Les femmes : de nouveaux acteurs sociaux dans les campagnes ?
p. 407-417
Note de l’éditeur
Référence : Flores, Lara. “Les femmes : de nouveaux acteurs sociaux dans les campagnes ?” in Christine Verschuur, Genre, changements agraires et alimentation, Genève, Cahiers Genre et Développement, n°8, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2012, pp. 407-417, DOI : 10.4000/books.iheid.5300 – Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Texte intégral
Introduction
1Il paraît aujourd’hui difficile de parler des mouvements sociaux, quel que soit le lieu où ils se développent, sans mentionner la présence active des femmes en leur sein. De nombreuses recherches mettent en lumière le rôle qu’elles jouent dans les mouvements populaires urbains en Amérique latine, ainsi que dans les mobilisations pour la démocratie et les droits humains. Les femmes font leur apparition sur la scène politique en protagonistes d’un nombre incalculable de mouvements, que ce soit dans les campagnes ou dans les villes, et s’y expriment de différentes manières. On peut cependant se demander : quel est l’axe autour duquel s’organisent ces mobilisations ? Quels sont les éléments qui nous permettent de dire que les femmes sont devenues de « nouveaux acteurs sociaux » ?
2En analysant les articles de dix journaux nationaux traitant des mobilisations féminines qui ont eu lieu entre 1985 et 1993, on voit qu’il existe une très forte hétérogénéité qu’il est difficile de réduire à une typologie. Ces mobilisations revêtent des aspects très différents selon le contenu des revendications ou les formes de lutte (grève de la faim, réunions, manifestations, occupations de bureaux, etc.) ; ou selon la nature de l’intermédiaire politique utilisé pour se rendre visible (parti, syndicat ou organisation corporative). Il est d’autre part difficile de faire la distinction entre les « mouvements de femmes » et les actions collectives réalisées par des hommes et des femmes, ou encore de tracer une frontière rigide entre le monde rural et le monde urbain.
3Néanmoins, pour comprendre la contribution des femmes aux mobilisations qui ont eu lieu dans les campagnes mexicaines au cours des deux dernières décennies, il convient de prendre en compte le contexte global, marqué par la crise et la paupérisation de la paysannerie, en particulier de la paysannerie traditionnelle productrice de maïs et de haricots. C’est dans ce contexte que les femmes sont devenues des acteurs sociaux.
De la lutte pour la terre à la lutte contre la pauvreté
4Les années 1970 ont été caractérisées par une recrudescence des mouvements sociaux ainsi que par la création de diverses organisations indépendantes. Ces organisations ont vivement lutté pour l’accès à la terre, en particulier, par des méthodes très diverses. Selon Armando Bartra (1979), c’est la terre qui a motivé les principales revendications des paysans au cours de cette décennie – comme c’est le cas depuis la Révolution – et les a amenés à se regrouper au sein de diverses organisations régionales et nationales.
5Cette revendication n’a été ni unique ni exclusive, et d’autres, non moins importantes, s’y sont ajoutées. On peut citer la lutte des petits et moyens producteurs pour augmenter les prix de leurs produits et améliorer les conditions de leur commercialisation, ainsi que celle menée par les paysans journaliers pour obtenir des augmentations de salaire et améliorer leurs conditions de travail.
6Divers secteurs de la paysannerie se sont rassemblés autour de ces revendications, ejidatarios1, copropriétaires, exploitants de taille moyenne ou pratiquant une agriculture de subsistance, indigènes et non indigènes. Tous ont ainsi participé à un mouvement plus large qui s’est exprimé par des moyens divers : des prises illégales de terres – qui ont parfois conduit à des affrontements armés, des manifestations, des piquets de grève et des grèves de la faim – jusqu’aux procédures ordinaires et bureaucratiques, suites de démarches administratives sans fin dans lesquelles les paysans s’embourbaient. Mais d’importantes organisations paysannes indépendantes ont également été créées, comme la CNPA, la CIOAC ou la UGOCM, auxquelles se sont jointes de nombreuses organisations régionales2.
