La révolution de l’égalité entre les sexes
p. 105-116
Note de l’éditeur
Référence : PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), “La révolution de l’égalité entre les sexes”, in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur, Le genre : un outil nécessaire : Introduction à une problématique, Cahiers Genre et Développement, n°1. Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2000, pp. 105-116, DOI : 10.4000/books.iheid.5345 – Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
1L’un des mouvements forts du XXe siècle aura été la dure lutte pour l’égalité des sexes, menée essentiellement par les femmes, mais soutenue par un nombre croissant d’hommes. Lorsque la victoire sera finalement remportée, et c’est une nécessité, elle constituera une grande avancée pour l’humanité. En outre, chemin faisant, cette lutte aura bouleversé la plupart des principes sociaux, économiques et politiques en vigueur.
2Le Rapport mondial sur le développement humain a toujours défini l’objectif fondamental du développement comme étant celui d’un élargissement de la palette de choix offerte aux êtres humains. Trois éléments essentiels constituent le cœur de ce concept :
égalité des chances pour toutes les personnes dans la société ;
maintien de ces chances d’une génération à l’autre ;
accession des personnes au contrôle de leur destinée afin qu’elles participent aux processus de développement et qu’elles en tirent parti.
3L’égalité entre hommes et femmes au regard des droits de l’homme est un principe universellement admis, réaffirmé par la déclaration de Vienne signée par 171 Etats lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, en juin 1993.
4Ce principe revêt de nombreuses dimensions :
accès égal aux services sociaux fondamentaux, dont l’éducation et la santé ;
égalité des chances de prendre part aux décisions politiques et économiques ;
égalité des rémunérations à travail égal ;
égalité devant la loi ;
élimination des discriminations sexuelles et de la violence à l’encontre des femmes ;
égalité des droits des citoyens dans toutes les sphères de la vie, qu’elles soient publiques – par exemple le lieu de travail – ou privées
par exemple le foyer.
5La reconnaissance de l’égalité des droits entre hommes et femmes ainsi que la détermination à combattre les discriminations fondées sur le sexe constituent des réalisations d’une importance comparable à celles de l’abolition de l’esclavage, de la fin du colonialisme et de l’instauration de l’égalité des droits pour les minorités raciales et ethniques.
6Une analyse exhaustive du mouvement historique et politique en faveur de l’égalité des droits entre hommes et femmes va largement au-delà des aspects que peut couvrir le présent rapport. Aucun chiffre, aucun indicateur, aucune série de mesures d’ordre politique ne peut saisir l’essence véritable de ce mouvement. Ils peuvent néanmoins contribuer à alimenter ce mouvement en constituant le point d’appui d’une analyse professionnelle.
7Ignorer la dimension féminine dans le développement humain revient à le compromettre. Tel est le message, simple mais d’une grande portée, de ce rapport.
8Le développement humain est un processus visant à élargir la palette de choix offerte à tous les individus, et pas seulement à une partie de la société. Ce processus devient injuste et discriminatoire dès lors que la plupart des femmes sont exclues des avantages qu’il procure. L’exclusion persistante des femmes de nombre d’opportunités économiques et politiques constitue une mise en accusation permanente du progrès moderne.
9Pendant longtemps, on est parti de l’hypothèse que le développement était un processus qui profitait à tous, dont toutes les catégories de revenus tiraient parti, et dont l’impact n’était pas différencié en fonction du sexe des individus. L’expérience apporte des enseignements différents. Dans toutes les sociétés, les disparités de revenus et les discriminations sexuelles sont criantes.
10L’évolution vers l’égalité entre les sexes n’est pas un objectif technocratique, c’est un processus politique. Elle nécessite un nouveau mode de pensée dans lequel la vision stéréotypée des hommes et des femmes cède la place à une nouvelle philosophie considérant tous les individus, qu’ils soient hommes ou femmes, comme des agents essentiels du changement.
En Inde, l’accoucheuse qui accouche un garçon gagne soixante roupies et, s’il s’agit d’une fille, seulement deux roupies, mais si elle accepte de tuer le bébé femelle, elle gagne encore cinquante-huit roupies.
