Programme pour la prise en compte des questions de genre par l’Organisation mondiale du commerce
p. 213-218
Note de l’éditeur
Référence : WEDO, “Programme pour la prise en compte des questions de genre par l’Organisation mondiale du commerce” in Christine Verschuur et Fenneke Reysoo, Genre, mondialisation et pauvreté, Cahiers Genre et Développement, n°3, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2002, pp. 213-218, DOI : 10.4000/books.iheid.5556 – Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
Brève histoire de l’Organisation mondiale du commerce
1L’Organisation mondiale du commerce (OMC) est issue de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947, accord signé entre les architectes des institutions de Bretton Woods – la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Les accords du GATT prévoyaient la création de l’Organisation internationale du commerce (OIC), agence spécialisée des Nations unies chargée de réglementer le commerce mondial. Le but ultime était la liberté du marché, avec l’objectif du plein emploi.
2Pour diverses raisons, le projet OIC a échoué. Mais avec le temps, le GATT s’est développé et a étendu son autorité même si, en termes légaux, il n’était qu’une organisation temporaire. En conséquence, un système de commerce international sans contrainte s’est établi, avec une autorité bien plus grande que prévu. En outre, on est passé de l’objectif du commerce profitant à tous à celui du commerce pour le commerce.
3Le GATT a développé le commerce dans tous les domaines. Cette invasion a été progressive, en commençant par les règles de réduction des tarifs douaniers pour certaines catégories de produits. Le GATT a ensuite dicté des règles d’abolition des tarifs douaniers, puis des règles d’abolition des barrières non tarifaires telles que les règles de sécurité agro-alimentaire, les normes, l’utilisation des incitations fiscales et de la politique d’investissements, mais également l’abolition de toute autre loi intérieure touchant au commerce. Il a alors dicté des règles sur les investissements relatifs au commerce, sur la propriété intellectuelle, les normes sanitaires et de sécurité pour les produits marchands.
4L’OMC a été créée le 1er janvier 1995 au terme des négociations de l’Uruguay Round de 1986 à 1994. Elle est depuis lors devenue la principale instance de régulation du commerce international, avec 135 pays membres et 32 pays candidats à l’adhésion. L’OMC a une autorité exécutive sur les accords du GATT et sur plusieurs autres accords. Elle a également le pouvoir législatif lui permettant d’obliger les Etats membres à abolir les lois et programmes nationaux qu’elle juge comme « faisant obstacle » à la liberté du commerce.
5Avec l’élargissement de l’autorité de l’OMC, les règles et réglementations qu’elle édicte sont entrées en conflit avec des lois nationales, locales, et avec des accords intergouvernementaux. Dans chaque cas de conflit, c’est l’OMC qui l’a emporté. Ainsi, des crevettes et du thon peuvent être importés aux États-Unis, indépendamment des lois nationales stipulant qu’ils doivent avoir été pêchés avec des filets qui protègent les tortues et les autres poissons ; du bœuf aux hormones peut être importé dans l’Union européenne bien que les Européens s’inquiètent des effets potentiellement négatifs de ces hormones pour la santé ; et l’OMC a jugé contraires à ses règles les quotas qui protégeaient les producteurs de bananes des Caraïbes exportant vers l’Europe.
6L’orientation que les ministres du commerce et des finances donnent à l’OMC suscite une vive inquiétude. On va dans le sens du démantèlement des droits acquis ces dernières décennies lors des autres réunions intergouvernementales aux niveaux mondial et local, comme des accords intergouvernementaux garantissant les droits de la personne, des travailleurs et des femmes et les normes environnementales, de santé et de sécurité, ou comme les législations nationales mettant en avant les priorités économiques, environnementales, sociales et culturelles.
7Ces derniers temps, les accords internationaux environnementaux et sociaux ont fait entrer une nouvelle éthique et de nouvelles préoccupations morales dans la norme mondiale. Mais l’OMC va dans la direction opposée, et substitue une nouvelle structure de mondialisation commerciale à la structure encore jeune de la gouvernance économique, sociale et environnementale.
8[…] Les politiques économiques et commerciales mondiales ne sont pas « neutres du point de vue du genre ». […] À travers l’Organisation mondiale du commerce, les gouvernements portent atteinte aux droits des femmes à un développement équitable, droits établis par divers accords intergouvernementaux cette dernière décennie. [Par exemple], la Convention des Nations unies sur la biodiversité de 1992 protège les droits de propriété des gardiens des connaissances indigènes, essentiellement des femmes. Mais les accords ADPICs de l’Organisation mondiale du commerce donnent aux sociétés transnationales le droit de « posséder » et de breveter ces connaissances, et de les utiliser à des fins commerciales. […] Au nom du commerce et par l’intermédiaire de l’OMC, les gouvernements portent atteinte aux acquis des femmes – des acquis reconnus par ces mêmes gouvernements – en matière de gouvernance, d’équité économique, de santé et d’environnement. […]
9L’OMC est la seule des organisations intergouvernementales à ne pas reconnaître la dimension de genre de ses politiques. […] Outre cette absence de perspective de genre, l’OMC est presque exclusivement un domaine masculin. On ne veut pas dire par là que les hommes ne peuvent pas avoir une perspective de genre ou que toutes les femmes transmettent cette perspective. Mais avec ce degré d’exclusivité masculine, il est moins probable que l’OMC prenne connaissance des diverses expériences des femmes.
