Femmes dans le développement : cadre pour un projet d’analyse
p. 201-214
Note de l’éditeur
Référence : Overholt, C., Cloud, K., Anderson, M. B., et Austin, J. E. ‘Femmes dans le développement : cadre pour un projet d’analyse’, in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur, Le genre : un outil nécessaire : Introduction à une problématique, Cahiers Genre et Développement, n°1. Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2000, pp. 201-214, DOI : 10.4000/books.iheid.5371. Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1La planification pour le développement a omis de reconnaître pleinement, ou systématiquement, la contribution des femmes au processus de développement et les effets de ce processus sur les femmes. Cet échec a limité les efforts et les résultats du développement. La croissance économique, l’efficacité des projets et la justice sociale demandent une nouvelle approche du développement qui doit systématiquement inclure les femmes.
2Dans son étude riche et novatrice de 1970, Esther Boserup dénonçait clairement cette omission : “dans la production toujours plus importante sur le développement économique, les réflexions sur les problèmes particuliers des femmes sont rares et de moindre valeur1.” Durant les dix dernières années, les problèmes relatifs à l’intégration totale des femmes dans le processus de développement national ont lentement pénétré les programmes des agences internationales et nationales de développement. En 1980, plusieurs pays et agences internationales ont formellement incorporé les questions relatives aux femmes dans leurs plans de développement et ont ouvert des services spéciaux, voire des ministères, qui devenaient les lieux de référence de ces nouveaux intérêts. Bien que Boserup ait comparé alors le domaine des études sur les femmes dans le développement à un champ stérile celles qui se firent par la suite commençaient à porter leurs fruits. Dès 1981, articles et ouvrages sur le thème se multipliaient rapidement.
3Malgré toute cette activité, la planification au développement ne reconnaissait toujours pas la contribution réelle et potentielle des femmes au processus de développement ou l’impact de ces projets sur les femmes. La nécessité impérieuse de rectifier ces manquements repose sur des problèmes d’économie et d’équité. Les femmes sont des acteurs clé du système économique, et leur mise à l’écart dans les projets de développement laisse inexploitée une contribution économique potentiellement importante. Les femmes forment la majorité de la population, mais elles se situent essentiellement au bas de l’échelle en termes d’emploi, d’éducation, de revenu et de statut. La croissance économique et la justice sociale requièrent une attention accrue pour les intégrer au processus de développement. Cette étude part donc de l’idée que l’équité et la croissance économique sont des objectifs compatibles qu’il faut atteindre simultanément.
4Les projets sont les vecteurs essentiels que les gouvernements et les agences internationales utilisent pour canaliser les ressources dans le processus de développement2. Une des difficultés3 pour traduire les recherches en une programmation effective et bénéfique pour les femmes, réside dans l’absence de cadre analytique pertinent susceptible d’intégrer les femmes dans l’analyse du projet. Une telle intégration est pourtant essentielle pour transformer les enjeux politiques en réalités pratiques4. Dans ce chapitre nous voudrions présenter un cadre analytique susceptible de faciliter ce processus.
Cadre analytique
5Les activités des femmes, qu’elles soient ou non ouvertement prises en compte dans la programmation et la mise en oeuvre, auront toujours un impact sur la plupart des projets. De même, la plupart des projets influeront sur la vie des femmes. Le cadre que nous proposons peut améliorer la définition des objectifs, évaluer la façon dont ils impliquent les femmes, et anticiper l’impact du projet sur elles. L’analyse que nous introduisons ici ne veut pas se limiter dans son application aux projets uniquement destinés aux femmes ; elle s’applique justement, et probablement encore de façon plus importante, aux projets dans lesquels les rôles et les responsabilités des femmes n’ont pas été explicitement définis mais où ils sont implicitement sous-entendus dans la conception et la mise en œuvre du projet.