7Quel a été le rôle joué par les femmes au sein de ces mouvements et de ces organisations ? Selon les études réalisées par Carmen Magallón (1988) et par Carola Carbajal (1988), les femmes des zones rurales ont participé activement et massivement aux prises de terres, aux piquets de grève et aux manifestations. Elles ont également contribué aux tâches quotidiennes de soutien du mouvement, en réunissant des fonds ainsi qu’en apportant leur aide aux veuves ou aux malades. Les hommes ont cependant toujours considéré cette participation comme secondaire : en effet, les femmes étaient présentes dans les mobilisations en qualité d’accompagnatrices, ou en remplacement de leurs maris et de leurs fils.
8Magallón a étudié l’Organisation des Peuples de l’Altiplano (OPA), une organisation constituée de 22 groupes paysans des états du Mexique, de l’Hidalgo, de Tlaxcala et de Puebla. Les revendications principales de cette organisation étaient la redistribution des terres, la défense des territoires et l’obtention de meilleurs prix pour leurs produits.
9Lorsque cette étude a été réalisée, l’OPA comptait 1300 membres. Sur ces 1300 membres, on ne comptait que 100 femmes, et parmi elles, 70 étaient des « femmes seules » (veuves, abandonnées ou mères célibataires). Seules 30 femmes étaient formellement membres de l’organisation. Certaines veuves participaient en tant que « requérantes de terres », alors que les autres n’entretenaient qu’un lien occasionnel avec l’organisation.
10Selon l’auteure, les femmes participaient à l’action de l’OPA sous la forme d’activités de « soutien logistique » : elles préparaient la nourriture lors des réunions, des assemblées et des congrès. Elles collectaient des fonds pour l’organisation pour aider économiquement les familles des prisonniers et des malades, ou pour soutenir l’économie familiale lorsque les hommes se consacraient à la cause.
11Ce n’est qu’à partir de 1984, à la suite d’une réunion organisée par la Coordination nationale du Plan d’Ayala (CNPA) que le thème de la « situation de la paysanne » a commencé à être abordé, « très laborieusement », en raison de la forte résistance opposée par les hommes. L’accord, qui statuait sur la nécessité de favoriser la participation des femmes, a été trouvé sur la base de l’argument suivant :
Il est important que les femmes s’impliquent aussi dans l’organisation afin qu’elles soient au courant de tout ; ainsi, quand certains d’entre nous ne pourront pas assister à une commission, elles pourront le faire. Le mouvement paysan s’élargira donc, puisque nous serons deux fois plus nombreux pour lutter. (Magallón 1988, 421)
12Mais il fut décidé qu’il n’y aurait pas de groupes composés exclusivement de femmes, car cela conduirait à une division au sein de l’organisation.
13De la même manière, Magallón rapporte les difficultés qu’ont rencontrées les femmes pour que leurs demandes soient prises en compte par l’OPA, et que les frais occasionnés par leur activité soient couverts. Elle explique que c’est uniquement lorsqu’elles agissaient « en représentation » d’un membre de leur famille qu’elles parvenaient à bénéficier d’un appui financier, et décrit la manière dont ces paysannes participaient aux manifestations et aux réunions « à la place de leurs maris et fils ». Elle rapporte également certains propos très sexistes des militants qui plaçaient les femmes dans une position d’infériorité.
14De son côté, Carola Carbajal a étudié la participation des femmes au sein de la Coordination nationale du Plan d’Ayala. Cette organisation a été créée en 1979 et réunit diverses organisations régionales comme l’OPA, dont les revendications concernent principalement la redistribution des terres.
15Carbajal montre que les femmes actives au sein de la CNPA avaient rarement le sentiment de faire partie de l’organisation, et connaissaient bien peu de choses sur son fonctionnement ; même les membres des organisations qu’englobait la CNPA dénigraient ou dévalorisaient le travail et les revendications des femmes. Elle décrit par exemple la façon dont un groupe de paysannes de l’état de Morelos a mis en avant l’accroissement de la charge de travail que provoquaient, pour elles, les problèmes d’alimentation en électricité. En effet, comme les moulins à maïs et les pompes à eaux ne fonctionnaient pas, elles étaient obligées de moudre le maïs à la main et de marcher jusqu’à la rivière pour laver le linge […]. La CNPA a refusé d’entendre cette préoccupation et ne l’a pas prise en compte lors des négociations avec les autorités compétentes.
