Les filières des migrants et réfugiés du Somaliland
p. 41-62
Texte intégral
1Cette étude a pour objet de mieux cerner la réalité des flux migratoires à partir du nord de la Somalie. Si l'on s'accorde à constater l'importance du phénomène, son exploitation dans les rapports de situation et les travaux de recherche se limite le plus souvent à l'invoquer comme un paramètre explicatif. Pour l'ensemble de la Somalie, la migration représente effectivement une zone d'ombre dans les études consacrées à ce pays. Combien y a-t-il de migrants ? Qui sont-ils ? Comment se répartissent-ils dans les espaces de la migration ? Comment migrants et réfugiés s'intègrent-ils dans le pays d'accueil ? Quels sont leurs moyens de subsistance, les filières de voyage et d'assistance auxquelles ils sont rattachés ?
2Un dénombrement fiable des migrants est difficile à réaliser, du fait de la grande mobilité de ces populations, accentuée par la situation de guerre qui prévaut depuis une quinzaine d'années dans la Corne de l'Afrique. Certes, nous disposons de quelques évaluations et résultats d'enquêtes partielles, ces dernières concernant d'abord les réfugiés et déplacés recensés1, victimes des conflits et de la sécheresse, alors qu'on n'ignore pas le fait que nombre d'entre eux ne sont pas décomptés, principalement les déplacés et réfugiés urbains qui se fondent parmi la population locale. Afin de pallier le caractère partiel et discontinu qui entache les données quantitatives, il semble important d'accorder de l'attention à d'autres sources d'information, abordant indirectement la question des flux migratoires.
3Compte tenu de la situation de crise qui prévaut dans la région, les données et rapports des agences humanitaires2 intervenant dans le cadre de programmes d'aide d'urgence ou de réhabilitation constituent des sources de première main. A partir de données collectées sur le terrain, auprès des administrations locales et des interlocuteurs somaliens, quelques études de synthèse ont été réalisées et pallient la méconnaissance des mouvements de population à l'échelon local ou régional3.
4Si l'aide humanitaire recoupe la partie visible de l'iceberg des déplacements de population, à partir du moment où l'accent est mis sur les réseaux internes d'échanges et d'assistance, sa partie immergée nous renvoie à la problématique des circuits de l'économie informelle4, dont l'activité s'étend bien au-delà de la floraison de petits métiers divers (artisanat, commerce et autres activités de services) qui la caractérise. Certes, le développement de ces derniers s'est, pour une part significative, alimenté des flux migratoires de la campagne vers la ville, mais en amont de ce processus d'insertion socio-professionnelle, il faut tenir compte des réseaux de solidarité et d'assistance mis en oeuvre dès l'arrivée et qui ont également leur place au sein de la "nébuleuse de l'informel".
5Enfin, nous examinerons la question des transferts financiers opérés par la main-d'oeuvre émigrée, qui transitent également par des voies "informelles", relevant souvent de l'économie parallèle. Il s'agit avant tout de suppléer à la désorganisation des services bancaires et postaux mais également de contourner des législations contraignantes en matière de change. Pour ce qui est de la Corne de l'Afrique et de la Somalie en particulier, une part croissante de l'activité commerciale s'appuie désormais sur ces circuits.
6Ainsi, à défaut de dénombrer les émigrés et réfugiés en provenance du Somaliland, il nous semble pertinent d'étudier les circuits d'échanges commerciaux et financiers qui relient des communautés somali éclatées, au sein desquelles la dimension clanique et lignagère subsiste et constitue souvent la pierre angulaire des réseaux. Nous retiendrons plus particulièrement l'exemple des Issaq, en raison de leur poids démographique, près d'un million d'individus dans le Somaliland, sans compter la diaspora issaq qui compte de nombreux groupes dans les pays du Golfe, en Europe et en Amérique du Nord5. Cette émigration issaq est née d'abord de la position géographique du Somaliland sur le golfe d'Aden, doublée d'une vocation commerciale affirmée de longue date. A la périphérie de leur "territoire ethnique" déjà, à Mogadiscio comme à Djibouti, l'influence des représentants de la communauté issaq dans les circuits commerciaux et financiers est indéniable6.
Le contexte historique
7L'espace considéré recouvre la rive africaine du golfe d'Aden, du détroit de Bab el Mandeb au cap Guardafui. Au niveau géopolitique, la région englobe l'ex-Somaliland britannique, la République de Djibouti et l'arrière-pays éthiopien, soit la province de l'Hararghé. Ainsi ce territoire, ethniquement dominé par les Somali "du nord" (Issaq, Issa, Gadaboursi) et par des tribus darod (Dolbarante, Madjertein et Warsangali), est divisé entre trois souverainetés nationales qui coupent les terres de parcours. Il n'y a pas lieu de développer ici l'histoire des peuplements successifs de cette partie de la Corne de l'Afrique, ni de la fondation des centres régionaux, les ports principalement, qui ont représenté depuis l'Antiquité autant d'escales obligées sur l'un des principaux axes du commerce international entre l'Asie, l'Afrique et le bassin méditerranéen.