11Le paradigme du développement humain, qui place les personnes au centre de ses préoccupations, doit donc intégrer pleinement la dimension féminine. Toute tentative dans ce sens doit au moins englober les trois principes suivants :
l’égalité des droits entre hommes et femmes doit être consacrée comme un principe fondamental. Les barrières juridiques, économiques, politiques ou culturelles qui font obstacle à l’exercice de cette égalité doivent être identifiées et levées via des réformes d’ensemble et des politiques volontaristes d’intégration ;
les femmes doivent être considérées comme des agents et des bénéficiaires du changement. Investir dans les potentialités des femmes et leur donner la possibilité de choisir n’est pas seulement une attitude louable en soi, c’est également le meilleur moyen de contribuer à la croissance économique et au développement dans son ensemble ;
bien que visant à élargir la palette de choix offerte aux hommes et aux femmes, le modèle de développement intégrant la dimension féminine ne devrait pas préjuger de la façon dont les différentes cultures et les différentes sociétés font usage de ce choix. Ce qui importe, c’est qu’il y ait égalité des chances de choisir.
12Il n’existe pas une société dans laquelle les femmes bénéficient des mêmes opportunités que les hommes.
13L’indicateur sexospécifique du développement humain, ISDH, constitue une innovation de ce rapport. Cet indicateur reflète les disparités sociologiques entre les sexes en termes de potentialités humaines élémentaires, et classe 130 pays sur une échelle mondiale. Les quatre premiers pays sont quatre pays nordiques : la Suède, la Finlande, la Norvège et le Danemark, dans cet ordre. Cela n’est guère surprenant. Ces pays, très attachés à la suppression de la relative détresse des femmes, ont adopté une politique nationale volontariste visant à promouvoir l’égalité entre les sexes et à donner aux femmes le contrôle sur leur destinée. Dans ces pays, les taux d’alphabétisation des adultes sont aujourd’hui les mêmes pour les hommes et pour les femmes, et le taux combiné de scolarisation est supérieur pour les femmes. En moyenne, dans ces pays, l’espérance de vie est supérieure de sept ans pour les femmes (alors que l’écart biologique est estimé à 5 ans). En outre, le revenu du travail des femmes correspond aux trois quarts de celui des hommes.
14Plusieurs pays et zones en développement figurent en bonne place dans le classement selon l’ISDH : la Barbade (11è place), Hong-Kong (17è place), Singapour (28è), les Bahamas (26è), l’Uruguay (32è) et la Thaïlande (33è). Ces pays ont réussi à développer les potentialités fondamentales des hommes et des femmes sans grande disparité entre les sexes.
15Cependant, il apparaît clairement au vu des estimations de l’ISDH qu’il n’existe pas une société dans laquelle les femmes bénéficient des mêmes opportunités que les hommes. On trouve en première position la Suède, avec un ISDH de 0,92 sur un maximum théorique de 1,00 (valeur traduisant une égalité parfaite). Après les 32 pays du haut de l’échelle, la valeur de l’ISDH tombe à 0,80, ce qui témoigne du chemin que les femmes ont encore à parcourir sur la voie de l’égalité, même dans des pays qui semblent mieux faire à cet égard. Fait plus préoccupant, l’analyse de l’échantillon fait apparaître que 45 pays, pas moins, ont un ISDH inférieur à 0,5, ce qui prouve que les femmes souffrent de la double détresse provenant de la discrimination sexuelle et d’un faible niveau de développement général.
16Autre comparaison intéressante, celle opérée entre le rang occupé par un pays selon l’IDH et sa place dans le classement selon l’ISDH, qui tient compte des inégalités entre les sexes. En effet, cette comparaison permet de juger du degré d’équité avec lequel les potentialités humaines fondamentales sont réparties entre hommes et femmes. Les pays dont le rang selon l’ISDH est nettement supérieur au rang selon l’IDH sont très disparates. Ce sont le Danemark, la Suède, la Norvège et la Finlande et aussi la République tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Pologne ainsi que la Barbade, la Thaïlande, Sri Lanka, la Malaisie, la Jamaïque et Cuba.
17Les pays nettement mieux placés selon l’IDH que selon l’ISDH sont notamment l’Argentine, le Chili, le Costa Rica et plusieurs pays arabes. Les pays arabes ont une très longue liste de progrès à accomplir en vue de parvenir à l’égalité des chances entre hommes et femmes, même si ce sont eux qui progressent le plus rapidement depuis une vingtaine d’années pour plusieurs indicateurs de l’égalité entre hommes et femmes, notamment dans l’éducation des femmes.