16Considérées par la plupart des hommes comme « incapables » d’assumer un rôle de direction, les femmes qui étaient membres de ces organisations, n’ont jamais pu occuper un poste de direction et ne sont jamais parvenues à obtenir que leurs demandes soient prises en compte et intégrées dans les revendications. Ce n’est que suite à la pression exercée par quelques promotrices extérieures à l’organisation qu’un processus de réflexion sur cette inégalité s’est engagé, sans toutefois permettre de faire émerger des leaders féminines.
17On peut dire que le rôle joué par les femmes dans ces organisations n’a pas connu de changement fondamental sur la période allant jusqu’à la fin des années 1980. Le mouvement paysan, lui, s’est profondément transformé. La politique mise en œuvre par l’État dans le secteur agricole s’est durcie, en particulier en ce qui concerne la redistribution des terres. Au cours de cette décennie, on a « levé le drapeau blanc » dans divers états du pays, ce qui a marqué la fin des politiques populistes, et les dépenses publiques destinées aux zones rurales (en particulier par le biais de crédits et de subventions) ont été réduites3.
18La crise s’est aggravée à partir de 1982, et a particulièrement affecté le secteur de l’agriculture de subsistance. Cynthia Hewitt de Alcántara définit cette crise comme une véritable « crise du maïs ». Les paysans ont cessé d’en produire, se retrouvant sans ressources ni aides et confrontés à une compétition inégale avec les produits importés principalement des États-Unis4.
19Littéralement réduites à une pauvreté extrême, les familles paysannes ont été contraintes à développer de multiples stratégies de survie, qui ont conduit leurs membres à s’impliquer dans de nouvelles sphères sociales. Les différentes formes de mobilisations s’appuyaient auparavant sur la représentation typique de la famille paysanne tirant sa subsistance du travail de la terre. La nouvelle réalité a fait éclater cette image et a transformé les enjeux des mouvements sociaux. En effet, les hameaux ruraux n’étaient plus typiquement paysans : pour faire face à la crise, un grand nombre de familles paysannes tiraient désormais leurs moyens de subsistance d’activités non agricoles. Dans divers états de la République, les fermes se sont par exemple transformées en véritables entreprises produisant dans la clandestinité un nombre incalculable de produits industrialisés. Des ateliers manufacturiers5 petits et moyens se sont également développés dans les zones rurales ; de nombreuses villes se sont développées autour de l’installation de maquiladoras6, au cours de la dernière décennie, attirant des jeunes d’origine rurale. Enfin, le développement du petit commerce et des activités de services (dans les campagnes comme dans les villes) a profondément modifié les besoins des familles paysannes.
20Dans d’autres régions, le paysan traditionnel cultivateur de maïs a quitté sa communauté ; devant les difficultés rencontrées pour ensemencer sa parcelle, il a migré avec sa femme et ses enfants, suivant les courants migratoires vers le nord-ouest du pays pour travailler comme journalier dans l’agriculture d’exportation moderne. La plupart de ces travailleurs étaient des indigènes qui venaient des régions les plus pauvres du pays, comme Oaxaca, Guerrero ou Michoacán. Ils ont été toujours plus nombreux à ne pas retourner dans leur région d’origine : ils se sont en effet installés dans des campements ou dans des habitations précaires, dans la périphérie de villes comme Hermosillo, Culiacan, Los Mochis, Mexicali ou Ensenada. Depuis ces zones, ils ont exploré diverses stratégies, comme, par exemple, traverser la frontière pour aller aux États-Unis (Flores 1992).
