L’accès des femmes rurales à la main d’œuvre féminine en Afrique de l’Ouest
p. 195-213
Note de l’éditeur
Référence : Roberts, Penelope A. “L’accès des femmes rurales à la main d’œuvre féminine en Afrique de l’Ouest”, in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur. Genre et économie : un premier éclairage. Genève : Graduate Institute Publications, 2001, pp. 195-213, DOI : 10.4000/books.iheid.5441. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Remerciements
J’aimerais remercier les nombreux collègues qui ont fait des commentaires utiles sur les précédentes versions de cet article, mais tout particulièrement Ann Whitehead et Gavin Williams. Cet article se veut expérimental et exploratoire. Au lieu d’inclure des notes à chaque doute, hésitation et réserve, qui dépasseraient la longueur de cet article, j’ai décidé de n’en inclure aucune.
Texte intégral
Introduction
1[…]
2L’accès tenu à la main-d’œuvre et le choix des pratiques agricoles, compte tenu des contraintes liées à la disponibilité de la main-d’œuvre et à la minimisation des fluctuations dans l’offre de main d’œuvre, ont été et restent des questions d’ordre organisationnel de la plus grande importance pour les agriculteurs. En Afrique de l’ouest, une grande part du recrutement de la main-d’œuvre agricole se fait à partir des relations non marchandes existant entre les membres des ménages, selon la parenté ou selon la position socio-politique. Même les contrats d’emploi salarié peuvent être modifiés en fonction de ces relations. Par conséquent, l’accès à la main-d’œuvre dépend largement des hiérarchies de genre, de position, de génération et de classe au sein et entre les ménages. Globalement, les femmes sont profondément désavantagées dans ces hiérarchies. Ceci a des conséquences importantes sur la façon dont elles s’engagent dans le secteur productif.
3Dans son étude comparative des systèmes agraires “féminins” au Cameroun et des systèmes agraires “masculins” dans le Nigeria occidental, Guyer (1984a) montrait comment les pratiques agricoles avaient évolué en raison des accès différentiels des hommes et des femmes à la main-d’œuvre. Les agricultrices dont l’accès à la main-d’œuvre extérieure est restreint et précaire dirigeaient leurs exploitations de façon à éviter, par exemple, les goulots d’étranglement lors des périodes de pointe. Les agriculteurs qui disposaient de plus de ressources pour mobiliser la main-d’œuvre gardaient des périodes d’emploi intensif dans l’année agricole. On pourrait dire que les nombreuses heures que les agricultrices consacrent aux travaux dans les champs, au traitement des récoltes et aux tâches domestiques résultent plus généralement du faible accès des femmes à l’emploi d’une main-d’œuvre extérieure ; au fait qu’elles ne peuvent pas partager le travail avec des parents, ni le déléguer à des parents ou à d’autres membres du ménage, ni recruter de la main d’œuvre sur le marché de l’emploi rural.
4Dans cet article, je souhaite étudier et développer les arguments de Guyer et d’autres auteurs sur les limites de l’accès des femmes à la main-d’œuvre. Cette question comprend celle des relations sociales de production, en particulier les relations de genre, qui constituent la base de l’accès différentiel des femmes et des hommes à la main-d’œuvre extérieure. Ces relations déterminent les modes de recrutement et de mobilisation de la main-d’œuvre pour les femmes et les hommes. On peut poser le problème de la façon suivante. Premièrement, dans quelles circonstances les femmes recrutent-elles une main-d’œuvre extérieure au lieu d’être recrutées elles-mêmes ? J’aborderai cette question en étudiant la relation entre la production “domestique” et les entreprises indépendantes que les femmes dirigent. Deuxièmement, quelles sont les femmes qui peuvent recruter une main-d’œuvre extérieure et qui le font, et à quelle main d’œuvre recourent-elles ?
5Ces questions ont un but pratique et politique. S’il s’avère que le faible accès à la main-d’œuvre, plus que le faible accès à la terre, est susceptible d’être une contrainte pour la production, notamment pour les agricultrices, plusieurs aspects de la réforme agraire et du développement rural sont actuellement inadaptés. Par exemple, il ne suffit pas de garantir les droits autonomes des femmes à la terre afin que les veuves et divorcées gardent leurs moyens de subsistance, si elles n’ont pas les moyens de recruter de la main-d’œuvre. Cette situation permet souvent d’expliquer le fait que les ménages dirigés par des femmes sont souvent classés dans la catégorie des plus pauvres parmi les pauvres. Ces circonstances ont eu des effets sur l’engagement des femmes dans des entreprises et sur la gestion qu’elles font de ces entreprises tant agricoles que non agricoles, même si cet article est surtout consacré aux entreprises agricoles. Les femmes en milieu rural s’engagent dans divers types d’entreprises personnelles, telles que le commerce, la transformation des récoltes et la production artisanale. Les contraintes qui pèsent sur la distribution de la main-d’œuvre pour ces entreprises sont les mêmes que celles qui existent dans le domaine agricole, et on peut souvent y voir les mêmes modèles d’utilisation de la main-d’œuvre. Très souvent cependant, les projets de développement en faveur des femmes, qui favorisent ces activités telles que la production artisanale, omettent totalement de prendre en compte cette contrainte. Les entreprises que les femmes créent à leur compte personnel doivent se battre pour disposer de main d’œuvre au sein et en dehors du ménage. D’une part, le travail de la femme entrepreneuse est requis par la famille : elle ne peut travailler qu’à “temps partiel” pour sa propre entreprise. D’autre part, la main-d’œuvre dont elle souhaiterait disposer fait l’objet de demandes qui sont prioritaires.
L’accès différentiel des femmes et des hommes à la main-d’œuvre
6D’une revue de la littérature, on pourrait conclure au sujet des agricultrices d’Afrique de l’Ouest qu’elles travaillent soit pour les autres soit seules et sans aide. Dans le premier cas, on trouve les systèmes de “production domestique” dans lesquels les femmes travaillent sous l’autorité de chefs de ménages masculins/maris. Dans le deuxième cas, on trouve, d’une part, le “système agraire féminin” où les femmes produisent la majorité des biens destinés à la consommation des ménages, et, d’autre part, les entreprises “personnelles” où les femmes produisent ou acquièrent l’accès à des produits de l’agriculture ou de l’élevage dont elles peuvent disposer indépendamment du ménage. Les femmes peuvent participer aux deux formes de production. Elles peuvent apporter de la main-d’œuvre à l’exploitation agricole familiale et peuvent également, par exemple, avoir leurs propres parcelles, qu’elles exploitent elles-mêmes. Il est rare de trouver des exemples de systèmes où les femmes sont perçues comme initiatrices du processus de production par la mobilisation de la main-d’œuvre du ménage, de la famille ou des réseaux socio-politiques de la communauté. Il est encore plus rare de trouver des exemples de femmes employant une main-d’œuvre salariée, mais la raison pour laquelle elles ne recourent pas à une main-d’œuvre salariée ou ne peuvent se le permettre, en dépit de leurs besoins, est cependant évoquée. Sauf dans le cas le plus courant où les enfants ou des mères âgées apportent leur aide, la plupart des entreprises semblent fonctionner avec une seule personne.
