Les femmes et la modernisation de l’agriculture en Asie et en Afrique
p. 153-170
Note de l’éditeur
Référence : Agarwal, Bina, “Les femmes et la modernisation de l’agriculture en Asie et en Afrique”, in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur. Genre et économie : un premier éclairage. Genève : Graduate Institute Publications, 2001, pp. 153-170, DOI : 10.4000/books.iheid.5434. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
Introduction
1Quelles ont été, ces dernières années, les conséquences de la modernisation de l’agriculture - introduction de nouveaux outils de production et de nouvelles pratiques - pour les femmes des zones rurales du tiers-monde ? Le choix d’axer la réflexion sur les femmes et non pas uniquement sur le ménage, repose sur la considération - et la préoccupation - qu’au sein d’un ménage, les changements technologiques dont les hommes retirent des avantages ne sont pas toujours bénéfiques aux femmes, voire leur portent préjudice, et que si ces changements sont préjudiciables aux hommes, ils le sont encore plus pour les femmes. Ainsi, se trouve remise en question l’idée largement répandue selon laquelle le ménage constitue une unité d’intérêts convergents. En effet, à l’impact du changement technologique sur les ménages d’une catégorie socioéconomique donnée, s’ajouteraient, au sein de chaque catégorie ou classe, des effets différents selon l’appartenance à l’un ou à l’autre sexe. Bien entendu, la manifestation des effets de classe et de genre n’est pas forcément la même dans toutes les régions du tiers-monde. Elle dépend du degré de différenciation sociale et du degré de variation des facteurs (les normes culturelles notamment) qui régissent la répartition des tâches entre les hommes et les femmes dans la production agricole et d’autres activités.
2Les questions sont posées ici en fonction de trois types d’effets :
sur les charges de travail absolues et relatives des hommes et des femmes ;
sur leur accès absolu et relatif au revenu monétaire et sur leur maîtrise de celui-ci ;
sur leur accès absolu et relatif à la consommation. Ces aspects et surtout les deux derniers ayant été rarement étudiés, il existe peu d’information directe à leur sujet.
Répartition des tâches, du revenu et de la consommation au sein du ménage
3[…] Dans la suite de ce texte, nous verrons pourquoi tel ou tel impact de la modernisation agricole sur ces trois variables aura probablement des conséquences différentes pour les femmes et les hommes, y compris au sein d’une même catégorie de ménages. Nous verrons aussi qu’il n’existe pas de lien direct entre ces trois variables ; par exemple, l’accroissement de la charge de travail d’une femme ne se traduit pas automatiquement par une meilleure maîtrise du revenu monétaire ou une augmentation de la consommation de celle-ci.
4Pour situer le problème, je classerai les femmes du secteur agricole dans trois catégories socioéconomiques différentes (définies, j’en conviens, selon des critères très généraux mais suffisants pour illustrer le propos) :
les femmes qui font partie de ménages sans terre ou disposant d’une superficie insuffisante pour couvrir, à elle seule, les besoins de subsistance de la famille : outre leurs rôle de procréatrices et de ménagères, ces femmes doivent travailler pour gagner un salaire qui assure à elles-mêmes et à leurs familles un revenu adéquat ;
les femmes qui font partie de ménages de petits cultivateurs ayant suffisamment de terre pour l’autoconsommation mais étant tributaires de la main-d’œuvre familiale : là encore, outre leurs rôles de procréatrices et leurs tâches domestiques, ces femmes doivent accomplir des tâches manuelles dans la ferme familiale mais elles n’ont pas besoin de gagner un salaire à l’extérieur ;
les femmes qui font partie de ménages à la tête d’une grande exploitation dans laquelle le gros des travaux agricoles est effectué par des ouvriers : ces femmes ont en commun avec celles des ménages pauvres leurs rôles de procréatrices mais elles ont moins de travail domestique dans la mesure où elles peuvent engager du personnel ; en outre, elles ne sont généralement pas tenues de participer aux travaux agricoles mais assument parfois des fonctions de supervision.
Répartition de la charge de travail
5Dans pratiquement toutes les régions du tiers-monde, la charge de travail des femmes des ménages sans terre et des ménages de petits cultivateurs (c’est-à-dire celles qui nous intéressent au premier chef) est lourde et même souvent plus lourde que celles des hommes. En plus de leur contribution au travaux agricoles, ce sont elles qui s’occupent des enfants, font le ménage et la cuisine, transportent l’eau, ramassent du bois et pilent le grain. En outre, ce sont généralement elles qui vendent les produits agricoles au marché. Le transport de l’eau et le ramassage du bois, en particulier, sont des tâches qui exigent beaucoup de temps et d’énergie. Par exemple, dans certaines régions du Soudan, les femmes font 1,5 kilomètre trois fois par jour ou plus pour chercher de l’eau (UNECA, 1975) ; cette distance peut atteindre 8 kilomètres ou plus, voyage qui dure alors de l’aube à midi (White, Bradley et White, 1972). Ces auteurs font observer que dans bien des régions d’Afrique, il est mal vu que les hommes transportent de l’eau sur la tête ou le dos mais attirent l’attention sur le fait que les vendeurs d’eau sont habituellement des hommes qui utilisent des ânes, des brouettes ou des charrettes
6Les auteurs qui ont étudié les tâches accomplies par les femmes dans les ménages sans terre et dans les très petites exploitations, constatent que celles-ci effectuent généralement plus d’heures de travail que les hommes. Pour ce qui est de l’Asie, par exemple, une étude réalisée à partir d’un échantillon de ménages ruraux de Java (dont les lopins de terre étaient trop petits - moins de 1 hectare - pour satisfaire les besoins de la famille, ce qui obligeait les membres de celle-ci à exercer une activité rémunérée à l’extérieur), indique que les femmes de 15 ans et plus travaillaient en moyenne 11,1 heures par jour et les hommes 8,7 heures. Sur ce temps de travail, les femmes consacraient 5,9 heures et les hommes 7,9 à ce que le auteurs qualifient de “travail directement productif”, c’est-à-dire exception faite du ramassage du bois, des soins aux enfants, de la préparation de la nourriture et des autres tâches ménagères Sur une année, le nombres total d’heures de travail (y compris le temps consacré aux activités domestiques) se montait à 4 056 heures pour les femmes et à 3 173 pour les hommes (White, 1976).
