Les outils pour que les femmes de l’Europe du Sud-Est soient plus présentes en politique
p. 85-90
Note de l’éditeur
Référence : Lokar, Sonja, et Janice Duddy, “Les outils pour que les femmes de l’Europe du Sud-Est soient plus présentes en politique”, in Christine Verschuur et Fenneke Reysoo, Genre, pouvoirs et justice sociale, Cahiers Genre et Développement, n°4, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2003, pp. 85-90, DOI : 10.4000/books.iheid.5649. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
Pouvez-vous brièvement nous parler de l’action de la Task Force pour l’égalité entre les sexes du Pacte de stabilité ?
1Le Pacte de stabilité a été lancé en juillet 1999 à l’initiative de plus de 50 pays, dont les pays receveurs d’Europe du Sud-Est. L’idée était de lancer une sorte de plan Marshall pour les pays dévastés par les guerres dans les Balkans. Lors de sa signature, le Pacte de stabilité s’est organisé en trois tables rondes : droits humains et démocratisation ; développement économique et restructuration des économies dévastées ; sécurité, avec des initiatives visant à lutter contre le crime organisé, la corruption, les trafics humains, mais qui portent également sur la démilitarisation de la région, le maintien de l’ordre, etc.
2Initialement, ce Pacte n’était pas censé avoir de composante genre. Lorsque les groupes de femmes de la région ont appris l’existence de ce
3Pacte, nous avons lancé un appel, signé ensuite par 150 organisations de la région, de tous les pays d’Europe du Sud-Est, disant que nous en avions assez : en tant que femmes, nous constituons plus de la moitié de la population de la région, nous représentons plus de la moitié des électeurs, et une fois de plus on nous laissait de côté. On ne nous avait pas demandé notre avis pour lancer les guerres, on ne nous avait pas demandé notre avis quand ces guerres nous avaient directement frappées, et une fois encore on ne nous demandait pas notre avis pendant le processus de restructuration. Nous voulions avoir une place légale et formelle aux tables rondes du Pacte de stabilité. Et nous avons réussi – non sans mal et après avoir exercé de fortes pressions – à siéger dans cette table ronde et à obtenir la mise en place de cette organisation appelée le Groupe de Travail (« Task Force ») sur l’égalité entre les sexes.
4En quoi cette « Task Force » est-elle spécifique ? Bien qu’issue d’une initiative de la base, elle a immédiatement été mise en lien et conjuguée avec les efforts des gouvernements. Dès le début, notre structure a travaillé sur deux points focaux dans chaque pays : les initiatives des ONG et la volonté politique et des gouvernements d’agir pour l’égalité entre les sexes. Deux ans plus tard, nous avons ajouté le point focal parlementaire. Nous avons donc maintenant une structure qui combine les efforts de la société civile, des structures gouvernementales locales et nationales, et des parlementaires, tout en ayant le soutien des pays donateurs et des grandes organisations internationales.
5Nous avons un petit conseil consultatif composé essentiellement d’experts et de représentants de ces grandes organisations internationales. L’équipe est très réduite : deux personnes travaillent actuellement pour la « Task Force » sur l’égalité entre les sexes. Nous avons également un petit centre pour l’égalité entre les sexes, dont nous espérons qu’il va se développer et devenir un institut régional pour la politique d’égalité entre les sexes.
6[…]
L’un des plus grands projets de la Task Force sur l’égalité entre les sexes est le renforcement du pouvoir politique des femmes à travers la campagne « Les femmes peuvent le faire ». Quels sont les principaux objectifs de ce programme ?
