Accumulation, reproduction et rôle des femmes dans le développement économique : Ester Boserup revisitée
p. 97-110
Note de l’éditeur
Référence : Benaría, Lourdes, et Gita Sen, “Accumulation, reproduction et rôle des femmes dans le développement économique : Ester Boserup revisitée”, in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur. Genre et économie : un premier éclairage. Genève : Graduate Institute Publications, 2001, pp. 97-110, DOI : 10.4000/books.iheid.5424. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1La publication du livre d’Ester Boserup, Women’s Role in Economic Development (1970), date de plus de dix ans. Vraisemblablement, aucun travail sur le sujet femmes et développement n’a été cité aussi souvent. La gravité du sujet et l’apparition d’une masse importante de nouvelles publications a depuis 1970 font qu’il est désormais possible d’évaluer ce livre avec une nouvelle perspective ; en effet, cette évaluation est nécessaire. Dans ce chapitre, nous nous proposons de résumer les principaux apports d’Ester Boserup, mais également de présenter une analyse critique de son approche, compte tenu notamment des connaissances récentes acquises sur le sujet.
2Au moment de sa publication en 1970, le travail de Boserup proposait un état des lieux pionnier et ambitieux du rôle des femmes dans le processus de développement. Dans un premier temps, Ester Boserup soulignait le genre comme facteur élémentaire dans la division du travail, facteur dominant dans chaque pays et région : “Même aux stades les plus primitifs de l’autarcie familiale il existe une division du travail au sein de la famille, les principaux critères de division étant l’âge et le sexe… Tant dans les communautés primitives que dans les sociétés plus développées, la traditionnelle division du travail au sein de la famille est en général considérée comme “naturelle” en ce sens qu’elle est imposée, de façon évidente et dès l’origine, par les différences de sexes” (Boserup, 1970 :15). Malgré l’existence de rôles sexuels stéréotypés et l’universalité de la concentration des femmes dans le travail domestique, Boserup mettait en évidence des différences significatives dans le travail des femmes selon les pays et les régions. Elle critiquait “l’affirmation douteuse” selon laquelle la charge de l’approvisionnement en nourriture revient aux hommes dans la plupart des communautés ; les femmes, aussi, se sont occupées de l’approvisionnement en nourriture dans bien des régions du monde. Son analyse comparative était particulièrement éclairante pour l’Afrique et l’Asie, analyse dans laquelle elle soulignait le rôle fondamental des femmes dans l’agriculture africaine, par contraste avec leur rôle bien moindre dans les pays asiatiques ainsi qu’en Amérique latine.
3Boserup analysait ensuite divers facteurs sous-jacents aux différences ; une des parties de son analyse plus fréquemment citée est la comparaison qu’elle faisait entre les systèmes agraires “féminin” et “masculin”, qui correspondent au système africain d’agriculture itinérante et au système asiatique de culture de labour. En Afrique, une faible densité de population, un accès facile à la terre et des différences de classes moins importantes que celles qui existent en Asie ont entraîné une division du travail selon laquelle les hommes défrichaient la terre et les femmes s’occupaient en fait des cultures de subsistance. En Asie – région marquée par une forte densité de population – une réserve d’argent disponible pour la location de terrains par des ouvriers agricoles sans terre ainsi que la “nature technique des opérations d’agriculture de type culture de labour” ont freiné l’engagement des femmes dans des tâches agricoles et encouragé la ségrégation par le sexe, y compris par la réclusion des femmes dans certaines régions (ibid. : 26).
4L’analyse de Boserup mettait en lumière les corrélations qui existent entre le travail des femmes et des facteurs tels que la densité de population et la propriété foncière. Même si elle n’explicitait pas toujours certaines connexions, elle suggérait l’existence d’une relation entre ces facteurs et diverses formes de la subordination féminine. Par exemple, dans sa discussion sur l’économie de la polygamie en Afrique traditionnelle, Boserup affirmait que la polygamie permettait à un homme de contrôler plus de terres et plus de travail parce que chaque femme se voyait attribuer une parcelle de terre à cultiver. Ainsi son analyse mettait en exergue une base économique de la polygamie et de la dot. Cette analyse n’apportait pas d’explication sur les arrangements de type polygame par lesquels les épouses semblent représenter un coût plutôt qu’une ressource économique pour le mari, mais elle ouvrait une voie pour le faire.