7Tout indique en outre que la pleine saison est également plus lourde pour les femmes que pour les hommes. En Afrique, par exemple, dans les périodes de plantation et de récolte des arachides, les hommes ne travaillent pas plus de 30 heures par semaine, alors que les femmes, compte tenu de la nécessité de récolter très rapidement le riz au mois de janvier, consacrent 45 heures par semaine à cette activité (Cleave, 1970 in Schofield, 1979). En Asie, au plus fort de la récolte du blé, les femmes adultes d’Harayana (Inde) consacrent au minimum 15 à 16 heures à des travaux manuels pénibles à la maison et dans les champs, ce qui leur laisse peu de temps de repos alors que les hommes n’effectuent aucun travail ménager et peuvent se reposer l’après-midi, voire faire une partie de cartes (Chakravorty 1975).
8Dans l’ensemble, tout porte à croire que les femmes, surtout dans les ménages ruraux défavorisés du Tiers Monde (ouvriers agricoles et petits cultivateurs) travaillent plus que les hommes si l’on tient compte de toutes les activités (y compris celles qui sont répertoriées comme “tâches domestiques”). En outre, dans de nombreuses communautés, même si l’on décompte les tâches domestiques, les femmes travaillent quand même plus que les hommes
9A noter toutefois que le statut d’infériorité conféré aux tâches ménagères n’est pas justifié, celles-ci étant en général étroitement liées aux activités comptabilisées comme des travaux “directement productifs” et indispensables à la survie de la famille. Ainsi, le manque de combustible peut être une cause de malnutrition au même titre qu’une pénurie alimentaire : dans certaines régions du Népal et d’Haïti, une pénurie de bois de chauffage a obligé les populations à passer de deux repas chauds par jour à un seul (Arnold, 1978). Pourtant, ce type de tâches est toujours exclu de la liste des “activités productives” dans les travaux scientifiques (White, 1976).
Maîtrise et partage du revenu familial
10Le fait qu’elles assument une part beaucoup plus importante de la charge de travail familiale ne donne pas nécessairement aux femmes un droit de regard sur une part proportionnelle du revenu monétaire du ménage. Les travaux concernant aussi bien l’Asie que l’Afrique, indiquent que les hommes ont généralement la mainmise sur le revenu monétaire de la famille. Par exemple dans le Sud du Gujarât (Inde), les salaires des femmes et des hommes des ménages d’ouvriers agricoles sont généralement versés uniquement aux hommes (Breman, 1981).
11Dans la mesure où l’argent liquide donne accès aux moyens de production (terre, achat d’outils et d’intrants, etc.), ne serait-il pas normal que tous les membres du ménage, hommes et femmes, en profitent ?
12La manière de dépenser l’argent (c’est-à-dire, dans l’intérêt de qui) varie selon celui qui en a la maîtrise. Certes, il existe peu d’information sur la manière dont sont prises les décisions concernant le partage et la dépense de l’argent dans les ménages ruraux, mais les quelques travaux existants contiennent à ce sujet de précieuses indications. Ces travaux montrent que, si les femmes ont leur mot à dire, elles ont tendance à utiliser l’argent essentiellement pour les besoins familiaux alors que les hommes, eux, le dépensent surtout pour satisfaire leurs propres besoins. Au Ghana, on a observé que l’argent du cacao, culture de rapport masculine, demeurait entièrement entre les mains des hommes qui le dépensaient pour boire ou s’acheter des vêtements alors que les besoins essentiels de la famille étaient couverts par les femmes (Bukh, 1979)
13En Asie aussi, plusieurs études relèvent cette différence dans la manière qu’ont les hommes et les femmes de dépenser l’argent. Dans les zones rurales de l’Inde, il est courant que les hommes dépensent une partie de leurs gains pour acheter de l’alcool et des cigarettes alors que les femmes consacrent exclusivement les leurs aux besoins de la famille (Gulati, 1978).
Partage de la nourriture
14L’information sur le partage de la nourriture entre les hommes et les femmes au sein des ménages est elle aussi peu abondante mais elle est suffisante pour démontrer que, dans une grande partie du Tiers-Monde, la répartition des aliments en général et des plus nutritifs en particulier tend à favoriser les hommes plutôt que les femmes. Les données concernant l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine révèlent que les meilleurs repas tant sur le plan de la qualité que sur celui de la quantité sont servis aux hommes adultes et que les garçons ont souvent la priorité sur les filles (Schofield, 1979).
