Introduction
p. 9-11
Note de l’éditeur
Référence : Verschuur, Christine, et Fenneke Reysoo. “Introduction” in Christine Verschuur et Fenneke Reysoo, Genre, mondialisation et pauvreté, Cahiers Genre et Développement, n°3, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2002, pp. 9-11, DOI : 10.4000/books.iheid.5510. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1Le premier numéro des Cahiers Genre et Développement fournissait des éléments pour mieux comprendre le concept de « genre », trop peu maîtrisé dans le milieu francophone. Les numéros deux et trois portent sur l’économie et constituent un ensemble. En effet, le rôle déterminant de l’économie dans la structuration des rapports sociaux, dont les relations de genre, demande à interroger le pouvoir structurant de l’économie selon une perspective du genre pour comprendre la nature et les transformations des rapports entre hommes et femmes. Le numéro deux présentait un premier éclairage des rapports sociaux entre hommes et femmes, de leurs transformations, et de l’ensemble des situations dans lesquelles les femmes sont insérées économiquement, mais également des principales notions qui informent structurellement ces situations, comme celle de la division sexuelle du travail, de l’articulation entre les rapports de production de type domestique et les rapports de production de type capitaliste.
2Le numéro trois que nous présentons ici poursuit cette analyse économique selon la perspective du genre, mais en se penchant particulièrement sur l’accélération du mouvement de mondialisation/libéralisation économique et l’accroissement des inégalités et des écarts entre la pauvreté et la prospérité. Si la mondialisation n’est pas un phénomène nouveau, on constate que son développement s’accélère, en accentuant les inégalités des relations de genre et la subordination des femmes, parfois en raison des ces inégalités. Dans ce numéro, la pauvreté est traitée de manière centrale, en binôme avec la prospérité, car elles sont indissociables de la mondialisation, tout comme l’accroissement des inégalités. La Banque mondiale elle-même ne peut s’empêcher de le reconnaître, partiellement du moins. Encore faudrait-il se pencher sur leurs causes, et lier le binôme pauvreté/prospérité au le phénomène des inégalités croissantes, plutôt que s’en remettre à la morale pour vouloir extirper le mal de la pauvreté (voir l’article de Bruno Lautier « La Banque mondiale et sa lutte contre la pauvreté : sous la morale, la politique »). Les approches de la pauvreté selon la perspective du genre restent très insuffisantes. Les indicateurs, neutres et incomplets, ne dévoilent pas ce que signifient ces situations de dénuement, cette pression pour la survie, cet écartèlement entre des contraintes et un temps non extensible. Les femmes pauvres ne peuvent guère compter sur le travail des autres… Le discours sur le sous-développement s’est transformé en discours sur la pauvreté dans les agences de développement, marqué par la compassion. On chiffre la pauvreté, le nombre de pauvres, les progrès dans la diminution de l’accroissement du nombre de pauvres… De manière surprenante, la discrimination entre hommes et femmes pauvres est souvent ignorée, les pauvres seraient neutres. Si les approches de la pauvreté se sont affinées, et ne se réduisent généralement plus à une mesure monétaire (par exemple le pourcentage de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour), ces indicateurs composites plus proches de ce que signifie le dénuement ne permettent toujours pas de clarifier la situation entre hommes et femmes. Les statistiques ne fournissent pas, ou de manière incomplète et partielle, ces données-là. On avance simplement l’estimation que 70 % des pauvres dans le monde sont des femmes… sans pouvoir préciser la complexité du binôme prospérité/pauvreté croisé avec la notion de genre.
3Ce que nous essayons de montrer, à travers les divers textes ici présentés, est combien cette notion de genre est indispensable pour comprendre comment est structurée cette réalité, qui perpétue et accentue la pauvreté/prospérité. Car le rôle des femmes dans l’économie, que nous avons mis en lumière dans le numéro deux, prend une place croissante avec la libéralisation économique. Le travail de reproduction s’appuie de manière plus lourde sur les femmes, car le néolibéralisme tend à retirer toute intervention publique dans ces secteurs, et la division sexuelle du travail dans les ménages est rarement remise en question. La question de l’articulation entre les rapports de production dans les sphères domestique et capitaliste est toujours aussi pertinente pour pouvoir appréhender les possibilités de transformation sociale.
4En réalité, c’est un immense cadeau de temps de travail domestique que les femmes du Sud fournissent au Nord, comme le dit Silvia Federici dans son article à propos de l’immigration. Le temps reste à la base de la subordination des femmes et de son actuelle perpétuation, dans la division sexuelle du travail et la nouvelle division internationale du travail.
5La mondialisation n’est cependant pas un phénomène unilinéaire et simple, elle est un processus paradoxal, chargé de contradictions. En effet, on constate qu’elle peut aussi ouvrir des opportunités. L’accès accru aux revenus, même faibles, a parfois une influence sur les rapports de pouvoir entre homme et femme au sein des ménages. Les ouvertures à l’extérieur sont une voie d’accès au pouvoir (empowerment), elles permettent aux femmes de s’organiser, de comprendre, de remettre en question. Imperceptiblement parfois, de manière plus manifeste ailleurs, des transformations des identités de genre sont induites par la mondialisation. Des niveaux plus larges d’organisation se mettent en place, des recherches d’alternatives immédiates se conjuguent avec l’internationalisation de mouvements de femmes.
6L’analyse des processus économiques selon la perspective du genre révèle que le concept de genre est dans son essence un outil analytique pour comprendre l’organisation sociale et la différenciation entre femmes et hommes. Il permet de comprendre l’articulation et la perpétuation des inégalités sociales aux niveaux symbolique, institutionnel et individuel. Travailler avec le concept de genre est dans ce sens porteur de critique sociale. Il en résulte que les rapports entre chercheur(euse)s, responsables de projets et organisations de base travaillant selon cette perspective du genre s’inscrivent dans un projet de transformation sociale.
7L’intégration de la perspective du genre est un défi à l’orientation des paradigmes de développement. Il faut donc renverser les termes, car il ne s’agit pas seulement de chercher à promouvoir un développement aux relations de genre plus équitables, mais de promouvoir des relations de genre plus équitables et des identités de genre qui favoriseraient un développement économique, social, politique et culturel différent, plus juste. Dans une économie mondialisée, l’approche de genre, qui permet d’aller aux racines de la perpétuation d’un système économique inéquitable, permet aussi d’envisager des perspectives de changement.
8Ces questions concernent les transformations des rapports de pouvoir et des identités de genre au sein des ménages, dans les organisations, dans les mouvements de base et dans les instances politiques à tous les niveaux, comme dans les discours de légitimation. Les processus d’accès et de participation au pouvoir des femmes, de choix et de prises de décision, sont dans la continuité de notre réflexion sur la mondialisation et les transformations des rapports sociaux entre hommes et femmes. Ils feront l’objet du prochain Cahier Genre et Développement et du prochain colloque genre à l’iuéd.
9Genève, 2002
Auteurs
Institut universitaire d’études du développement
Institut universitaire d’études du développement
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