8Partant d'une période plus récente, nous retiendrons en guise de point de repère la date de l'installation des Britanniques à Aden (1839). Cette première implantation européenne, clans une région jusqu'ici exclusivement musulmane, intervient précisément au moment où la Corne de l'Afrique connaît une réactivation de ses échanges commerciaux, après une longue phase de déclin, entamée au cours de la seconde moitié du xvie siècle (Pankhurst 1965). Dès cette époque, Aden exerça une attraction sur les populations environnantes et les descriptions de la colonie britannique mentionnent la présence d'une communauté somali. Parallèlement, les Britanniques nouèrent des contacts avec des chefs somali issaq et darod dans le but d'assurer la sécurité des navires et la liberté de commerce. La région restait cependant formellement rattachée à l'Empire ottoman ou, pour ce qui est du Benadir, au sultanat d'Oman et de Zanzibar. La perspective de l'ouverture du canal de Suez, intervenue en 1869, aiguisa l'appétit des puissances européennes, car la mer Rouge représente la plus courte voie maritime entre l'Europe et les Indes, sans transbordement. Ainsi durant un siècle, les territoires riverains de cette "petite Méditerranée" constituèrent un espace stratégique aux yeux des puissances européennes et des Britanniques en particulier.
9Tour à tour, l'Angleterre, la France et l'Italie signèrent des traités avec des chefs locaux et acquirent ainsi des droits sur des territoires jouxtant les rades propices à l'installation de ports de soutage sur la route des Indes. L'Angleterre consolida sa position à Aden en occupant dès 1857 l'île de Périm située dans le détroit de Bab el Mandeb, à quelques encablures de la côte yéménite et de Cheikh Saïd, où la France avait acquis des droits. Sur la rive africaine, la France s'installa à Obock (1862) et l'Italie à Assab (1869)7. Le partage colonial de la région intéressa également les deux puissances régionales que sont l'Égypte et l'Éthiopie. Mentionnons la brève installation de garnisons égyptiennes à Zeilah, Berbera et Harar (1874-1884), précédée par un décret du pouvoir ottoman (firman), concédant à l'Égypte du khédive Ismaël la souveraineté sur la rive africaine de la mer Rouge (1865), avec l'administration des deux ports de Souakim et de Massawa.
10Suite au retrait des forces égyptiennes en 1884-85, motivé par les sévères défaites subies au Soudan face aux armées mahdistes, les Britanniques, forts du régime de protectorat imposé à l'Égypte en 1882, se substituèrent aux troupes du Khédive, à Zeilah et Berbera8. Dans le même temps, la France étendit son protectorat à Tadjourah. Au-delà de l'espace somali, les Britanniques favorisèrent l'installation des Italiens en Érythrée à partir de Massawa, dans le but de contenir les ambitions françaises mais en rejetant du même coup les prétentions de l'Éthiopie qui cherchait à se ménager un accès à la mer. Le retrait de l'Égypte de ses possessions africaines, au Soudan, en Érythrée, sur la côte du Somali-land et à Harar, paracheva le mouvement de colonisation et les puissances européennes affirmèrent désormais leur prépondérance sur l'ensemble des territoires côtiers. De son côté, l'Éthiopie, en phase d'expansion vers le sud, annexa d'une part la région de Harar, centre commercial et religieux situé entre la côte et les hauts-plateaux abyssins, et d'autre part l'Ogaden, le coeur du pays Darod. Plus au nord, la victoire militaire éthiopienne face aux Italiens à Adoua en 1896 marqua un coup d'arrêt à l'expansion coloniale italienne9. Ainsi, l'Éthiopie de Ménélik II, engagée sur la voie de la modernisation, se vit reconnue comme le seul État africain indépendant10.