15Jusqu’ici, je n’ai parlé que des femmes appartenant à des ménages dirigés par des hommes. En réalité, les ménages dans lesquels une femme pourvoit seule à ses propres besoins et souvent à ceux de ses enfants, ne sont pas rares. On estime qu’à l’heure actuelle, dans beaucoup de pays sous-développés non socialistes, environ 15 à 25 pour cent des ménages sont de facto dirigés par des femmes.
16C’est à la lumière de ces différentes observations qu’il convient d’étudier les conséquences de l’évolution technologique pour les femmes. En d’autres termes, tout nouveau programme de modernisation de l’agriculture, y compris l’introduction de nouveaux moyens de production et de nouvelles pratiques, doit être considéré dans le contexte suivant :
préexistence d’une répartition inégale (souvent très inégale) de la propriété et de la maîtrise des ressources matérielles d’un ménage à l’autre ;
préexistence d’une importante charge de travail pour les femmes des ménages pauvres, tant en volume absolu que par rapport aux hommes ;
la répartition de l’argent et de la consommation au sein du ménage est généralement défavorable aux femmes ;
un certain nombre de ménages pauvres ont à leur tête des femmes qui assument seules l’entretien de leurs familles et souvent, n’ont pas accès à la terre ni au capital.
17Dans ces conditions, la question qui se pose est la suivante : Les formes et les orientations actuelles du changement technologique dans l’agriculture sont-elles de nature à aggraver les problèmes des femmes ou plutôt à les alléger ?
L’impact du changement technologique dans l’agriculture selon la classe et le sexe
18Ces dernières années, la modernisation de l’agriculture s’est accompagnée de diverses innovations technologiques et autres, qui peuvent être classées en quatre grandes catégories :
celles qui réduisent les surfaces cultivées, nécessitent de la main-d’œuvre et augmentent les rendements : appartiennent à cette catégorie les intrants biochimiques (variétés à haut rendement (VHR), engrais chimiques, etc.) et substitution de méthodes d’irrigation modernes (puits tubulaires, pompes) aux anciennes méthodes (canalisations et citernes) ;
celles qui économisent de la main-d’œuvre (moissonneuses-batteuses, égreneuses et concasseurs de maïs, batteuses à blé ou à riz), c’est-à-dire les innovations post-production ;
celles dont les effets sur l’utilisation de la terre ou des travailleurs ne peuvent être déterminés de façon catégorique car ils varient selon les conditions écologiques et sociologiques : ce sont, par exemple, les tracteurs ;
d’autres changements qui ne constituent pas des innovations au même sens que les trois précédentes, mais présentent un intérêt pour le sujet qui nous préoccupe ici : par exemple, l’introduction de cultures commerciales dans des zones précédemment cultivées pour l’autoconsommation.
Données globales concernant l’Asie
19Comment les choses se passent-elles en Inde et d’une manière plus générale en Asie ?
Ménages d’ouvriers agricoles1
20Les femmes des ménages d’ouvriers agricoles méritent une attention particulière car elles sont les plus mal loties sur le plan économique et dans de nombreux pays d’Asie, elles constituent la plus forte proportion des femmes actives des zones rurales. En Inde, d’après le recensement de 1981, environ 50 pour cent des femmes actives des zones rurales travaillaient comme ouvrières agricoles et 37 pour cent comme agricultrices, c’est-à-dire dans l’exploitation familiale. Les femmes des zones rurales constituent 38 pour cent de la main-d’œuvre agricole du pays, mais ce pourcentage est beaucoup plus élevé dans certains États. En outre, les effectifs de cette catégorie de travailleurs ont augmenté au fil du temps. Selon les enquêtes sur les travailleurs ruraux (Rural Labour Enquiries - RLE), entre 1964-65 et 1974-75 - soit en gros pendant la période qui a précédé la révolution verte et celle qui a suivi l’introduction de l’“enveloppe” VHR-irrigation - le nombre des ménages d’ouvriers agricoles a augmenté de 15,3 à 20,7 millions et celui des ouvriers agricoles eux-mêmes de 30,8 à 46,4 millions. La ventilation des travailleurs adultes par sexe est la suivante : l’augmentation a été de 11,5 à 18,3 millions chez les femmes et de 17,5 à 25,2 millions chez les hommes (Gouvernement de l’Inde, 1979 : 19, 62-3).
21Toutefois, la modernisation agricole […] ne s’est pas accompagnée d’une augmentation équivalente de la demande de travailleurs. A l’échelle du pays, le nombre annuel moyen de journées de travail a diminué pour les hommes et pour les femmes et celui des journées de chômage “involontaire” a augmenté. Ces données indiquent que, dans l’ensemble, la modernisation de l’agriculture qui a eu lieu entre 1964-65 et 1974-75 n’a pas procuré d’emplois (même en prenant les chiffres de 1964-65) à tous ceux qui recherchaient un travail agricole salarié en 1974-75.
22Cependant, ces résultats globaux […] ne permettent pas de différencier les effets de l’“enveloppe” VHR-irrigation et de la mécanisation. D’une part, le nombre de journées de travail consacrées par les femmes et les hommes au repiquage, au désherbage et à la récolte, c’est-à-dire dans les trois catégories de travaux dont on pensait qu’elles requerraient davantage de main-d’œuvre une fois le programme en place, a augmenté. D’autre part, le recours à la main-d’œuvre salariée a diminué dans d’autres activités telles que le labourage, le battage, le transport, etc. Or, ce sont justement ces travaux qui, dans certaines régions, ont été mécanisés par le biais de tracteurs et de batteuses. Cela donne à penser que le recul général de l’emploi, c’est-à-dire pour les travaux dans leur globalité, est probablement dû dans une large mesure à cette mécanisation. L’effet positif de l’“enveloppe” VHR-irrigation, pris isolément, sur la demande de travail semble avoir été inégalement réparti entre les femmes et les hommes. […]
23Un autre aspect à prendre en considération dans ce contexte est le fait qu’aux Philippines et en Indonésie, l’adoption des VHR a provoqué le remplacement du couteau par la faucille pour la récolte, ce qui a en retour provoqué le remplacement de la main-d’œuvre féminine par une main-d’œuvre masculine contractuelle (Res, 1983 ; White, 1983 ; Stoler, 1977).