7La majeure partie de cette littérature tient pour acquis ce que j’espère expliquer : pourquoi les femmes comptent-elles créer et gérer des fermes et des entreprises “personnelles” avec si peu d’occasions de mettre à contribution une main-d’œuvre extérieure, et, par conséquent, si peu de possibilités d’accumulation ? J’affirme que ce ne sont pas les conséquences d’une tendance naturelle des femmes à dépendre, au mieux, de la seule main-d’œuvre des enfants et des personnes âgées : être des bêtes de somme à leur propre compte comme au service de leur mari ! Les processus d’emploi mis en œuvre dans la gestion des entreprises des femmes sont des produits de l’histoire, de l’évolution des relations de genre et de classe. Pourtant, cette tendance naturelle étant tenue pour acquise, il est possible que les femmes aient mis à contribution de la main-d’œuvre, ou le fassent maintenant, selon des modes qui restent invisibles. Un examen des circonstances historiques dans lesquelles les femmes ont pu mobiliser de la main-d’œuvre apporte un éclaircissement sur les contraintes qui pèsent actuellement sur la grande majorité de celles qui ne le peuvent pas.
8Il existe au moins deux écoles de pensée qui ont contribué à installer l’idée dominante selon laquelle les femmes travaillent soit pour les autres (des hommes) soit seules. Premièrement s’est développée l’influence du néo-marxisme, notamment dans les débats autour de la production et de la reproduction et préalablement à la réorientation de ces débats vers les questions de genre (voir, par exemple, Meillassoux, 1975). Je ne m’y arrêterai pas, sauf pour signaler que la notion de “contrôle sur les femmes” comme productrices (main-d’œuvre) et reproductrices (de future main-d’œuvre) niait la considération selon laquelle les femmes ont leur propre capacité de mobilisation de la main d’œuvre extérieure. Ensuite s’est développée l’influence de ce que Guyer (1984a) a décrit – et catégoriquement critiqué – comme le “naturalisme” dans les modèles de production africains.
9Le modèle du “naturalisme”, qui trouve son origine dans le travail de Baumann (1928), et plus tard explicité par Boserup (1970) soutient que “les systèmes agraires féminins” sont “primitifs” au sens évolutionniste. Ils sont associés à la culture des tubercules et se caractérisent par une faible intensité de main-d’œuvre et l’absence de période de pointe dans l’emploi de la main-d’œuvre extérieure. Une personne seule peut accomplir toutes les tâches, ou la plus grande partie, les unes après les autres. Par conséquent, les agriculteurs n’ont pas besoin de recourir à une main-d’œuvre extérieure. L’introduction des céréales demandant des méthodes de production plus intensives a induit une plus grande participation de la main-d’œuvre masculine, et un déplacement vers des “systèmes agraires masculins”.
10L’expression “systèmes agraires masculins” occulte, bien sûr, l’utilisation de la main-d’œuvre féminine dans ces systèmes de production (Beneria 1981). Mais le plus grand problème lié à la différence supposée exister entre les systèmes agraires féminins et masculins tient au fait que le modèle s’appuie sur l’hypothèse que le produit lui-même détermine les pratiques d’utilisation de main-d’œuvre associées à sa culture. Guyer démontre que les systèmes de production “individualisés” ne sont pas associés seulement aux cultures de tubercules et par conséquent aux systèmes agraires féminins. Ils sont plutôt associés à la culture des nouvelles denrées de base (maïs, manioc). La culture des anciennes denrées de base (igname, millet, sorgho) est plus souvent assimilée à la division du travail élaborée, ritualisée, à une “complémentarité des tâches” qui passe par l’utilisation séquentielle et interdépendante du travail des femmes et des hommes, jeunes et vieux, et une constante légitimation des droits au travail des personnes impliquées (Guyer 1984a, p. 383). Il est significatif que ce soient les hommes les plus âgés du ménage, du lignage ou de la communauté qui peuvent établir ces formes sociales de production. Guyer avance donc que les “systèmes agraires féminins” n’ont pas précédé les “systèmes agraires masculins” au sens évolutionniste, pas plus que les différents systèmes de production ne sont déterminés par le type de culture. Les systèmes de culture individualisés associés à l’agriculture féminine sont les conséquences d’une évolution déterminante et relativement récente de l’organisation de la production.
11Le modèle naturaliste voit également un lien entre la faible intensité de main-d’œuvre existant dans les systèmes agraires féminins et les contraintes liées à la maternité et à l’éducation des enfants. Ces contraintes obligent les femmes à “étendre” leur travail dans le temps au lieu d’adopter des périodes de plus grande intensité de travail au cours de l’année agricole. Guyer montre cependant que les agriculteurs maintiennent des périodes de forte intensité de travail parce qu’ils recourent à la main-d’œuvre extérieure, alors que les femmes mènent leurs activités agricoles essentiellement seules malgré leurs responsabilités liées au travail domestique. En conséquence, Guyer insiste sur le fait que la principale différence entre les systèmes agraires féminins et masculins tient à un accès différentiel des femmes et des hommes à la main d’œuvre.