Des flux migratoires très anciens
11Depuis l'Antiquité, des populations en provenance des royaumes himyarites du Yémen et d'Ethiopie d'abord, puis des ressortissants des autres nations commerçantes : Egyptiens, Perses, Arabes et Indiens avaient progressivement constitué le noyau de population sédentaire installé sur les côtes de la Corne de l'Afrique. Ceux-ci entrèrent en contact avec des populations nomades, en particulier les Afar et les Somali, implantés dans la région, après avoir eux-mêmes connu des cycles de migrations et d'expansion territoriale. Ils représentaient les intermédiaires et partenaires obligés de tout échange avec l'intérieur des terres, dans une des régions où le commerce des esclaves subsista jusqu'au xxe siècle11. Il convient de voir là que ce type de trafic a constitué un facteur de brassage de populations en même temps qu'il a permis l'émergence de réseaux commerciaux solides reliant les deux rives de la mer Rouge12. Ceux-ci se sont avérés capables de déjouer la surveillance maritime britannique.
12Au xixe siècle, parallèlement au redémarrage des échanges commerciaux et à la colonisation européenne, les Somali connurent une nouvelle poussée migratoire en direction du sud. Cette migration de pasteurs nomades concerna d'abord des tribus darod et dans une moindre mesure les Hawiyé Adjouran. De nombreux groupes d'éleveurs s'établirent alors au-delà du fleuve Juba et jusqu'au Kenya, où le premier poste administratif de la région nord-est ne fut créé par les Britanniques qu'en 1912. Actuellement, le Kenya compte une communauté de quelque 300'000 Somali, sans compter le récent flot de réfugiés engendré par le conflit somalien.
13Contrairement à cette migration de peuplement en direction du sud, on observa, à partir du Somaliland, un mouvement croissant d'émigrants, souvent d'origine Issaq, s'établissant à Aden et à Djibouti et, à partir de ces deux points, un flux migratoire à destination des métropoles coloniales, la Grande-Bretagne ou la France, se développa. Ce mouvement fut notamment encouragé par la politique de recrutement de troupes coloniales. Les Britanniques engageaient des marins somali dans leurs équipages, tandis qu'en France le bataillon somali de Djibouti, formé au cours de la Première Guerre mondiale où il s'illustra sur le front de la Somme, un des plus meurtriers, était composé en particulier d'éléments issaq et gadaboursi du Somaliland. Ces anciens militaires représentent, avec les commerçants, les noyaux des communautés issaq (environ 50'000 personnes) et gadaboursi établies à Djibouti, une ville nouvelle fondée en 1887, au coeur du territoire pastoral issa.
14Avant les récents conflits, l'émigration somalienne dépassait déjà le demi-million de personnes, dont la majorité s'était installée dans les pays du Golfe13. Ce mouvement commença à prendre singulièrement de l'importance dès les années 1970, notamment à partir de la sécheresse de 1974-75. Dès 1978, il faut tenir compte des flux de réfugiés ballottés au gré des conflits. D'abord, les réfugiés de souche somali darod en provenance d'Éthiopie s'installèrent en territoire somalien, après la guerre de l'Ogaden. Le dénombrement des réfugiés dans les camps fut à l'origine d'une controverse entre les autorités somaliennes qui déclaraient, en février 1981, avoir recensé l'332'000 réfugiés et les Nations Unies dont les évaluations ne dépassaient guère le chiffre de 700'000 (Kemball-Cook & Stephenson 1984 : 57) : il s'agit là d'un des épisodes qui valut à la Somalie de Siyad Barre la réputation de "cimetière de l'aide internationale". Malgré l'apport considérable que constitue l'aide internationale (projets de réhabilitation et assistance aux réfugiés), la présence de nombreux réfugiés exerce indéniablement une pression accrue sur l'environnement.
15A cela – et peut-être en raison même d'une concurrence exacerbée pour l'accès aux faibles ressources du pays – s'ajoutent les destructions dues à la guerre sur territoire somalien. Ainsi un flux de réfugiés s'est développé en sens inverse et le HCR a été amené à assister quelque 300'000 à 400'000 Somaliens du nord, des Issaq pour la plupart, réfugiés en Ethiopie à la suite des sanglants combats de 1988 dans le Somaliland14. Etant donné l'extension du conflit à partir de 1990, les réfugiés ont afflué dans tous les États limitrophes et par mer vers le Yémen où certains épisodes de bateaux errants avec des réfugiés à bord ont été relatés par la presse. A la même époque, de nombreux Somaliens étaient chassés des pays du Golfe à la suite de l'invasion du Koweït par l'Irak et des difficultés économiques entraînant une réduction des contingents de travailleurs immigrés dans tous les pays du Golfe15.
Djibouti : un exemple significatif du flou démographique
16Même à l'échelle d'un aussi petit pays (23'200 km2), les chiffres disponibles s'avèrent très aléatoires. L'État-civil djiboutien n'a été institué qu'en 1947 et la plupart des données démographiques disponibles relèvent des extrapolations opérées à partir de quelques recensements et enquêtes partielles16. Actuellement, les résultats du recensement de 1983 ne sont pas tous disponibles, notamment les données relatives à la répartition "ethnique" de la population ainsi que des indications ayant trait à la distribution des revenus. Quant à la population totale, les estimations les plus récentes oscillent entre 400'000 et 500'000 personnes pour l'ensemble du territoire, dont environ 65 % de Somali17.