18Parmi les pays nettement moins bien placés en termes d’ISDH qu’en termes d’IDH, on compte quatre pays industrialisés – le Canada (1er rang selon l’IDH, mais 9è rang selon l’ISDH), le Luxembourg (-12), les Pays-Bas (-16) et l’Espagne (-26 places). C’est la part des revenus du travail des femmes par rapport à ceux des hommes qui fait véritablement la différence, car elle reflète la participation nettement inférieure des femmes dans la population active et le niveau moindre de leur salaire moyen.
19La suppression de l’inégalité entre les sexes n’est pas une question de revenu national.
20Le revenu national ne constitue pas le facteur décisif. Plusieurs pays pauvres sont parvenus à faire augmenter leur taux d’alphabétisation des femmes. Disposant de ressources limitées, mais faisant preuve d’un engagement politique résolu, la Chine, Sri Lanka et le Zimbabwe ont porté le taux d’alphabétisation des femmes adultes à 70 %, voire plus. Par contraste, plusieurs pays plus riches sont à la traîne.
1,3 milliard de personnes vivent dans la pauvreté absolue : 70 % sont des femmes.
21La décision d’investir dans l’éducation et la santé de la population, quel que soit le sexe, semble être indépendante du niveau de revenu, de l’idéologie politique, de la culture et du stade de développement. Nombreux sont les cas pour lesquels un engagement politique résolu a été le moteur d’efforts d’amélioration du développement humain des femmes, malgré un manque de ressources. Par exemple, les pays ayant adopté le modèle socialiste ont fait appel à la mobilisation sociale et politique pour réaliser des progrès rapides, et égaux, dans l’éducation et la santé, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, et pour mettre en œuvre des transformations sociales visant à élargir les opportunités offertes aux femmes.
22Une comparaison du classement en termes d’ISDH et de niveaux de revenu confirme que la suppression des inégalités entre hommes et femmes n’est pas conditionnée par un revenu élevé. La Chine devance l’Arabie Saoudite de 10 places dans le classement selon l’ISDH, alors qu’elle dispose d’un revenu par habitant en termes réels cinq fois inférieur. La Thaïlande est mieux placée que l’Espagne en termes d’ISDH, même si son revenu réel par habitant représente moins de la moitié de celui de l’Espagne. L’ISDH de la Pologne devance de 50 places celui de la Syrie alors que ces deux pays disposent d’un revenu réel pratiquement analogue. Ainsi, l’égalité entre les sexes peut être – et est – un objectif poursuivi à tous les niveaux de revenu. Pour être atteint, il requiert un engagement politique résolu, et non d’énormes ressources financières. Tous les pays ont fait des avancées dans le développement des potentialités des femmes, mais hommes et femmes vivent toujours dans un monde inégalitaire.
23Les écarts entre hommes et femmes en termes de santé et d’éducation se sont rapidement rétrécis au cours des deux dernières décennies, mais le rythme de cette progression diffère d’un pays et d’une région à l’autre :
l’espérance de vie des femmes a augmenté 20 % plus vite que celle des hommes au cours des deux dernières décennies ;
les taux de fécondité élevés, qui entravent gravement la liberté de choix des femmes, ont reculé d’un tiers, passant de 4,7 naissances vivantes par femme entre 1970 et 1975 à 3 entre 1960 et 1995. Les choix de vie se font plus nombreux à mesure que les femmes sont libérées du fardeau des grossesses fréquentes et du risque de mourir en couches. Les taux de mortalité maternelle ont baissé de près de la moitié au cours des deux dernières décennies ;
dans les pays en développement, plus de la moitié des femmes mariées en âge de procréer ou leur partenaire utilisaient des modes de contraception modernes en 1990, contre moins d’un quart en 1980. Cette forme de planification familiale permet aux femmes de maîtriser beaucoup mieux leur vie.