7En 1999, nous avons fait une évaluation des besoins et priorités, et nous avons constaté que les femmes ne pouvaient prendre aucune décision parce qu’elles étaient absentes des organes de décision politique – plusieurs gouvernements ne comptaient aucune femme ministre, le nombre moyen de femmes dans les parlements était inférieur à 7 %, et certains conseils locaux ne comptaient aucune représentante. Notre première priorité a été de renforcer le pouvoir politique des femmes. C’est pourquoi nous avons mis en place le projet appelé « Les femmes peuvent le faire » (« Women can do it »). Ce projet était très intéressant car il s’inspirait de l’expérience des femmes du Parti travailliste norvégien, la Norvège étant l’un des pays comptant le plus de femmes en politique. Ce parti avait développé un module appelé « Les femmes peuvent le faire ». Je connaissais ce module […], et je l’avais utilisé pour une formation de femmes sociales-démocrates dans les pays en transition, en 1998 et 1999. En 1999, on m’a demandé d’adapter ce module pour la Bosnie-Herzégovine, de telle façon que les groupes de tous les partis politiques puissent être formés ensemble, afin d’encourager les femmes à commencer à penser en termes politiques, et pour développer leur volonté et leurs possibilités d’entrer dans les partis politiques. J’ai réalisé cette adaptation, puis j’ai testé ce module en Bosnie-Herzégovine avant même la mise sur pied de la « Task Force » sur l’égalité entre les sexes. C’était un premier test à très grande échelle. Nous avons formé 70 formateurs/trices qui eux-mêmes ont ensuite formé plus de 3000 futures femmes politiques. C’était la première fois qu’on essayait de faire quelque chose de cette nature sur une grande échelle. La Bosnie-Herzégovine était un bon point de départ car des ONG de femmes avaient réussi à y introduire un quota de 25 %. Déjà en 1999, la Bosnie-Herzégovine comptait 27 % de femmes au Parlement. Elles se préparaient aux élections à venir, et considéraient comme évident qu’il fallait encourager les femmes à s’engager dans la vie politique locale. Elles avaient réalisé que cet objectif impliquait que davantage de femmes entrent en politique, donc que cette formation à très grande échelle était nécessaire. Les fonds étaient disponibles, nous l’avons fait, et ce fut un grand succès. Puis ce module s’est développé et a été utilisé dans tous les pays du Pacte de stabilité. Dans 13 pays et territoires de la région, nous avons formé à ce jour environ 13’000 futures femmes politiques. On peut maintenant dire qu’un tiers des femmes en poste ont été formées lors des modules « Les femmes peuvent le faire ».
8Lors de ces formations, nous avons encouragé les femmes à comprendre qu’elles ont des qualités et des priorités différentes de celles des hommes et qu’elles ont le droit et le devoir de faire entrer ces qualités et priorités dans la politique dominante. Nous avons ensuite essayé de les aider à surmonter les méthodes de domination que les hommes utilisent pour éloigner les femmes de la politique. Nous les formons également pour qu’elles acquièrent les compétences de base : comment travailler en politique, parler en public, se préparer au travail politique, travailler en réseau, faire pression, toutes ces choses élémentaires qu’elles doivent connaître avant d’entrer en politique. Mais nous avons compris que ces formations n’apportaient pas toute l’aide nécessaire, car à partir du moment où les femmes décident d’entrer dans les partis politiques, elles rencontrent un certain nombre de problèmes : elles sont encore en très grande minorité, on ne les voit pas, et personne ne les écoute vraiment. Nous avons donc développé un second module « Les femmes peuvent le faire ». C’est un module destiné à renforcer le pouvoir des femmes au sein de leur propre parti politique. En 2002, nous avons travaillé sur ce projet et nous avons formé presque tous les groupes de femmes au sein des groupes parlementaires de la région. Plus de 70 partis ont participé à cette formation.
Quels vont être, selon vous, les effets à court et long terme de l’incitation des femmes à s’engager politiquement ?
9Je suis persuadée que nous devons poursuivre ce travail, puisque notre objectif est la parité – nous avons besoin que la moitié des membres des organes décisionnaires soient des femmes, et non seulement des femmes, mais des femmes au sommet en politique. Elles peuvent avoir des vues divergentes, mais elles doivent s’exprimer sur des sujets cruciaux pour toutes les femmes. C’est pourquoi nous essayons d’organiser un mouvement de femmes en politique qui fasse réellement évoluer la culture politique dans la région. C’est tellement nécessaire !
10Nous avons déjà constaté les effets de notre travail car des femmes de différents groupes commencent à travailler ensemble. Au début de la formation « Les femmes peuvent le faire – I », nous formions toujours des femmes de différents partis politiques, puis nous avons fonctionné en binômes, chaque séminaire étant dirigé par deux femmes qui étaient toujours de deux partis politiques différents. Parallèlement, nous avons développé une série de campagnes de masse pour les femmes dans les pays où collaboraient tous ces groupes venus de divers partis politiques. En outre, ces groupes ont travaillé en coordination avec des membres d’ONG, de syndicats, avec des femmes travaillant au sein des dispositifs nationaux en faveur de l’égalité entre les sexes, avec des journalistes et dirigeants de journaux, avec des spécialistes. C’est par cette méthode que nous avons commencé à rassembler de nouveaux mouvements de femmes nationaux et démocratiques dans ces pays.
Les femmes politiques peuvent-elles faire la différence ?
