Par-delà l’oppression et la crise : une analyse sexuée de la structure et de la réforme agraires
p. 57-79
Note de l’éditeur
Référence : Mbilinyi, Marjorie. “Par-delà l’oppression et la crise : une analyse sexuée de la structure et de la réforme agraires” in Christine Verschuur, Genre, changements agraires et alimentation, Genève, Cahiers Genre et Développement, n°8, Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2012, pp. 57-79, DOI : 10.4000/books.iheid.5246 – Acheter le .pdf chapitre éditeur.
Note de l’auteur
J’exprime ici ma reconnaissance sincère aux organisateurs et aux participants au séminaire du CODESRIA sur L’analyse de genre et les sciences sociales en Afrique (Dakar, 16-21 septembre 1991) pour leurs encouragements et leurs informations en retour concernant la version originale du présent essai ; au réviseur pour ses commentaires ; à l’Unicef (Dar es-Salaam) qui a permis de reproduire ce document pour sa distribution lors du séminaire de Dakar ; au Centre des humanités (Université d’État de l’Oregon) qui m’a accordé une bourse de recherche, 1990-1991 ; aux collègue de l’IDS (Université de Dar-es-Salaam) qui ont supporté mon absence ; et à mon mari et à mes filles sans lesquels tout cela n’aurait pas été possible.
Texte intégral
1L’histoire et la structure de l’agriculture en Tanzanie ont été conceptualisées de différentes manières qui ont eu une grande incidence sur la politique publique, le politique ainsi que les moyens d’existence et le bien-être des travailleurs agricoles des deux sexes. Le présent article a pour objectif de faire le procès des points de vue dominants et de donner une autre conceptualisation de la structure et de la réforme agraires en Tanzanie, à travers le prisme de l’analyse de genre critique.
2La position dominante, représentée ici par les travaux de Hyden (1980) et Ellis (1982), ainsi qu’Eicher (1982), présente l’agriculture tanzanienne comme un système de production paysanne. Comme nous en argumenterons ci-dessous, des généralisations sont faites au sujet des performances agricoles et des relations entre l’État et les producteurs, qui sont basées sur des données globalisées pour différentes sortes de cultures et de systèmes de culture. Les plantations appartenant à des sociétés, les grandes exploitations agricoles capitalistes et les petites exploitations paysannes sont traitées comme si elles formaient un ensemble homogène. Il n’est pas tenu compte des différentes expériences des producteurs et productrices, ainsi que des différences d’ethnies, de races et de nationalités.
3Je vais démontrer plus loin, que cette approche homogénéisante a servi à soutenir les politiques de la Banque mondiale pour l’ajustement structurel de l’agriculture tanzanienne, pendant la fin des années 1980 et 1990 ; politiques qui, en fin de compte, favorisent le secteur des grandes exploitations appartenant à des étrangers et profitent davantage aux hommes qu’aux femmes.
4Un autre point de vue reconnaît les différences et intérêts conflictuels notables entre les producteurs, ainsi que les diverses relations qu’ils ont entretenues avec l’État et les organismes donateurs (voir Mbilinyi 1986 ; 1989a ; 1990a ; 1990b ; 1991 ; 19931). Pendant des siècles, l’histoire de la Tanzanie a été marquée par la lutte pour le contrôle des ressources qui opposait différentes sortes de producteurs et comportait des dimensions de classe, de race, de genre et nationales. À titre d’exemple, du XVIe au XIXe siècles, les Arabes, propriétaires de plantations et leurs esclaves produisaient des clous de girofle destinés à l’exportation, tandis que les Africains, propriétaires d’esclaves, produisaient de l’ivoire, avec le soutien de dirigeants arabes et africains, ainsi que de commerçants européens. Pendant la période de colonisation européenne directe (années 1880-1961), l’État colonial accordait un traitement privilégié aux colons blancs et aux sociétés basées en Europe, touchant à la terre, aux crédits, aux intrants et matériels agricoles, et, en particulier aux ressources de main-d’œuvre.
5Un volet central des politiques agricoles de l’après-Arusha (appliquées de 1967 à 1983) concernait l’augmentation des ressources allouées à la population africaine locale, y compris aux gros et aux petits producteurs. Cependant, depuis 1984, les politiques d’ajustement structurel se sont efforcées de « faire reculer la décolonisation ». Les entreprises et les régions les plus productives du pays sont prioritaires dans l’allocation des ressources, ce qui, dans la pratique, a bénéficié à la production de cultures d’exportation des grandes exploitations appartenant à des étrangers et des nationaux, dans les terres montagneuses et dans quelques autres sites fertiles (TGNP 1993 ; Meena 1990 ; Sabea 1991 ; 1993).
6La deuxième section du présent article est un résumé du cadre conceptuel. La troisième section analyse, d’un point de vue historique, les divers processus d’accumulation de capital dans l’agriculture, focalisant sur l’interaction dynamique entre les systèmes d’exploitation paysan et capitaliste, l’organisation des processus ouvriers dans l’agriculture « paysanne » et de « plantation », ainsi que l’importance du travail des femmes et de la « main-d’œuvre féminine ». Dans la quatrième section, j’étudie les politiques d’ajustement structurel (les PAS) qui déterminent le contexte actuel de développement et de sous-développement agricoles.
7Dans la cinquième section, je compare les politiques de l’État à l’égard de l’agriculture, de la main-d’œuvre et des femmes dans les périodes coloniale et postcoloniale, en focalisant sur la construction, par l’État, des relations patriarcales « coutumières » dans les familles et les ménages paysans. Les questions essentielles sont résumées dans la conclusion, sous forme de questions ou thèmes pour des recherches plus poussées. […]
Analyse de classe et de genre en Tanzanie
8L’analyse se réfère à l’Afrique australe, la Tanzanie incluse. Il y a eu, ici, une présence européenne importante, un système de main-d’œuvre migrante, l’apartheid racial et un système d’administration indirecte. Dans bien des zones, a précédé une période de domination arabe et d’esclavage. Une grande partie de l’ouest et du sud de la Tanzanie devint un réservoir de travailleurs pendant la période coloniale, fournissant une main-d’œuvre bon marché aux mines et plantations de l’Afrique du Sud, de la Rhodésie et du Tanganyika. L’agriculture coloniale était à la fois paysanne et capitaliste ; cette dernière forme était essentiellement pratiquée par les sociétés et les colons européens.
9Dans le présent article, je souligne des erreurs d’analyse favorisées par « la non prise en compte du genre », un euphémisme poli pour désigner le sexisme qui caractérise le plus la recherche, la rédaction, la prise de décision et la mise en pratique, dans le domaine de la « structure et de la réforme agraires ». Sur le « terrain », chercheurs et vulgarisateurs, pour la plupart de sexe masculin, s’adressent aux paysans et ouvriers agricoles et ignorent les productrices, malgré leur importance dans la production de denrées alimentaires destinées à la consommation sur place et d’une part de plus en plus grande de cultures commercialisées. Chez les universitaires, les hommes-chercheurs ne tiennent pas compte des études sur le genre ou pratiquent une discrimination active à l’encontre des adeptes du genre. Cela a abouti, entre autres, à une recherche faussée et une connaissance erronée de ce qui se passe réellement dans le domaine agricole.
