ne doit payer les services du docteur à l’hôpital, et si pour une raison quelconque vous donnez de l’argent, assurez-vous de recevoir un reçu de l’autorité concernée. » Grâce à la présence régulière de l’équipe du projet, les médecins respectent désormais les horaires à l’hôpital, et les lieux sont plus propres. L’officier régional s’est arrangé pour trouver les fonds qui ont permis la réparation des toilettes de l’hôpital. L’officier régional de planification familiale a de lui-même pris la responsabilité de superviser les travaux pour en minimiser les coûts. Le président du Comité sanitaire consultatif de district, qui est député, a trouvé un appareil de radiologie pour l’hôpital. Le Comité a également pris l’initiative de la création d’un « fonds d’aide aux patients démunis », dont une partie sera allouée aux patientes exclusivement.
13Grâce à ce projet de recherche-action, Naripokkho a pu identifier un mécanisme clé pour sensibiliser les institutions sanitaires aux besoins des usagers – il s’agit de construire un pont entre les prestataires et les utilisateurs, en l’occurrence sous la forme d’un Comité sanitaire consultatif de district. […]
14Cette recherche a montré que la première étape de la mise en place d’un système de responsabilisation des institutions de gouvernance consiste à créer une culture et une demande de responsabilité. Par des réunions et ateliers avec différentes catégories d’usagers des services de santé, notamment les femmes, Naripokkho a créé un environnement dans lequel les usagers sont maintenant à même d’attendre, de la part des prestataires, des services proches d’eux et qui leur sont adaptés. L’équipe de Naripokkho a également joué un rôle de surveillance et persuadé les personnels de santé, en particulier les médecins et les infirmières de l’hôpital local, sinon de changer complètement les méthodes qu’ils utilisaient avec les patients, au moins de reconnaître la faible qualité et les lacunes de leur service. Ils ont pu atteindre cet objectif en donnant aux personnels de santé un espace où leurs propres problèmes pouvaient être évoqués et pris en compte. Dans les cas de négligence flagrante envers les patients, Naripokkho a utilisé ses liens avec les médias locaux pour faire de ces exemples des objets de débat public ; les autorités de l’hôpital réagirent alors en conséquence. En résumé, Naripokkho a montré qu’on peut construire une culture de la responsabilité, même au sein des institutions les plus ankylosées et négligentes si les utilisateurs prennent conscience de leur droit à un service de bonne qualité et peuvent chercher à améliorer ou à influencer les pratiques des prestataires par l’intermédiaire d’un organe de représentation.
15La recherche de Naripokkho a également montré que l’action des organes formels mis en place pour jouer ce rôle, comme l’UHAC, peut être lancée si l’on arrive à motiver toutes les parties intéressées à y participer. Ici aussi Naripokkho a agi comme catalyseur en créant un sentiment d’urgence à prendre cette question en charge et à lancer l’action de l’UHAC. L’association a aussi facilité le démarrage de l’UHAC en fournissant des modèles de méthodes de supervision et de stratégies. A partir des résultats de ses propres stratégies et activités, elle a pu provoquer des changements de comportements chez les personnels de santé. Grâce à la collaboration avec une ONG locale, le projet de recherche-action a également posé les bases de sa pérennité : l’ONG Sankalpa reprendra probablement le rôle d’appui pour le maintien d’une demande de responsabilisation de la part des usagers.
16Pour tirer un bilan général de ce projet, on peut dire que la mise en place de structures formelles de supervision ne suffit pas à garantir la responsabilisation des institutions de gouvernance. Il faut aussi créer une culture et une demande de responsabilité des services, ainsi qu’un partenariat actif de l’Etat et de la société civile pour responsabiliser les institutions envers le public qu’elles sont censées servir. La garantie d’une responsabilité dans la gouvernance des institutions de services telles que les institutions sanitaires passe par une participation paritaire des usagers et des personnels.
Source : Traduit de l’anglais. Texte original : « Ensuring Accountability of the Local Health Authorities and Health Service Providers to People, Specially Women in Bangladesh », présentation au colloque « Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre », iuéd, Genève, janvier 2003. La présentation, en anglais, est publiée dans son intégralité dans « On m’appelle à régner. Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre », textes réunis par Fenneke Reysoo et Christine Verschuur, UNESCO/DDC/iuéd : Genève 2003.
Notes de bas de page
1 OMS et UNICEF, 1996, Revised Estimates of Maternal Mortality : A New Approach by WHO and UNICEF, Genève.
2 Rapport de suivi, Naripokkho ICPD.
3 Plan de mise en œuvre du programme HPSP, projet de plan opérationnel pour les soins maternels obstétriques d’urgence, Annexe 8.1.1, 104p., p. 1.
4 Ministère de la Condition féminine et enfantine, gouvernement de la République populaire du Bangladesh, 1999, Situation of Women in Bangladesh, Policy Leadership and Advocacy for Gender Equality (PLAGE).
Auteurs
Centre Naripokkho, Dhaka, Bangladesh. Projet mené en collaboration avec le KIT, Royal Tropical Institute, Amsterdam, Pays Bas.
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