12Dans son étude comparative des systèmes agraires masculins chez les Yoruba du Nigeria occidental et des systèmes agraires féminins des Beti du Cameroun, Guyer conclut “qu’il existe des différences qualitatives entre les différents types de pouvoir qui activent la production”, et que le pouvoir d’activer la production est très différent entre les femmes et les hommes (Guyer 1984a, p. 384 ; voir également Guyer 1984b). Les hommes profitent de leur autorité et de leur ancienneté dans le ménage, le lignage et la communauté, et recrutent une main d’œuvre masculine et féminine pour leurs exploitations agricoles. Même dans l’emploi d’une main-d’œuvre salariée ils s’appuient sur le crédit que leur reconnaît la communauté, et sur des standards de travail et des taux de salaire bien établis qui reflètent le rapport social entre l’employeur et le travail. Par conséquent, il existe de grandes différences entre les hommes dans leur capacité à employer de la main-d’œuvre, ce qui constitue une base potentielle pour la formation de classes. Les agricultrices Beti, en revanche, n’ont l’autorité pour recruter une main-d’œuvre masculine ou féminine dans aucune de ces institutions. Au sein de leurs ménages, la contribution du travail des hommes est “irrégulière” et ne peut s’intégrer à la gestion de la main-d’œuvre dans les exploitations des femmes. Il n’existe pas de normes d’emploi ni de taux de salaires bien établis pour la main d’œuvre employée par les agricultrices. Il n’existe pas “de marque d’approbation pour les femmes qui tentent de recruter de la main-d’œuvre… le recrutement de la main-d’œuvre par les femmes ne s’appuie sur aucune institution établie” (Guyer 1984a, p. 380). Il n’existe que peu de différences entre les femmes en ce qui concerne ces contraintes et, par conséquent, il existe une faible base de différentiation socio-économique et de formation de classes dans le groupe des femmes.
13On peut comparer l’étude de Guyer sur les systèmes agraires masculins et féminins à un certain nombre d’études qui ont décrit l’impossibilité pour les femmes de se lancer dans certaines productions grâce à l’emploi d’une main-d’œuvre extérieure, dans les entreprises qu’elles créent à leur compte personnel à l’intérieur des “systèmes agraires masculins”. Hirschon (1984) avance que “dans certaines sociétés, la propriété pourrait être avantageusement repensée en terme de main-d’œuvre”. Ces sociétés incluent les sociétés basées sur les liens de parenté en Afrique de l’Ouest, où les droits fonciers peuvent être obtenus par diverses affiliations sociales et politiques, dont le mariage pour les femmes. Cependant, les droits fonciers ne peuvent être dissociés des hiérarchies sociales et politiques dont ils découlent et “l’utilité des droits fonciers est limitée par l’étendue des droits à du travail (et) est plus ou moins dénuée de sens sans la force de travail pour exploiter la terre” (Whitehead 1984, p. 184). L’étude de Whitehead porte sur les Kusasi du Nord-Est du Ghana, chez qui la production, dont l’initiative revient aux chefs de ménage masculins, mobilise la main-d’œuvre de tous les membres du ménage qui leur sont subordonnés, et, selon leur statut politique au sein du clan et de la communauté, de la main-d’œuvre extérieure au ménage. En outre, les hommes jeunes et toutes les épouses ont le droit de cultiver des parcelles privées dont ils peuvent, seuls, disposer du produit. Cependant, les parcelles des femmes sont bien plus petites que celles des hommes. Ceci s’explique en partie par le fait qu’en tant qu’épouses elles n’ont pas les affiliations sociales et politiques qui leur permettraient d’acquérir des droits fonciers. La principale raison, cependant, est qu’elles n’ont pas le pouvoir social, dans les hiérarchies du ménage, du groupe domestique, du clan et de la communauté, qui leur permettrait d’accéder à la terre. Les femmes adultes ne peuvent pas recourir à la main-d’œuvre de leurs supérieurs sociaux, tant au sein qu’en dehors du ménage :
[Les femmes] “ne pourraient pas disposer de la main-d’œuvre des hommes adultes. Ce qui en résulte, en terme de genre, est que les femmes Kusasi utilisent la main-d’œuvre du ménage ou d’échange différemment des hommes. Il est difficile pour une femme de disposer de la main d’œuvre de ses supérieurs sociaux, tant au sein de l’unité familiale polygyne proche que dans le groupe de ménages agnats voisins. Elles ont recours à des hommes très jeunes, souvent de jeunes garçons. Elles n’organisent jamais les larges groupes d’entraide qui sont si importants pour les agriculteurs, notamment les hommes chefs de famille” (Whitehead 1984, p. 184).
14On a pu observer une situation similaire dans les zones Hausa au Sud du Niger (Roberts 1977 et 1986). Les épouses cultivent, seules, leurs parcelles privées (gayamna) dans le temps qui leur reste après leur travail sur les terres du ménage. Par conséquent, elles ont adopté des pratiques agraires assez différentes de celles qui sont utilisées sur les terres plus vastes du ménage. Elles sèment plus densément pour éviter de devoir désherber, et utilisent du fumier lorsqu’elles peuvent en obtenir Cependant, la répartition du travail entre les terres du ménage et les parcelles des épouses donne lieu à un combat intense opposant les époux et les épouses, les chefs de ménages et leur main-d’œuvre. Ce combat découle, en partie, de la perte de contrôle des hommes sur la main-d’œuvre masculine du ménage. Au cœur de cette question se trouve la relation entre la production du ménage et les entreprises personnelles des femmes.
Entreprises familiales et entreprises des femmes pour leur propre compte
15Les études citées précédemment situent le pouvoir de mobilisation de la main-d’œuvre dans les hiérarchies de genres, de générations, de rangs et de classes au sein et à l’extérieur des ménages, et partout les femmes sont des subordonnées. Dans le cas des agricultrices Hausa et Kusasi évoluant dans des “systèmes agraires masculins”, ces conditions de production des ménages affectent la capacité des femmes à s’engager dans une production pour leur propre compte ; j’examinerai cette relation en premier lieu. Ensuite, je me demanderai de nouveau si toutes les femmes souffrent autant de l’accès inadéquat à la force de travail. Guyer concluait que, dans le cas des Beti, les femmes étaient toutes plus ou moins désavantagées, mais on ne peut arriver à cette conclusion en toutes circonstances. Les femmes ne vivent pas forcément le même degré de subordination dans toutes les hiérarchies. Au moins d’un point de vue historique on peut déterminer des différences considérables entre les femmes, précisément en ce qui concerne leur capacité à mobiliser la main-d’œuvre.