21L’éventail de revendications que défendent actuellement les paysannes illustre l’énorme transformation qu’a connue le monde rural au cours des deux dernières décennies. Il existe toujours des organisations auxquelles participent les femmes qui luttent pour leur accès à la terre, pour la défense de leur territoire et les ressources qui s’y trouvent (forêts, eaux, etc.). Elles luttent également pour obtenir des augmentations de prix et améliorer l’accès au crédit ou la commercialisation de leurs produits. Mais la participation des femmes s’organise maintenant autour d’une série de mobilisations qui se fond dans celles qui se développent dans les zones urbaines populaires. Il ne s’agit peut-être pas d’un mouvement autonome de femmes, mais on les y retrouve, et elles sont devenues, en leur sein, de nouveaux acteurs sociaux.
De l’anonymat aux actions spectaculaires
22En analysant les actions dans lesquelles la participation des femmes paysannes a été importante sur la période 1985-1992, on remarque qu’une grande partie de ces mobilisations étaient centrées sur la question de la création ou de la défense de l’emploi, lié ou non à l’agriculture et à la pêche. Dans certains cas, l’objectif de ces actions était simplement d’obtenir une aide afin de mettre en place des projets de production. Dans d’autres cas, il s’agissait de dénoncer le mauvais fonctionnement et la corruption des instances gouvernementales qui contrôlaient – et freinaient – la mise en place de ces projets. […]
23En 1992, le Syndicat national de femmes paysannes Natalia Tenesa – qui dépendait de la Centrale indépendante des ouvriers agricoles et paysans (CIOAC) – a demandé une aide de 5 000 millions de pesos afin de mettre en place des projets de production. En effet, les 340 millions de pesos qu’il avait déjà reçus n’étaient pas suffisants pour permettre aux femmes de « sortir de la misère dans laquelle elles vivaient ».
24Au cours des quatre dernières années, les revendications de ce type émanant des femmes des zones rurales se sont généralisées, faute de solutions à la pauvreté et de sources alternatives de revenus. Les ressources qui sont arrivées dans les zones rurales – par l’intermédiaire du Programme national de solidarité et l’Institut national indigéniste – ont également privilégié la création de petites entreprises. […]
25Une autre forme de mobilisation importante a vu le jour autour des questions de production et d’approvisionnement en temps opportun. L’objectif de ces mobilisations était de demander l’installation de magasins ruraux communautaires et de tortillerias7. Dans certains cas, il s’agissait simplement de dénoncer les manipulations des autorités locales, la corruption, ainsi que le mauvais fonctionnement des programmes d’approvisionnement populaire. […]
26Les journaux font par ailleurs état de revendications ou de dénonciations émanant des travailleuses agricoles. En effet, avec la croissance de l’emploi féminin dans le secteur agricole d’exportation et les conditions de travail extrêmement précaires, les travailleuses agricoles ont finalement réagi face à un certain nombre de problèmes. Le Syndicat de travailleurs ruraux Emiliano Zapata, à Irapuato, a par exemple dénoncé l’intoxication de 18 travailleuses journalières, qui ont dû être hospitalisées à cause de problèmes de santé dus à l’utilisation de fongicides sur une surface de 12 000 hectares de cultures de brocoli et de chou-fleur. Le syndicat a dénoncé les conditions de travail des 40 femmes travaillant sans contrat ni couverture sociale, et a insisté sur la nécessité de leur fournir des masques de protection. L’Association des travailleuses du conditionnement et de l’exportation des fruits et légumes a de son côté dénoncé l’inégalité des conditions dans lesquelles travaillent les femmes de ce secteur.
27La CIOAC, lors de la première Assemblée nationale de femmes paysannes, a dénoncé l’exploitation par les patrons des 750 000 femmes économiquement actives à la campagne, leurs salaires plus bas que ceux des hommes, le fait qu’elles ne bénéficient d’aucune sécurité sociale ou de prise en charge médicale.