10L’article se sert également des contributions positives apportées par les études de genre (par exemple, Elson 1991). L’approche adoptée souligne l’action des femmes dans l’adaptation, la contestation, la résistance et la lutte face à l’oppression et l’exploitation et dans la configuration du monde agraire que nous étudions. Parallèlement, j’ai exploré le rôle de l’administration (coloniale, postcoloniale et impériale) dans la construction des rapports de sexe, en particulier au sein du « ménage paysan » et du prolétariat agricole salarié (Parpart et Staudt 1989).
11Comme nous venons de l’indiquer, les rapports de sexe ne se distinguent théoriquement pas des autres rapports essentiels que sont les rapports de classe, de race, d’ethnicité, de nationalité et la question impériale ou de facteurs tels que l’âge et le cycle de vie. Parallèlement, l’analyse de genre n’est pas « secondaire », par exemple, à l’analyse de classe. Les tentatives des administrateurs mâles de certaines universités d’Afrique australe de dépouiller ce concept de toute référence à l’oppression et à l’exploitation des femmes, ainsi qu’à leurs mouvements de libération, sont repoussées. De même, les conceptions impériale et essentialiste de « la femme africaine », en tant que victime, homogénéisée, n’ayant pas d’histoire collective et individuelle qui lui soit « propre », sont considérées comme erronées, colonisatrices et réduisant leurs capacités (Leacock 1998 ; Mohanty 1988). La recherche féministe a permis de faire tomber les barrières rigides de notre pensée concernant le « travail », la « main-d’œuvre » et l’exploitation et, par-delà, les rapports des classes et du capital avec la main-d’œuvre salariée et non salariée dans la production, la distribution et la consommation (Benería 1982 ; Mies et al. 1988 ; Robertson 1986 ; Sen et Grown 1987 ; Stichter et Parpart 1988 ; Young et al. 1981).
12Les rapports capitalistes de production, de consommation et de distribution sont devenus les rapports sociaux dominants dans la société africaine, bien qu’ils soient caractérisés par des développements inégaux concernant les processus de prolétarisation et d’accumulation du capital. Contrairement aux modèles existant dans la plupart des pays capitalistes développés, la production et le commerce de denrées de base restent la source principale d’emploi et de revenu national, ainsi qu’une part non négligeable des recettes d’exportation. Cependant, leur reproduction dépend de plus en plus de conditions qui sont déterminées par des rapports impériaux et capitalistes. La plupart des pays sont tributaires de l’agriculture et, dans une moindre mesure, des minerais et du pétrole destinés à l’exportation et sont de plus en plus intégrés dans l’économie capitaliste mondiale, un phénomène qui résulte des PAS. L’un des objectifs principaux des PAS est de poursuivre le processus de mercantilisation et de subordination des producteurs « non capitalistes », dont la plupart sont des femmes, aux besoins et impératifs capitalistes.
13Les processus d’accumulation de capital varient dans chaque pays, en fonction de facteurs tels que les conditions écologiques et climatiques locales ; la périodicité et la nature d’incursions capitalistes spécifiques ; la nature des sociétés préexistantes ; et leur capacité à résister à la conquête militaire, à l’étatisme et au développement capitaliste. Dans la plupart des pays du Sud, la production de biens échangeables est tributaire à la fois du secteur capitaliste et du secteur paysan, avec toutefois une prépondérance du secteur capitaliste dans la production des cultures d’exportation à forte valeur. Les paysans se concentrent essentiellement sur la production de denrées de première nécessité (céréales de base, haricots), ce qui réduit le coût salarial pour les employeurs capitalistes.
14À titre d’exemple, en Tanzanie, la moitié des produits officiellement commercialisés provient de plantations appartenant, pour la plupart, à des sociétés transnationales et, dans une moindre mesure, à de grandes et petites entreprises capitalistes (Mbilinyi 1986 ; 1989a ; 1990a ; 1990b ; 1991 ; 1993). Le thé, le sisal, le sucre et le blé sont essentiellement produits dans les plantations et les grandes exploitations agricoles ; une bonne part du café et du tabac est produite dans de petites exploitations et plantations capitalistes ; et la moitié de la production de riz vient de plantations appartenant à l’État. Coton, noix de cajou, maïs, sorgho, mil et manioc sont essentiellement produits dans des fermes paysannes, bien que de petits exploitants capitalistes se soient mis à produire de plus en plus de maïs ainsi que des cultures d’exportation telles que haricots, fèves, fleurs autres plantes horticoles. La Tanzanie est devenue autosuffisante en produits céréaliers de base depuis son indépendance, statut qu’elle a gardé contrairement à la plupart des autres pays de la région exception faite du Zimbabwe. Toutefois, les grands centres urbains, ainsi que les zones où sévit la sécheresse sont tributaires des importations de produits alimentaires, à cause des goulots d’étranglement dans les transports et la commercialisation et de l’escalade du dumping de produits alimentaires en provenance de l’Union européenne et de l’Extrême-Orient pendant la période de libéralisation qui a suivi le PAS. […]
15Concernant la main-d’œuvre, la plupart des travailleurs du secteur formel en Tanzanie sont employés en tant qu’ouvriers non qualifiés ou semi-qualifiés, mais la majorité travaille à temps plein ou à temps partiel dans le secteur informel et/ou dans la production et la vente à petite échelle de denrées alimentaires. Les femmes représentent plus de la moitié des travailleurs du secteur informel, dans les zones urbaines et rurales. Elles ont tendance à être reléguées aux postes faiblement rémunérés qui vont avec le travail stéréotypiquement féminin dans les activités extra-agricoles (ouvrières agricoles occasionnelles, brasseuses de bière, vendeuses à la criée de produits alimentaires, transformatrices de produits alimentaires, filles de bar, prostituées et petites vendeuses de produits alimentaires, de savons, de vêtements, etc.). La plupart des femmes travaillent à temps partiel dans l’agriculture traditionnelle, en tant que petites productrices indépendantes, travailleuses familiales rémunérées et/ou non rémunérées et comme main-d’œuvre occasionnelle salariée. Un nombre croissant de jeunes femmes célibataires travaillent comme main-d’œuvre migrante saisonnière, occasionnelle et régulière, dans les grandes plantations appartenant à des sociétés transnationales et des entreprises publiques, par exemple au Swaziland, au Malawi et en Tanzanie (McFadden 1982 ; Mbilinyi 1986 ; 1988 ; 1989a ; 1990a ; 1990b ; 1991 ; 1993). L’approvisionnement en main-d’œuvre des systèmes agricoles capitalistes se fait essentiellement, non pas auprès des ouvriers agricoles qui n’ont absolument pas de terres, mais plutôt auprès : (1) des ménages pauvres ouvriers-paysans, qui ne peuvent se reproduire de façon adéquate avec les ressources foncières et autres dont ils disposent et dont les membres travaillent très loin comme migrants (notamment les hommes et les femmes célibataires/divorcées) et comme travailleurs « locaux » occasionnels et saisonniers (y compris les femmes et les hommes jeunes et vieux, mariés et célibataires ; et les enfants) ; et (2) des jeunes femmes célibataires ou divorcées vivant « chez elles » avec leurs parents, dans les ménages paysans pauvres et moyens, qui sont à la recherche de revenus monétaires indépendants et d’une plus grande autonomie et luttent contre leur statut de travailleuses familiales non rémunérées et/ou les faibles bénéfices des cultures paysannes que reçoivent l’ensemble des ménages.