6Les projets de développement sont des vecteurs de changement. La conception et la mise en oeuvre, exigent donc des données fiables. La “visibilité” est le point de départ de l’intégration des femmes dans les projets de développement et la visibilité procède de données. Aussi, la pierre angulaire de ce cadre repose sur une banque de données adéquate montrant ce que font les femmes et pourquoi. Le défi majeur, toutefois, consiste à organiser et présenter cette information de manière à faciliter son utilisation dans des projets. Le cadre que nous proposons comprend quatre composantes reliées entre elles : le plan d’activité, l’accès et le contrôle de ce plan, l’analyse des facteurs influençant les activités, l’accès et le contrôle, l’analyse du cycle du projet.
7La première composante, le plan d’activité, repose sur le concept de division sexuelle du travail. Ce plan d’activité va délimiter les activités économiques de la population dans la zone du projet d’abord selon l’âge et le sexe, puis selon l’ethnie, la classe sociale ou d’autres caractéristiques importantes. De plus, il indiquera le temps passé par chaque personne pour accomplir ces activités.
8La seconde composante, l’accès et le contrôle du plan d’action, identifiera les ressources que les gens peuvent maîtriser pour accomplir leurs activités et les bénéfices qu’ils peuvent en tirer.
9L’analyse des facteurs jouant un rôle sur les activités, l’accès et le contrôle, troisième composante, se concentre sur les éléments sous-jacents qui déterminent la division sexuelle des tâches et le contrôle des ressources et bénéfices selon le genre. Elle identifie également les facteurs favorisant des chances ou des contraintes inégales sur la participation des femmes et des hommes et les bénéfices qu’ils peuvent en espérer. Le travail des hommes et des femmes pouvant varier en fonction du processus de changement, il faut prendre en compte les tendances sous-jacentes dans le cadre plus vaste de l’environnement économique et culturel.
10La dernière composante, l’évaluation du cycle du projet, consiste à étudier le projet à la lumière des données de base et des tendances qui vraisemblablement les modifient ou les suscitent. L’ensemble de ces quatre composantes offrent une base suffisante pour concevoir et mettre en œuvre des projets bénéfiques pour les femmes et profitant de leur apport.
Plan d’activité
11Pour évaluer l’interaction entre les femmes et les projets, il est important de savoir ce que font les femmes. La façon dont on classe et conceptualise les activités est importante. Nous suggérons les catégories suivantes :
1– Production de biens et de services
12Trop souvent les planificateurs ont omis de reconnaître les femmes comme productrices. Il faut identifier les activités de production spécifiques aux hommes et aux femmes pour chaque bien et service. Il ne suffit pas d’identifier les seules activités féminines. Il faut comptabiliser également les activités masculines, puisque les interrelations peuvent affecter ou être affectées par le projet.
13Les typologies générales pouvant induire en erreur, il vaut mieux délimiter les activités dans chaque pays et pour chaque projet. Les critiques de Sue Ellen Huntington sur les premiers écrits d’Esther Boserup mettent l’accent sur la généralisation. “Même si la classification et les relations de cause à effet de la conceptualisation de Boserup sont pertinentes pour les sociétés africaines, elles ne s’appliquent pas ailleurs”5. Les travaux de C. Deere et M. Leon de Leal dans la région andine renforcent ce point de vue sur les généralisations : les constats d’Esther Boserup ne s’appliquent qu’à la paysannerie riche ou semi-riche6.
14Le degré de spécificité de la liste des activités devrait dépendre de la nature du projet. Elles devraient être le plus détaillées dans les régions les plus directement impliquées dans un projet. Par exemple, si le projet concerne une technologie nouvelle en agriculture, il faudra alors délimiter la division sexuelle des tâches pour chaque activité de production agricole, comme le défrichage de la terre, la préparation, les semailles, le désherbage, la transformation etc.
