Promotion de l’emploi et élimination de la pauvreté grâce à des projets de mise en valeur des terres incultes au Bengale-Occidental et au Gujarat
p. 201-207
Note de l’éditeur
Référence : (Organisation internationale du travail (OIT). “Promotion de l’emploi et élimination de la pauvreté grâce à des projets de mise en valeur des terres incultes au Bengale-Occidental et au Gujarat” in Christine Verschuur et Fenneke Reysoo, Genre, mondialisation et pauvreté, Cahiers Genre et Développement, n°3, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2002, pp. 201-207, DOI : 10.4000/books.iheid.5553 – Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1Depuis le début des années 80, de nombreuses mesures politiques ont été prises en Inde pour assurer la mise en valeur des terres incultes, qui représentent de 30 à 50 pour cent de l’ensemble des terres. L’OIT a contribué à cet effort national de création d’emplois et d’élimination de la pauvreté en encourageant la participation des femmes au développement des terres incultes et l’intéressement aux bénéfices. L’approche adoptée par l’OIT pour ces deux projets – un au Bengale-Occidental, à Bankura et ses alentours, et l’autre dans le Gujarat – était fondée sur l’accès collectif des organisations de femmes aux terres (incultes) et à leur gestion. Avec l’aide de deux organisations – le Centre d’études pour le développement des femmes (CWDS) au Bengale-Occidental et l’Organisation pour l’emploi indépendant des femmes (SEWA) au Gujarat – ces projets ont permis aux femmes de s’organiser en « samities » (sociétés de développement des femmes au niveau des villages). Au Bengale-Occidental, les « samities » se sont associées pour former une organisation plus importante à un niveau plus élevé, la Nari Bikash Sangha (NBS).
2L’acquisition de terres par les femmes s’est faite de différentes façons. La plupart d’entre elles (88 %) ont été acquises par les sociétés de femmes au Bengale-Occidental sur la base de donations privées faites par des villageois ou des familles de sociétaires. Certaines terres relevaient du « panchayat » (conseil local chargé du développement rural au Bengale-Occidental et au Gujarat), d’autres étaient des terres domaniales sur lesquelles les femmes ont obtenu des baux. Les dispositions législatives centrales et locales concernant l’octroi de baux sur les terres du domaine public étaient complexes, rigoureuses et parfois contradictoires, ce qui rendait l’accès au « panchayat » et aux terres domaniales des deux Etats aussi long que difficile. Les fonds publics et ceux des ONG couvrent les coûts de maind’œuvre et de plantation et une partie des coûts d’entretien, et offrent aux femmes un emploi rémunéré temporaire. Parmi les autres actions directes de soutien figurent la formation à l’organisation et à la direction des activités en vue de renforcer les organisations de femmes ; la formation technique en matière de revalorisation de la terre et de plantation ; un soutien à d’autres activités rémunératrices (par exemple, élevage de cocons de tassar au Bengale-Occidental) ainsi que d’autres activités socio-économiques (petits programmes d’épargne et de crédit, alphabétisation des adultes, crèches, services de santé). Au Bengale-Occidental, les avantages directs dont bénéficient les femmes comprennent : l’augmentation de l’emploi salarié qui a entraîné une réduction de 80 % des migrations saisonnières des femmes et une progression du salaire journalier, un supplément de salaire procuré par le travail agricole et par les activités rémunératrices parallèles, la distribution de bois de feu et de fourrage pour les besoins de subsistance, et de légumes pour la consommation. Les « samities » et les NBS du Bengale-Occidental ont également été conviées à représenter les femmes au sein des « panchayat » et au niveau des districts et font partie des institutions représentatives locales. Mais au-delà des avantages immédiats dont bénéficient les femmes et des nouvelles stratégies de développement local, ces programmes, grâce au dialogue politique national, ont eu des effets marquants sur les orientations des politiques nationales concernant le développement des terres incultes. L’évaluation des expériences comparatives en matière de mise en valeur des terres incultes et la tenue de divers ateliers nationaux sur le sujet ont permis d’aboutir à un large accord sur des politiques et stratégies durables. La conjugaison de possibilités d’emploi productif, de l’accès garanti aux droits fonciers et de la création d’organisations participatives s’est révélée une stratégie efficace.
3Ces programmes comprennent le développement des systèmes d’adduction d’eau et d’irrigation, la prévention de l’érosion et la culture en terrasses.
4L’expérience prouve que les femmes peuvent participer concrètement et financièrement aux travaux de construction à faible coût de ces systèmes d’adduction d’eau et d’irrigation, et qu’elles peuvent proposer des améliorations en fonction de leurs compétences et de leur expérience. Les nouvelles installations peuvent profiter de l’expérience acquise par les femmes en ce qui concerne l’entretien technique des installations traditionnelles, à condition que soient mis en place une organisation de soutien, une formation propre et un équilibre satisfaisant entre les avantages et la charge de travail.