5En troisième lieu, le livre d’Ester Boserup entamait une description des effets négatifs que le colonialisme et la pénétration du capitalisme dans les économies de subsistance ont eu pour les femmes. Elle montrait que le gouvernement colonial européen, au lieu d’être un facteur “de libération” des femmes africaines, avait contribué à une perte de leur statut : “Les Européens eurent peu d’égard pour les systèmes agraires féminins qu’ils avaient trouvés dans nombre de colonies.” Les femmes perdirent souvent leur droit à la terre en conséquence des “réformes agraires introduites par les administrateurs européens” (Boserup 1970 : 54, 60). Selon Boserup, ces réformes s’appuyaient sur la croyance européenne selon laquelle la culture de la terre relevait exclusivement du travail des hommes. Elle expliquait que l’introduction de la technologie moderne et des cultures commerciales profitaient plus aux hommes qu’aux femmes en créant entre eux un différentiel de productivité ; les femmes étaient reléguées dans le secteur de la culture de subsistance pour produire de la nourriture en utilisant des méthodes agricoles traditionnelles.
6Quatrièmement, Ester Boserup, entre autres, soulignait que “les activités de subsistance qui sont fréquemment omises dans les statistiques de production et de revenu concernent en grande partie le travail des femmes” (1970 : 163). Malgré la tendance des statistiques officielles à ignorer toutes les activités de subsistance, qu’elles soient menées par des hommes ou par des femmes, certaines de ces activités tendent à être spécifiquement féminines, notamment le travail domestique et la participation à l’agriculture en tant que “travail familial non rétribué”1. En dépit des tentatives faites pour inclure le travail de subsistance dans les statistiques de production et de participation à la force de travail, le travail des femmes est encore ignoré et sous-estimé, en particulier dans le domaine de la production domestique. En outre, les concepts théoriques conventionnels qui sont à la base des catégories statistiques sont tendancieuses idéologiquement et sous-estiment la valeur du travail des femmes (Benaría : sous presse en 1986). Aussi Boserup a-t-elle soulevé une question essentielle à une bonne compréhension de la participation des femmes à la vie économique.
7Enfin, l’analyse comparative de Boserup faisait une projection des diverses divisions sexuelles du travail rencontrées dans les systèmes agraires sur les modèles de participation des femmes dans les activités extra-agricoles. Par exemple, elle attirait notre attention sur l’influence des systèmes agraires sur les modèles migratoires et sur la participation des hommes et des femmes aux marchés urbains du travail. L’implication des femmes dans les cultures vivrières a donné naissance à un modèle où les migrations sont essentiellement masculines, laissant les épouses et les enfants au village. En revanche, selon Boserup, dans le modèle latino-américain où les femmes participaient moins à l’agriculture, le taux de migration féminine est important, en raison également des possibilités d’emploi pour les jeunes femmes dans les centres urbains. Par sa généralisation, parfois exagérée, Boserup ouvrait la voie à une analyse plus détaillée. Sa recherche encouragea par la suite bon nombre de travaux empiriques et théoriques.
8Malgré les apports évidents du travail de Boserup, une analyse critique révèle trois grandes faiblesses. Premièrement, son livre est essentiellement empirique et descriptif, et il lui manque la définition d’un cadre théorique que des données empiriques permettent d’élaborer. Bien que dans son travail Boserup n’identifie pas un cadre d’analyse explicite, les concepts analytiques sous-jacents sont de type néoclassique. Ce qui limite sérieusement son analyse. Deuxièmement, Ester Boserup tient pour acquis qu’il existe un unique modèle de développement – celui qui caractérise les économies capitalistes. Enfin, malgré son intérêt pour la position des femmes dans le processus de développement, Boserup ne présente pas une analyse féministe précise de la subordination des femmes. En se concentrant sur la sphère de la production en dehors du ménage et en ignorant le rôle des femmes dans la reproduction, son travail ne parvient pas à identifier la base de cette subordination. Dans la suite de ce chapitre, nous allons expliquer ces questions plus en détail.
Cadre analytique
9Une critique fréquente du livre de Boserup porte sur son caractère répétitif. Ce problème devient grave lorsque l’on sait que le livre ne va pas au-delà des données qu’il présente. Boserup ne tente que rarement de déduire quelque structure théorique ou conceptuelle de ses données. Ces données sont riches en informations précises sur les modèles et les variations du travail des femmes à travers l’Afrique et l’Asie, mais une introduction ad hoc de valeurs et d’idéologie se substitue souvent à une explication. Lors de la discussion sur la domination croissante des hommes sur les femmes dans le domaine agricole au cours de la période coloniale en Afrique, Boserup soutient que les préjugés basés sur le genre qu’avaient les colonialistes ont conduit ces derniers à n’apprendre qu’aux hommes les méthodes agricoles avancées.
10Lorsque Boserup utilise des concepts théoriques, ceux-ci ont tendance à relever du cadre d’analyse de l’économie néo-libérale.
