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Luttes de femmes, paroles de femmes

Traduit par Christine Verschuur (trad.)

p. 193-197

Note de l’éditeur

Référence : Rauber, Isabel, “Luttes de femmes, paroles de femmes” in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur, Le genre : un outil nécessaire : Introduction à une problématique, Cahiers Genre et Développement, n°1. Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2000, pp. 193-197, DOI : 10.4000/books.iheid.5367. Acheter le .pdf chapitre éditeur.


Texte intégral

1Les femmes ont toujours participé à des luttes soit avec les hommes soit seules. De nombreux textes existent sur cette histoire trop souvent occultée. Ils exposent des faits précis et sont souvent accompagnés de prises de parole de femmes qui nous apprennent les difficultés mais aussi les bienfaits qu’elles retirent de leur participation.

2L’investissement des femmes dans les mouvements populaires d’Amérique Latine constitue un phénomène tout à fait spécifique de cette région du monde et bien étudié par les féministes des pays concernés. Notons d’ailleurs que ces études ont grandement inspiré et aidé les théoriciennes anglophones du développement. Bel exemple de coopération du Sud avec le Nord.

3Le thème des mouvements et des luttes sera traité dans tous les Cahiers, étant donné leur importance. Pour ce premier Cahier, à titre d’exemple, voici quelques extraits du livre d’Isabel Rauber et des témoignages de femmes qu’elle a interviewées.

4La revendication de l’égalité par les femmes se traduit dans une pratique qui exige ou impose une participation croissante dans le monde public, dans ses différentes sphères : économiques, sociales, culturelles, politiques etc., pour les transformer. En Amérique Latine et dans les Caraïbes les femmes ont une histoire qui, si elle n’est pas courte est par contre peu connue, de lutte et d’organisation pour la défense de leurs intérêts et de ceux des autres secteurs sociaux défavorisés. Ce faisant, elles ont effectué un processus pratico-théorique de déconstruction-reconstruction de leur histoire comme êtres humains réduits dans leurs capacités, castrés en tant qu’êtres humains, discriminés, subordonnés et dominés par une conception patriarcale-machiste qui attribue une somme de qualités à l’homme et de défauts à la femme. Ce processus de récupération et d’apprentissage est encore balbutiant, si on l’observe dans sa dimension historique. Il se développe d’une manière presque imperceptible à travers la conquête de petits espaces par les femmes, conquêtes qui se caractérisent par un rapprochement et un progressif accès des femmes aux différentes sphères du domaine social. Ce processus constitue ce qui a été récemment traduit par “empowerment”, ou accès au pouvoir. (…)

5Dans les sociétés latino-américaines d’aujourd’hui, où des millions de femmes des milieux populaires dirigent la lutte pour la survie individuelle et familiale, on peut affirmer qu’il y a, dans les faits, une prise de pouvoir “empoderamiento”, que les femmes commencent à occuper des positions dans tous les domaines, social, politique, économique et culturel d’une société.

6(…)

7Aujourd’hui on observe la féminisation des luttes pour affronter la pauvreté, des organisations et des décisions et, dans une certaine mesure, des alternatives. Ceci est peut-être l’objectif le plus difficile à atteindre, car la féminisation des alternatives exige une réflexion complexe sur les causes, non seulement des conditions de la pauvreté mais aussi de sa féminisation et des solutions possibles, socialement justes et équitables pour les deux sexes. Atteindre cela suppose une conceptualisation du pouvoir existant et les bases d’un nouveau pouvoir, aspect qui n’est pas encore présent dans tous les mouvements de femmes ni dans ceux majoritairement féminins, ou, s’il est présent, ce n’est pas avec la même force et le même contenu que dans ceux qui entreprennent cette analyse depuis déjà un certain temps. (…)

8C’est pour cela qu’il ne suffit pas seulement de voir s’il y a ou non appropriation du pouvoir par les femmes. Un regard intelligent peut rapidement constater qu’il y en a. Pour évaluer le degré de cette appropriation du pouvoir il est important de l’analyser en utilisant une approche de genre. Celle-ci nous aide à comprendre que l’appropriation-transformation est un processus dans lequel il faut que nous nous progressions en nous posant des questions sur nous-mêmes et en réfléchissant sur nos propres expériences, de manière à approfondir notre conscience de genre et à contribuer à une modification des bases du pouvoir masculino-patriarcal, dans le sens d’un processus plus ample, social, de transformation du pouvoir. Car il s’agit, en dernier recours, d’introduire dans les propositions de transformation sociale une approche de genre, c’est-à-dire une approche d’égalité et d’équité dans les relations entre hommes et femmes et dans les rôles attribués à chacun.

9(…)

Paroles de femmes dans les luttes....