5Les droits et politiques en matière d’occupation des terres sont un facteur important de la répartition des bénéfices tirés des programmes de mise en valeur des terres. Après l’achèvement du projet d’irrigation Kano au Nigéria, les hommes ont octroyé aux femmes païennes du nord du Nigéria des parcelles plus petites et de qualité inférieure.
6Au Niger, de nombreux projets permettent aux femmes d’acquérir une formation à la construction de terrasses de pierres et de ravines, mais ce sont les hommes qui revendiquent pour leur propre usage les champs ainsi reconquis. Comment se fait la répartition de la terre et des baux entre hommes et femmes dans la région ? Quelle terre, quelle activité agricole et quelle culture tireront profit ou pâtiront des progrès réalisés au niveau des ressources et de la productivité agricole ? Omettre de poser ces questions au stade de l’élaboration des programmes de développement foncier peut être désastreux pour les femmes : elles risquent d’être dépossédées de leurs terres ou écartées de l’assolement ; la charge de travail des femmes dans l’agriculture peut augmenter sans que progressent pour autant les revenus qu’elles tirent de leur travail.
Le programme commerce et création de revenus comme outil pour le processus d’accès au pouvoir des femmes
L’exemple de SHARE en Inde
Maria Jose Gonzalez-Barney
Traduit par Emmanuelle Chauvet
« … J’étais une hors-caste dans mon village ; pour cette raison, je n’avais pas le droit d’aller au centre du village. Avec le revenu régulier que je gagne en fabriquant les paniers que nous vendons au marché du commerce équitable, et avec ce que j’apprends de SHARE, ma situation dans le village a changé. Maintenant, je peux aller au centre ! Ça n’a pas toujours été facile, notamment avec les hommes jeunes du village, car ils croient que les femmes hors-castes leur volent les bons emplois. Mais maintenant, je pense même que je pourrais peut-être faire partie du Panchayat (gouvernement local) du village … »
Mitra, membre de SHARE.
L’association d’auto-assistance pour l’éducation et l’emploi ruraux (SHARE) est une ONG de Vellore, au sud de l’Inde. Ce groupe a lancé une activité en coopérative en 1986, et est devenu une ONG en 1992 au terme d’une longue lutte avec le gouvernement pour obtenir le contrôle de la gestion de l’entreprise.
L’organisation se compose de 800 femmes, qui tissent des paniers avec des feuilles de palmiers. Elle a pour but d’assurer un emploi aux femmes par la commercialisation de leurs produits. Les femmes s’organisent en groupes d’auto-assistance au niveau des villages qui coordonnent le processus de production au sein des centres pour l’artisanat villageois. Les groupes participent également à d’autres activités locales comme les plans d’épargne et de crédit, les centres de scolarisation pour les enfants, les installations sanitaires, des bourses pour les filles, des puits d’eau potable, etc.
Les artisanes, dirigeantes comme Mitra, font partie du bureau exécutif de l’organisation et participent à la gestion de l’entreprise. Elles exportent 94 % de leurs produits vers les marchés internationaux ainsi que vers ceux du commerce équitable.
Le but du commerce équitable est de donner à de petits producteurs la possibilité d’entrer sur le marché international dans des conditions équitables, avec un juste prix. En d’autres termes, le commerce alternatif donne fondamentalement à des petites et micro-entreprises la possibilité d’entrer sur un marché international concurrentiel qui en d’autres circonstances n’était pas accessible aux petits producteurs et encore moins aux femmes pauvres et marginalisées du monde en développement. Dans le cadre et parallèlement au processus de libéralisation et de mondialisation des marchés, le commerce alternatif, comme le commerce équitable, montre une capacité à influencer à la fois les vies des individus à l’échelle locale et les petites communautés, de même que le débat mondial sur les termes du commerce international.
Pour les femmes membres de SHARE, le revenu du commerce des produits issus du tissage des feuilles de palmier, et l’activité de commercialisation elle-même, ont été des facteurs importants du processus d’accès aux décisions. Les activités commerciales les ont aidées à sortir de leur environnement immédiat confiné. Elles ont acquis de nouvelles compétences, elles ont pu sortir de la communauté et y rapporter ce qu’elles ont appris. C’est une possibilité d’autonomie car elles sont sorties des limites établies par la communauté et la société.
Lors d’une évaluation de l’impact des activités commerciales sur la vie des populations conduite par le programme pour le commerce équitable d’Oxfam Grande-Bretagne, SHARE a apporté de nombreuses informations. L’étude rapporte que lorsqu’on leur demande quels sont les changements dans leur vie induits par les possibilités de faire du commerce, les femmes répondent le plus fréquemment « nous pouvons désormais faire des achats sans devoir demander de l’argent à qui que ce soit – avant, nous devions négocier même pour nous acheter un “pottu” – la marque vermillon sur le front –… » (Sastry, 1999).