28La secrétaire de séance du secrétaire général de la SRA8, ainsi que la directrice générale de la Sécurité sociale agricole, ont reconnu que les femmes travaillaient sans bénéficier, de quelque manière que ce soit, des droits des travailleurs. Même si elles « ont la capacité juridique de recevoir un lopin de terre et d’obtenir des crédits, comme l’établit la législation agraire », elles ne bénéficient dans leurs activités d’aucune protection, ni d’aucune sécurité (La Jornada 1988). […]
29Ce n’est qu’à partir des années 1980 que la lutte pour une reconnaissance du rôle des femmes dans les zones rurales et la conquête de plus grands espaces de participation a commencé à se généraliser, et ce, même au sein des organisations officielles. Les dirigeantes du secteur féminin de la CNC ont publiquement déclaré, par exemple, que la SARH, le SRA et le Banrural devraient prendre en compte, dans leurs programmes, les quelques 16 millions de femmes du monde rural. […]
30La lutte des femmes pour le respect de leur corps a également pris une place centrale au cours des deux dernières décennies. […]
31Enfin, bien que la lutte pour la terre soit toujours une revendication importante des communautés paysannes et indigènes des états les plus pauvres du pays, la plupart des organisations ont renoncé à cette lutte et mettent davantage l’accent sur les revendications concernant l’augmentation des prix des produits agricoles, sur l’amélioration des conditions de crédit, ainsi que sur les nouvelles formes de commercialisation des produits. Cette tendance s’est particulièrement développée suite aux modifications de l’article 27 de la Constitution.
32Une nouvelle loi agraire a été signée par toutes les organisations membres du Conseil agraire permanent (CAP), à l’exception du comité de la Coordination nationale du Plan d’Ayala (CNPA) et de la Centrale indépendante des ouvriers agricoles et de paysans (CIOAC). Cette loi a définitivement mis fin au processus de redistribution des terres et a créé les conditions permettant leur privatisation. […]
33La IXe Réunion nationale des promotrices rurales a eu lieu en février 1992 à Patzcuaro, dans le Michoacán, et a décidé d’exiger : 1) que soit maintenu le droit des femmes à être les premières héritières des terrains communaux ; 2) que la parcelle communale soit considérée comme un patrimoine familial ; 3) que les femmes soient reconnues comme des productrices actives au sein de l’économie familiale, et qu’elles puissent bénéficier de crédits et d’appui technique ; et 4) que les femmes soient reconnues comme des sujets sociaux du développement rural.
34En résumé, on peut dire que la participation des femmes a été plus visible dans ces luttes, quotidiennes, mais aussi spectaculaires, au cours desquelles s’est dissoute la frontière entre les mondes rural et urbain. Dans un contexte généralisé de pauvreté, les femmes ont essayé de trouver des stratégies de survie alternatives, d’améliorer la qualité de vie de leurs familles et de contribuer à créer une société plus juste et plus démocratique qui les respecte en tant que femmes et en tant que citoyennes. Leurs actions ont revêtu des aspects très divers : indépendantes ou officielles, et parfois, mais pas toujours, sous couvert institutionnel.
D’un rôle d’accompagnatrices à celui de protagonistes d’une histoire en train de s’écrire
35Toutefois, le caractère novateur des mobilisations de cette décennie tient moins à la disparition de la frontière entre les mondes rural et urbain qu’à l’apparition de nouvelles formes de participation des femmes. Ces mobilisations ont différé des mouvements des années 1970 durant lesquels les hommes étaient les principaux protagonistes – en tant qu’usufruitiers des terres. Les femmes participent aux mouvements actuels pour leur propre compte, et non pour accompagner qui que ce soit, grâce à des structures plus flexibles qui leur accordent une certaine autonomie, qu’il s’agisse d’un programme du gouvernement, comme Solidarité, ou d’un parti politique.