16On a beaucoup écrit sur le droit des épouses, en Afrique de l’Ouest, à gérer leurs propres entreprises. On l’a généralement présenté comme un corrélat du système de la “bourse à part” des époux et des épouses dans les sociétés polygynes basées sur le lignage. La “bourse à part” permet aux épouses de remplir leurs propres obligations envers leurs groupes de parenté. Cette corrélation s’est si bien établie qu’elle a eu tendance à occulter les conditions matérielles nécessaires pour que les femmes s’engagent dans une activité productive à leur propre compte, ce qui inclut l’accès à la terre (dans le cas de l’agriculture) ou au capital financier et au crédit (dans le cas du commerce) et, surtout, la possibilité pour une femme de disposer d’une partie de son propre temps de travail et peut-être de celui des autres. Bien sûr, une tendance à réifier l’institution s’est dessinée : la désigner comme une pratique traditionnelle qui distingue les relations conjugales en Afrique, par exemple, du mariage européen monogame avec “bourse commune” et “fonds conjugal” (Goody 1976). Elle a même été présentée comme une preuve de l’égalité entre les femmes et les hommes relativement plus grande dans les sociétés africaines pré-capitalistes qu’en Europe. Boserup, par exemple, se sert de cette institution pour étayer son argument sur cette question. Pourtant, elle ne parle que très peu de la façon par laquelle cela pouvait avantager les femmes :
“Les femmes travaillent beaucoup et n’ont qu’un droit limité au soutien de leurs maris, mais elles jouissent souvent d’une très grande liberté de mouvement et d’une certaine indépendance économique par la vente de leurs récoltes personnelles” (Boserup 1970, p. 50).
17Boserup conclut également que même ces avantages limités ne sont pas toujours, ou pas du tout, accessibles à toutes les femmes. Elle suggérait que ces avantages étaient un élément de l’institution de la polygynie qui attribuait “les travaux les plus ennuyeux” aux femmes les plus jeunes dont le statut était “subordonné, comme il convient à l’assistante ou même à la servante de la première femme” (Boserup 1970, pp. 43, 45). Ensuite, elle suivait l’évolution depuis l’institution de la polygynie jusqu’à l’institution de l’esclavage domestique et à celle de la mise en gage, notamment des femmes. Si ces institutions ont joué un rôle critique pour les entreprises personnelles des femmes, les femmes ont, historiquement, eu des chances bien moindres de s’investir dans des entreprises personnelles, et des évolutions dans les sources de main-d’œuvre devraient avoir considérablement changé ces conditions. Pourtant, le problème qui apparaît en premier lieu est que la notion selon laquelle les femmes reçoivent un soutien limité de leurs maris tout en ayant une certaine indépendance n’explique pas les relations actuelles qui existent entre les entreprises des époux et les entreprises personnelles des épouses.
18J’ai employé la terminologie “d’entreprise indépendante” (own-account enterprise) de préférence à une autre. Dans la pratique contemporaine, elle recouvre une grande variété d’activités par lesquelles les femmes gagnent un revenu pour leur usage personnel. La caractéristique qui ressort de ces activités est qu’elles dérivent des “droits” des femmes à disposer personnellement d’une petite partie des ressources que le ménage où elles sont entrées par le mariage possède ou produit, dont une partie de leur temps de travail personnel. Les activités décrites le plus souvent comprennent : (1) la production sur des parcelles “personnelles” – généralement réparties par un chef de ménage entre ses subordonnés masculins et féminins, dont la production n’est pas directement destinée à la consommation du ménage et échappe à l’autorité distributive immédiate du chef de ménage ; (2) la vente de produits agricoles ou collectés dans la nature, ou (sous-) produits animaux que le ménage a à sa disposition ou qu’il produit (y compris, naturellement, avec la main d’œuvre des femmes), que l’on désigne parfois comme les “surplus” à la consommation du ménage ; (3) le droit à recevoir certains paiements en nature contre certains types de travaux effectués pour l’exploitation familiale ou de l’époux, ce qui constitue une source d’approvisionnement en matières premières pour les femmes. Ces pratiques apportent aux femmes des produits qui peuvent être vendus tels quels ou sur lesquels elles peuvent travailler pour les transformer (par exemple, en les cuisinant, en les traitant pour une meilleure conservation, ou par l’artisanat) et leur ajouter de la valeur. Dans certains cas, le revenu peut être réinvesti pour le développement de ces ressources autoproduites, comme l’achat d’autres produits agricoles par exemple.
19Il est essentiel de réaliser, premièrement, que ces entreprises indépendantes dérivent du statut des femmes en tant qu’épouses/coépouses/sœurs/mères/veuves/filles etc. dans les ménages dirigés par des hommes. Deuxièmement, le statut d’épouse/mère/sœur peut déterminer le type particulier de ressources qui sont à la disposition des femmes. Par exemple, une mère peut disposer d’une partie du temps de travail de sa fille pour son entreprise personnelle. Il s’ensuit que les possibilités offertes à une femme pour son entreprise personnelle peuvent changer selon la période de sa vie. Troisièmement, ces “droits” sont en général reconnus explicitement (il peuvent être cités, par exemple, dans les cas de divorce), ce qui ne signifie pas qu’ils sont inaliénables, non modifiables, et qu’on ne les enfreint jamais. Aussi les entreprises personnelles des femmes ne sont en aucun cas indépendantes des ménages dirigés par des hommes, mais plutôt une part du contexte relationnel des femmes avec et au sein des ménages. L’une des principales limites découlant de ces relations est que les entreprises personnelles des femmes sont subordonnées à l’entreprise familiale, et parfois la concurrencent.
20Les exigences considérables du chef de ménage ou du mari sur le travail de sa femme, ne sont pas réciproques et constituent une limite. La portée des obligations faites aux épouses d’apporter leur travail à leur mari est une contrainte essentielle pesant sur le développement de leurs entreprises personnelles. C’est souvent une contrainte plus insurmontable que celle de l’accès à d’autres moyens de production tels que la terre, des petits capitaux, etc. En revanche, les exigences que les femmes sont en droit d’avoir sur le travail de leur mari sont toujours moins fortes et moins assurées. Mais les forces et faiblesses relatives de ces exigences sont à resituer dans le contexte des relations entre les entreprises des époux et d’autres obligations découlant du mariage. La “production domestique” peut masquer des contributions inégales en matière de travail, et une distribution inégale des produits du travail, que ce soit sous forme de consommation ou d’accumulation matérielle ou de statut social. Dans les cas où une telle discrimination contre les femmes en tant qu’épouses est prouvée, on est tenté de décrire la “production domestique” comme une entreprise masculine basée sur l’exploitation du travail des épouses et la reproduction perpétuelle de la hiérarchie de genres dans les relations de production. Pourtant, les femmes ont résolument des intérêts et des exigences matérielles vis-à-vis de ces entreprises familiales/masculines, qui comprennent et vont au-delà de la consommation personnelle, notamment les intérêts de leurs enfants.