2 – Reproduction et conservation des ressources humaines
15Il faut identifier les activités de production et de soins aux membres de la famille afin de repérer qui fait quoi. Elle peuvent inclure, sans y être limitées, la collecte des combustibles et de l’eau, la préparation des repas, les naissances, le soin aux enfants, l’éducation, les soins de santé et la lessive. Ces activités sont souvent considérées comme non économiques, ne rapportent généralement rien et ne sont la plupart du temps pas comptabilisées dans les comptes nationaux. Pourtant ces tâches ménagères représentent des fonctions économiques essentielles, qui permettent le développement et la préservation du capital humain familial et national. Kenneth Galbraith fait observer que “ce qui n’est pas comptabilisé passe généralement inaperçu”7. Dans les analyses de projet, l’oubli d’une activité importante peut engendrer un projet défectueux.
16Il est de première importance de prêter attention à ces fonctions. Les projets impliquant des femmes dépendent de la façon dont ils affectent la reproduction, les activités d’entretien, la production de biens et services, ainsi que l’interrelation entre ces différentes activités. Le temps constituant la ressource la plus rare des femmes les plus pauvres, lorsque les projets augmentent le temps passé à certaines activités, il faudra évaluer ce temps en fonction de celui des autres activités.
17Les activités, citées plus haut, doivent être répertoriées avec soin si l’on veut augmenter leur utilité pour faire l’analyse du projet. Nous suggérons trois paramètres pour les décrire :
Détermination du genre et de l’âge : cela permet de savoir si les femmes, les hommes, leurs enfants et les personnes âgées ont une activité. Cela révèle des modes de travail selon le genre ; elle est la clé permettant d’identifier les conséquences dues au genre.
Le temps imparti : il délimite le pourcentage de temps alloué à chaque activité et indique si ce sont des activités saisonnières ou journalières.
Le lieu d’activité : il indique où se font les activités, à la maison, dans le champ familial, dans une boutique ou bien encore hors de la communauté. Il révèle la mobilité féminine et fournit des indications sur les implications du système de distribution du projet.
18Le tableau 1 montre comment résumer les informations sur les activités.
19La plupart des projets ne s’adressent pas à des population homogènes. La division sexuelle des tâches, tout comme l’accès et le contrôle des ressources et des bénéfices peuvent différer, souvent de façon importante, selon l’appartenance à une classe socioéconomique ou à une ethnie. Par conséquent, il est essentiel de développer séparément les activités pour chacun des groupes de population distincte.
Accès et contrôle du plan d’action
20Il est nécessaire, mais nullement suffisant, d’identifier les activités spécifiques au genre dans la production, la reproduction et l’entretien au cours de la conception et de la mise en œuvre d’un projet. L’évaluation du volume des ressources et des bénéfices est fondamentale pour prévoir comment un projet va affecter ou être affecté par les femmes. L’accès aux ressources destinées à permettre leurs activités et la maîtrise des bénéfices qui en découlent sont particulièrement importants à surveiller. Le tableau 2 illustre la façon dont on peut résumer ces informations.
21Signalons deux points importants : tout d’abord, il est essentiel de faire la différence entre accès et contrôle. L’accès aux ressources n’implique pas automatiquement leur contrôle. Contrôler une situation signifie imposer sa propre définition aux autres acteurs dans ce cas précis8. En d’autres termes, l’accès peut être décidé par d’autres, mais le contrôle désigne la force déterminante.
22En second lieu, il est également important de différencier l’accès à et le contrôle sur l’usage des ressources d'une part, et de l’autre l’accès à et le contrôle sur les bénéfices provenant de la mobilisation des ressources. Même là où les femmes ont un accès libre à l’usage des ressources, elles ne bénéficient pas toujours des gains qui en découlent. Sue Ellen Hungtington, dans ses observations sur les systèmes d’agriculture africaine où les femmes sont responsables, illustre ainsi cette situation. Les hommes ont le pouvoir et le contrôle sur les fruits du labeur féminin, parce que “la tradition accorde aux hommes une position d’autorité sur les femmes... C’est le travail des femmes qui assure aux hommes leur richesse, leur bien-être et leur repos”9.