11[…]
12La vision selon laquelle la modernisation est à la fois favorable et inévitable dans la forme qu’elle a prise dans la plupart des pays du Tiers Monde a été largement critiquée par des chercheurs en sciences sociales radicaux ces deux dernières décennies (Baran 1959 ; Frank 1967 ; Amin 1977)2. L’approche par la modernisation a deux effets négatifs sur l’analyse de Boserup. Premièrement elle a tendance à ne pas tenir compte des processus d’accumulation du capital entrés en jeu pendant la période coloniale, et les effets de ces processus sur l’évolution technique et le travail des femmes. Deuxièmement elle n’analyse pas systématiquement les différents effets de l’accumulation du capital sur des femmes de différentes classes.
13Parmi les différentes variantes de la théorie de la modernisation, le travail de Boserup s’appuie sur un déterminisme technologique qui emploie des valeurs culturelles pour combler les vides conceptuels de l’analyse. Le déterminisme technologique apparaît le plus distinctement dans sa discussion sur les systèmes agraires indigènes. Bien que Boserup avance qu’il existe une corrélation négative entre l’utilisation de la charrue et la part du travail des champs fait par les femmes, la base de cette corrélation n’est jamais explicitée. Elle ne discute pas non plus de l’éventuelle existence d’explications causales plus profondes de cette corrélation observée empiriquement. Au lieu de cela, le lecteur en est réduit à supposer que l’évolution technique a un impact puissant, sinon mystérieux, sur la division du travail selon les sexes. Ce type de corrélation inexpliquée est fréquent dans la théorie de la modernisation. Les processus de modernisation – dans le cas présent, les effets de la culture de labour sur le travail des femmes – sont rarement expliqués. En général, on présente plutôt le plus moderne comme l’exemple en regard duquel on juge de ce qui est le plus arriéré. On doit mettre au crédit de Boserup qu’elle ne va pas jusque là. Elle voit plutôt la modernisation comme un processus concomitant à la perte d’indépendance économique des femmes.
14[…]
15La recherche récente souligne l’étroite interrelation existant entre les processus d’accumulation et les évolutions du travail des femmes et des formes de leur subordination. La tendance la plus forte de l’accumulation capitaliste consiste à séparer les producteurs directs des moyens de production et de rendre leurs conditions de survie plus incertaines et dépendantes. Cette tendance se retrouve dans les nouvelles formes de stratification des classes dans les zones rurales – entre de riches paysans et des agriculteurs capitalistes d’une part, des paysans pauvres et des ouvriers sans terre d’autre part. L’accumulation capitaliste peut avoir divers effets sur le travail des femmes selon la forme que prend cette accumulation dans une région particulière.
16Dans certaines zones, la division sexuelle du travail peut changer, et la charge de travail des femmes peut augmenter. Par exemple, Jette Bukh (1979) montre que la concentration des hommes sur les cultures commerciales ainsi que les migrations des hommes à la recherche de travail vers les régions urbaines ont poussé les femmes ghanéennes à se charger de tâches supplémentaires dans les activités de production agricole de subsistance, ce qui allonge et intensifie leur journée de travail. La pression supportée par les femmes au sein de ces ménages dont elles deviennent majoritairement responsables est aggravée par l’augmentation du taux de scolarisation des enfants, ce qui induit des changements dans les produits cultivés. Par exemple, les femmes ont commencé à remplacer la culture de l’igname, qui demande une importante main d’œuvre, par la culture du manioc, bien que ce dernier soit moins nutritif. Elles ont également réduit la production de légumes. En outre, puisque la terre devient de plus en plus une propriété privée, des sources collectives d’eau, de carburant et de nourriture ne sont plus accessibles aux paysans les plus pauvres et aux ouvriers sans terre, et les femmes sont obligées de passer plus de temps et de travail à chercher, aller prendre et trouver ce dont elles ont besoin (Sen : sous presse en 1986).
17Dans d’autres régions, les femmes peuvent perdre le contrôle effectif des ressources productives, du processus de travail et de ses produits. Kate Young (sous presse en 1986) décrit les changements dans la division sexuelle du travail qui ont résulté de la pénétration du capital marchand et de ses interactions avec le capital local dans la région mexicaine d’Oaxaca dans les années 1920. Le capital marchand retirait déjà aux tisseuses le contrôle qu’elles avaient de leurs conditions d’achat et de vente. Le passage des cultures agricoles traditionnelles à la production commerciale du café a introduit de nouvelles évolutions ; les femmes se sont détournées du tissage pour participer de façon saisonnière à la production de café. En conséquence, elles ont perdu leur contrôle sur les ressources économiques et le processus d’emploi, et elles sont devenues des ouvrières agricoles marginales et de seconde zone.