10Contrairement aux autres organisations intergouvernementales qui ont peu à peu ouvert leurs portes à la société civile, l’OMC ne reconnaît pas aux ONG le statut d’observateur ou de consultant auprès du Conseil général et de tous les organes subsidiaires. Les consultations, les débats, les négociations et les décisions sont fermés aux non-membres. […]
11Pourtant, certains acteurs non gouvernementaux peuvent accéder aux processus de l’OMC. En tant que membres des délégations, les sociétés multinationales et les groupes de pression industriels peuvent influencer les décisions prises lors des réunions de l’OMC. Ces acteurs sont les seuls à pouvoir entrer dans les instances de décision de l’OMC à la fois par les réseaux « des anciens » et parce que les groupes de pression des milieux d’affaires et industriels d’une part, et les représentants du commerce d’autre part, partagent des intérêts communs. […] Le va-et-vient des acteurs économiques entre le secteur privé et le secteur public crée un réseau fermé d’acteurs clés de l’arène commerciale.
La domination masculine dans le processus d’arbitrage de l’OMC
L’organe de règlement des différends, le DSB, qui arbitre les différends opposant les membres, est dominé par des hommes. Les sept membres nommés à la Cour d’appel sont des hommes. 147 des 159 experts en politique commerciale sélectionnés pour faire partie des instances de règlement des différends sont des hommes, 12 sont des femmes.
Source : Public Citizen Global Trade Watch, < www.tradewatch.org >.
Étude de cas : les entrepreneuses sud-africaines profitent des contrats publics
Le programme Technologie sud-africaine pour les femmes d’affaires (TWIB) a été lancé en 1998 pour aider à protéger les petites entreprises, notamment celles qui sont gérées par des femmes, des effets de la mondialisation. L’accès des femmes entrepreneurs à la technologie a été identifié comme un élément déterminant de la compétitivité des entreprises gérées par des femmes. En deux ans, un certain nombre de prestataires de services pour le développement de l’activité et d’entreprises parapubliques ont proposé des programmes et des conditions spéciales pour les femmes entrepreneurs. Le géant des télécommunications Telkom offre aux petites entreprises gérées par des femmes une assistance pour les procédures d’appel d’offre. Il exempte également les entrepreneuses de payer la garantie de performance coutumière, condition nécessaire pour pouvoir participer à un appel d’offre. Ces programmes d’aide sont menacés si l’accord sur les appels d’offre gouvernementaux est élargi.
Source : « The Technology for Women in Business Programmes in South Africa », Matfobhi Riba in Trade, Sustainable Development and Gender, CNUCED, 1999
Le Programme de WEDO pour la prise en compte des questions de genre par l’OMC
1. Rendre obligatoire la participation des femmes et l’inclusion des questions de genre dans les décisions et le gouvernement économiques
• les femmes devraient être représentées à égalité avec les hommes dans les organes décisionnaires de l’OMC, et les gouvernements devraient agir en faveur de l’équilibre entre les genres dans leurs délégations auprès de l’OMC ;
• l’OMC est appelée à mener une évaluation des effets de la libéralisation du commerce sur les femmes, en soulignant les politiques qui les ont désavantagées et en soutenant les domaines dans lesquels le développement du commerce a profité aux femmes ;
• les gouvernements devraient intégrer les points de vue des organisations de la société civile dans la formulation des politiques commerciales nationales et dans toutes les questions et les choix débattus à l’OMC.
2. Renforcer les capacités des femmes afin d’atteindre l’équité en matière économique
• les gouvernements devraient mener des évaluations systématiques des effets de la mondialisation sur les femmes et utiliser ces évaluations pour créer des politiques commerciales plus positives ;
• les gouvernements devraient se réserver le droit de fixer des objectifs locaux et nationaux, sociaux et économiques, notamment des programmes visant à accroître les perspectives des entrepreneuses. Tout nouvel accord portant les contrats publics devrait préserver le droit des gouvernements à fixer des normes protégeant les femmes, les communautés, les cultures et l’environnement, et développer des exceptions pour les femmes et les minorités. Si les dépenses militaires sont exemptées de suivre certaines règles pour des raisons de sécurité nationale, cette exemption devrait également être appliquée à l’environnement, à l’économie intérieure et aux femmes ;
• les gouvernements devraient s’opposer aux monopoles dans la production alimentaire et mettre en œuvre des politiques de protection des moyens de subsistance des femmes et de l’agriculture durable dans les communautés.
3. Protéger le contrôle des femmes sur leur santé et leur sécurité
• amender l’accord SPS et le Codex Alimentarius pour faire en sorte que les normes et les contrôles incluent bien la perspective de genre dans leurs évaluations ;
• un accord devrait être passé au sujet des normes de nutrition et de l’étiquetage GMO de tous les produits alimentaires, sur la base des droits et de la protection des consommateurs. Ces normes devraient être développées selon un processus participatif mettant à contribution des citoyens, des scientifiques indépendants et des ONG.
• l’OMC et ses organes subsidiaires n’ont aucune légitimité à établir des normes de santé, d’environnement et de consommation. Les règles commerciales ne doivent pas servir à remettre en question des lois adoptées pour promouvoir et protéger la santé et l’environnement.
• WEDO soutient le développement d’un organe de protection des consommateurs séparé et indépendant de l’OMC.
4. Empêcher l’exploitation des connaissances autochtones des femmes et des ressources génétiques végétales par les sociétés multinationales
• les gouvernements devraient garantir que la protection du savoir indigène, de l’innovation traditionnelle, des connaissances et des pratiques est en accord avec la Convention sur la biodiversité ;
• les gouvernements devraient amender les accords ADPIC de l’OMC pour éviter que les formes de vie animales et végétales ne soient appropriées et commercialisées par des sociétés multinationales aux dépens des communautés indigènes et de la biodiversité mondiale.
Source du chapitre : WEDO Primer, Women and Trade, novembre 1999, préparé par Riva Krut, Benchmark Environmental Consulting, avec Naomi Gaborones
Auteur
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