17La situation géographique particulière de la ville de Djibouti et la certitude d'avoir affaire à des flux migratoires importants relèvent du constat le plus banal. En effet la ville, port important à l'échelon régional et tête de ligne du chemin de fer d'Addis Abeba, représente un pôle d'attraction indéniable pour les populations somali des alentours. Ainsi un territoire quasi exclusivement somali, compris dans un arc de cercle au sud-ouest de Djibouti, constitue le creuset de l'émigration en direction de cette ville18. Cependant, avec la forte mobilité de la majorité de cette population qui conserve des réflexes nomades au-delà des nécessités impératives de la sédentarisation, on observe la présence généralisée de migrants temporaires et de clandestins. Dans la République de Djibouti, le contrôle des flux de migrants constitue une préoccupation majeure, non dénuée d'incidences politiques. Sous l'administration française, à la suite des émeutes de 1967, la ville de Djibouti a été isolée au moyen d'une barrière de barbelés, militairement gardée, érigée dans le but d'interdire l'accès du périmètre urbain aux nomades et migrants clandestins19. L'abandon de cette politique peu après l'indépendance a permis à de nombreux Somali de s'installer durablement dans le nouvel Etat qui leur a octroyé la citoyenneté20. En ce qui concerne "l'équilibre ethnique" du pays, il convient de relever que l'immigration affecte principalement les populations somali, alors que les Afar, plus faiblement urbanisés, sont de surcroît peu enclins à s'établir en territoire somali (Augustin 1974-1975).
La diaspora issaq
18Après avoir vécu sur une base majoritaire dans le cadre du Somaliland britannique, avec l'accession à l'indépendance et la réunion avec la Somalie italienne en 1960, le nord issaq, minorisé, apparut de plus en plus excentré par rapport à la capitale Mogadiscio. Si dans un premier temps, ce processus a contribué au développement, dans la capitale, d'une communauté issaq formée principalement de fonctionnaires, d'hommes d'affaires et de commerçants, des ressentiments de plus en plus vifs à rencontre du pouvoir central se firent jour. En effet, de nombreux Issaq, dont la survie dépendait pour une part croissante de l'étranger, supportaient de plus en plus mal le contrôle des entrées de marchandises et de capitaux dans le pays. La mainmise de l'État central sur les flux financiers auxquels la communauté issaq expatriée contribue pour une part prépondérante par le biais du commerce et des transferts de fonds opérés par les travailleurs immigrés fut certainement l'une des principales causes du conflit qui éclata au cours des années 1980.
19Dès cette époque, les Issaq, parmi lesquels de nombreux commerçants entreprenants, ayant depuis des décennies mis en place des réseaux internationaux de négoce, se donnèrent les moyens de lutter contre l'État somalien dominé par les Darod21. Avant la guerre, les communautés de travailleurs issaq du Somaliland envoyaient des fonds à leurs familles ; cependant, afin d'échapper à un taux de change officiel très défavorable, ils acceptaient la plupart du temps les propositions des groupes d'importateurs, agissant dans le cadre d'un système d'importations franco valuta. Au cours des années 1980, ces mêmes communautés ont largement contribué au financement de la lutte entreprise par le Mouvement national somalien (MNS). La participation de tous les acteurs économiques – plus ou moins contraints par le risque d'une mise à l'écart au sein du groupe tribal -a permis d'assumer une part du ravitaillement et de l'équipement des combattants du MNS. Par ailleurs, la communauté issaq de Djibouti située aux avant-postes de la diaspora s'est chargée de l'accueil et de l'intégration de nombreux réfugiés en provenance de Somalie, y compris leur réinstallation dans différents pays relais de la diaspora.
Les circuits d'échange entre le Golfe et la Corne de l'Afrique
20Avec l'émergence de la puissance économique des monarchies pétrolières du Golfe, à partir des années 1950-60 et plus encore après la crise pétrolière de 1973, les États de la Corne de l'Afrique et la Somalie en particulier sont devenus très dépendants de leurs échanges avec la Péninsule arabique22. Dès la fin de l'époque coloniale et jusqu'au début des années 1980, on observe une hausse des exportations de bétail sur pied qui atteignent quelque 7 millions de têtes. Il s'agit du principal poste dans la statistique des exportations de la Somalie jusqu'à aujourd'hui, malgré un fléchissement durant la seconde moitié des années 1970 en raison des conséquences de la sécheresse, puis dans les années 1980 avec le blocage des exportations vers l'Arabie Saoudite à la suite de la peste bovine de 1983 puis de la guerre civile.