23En s’appuyant à la fois sur les ressources et les bénéfices, on obtient une évaluation pertinente du pouvoir relatif des membres d’une société ou d’un système économique, on peut alors utiliser cette connaissance pour analyser l’interaction probable du projet sur les femmes et de leur travail sur le projet.
Analyse des facteurs influençant les activités, l’accès et le contrôle
24Les facteurs qui déterminent qui fait quoi au sein d’un sous-groupe de population et quels accès et contrôle les individus auront sur les ressources et les bénéfices, sont nombreux et interconnectés. On pourrait les qualifier de façons diverses, mais nous suggérons le classement suivant :
conditions économiques générales, telles que le niveau de pauvreté, le taux d’inflation, les revenus, les relations commerciales internationales, les infrastructures ;
les structures institutionnelles, y compris la nature de la bureaucratie gouvernementale, et l’organisation destinée à l’acquisition et à la répartition du savoir, de la connaissance, de la technologie et du savoir-faire ;
les facteurs démographiques ;
les facteurs socioculturels ;
les normes communautaires, telles que les normes familiales, les croyances religieuses ;
la législation ;
la formation et l’éducation ;
les événements politiques internes et extérieurs.
25Il y a lieu d’identifier ces facteurs déterminants parce qu’ils peuvent faciliter ou entraver un projet. Certains facteurs, pour ne pas dire la plupart, ne seront pas à même de changer un projet. La tâche de la conception et de la mise en œuvre implique donc d’évaluer ces facteurs pour voir s’ils auront un impact ou seront affectés par un projet.
26De plus, il est important d’identifier les tendances exogènes ou les forces dynamiques qui opèrent déjà des changements sur ce que font les hommes et les femmes. Les projets ne sont ni mis en place ni conduits dans l’environnement statique du temps de leur conception. Des forces dynamiques – politiques, sociales, environnementales, physiques – peuvent tout autant favoriser l’accomplissement d’un projet que le contrarier sérieusement.
27Il est particulièrement important de considérer les tendances exogènes et les forces dynamiques lorsque les femmes sont concernées. Il existe un nombre de facteurs qui touchent mondialement les femmes. L’espérance de vie augmente, notamment chez les femmes. L’accès à l’information et aux techniques pour le contrôle des naissances combiné à la baisse de la mortalité infantile constituent un potentiel de changement fondamental pour l’activité des femmes : elles peuvent accoucher moins souvent et élever autant ou moins d’enfants, elles entreprennent des activités productives, autrefois accomplies par les hommes qui désormais émigrent vers les villes ou lorsqu'elles deviennent chefs de famille. Elles occupent de plus en plus des emplois salariés pour survivre ou maintenir leur niveau de vie, et accèdent toujours davantage au salariat dans certaines régions.
28Dans plusieurs pays, le nombre de femmes chefs de famille augmente, malgré une tendance culturelle à reconnaître ce fait avec retard. Le Bangladesh fournit un exemple très intéressant. Le nombre de femmes qui se sont retrouvées sans ressources, veuves, abandonnées après la guerre a fait vaciller la norme culturelle du Bangladesh selon laquelle toutes les femmes doivent se trouver sous la protection d’un homme. La possibilité décroissante d’obtenir de la terre menace également l’idée que les enfants sont un investissement. Désormais les enfants ne peuvent plus vivre de la terre familiale et doivent recevoir une formation afin de gagner leur vie. Le coût de la formation augmente manifestement le coût de l’éducation d’un enfant. La baisse du rapport terre/homme signifie qu’il devient plus difficile pour un homme d’assurer la subsistance de tous les membres féminins de la famille. La tendance évolue vers une abdication de ce rôle traditionnel de responsabilité. Alors que ces forces ont un impact direct et important sur la vie des femmes et leurs activités, elles font partie d’un processus dynamique beaucoup plus vaste. Le statut des femmes et leur engagement dans le travail en dehors de la maison est en train de changer au Bangladesh sans que personne n’ait décidé de ce processus. La conception et la mise en œuvre des projets pour ce pays doit prendre en compte ces éléments afin de comprendre le contexte dans lequel va s’insérer le projet et les forces qui vont peser sur lui.