18Un troisième effet possible de l’accumulation du capital concerne une nouvelle division du travail qui fait des jeunes femmes des salariées émigrées. L’internationalisation croissante du capital donne des exemples frappants de la place des femmes dans le processus d’emploi capitaliste. Noeleen Heyzer (1983) décrit la participation des jeunes émigrées malaises aux industries à forte intensité de main d’œuvre de Singapour. Les ouvriers immigrés représentent 51 pour cent du total de la main d’œuvre manufacturière à Singapour, et environ 45 pour cent des ouvriers de ce secteur sont des femmes travaillant au plus bas niveau de l’échelle des salaires. L’analyse de Heyzer illustre les conditions dans lesquelles les femmes prennent une grande importance dans le processus d’industrialisation en cours dans les pays du Tiers monde. Comme Dorothy Elson et Ruth Pearson l’ont montré (1981), l’emploi des femmes est un résultat logique de la fragmentation croissante de la production capitaliste qui permet aux industriels, via la technologie, de délocaliser vers le Tiers Monde les processus de production à forte intensité de main d’œuvre. L’emploi des femmes répond aux besoins des capitalistes en main d’œuvre disciplinée et de faible coût. Helen Safa illustre cette question dans sa discussion sur les magasins clandestins en Amérique latine et en Asie, dont 80 pour cent des employés sont des femmes. Un trait commun à ces types d’emploi est qu’ils sont temporaires, soit parce que les contrats de travail sont à durée déterminée, soit parce que le personnel change souvent. De plus, les conditions de travail sont tyranniques. Heyzer décrit “l’atmosphère de contrainte” qui règne partout ainsi que l’aliénation des ouvrières. Safa décrit le manque de transports publics, les soins de santé et les autres services sociaux inadéquats, et la résistance des directeurs contre la syndicalisation.
19Dans certaines régions, l’accumulation du capital peut affaiblir les formes traditionnelles de contrôle patriarcal des femmes, et introduire de nouvelles modalités. Carmen Diara Deere (1977 ; également Deere & de Leal 1980) montre comment le passage de relations de productions serviles à des relations de productions capitalistes dans le Cajamarca (Pérou) du milieu du vingtième siècle a diminué le contrôle patriarcal sur le travail des femmes. Les migrations de plus en plus nombreuses des hommes vers les plantations côtières ont donné plus d’autonomie aux femmes, mais l’accès à la terre a reculé, et de nouvelles structures ont émergé, au sein desquelles les femmes sont devenues plus dépendantes des salariés masculins. De même en Asie du Sud-Est le patriarcat au sein de la famille a cédé sa place à un contrôle capitaliste qui prend des formes très patriarcales ; la vie et la sexualité des jeunes femmes sont limitées par les politiques de contrôle de la main d’œuvre des entreprises.
20Enfin, la différenciation des classes qui accompagne la transformation capitaliste d’une région apporte une nouvelle base de différenciation des femmes. Ce point est bien illustré par Ann Stoler dans son étude sur les femmes javanaises. En analysant l’impact de la transition agraire sur la participation de la main d’œuvre, Stoler déclare que “dans la majorité pauvre de la société villageoise, à la fois les hommes et les femmes souffrent de la concentration croissante des terres entre les mains des ménages les plus riches. Cependant, le recul du marché de l’emploi pour les femmes est plus facilement perceptible” (1977). Si Boserup montre la capacité de certaines femmes des ménages possédant des terres à se retirer des travaux des champs lorsque des ouvriers sans terre sont disponibles, elle ne met pas en évidence les conséquences de cette situation pour les femmes ouvrières sans terre. Les femmes pauvres et sans terre, par exemple, sont souvent obligées de chercher un travail agricole malgré le recul du marché de l’emploi induit par la mécanisation de l’agriculture.
21En somme, ces études montrent les façons spécifiques dont les femmes sont affectées par les structures de production hiérarchiques et exploiteuses qui sont associées à la pénétration du capitalisme dans le Tiers-Monde. La modernisation n’est pas un processus neutre, elle obéit aux diktats de l’accumulation du capital et du profit. Contrairement à ce que Boserup conclut, le problème pour les femmes ne tient pas seulement à la faible participation à ce processus en tant que partenaires égales aux hommes ; ce système crée et intensifie les inégalités en utilisant les hiérarchies de genre existantes pour placer les femmes dans des positions de subordination à chaque niveau d’interaction entre classe et genre. Il ne s’agit pas ici de nier la possibilité que le développement capitaliste fasse disparaître certaines rigidités sociales qui oppressent les femmes. Mais ces tendances libératrices s’accompagnent de nouvelles formes de subordination.