21C’est pour ces raisons que les initiatives personnelles des femmes apparaissent comme conceptuellement distinctes des entreprises familiales/masculines. Il semble que les femmes disposent des produits ou revenus de leurs activités indépendamment des exigences de leurs maris, mais elles ont des prétentions spécifiques envers l’entreprise familiale/masculine en matière de consommation personnelle et d’investissement pour les enfants. Les entreprises personnelles des femmes semblent “autonomes” en ce sens que les membres du ménage n’ont aucun droit institutionnel sur ces produits. Par conséquent, ceux-ci n’ont en général que peu ou aucune obligation d’y contribuer en travaillant. En outre, le travail des femmes dans leurs entreprises personnelles est considéré comme un “surplus” aux exigences de travail au sein du ménage, mené lors du “temps libre” et, dans ce sens également, indépendant de la gestion et de l’organisation du ménage comme l’entreprise de tous ses membres. À cet égard, les entreprises personnelles des femmes pourraient apparaître, et pourraient être, en compétition avec les entreprises familiales dans la mesure où une partie du travail des femmes leur échappe.
22Les négociations entre hommes et femmes autour de l’échange mutuel de travail et de l’accès à la main-d’œuvre que chaque groupe contrôle sont toujours complexes. Les négociations s’inscrivent dans le cadre de “contrats” plus larges, comme le mariage. Ils sont toujours sujets à des renégociations et des redéfinitions, mais ils circonscrivent l’accès des femmes à la main-d’œuvre au sein et en dehors du ménage (Roberts 1986). L’accès d’une épouse âgée au travail d’une coépouse plus jeune peut être limité par les exigences des maris portant sur le travail de la plus jeune épouse. L’accès d’une femme à des groupes d’entraide de travail ne peut être négocié que par l’intermédiaire de son époux. L’accès à la main-d’œuvre des autres femmes de la communauté pourrait être limité par leurs obligations conjugales et familiales. Pour une femme, l’accès au marché du travail pourrait, surtout, être limité par le manque de liquidité. Mais il pourrait aussi être limité par son manque de pouvoir social ne lui permettant pas de maintenir des contrats à long terme, et, parfois, par la “familialisation” du travail salarié – son incorporation dans la hiérarchie sociale du ménage. Les femmes qui n’ont pas d’obligation vis-à-vis de leur mari, comme les veuves et les divorcées, peuvent également ne pas avoir les moyens de mobiliser la main-d’œuvre pour leur compte personnel.
23Toute tentative visant à déterminer quelles sont les femmes qui ont les moyens de mobiliser de la main-d’œuvre, et quelle main-d’œuvre elles peuvent mobiliser, est limitée par ces hiérarchies complexes. L’âge d’une femme, sa position parmi les femmes d’un mariage polygyne, le rang de son époux dans un ménage patriarcal multi-générationnel, son statut de femme “héritière” ou de veuve1, le nombre et le sexe de ses enfants et des épouses de ses enfants constituent certains des paramètres à prendre en compte. Ces relations induisent des obligations de travail entre les femmes, entre hommes et femmes, et entre femmes et hommes, et varient d’une société à l’autre.
24Considérons par exemple les obligations de travail entre les femmes. Dans certaines sociétés, le rang hiérarchique parmi les épouses constitue une source importante d’autorité sur le travail des épouses plus jeune ; dans d’autres sociétés, le travail des épouses (à part celui qui peut être réservé pour leurs entreprises personnelles) est à la seule disposition des maris, et une coopération volontaire et généralement très limitée de ces derniers est le maximum qu’une coépouse puisse espérer. Pour finir, les épouses les plus jeunes peuvent se substituer à une épouse plus âgée pour remplir ses obligations de travail, comme je l’ai expliqué dans le cas des Yoruba (Roberts 1986). Mais elles n’ont aucune obligation de contribuer par leur travail à l’entreprise personnelle d’une épouse plus âgée. D’autre part, le travail des filles peut être largement mis à la disposition de leurs mères, mais cette obligation peut être très réduite lors du mariage, quand une fille rejoint le foyer de son mari.
25Lorsqu’elles sont en dehors du ménage, la capacité des femmes à mettre en commun leur travail semble très restreinte. Deux faits sont récurrents. D’une part, des accords réciproques entre femmes, visant à fournir du travail à chacune à tour de rôle, peuvent exister. En Gambie, par exemple, les femmes peuvent organiser des groupes d’entraide de travail lors des moissons de leur ferme respective (Dey 1980). Néanmoins, il s’agit de formes non hiérarchiques de mise en commun du travail, fondées sur une redistribution équitable de l’activité entre femmes. D’autre part, des époux plus fortunés et plus puissants peuvent utiliser leur capacité à organiser la mise en commun du travail, au nom de leur femme, dans un esprit de réciprocité mais dans une réalité inégalitaire. Comme dans le cas Kusasi évoqué précédemment, les femmes des hommes pauvres ou les hommes disposant de peu de ressources sociales auront plus de chance de travailler pour les autres dans le cadre des groupes d’entraide de travail que de voir les autres travailler pour eux.
26Il semble donc que les femmes aient un accès limité au travail des autres femmes. L’autorité qui dérive d’une supériorité de rang ou de génération au sein du ménage (filles, belles-filles, coépouses) est atténuée par l’autorité du mari sur le travail d’une même personne. La capacité des femmes à mobiliser le travail des femmes n’appartenant pas au ménage sur une base non réciproque est extrêmement limitée et subordonnée à la bonne volonté du mari qui choisit ou non d’exercer sa propre capacité de mobilisation en sa faveur. Cette stratégie dépend des hiérarchies masculines en matière d’autorité sociale et politique : les femmes recrutent de la main-d’œuvre et sont recrutées dans le cadre de ces arrangements dans leurs relations avec les hommes.
27Mais l’utilisation du revenu provenant des entreprises personnelles des femmes n’est pas tellement indépendante des intérêts du ménage. La terminologie “personnelle” ne doit pas laisser penser que le revenu est consacré à la consommation personnelle dépréciative d’argent de poche. Le produit ou le revenu de ces entreprises contribuent aux coûts de reproduction de l’entreprise du ménage/du mari. Son usage immédiat peut être spécifié dans les relations conjugales, avec par exemple l’obligation pour la femme d’apporter un certain type de nourriture pour la consommation de la famille (notamment des enfants). À plus long terme, l’investissement sur les enfants peut assurer la sécurité d’une femme pour sa vieillesse. Dans le cas où elle n’a pas d’enfant, cela peut la rendre moins vulnérable. L’utilisation du revenu des entreprises personnelles varie selon les contingences. Dans les sociétés matrilinéaires, il peut être investi pour la sécurité du matrilignage. Dans les sociétés patrilinéaires, une stratégie particulière se reproduit : les entreprises des femmes paraissent souvent avoir pour but de récupérer, par la vente de produits, les liquidités que les hommes (en tant que maris, chefs de foyers) ont acquis, par leur pouvoir de disposer de l’essentiel du revenu issu de la mobilisation du travail de leurs dépendants.