16Les théories faisant état d’un mode de production « domestique » (Hyden 1980), d’exploitants orientés vers la consommation locale, ou de l’articulation de modes de production ne sauraient suffisamment décrire ou expliquer l’interaction entre paysans, travailleurs familiaux, travailleurs occasionnels, travailleurs migrants et réguliers et employeurs capitalistes. De même, les concepts marxistes classiques du capital et du travail sont inappropriés, non seulement en Afrique, mais aussi dans les pays du Nord. L’importance de plus en plus grande du « travail au noir » dans les économies informelles du Nord, du travail occasionnel et temporaire, de l’industrie « familiale » et « artisanale », ainsi que les débats passés sur la « main-d’œuvre familiale », conjugués à la perte de main-d’œuvre de l’industrie lourde dans la période de capitalisme de l’après-guerre sont autant de facteurs qui donnent à croire qu’il faut repenser nos catégories se rapportant au capital, au travail, aux « ouvriers » et aux processus d’accumulation de capital.
17Les études féminines en Tanzanie se sont presque totalement concentrées sur le secteur des petits exploitants, à l’instar des autres sciences sociales, accordant très peu d’attention au phénomène du travail salarié et de la prolétarisation féminine dans les systèmes d’exploitation paysans et capitalistes (Mascarenhas et Mbilinyi 19832). Ces études ont collecté et traité des informations sur l’existence d’une division sexuelle changeante du travail dans l’agriculture paysanne androcentrique et sur la façon dont les relations patriarcales de sexe ont été (re)construites par les politiques étatiques pendant les périodes coloniale et postcoloniale, ainsi que par les diverses réponses et résistances de différentes sortes de femmes à l’oppression et à l’exploitation.
18Dans les années 1970, la recherche sur le genre était généralement économiciste, les facteurs et questions politiques, culturelles et psychologiques y étaient très peu abordées. Le développement de l’analyse discursive, de la théorie psychanalytique et de la critique littéraire a offert des possibilités d’analyser le genre de façon plus nuancée et globale. Parallèlement, il y a eu des tentatives sérieuses pour dépasser les dualités établies ville/campagne, tradition/moderne, externe/interne, économie formelle/économie informelle, État/société civile, production/reproduction. Leurs frontières ne sont pas fixes et, en fait, on étudie actuellement leur histoire, ainsi que la manière dont elles ont été crées et utilisées pour contrôler la main-d’œuvre et diviser « le peuple ». Plus spécifiquement, la présomption selon laquelle les populations urbaine et rurale forment des groupes homogènes distincts, les citadins exploitant les ruraux, masque l’accroissement de la pauvreté urbaine et du nombre de paysans sans terres et d’entrepreneurs ruraux. Dans nombre de pays, plus d’un quart de la population vit en zone urbaine et le taux d’urbanisation s’inscrit dans une courbe exponentielle. Et cependant, la plupart des recherches et des projets des bailleurs de fonds sont centrés sur les « femmes rurales ». De même, l’idée d’une « famille africaine » naturelle, transhistorique, a été mise en question par la théorie féministe critique et, avec elle, la notion statique du « ménage paysan » ou de « l’économie domestique ». Les chercheurs étudient plutôt les dynamiques de négociation et de conflit des sexes, au niveau du ménage et l’interaction entre différentes formes de production, telle que celle entre Brooke Bond (société transnationale) et la production paysanne (Imam 1988 ; Whitehead 1990 ; 1991 ; Mackintosh 1989).
19En Tanzanie, le conflit exacerbé entre les centres agricoles capitalistes et paysans tourne essentiellement autour du contrôle de la main-d’œuvre et des ressources et a permis de formuler le discours de la mise en œuvre du PAS et de la réforme agraire. La restructuration du capital et de la main-d’œuvre a eu pour effet d’imposer, à nouveau, les politiques coloniales d’antan qui soutenaient le secteur des grandes plantations et fermes appartenant, à l’époque, essentiellement aux Blancs (Thompson 1991). Le capital social a identifié les paysannes et les travailleuses familiales comme une source importante de main-d’œuvre et a conçu des incitations spécifiques pour attirer les femmes dans les plantations et fermes comme travailleuses occasionnelles et saisonnières. Ce phénomène est passé inaperçu auprès de la plupart des chercheurs travaillant sur les paysans et l’agriculture en Afrique, à cause de leur polarisation aveuglante sur les « ménages » paysans « indigènes ». À la fin des années 1970, le modèle du ménage en tant qu’unité harmonieuse de production fut rejeté. Cependant, donateurs, gouvernements et chercheurs persistent dans l’utilisation du ménage comme modèle. Il y a, entre autres, une raison politique à cela, en ce sens que l’organisation actuelle de l’agriculture paysanne dépend dans une large mesure de la persistance de relations sociales « patriarcales » qui exploitent la main-d’œuvre familiale non rémunérée que constituent les épouses et les enfants, et semble ainsi réduire les coûts de production. […]
Construction étatique du genre et de la race, dans l’agriculture et au sein des ménages ruraux paysans
20Les États coloniaux de l’Afrique australe accordaient aux gros producteurs un traitement privilégié pour ce qui concerne l’accès aux terres fertiles, à l’approvisionnement en eau et en combustible, aux prix subventionnés, à l’extension agricole, à la recherche développement ainsi qu’à l’organisation et la régulation d’un approvisionnement en main-d’œuvre bon marché. Les gros propriétaires d’exploitations capitalistes et commerciales étaient essentiellement des Européens, ainsi que quelques entrepreneurs asiatiques et propriétaires fonciers arabes dans ce qui était, à l’époque, le Tanganyika et Zanzibar. Les exploitants européens manquaient de réussite dans certains domaines et il y en avait même qui étaient incapables de concurrencer suffisamment les petits producteurs autochtones sur le marché. Ils ont réussi à faire pression sur l’État, pour qu’il les soutienne contre les paysans et les producteurs capitalistes nationaux et ont profité de la faiblesse générale de l’administration coloniale et de sa dépendance à l’égard des résidents européens pour l’aider à maintenir la loi et l’ordre (Rodney 1976 ; Rodney et al. 1983 ; Lwoga 1989 ; Luanda 1989).