24En outre, plusieurs formes de mécanisation ont pour la main-d’œuvre féminine des conséquences négatives dont l’ampleur varie selon le type de travail qui est mécanisé. Il convient ici d’établir une distinction entre la mécanisation de travaux tels que le labourage, par le recours au tracteur, et la mécanisation de travaux post-production tels que la moisson et le battage, par le recours à la moissonneuse-batteuse. […]
25L’adoption de la moissonneuse-batteuse, de la batteuse à blé, de l’égreneuse de maïs, etc. supprime évidemment des emplois salariés. En Asie, la moisson et le battage sont des tâches généralement accomplies conjointement par une main-d’œuvre masculine et féminine, et, dans une large mesure occasionnelle, surtout dans les grandes exploitations. Le recours à des engins mixtes (qui mécanisent les deux opérations) a donc supprimé beaucoup de travailleurs occasionnels et cela surtout à cause de la mécanisation de la moisson, opération exigeant une abondante main-d’œuvre, qui était traditionnellement faite à la main. Dans certaines régions d’Asie, où ces engins mixtes ont été adoptés, un grand nombre d’emplois ont disparu. Ainsi dans une étude sur la Malaisie occidentale, 2 000 travailleurs ont perdu leurs emplois à la suite de l’introduction de neuf moissonneuses-batteuses, 1974 (Banque asiatique de développement, 1978). En Inde, l’utilisation de telles machines n’est pas très courante mais cela pourrait changer, ce qui priverait les travailleuses occasionnelles de l’une de leurs principales sources d’emploi. La batteuse étant déjà très utilisée dans les zones plantées en blé à haut rendement, ses retombées négatives sur l’emploi ont été constatées dans plusieurs études (Agarwal, 1981b, Billings et Singh, 1970). Toutefois, il est difficile de savoir si les suppressions d’emploi touchent plus particulièrement les hommes ou les femmes. Aux Philippines également, la batteuse a remplacé les ouvriers agricoles, ce qui oblige les femmes à effectuer de plus longues journées pour un salaire horaire inférieur (Illo, 1983).
26Pour ce qui est de la mécanisation des travaux non agricoles, réalisés après la moisson, par des moulins à grains, les données indiquent clairement que ce sont essentiellement les femmes des ménages ruraux les plus défavorisés qui ont perdu leur travail. Tel est le cas, par exemple, au Bangladesh où le décorticage manuel du riz est la principale source d’emploi salarié - sinon la seule - des femmes des zones rurales (Greeley, 1981). Les rizeries, en revanche, emploient presque exclusivement des hommes. Nombre des femmes qui se sont ainsi retrouvées sans emploi élevaient seules leurs enfants et ont aujourd’hui sombré dans la misère (Abdullah et Zeidenstein, 1975 ; Halpern 1978). Une situation analogue a été observée à Java (Indonésie) où la mécanisation de la transformation du riz par l’introduction de machines à blanchir a chassé de leurs emplois beaucoup de femmes sans terre qui effectuaient auparavant le battage à la main. Le nombre de journées de travail ainsi supprimées est estimé à 12 millions (Collier et coll., 1974). En Inde, où les moulins traditionnels offraient des emplois occasionnels ou semi-permanents aux femmes, les rizeries modernes emploient principalement des hommes (B. Harris, 1977). […]
27La rétribution journalière n’a pas progressé au même rythme que le prix du riz. En valeur réelle, les salaires journaliers ont diminué tant pour les hommes que pour les femmes au Bengale occidental, au Tamil Nadu et en Andhra Pradesh. Les exceptions sont l’Uttar Pradesh où ils ont augmenté pour les travailleurs des deux sexes et le Pendjab où ils ont augmenté pour les hommes mais baissé pour les femmes.
28Bien entendu, les gains journaliers peuvent diminuer et les gains annuels augmenter si le nombre de journées de travail augmente sur l’année (ou vice-versa). […]
29Dans des régions d’Asie autres que l’Inde, les gains salariaux des ouvriers agricoles évoluent plus ou moins de la même façon. A Java, par exemple, la baisse des salaires réels a obligé tous les membres des ménages d’ouvriers agricoles à travailler davantage pour gagner de quoi subvenir à leurs besoins (White, 1976). Au Bangladesh, les salaires réels de l’agriculture diminuent depuis 1964, ce qui se traduit par une augmentation du nombre des paysans sans terre et une aggravation de la pauvreté (Begum et Greeley, 1979). De plus en plus, les femmes de ménages d’ouvriers agricoles dont la subsistance était auparavant assurée par les seuls salaires des hommes, sont désormais obligées de travailler à l’extérieur. Dans les deux pays, ces femmes ont vu leur charge de travail augmenter alors que leurs revenus et leur consommation diminuaient en valeur absolue, phénomène sans doute largement imputable à la modernisation de l’agriculture et plus particulièrement à la mécanisation des tâches.