10Alieda Verhooven (militante, pasteur, Argentine) : “Lorsque nous commençons à transgresser le rôle qui nous est assigné, il est habituel que nous soyons abandonnées (laissées seules) très rapidement. Et pour beaucoup de femmes, au niveau affectif, cela demande trop. (...) Dans notre type de société (la solitude) est encore inévitable. Parce que les hommes ont le droit de se retrouver dans des groupes d’hommes, qu’on les appelle comme on le veut, mais pas les femmes. Ici, dans le quartier “la Urdimbre de Aquegua”, nous sommes en train de créer un espace pour être femme, où nous nous soutenons, où nous nous encourageons mutuellement à oser, à formuler nos questions et à élaborer ensemble nos réponses. Mais la société disqualifie encore ces initiatives.” (p. 155)

11Luci Choinascki (militante, dirigeante du PT, Parti des Travailleurs, Brésil) : “Pour être reconnue (dans les milieux politiques) il m’a fallu plus d’une année, et pour réussir il a fallu que je prenne une position difficile dans l’Assemblée, comme de renoncer à être une femme ou à assumer des positions féminines à certains moments... J’ai dû avoir une position plus dure, plus masculine, n’est-ce pas, pour réussir à être respectée dans cette “maison”. J’ai dû laisser de côté la famille, les enfants, les amis, affronter les choses avec le comportement d’un homme pour pouvoir m’affirmer. J’ai vécu cela pendant trois ou quatre ans, durant lesquels j’ai perdu jusqu’à la sensibilité, ce côté féminin de vouloir s’occuper de sa relation avec ses enfants de la manière la plus approfondie possible et de savoir qu’on est bien avec soi-même comme femme. J’ai renoncé à cela durant quelque années, et après j’ai commencé à ressentir une grande angoisse. Il y a eu une période où je vivais seulement pour faire de la politique. J’ai tout abandonné pour pouvoir me réaffirmer, et cela m’a fait m’éloigner de ce que j’étais avant, de ce côté féminin, de ma façon d’être femme.” (p. 158)

12– I. R. : “Pour parler de la participation de la femme, peut-être ce qui est le plus difficile, au moins dans l’immédiat, c'est de permettre à la femme de participer sans pour autant avoir à abandonner le foyer et les enfants. Quel conseil donnerais-tu aux autres femmes ?”

13– L. C. : “Le changement commence par les petites choses, commence à l’intérieur de notre propre maison, savoir comment je vais commencer à faire changer la manière de penser de mon compagnon, des enfants, pour qu’ils comprennent que les tâches domestiques ne correspondent pas seulement aux femmes, qu’elles peuvent être partagées. Que le fait d’avoir du temps pour pouvoir sortir n’est pas seulement une tâche administrative mais politique.(...) Savoir où nous allons laisser nos enfants quand nous devons sortir, qui va s’occuper d’eux (...) Je trouve qu’un processus de changement commence par cela, non seulement par des prises de positions théoriques mais par des réponses pratiques (...). ” p. 184

14– I. R. : “Si tu devais résumer ton expérience en tant que femme dirigeante, quels seraient à ton avis les principaux acquis ?”

15– L. C. : “La première chose, c’est qu’on se sent une personne, parce qu’avant on ne se sentait pas une personne, on n’avait droit à rien, ni à travailler ni à produire, on n’avait aucune reconnaissance. En tant que femme j’ai commencé à sentir que j’étais plus que la femme d’un homme, que je pouvais être “moi” aussi, que je pouvais avoir mes droits, que je pouvais aussi contribuer, que je n’avais pas besoin d’être seulement ce que j’étais, que j’étais beaucoup plus que cela. J’ai commencé à me sentir tellement bien quand quelqu’un m’appelait par mon nom, quand je n’étais plus seulement la femme d’un tel. J’ai commencé à chercher mon identité, parce que je me suis sentie valorisée.(...) Ce que j’ai réussi dans ma vie est d’avoir ce sentiment que je pouvais être quelqu’un, une personne, un citoyen qui pouvait contribuer et prendre cette direction sans renoncer à rien. Et affronter toutes les difficultés, tous les préjugés, tous les problèmes que j’ai affronté sans renoncer. C’est ainsi que j’ai commencé à croire au changement.”

L’évaluation d’un projet de la SEWA (Association “Self Employed Women”) pour une population de femmes cueilleuses de thé au sud de l’Inde montre que le seul fait de recevoir un salaire ne leur assurait un statut ni chez elles ni dans la société. C’est la confiance en elles, une identité partagée qu’elles tirent de leur appartenance à une association qui change la perception sociale de leurs capacités.
Devaki Jain in “Women’s Quest for Power”

Source : Isabel Rauber. Genero y Poder, Ensayo – Testimonio Buenos Aires, Ediciones UMA (Union de Mujeres Argentinas), 1998 (extraits). Traduit de l’espagnol.

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