21Un système d’apartheid fut instauré au Tanganyika, ainsi que dans les autres pays de l’Afrique australe. Il était fondé sur des barrières raciales et sexuelles rigides dans l’emploi, l’éducation, d’autres services sociaux, la résidence, ainsi que dans la gouvernance. Les Africains se voyaient refuser l’accès au crédit dans les secteurs public comme privé et n’avaient pas le droit de posséder individuellement des terres, en raison de soi-disant coutumes et traditions locales. Ils recevaient des prix au producteur plus faibles que les agriculteurs capitalistes européens pour des récoltes de même qualité, payaient des frais de transport plus élevés et ne bénéficiaient pas des mêmes prix de soutien et subventions. À titre d’exemple, c’est seulement dans les années 1950 que l’administration coloniale du Tanganyika s’est mise à soutenir très largement une poignée de gros exploitants capitalistes progressistes, à la suite de changements survenus dans la politique impériale et de la montée en puissance du mouvement nationaliste dans le pays. Ainsi, l’absence d’une forte classe indigène d’exploitants capitalistes et d’entrepreneurs ruraux au moment de l’indépendance résultait des politiques étatiques dans les colonies et dans la métropole impériale et non de la tradition ou d’une économie peu développée orientée vers la consommation locale (à en croire la Banque mondiale et d’autres donateurs) ou d’une économie basée sur l’affection (à en croire Hyden).
22Malgré tous ces obstacles, quelques producteurs locaux ont réussi à étendre leurs exploitations et à accroître leur productivité en matière de cultures commerciales. Ne bénéficiant ni de crédits ni d’intrants améliorés, ni d’offres alternatives de main-d’œuvre, les chefs de famille et de lignage paysan se sont évertués à intensifier la main-d’œuvre familiale et à renforcer leur contrôle sur les actifs servant à la production, tels que la terre et le bétail, par le biais des rapports de lignage, de paternité et conjugaux (Mafeje 1991 ; Guyer 1984 ; Imam 1988 ; Whitehead 1990 ; 1991 ; Mbilinyi 1986 ; 1989a ; 1990a ; 1990b ; 1991 ; 1993). Ils ont réussi dans une large mesure, comme l’indique le taux d’accroissement des ventes officielles de cultures paysannes locales, sans le soutien important de l’État, et en dépit de la gouvernance autoritaire et de la répression ouverte ; d’où l’importance des recettes non agricoles pour la reproduction de l’agriculture indigène. Nombre des petits producteurs les plus riches étaient des employés de l’État, soit des chefs coloniaux et des chefs de village, soit des membres de la nouvelle classe moyenne éduquée, formée d’enseignants, de personnel administratif, de magistrats et de chefs religieux3.
23Le problème majeur auquel étaient confrontés les capitaux agraires dans la période coloniale n’était pas la terre, ni les autres ressources, mais la main-d’œuvre. « La main-d’œuvre bon marché n’existait pas naturellement ou automatiquement » (Bujra 1986). Il fallut la créer en brisant la résistance des populations locales et en détruisant les systèmes préexistants de production, ainsi que les nouvelles stratégies alternatives qu’elles avaient adoptées pour survivre et pour résister à l’esclavage salarial. La mercantilisation de la production, de la consommation et de la distribution était une des stratégies de l’État en vue de mettre fin à l’autonomie des populations locales. En augmentant les coûts monétaires de l’agriculture, de l’éducation, de l’impôt, des services sanitaires et de la dot, l’État obligerait les gens à chercher des revenus monétaires. Dans certaines régions, ils pouvaient résister à la prolétarisation en augmentant leur production de biens marchands, mais cela nécessitait des marchés, des routes et autres infrastructures adéquates. L’État bloquait systématiquement les demandes faites par les chefs locaux et autres personnes et même par des membres de sa propre administration au niveau du district, pour l’extension des marchés et des infrastructures aux réserves de main-d’œuvre au sud et à l’ouest du Tanganyika, par exemple, afin de préserver les principales réserves de main-d’œuvre.
24C’étaient les hommes autochtones qui payaient les impôts et non les femmes. Ces dernières ont opposé une résistance farouche aux tentatives visant à leur soutirer de l’impôt telles que les systèmes d’imposition des femmes dans les ménages polygames, qui ont été supprimés au Tanganika et ailleurs (Bryceson et Mbilinyi 1980).
25Bien que certaines entreprises capitalistes recherchassent délibérément de la main-d’œuvre salariée masculine (par exemple, les compagnies minières, les plantations de sisal), d’autres s’efforçaient d’attirer des familles entières pour travailler en tant qu’unités productives (par exemple, la main-d’œuvre des squatteurs employée dans les exploitations mixtes du Tanganyika). Certains producteurs préféraient la main-d’œuvre féminine pour certaines tâches telles que le désherbage et la récolte (plantations de café et de thé) (Mbilinyi 1986). Cependant, l’État du Tanganyika n’était pas en mesure d’accorder aux capitalistes la liberté totale de recruter de la main-d’œuvre n’importe où et par n’importe quelle méthode à cause de l’existence de rivalités au sein de la classe des différents employeurs, du pouvoir relatif des sociétés locales et de la résistance des chefs locaux et autres aînés de sexe masculin. Le pouvoir et la capacité de ces derniers de diriger les affaires locales étaient sapés par des phénomènes tels que les mauvaises récoltes, la famine locale, la paupérisation croissante et la perte de contrôle sur les jeunes femmes et jeunes hommes. Au Tanganyika, par exemple, les colons blancs des montagnes du sud ont dénoncé avec amertume, les tentatives des propriétaires de plantations de sisal de recruter des travailleurs dans leurs propres réserves locales, après la seconde guerre mondiale, en soutenant que la région souffrait déjà d’une pénurie de main-d’œuvre à cause de la migration de cette dernière vers les régions cuprifères (Copperbelt) et les mines d’or sud-africaines, ainsi que son utilisation locale dans les plantations de thé et dans les exploitations mixtes.