Ménages de petits cultivateurs
30L’impact de l’“enveloppe” VHR-irrigation sur les ménages de petits cultivateurs est mitigé. D’une part, il y a ceux qui ont pu tirer avantage des nouveaux moyens de production et des nouvelles pratiques : sur le sous-continent indien, ils sont concentrés dans les régions productrices de blé et surtout au Pendjab indien. D’autre part, il y ceux - nombreux - dont la situation a empiré. Ceux-là ont été doublement perdants non seulement parce qu’ils n’ont pas pu bénéficié de l’“enveloppe”, ce qui a créé un écart entre eux et les autres, mais aussi parce que les grands propriétaires, estimant désormais plus rentable de se remettre à cultiver eux-mêmes leurs terres, ont eu tendance à évincer les tenanciers. Ce phénomène a été observé au Pakistan (Hussain, 1980), en Inde (Bhalla, 1976, Dasgupta, 1977b, Bardhan et Rudra, 1978), aux Philippines (Grifin, 1972) et en Indonésie (Sajogyo, 1983). Il a entraîné la réduction des superficies à affermer dans les zones cultivées en VHR. Qui plus est, en Inde, les propriétaires se mirent à exiger le paiement des loyers en espèces et à les augmenter. De ce fait, beaucoup de petits cultivateurs durent abandonner la terre pour rejoindre les rangs des ouvriers agricoles. Et dans les deux pays, on constate une concentration accrue de la propriété foncière, du capital et des ressources financières dans les zones plantées en VHR (Dasgupta, 1977b ; Hussain, 1980).
31Pour beaucoup de ménages de petits cultivateurs, ces effets ont été renforcés par l’introduction du tracteur. En effet, dans certaines régions d’Asie du Sud, celui-ci a permis aux grands propriétaires terriens de cultiver pour leur propre compte des superficies plus grandes qu’il n’était auparavant possible ou rentable. Les tenanciers ont donc été évincés dans certaines régions d’Asie du Sud telles que le Pendjab pakistanais (McInerney et Donaldson, 1975 ; Hussain, 1980) et beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui des ouvriers agricoles (Hussain 1980).
32Pour les femmes des ménages de petits cultivateurs, cette évolution a deux conséquences majeures : d’une part, elle a des répercussions complexes sur le ménage et d’autre part, elle a des effets différenciés selon le sexe. Dans les ménages qui ont adopté les nouvelles méthodes d’exploitation, ces différences sont tellement marquées qu’il est difficile d’analyser avec certitude les coûts et les avantages nets de la modernisation. Comme nous l’avons vu, ces méthodes augmentent généralement le besoin de main-d’œuvre et aussi la production et le revenu de l’exploitation. Les répercussions de cette double augmentation sur le volume de travail agricole des femmes varient selon les régions. Ce volume a par exemple augmenté au Pendjab pakistanais (Mamdani, 1972), aux Philippines (Palmer, 1975b) et en Indonésie (Manuaba, 1979)2. Ailleurs, les femmes de la famille ont abandonné les travaux des champs ; tel a été le cas dans le Karnataka en raison de l’irrigation des rizières (Epstein, 1962, 1973), en Andhra Pradesh (Agarwal, présent chapitre) et au Bangladesh (Greeley, 1981).
33Notons à ce propos que si les femmes des ménages de petits cultivateurs peuvent cesser de travailler dans l’exploitation familiale et donc réduire leur charge de travail agricole, c’est généralement grâce à l’augmentation du revenu familial qui résulte de la modernisation technologique. Ce cas est différent de celui des femmes des ménages d’ouvriers agricoles qui se retrouvent involontairement au chômage, forcées de rester à la maison, et pour qui la réduction de l’offre de travail à l’extérieur engendre une baisse de revenu.
34Toutefois, cesser le travail des champs ne va pas sans inconvénients, même pour les femmes des ménages de petits cultivateurs. Par exemple, la diminution du volume de travail agricole peut être compensée par une augmentation de la charge de travail à la maison, comme c’est le cas dans les régions où l’habitude est de fournir les repas du personnel engagé pendant les moissons. Dans les ménages de petits cultivateurs, ce sont probablement les femmes de la famille qui devront préparer ces repas car, même si des ouvriers les remplacent aux champs, personne n’est engagé pour effectuer les travaux de la maison à leur place (Randhawa, 1975). En outre, quitter le travail “visible” des champs pour le travail “invisible” de la maison risque de porter atteinte à leur statut au sein du ménage et à leur pouvoir de décision (J. Harris, 1979).
35De même, le gain escompté de l’installation de minoteries modernes, censées éviter aux femmes l’éprouvant broyage à la main, ne va pas de soi car les hommes qui décident de l’utilisation de l’argent ne sont pas toujours disposés à payer pour faire moudre le grain à la minoterie (Chakravorty 1975).
36En outre, alors que l’augmentation de la production et du revenu des exploitations modernisées devrait normalement se traduire par une augmentation de la consommation des femmes (en valeur absolue mais pas forcément par rapport à celle des hommes), tel n’est pas toujours le cas. Par exemple, l’irrigation entraîne souvent l’abandon de l’agriculture de subsistance au profit des cultures commerciales ; or, le revenu supplémentaire ainsi obtenu n’est pas toujours utilisé pour augmenter la quantité de nourriture et améliorer la qualité de l’alimentation de la famille (Whitcombe, 1972). […]
Ménages de gros exploitants
37A l’évidence, l’“enveloppe” VHR-irrigation a été profitable à ces ménages. Les femmes auraient vu leurs niveaux de consommation et peut-être même leurs revenus monétaires augmenter en valeur absolue (mais pas forcément par rapport aux hommes). Comme, de toute façon, la plupart de ces femmes ne participaient pas aux travaux manuels des champs, la question des conséquences de l’abandon de ces travaux ne se pose pas. Cependant, il est possible (comme nous l’avons vu pour les petites exploitations modernisées) qu’en raison de l’accroissement des effectifs des ouvriers agricoles, leur charge de travail domestique liée à la préparation des repas de ces ouvriers se soit quelque peu alourdie.