28Ces facteurs laissent supposer que non seulement les femmes doivent gérer leurs entreprises en tenant compte de contraintes différentes de celles des hommes, mais aussi qu’elles poursuivent des objectifs, dans la réalisation de leurs projets personnels, différents de ceux qu’elles atteignent dans leur participation à la production des entreprises familiales/des maris. Dans certaines circonstances où les femmes ne sont pas responsables de l’approvisionnement régulier en produits de base pour le ménage (même si elles contribuent à leur production), elles peuvent se spécialiser dans des productions agricoles, ou dans certaines variétés de produits agricoles, qui ne sont pas destinés à la consommation finale du ménage, ou pas seulement à cette consommation, mais au marché. Par exemple, au Niger, des femmes se spécialisent dans la production d’arachides et de variétés de millet pour les utiliser comme semences ou pour préparer des gâteaux. Cette stratégie contourne partiellement les limites induites par les petites surfaces qu’elles peuvent cultiver pour leur propre compte. C’est probablement pour cette raison que les entreprises agricoles personnelles des femmes sont novatrices, s’intégrant dans des économies agraires avec ces contraintes et objectifs.
29Des études de cas décrivent différents aspects des relations entre les entreprises “familiales” et les entreprises personnelles des femmes, aspects que j’ai moi-même évoqués. Dans les zones occidentales du Nigeria où l’on parle le Yoruba, la norme veut que les femmes ne cultivent pas pour leur propre compte, mais elles ont le droit de mener des affaires personnelles et de se spécialiser dans le commerce, notamment des produits agricoles. Le commerce démarre parfois à partir de leur droit à un paiement en nature de certaines activités agricoles qu’elles accomplissent pour le compte de leur mari (Clarke 1977). On attend des maris qu’ils pourvoient aux besoins essentiels de l’épouse corésidente (des épouses) et de leurs enfants, mais on attend des mères qu’elles apportent des aliments supplémentaires et des contributions régulières au bien-être de leurs enfants (Galetti 1956 ; Roberts 1977). Pourtant, comme le montre l’étude de Berry, l’obligation faite aux épouses d’apporter leurs services à leur mari restreint la quantité de travail qu’elles peuvent consacrer à leur commerce personnel. Les producteurs de cacao attendent de leurs femmes qu’elles travaillent pour eux lors de la phase de démarrage de l’exploitation, mais ils préfèrent en général employer une main-d’œuvre salariée lorsque celle-ci rapporte un revenu. Mais une femme “peut toujours être mise à contribution pour participer au travail de son mari” (Berry 1985, p. 95). Une femme doit porter assistance au commerce de son mari ou gérer ses plantations de cacao en activité pendant qu’il en crée de nouvelles ailleurs. Les femmes n’ont toutefois pas accès au travail de leur mari, pas plus qu’elles ne peuvent s’attendre à ce qu’il contribue à la création de leurs commerces personnels. La question clé porte sur la contradiction qui existe entre les besoins d’un mari pour le travail de sa femme et le temps de travail qu’une épouse doit consacrer à son commerce afin de créer un revenu qui soit suffisant pour contribuer au bien-être de ses enfants et aux dépenses du ménages destinées à compenser le coût de remplacement de son travail. Aussi “l’attitude d’un agriculteur devant l’indépendance de sa femme est-elle susceptible d’être quelque peu ambivalente” (Berry 1985, p. 124). Comme on peut s’y attendre, puisque les femmes ne peuvent que rarement mettre à contribution le travail des autres pour accomplir une partie du travail nécessaire à la création de leur commerce (bien que les femmes s’entraident parfois), elles travaillent très longtemps, créent le plus souvent leurs entreprises très lentement, entreprises qui ne prospèrent pas souvent.
30Dans le cas des Hausa du Niger, que j’ai déjà mentionné, les épouses peuvent faire appel à une main d’œuvre réduite pour les aider dans la production de leurs exploitations gayamma. Elles ont adopté leurs pratiques agraires et se sont spécialisées dans certains types de productions agricoles pour s’adapter à ces contraintes. On parle souvent des conflits d’intérêts qui en résultent. Les maris sont de plus en plus dépendants du travail des épouses dans les exploitations familiales car l’autorité qu’ils avaient sur la main d’œuvre masculine a diminué du fait des migrations saisonnières. La pression qu’ils exercent sur les épouses pour qu’elles réduisent le temps de travail qu’elles consacrent à ces productions est atténuée, cependant, par un certain intérêt que les hommes ont – et qu’ils peuvent exprimer cyniquement – dans les entreprises agricoles personnelles qu’ont les femmes. Les hommes contrôlent la distribution de la terre entre les épouses et, dans des zones où l’on manque de terre, peuvent attribuer les terres de mauvaise qualité aux femmes, qui les améliorent par une utilisation avisée de fumier et d’azote, rétablissant des cultures telles que les légumineuses. La terre est alors récupérée à l’usage des hommes. En revanche, la vente des produits agricoles cultivés par les femmes, notamment ceux qui sont cuisinés en biscuits, remet entre les mains des femmes une partie du revenu que les hommes ont acquis par le contrôle de la vente des produits agricoles cultivés sur les terrains du ménage et grâce à l’accès des hommes à la main d’œuvre féminine (Raynaut 1968 ; voir également Guyer 1984b, p. 105).