26[…] La recherche a collecté et traité l’information sur les conséquences dévastatrices de la migration de la main-d’œuvre masculine (et féminine) sur le long terme (Lwoga 1989 ; Mbilinyi 1986 ; 1991 ; Rau 1991), quoique certaines familles et localités en aient tiré profit grâce au réinvestissement, dans l’agriculture, des revenus issus des envois de fonds. Le système de main-d’œuvre migrante, combiné aux systèmes de main-d’œuvre occasionnelle et à la reconversion de plus en plus fréquente de l’agriculture paysanne dans la production de biens échangeables, a provoqué des changements radicaux des rapports sociaux préexistants au niveau des ménages et de la communauté, y compris dans la division sexuelle du travail, qui étaient en grande partie, mais pas totalement, préjudiciables aux femmes.
27Certaines femmes ont bénéficié des nouvelles opportunités résultant du système de migration de la main-d’œuvre ainsi que des autres changements – en fait, leurs actions et leur perception ont permis de façonner le nouveau monde des rapports sociaux4 (Mbilinyi 1989c). Des femmes allaient s’installer dans les villes, les plantations et les centres miniers pour fuir des partenaires oppresseurs ou dont elles ne voulaient pas. Les femmes mariées cherchaient de nouveaux terrains de négociation du pouvoir au sein de leurs ménages et communautés, même lorsqu’elles perdaient un peu de leur ancien pouvoir. Autrement dit, de simples analyses linéaires des changements (plus/moins d’oppression, par exemple) masquent les complexités et ambiguïtés du vécu quotidien des femmes et des hommes et ont tendance à réduire leurs capacités. […]
Le système patriarcal de culture5
28Les relations multiples au sein du ménage, du mariage et de la famille qui ont émergé à partir de la première période de l’histoire étaient fort complexes et variaient d’un lieu à l’autre, mais avaient aussi quelques éléments en commun. Il y a eu un transfert du pouvoir de la lignée au ménage et le chef de famille a obtenu beaucoup plus de pouvoir sous les régimes colonial et indépendant qu’il n’aurait jamais pu en avoir dans le passé.
29Les chefs ont eu plus de pouvoir que les chefs de lignées dans nombre d’anciennes chefferies et, dans les sociétés où il n’y avait pas de chef auparavant, les autorités coloniales imposèrent des chefs traditionnels imaginaires. Les femmes perdirent nombre des droits et des privilèges dont elles jouissaient dans les formations sociales d’antan et les frontières entre les sexes, autrefois fluides et ambiguës furent rigidifiées. Le travail agricole devint beaucoup plus spécifique selon les sexes dans plusieurs domaines, à la suite des changements dynamiques survenus pendant et après la période coloniale.
30Nous avons déjà noté la façon dont les femmes et les jeunes hommes ont profité des changements sociaux pour fuir les relations patriarcales oppressives. Nombre d’entre eux ont réussi à négocier de nouveaux rapports sociaux qui atténuaient les conséquences les plus oppressives des changements. Par exemple, les femmes se sont servies du discours colonial sur les hommes-soutiens de famille responsables, pour divorcer de leurs époux, en accusant les migrants absents de les négliger. Au sein des ménages et familles paysans, les femmes ont tourné à leur avantage l’importance, en fait la nature indispensable, de la main-d’œuvre féminine dans nombre de systèmes agricoles. Elles ont renégocié les questions telles que l’attribution des terres, de la main-d’œuvre et la répartition des bénéfices, en étant relativement en position de force. La recherche comparative dans différents types de systèmes d’exploitation comportant différentes divisions sexuées du travail, à l’intérieur de l’Afrique et avec l’Asie, donne à croire que, là où la main-d’œuvre féminine est très importante, la violence masculine (y compris celle faite aux femmes battues et violées) est moins flagrante au sein de la famille et de la communauté et d’une classe à l’autre (Kandiyoti 1985).
31De surcroît, les femmes formaient un groupe hétérogène. Au début du XXe siècle, certaines d’entre elles possédaient à titre indépendant, des terres ainsi que des esclaves ; on trouve, encore aujourd’hui, des femmes-chefs, des premières femmes qui gèrent et exploitent la main-d’œuvre de leurs jeunes co-épouses, des belles-sœurs qui terrorisent les épouses de leurs frères, des mères qui s’approprient la main-d’œuvre de leurs gendres, des jeunes femmes, vivant en ville et dans les plantations, qui se sont enfuies avec le mari ou père d’autrui (voir Mama 2004).
32Malheureusement, la plupart des chercheurs en Tanzanie reproduisent le cliché de la femme-victime : ils présentent la femme comme une personne totalement subordonnée, totalement dépourvue de biens, totalement impuissante. Cela fausse les relations complexes et dynamiques qui existaient et continuent d’exister au sein du ménage, de la famille et de la communauté. Le cliché de la femme-victime a eu des conséquences négatives pour les femmes, à cause de son impact sur les stratégies de l’État et des ONG, en vue du développement et/ou du renforcement des capacités des femmes. En effet, il reproduit ces mêmes idéologies et relations économiques patriarcales que nous sommes en train de critiquer.
33Par exemple, le concept de féminisation de l’agriculture, mis en vogue par Ester Boserup, est projeté comme s’il s’agissait de quelque chose de naturel et de traditionnel en Afrique. […] Nombre de critiques de Boserup ont souligné la nécessité d’élargir la définition de la division sexuelle du travail, afin d’y inclure la possession et le contrôle différentiels des actifs servant à la production et des bénéfices (Benería 1982). Le plus important pour notre analyse des systèmes de connaissance, c’est la nécessité de situer la connaissance produite sur les systèmes d’exploitation agricole dans son contexte historique. Nombre d’observations étaient peut-être vraies, dans les années 1920, et encore plus, dans les années 1960 et par la suite : par exemple, la féminisation de la main-d’œuvre agricole ; le passage de la main-d’œuvre masculine à la production de cultures commerciales ou à l’emploi en dehors de l’agriculture ; et l’importance croissante de la main-d’œuvre féminine dans la production alimentaire. Toutefois, cela n’était pas la marque des systèmes traditionnels ou naturels d’exploitation agricole en Afrique, mais plutôt le résultat de changements historiques qui accompagnaient la conquête militaire et l’administration coloniale européennes, la création de systèmes d’apartheid et de migration de la main-d’œuvre ainsi que les politiques agricoles et de main-d’œuvre adoptées par les États coloniaux et indépendants.
34[…] Les programmes gouvernementaux de cultures, les programmes d’établissement et de coopératives paysannes fonctionnaient également selon des hypothèses basées sur une famille dominée par le mâle soutien de famille, avec des femmes dépendantes et subordonnées, ce qui reflétaient les concepts européens bourgeois, mais allait également dans le sens des intérêts des hommes africains. Les femmes mariées étaient exclues des coopératives et, donc, dépossédées des bénéfices de leur travail dans la production de cultures commerciales et privées d’accès direct aux intrants et équipements agricoles, ainsi qu’au crédit, alors que ceux-ci devenaient disponibles vers la fin de l’administration coloniale et après l’indépendance. De même, l’État ou d’autres organismes de développement comme les églises n’autorisaient pas les femmes à être résidentes de plein droit, selon les programmes d’établissement, mais uniquement en tant qu’épouses à la charge des résidents mâles. Les ressources étaient systématiquement distribuées aux hommes-chefs de famille, y compris les extensions agricoles et, par la suite, les intrants, le crédit et l’équipement. Lorsque la terre était enregistrée à titre individuel, les droits usufruitiers des femmes, ainsi que ceux des membres du lignage, femmes et hommes, étaient sapés.