29Tandis que le Bangladesh offre l’exemple de tendances nationales d’une portée plus générale susceptibles d’influencer un projet, il existe également des tendances internationales qui ont des répercussions au niveau local. L’inflation mondiale, la délocalisation du travail, l’impact des technologies, les tensions internationales, comme la guerre froide, tout évolue dans le temps et peut avoir des répercussions sur les résultats d’un projet. Il est plus facile de comprendre ce qui arrive dans un projet lorsque l’on a pris soin de noter clairement les forces à l’œuvre dans le monde pour en tenir compte dans sa conception, son application et son évaluation.
Analyse du cycle du projet
30Il reste maintenant dans ce cadre analytique à examiner un projet à la lumière de la banque de données déjà citée. Il s’agit de se demander quelles activités seront affectées par le projet et quelles relations existent entre ces dernières et les problèmes d’accès et de contrôle. Les facteurs qui déterminent ceux qui entreprendront des activités, la manière dont ils y accéderont et les contrôleront, sont d’une importance cruciale, parce qu’ils agissent comme médiateurs entre le projet et son impact sur les femmes. L’analyse aidera à repérer les éléments d’un projet qui doivent être ajustés afin de répondre au but désiré.
31Dans la phase d’identification, il convient de poser des questions sur les femmes considérées comme partenaires du projet. Ceci comprend la définition des objectifs du projet du point de vue des femmes, en identifiant les avantages ou les contraintes sur leur engagement dans le projet et finalement le repérage d’éventuels impacts négatifs sur ces dernières. Dans la phase conceptuelle, il faut se demander quel sera l’impact sur les activités des femmes, sur l’accès et le contrôle des ressources ainsi que sur les bénéfices.
32Pendant la mise en œuvre, il faut être attentif dans la zone du projet aux relations entre les femmes et le personnel du projet, les structures d’organisation, les opérations et la logistique etc. Finalement, il faut avoir les données nécessaires pour évaluer l’impact du projet sur les femmes. Les questions spécifiques à l’analyse du cycle du projet sont détaillées dans l’Annexe.
33L’analyse de l’activité, comme celle de l’accès et du contrôle, appliquées à l’analyse du cycle du projet fournissent la base d’un projet de développement valable. Elles permettent d’orienter l’identification du projet en montrant où se trouvent les femmes et ce qu’elles font. Elles aident à concevoir le projet en soulignant la diversité des zones, leurs problèmes et leurs causes. Le défi consiste alors à trouver les moyens de traiter les problèmes de la zone en question, soit en les supprimant, soit en les contournant, soit en les ajustant par rapport à ce que l’on attend du projet. La mise en œuvre des projets doit être prise en compte dans le processus de conception et peut aussi bénéficier des données analytiques. Il est important de savoir qu’il est impossible de concevoir un projet standard. Chaque pays offre une situation unique et demandera une réponse adaptée.
Utilisation interculturelle du cadre analytique
34Le cadre analytique que nous venons de présenter est une méthode utile pour comprendre le rôle des femmes et des hommes dans une société et les forces extérieures qui peuvent interférer dans l’élaboration d’un projet. L’analyse peut être appliquée à chaque contexte, car elle se révèle pertinente pour déterminer la division sexuelle des tâches et pour comprendre les forces qui renforcent cette division ou permettent le changement.