31La situation est différente dans les régions matrilinéaires et productrices de cacao du Ghana. Ici, les femmes produisent un grand nombre de produits alimentaires de base dans un système agraire qui a été modifié afin de s’adapter aux besoins des jeunes plantations cacaotières. Un certain nombre d’études ont traité des relations entre les entreprises familiales et les entreprises personnelles que les femmes gèrent, en particulier les exploitations cacaotières dirigées par des femmes, bien que les femmes se spécialisent également dans d’autres entreprises qui vont de la collecte et de la transformation des produits de la forêt tels que les escargots et les courges2 à la production de savon et de sel végétal et au commerce de denrées alimentaires. La plupart de ces études montrent que les obligations faites aux épouses et aux enfants de travailler dans les exploitations cacaotières de leurs maris/pères leur laissent peu de temps pour travailler pour leur propre compte. D’un point de vue institutionnel, les hommes n’ont aucune obligation de collaborer à l’exploitation agricole de leurs femmes. Le revenu limité que les femmes peuvent, dans ces conditions, tirer de leurs entreprises personnelles fait qu’elles ne peuvent non plus se permettre de recourir au salariat. Okali décrit le choix déchirant qui s’offre aux femmes, entre deux stratégies limitées. L’une consiste à espérer que finalement un mari témoignera sa gratitude (et non son obligation) à sa femme soit en payant la main d’œuvre pour l’exploitation de sa ferme soit en lui donnant l’une des exploitations qu’ils ont créées ensemble. Rien ne l’oblige à l’une ou l’autre solution et en fait, la réalisation d’un faible revenu sur leurs exploitations personnelles suffisant à bien des femmes pour divorcer ou se séparer de leur mari, la plupart des maris ne font rien. L’autre solution consiste à divorcer de toute façon et à chercher un mari plus généreux, ou à essayer de diriger seule. Par conséquent, les épouses ont abandonné les exploitations agricoles faute de main-d’œuvre. La stratégie du divorce ou de la séparation des maris résulte de l’état de fait qui veut que, selon le droit coutumier, une épouse n’a toujours pas le droit d’hériter quelque partie que ce soit de l’exploitation cacaotière de son mari. Bien qu’il doive contribuer à ses moyens de subsistance pendant le mariage, la contribution de la femme à sa propre subsistance, ainsi que la contribution de ses – de leurs – enfants est considérable (Mikell 1984 ; Okali 1983 ; Oppong 1975 ; Roberts 1987 ; Vellenga 1977). Okali montre, en fait, que les femmes ont plus de chance de cultiver le cacao pour leur compte personnel si elles ne sont pas mariées ou si elles ne vivent pas avec leurs maris (Okali 1983, p. 56).
Tradition ou transformation des relations de genre et de classe ?
32J’ai suggéré précédemment l’existence de diverses formes contemporaines de relations entre les entreprises familiales et les entreprises personnelles des femmes. Elles sont interdépendantes en ce sens que les ressources d’une femme peuvent dépendre de sa position dans le ménage de son mari, et elles sont en concurrence autour de la distribution du temps de travail de la femme. On peut alors se demander quelles relations elles ont avec le supposé droit traditionnel des femmes à diriger leurs entreprises personnelles. En l’état actuel de nos connaissances, on ne peut avancer que de timides hypothèses, et je n’en développerai qu’une ici. Elle consiste à dire que, dans le passé, les femmes pouvaient travailler à plus grande échelle, mettant à contribution une main-d’œuvre extérieure en dehors des hiérarchies de genres, de rangs et de générations. Cette source de main-d’œuvre provenait des esclaves et des personnes mises en gage.
33Compte tenu de la nature hiérarchique des relations de genre au sein et en dehors du ménage, qui donne en général plus de pouvoir aux hommes pour la mobilisation de la main d’œuvre, une source de main d’œuvre qui n’est pas immédiatement intégrée dans ces hiérarchies semblait d’une importance déterminante pour les femmes. Robertson et Klein (1983) ont développé cet argument en disant que “les femmes libres tiraient la majorité des bénéfices de la main-d’œuvre esclave en Afrique subsaharienne”. Pour les hommes esclaves, c’était parce que “dans bien des sociétés les femmes avaient plus de difficultés que les hommes pour recruter une main-d’œuvre masculine dans le système lignager.” Les femmes esclaves, qui constituaient la majorité des esclaves en Afrique de l’Ouest, apportaient aux femmes propriétaires les mêmes avantages qu’aux hommes propriétaires : une augmentation de la quantité de travail disponible. Mais en outre, les propriétaires féminines profitaient du travail des femmes esclaves parce que “les femmes se chargeaient de la plupart du travail agricole et, en fait, de tout le travail domestique. La valeur des esclaves féminines provenait d’une division sexuelle du travail qui attribuait la plus grande partie du travail productif aux femmes” (Robertson et Klein 1983, pp. 11-13).
34L’accès à la main-d’œuvre esclave et gagée donnait aux femmes les moyens de créer des entreprises en dehors du mariage et des ménages dirigés par des hommes. Il s’agissait alors de foyers dirigés par des femmes plutôt que d’entreprises personnelles, mais de foyers où l’incapacité des femmes à mobiliser de la main-d’œuvre avait été contournée par l’utilisation d’une main-d’œuvre indépendante des hiérarchies de genres. Dans certaines circonstances, cette situation pouvait impliquer pour une femme le retrait physique des structures du ménage et de la communauté, même si elle avait un certain rang au lieu d’être une subordonnée au sein de ces structures, comme dans le cas des Ya Ndama en Sierra Leone (MacCormack 1983). De même, il se peut que le succès remarquable des entreprises commerciales des femmes à Accra s’appuyant sur la propriété des esclaves et des gagés ait été lié à la résidence séparée des hommes et des femmes et à la fracture des hiérarchies de genres qui en a découlé (Robertson 1983 ; Klein 1981).
35Dans d’autres circonstances, il se peut que cette source de main-d’œuvre ait soulagé les femmes, en tant qu’épouses, d’une partie des obligations de travail qu’elles avaient envers les hommes, et qu’elle leur ait permis de s’investir dans leurs entreprises au sein même des ménages dirigés par leurs maris, mais sans relation de dépendance vis-à-vis de celui-ci. On peut donner un exemple des possibilités offertes aux femmes grâce à la disponibilité d’esclaves à partir de la région des Sefwi Wiawso de l’ouest du Ghana à la fin du 19e siècle. Les bénéfices de la collecte du caoutchouc sauvage étaient investis dans l’acquisition d’esclaves qui étaient achetés comme “récompenses pour les épouses et les enfants favoris, utilisés comme main-d’œuvre pour l’extraction de l’or, la production de caoutchouc et la collecte des escargots” (Arhin 1972, p. 38). Les femmes achetaient également des esclaves, hommes et femmes, pour elles-mêmes (Roberts 1984). Elles les achetaient essentiellement pour leurs entreprises de ramassage et de transformation des escargots qui impliquaient la gestion d’une grande quantité de ressources en main-d’œuvre et en matériel.