21Au vu de la situation économique du pays et du manque de garanties offertes, les exportateurs de bétail ont pris l'habitude de conserver des montants en monnaies convertibles dans les pays du Golfe ou à Djibouti. Ainsi sont-ils en mesure de contrôler directement une part croissante des importations somaliennes. Par ailleurs, avec la présence renforcée de communautés somali établies dans les États du Golfe, un grand nombre de familles somaliennes dépendent très largement des transferts opérés par les travailleurs somaliens expatriés. L'imbrication des flux migratoires avec des transactions commerciales et financières en direction de la Somalie contribuent tour à tour à entretenir la circulation des hommes, des marchandises et des capitaux entre les deux espaces géographiques.
Le système franco valuta
22Les importations de marchandises en Somalie offrent la possibilité de rapatrier indirectement les bénéfices des exportateurs et l'épargne des travailleurs émigrés. Le système franco valuta permet d'importer des biens sans que la transaction nécessite une sortie de devises du pays. Des commerçants détiennent des devises, notamment les exportateurs de bétail qui sous-fac-turent les transactions et ont pris l'habitude de conserver une partie de leurs recettes d'exportation à l'étranger. Par ailleurs, ces commerçants sont également en mesure de se procurer des devises sur le marché parallèle et ils en collectent auprès des Somaliens qui travaillent à l'étranger. L'argent ainsi récolté est investi dans des importations les plus variées et la contrepartie en shillings somaliens versée aux familles restées dans le pays est issue du produit de la vente de ces marchandises. Ce système d'échanges commerciaux "gris", né de l'écart croissant entre le taux de change officiel du shilling somalien par rapport au taux du marché parallèle, a connu un développement considérable23. Sur une base illégale d'abord, ces flux de marchandises ont encore augmenté après que le gouvernement, aux prises avec une pénurie de devises et une insuffisance de l'offre de biens de consommation importés, a toléré que les importateurs règlent leurs fournisseurs avec leurs disponibilités déposées à l'extérieur.
23Selon Miller (1982 : 7), les étapes d'une transaction franco valuta faisant appel aux disponibilités des travailleurs étrangers sont les suivantes :
Un commerçant en Somalie décide d'importer un lot de vêtements ou d'appareils électroniques disponibles dans les pays du Golfe, notamment à Djeddah et à Dubaï, les deux principaux marchés hors-taxes de la région.
Il contacte un fournisseur et fixe les termes de la transaction en dollars, en riyal ou en dirham.
Il va ensuite contacter un groupe de travailleurs émigrés par le truchement de leurs familles restées en Somalie.
Il envoie le contrat dans le pays d'exportation et règle son fournisseur à l'aide des sommes collectées auprès des travailleurs émigrés.
Les marchandises arrivent en Somalie.
Le commerçant paie les taxes douanières et autres formalités, les frais de débarquement et de transport des marchandises. A noter la persistance d'un trafic de contrebande plus ou moins toléré, s'effectuant généralement à bord de boutres. Les tolérances et complicités diverses parmi les autorités portuaires et douanières, permettent de sortir les marchandises tout en se soustrayant aux formalités et taxes douanières.
Le stock de marchandises est écoulé par le commerçant dans le pays.
Les sommes engagées au départ par les travailleurs émigrés sont reversées à leurs familles en shillings somaliens à trois ou quatre fois le taux de change officiel de la devise utilisée au cours de l'opération.
24En l'absence d'un système contractuel et comptable probant, les opérations reposent sur la confiance et la coopération entre le commerçant, le travailleur émigré et sa famille restée en Somalie. Cette forme de contrat, fondée avant tout sur des liens interpersonnels, regroupe des partenaires entretenant des liens claniques avec les différents acteurs de la filière commerciale. Souvent garants du succès des opérations commerciales et financières, ces réseaux, à caractère ethnique et clientélaire, participent de ce mouvement de renforcement de la segmentarisation de la société qui, par ailleurs, constitue une des principales causes de la violence des conflits régionaux dans la Corne de l'Afrique.
25Du point de vue du revenu des familles, ce système d'envois de fonds opéré par les travailleurs émigrés eux-mêmes, sous la forme de "cadeaux", de fonds ou d'une contrepartie financière à la participation aux importations de biens manufacturés, s'est généralisé à partir des années 1970. Ainsi les groupes d'émigrés et certains commerçants sont à même de centraliser les apports de chacun et, de cette manière, ils ont été en mesure d'assurer une part substantielle des importations en Somalie, tout en contournant la législation de contrôle des changes.