35Les femmes se sont opposées à toutes ces politiques étatiques : elles se sont retirées des programmes d’établissement ; elles ont refusé de travailler dans les agro-exploitations commerciales de leurs époux si elles n’étaient pas dûment rémunérées ; elles ont détourné les ressources telles que les engrais vers leurs propres exploitations et cultures et se sont constamment battues pour garder le contrôle de quelques productions alimentaires, à la fois pour les besoins de consommation du ménage et pour la vente. Les femmes contrôlaient effectivement les produits de plusieurs des cultures auxquelles elles travaillaient, ainsi que ceux du brassage de la bière, du commerce et de la main-d’œuvre occasionnelle. Le pouvoir des femmes dans l’agriculture paysanne varie, suivant un grand nombre de facteurs différents tels que la nature du contrat conjugal dans une communauté donnée, le fait qu’elles possèdent des lopins individuels ou les partagent avec leurs époux et/ou leurs coépouses, le modèle d’organisation résidentielle, le pouvoir et la souplesse des lignées locales, relativement aux ménages. Le fait que des conflits sexuels, ayant trait à la répartition des revenus des hommes et des femmes, existaient et s’exacerbaient, semblerait aller de soi et singularise à peine les familles et ménages africains. La comparaison fort intrigante que fait Whitehead de la politique du mariage dans les ménages britanniques et ghanéens (1981) nous le rappelle fort utilement. Les généralisations selon lesquelles les femmes africaines n’avaient aucun contrôle sur les gains, qu’elles remettaient leurs salaires à leurs époux (ou pères), ressemblent très peu aux réalités et complexités concrètes de la vie rurale.
Les programmes étatiques d’appui aux systèmes patriarcaux de culture après l’indépendance
36En Tanzanie, au cours de la période 1967-1978, l’administration, avec le soutien des donateurs, créa et/ou consolida divers systèmes d’appui aux producteurs nationaux, paysans et capitalistes. Les anciennes réserves de main-d’œuvre devinrent les régions du pays productrices de céréales panifiables, après leur ouverture aux marchés et circuits de distribution officiels et non officiels, grâce aux systèmes de commercialisation de l’État et aux routes ouvertes toute l’année. Des programmes de culture et de développement rural financés par les bailleurs de fonds, orientèrent, pour la première fois en masse, des liquidités, des services de vulgarisation, des intrants, et des équipements agricoles, ainsi que d’autres ressources vers les producteurs nationaux. La fixation des prix au niveau pan-territorial fit baisser les coûts des transports qui auraient rendu peu rentables les cultures commerciales dans les anciennes réserves de main-d’œuvre ainsi que dans d’autres régions isolées et moins développées. Les subventions des engrais, les prix minimum garantis, ainsi que les débouchés certains ont constitué de précieuses incitations à l’augmentation de la production, dans nombre de zones et à l’adoption de nouveaux paquets technologiques. Le rendement et les ventes officielles de nombre de cultures paysannes, ainsi que de certaines cultures de plantations telles que le thé, le blé et le riz, ont enregistré une hausse pendant les années 1960 et 1970 (Mbilinyi 1990a ; 1991).
37Ce rendement accru était davantage le résultat de l’extension des terres cultivées que de l’intensification de la production. Les paysans de la Tanzanie et du reste de l’Afrique australe adoptèrent de nouvelles technologies dans le but d’accroître la productivité de la main-d’œuvre plutôt que le rendement par acre (Low 1986). Experts et pouvoirs publics ont qualifié d’échec les projets des petits exploitants, parce que les programmes de la révolution verte étaient destinés à accroître les rendements par acre. Ces résultats illustrent les conflits d’intérêts et d’objectifs entre les paysans et le capital et l’État, ainsi que le manque de connaissance suffisante de l’organisation du processus ouvrier au sein du ménage paysan.
38Dans les années 1970, la subsistance des ménages paysans était basée sur des activités économiques multiples qui n’étaient pas toutes contrôlées par le chef de famille ou incluses dans la sphère de l’économie domestique. La main-d’œuvre était une ressource rare dans la plupart des localités, même dans les montagnes où les ressources foncières faisaient le plus défaut et les paysans s’empressaient d’adopter les technologies accessibles, réductrices de main-d’œuvre. La main-d’œuvre ainsi économisée ne servait pas forcément à intensifier l’agriculture, comme le souhaitaient les chefs de projets, mais était plutôt affectée à des activités en dehors de l’agriculture, synonymes de rendements plus élevés ou d’autonomie plus grande et de pénibilité réduite du travail.
39L’État et les donateurs perpétuaient le système de relations patriarcales dans les programmes de culture et autres programmes de développement rural après l’indépendance. Les femmes persistaient dans leur refus de cultiver des plantes sur lesquelles elles n’avaient pratiquement aucun contrôle et qui leur procuraient de faibles rendements, ce qui avait des conséquences négatives prévisibles. Les chefs de famille paysans se plaignaient d’une pénurie de main-d’œuvre. A Rungwe, les femmes ont demandé et obtenu des chefs de famille qu’ils les paient en espèce et à la tâche, pour la récolte du thé. L’existence d’actions similaires entreprises par les épouses et les filles a été établie ailleurs en Afrique (Mbilinyi 1991 ; 1990a ; Guyer 1984 ; Kandiyoti 1985 ; Imam 1984 ; Stamp 1990). Naturellement, l’une des conséquences fut que la production paysanne des cultures souhaitées fut plus coûteuse que les consultants de la Banque mondiale l’avaient initialement prévu dans le programme de culture du thé destiné aux petits exploitants, avec des rendements plus faibles pour les chefs de famille, ce qui a rendu ces cultures moins attrayantes que les autres cultures et/ou les activités non agricoles.
40Les programmes de culture seront erronés tant qu’ils supposeront la disponibilité de la main-d’œuvre familiale à un coût négatif ou faible, l’élasticité de l’offre de main-d’œuvre familiale et la taille invariable des ménages (voir Elson 2004). La plupart des paquets technologiques agricoles comportaient l’intensification de la main-d’œuvre féminine, à laquelle nombre de femmes se sont opposées, entraînant ainsi des rendements plus faibles que prévu ou un échec total. Les études de faisabilité sous-estiment les coûts de la main-d’œuvre et surestiment les taux probables de rendement pour les chefs de famille (Kumar 1987). Ces études ont non seulement peu de valeur scientifique, mais contribuent à perpétuer une division sexuelle oppressive du travail et l’exploitation de la main-d’œuvre féminine non rémunérée dans les systèmes patriarcaux de culture.