24Dans les pays en développement, en termes d’alphabétisation des adultes et de scolarisation, les femmes ont parcouru entre 1970 et 1990, plus de la moitié du chemin qui les séparait des hommes. L’alphabétisation des femmes est passée de 54 % du taux d’alphabétisation des hommes en 1970 à 74 % en 1990. Dans le même temps, le taux combiné de scolarisation féminine dans l’enseignement primaire et secondaire est passé de 67 % à 86 % du taux masculin. Dans les pays en développement, le taux d’alphabétisation et le taux combiné de scolarisation des femmes adultes ont augmenté deux fois plus vite que les taux masculins entre 1970 et 1990.
25Les pays arabes ont pris la tête de ces progrès dans l’éducation des femmes, et ont plus que doublé le taux d’alphabétisation des femmes pendants cette période. En effet, les améliorations les plus rapides du taux d’alphabétisation des femmes – avec un gain de 68 points de pourcentage entre 1970 et 1990 – ont été constatées aux Emirats arabes unis.
26D’une manière générale, dans les pays en développement, les taux de scolarisation de la population féminine dans l’enseignement primaire ont augmenté de 1,7 % par an entre 1970 et 1990, contre 1,2 % pour la population masculine. Le taux combiné de scolarisation des filles dans l’enseignement primaire et secondaire a fait un bond spectaculaire, passant de 38 % en 1970 à 68 % en 1992. Avec respectivement 83 % et 87 %, l’Asie de l’Est et l’Amérique latine s’approchent d’ores et déjà des niveaux élevés des pays industriels (97 %).
Les pièges des statistiques
Il faut garder à l’esprit que l’outil statistique est loin d’être fiable ; dans ces conditions les statistiques globales ne peuvent qu’indiquer des tendances souvent infirmées par des statistiques régionales, nationales ou encore plus ponctuelles particulièrement dans les domaines de la santé et de l’éducation. En comparant les pourcentages des avancées de la scolarisation entre hommes et femmes, on montre que celui des femmes a été nettement plus rapide entre 70 et 80 pour les femmes, mais on ne dit pas que cela est dû au très grand retard accumulé par les femmes. En disant que le taux de scolarisation primaire et secondaire des filles est passé de 38 à 68 %, on ne montre pas qu’il y a encore 50 % de jeunes femmes analphabètes en Afrique sub-saharienne, chiffre qui ne risque pas de baisser avec les conséquences désastreuses des politiques d’ajustement structurel sur l’éducation, conséquences dont on sait qu’elles sont bien plus graves pour les filles que pour les garçons.
27Il convient également de noter le resserrement rapide de l’écart entre hommes et femmes dans l’enseignement supérieur. Dans les pays en développement, le taux de scolarisation des femmes dans l’enseignement supérieur représentait moins de la moitié du taux masculin en 1970, mais avait atteint 70 % en 1990. Dans 32 pays, les femmes sont aujourd’hui plus nombreuses que les hommes à fréquenter un établissement d’enseignement supérieur.
28Pourtant, des inégalités sociologiques persistent dans le monde. Les pays en développement comptent 900 millions d’analphabètes, et deux de ces analphabètes sur trois sont des femmes. En outre, les filles représentent 60 % des 130 millions d’enfants qui n’ont pas accès à l’enseignement primaire. Parce que la croissance démographique a été, dans certaines régions en développement, plus rapide que la progression de l’éducation des femmes, le nombre des femmes analphabètes est en augmentation.
29Pendant 20 ans, entre 1970 et 1990, la moitié seulement de l’écart entre hommes et femmes en termes d’éducation a été comblée. Attendre encore vingt ans pour que la deuxième moitié le soit serait bien trop long.
30Les besoins de santé spécifiques aux femmes sont également considérablement négligés. Nombreux sont les pays en développement qui ne disposent pas de sages-femmes qualifiées et où des soins prénatals et postnatals satisfaisants ou des soins d’urgence pendant l’accouchement ne sont pas disponibles. Dans la plupart des pays pauvres, les complications pendant la grossesse constituent, et de loin, la première cause de mortalité des femmes en âge de procréer. Chaque année, les pays en développement déplorent près d’un demi-million de décès maternels. Le miracle de la vie se transforme trop souvent en cauchemar macabre.
31Si les portes de l’éducation et de la santé s’ouvrent rapidement aux femmes, les portes des opportunités économiques et politiques s’entrouvrent à peine.