Analyse de la subordination : la reproduction
22Un des thèmes les plus courants du mouvement féministe actuel est l’accent mis sur le rôle de la reproduction comme déterminant du travail de la femme, la division sexuelle du travail et sur les relations de subordination/domination entre femmes et hommes3. Cet accent manque précisément au livre de Boserup. En conséquence, son analyse ne contient pas de perspective féministe qui parle directement du problème de la subordination des femmes. Il est certain que ce livre traite des diverses formes de la subordination, mais il ne parvient pas à expliquer le rôle crucial du ménage comme point central de la reproduction. Il ne parle pas non plus des relations sociales entre les membres du ménage comme origine du “problème des femmes” et comme déterminant du rôle des femmes dans le développement économique.
23L’analyse de Boserup de la polygamie en Afrique illustre ce point. Son analyse, comme on l’a vu, s’appuie sur des facteurs économiques, à savoir l’accès à la terre et la main d’œuvre que chaque femme apporte avec elle. Cependant, cette idée intéressante n’est pas complétée par une analyse de la portée de ce type d’arrangement domestique sur la dynamique de la domination masculine. Elle n’explique pas non plus pour quelle raison on retrouve également la polygamie dans les pays du Moyen Orient où les femmes vivent recluses et n’apportent pas de terre ni de main d’œuvre. Dans ce dernier cas, la polygamie devient un luxe que tous les ménages ne peuvent se permettre. On peut même trouver une situation similaire dans des régions d’Afrique où les femmes vivent recluses, comme la région Hausa dans le nord du Nigeria, où la polygamie progresse depuis le début du siècle (Longhurst, sous presse en 1986). Au Moyen Orient et dans la région Hausa, il se pourrait que la polygamie soit liée à la reproduction sociale, c’est-à-dire à l’accès que chaque femme ouvre aux réseaux et aux ressources familiaux. La réclusion est peut-être une tentative de contrôle de la sexualité des femmes dans le but de garantir la paternité et de transmettre les ressources d’une génération à l’autre.
24Ainsi l’analyse de Boserup relève d’une approche traditionnelle des questions de femmes (et renvoie à la politique traditionnelle). Cette approche se concentre sur la production non domestique en tant que déterminant de la position des femmes dans la société. Par conséquent, la solution à l’oppression des femmes est vue comme relevant de la sphère des relations économiques et sociales en dehors du ménage. L’analyse féministe actuelle décrit les failles de cette approche, montrant qu’elle est partiale et qu’elle ne s’adresse pas à la racine même des relations patriarcales. Dans les trois domaines présentés dans ce qui suit – le travail domestique, les sphères de production et de reproduction et les questions de contrôle des naissances – l’accent mis sur la reproduction a contribué à une compréhension du rôle économique des femmes, de la base matérielle à leur oppression, et de leurs implications en termes de politique et d’action.
La sphère privée
25Cette dernière décennie, les tentatives des féministes pour comprendre les racines de l’oppression des femmes ont donné naissance à une littérature de plus en plus fournie sur le travail domestique et la production des ménages, ainsi que sur la structure patriarcale qui les contrôle. L’essentiel de cette littérature est basé sur les conditions qui existent dans les sociétés industrielles et urbaines, où la famille nucléaire était, jusque récemment, la forme de base de l’organisation du ménage, et où l’emploi salarié était la principale source de subsistance de la famille. Dans ces conditions, la plus grande part du travail domestique consiste en la production de valeurs d’usage par la combinaison de produits achetés sur le marché et de temps d’emploi domestique. Les biens et services produits contribuent à la reproduction de la main d’œuvre et à son entretien quotidien. Aussi le travail domestique remplit-il un rôle crucial dans le fonctionnement du système économique. Il est relié au marché tant par ce qu’il achète que par ce qu’il produit – le produit force de travail qui est échangé contre un salaire4. Dans le ménage moyen, ce travail est accompli par la femme et il n’est pas rétribué. La responsabilité exclusive des femmes pour ce travail, ainsi que leur faiblesse sur le marché de l’emploi et leur dépendance du salaire masculin qui en résultent, sont à la fois l’origine et le résultat de relations de genre asymétriques.
26Cependant, la forme, l’étendue et la portée du travail domestique varient selon le stade de transformation économique de la société. Dans une économie de subsistance, les matériaux utilisés pour la production domestique ne sont pas achetés sur le marché ; ils sont transformés de telle sorte que les productions domestique et extra-domestique sont étroitement liées – à tel point qu’il est difficile de les distinguer. Le travail domestique s’étend à des activités telles que la collecte du bois pour le feu de la maison, la récolte des légumes pour les repas quotidiens, la cuisson du pain dans les fours villageois pour la consommation familiale. Le travail domestique s’inscrit également dans le processus d’emploi agricole lorsque, par exemple, les repas des ouvriers agricoles sont cuisinés à la maison et apportés dans les champs. De façon similaire, le processus d’emploi agricole peut s’étendre à la production du ménage, quand les céréales sont séchées et quand les produits agricoles sont transformés pour la consommation familiale.