41Les travaux de recherche et de développement technologique continuent de se fourvoyer en ne tenant pas compte du rôle des femmes dans la production, la consommation et la distribution. Nombre de programmes de culture ont échoué tout simplement parce qu’ils n’ont pas tenu compte des divisions sexuelles locales du travail et de l’hypothèse selon laquelle les extensions et intrants agricoles devraient être attribués aux hommes-chefs de famille, quelle que soit la personne qui produit effectivement une culture donnée. Les femmes participent à la prise de décision fondamentale concernant les techniques à adopter, les marchés à utiliser, les cultures à vendre et l’utilisation de la main-d’œuvre familiale. De plus en plus de ménages paysans ont à leur tête des femmes pour une courte période et également pour une longue période. Dans les ménages paysans gérés conjointement, les femmes contrôlent totalement plusieurs cultures, participent à la production d’autres cultures, à l’élevage du bétail ainsi qu’aux activités agricoles hors exploitation, telles que la transformation, le séchage, le stockage et le transport. Que les services de vulgarisation ne se soient pas démocratisés en recrutant pour leurs activités autant de femmes, y compris des paysannes, que d’hommes, est un signe notoire de manque de perspicacité, d’improductivité et d’inefficacité.
42L’image du paysan orienté vers la consommation locale empêche de voir à quel point les campagnards sont devenus des agriculteurs à temps partiel et dépendent, pour leur subsistance, d’une combinaison de plus en complexe d’activités agricoles et non agricoles. Les décisions concernant l’allocation des ressources monétaires, de la main-d’œuvre et des cultures seront affectées par la multiplicité des activités. L’idée d’un ménage paysan unifié, avec des frontières définies, sous le seul contrôle d’un homme-chef de famille, est un modèle mythique qui n’est d’aucune utilité pratique pour comprendre des comportements réels. L’insistance des experts et des décideurs pour retenir le modèle du ménage est un sujet d’études plus approfondies. De tels modèles ont contribué à l’échec de nombre de projets et programmes, aggravé la crise agricole, augmenté la dette avec les rendements faibles ou nuls à tous les niveaux (sauf pour banquiers et les sociétés transnationales, ainsi que d’autres bénéficiaires locaux) et dilapidé l’argent des contribuables en Afrique et dans le Nord.
43Concernant les femmes, les projets et programmes de développement ont souvent changé en mal les choses, en ne tenant pas compte de leur rôle dans l’attribution et le contrôle des ressources, ainsi que dans la prise de décision fondamentale concernant la production, la consommation et la distribution. Si les femmes sont marginalisées dans la prise de décision relative à la production, cela peut engendrer une baisse de leurs conditions de vie et leur efficacité. La perte de contrôle des femmes sur les ressources de base et sur leur propre main-d’œuvre ainsi que leur marginalisation de plus en plus grande sapent l’équité, la justice et la démocratie économique (NU/ONG 1990).
44Les femmes ont également participé et souvent dirigé d’autres formes de résistance et de lutte contre les offices nationaux de commercialisation et autres services. En Tanzanie, les producteurs de thé ont réussi à obliger la direction de TTA à tenir compte de leurs doléances concernant une méthode plus systématique de pesage et de fixation des prix de leurs récoltes. Divers mouvements de grève furent organisés dans tout le district de Rungwe, auxquels participèrent les producteurs indépendants de thé, ainsi que leurs femmes et leurs enfants. Une des formes d’action consistait tout simplement à cesser toute récolte et vente de thé dans les exploitations paysannes pendant une semaine. Une autre consistait à saboter le processus d’achat et de transformation du thé vert, en remplissant les sacs de boue et de pierres, ainsi que de feuilles de thé, chaque fois que les acheteurs se présentaient à la tombée de la nuit, ce qui était contraire à l’accord auquel étaient parvenu la direction de TTA et les paysans.
45La politique tanzanienne de « villagisation » avait également des résultats contradictoires. Au milieu des années 1970, près de la totalité des paysans vivant dans les plateaux et les plaines de la Tanzanie avaient été réinstallés dans des villages de développement, situés parfois à quelques miles seulement de leurs anciens lieux d’habitation. Certains villages furent regroupés, afin de les agrandir et de rapprocher leurs habitants des services sociaux et des routes, ainsi que des autorités gouvernementales. Chaque adulte valide – femme ou homme – devenait automatiquement membre du village, ce qui lui conférait le droit de posséder une certaine quantité de terres, avec obligation d’y produire des cultures vivrières et commerciales. Chaque membre était censé recevoir une terre, sans tenir compte du sexe ou de la situation matrimoniale, ce qui donnait à croire qu’il y avait un changement révolutionnaire dans les rapports de sexe concernant la propriété. Cependant, dans le même « Village Act » – loi portant création de villages – on se référait également au terme kaya ou ferme/ménage en tant que base d’attribution des terres. L’administration centrale laissait aux collectivités locales le soin d’interpréter les droits fonciers, ce qui a donné des résultats divers. Par exemple, le travail était souvent assigné aux femmes en fonction de leur définition comme « épouse de ». Les femmes se sont plaintes de leur surcharge de travail, avec les demandes de l’exploitation familiale, de l’exploitation villageoise et d’autres activités. Cependant, elles se sont très vite affirmées en tant que participantes indépendantes lorsqu’elles ont eu la certitude que leur travail serait rentable. Ainsi, dans nombre de zones, les femmes ont été les participantes les plus enthousiastes à l’agriculture collective et/ou aux coopératives de consommation.
46Les femmes ont lutté pour se servir des structures villageoises administratives et coopératives pour faire face à leurs propres priorités, pour de meilleurs points d’eau, pour plus d’excédents alimentaires, pour des dispensaires sanitaires et des écoles pour leurs enfants et des moulins à maïs. Partout dans les régions du sud et de l’ouest, les femmes se sont organisées en groupements coopératifs féminins, un moyen pour elles d’accroître leur contrôle sur les actifs servant à la production, en vue de préserver leur contrôle sur les recettes, de jouir d’une certaine autonomie et de loisirs et de bénéficier du soutien et de la solidarité des autres membres féminins (Koda et al. 1987 ; Stamp 1990 ; Rahmato 1991 ; Mutemba 1985).