32Depuis vingt ans, l’accroissement de la scolarisation des femmes à tous les niveaux de l’enseignement dans les pays en développement ainsi que l’augmentation de l’emploi rémunéré des femmes dans les pays industriels constituent les principaux moteurs qui permettent de réduire les écarts sociologiques entre les sexes. Cependant, les opportunités ouvertes aux femmes restent limitées. Ce rapport compile dans les détails les preuves illustrant cette inégalité de l’accès aux opportunités, dont voici quelques exemples révélateurs :
la pauvreté a un visage de femme : sur 1,3 milliard de personnes vivant dans la pauvreté absolue, 70 % sont des femmes. L’aggravation de la pauvreté parmi la population féminine est liée à la situation défavorable des femmes sur le marché du travail, au traitement que leur réservent les systèmes de protection sociale ainsi qu’à leur statut et à leur pouvoir au sein de la famille ;
la participation des femmes dans la population active n’a augmenté que de 4 % en 20 ans (de 36 % en 1970 à 40 % en 1990). Ces chiffres sont à rapprocher de l’augmentation des deux tiers des taux d’alphabétisation des femmes adultes et de scolarisation féminine ;
les femmes ne bénéficient que d’une faible proportion des prêts accordés par les organismes de crédits formels. Elles sont supposées ne pouvoir offrir aucune garantie, bien qu’elles travaillent généralement beaucoup plus dur que les hommes. Ainsi, en Amérique latine et aux Caraïbes, les femmes représentent seulement entre 7 et 11 % des bénéficiaires de programmes de crédit
le salaire moyen des femmes est généralement plus bas que celui des hommes. En effet, non seulement les femmes occupent des emplois peu rémunérés ou travaillent dans le secteur informel, mais elles sont aussi souvent moins bien payées que les hommes, à travail égal. Dans 55 pays présentant des données comparables, le salaire moyen des femmes correspond seulement aux trois quarts du salaire masculin dans le secteur non agricole ;
dans toutes les régions, le chômage des femmes est plus important que celui des hommes ;
dans les pays en développement, les femmes occupent toujours moins d’un septième des postes administratifs et d’encadrement
les femmes n’occupent encore que 10 % des sièges parlementaires et 6 % des postes ministériels ;
dans 55 pays, les femmes sont absentes du Parlement ou occupent moins de 5 % des sièges. Ces pays peuvent être très pauvres (le Bhoutan et l’Ethiopie) ou raisonnablement riches (Grèce, Koweït, République de Corée et Singapour).
33Malgré les avancées considérables dans le développement des potentialités des femmes, leur participation aux prises de décisions économiques et politiques reste très limitée.
34Autre innovation du rapport de cette année, l’indicateur de la participation des femmes (IPF) étudie la représentation des femmes aux Parlements, la proportion des postes d’encadrement et des professions libérales occupés par les femmes, la participation des femmes dans la population active et leur part dans le revenu national. Il établit un classement de 116 pays présentant des données comparables.
35Une fois encore, ce sont les pays nordiques qui mènent la course, la Suède et la Norvège en tête. Ces pays savent non seulement renforcer les potentialités des femmes, mais leur ouvrent également de nombreuses opportunités dans les domaines économiques et politiques. Les pays nordiques ont franchi le seuil critique des 30 % de femmes dans ces domaines.
36Neuf pays seulement présentent un IPF supérieur à 0,6, alors qu’ils sont 66 à avoir un ISDH supérieur à cette valeur. A contrario, 39 pays ont un IPF inférieur à 0,3, contre 13 pays présentant un ISDH inférieur à cette valeur. L’ISDH mesurant l’égalité entre les sexes en termes de potentialités humaines fondamentales, et l’IPF l’égalité entre les sexes en termes d’opportunités économiques et politiques, cette comparaison fait clairement apparaître que de nombreux pays ont encore un chemin à parcourir pour élargir les opportunités économiques et politiques des femmes plus long que celui qu’ils ont déjà parcouru dans le développement des potentialités fondamentales des femmes. Or, c’est précisément la participation des femmes aux niveaux décisionnaires les plus élevés de la vie politique et économique qui peut faire bouger les choses dans le sens d’une plus grande égalité entre hommes et femmes. Signe essentiel de cette négligence : le fait que de nombreuses contributions des femmes à la vie économique, de l’ordre de 11 000 milliards de dollars chaque année, soient grossièrement sous-évaluées, voire totalement passées sous silence.