27Dès lors, dans les sociétés agraires, le taux de production par le ménage des biens destinés à sa propre consommation est plus fort que dans les sociétés où une bonne proportion de la production du ménage devient un produit. Dans les régions agricoles, le travail domestique et agricole contribue essentiellement aux besoins de subsistance. Le système agraire féminin qui existe en Afrique donne souvent aux femmes la charge de la subsistance. Dans la plupart des cas, malgré une division sexuelle du travail clairement définie, les travaux des hommes et des femmes se recoupent dans le temps et l’espace. La séparation entre activités productives et reproductives est souvent artificielle, symbolisée, peut-être, par une femme portant un bébé dans son dos tout en travaillant dans les champs. En revanche, dans le système du salariat des sociétés industrialisées urbaines, la charge de la subsistance revient au salaire ; le travail domestique transforme le salaire en valeurs d’usage consommées au sein du ménage. Une séparation claire existe entre production domestique et commerciale, et le travail domestique non rétribué se distingue et se différencie de plus en plus nettement de la production extra-domestique.
28Malgré ces différences, la participation des femmes au travail domestique est prépondérante dans tous les pays. Les femmes se chargent de la plus grande partie des tâches reproductives. Dans la mesure où elles sont également impliquées dans des activités productives en dehors du ménage, elles sont souvent confrontées aux difficultés de la double journée. Comme on l’a vu, le livre de Boserup comprend une discussion intéressante sur la tendance des statistiques usuelles à sous-estimer les activités de subsistance, dont l’emploi domestique, qui représente une grande part du travail des femmes. Pourtant elle n’indique nulle part combien l’engagement fondamental des femmes dans les activités du ménage est central pour la compréhension de leur subordination et de leur rôle dans l’économie.
Reproduction et production
29L’accent mis sur la reproduction et sur l’analyse de la sphère domestique indique que l’attention que l’on portait traditionnellement à la production de biens ne suffit pas pour comprendre le travail des femmes et les racines qu’il a dans les relations patriarcales. Dans le but d’acquérir une compréhension complète de la nature des discriminations sexuelles, des salaires des femmes, de la participation des femmes au processus de développement, et des implications sur l’action politique, les analystes doivent examiner les deux domaines de la production et de la reproduction, ainsi que leurs interactions.
30[…]
31Dans la tradition marxiste, il est intéressant de noter que la thèse d’Engels (1972) comprend l’analyse de l’interaction entre production et reproduction. La vision qu’a Engels des origines de la subordination des femmes fait un lien entre la sphère productive – l’introduction de la propriété privée des moyens de production et la nécessité de les transmettre d’une génération à l’autre – et celle de la reproduction, c’est-à-dire avec la nécessité d’identifier l’ascendance des héritiers par l’intermédiaire des institutions de la famille et du contrôle de la sexualité et des activités reproductives des femmes. On peut faire une projection de la thèse d’Engels sur des situations telles que celles qui prédominent dans les sociétés industrialisées, où de larges segments de la population ne sont pas propriétaires des moyens de production, mais où une hiérarchie et des différences de classe subsistent dans les classes non propriétaires. On peut affirmer que, dans la mesure où la reproduction implique la transmission privée de l’accès aux ressources – l’éducation par exemple – la nécessité d’identifier les bénéficiaires individuels de cette transmission demeure5.
32Engels lui-même n’a pas élargi son analyse dans cette direction. Selon lui, comme selon Marx, la production des moyens de subsistance et la reproduction des êtres humains sont deux niveaux fondamentaux de l’activité humaine. Néanmoins, l’un comme l’autre supposaient que l’abolition de la propriété privée ainsi que la participation des femmes à la production des biens, rendues possibles par l’industrialisation, mettraient en place les conditions premières de leur émancipation. Ainsi la liaison initiale faite entre production et reproduction, qu’on trouve chez Engels, a été brouillée par l’hypothèse selon laquelle la transformation des structures productives mettrait automatiquement fin à l’oppression des femmes. La pensée marxiste traditionnelle ainsi que la politique traditionnelle de gauche et de centre gauche ont suivi ce même modèle. L’accent que l’on met désormais sur la reproduction découle des questions posées par les féministes ; on peut le voir comme une réflexion en profondeur à partir de la simplification inévitable de la formulation initiale d’Engels.