Discours du genre
47La Banque mondiale et les autres ont justifié la nécessité de restructurer l’agriculture en soutenant que la crise agricole résultait de la combinaison de mauvaises politiques étatiques et d’un excès d’interventionnisme dans l’économie. Un discours comportant une dimension sexo-spécifique a été adopté, pour ne pas tenir compte des réalisations positives des années 1960 et 1990. Une cause principale de la faible production agricole a été attribuée aux femmes et à la féminisation de l’agriculture, quoique de façon indirecte. À titre d’exemple, selon la Banque mondiale, il y a eu une trop grande dépendance et un appui excessif à égard des paysans qui sont orientés non pas vers le marché mais vers l’autoconsommation et qui persistent à utiliser des techniques désuètes (Banque mondiale 1981). Ailleurs, de telles caractéristiques sont attribuées aux productrices.
48L’État est accusé d’une part, de négliger le secteur agricole et, d’autre part, de trop chercher à intervenir dans ce même secteur. Ces idées semblent contradictoires jusqu’à ce qu’on dissocie les différents types d’exploitants. Alors, il devient évident que la Banque a critiqué les gouvernements africains pour avoir accordé trop d’appui et de subventions au « secteur paysan non rentable et non productif » – essentiellement composé de femmes – et pour ne pas avoir soutenu les gros producteurs capitalistes, en particulier les étrangers.
49La FAO, d’autres bailleurs de fonds et l’État ont adopté des politiques pour attirer de nouveau les hommes dans l’agriculture. Deux points peuvent être soulevés ici. Le premier, c’est que les hommes n’ont jamais totalement abandonné l’agriculture, étant donné que dans la plupart des régions, hommes et femmes exploitent conjointement la terre, comme nous avons déjà noté. De surcroît, la main-d’œuvre masculine et féminine peut ne pas provenir uniquement des relations conjugales : par exemple, en l’absence de leurs époux, les femmes comptent souvent sur les envois de fonds pour recruter des ouvriers salariés pour remplacer la main-d’œuvre masculine. Le deuxième point, c’est qu’une politique de masculinisation de l’agriculture peut traduire l’échec de l’État à réguler et à contrôler le travail des femmes, ainsi que l’existence d’une population excédentaire de plus en plus importante d’hommes au chômage, qui représentent une menace politique potentielle pour les bailleurs de fonds et les États-nations.
50Quelles incitations seront utilisées pour attirer plus d’hommes (quels hommes) dans l’agriculture ? Quels que seront ces hommes, cela reviendra apparemment au même, c’est-à-dire une continuation de la nature androcentrique des programmes agricoles qui remonte à la période coloniale et qui perdure. Les politiques de masculinisation de l’agriculture semblent susceptibles de contrecarrer les programmes du champ « Femmes et développement », même dans les conditions restreintes fixées par les bailleurs de fonds et les gouvernements, un paradoxe qui nécessite des explications. […]
Conclusion
51Dans cet article, nous avons examiné des concepts phares de l’analyse de genre qui peuvent consolider notre analyse de la structure et de la réforme agraires. Des généralisations concernant l’agriculture tanzanienne basée sur le paysannat ont été remises en question à travers une analyse concrète des différentes formes d’accumulation de capital qui se sont développées, en commençant par la période coloniale. Est apparu un système hétérogène, formé de plantations, de grandes exploitations commerciales et des micro-exploitations des ménages paysans, qui a été forgé par une longue histoire de lutte définie par des relations de sexe, de classe, de race, ethniques et nationales. L’accent est mis sur le rôle de l’État dans la construction des relations de sexe et de race dans l’agriculture, ainsi que les diverses réponses de différents groupes de femmes au sein de la population indigène africaine. Une attention particulière est accordée à la création de systèmes patriarcaux de culture, qui surexploitent la plupart des femmes africaines. Nombre d’entre elles se sont opposées au système patriarcal, en particulier pour les cultures d’exportation, ruinant ainsi les objectifs de développement de l’État tanzanien et de ses principaux bailleurs de fonds. Les femmes ont également contribué à créer de nouvelles formes de rapports de sexe au niveau du ménage et de la communauté, engendrées par l’importance croissante de leurs revenus monétaires et leur participation accrue, ainsi que celle des jeunes filles, au marché du travail et au travail indépendant.
52Les politiques d’ajustement structurel (PAS) de l’agriculture sont, en partie, une réponse de l’État aux initiatives des femmes et à la perte de contrôle sur l’offre de main-d’œuvre bon marché dont bénéficiaient les employeurs pendant la période coloniale. La dernière section a montré que la crise de la main-d’œuvre survenue à la fin des années 1970 et 1980 a été résolue et que les employeurs ont commencé à cibler spécialement les femmes en tant que réserve de main-d’œuvre potentielle pour les travaux dans les champs et les usines des plantations de sucre et de thé. […]
Source du chapitre : Sexe, genre et société. Engendrer les sciences sociales africaines. (Eds.) M. Imam, A. Mama et F. Sow. 311-347. Paris, Dakar : CODESRIA, 2004, copyright© Editions L'Harmattan.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 L’auteur a étudié le développement historique de l’agriculture tanzanienne, en mettant l’accent sur les interactions entre les propriétaires de plantations et de grandes exploitations agricoles et les petits cultivateurs indigènes ainsi que le développement de différentes sortes de régimes de main-d’œuvre (Mbilinyi 1986 ; 1988 ; 1989a ; 1990a ; 1990b ; 1991 ; 1993 avec Ave Maria Semakafu).
2 Voir références dans Mascarenhas et Mbilinyi (1983), ainsi que dans les citations de Mbilinyi, note 2 ; exception rare, le projet OTTU/MWEMA implique les ouvrières des plantations dans la recherche active sur les conditions de vie et de travail.
3 L’interprétation que donnent les bailleurs de fonds et les chercheurs de la dépendance des exploitants à l’égard des revenus autres qu’agricoles et du fait que la plupart d’entre eux soient salariés, serait un sujet intéressant d’analyse discursive. De façon générale, ils insinuent qu’il ne s’agit pas de « vrais paysans » ou de paysans « dignes de mérite ». L’administration coloniale ainsi que quelques « organismes bénévoles » ont essayé de bloquer l’accès d’un plus grand nombre d’indigènes éduqués, appartenant aux classes moyennes, aux crédits et autres soutiens destinés à la petite exploitation agricole au Tanganyika pendant l’après-guerre, en insistant sur le fait que leurs programmes étaient réservés aux « autochtones » du Tanganyika et non point destinés à transformer l’agriculture locale au-delà des moyens de la communauté locale. Avec la sagesse d’après coup, nous pouvons réinterpréter ces affirmations comme voulant dire que les programmes de culture des colonisateurs et des ONG, qui s’adressaient aux producteurs indigènes, n’étaient pas destinés à remettre en cause la position prépondérante des colons blancs et des sociétés transnationales dans l’agriculture africaine (Mbilinyi 1991).
4 Pour des exemples de résistance des femmes ailleurs, axés sur les femmes « ordinaires », voir Signs (1991) et Schmidt (1992).
5 Cette section met à contribution l’ensemble des références précitées.
Auteur
Chercheuse, Tanzania Gender Networking Programme.
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