37La sous-évaluation des femmes se réflète dans la sous-évaluation de leur travail et l’absence de reconnaissance de leur contribution. Le débat doit donc aborder la question de l’égalité des rémunérations aussi bien que celle de l’égalité des chances. Les informations sur l’utilisation du temps par les hommes et les femmes dans 31 pays sont très révélatrices :
dans presque tous les pays, le temps de travail des femmes est supérieur à celui des hommes. Les femmes supportent en moyenne 53 % de la charge de travail totale dans les pays en développement, et 51 % dans les pays industrialisés ;
en moyenne, environ la moitié du total de ce temps de travail (hommes et femmes confondus) est utilisée à des activité économiques sur le marché ou dans le secteur de subsistance. L’autre moitié est normalement consacrée aux activités ménagères non rémunérées ou aux activités communautaires ;
dans les pays industrialisés, sur le temps de travail total des hommes, environ deux tiers sont consacrés à des activités rémunérées et le tiers restant à des activités non rémunérées. Pour les femmes, le rapport est inversé. Dans les pays en développement, plus des trois quarts du travail des hommes correspondent à des activités sur le marché. Ainsi, les hommes se taillent la part du lion des revenus et de la reconnaissance de leur contribution économique, alors que la majeure partie du travail des femmes ne donne pas lieu à rémunération, n’est pas reconnue et reste sous-évaluée.
38Aucune valeur économique n’étant affectée à ces activités, la contribution des femmes est largement sous-estimée, et le fardeau de travail qu’elles supportent n’est ni rémunéré correctement ni reconnu. En réalité, ce manquement à évaluer la majeure partie de leur travail réduit pratiquement les femmes à l’état de non-entités dans la plupart des transactions économiques, telles que celles portant sur la propriété immobilière ou l’apport d’une garantie pour les emprunts bancaires.
39Dans la société contemporaine, le statut étant souvent assimilé à la capacité de gain, les femmes souffrent d’une sous-évaluation importante de leur statut économique. Pourtant, elles supportent plus de la moitié de la charge de travail totale. En outre, le travail des hommes sur le marché est souvent le résultat d’une “production conjointe”, et non d’un effort solitaire, dans la mesure où ils seraient dans l’incapacité d’effectuer la majeure partie de leur travail si les femmes ne restaient pas à la maison pour s’occuper des enfants et du foyer.
40Si le travail non rémunéré des femmes était évalué correctement, il est fort possible que dans la plupart des sociétés, les femmes émergeraient en tant que principaux soutiens de famille, ou du moins en tant que soutiens équivalents aux hommes, dans la mesure où elles travaillent plus longtemps que ces derniers.
41La traduction du travail qu’effectuent les femmes en dehors du marché en valeur monétaire représente davantage qu’une question de justice. Elle concerne le statut économique des femmes dans la société. Si l’on considérait davantage d’activités humaines comme des transactions marchandes, évaluées en fonction des salaires en vigueur, on aboutirait à des évaluations monétaires gigantesques. Pour donner un ordre de grandeur approximatif, on peut citer le chiffre faramineux de 16 000 milliards de dollars, soit environ 70 % en sus de la production mondiale, officiellement estimée à 23 000 milliards de dollars. Cette estimation inclut la valeur du travail non rémunéré exécuté par les femmes et les hommes ainsi que l’évaluation de la sous-rémunération du travail des femmes sur le marché, estimée en fonction des salaires en vigueur. Sur ces 16 000 milliards de dollars, 11 000 milliards correspondent à la contribution “invisible” des femmes, c’est-à-dire non exprimée en valeur monétaire.
42Une telle réévaluation du travail des femmes bouleversera les conventions actuellement en vigueur. Pour les maris, partager leur revenu avec leur épouse deviendra un acte de partage d’un droit plutôt qu’un acte de bienveillance. La base du droit de la propriété immobilière, des règlements de divorce, des garanties pour les crédits bancaires, pour ne citer que quelques aspects, devra changer du tout au tout. Les hommes devront également assumer une part plus importante du fardeau des tâches ménagères et du travail communautaire.
