Les associations féminines en Afrique : une décennie d’ajustement après la décennie de la femme
p. 307-309
Note de l’éditeur
Référence : Ryckmans, Hélène, “Les associations féminines en Afrique : une décennie d’ajustement après la décennie de la femme”, in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur. Genre et économie : un premier éclairage. Genève : Graduate Institute Publications, 2001, pp. 307-309, DOI : 10.4000/books.iheid.5464. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
Les ONG africaines
1Les ONG africaines sont fortement interpellées par le thème de l’intégration de la femme au développement, sans arriver à lui donner un contenu concret qui sortirait les questions féminines des strapontins ministériels ou administratifs.
2Les citadines membres de ces associations révèlent surtout“ une volonté d’entraide pour un mieux être par la mise en œuvre d’une mosaïque d’activités axées sur des besoins pratiques“1. Certaines de ces associations portent parfois un regard “assistancialiste“, caritatif sur les femmes pauvres ou les femmes rurales. Ainsi, plusieurs jeunes ONG du Burundi2 interviennent en faveur des femmes rurales à partir d’une identification des besoins, a priori et de l’extérieur, par leurs dirigeantes. Le non professionnalisme de certaines d’entre elles est patent. Mais elles privilégient en tous cas la résolution de besoins concrets, selon une approche en terme de bien-être. Le point de vue adopté dans cette démarche est, peut-être, la mise en œuvre de formes spécifiquement africaines du don.
3Il existe d’autres associations, plus militantes, qui développent une approche en terme de pouvoir, de statut juridique. Composées d’intellectuelles, de professionnelles de la recherche, elles portent le débat au niveau de la sphère politique. Ainsi, par exemple l’AFARD (Association des femmes africaines pour la recherche et le développement), créée en 1976, a suscité une certaine prise de conscience chez les responsables politiques africains. Celle-ci s’est reflétée notamment dans le Plan d’Action de Lagos en 1980 où, pour la première fois, est reconnue officiellement la place centrale que jouent les femmes dans le développement3.
4De nouvelles thématiques sont abordées par les mouvements féminins intermédiaires (les ONG, les Club service, les organisations de femmes) : ainsi la planification familiale, le SIDA (qui propose une lecture relativement neuve des rapports entre hommes et femmes, au sein du couple en particulier) ou la violence contre les femmes (thème qui cesse d’être tabou et occupe une place de plus en plus grande dans les débats sur les relations hommes/femmes).
5Dans beaucoup de débats auxquels j’ai assisté et où se mêlaient des femmes de tous les continents, les femmes africaines s’accrochent à des revendications pratico-pratiques : l’accès aux soins de santé. Même la levée des obstacles juridiques qui maintiennent la femme dans un statut de dépendante (en particulier des codes de la famille jugés rétrogrades4) n’est pas un thème qui fait recette.
6Il semblerait donc que la modification des rapports de genre, problématique récemment abordée comme telle en Afrique francophone, soit envisagée surtout par les associations féminines professionnelles. Les ONG de services et les fédérations de groupements semblent davantage focalisées sur une approche “projet “répondant aux besoins pratiques et concrets des femmes sans guère interroger la répartition des rôles et des pouvoirs selon le “genre“.
Perspectives
7Il est permis de penser qu’une certaine transition au sein des groupes féminins puisse s’effectuer pour que soit posée massivement la question des relations de genre. Les groupes de femmes, dont la fonction première est de se retrouver ensemble, autour d’une convivialité de femmes, au sein par exemple des groupes de mères, très répandus en Amérique latine, peuvent-ils évoluer pour devenir des groupes féminins visant à promouvoir des changements institutionnels ou organisationnels ? Le désir, fréquent, des femmes “d’être bien ensemble“, peut-il se muer en volonté de changer les normes, les règles ?
8Pour Bengoa5, l’action des groupes peut être caractérisée par le rapport à l’extérieur et la maîtrise d’enjeux spécifiques. Ainsi, est-il possible d’analyser les projets de développement, comme des processus qui mettent en mouvement des intérêts individuels et collectifs. L’action collective qui se déroule peut se centrer sur le groupe en tant que tel (le groupe est important en soi, comme groupe) ou sur le groupe en tant qu’acteur (le groupe est un moyen d’action). Dans les groupes centrés sur eux-mêmes, comme le sont beaucoup de groupes de femmes, l’objet principal est de se retrouver entre femmes, de se voir, de s’épauler. Ces groupes peuvent se replier sur leurs membres : ils se présentent plutôt pour la défense des droits et des intérêts particuliers des femmes (violences contre les femmes, discriminations). Si ces associations arrivent à construire leur identité, elles peuvent initier un changement social en agissant sur le terrain de la protection sociale ou en animant des mouvements d’intérêt général.
9De plus en plus de groupes de femmes se situent clairement sur le terrain du politique (et non de la politique). Les associations féminines, mêmes celles traditionnellement cantonnées dans le caritatif, prennent petit à petit conscience de la nécessité d’agir pour modifier les normes prévalant dans les rapports sociaux hommes/femmes.
10Ces changements sont parfois très rapides, liés à l’urbanisation, à la monoparentalité, à la nécessité économique du travail féminin. Ils remettent en question le pouvoir des hommes sur les femmes, et viennent donc interpeller les hommes en les insécurisant. Leurs résistances sont donc compréhensibles.
11En quoi les mouvements féministes sont-ils porteurs d’une vision radicalement neuve sur la société ? Les associations féminines peuvent-elles proposer une lecture suffisamment universaliste des problèmes pour que celle-ci s’impose et puisse entraîner des changements de politiques et de comportements ? Voilà des questions qui restent ouvertes et des pistes à emprunter.
12La globalisation de l’économie à l’œuvre, imposant le modèle occidental de rationalité économique comme unique référent, suscite néanmoins des réactions, encore marginales mais porteuses toutefois d’avenir : les mises en réseaux de bon nombre d’associations féminines, alimentées par les réseaux créés au Sud et animées par le Sud, selon une approche critique et radicale, sont de plus en plus fréquentes. Ainsi, un rapprochement, sur une base partenariale lucide est en train de se construire en trois grands réseaux : DAWN, WIDE et ALTWID (réseau nord-américain).
13[…]
In : Jeanne Bisilliat (ed.). Face aux changements : les femmes du Sud Paris, L’Harmattan, 1997, p. 195-221 (extraits) […]
Notes de bas de page
1 S. Champagne, Pratiques associatives féminines. Apropos d’associations féminines de la ville de Ouagadougou et du milieu péri-urbain. Notes et Travaux n° 20, novembre 1990, Centre Sahel de l’Université de Laval., p. 42.
2 H. Ryckmans (collab. P. Rutake et J. Sebarenzi). ONG et développement local au Burundi, Rapport de recherche du CURDES, Bujumbura, novembre 1992, p. 91.
3 J. I. Parpart, African women and development : gender in the Lagos Plan of Action, In Continental crisis. The Lagos Plan of Action and Africa’s future, Luke D. F. and Shaw T. M. (Ed), Centre for african studies, Dalhousie University, Lanham-New York, London, University Press of America, 1984, 231 p.
4 Nous ne traiterons pas ici de cette problématique, très sensible dans les pays du Maghreb.
5 Bengoa, Iteco, Peuples et libérations, n° 112, octobre 1989.
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Genre et économie : un premier éclairage
Ce livre est cité par
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Genre et économie : un premier éclairage
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