38D’après les faits observés, la répartition inégale des avantages et inconvénients de la stratégie dite de la révolution verte, non seulement entre catégories sociales, ce que l’on savait déjà, mais aussi à l’intérieur d’une même catégorie, entre les hommes et les femmes, demeure préoccupante. Par ailleurs, les conséquences de l’“enveloppe” VHR-irrigation et de la mécanisation (des travaux après récolte en particulier) sur l’emploi doivent également retenir l’attention. La main-d’œuvre agricole en général et féminine en particulier a surtout pâti de la mécanisation du battage des céréales et de la création de moulins à grains modernes. De ce fait, bien des aspects positifs pour l’emploi du changement technologique associé à l’“enveloppe” VHR-irrigation, ont été perdus. […]
Stratégies de survie
39On ne peut certes affirmer, sur la base de ce qui précède, que la modernisation de l’agriculture a uniformément appauvri les femmes de toutes les petites exploitations et de tous les ménages sans terre ; j’ai d’ailleurs mentionné des cas où c’était le contraire. Il est néanmoins évident que leur situation économique s’est détériorée, non seulement en raison de leur appartenance à des ménages démunis mais aussi en raison de leur sexe, dans un nombre suffisamment important de cas pour que l’on s’en préoccupe. Ces femmes qui, seules ou avec leurs familles, ont été poussées dans l’indigence doivent maintenant trouver des moyens de survivre.
40Dans les ménages qui sont dirigés par des hommes et dont le niveau de vie global a baissé, tous les membres de la famille (hommes, femmes et enfants) sont en fait obligés de réorganiser leur temps de travail en fonction de l’impératif de survie. A noter toutefois, pour reprendre les cas étudiés, que ce type de solutions “collectives” est plus probable dans les ménages asiatiques que dans les ménages africains. White (1976) cite l’exemple de Java où, ces dernières années, une baisse des salaires réels de la main-d’œuvre agricole a bouleversé la division traditionnelle des tâches entre hommes et femmes au profit de l’optimisation du revenu du ménage. Ainsi, pendant les périodes de l’année où les femmes ont la possibilité d’obtenir une meilleure rétribution que les hommes, elles travaillent comme ouvrières agricoles et les hommes restent à la maison pour préparer les repas et s’occuper des enfants. Les enfants gardent le troupeau familial et coupent les fourrages lorsque leur père trouve du travail à l’extérieur ou encore ils préparent les repas et s’occupent des plus jeunes pendant que leur mère plante le riz et que leur père fauche, etc. Les femmes alternent souvent travaux agricoles et production artisanale destinée à la vente (A Java, les petits commerçants sont généralement des femmes de paysans sans terre ou de petits exploitants, dont l’activité commerciale rapporte de quoi couvrir immédiatement une partie des besoins essentiels du ménage - Stoler, 1977) En d’autres termes, le ménage cherche à rentabiliser au maximum le temps de travail de la famille en diversifiant les tâches. En dernière analyse, cependant, ce sont les femmes qui, nous l’avons vu, assument la plus lourde charge de travail journalière et annuelle. En outre, la participation des hommes aux tâches ménagères, même dans la pauvreté, n’est pas chose courante. Qu’elles travaillent ou non à l’extérieur, les femmes sont presque toujours astreintes à une “double journée”.
41Ce phénomène est également illustré par Hart (1978). A Java, pendant la saison des pluies, les femmes et les filles de paysans sans terre sont obligées d’aller travailler dans les plantations de canne à sucre à l’extérieur des villages, où elles effectuent des travaux extrêmement pénibles pour des salaires de misère. Elles garantissent ainsi un revenu modique mais stable à la famille, ce qui permet aux hommes de s’aventurer dans la pêche hauturière et leur évite d’avoir à accepter des emplois mal rétribués. Pendant les périodes creuses de la riziculture, ces femmes consacrent en moyenne près de 80 pour cent de leur temps directement productif à de lourds travaux manuels, souvent très loin de chez elles (Hart, 1978 : 136). C’est donc essentiellement sur leurs épaules que pèse la responsabilité d’augmenter au maximum le revenu moyen du ménage.
42Il ne fait aucun doute que la survie de ces ménages dépend de l’apport des femmes. Ainsi, dans 50 pour cent des ménages d’une région du Bangladesh, le travail salarié des femmes rapportait plus de 60 pour cent du revenu total et pour l’ensemble des ménages de l’échantillon, la moyenne était de 40 pour cent. Du fait de la paupérisation de cette population, de plus en plus de femmes mariées et de jeunes filles célibataires cherchent un travail salarié dans l’agriculture, alors qu’auparavant seules les femmes veuves, divorcées ou abandonnées briguaient ce type d’emploi (MacCarthy et coll., 1978 ; Begum et Greeley, 1979).