26Ce type de transactions qui se substitue aux envois d'argent opérés par les travailleurs émigrés couvre la plupart du temps des besoins de consommation et sert d'abord à garantir la survie des familles plutôt qu'à développer l'économie locale. A quelques exceptions près, la majeure partie de l'argent est affectée à des besoins de subsistance, la nourriture et le textile, sans compter l'acquisition de quelques biens manufacturés (ustensiles, appareils électriques, etc.). Par ailleurs, parmi les nantis du système, il faut compter avec une consommation de type ostentatoire, principalement les voitures de prestige et la construction de vastes logements. A la lumière d'autres exemples, certains auteurs relèvent que les quelques investissements productifs consistent en l'achat de petites entreprises, commerciales pour la plupart, auquel il convient d'ajouter l'acquisition de têtes de bétail, préoccupation majeure dans une société de tradition nomade (Perez-Ilriago & Guendelman 1989).
27Dans toute la région considérée, la dépendance vis-à-vis de la Péninsule arabique, et du Yémen en particulier, revêt une forme originale du fait de la présence de nombreuses communautés de souche yéménite, notamment dans l'ancienne colonie française de Djibouti. Aujourd'hui encore, l'économie, essentiellement commerciale, regroupe des intérêts français et européens, mais parmi les autochtones, on a assisté depuis les années 1950 à un partage des activités entre Yéménites et Issaq. De leur côté, les Yéménites, arrivés dès les premières années de la construction de la ville de Djibouti, ont largement contribué à la mise en valeur des jardins et palmeraies de l'oued Ambouli, au sud-ouest de la ville ; de même en Ethiopie, ils ont participé à la colonisation agricole de la vallée de l'Awache (Tegegne 1991 : 35). Aujourd'hui, la communauté yéménite djiboutienne dispose de la haute main sur les exportations de bétail en provenance d'Ethiopie et de Somalie vers le Yémen et l'Arabie Saoudite. Elle contrôle également des circuits commerciaux majeurs en ville, notamment par le biais des nombreuses quincailleries qui offrent fournitures et ustensiles importés du Yémen ou des pays asiatiques.
28A l'échelon du pays, une cinquantaine d'importateurs de la place et un certain nombre d'importateurs non recensés se partagent le marché local ; ils approvisionnent les souks et au-delà les marchés éthiopiens et somaliens. Vu sous cet angle, on touche au phénomène des charchari. Ce sont d'abord des femmes qui alimentent ces circuits d'importations "sauvages" et, pour ce faire, se rendent fréquemment en voyage d'affaires dans le Golfe. Les fonds nécessaires à ces opérations sont récoltés collectivement par le biais de systèmes apparentés aux tontines et aux prêts informels. Face au développement de ces importations parallèles, les acteurs du marché dit "moderne" se plaignent de cette concurrence déloyale, car la marchandise échappe aux taxes à l'importation. Dans de nombreux cas, ces nouveaux acteurs, très actifs dans les circuits parallèles, appartiennent à la communauté issa. Cette dernière, souvent écartée des grandes affaires privées de la place, peut en revanche compter sur des complicités grâce aux liens personnels avec la hiérarchie politique du pays et il n'est pas rare de voir la femme de tel ou tel officiel renommée comme charchari.
Le Mouvement national somalien (MNS) et les réseaux de la communauté issaq de Djibouti
29Créé en 198124, le MNS a, au cours des années 1980, progressivement regroupé la majorité des clans issaq, d'abord opposés à la suprématie des groupes darod sur l'ensemble des structures politiques et économiques de la Somalie. A la suite de l'accord de paix entre l'Ethiopie et la Somalie d'avril 1988, liquidant le contentieux de la guerre de l'Ogaden, de violents combats ont éclaté au Somaliland. Se voyant perdre ses sanctuaires et ses principaux appuis en Ethiopie, le MNS s'est résolu à lancer une offensive de grande envergure contre l'armée de Siyad Barre. Face à l'infiltration d'éléments du MNS dans les villes au printemps 1988, en particulier à Hargeisa et à Burao, l'armée appuyée par l'aviation a méthodiquement bombardé les deux premières localités avant d'en reprendre le contrôle. Cet épisode a marqué un point de rupture qui a eu pour conséquence de souder définitivement l'ensemble des clans issaq derrière l'opposition armée au régime de Siyad Barre.