35En appliquant cette analyse générale à des projets et des systèmes culturels, il ne faut pas oublier son utilisation précise et ses limites clairement définies. Lorsque l’analyse d’une activité montre que les femmes sont impliquées dans certaines tâches de production dans une région et que ces tâches entraînent une certaine division des ressources et du pouvoir dans ce contexte, il est vraisemblable que cette même division du travail n’aura pas exactement la même implication pour la division du pouvoir dans tel autre système culturel ou lieu de projet. Les traditions, les coutumes interfèrent différemment sur les activités économiques et sociales selon le lieu géographique. Le transfert des conclusions et des interprétations d’un projet et d’une culture à l’autre a peu de chance d’être valable. Toutefois, il peut y avoir des similitudes dans le mode d’analyse que l’on peut utiliser pour comprendre ces interférences. Alors que le cadre analytique proposé ici pose des questions valables dans n’importe quel lieu, pourvu qu’il soit utilisé à rassembler dans un esprit critique des informations appropriées pour la conception d’un projet, il faut par contre l’appliquer à un projet spécifique. Bâtir un bon projet demande des données réelles sur ce que font les femmes, dans quel contexte, ainsi que des informations claires sur les questions de prestige, de pouvoir, d’accès et de contrôle.
36Une décennie s’est écoulée depuis que l’Amendement Percy exigeait des programmes d’aide bilatérale américains “qu’ils soient gérés en prêtant une attention particulière aux programmes, aux projets et aux activités visant à intégrer les femmes dans l’économie nationale des pays étrangers, afin d’améliorer leur statut et favoriser l’effort général de développement10”.
37Ce décret législatif exige que les femmes soient reconnues comme collaboratrices et agents économiques de développement, mais aussi comme bénéficiaires. Les planificateurs doivent en conséquences faire attention à ce que leurs projets ne soient pas nuisibles aux femmes et se concentrer sur la nécessité d’augmenter leur production et leur revenu, à promouvoir leur accès aux ressources économiquement productives, moyen nécessaire pour favoriser la croissance économique nationale.
Conclusion
38Le cadre présenté ici doit être considéré comme un instrument flexible plutôt que comme un outil rigide pour atteindre l’objectif visé. Il n’a aucune prétention définitive, mais se veut plutôt un point de départ à partir duquel d’autres personnes peuvent bâtir. C’est uniquement en agissant ainsi que nous pouvons continuer à apprendre ensemble, et reconnaître que le travail collectif est essentiel aux progrès recherchés par tous.
Tableau 1 : Cadre analytique Genre/âge |
FA HA F G FEA HOA temps lieu Activité socio-économique 1 – Production de biens et services a – Produits/services 1 – activité fonctionnelle 2 – activité fonctionnelle 3 – activité fonctionnelle b – Produits/services 1 – activité fonctionnelle 2 – activité fonctionnelle 3 – activité fonctionnelle 2-Reproduction et entretien des ressources humaines a – Produits et services 1 – activité fonctionnelle 2 – activité fonctionnelle 3 – activité fonctionnelle b – Produits et services 1 – activité fonctionnelle 2 – activité fonctionnelle 3 – activité fonctionnelle |
39Code :
401 – FA = femme adulte. HA = homme adulte. F = fille. G = garçon. FEA = femme âgée. HOA = Homme âgé
412 – Pourcentage de temps alloué à chaque activité ; saisonnière, journalière
423 – A la maison ; dans la famille, aux champs ou en boutique ; communauté locale ; en dehors de la communauté.
Tableau 2 . Accès et contrôle | ||
Ressources | accès | contrôle |
terre | H/F | H/F |
équipement | ||
travail | ||
production | ||
reproduction | ||
capital | ||
éducation/formation | ||
Bénéfices | accès | contrôle |
H/F | H/F | |
revenu extérieur | ||
possession de biens | ||
biens matériels | ||
éducation | ||
pouvoir politique/prestige | ||
autre |
Annexe
43La série de questions suivantes est essentielle pour chacune des principales phases d’un projet : l’identification, la mise en œuvre, l’évaluation.
Dimension femme dans l’identification d’un projet
A – Evaluation des besoins des femmes
Quels besoins et occasions permettent d’augmenter la productivité et/ou la production des femmes ?
Quels besoins et occasions permettent d’augmenter l’accès et le contrôle des femmes sur les ressources ?