33Diverses études récentes sur les femmes dans les pays du Tiers - Monde se sont concentrées sur les interactions entre production et reproduction pour analyser le travail des femmes. L’étude de Maria Mies (sous presse en 1986) sur les dentellières indiennes dans les Etats du Narsapur et d’Andhra Pradesh, par exemple, montre comment la réclusion des femmes a déterminé leur participation à la production extra-domestique. Bien que la fabrication de la dentelle soit une industrie de production tournée vers le marché international, elle est tout à fait compatible avec la réclusion et le travail domestique. Les femmes se consacrent à la fabrication de la dentelle jusqu’à six ou huit heures par jour, en plus de leurs tâches domestiques. Leur salaire quotidien moyen s’élève à moins d’un tiers du salaire minimum officiel des ouvrières agricoles. Cette situation persiste bien que l’industrie ait connu une forte croissance depuis 1970 et représente désormais une très forte part des recettes d’exportation de l’artisanat dans la région. Nombre de femmes sont en fait les soutiens de famille. Mies affirme que ce système basé sur l’exploitation a en fait entraîné une plus grande différenciation de classes au sein des communautés locales mais également une plus grande polarisation entre les sexes. Le système est rendu possible par l’idéologie de la réclusion qui confine strictement les femmes à la maison, élimine leurs possibilités de travail à l’extérieur, et les oblige à accepter des salaires extrêmement bas. En se concentrant strictement sur les aspects productifs de la fabrication de la dentelle – c’est l’approche de Boserup – et en excluant les aspects reproductifs, comme la réclusion, on n’a qu’une présentation partielle de la nature de l’exploitation des femmes.
Contrôle de la population et contrôle des naissances
34Les années 1970 furent particulièrement riches pour la mise en lumière des questions de liberté reproductive dans les pays capitalistes avancés ; les mouvements pour les droits à l’avortement, à une contraception sûre, à l’organisation de gardes d’enfants adéquates, et les combats contre les abus de la stérilisation furent nombreux. Cependant, pour les femmes du Tiers-Monde, la question de la liberté reproductive s’est complexifiée avec les questions de surpopulation, et avec l’opposition aux programmes impérialistes de contrôle de la population. […]
35Le concept de liberté reproductive inclut le droit de concevoir ou non des enfants, et, implicitement, le droit à espacer les maternités. Dans la mesure où les enfants sont des travailleurs potentiels, et des héritiers pour les classes possédantes, les décisions en matière de maternité touchent non seulement la femme, mais tout son ménage. Par exemple, dans les ménages paysans très pauvres qui possèdent peu de terre et sont sous pression pour payer l’usure et le loyer, le travail des enfants tant à l'intérieur qu’en dehors de la ferme peut être crucial pour le maintien de la capacité de subsistance et pour l’entretien de la terre. Dans les zones rurales, les tendances pro-natalistes peuvent avoir une base économique très nette. […]
36Il est vrai que les décisions en matière de maternité peuvent affecter la survie de tout le ménage dans le temps ; mais la charge la plus immédiate des grossesses multiples revient à la mère. Dans des conditions de grande pauvreté et de malnutrition où les femmes travaillent trop, ceci peut coûter cher, et coûte en effet très cher, à la santé et au bien-être de la mère. Les ménages paysans pauvres doivent survivre à la grossesse et à la mauvaise santé constantes de la mère, qui sont exacerbées par une forte mortalité infantile. Les intérêts de classe de la mère et ses responsabilités en tant que femme entrent en conflit grave (Folbre 1979, 1980).
37En conséquence de ce conflit, l’attitude des femmes pauvres envers le contrôle des naissances, la contraception et même la stérilisation peut être différente de celles de leurs maris ou belles-mères.
Conclusion
38Dans notre analyse, nous avons évalué les contributions positives du travail de Boserup à une décennie de recherche féministe sur les femmes dans le Tiers-Monde. Nous avons également essayé de montrer les limites de son analyse, qui proviennent d’une base conceptuelle imparfaite et inadéquate6. Cette dernière décennie, de nombreuses recherches riches en éléments ont été menées, qui sont parfaitement fondées du point de vue théorique, notamment dans les perspectives féministes et de classes, et qui permettent une appréhension circonstanciée de la position des femmes dans le Tiers - Monde.
39Il est très important de décrire les implications politiques de cette analyse. Les propres conclusions de Boserup en matière politique soulignaient l’importance de l’éducation des femmes comme mécanisme déterminant grâce auquel la modernisation pourrait commencer à se faire au bénéfice des femmes. Grâce à l’éducation, les femmes peuvent être plus compétitives sur les marchés de l’emploi en milieu urbain, et peuvent accéder à des techniques agricoles améliorées dans les zones rurales. Ces conclusions omettent deux principales caractéristiques qu’une analyse s’appuyant sur les concepts d’accumulation et du rôle des femmes dans la reproduction mettrait en lumière. D’une part, ces conclusions ne tiennent pas compte du fort taux de chômage des personnes instruites dans les pays en développement. À moins que les causes systémiques du chômage ne disparaissent, l’éducation des femmes en elle-même n’est qu’une solution individualiste ; elle constitue une tentative de changement des caractéristiques des femmes au niveau individuel plutôt que des caractéristiques du système d’accumulation du capital. D’autre part, à supposer que des changements spectaculaires du système se produisent, l’éducation des femmes en elle-même ne modifierait pas la position des femmes dans la mesure où l’éducation ne prend pas en compte des questions telles que la garde des enfants et le travail domestique. La forte proportion des femmes vivant une double journée de travail dans des pays comme l’Union soviétique et la Chine apporte largement la preuve du succès limité de cette politique.