30Parallèlement à l'organisation militaire dont les effectifs restent très fluctuants, des groupes civils, en particulier le mouvement des scolarisés, se sont constitués dans les villes du Somaliland et jusqu'à Djibouti25. La population issaq soumise à la répression de l'armée, aux exactions et à la concurrence des réfugiés ogadeni pour l'accès aux ressources en eau et en pâturages, a progressivement rejoint les positions de l'opposition armée. Cette large participation des milieux d'affaires et des jeunes scolarisés a contribué à une meilleure articulation entre le MNS, la population issaq du Somaliland et la diaspora, en particulier les communautés installées dans les pays du Golfe, en Europe et en Amérique du Nord.
31Cette question a été abordée dans la presse internationale ; on y constate que l'essentiel du soutien matériel et financier dont bénéficie le MNS provient des cotisations volontaires que verse, sans discontinuer, la diaspora issaq. "En moyenne, on donne 20 % de notre revenu, parfois c'est beaucoup plus", précise un homme d'affaires issaq. Ces "tontines de l'exil" suffisent, en tout cas, pour soigner, habiller et chausser à peu près convenablement les 30'000 combattants supposés du MNS. Quel autre mouvement de guérilla peut se targuer d'un tel élan de solidarité ? (C. Simon 1991).
32A partir de 1988, la violence de la guerre civile somalienne a engendré un déplacement massif de populations, affluant en territoire éthiopien, dans les camps implantés le long de la frontière. Il s'est avéré que cet exode a singulièrement renforcé le MNS, dont les bases arrières pouvaient désormais bénéficier d'une assistance internationale. Ainsi, l'aide alimentaire distribuée par les agences humanitaires a contribué à approvisionner les unités militaires du MNS engagées à l'intérieur des frontières de la Somalie. Les camps sont eux-mêmes rapidement devenus des bases arrières du MNS, en même temps que des marchés plus ou moins spontanés n'ont pas tardé à s'y développer et ainsi à approvisionner par capilarités l'intérieur du territoire du Somaliland (Holt & Lawrence 1992 : 42).
33A Djibouti, la communauté issaq a soutenu activement le MNS et les personnes déplacées. Cette assistance s'est développée sur deux axes : d'une part une solidarité intra-familiale spontanée en faveur des personnes déplacées victimes du conflit, assistance toujours directement issue des structures tribales, clans, sous-clans et lignages, et d'autre part un soutien extra-familial au travers duquel les fonds recueillis au sein de la communauté partaient en Somalie du nord afin d'appuyer la lutte engagée par le MNS (achat d'armes, approvisionnement des unités de guérilla en munitions, carburant et vivres).
34Durant la période allant de mai 1988 à janvier 1991, des flux renouvelés de réfugiés issaq ont résidé ou transité par Djibouti, sur une base toutefois très fluctuante, soit entre 15'000 (UNHCR 1992) et 30'000 (ONARS 1989) personnes selon les sources. En tenant compte de l'hébergement temporaire ou non de parents en provenance de Somalie, les quartiers issaq de Djibouti26 ont vu leur population sensiblement augmenter, voire doubler selon certaines affirmations. Cependant ce phénomène doit être placé dans la durée et les statistiques révèlent, en 1985 déjà, une densité moyenne égale ou supérieure à 7,5 personnes par ménage dans les deux quartiers à dominante issaq. Sur l'ensemble de la ville, cette moyenne n'est dépassée que dans deux cités, des ensembles HLM conçus par l'administration française : la Cité du Stade et Arhiba, le quartier afar de la ville (DINAS 1990 : 16).
35La plupart du temps, il n'y avait aucune structure en place afin de secourir ces populations déplacées en première ligne et seule la tradition de solidarité interne aux lignages a pleinement joué. Au cours de cette période, les structures sociales et les institutions communautaires, marquées par la tradition, ont connu un certain renouveau. Parallèlement à cette assistance tribale reposant sur les mécanismes de parenté au sein du même lignage et sur l'identité clanique, un effort financier a été demandé à la communauté issaq en vue de soutenir la lutte engagée par le MNS.