36Ces expériences de lutte paraissent « limitées », car leurs objectifs étaient immédiats et de portée réduite (l’eau, une rue, une école, etc.). Mais elles ont permis un début de prise de conscience de la nécessité de disposer d’espaces de participation plus importants pour les femmes, et d’exiger une considération égale à celle accordée aux hommes au sein des organisations, par exemple par la création de projets de production dont les femmes ont pris le contrôle et sont parvenues à assurer la viabilité, en luttant pour obtenir les crédits nécessaires. […]
37Mais le phénomène le plus intéressant est que ces organisations ont commencé à tenter de se renforcer en créant des réseaux de solidarité entre différents groupes de femmes. Ceux-ci ont à leur tour reçu le soutien d’organisations gouvernementales et non gouvernementales, de groupes chrétiens et d’organisations paysannes. Le groupe pour la Promotion des femmes paysannes s’est créé de cette manière ; ce groupe se réunit tous les six mois depuis 1988 et, à ce jour, douze rencontres ont eu lieu, durant lesquelles différents problèmes ont été abordés (Alberti 1993).
38Au sein de ces espaces s’est développée une réflexion sur les questions de genre, et ont été élaborées des propositions concrètes ayant pour objectif de valoriser la participation des femmes. On y a également abordé des problèmes d’ordre national, et une réflexion visant à influencer l’orientation du pays a été entamée. La déclaration faite par le groupe pour la Promotion des femmes paysannes, lors de sa neuvième rencontre, au sujet des modifications de l’article 27 de la Constitution – sur la propriété de la terre – en est un exemple : cette déclaration propose un modèle de développement rural qui prenne en compte les femmes en tant que sujets actifs.
39Certaines organisations paysannes et indigènes ont commencé à créer des espaces de participation féminine, au sein desquels les femmes ont pu exiger que les projets incluent leurs processus et leurs besoins spécifiques dans la liste des objectifs à atteindre.
40Ainsi, durant ces dix dernières années, la participation des femmes s’est effectuée par leur entrée dans un grand nombre d’organisations flexibles (autonomes, mixtes, clairement indépendantes ou institutionnelles). […]
41Les femmes ont mené des actions de mobilisation quotidiennes dans divers domaines, différentes dans leur nature des coups d’éclat qu’ont été les manifestations, les grèves et les piquets des années 1970. Cette mobilisation a permis aux femmes de devenir des sujets sociaux : en effet, tant leurs propositions que le fait qu’elles agissent pour leur propre compte impliquent une transformation des rapports de genre. Cela suppose qu’il existe un mouvement dans lequel les femmes s’approprient les moyens par lesquels la société se produit et se reproduit, transformant ainsi la totalité des rapports sociaux dans une perspective de genre.
Source du chapitre : Traduit de l’espagnol. Texte original : Las mujeres : ¿ nuevos actores sociales en el campo ? Revista Mexicana de Sociología. LVI(2) : 77-88. Avril-Juin. 1994.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Suite à la révolution agraire, les ejidos succèdent aux grandes propriétés terriennes. Un ejido est une propriété collective attribuée à un groupe de paysans qui y effectuent des travaux agricoles. Les ejidatarios sont donc des paysans qui peuvent bénéficier de l’usufruit d’une terre mais n’en ont pas la propriété (NdT).
2 Pour une étude détaillée des mouvements et organisations paysannes des années 1970, voir Bartra (1977 ; 1979).
3 Entre 1980 et 1985, le montant des ressources attribuées aux secteurs agricole et de la pêche par tout le système bancaire a été réduit de 40 %, et de 1986 à 1988, de 60 % (Hewitt de Alcántara, 1992 : 34).
4 Entre 1987 et 1989, les secteurs agricole et forestier ont accusé une régression moyenne de 0,8 % par an et cette tendance s’est accompagnée d’une grande instabilité des prix des produits, des coûts des intrants et des revenus des producteurs (Hewitt de Alcántara 1992).
5 Voir les travaux de Patricia Arias (1988 ; 1992), et le livre de Fiona Wilson (1990).
6 Usines situées au Mexique dans la zone de libre-échange frontalière avec les États-Unis. Il s’agit d’usines qui importent des produits exonérés de droits de douane et assemblent ou transforment ces produits ; la majeure partie de produits élaborés est par la suite destinée à l’exportation (NdT).
7 Magasins vendant des tortillas, galettes de maïs à la base de l’alimentation au Mexique. (NdT)
8 Secrétariat à la réforme agraire.
Auteurs
Sociologue, Instituto de Investigaciones Sociales de la Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM), Mexique.
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