Quels besoins et occasions permettent d’augmenter l’accès et le contrôle des femmes sur les bénéfices ?
Comment ces besoins et occasions se relient-ils aux autres besoins généraux et sectoriels du secteur ?
Les femmes ont-elles été consultées directement pour identifier ces besoins et occasions ?
B – Définition des objectifs généraux du projet
Les objectifs du projet sont-ils explicitement reliés aux besoins des femmes ?
Ces projets reflètent-ils exactement les besoins des femmes ?
Les femmes ont-elles participé à leur élaboration ?
Y a-t-il eu d’autres expériences auparavant ?
Comment les nouveaux projets s’appuient-ils sur les activités antérieures ?
C – Identification des effets négatifs possibles
Le projet peut-il entraver l’accès ou le contrôle des femmes sur les ressources et les bénéfices ?
Peut-il affecter négativement la situation des femmes d’une façon quelconque ?
Quels peuvent être les répercussions sur les femmes à court et à long terme ?
La dimension femme dans la conception de projet
A – Impact des projets sur les activités des femmes
Laquelle de ces activités (de production, de reproduction et d’entretien, socio-politiques) est affectée par le projet ?
Est-ce que les éléments du projet correspondent aux activités attribuées selon le genre ?
Si le but recherché est de changer la performance des femmes dans cette activité (c’est-à-dire lieu d’activité, mode de rémunération, technologie, mode d’activité) est-ce faisable et peut-on en attendre des effets positifs ou négatifs sur les femmes ?
Si rien ne change, est-ce regrettable pour le rôle des femmes dans le processus de développement ?
Comment ajuster la conception du projet pour augmenter les effets positifs mentionnés et réduire ou éliminer leur aspect négatif ?
B – Impact des projets sur l’accès et le contrôle des femmes
Comment chaque élément du projet affecte-t-il l’accès et le contrôle des femmes aux ressources et aux bénéfices liés à la production de biens et services ?
Comment chaque composante du projet affecte-t-elle l’accès et le contrôle des femmes sur les ressources et les bénéfices liés à la production et à l’entretien des ressources humaines ?
Comment chaque composante du projet affecte-t-elle l’accès et le contrôle des femmes sur les ressources et les bénéfices ?
Quelles forces ont été mises en œuvre pour induire la recherche ultérieure des contraintes et des améliorations possibles ?
Comment la conception du projet peut-elle être modifiée pour augmenter l’accès et le contrôle des femmes sur les ressources et les bénéfices ?
La dimension femme dans la mise en œuvre des projets
A – Personnel
Est-ce que les personnes travaillant au projet sont suffisamment conscientes et favorables envers les besoins des femmes ?
Les femmes sont-elles habituées à distribuer les biens et services aux femmes bénéficiaires ?
Le personnel a-t-il les qualifications nécessaires pour répondre à n’importe quelle demande spécifique des femmes ?
Quelles techniques de formation seront employées pour développer le système de distribution ?
Les femmes ont-elles la possibilité de participer à la gestion du projet ?
B – Structures d’organisation
Est-ce que les formes d’organisation augmentent l’accès des femmes aux ressources ?
Est-ce que l’organisation possède les pouvoirs adéquats pour obtenir d’autres organismes les ressources dont ont besoin les femmes ?
L’organisation a-t-elle la capacité institutionnelle de soutenir et protéger les femmes pendant le processus de changement ?
C – Opération et logistiques
L’organisation du système de distribution est-il accessible aux femmes en termes de personnel, de lieu et de temps ?
Existe-t-il des procédures de contrôle pour assurer une distribution fiable des biens et services ?
Existe-t-il des mécanismes pour s’assurer que les ressources et les bénéfices ne seront pas confisqués par les hommes ?
D- Finances
Y a-t-il des mécanismes de financement capables d’assurer la continuité du programme ?
Les fonds alloués sont-ils suffisants pour le travail projeté ?
A-t-on évité l’accès préférentiel des hommes aux ressources ?