[…] Les femmes politiques elles-mêmes, lorsqu’elles entrent en scène, entendent souvent faire la différence : ravaler non seulement certaines formes obsolètes du métier politique, mais aussi modifier, en profondeur, priorités et programmes. Les femmes seraient-elles l’avenir de la politique ? Certaines le pensent bel et bien. Le féminisme d’une Bella Abzug – plusieurs fois élue au Congrès – s’enracine dans la foi en un meilleur des mondes féminins.
« Est-ce qu’un Congrès doté d’une représentation féminine adéquate aurait permis d’atteindre les années soixante-dix sans un système de santé national ? Un tel Congrès aurait-il permis que le pays occupe la 14 e place des pays développés en ce qui concerne la mortalité infantile ? Aurait-il autorisé la boucherie que constituent les avortements amateurs ? Peut-on imaginer qu’un Congrès avec une large représentation féminine aurait permis à la guerre du Vietnam de durer autant, laissant massacrer nos enfants et le peuple indochinois ? »
Peut-on croire, à l’instar de la « grande dame » américaine, que les femmes vont sinon transformer le pouvoir du moins redessiner les contours du métier politique ? L’enquête que j’ai menée en France en 1999 auprès des députés des deux sexes montre que les parlementaires eux-mêmes attendent beaucoup d’une féminisation de la politique. A la question : « s’il n’y avait qu’un tiers des femmes à l’Assemblée nationale, pensez-vous que la politique changerait ? », ils sont 68 % à répondre qu’elle changerait sur la forme et près de la moitié (49 %) à penser qu’elle changerait sur le fond. […]
Mariette Sineau, « Droit et démocratie », In : Duby, G. et Perrot, M., 2002,
Histoire des femmes en Occident, le XXe siècle, sous la direction de Françoise Thébaut, Perrin, Paris, pp. 664-665
Décentralisation en Inde
Décentraliser le pouvoir du centre vers les provinces, les districts ou les villages devrait, en principe, permettre à la population de participer plus directement aux processus décisionnels. Mais, en réalité, cette décentralisation risque de se résumer au transfert du pouvoir d’une élite à une autre. […]
C’est ce qu’illustre, en Inde, le cas des panchayati raj. Malgré le succès de la démocratie à l’échelon national et des Etats, ces gouvernements locaux instaurés par la constitution sont souvent tombés aux mains des élites ou ont été détournés par l’autorité politique centrale. Ces panchayats ont été relancés par les amendements constitutionnels de 1992 et 1993, qui leur ont conféré un statut constitutionnel, ont prévu l’organisation d’élections régulières, réservé un tiers de sièges aux femmes et introduit une représentation proportionnelle pour les catégories sociales marginalisées.
Ces dispositions ont entraîné une augmentation spectaculaire de la visibilité de la participation populaire dans plusieurs régions de l’Inde. Des catégories marginalisées ont ainsi pu intervenir dans le débat politique, enrichissant le système de leur contribution, renforçant la légitimité des institutions de l’Etat et permettant d’uniformiser les structures institutionnelles des autorités locales à travers le pays. Au Madhya Pradesh et au Rajasthan, deux Etats à faible revenu et dont les taux de scolarisation et d’alphabétisation figurent parmi les plus bas du pays, l’alphabétisation a fait un bond de 20 points de pourcentage entre 1991 et 2001. L’implication de la communauté dans le recensement des ménages et dans l’identification des enfants non scolarisés a constitué un facteur essentiel dans la formulation des besoins. Certes, depuis l’indépendance, 80’000 écoles avaient déjà été créées en 50 ans dans le pays, mais 30’000 autres ont vu le jour en l’espace de trois ans, après l’annonce de ce plan en 1997, avec à la clé une augmentation significative des inscriptions des filles et des enfants issus des communautés tribales.
In : Rapport mondial sur le développement humain 2002,
PNUD, de Boeck, Bruxelles, p. 74
Traduit de l’anglais. Texte original : « What tools have been employed in the South Eastern European region to empower women to become more politically active ? An interview with Sonja Lokar from the Stability Pact Gender Task Force », in : AWID Newsletter, décembre 2002, < http://www.awid.org >.
Auteurs
Association for Women’s Rights in Development – AWID, réseau international de femmes et d’hommes chercheurs, universitaires, étudiants, activistes, responsables de programmes de développement, etc. < http://www.awid.org >. Janice Duddy travaille à AWID. Sonja Lokar est responsable du projet « Women can do it » présenté dans cet article.
Association for Women’s Rights in Development – AWID, réseau international de femmes et d’hommes chercheurs, universitaires, étudiants, activistes, responsables de programmes de développement, etc. < http://www.awid.org >. Janice Duddy travaille à AWID. Sonja Lokar est responsable du projet « Women can do it » présenté dans cet article.
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