36[…] Selon Arhin, les esclaves furent “intégrés dans les familles”. Le lent processus d’intégration au ménage (décrit par Perrot 1982, p. 165) fit progressivement entrer les esclaves donnés aux femmes ou achetés pour elles dans la hiérarchie de genres et de générations du ménage en tant que subordonnés. Dès lors il n’est pas surprenant que la légende de la liberté et de l’autonomie des femmes dans cette zone de matrilignage soit celle d’une communauté sans hommes. C’était le cas de Pomakrom, un village décrit en termes désormais légendaires, mais qui existait bien dans les années 1920 lorsque Cardinall le visita. Poma avait fondé le village à la fin du 19e siècle avec une compagne, et avait “décrété la règle selon laquelle aucun homme ne les épouserait, elles ou toute autre fille qui les rejoindrait ; que les hommes ne pouvaient s’arrêter dans le village que pour un temps limité, et n’auraient aucun droit sur aucun des enfants nés… Il y avait quelque deux cents habitants dans le village lorsque je le visitai” (Cardinall 1927, p. 83).
37L’accès libre des femmes à la main-d’œuvre de personnes qui ne sont pas libres – indépendantes des structures hiérarchiques du ménage et de la communauté – a peut-être normalement été restreint, et même la disponibilité limitée de main-d’œuvre esclave ou gagée nous rappelle que les femmes ne sont pas forcément destinées à diriger des entreprises, à se charger des tâches ménagères et à s’occuper des enfants seules ou avec l’aide des enfants. La vie de la femme au foyer actuellement en Europe n’est pas une fatalité historique.
38Pourtant, je crois que l’une des conséquences à long terme de l’abolition de l’esclavage, parce qu’elle a touché à la fois les entreprises familiales et les entreprises personnelles des femmes, est la lente restriction de la liberté des épouses, qui avaient jusqu’alors eu quelque accès à une main-d’œuvre subordonnée, de disposer de leur temps de travail. Elle a entraîné la renégociation des arrangements matrimoniaux puisque les femmes devenaient soit (a) la principale source de main d’œuvre stable pour les exploitations agricoles contrôlées par les hommes, soit (b) les seules productrices dans les systèmes agraires féminins. Les arrangements matrimoniaux incluent les arrangements entre les coépouses, entre les mères et leurs enfants, entre les veuves et les héritiers de leurs maris de même qu’entre les maris et les épouses eux-mêmes, et s’étendent au delà des ménages jusqu’aux structures communautaires de mobilisation de la main-d’œuvre.
39Pour autant, il n’est pas fatal que les renégociations des arrangements matrimoniaux laissent les femmes sans travail dans leurs entreprises personnelles. Par exemple, Currens (1976) a discuté des évolutions dans la distribution de la main-d’œuvre entre les champs privés et ceux du ménage en conséquence de l’innovation agricole dans le nord ouest du Liberia. Ici, le fait que les hommes ont plus de possibilités de gagner des liquidités en produisant du café les a poussés à retirer la main-d’œuvre travaillant à la production de subsistance pour le ménage qu’est le riz. C’est une situation “classique” qui a généralement mené les femmes à consacrer plus de temps à la production de subsistance, et à diminuer le temps disponible pour leurs entreprises personnelles. Dans ce cas, cependant, on dit que les femmes ont pu renégocier avec leurs maris, dans le but d’utiliser le revenu de la production de café pour payer une main-d’œuvre salariée travaillant dans les champs de riz familiaux. Ceci a permis au moins à quelques femmes de maintenir leur travail et même d’augmenter leur investissement dans leurs activités privées.
Conclusion
40La plupart des entreprises personnelles des femmes en milieu rural – qu’elles soient des exploitations agricole privées, des entreprises de production artisanale ou de petits commerces – travaillent à très petite échelle, avec très peu d’aide en dehors de celle des enfants, et les femmes s’y investissent en dehors du travail exigé de façon non réciproque par les entreprises familiales ou dirigées par les hommes. Le modèle “naturaliste” assimile cette situation aux conditions de la maternité, de l’éducation des enfants et des tâches domestiques. Ces activités sont parfois décrites comme un travail qui peut être repris ou abandonné selon les autres exigences. La comparaison avec le travail à domicile en Grande Bretagne s’impose ; ce type de travail également a été considéré comme une “chance” pour les femmes de combiner un revenu extérieure avec les responsabilités domestiques ; mais la réalité dans la plupart des cas est très différente de ce modèle idéal. Lorsque les femmes ne peuvent recourir à la main d’œuvre extérieur, elles peuvent travailler jusqu’à l’épuisement. Il existe, bien sûr, des commerçantes qui ont réussi en milieu urbain, qui dirigent de grandes entreprises, mais les conditions particulières par lesquelles elles contrôlent la main-d’œuvre serait le sujet d’un autre article.
41J’ai avancé l’hypothèse que cette situation résulterait de la diminution de la main-d’œuvre disponible pour les femmes, en partie en conséquence de l’abolition de l’esclavage, et en partie en conséquence de l’appropriation croissante de leur travail par les hommes/maris transformant les relations de genre dans la production au sein des hiérarchies du ménage, du lignage, de la communauté.
42Comme l’a montré l’exemple du Liberia, il n’est pas inévitable que les femmes soient désavantagées de telles façons. Les programmes de développement doivent reconnaître ces contraintes s’ils ont la moindre intention sérieuse de donner du pouvoir aux femmes. D’autre part, la “solution” libérienne passait par le salariat. Ceci induit non seulement une progression de la différentiation de classe, mais suggère également la vulnérabilité des femmes dans de telles circonstances. Car les femmes salariées en milieu rural n’ont indéniablement pas le pouvoir social d’exiger des salaires équivalents à ceux des hommes, mais elles sont potentiellement aussi “acceptables” pour les employeuses que pour les employeurs. La question décisive à laquelle nous devons réfléchir est la suivante. Quel est le type de développement qui prendra en compte les structures omniprésentes de hiérarchie de genres au sein du ménage et dans la communauté – ce qui inclut les relations entre les femmes aussi bien que les relations entre les femmes et les hommes – et qui ne désavantagera pas toujours la plupart des femmes et, parfois certaines femmes ?
Traduit de l’anglais. Texte original: Rural Women’s Access to Labor in West Africa, in : S. B. Sichter (ed.), J. S. Parpart (ed.). Patriarchy and class Boulder : Westview Press, 1988, p. 97-114 (extraits).
Bibliographie
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