Est-il possible de vérifier la traçabilité des fonds destinés aux femmes du début à la fin avec un degré de fiabilité acceptable ?
E – Flexibilité
Le projet a-t-il un système de gestion capable de déceler les effets de l’opération sur les femmes ?
Est-ce que l’organisation a suffisamment de flexibilité pour adapter ses structures et ses opérations afin de répondre aux situations changeantes ou nouvelles des femmes ?
Dimension femmes dans l’évaluation des projets
A – Recueils de données nécessaires
Est-ce que le système de surveillance et d’évaluation mesure explicitement les effets du projet sur les femmes ?
Est-ce qu’il recueille aussi des données pour mettre à jour l’analyse des activités, et l’analyse de l’accès et du contrôle des femmes ?
Les femmes sont-elles présentes dans la définition du recueil des données ?
B – Collecte des données et analyse
La collecte des données est-elle assez fréquente pour permettre les ajustements nécessaires pendant la durée du projet ?
Les données sont-elles retransmises au personnel du projet et aux bénéficiaires sous une forme compréhensible et en temps voulu pour permettre les ajustements ?
Les femmes sont-elles admises à collecter et à interpréter les données ?
Les données sont-elles analysées en vue de fournir un guide pour d’autres projets ?
A-t-on identifié des points clés pour la recherche sur “Femmes et Développement” ?
Source : Women in development : a Framework for Project Analysis
in : Gender Roles in Development Projects : A Case Book
London, Kumarian Press, 1985, p. 3-15 (extraits). Traduit de l’anglais.
Notes de bas de page
1 Boserup, Ester : Women’s role in economic development. Londres, George Allen and Unwin Ltd, 1970.
2 L’attention portée sur les “projets” plutôt que sur les processus, les institutions et les politiques peut gêner au lieu de favoriser le développement si elle n’est pas gérée correctement. Voir, David C. : Community organization and rural development : a learning process approach. In : Public Administration Review, 40, 1980, pp. 480-503. Notre intérêt pour les projets n’entraîne pas un jugement normatif sur cette approche mais voudrait plutôt exprimer notre désir d’améliorer les modalités existantes.
3 La perception ou les partis pris des planificateurs à l’égard des femmes constitue une autre difficulté. Voir Rogers, Barbara : The domestication of women in developing societies; Londres, Tavistock Publications, 1980.
4 Voir Scott, Gloria : The invisible woman ; Washington DC, World Bank, 1980.
5 Sue Ellen Huntington : Issues in women’s role in economic development : critique and alternatives, in Journal of Marriage and the Family, novembre 1975, p. 104.
6 Deere, C. ; Leon de Leal, M. : Women in Andean agriculture : peasant production and rural wage employment in Columbia and Peru ; Genève, BIT, 1982.
7 Galbraith, Kenneth : The economics of the American housewife ; in : Atlantic Monthly, août 1973, p. 79.
8 Dawe, Alan : The two sociologies ; in : British Journal of Sociology, 21, 1970, p. 207. Cité également par Barbara Rogers. op. cit.
9 Huntington, Sue Ellen, op. cit.
10 Loi du Parlement américain sur l’aide extérieure de 1973, articles 103-107.
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Le genre : un outil nécessaire
Introduction à une problématique
Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur (dir.)
2000
Genre, nouvelle division internationale du travail et migrations
Christine Verschuur et Fenneke Reysoo (dir.)
2005
Genre, migrations et globalisation de la reproduction sociale
Christine Verschuur et Christine Catarino (dir.)
2013
Genre et religion : des rapports épineux
Illustration à partir des débats sur l’avortement
Ana Amuchástegui, Edith Flores, Evelyn Aldaz et al.
2015
Genre et économie solidaire, des croisements nécessaires
Christine Verschuur, Isabelle Guérin et Isabelle Hillenkamp (dir.)
2017
Savoirs féministes au Sud
Expertes en genre et tournant décolonial
Christine Verschuur (dir.)
2019