43Autre conséquence de l’augmentation du nombre des ménages pauvres et sans terre : le devoir qu’ont normalement les hommes du noyau familial ou de la famille élargie de venir en aide aux veuves ou aux femmes abandonnées par leurs maris, se perd. Par exemple, selon les résultats d’une étude réalisée dans un village bangladeshi, seulement 54 pour cent des veuves étaient intégrées dans les ménages de leurs fils (Cain et coll., 1979).
44Lorsque la contribution des hommes au revenu familial est insuffisante ou inexistante, les femmes doivent se débrouiller seules. Celles-ci cultivent alors de petits lopins (lorsqu’elles en ont), associent agriculture de subsistance et petit commerce (Bukh, 1979), travaillent comme ouvrières agricoles (Chen et Ghuznavi, 1978) ou comme employées de maison (Cain, 1977). Au Bangladesh, bien des femmes qui recherchent un emploi salarié, soit dans de plus grandes exploitations soit dans les programmes “vivres contre travail” du gouvernement sont les seuls soutiens de leurs familles (Chen et Ghuznavi, 1978)
Conclusion
45Dans les pages qui précèdent, j’ai montré d’une part que toute innovation donnait lieu à des résultats très différents selon le contexte social, culturel et politique dans lequel elle était introduite, et que d’autre part, dans le cas des femmes, ces résultats étaient toujours d’une frappante similitude. En raison de leur sexe, leur condition empire ou s’améliore moins que celle des hommes de la même culture et de la même catégorie sociale.
46En général, cet état de fait n’est pas imputable à l’innovation en soi, le problème ne provenant pas des caractéristiques techniques de celle-ci mais du contexte socioéconomique dans lequel elle est introduite. C’est ce contexte qui détermine la propension de l’innovation à privilégier telle catégorie de population ou un sexe plutôt que l’autre, ainsi que la manière dont en seront répartis les coûts et les avantages. En Asie, par exemple, l’appauvrissement de nombreux ménages ruraux à la suite de la révolution verte n’est pas imputable à l’“enveloppe” VHR-irrigation mais à la préalable inégalité de la répartition des terres et du pouvoir politique, qui a permis à une poignée de privilégiés de monopoliser les nouveaux moyens de production et les nouvelles techniques. De même, au Bangladesh ou à Java, le fait que la mécanisation du décorticage du riz ait plongé dans la misère les femmes qui vivaient du décorticage manuel est moins le résultat de la technologie elle-même que celui du système de propriété et de pouvoir ; c’est aussi parce qu’aucun autre débouché ne leur a été offert. Si les femmes ont souvent plus à perdre ou en tous cas moins à gagner de ce type de projet que les hommes de leur classe ce n’est pas tant en raison des caractéristiques techniques du projet qu’en raison d’une idéologie qui légitime et renforce la subordination économique et sociale des femmes, à la fois au sein du ménage et dans la société tout entière. Cette subordination se manifeste dans l’inégalité d’accès des femmes aux ressources productives et à la terre en particulier, dans l’inégalité des rôles qu’elles assument dans les sphères privée et publique et dans le partage inégal du travail et du produit ou du revenu de ce travail entre les hommes et les femmes du ménage.
47Même lorsque la technologie préconisée est inappropriée - comme on pourrait par exemple le penser de l’utilisation des gros tracteurs polyvalents et des moissonneuses-batteuses, encouragée dans beaucoup de pays du Tiers-Monde où la main-d’œuvre est excédentaire en dépit des suppressions d’emplois qu’elle ne manquerait pas de provoquer (sans augmenter nécessairement la production) - le choix de cette technologie plutôt que d’une autre, moins mécanisée, s’explique souvent par l’aptitude de quelques groupes dominants - à la fois sur le plan économique et sur le plan politique - à faire passer leurs intérêts avant ceux des catégories défavorisées. En outre, le fait que peu d’attention et peu de ressources soient consacrées à la conception et à la promotion de technologies adaptées aux besoins des femmes pauvres des zones rurales reflète la faiblesse économique et politique de celles-ci et donc leur impossibilité d’orienter le changement technologique en leur faveur.
48En dernière analyse, il est évident que les femmes des ménages ruraux défavorisés continueront de pâtir des effets indésirables de la modernisation de l’agriculture tant qu’elles ne maîtriseront pas mieux les ressources productives et le produit de leur travail. Toutefois, il est tout aussi évident qu’il est difficile de garantir une telle maîtrise localement si l’ensemble de la structure sociale du pays est inégalitaire. Dans la plupart des pays du Tiers-Monde, des mesures de portée générale, assurant une plus grande égalité sur les plans matériel et idéologique entre les ménages et entre les hommes et les femmes, pourraient bien être la condition sans laquelle la répartition des coûts et des avantages du changement technologique demeurera inéquitable.
Reproduction
– La reproduction physique est à l’évidence une donnée qu’aucune société, sinon dans l’idéologie, ne laisse aux seuls effets de la nature. Les procédures et institutions qui assurent la socialisation de la sexualité et de la procréation sont éminemment variables selon les sociétés et visent diversement les hommes et les femmes
Odile Journet, 1985, in : L’arraisonnement des femmes, sous la dir. de N. C. Mathieu, Cahiers de l’Homme, Paris.
– La reproduction humaine et la fécondité féminine sont souvent invoquées en ethnologie lorsqu’il s’agit d’expliquer, voire de justifier, l’état de subordination des femmes et les inégalités entre les sexes. La façon dont on utilise la fécondité et la reproduction est à la fois simple et significative : en dernière analyse, la position subordonnée des femmes serait due à des “contraintes biologiques, naturelles”, pesant sur elles, c’est-à-dire à leur “rôle” dans la procréation.