40Les programmes à court terme mettant en application la théorie des besoins fondamentaux ont des limites certaines en terme de motivation, mais on ne peut les ignorer complètement7. Le principal résultat des tensions entre les genres étant que les femmes sont surchargées de travail et en mauvaise santé, les systèmes d’approvisionnement en eau, l’électrification, la mise en place d’un système d’hygiène publique et de santé ont des effets positifs immédiats. On doit néanmoins rester conscient de la façon dont ces, programmes sont mis en application et quels groupes ils avantagent. Les stratégies mettant en œuvre l’auto-organisation des femmes pauvres pour le contrôle des activités sont cruciales.
41L’objectif à long terme n’en demeure pas moins, à savoir l’élimination des hiérarchies de sexe et de classe par une transformation radicale de la société, un combat qui implique non seulement une analyse des classes et de l’accumulation, mais aussi la reconnaissance de l’importance de la reproduction à tous les niveaux. On ne peut plus ignorer les questions de ce qui se passe au sein des ménages, ni l’imbrication des relations de genre et de classe. L’analyse féministe du Tiers-Monde cette dernière décennie a soutenu et apporté plus de précision à cette vision.
Traduit de l’anglais. Texte original: Accumulation, Reproduction and Women’s Role in Economic Development Boserup Revisted, in : Leacok (ed.), Helen I. Safa (ed.). Women’s Work Massachussetts, Bergin & Garvey Publishers, 1986, p. 141-147 (extraits). Une précédente version de cet article a été publiée dans Signs, vol. 7, N° 2, hiver 1981, _ 1981, Université de Chicago.
Notes de bas de page
1 Lorsque le modèle de la famille étendue prédomine, il arrive que les hommes adultes participent au travail familial non rétribué.
2 L’approche du développement économique par la modernisation s’appuie sur une perception du changement social comme un mouvement linéaire de l’arriération vers la modernité. Plus précisément, cette approche implique une adaptation de la technologie, des institutions et des attitudes conformément à ce qui existe dans les pays capitalistes avancés de l’Ouest. Cette théorie n’insiste pas sur les changements dans les relations de classe ou les effets contradictoires du processus de développement capitaliste, pas plus qu’elle ne reconnaît la possibilité de modèles alternatifs de développement. En revanche, l’approche de l’accumulation du capital analyse la croissance de processus de développement interconnectés – à la fois quantitatifs et qualitatifs – dans un but de profits, d’extension du marché, d’une plus grande division sociale du travail et des modes de production, et la prolétarisation de la force de travail. La propriété privée des ressources, et donc des surplus issus de la production (profits, loyers, intérêts) entraîne une différenciation de classes entre propriétaires et non propriétaires des moyens de production. La propriété privée ouvre également la voie à l’appropriation privée des richesses productives, ainsi qu’au développement des inégalités dans la distribution du revenu et du pouvoir.
3 Ici la reproduction s’applique non seulement à la reproduction biologique et à l’entretien quotidien de la force de travail, mais aussi à la reproduction sociale – la perpétuation des systèmes sociaux. Lié à ceci est l’idée que pour contrôler la reproduction sociale (à travers les systèmes d’héritage, par exemple) la plupart des sociétés ont mis en œuvre différentes formes de contrôle de la sexualité féminine et des activités féminines. Ce contrôle est à la racine de la subordination des femmes.
4 Pour plus de détails sur ces questions, voir Beechey (1977), Fee (1976), Himmelweit et Mohun (1977), ainsi que Mackintosh (1979).
5 Voir Benaría (1979) pour plus de détails sur ce point. Cette notion peut expliquer, par exemple, pourquoi les mœurs sexuelles sont moins strictes chez les pauvres que dans les classes moyennes et supérieures dans bien des régions tant rurales qu’urbaines.
6 Pour une précédente critique de la discussion de Boserup sur les systèmes agricoles, voir Huntington (1975) et Croll (chapitre 14).
7 Pour des éclaircissements sur la stratégie des besoins fondamentaux, voir BIT, Employment, Growth and Basic Needs : AOne-World Problem (1976).
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