Les femmes interrogées ont aussi dit : « Nous décidons de ce que nous allons faire de l’argent… nous pouvons rencontrer plus de gens, et donc être mieux informées… [Nous n’avons] pas peur de sortir seules… [Et] les gens consultent notre famille maintenant pour résoudre n’importe quel problème dans le village. » (idem).
Bien que le revenu du commerce des produits à base de feuilles de palmier ne soit pas plus élévé que celui d’autres sources d’emploi disponibles, il représente une liberté économique pour les femmes. Il a également amélioré la confiance qu’elles ont en elles-mêmes car elles ont développé des compétences en gestion et ont gagné une reconnaissance au sein de leur communauté. Cette reconnaissance en a amené certaines à participer à la structure locale de gouvernement – le Panchayat – et bien d’autres à être prises en considération dans les processus locaux de prise de décision.
Une leçon importante à tirer de cette expérience est que les ouvertures économiques à elles seules ne créent pas les conditions adéquates pour un meilleur accès aux décisions. Un processus de soutien au développement des capacités des femmes à agir elles-mêmes doit accompagner toutes les activités commerciales ou génératrices de revenu, car il améliore la position sociale des femmes.
SHARE est l’histoire de femmes qui profitent de la mondialisation, transformée, grâce aux alternatives du commerce équitable, en une opportunité pour faire évoluer leur statut non seulement économique mais, finalement aussi, social dans leur communauté.
Références :
Oxfam GB, Impact Assessment Study of Oxfam Fair Trade Programme – SHARE – Vellore, Vidya Sastry, 1999.
Notes de terrain. Maria Jose Barney-Gonzalez, 1998.
Analyse de l’impact économique des dépenses publiques
Patricia Alexander et Sally Baden
Traduit par Emmanuelle Chauvet
L’analyse de l’impact économique des dépenses publiques est une méthode de calcul de la répartition des dépenses publiques selon les différents groupes démographiques, tels que celui des femmes et des hommes. La procédure implique d’allouer les dépenses publiques par unité (par exemple, dépense par étudiant dans le secteur de l’éducation) en fonction du taux d’utilisation individuelle des services publics (van de Walle et Nead, 1995, cité in World Bank, 1995).
L’analyse de l’impact économique permet d’identifier dans quelle mesure les services publics sont effectivement concentrés sur certains groupes de population comme les femmes, les pauvres et les résidents de certaines régions. Utilisant ce type d’analyse, des études menées au Kenya en 1992-1993, par exemple, ont montré que les dépenses publiques d’éducation s’élevaient à l’équivalent d’une subvention annuelle de 605 schillings kenyans per capita ; cependant, cette subvention revenait aux hommes à hauteur de 670 schillings en moyenne, et aux femmes à hauteur de seulement 543 schillings. Un travail similaire a été fait au Mexique, où un écart moins grand entre les garçons et les filles a été établi, et au Pakistan, où le différentiel était de plus de deux contre un en faveur des garçons (extrait de World Bank, 1995, p. 27).
Les différences selon le genre dans l’impact des dépenses publiques sont souvent plus marquées dans les groupes à bas revenu. Les données de Demery sur la Côte d’Ivoire pour 1995 montrent que, si le quintile le plus pauvre recevait 13,5 % des subventions à l’éducation, les hommes de ce quintile recevaient 16 % alors que les femmes recevaient 9 %. A l’inverse, dans le quintile le plus riche, le différentiel homme-femme était de 37 à 35 %. Globalement, 37 % des subventions d’éducation revenaient aux femmes et 67 % aux hommes. Une analyse similaire des dépenses de santé au Ghana en 1992 montre que si les femmes reçoivent la plus grande part (56 %) des subventions globales, le modèle est inversé pour le groupe aux plus bas revenus (Demery, pp. 4-12).
Références :
Demery, Lionel. 1996. « Gender and Public Social Spending : Disaggregating Benefit Incidence », Poverty and Social Policy Department Discussion Paper. World Bank. Washington.
World Bank. 1995. Toward Gender Equality : The Role of Public Policy. World Bank., Washington DC.
In : Glossaire genre et macroéconomie, 2000, BRIDGE, en collaboration avec GTZ (Coopération technique allemande), IDS, Sussex
Source du chapitre : OIT, Genre, pauvreté et emploi, guide d’action, Genève, 2000
Bibliographie
BIT : Les femmes et la terre (Genève, 1989).
BIT : Proceedings of ILO’s National Technical Workshop on Women and Wasteland Development (New Delhi, 1991).
Singh, A. M. & Burra, N. : Women and Wasteland Development in India, étude préparée pour le BIT (New Delhi, Sage Publications, 1993).
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