43Si les statistiques nationales reflètent intégralement la contribution “invisible” des femmes, les instances décisionnaires ne pourront alors plus les ignorer dans le cadre des décisions nationales. En outre, les femmes ne seront plus considérées comme des non-entités économiques dans les transactions marchandes.
44Le statut par trop défavorable des femmes dans la société, qui s’accompagne de discriminations juridiques et de violences perpétuelles à leur encontre, constitue un autre élément majeur de cette inégalité.
45La discrimination qu’opère le droit constitue la traduction la plus visible du statut défavorisé de la femme dans la société. Dans de nombreux pays, les femmes ne sont toujours pas traitées à l’égal des hommes, que ce soit par le droit de la propriété immobilière, le droit de la succession, le droit du mariage et du divorce ou le droit d’obtenir une autre nationalité, de gérer un bien immobilier ou de rechercher un emploi.
46En 1979, les Nations unies ont approuvé la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), charte sur les droits humains et juridiques des femmes qui fait date. Cependant, 41 Etats membres des Nations unies ne l’ont toujours pas signée, 6 l’ont signée mais pas ratifiée et 43 l'ont ratifiée en émettant des réserves sur certaines dispositions. En d’autres termes, 90 pays n’ont toujours pas accepté toutes les implications de l’égalité juridique entre les femmes et les hommes. Même dans certains pays qui ont ratifié la CEDAW, cette convention est appliquée à contre coeur et de façon incomplète. Ainsi, même dans le droit (sans parler de la pratique), l’égalité entre hommes et femmes n’est toujours pas assurée.
47La dévalorisation des femmes la plus pénible est la violence physique et psychologique qui les poursuit de la naissance à la mort. Pour trop de femmes, la vie est assombrie par une menace de violence.
La dévalorisation commence même avant la naissance. Dans certains pays, les tests réalisés pour déterminer le sexe du fœtus peuvent l’être dans la perspective d’un avortement si c’est une fille.
Elle marque les premières années de la vie. A la Barbade, au Canada, aux Pays-Bas, en Nouvelle Zélande, en Norvège et aux Etats-Unis, un tiers des femmes déclarent avoir subi des abus sexuels pendant leur enfance et leur adolescence. Chaque année, on estime à un million le nombre d’enfants, essentiellement des filles en Asie, qui sont contraints de se prostituer, et à 100 millions le nombre des filles qui subissent des mutilations sexuelles.
Elle devient un élément du mariage. Les études réalisées au Chili, au Mexique, en Papouasie Nouvelle Guinée et en République de Corée indiquent qu’au moins deux tiers des femmes mariées connaissent la violence conjugale. En Allemagne, on estime à 4 millions le nombre des femmes qui connaissent des violences domestiques chaque année.
Elle se manifeste parfois par des viols. Les études réalisées au Canada, en Nouvelle Zélande, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis indiquent qu’une femme sur six est violée dans sa vie.
Elle peut finir par un meurtre. Plus de la moitié de tous les meurtres perpétrés à l’encontre des femmes au Bangladesh, au Brésil, au Kénya, en Papouasie Nouvelle Guinée et en Thaïlande sont commis par leur partenaire, actuel ou ancien.
Ou un suicide. Les informations recueillies dans des pays de culture différente d’Afrique, d’Amérique du Sud, plusieurs îles de la Mélanésie et les Etats-Unis permettent d’affirmer que la violence conjugale constitue l’une des premières causes de suicide des femmes.
48Bien que la violence poursuive les femmes tout au long de leur vie, les lois ne peuvent guère y remédier sans un changement des valeurs culturelles et sociales actuelles.
49La révolution vers l’égalité des sexes doit être propulsée par une stratégie concrète d’accélération du progrès.
50La prise en compte de la dimension féminine dans le paradigme du développement passe par un changement radical des habitudes bien ancrées de la vie sociale, économique et politique. En outre, le libre jeu des processus économiques et politiques n’est guère susceptible de promouvoir une égalité des chances en raison des injustices répandues dans les structures de pouvoir. Tant que ces barrières structurelles existeront, l’intervention des pouvoirs publics sera nécessaire, et devra revêtir à la fois la forme des réformes générales et de politiques volontaristes d’intégration.
Source : Rapport mondial sur le développement humain 1995.
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)
Paris, Economica, 1995 (extraits).
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