Paola Tabet, 1985, in : L’arraisonnement des femmes, sous la dir. de N. C. Mathieu, Cahiers de l’Homme, Paris.
– Il n’est pas possible, pour comprendre les mécanismes et le fonctionnement de la société domestique, d’ignorer la reproduction. La communauté domestique est en effet le seul système économique et social qui régente la reproduction physique des individus, la reproduction des producteurs et la reproduction sociale sous toutes ses formes par un ensemble d’institutions, et qui la domine par la mobilisation ordonnée des moyens de la reproduction humaine, c’est-à-dire, les femmes.
[…]
– S’il est vrai, pour reprendre la proposition de Marx, que dans la société capitaliste, la hiérarchie des institutions ne reflète pas leur ordre d’apparition dans le temps, et qu’à cet égard la famille n’y occupe, en droit, qu’une place subordonnée, sa fonction cependant y demeure essentielle comme productrice du travailleur libre qui n’aurait pas d’existence sans elle.
[…]
– Il s’agit de reconnaître que jusqu’à présent les rapports domestiques et la famille sont intervenus comme rapports nécessaires au fonctionnement de tous les modes de production historiques postérieurs à l’économie domestique.
Claude Meillassoux, 1975, In : Femmes, greniers et capitaux, Maspéro, Paris.
Propriété de la terre en Ouganda
[…] Les femmes étant rarement propriétaires foncières, quelles sont les formes de propriété ou de bail les plus efficaces pour les rendre moins vulnérables et permettre une meilleure reconnaissance de leur contribution à l’agriculture ? Les femmes sont-elles mieux protégées par les droits établis par la coutume, ou par la propriété foncière “de type occidental” ? En Ouganda, la Loi foncière de 1998 a introduit la propriété individuelle dans le but d’encourager un usage plus productif de la terre, sur la base des principes de la libéralisation économique. Elle a converti la propriété foncière coutumière en propriété formelle par la création d’actes écrits. Oxfam Ouganda a travaillé avec l’Uganda Land Alliance pour faire pression sur le gouvernement afin de s’assurer que la loi protège autant que possible les droits fonciers des femmes, et leur donne le droit de consentement avant que leurs maris ne vendent la terre. L’Alliance a fait une campagne pour que les noms des femmes soient inscrits sur les certificats et titres de propriété. Mais Oxfam considère que ce qui se passe réellement sur le terrain devrait faire l’objet d’une prochaine campagne de pression et encourage un réexamen des baux coutumiers.
Avant la Loi foncière, l’usage de la terre par les femmes était régi par la loi coutumière. Les formes coutumières de bail partent du postulat que les femmes ne possèdent pas la terre, et que la terre ne se vend pas. Dans le passé, ces deux postulats conjugués protégeaient l’usage de la terre par les femmes. La Loi foncière abandonna le postulat selon lequel la terre ne se vendait pas, et par là-même transforma la portée des baux coutumiers. Même si les femmes ne possédaient pas la terre, la tradition voulait que les aînés protègent leur accès à la terre et s’assurent que celle-ci n’échappe pas au clan définitivement. Mais les aînés avaient pour habitude de louer à bail la terre à l’usage de personnes extérieures au clan, gratuitement ou non. Au sens strict, les hommes en tant qu’individus ne possédaient pas (n’avaient pas le droit d’utiliser et de disposer) de terre par bail coutumier. La sécurité du mariage protégeait l’accès des femmes à la terre, le divorce étant très rare.
La Loi foncière a modifié le sens du mot “propriété”, qui ne signifie plus “propriété par bail coutumier” mais “propriété individuelle”. Elle n’a pas reconnu le rôle des aînés comme protecteurs des droits des femmes. L’utilisation du mot “propriété” dans la Loi a fait disparaître le contrôle des ventes de terres par les aînés, et a assigné ce rôle à l’homme en tant qu’individu. Si les hommes jouaient automatiquement ce rôle en vertu du postulat selon lequel les femmes ne possédaient pas la terre, ils sont désormais des propriétaires fonciers au sens plein du terme. Par conséquent, les femmes ont perdu la propriété, et sont maintenant doublement désavantagées, en raison de l’augmentation des taux de divorce et parce que les épouses ont rarement droit à un héritage.
In : Links, 2000, A Newsletter on Gender for Oxfam GB staff and Partners, Judy Adoko, La protection des droits fonciers des femmes, Oxford, July
Traduit par Emmanuelle Chauvet
Traduit de l’anglais. Texte original: Women and Technological Change in Agriculture : The Asian and African Experience, In : A. Iftikhar (ed.). Technology and Rural Women London, George Allen & Unwin, (extraits).
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Aux fins de la présente étude, les ménages d’ouvriers agricoles sont ceux qui, dans l’année précédant l’enquête, ont tiré plus de 50 pour cent de leur revenu d’un travail manuel salarié dans des exploitations agricoles.
2 La culture de la variété naine de riz à haut rendement introduite en Indonésie comporte une opération supplémentaire consistant à écraser les tiges après la récolte. En effet, le paddy ayant des tiges courtes, il ne peut être liés en bottes pour le transport. Le broyage des tiges doit être fait pas les femmes. En outre, alors que pour la variété traditionnelle, la charge était de 20 kilos par femme, avec le HYV elle est passée à près de 100 kilos, contenance standard des sacs de jute dans lesquels le riz est transporté (Manuaba, 1979).
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