L'assistance intra-familiale : l'accueil des réfugiés
36Chaque famille issaq de Djibouti a accueilli de une à cinq personnes en provenance de Somalie. Elle offrait à ses parents gîte et subsistance. Pour les familles les moins favorisées, cet effort de solidarité pouvait atteindre des proportions s'élevant jusqu'à 30 % du budget familial. Si toute l'assistance a été organisée à l'intérieur des réseaux lignagers, elle n'était pas dispensée sur une base permanente car une partie des réfugiés ne faisait que transiter par Djibouti. Un grand nombre de "déplacés de l'extérieur", selon la terminologie officielle en cours à Djibouti, ne se fixait pas de manière définitive dans le pays et repartaient vers les camps en Ethiopie après avoir amassé quelque ravitaillement. On a ainsi assisté à un mouvement de personnes allant et venant à partir des camps de réfugiés somaliens établis sur territoire éthiopien à la frontière du Somaliland, principalement dans la région de Jijiga (Hartisheikh, Darwanaji, Teferi Ber, Kebri Beyah) et le district d'Aware (Camabokar, Daror, Rabasso). D'autres, moins nombreux, ont poursuivi leur chemin d'exil vers d'autres pays, dans le Golfe, voire au-delà, en Europe et en Amérique du Nord. Parmi les familles de Hargeisa, Burao et Berbera qui ont afflué à Djibouti, nombreuses sont celles qui recevaient des appuis financiers de la part de leurs proches établis à l'étranger. C'est précisément parmi ces derniers que l'on retrouve ceux qui ont obtenu des visas vrais ou faux, voire un statut de réfugié, leur permettant de quitter l'Afrique et de bénéficer d'une réinstallation dans l'un ou l'autre des pays de la diaspora.
37Selon la tradition de l'hospitalité et de l'entraide chez les Somali, chaque famille s'est fait un point d'honneur de réserver le meilleur accueil possible à des parents victimes de la guerre du Somaliland. Il s'agit d'une vision traditionnelle selon laquelle quiconque ne porte pas assistance au sein de son groupe se mettrait au ban de la société. L'assistance traditionnelle repose principalement sur deux piliers qui se combinent en situation de guerre : le tacsi qui représente l'assistance matérielle et morale que les membres du clan fournissent à un des leurs en cas de décès d'un membre de sa famille ; le qaran ou l'assistance matérielle et morale fournie par les membres du clan à l'un des leurs dans le cas où celui-ci perd ses biens en raison d'une catastrophe naturelle telle qu'une sécheresse entraînant la mort du bétail, une épizootie, une inondation, un incendie, une famine, etc.
38En conséquence, les liens ethniques et parentaux existant entre les réfugiés et la population locale du pays d'accueil allègent considérablement la charge des pouvoirs publics, de même qu'ils facilitent les problèmes d'installation et d'adaptation. La communauté d'accueil a supporté l'essentiel du poids de l'aide d'urgence, mais il n'en demeure pas moins qu'une proportion non négligeable des familles résidantes subsistait elle-même dans la précarité et l'afflux massif de réfugiés avec lesquels il convenait de partager des ressources limitées a inévitablement entraîné de graves difficultés à la fois pour les réfugiés et pour leurs hôtes. La difficulté à expliciter une telle situation est illustrée par les longues discussions entre les autorités djiboutiennes et le Programme alimentaire mondial à propos d'une aide alimentaire en faveur des déplacés somaliens, et qui se sont échelonnées de 1989 à 1991. La pierre d'achoppement concernait les quelque 10'000 Djiboutiens qui figuraient sur la liste des bénéficiaires (ONARS 1989).
L'assistance extra-familiale : l'aide financière à l'action du MNS
39En même temps qu'il s'agissait d'un pays de la ligne de front pouvant apporter un appui matériel direct aux combattants du MNS, grâce à son régime commercial libéral (fait unique dans la région), son réseau bancaire et son ouverture sur le monde, Djibouti a permis de maintenir un lien avec la diaspora issaq, précisément à partir de la communauté issaq djiboutienne, installée à proximité immédiate du Somaliland. Tout au long du conflit, Djibouti a représenté pour les Issaq un pivot stratégique de première importance, la base avancée de la diaspora issaq.
40Les flux financiers sur la place de Djibouti, liés à la situation de libre convertibilité du Franc Djibouti (FD), ont toujours représenté un volume important27. La diaspora a également versé des fonds en vue de l'achat d'armes et de munitions, ces opérations étant généralement effectuées à partir de Dire Dawa en Ethiopie. La récolte de fonds auprès des commerçants concerne des montants s'échelonnant entre 25'000 et 150'000 US$. En l'absence de chiffres fiables, il est raisonnable de penser que les grands commerçants issaq ont largement soutenu l'effort de guerre du MNS. Les envois des travailleurs migrants, quelque 150 millions de dollars par année, en ce qui concerne le nord avant l'intensification de la guerre civile, ont également contribué au financement du MNS. Notons que la circulation de devises dans la région a été renforcée par la tradition de thésaurisation en dollars dans le nord de la Somalie, laquelle est directement alimentée par la présence de nombreux travailleurs immigrés somali dans les pays du Golfe. Les "rapatriements" de fonds opérés via des comptes bancaires sur la place de Djibouti expliquent cet afflux constant de dollars, y compris tout au long de l'année 1990.
41Par ailleurs, on relève d'autres initiatives, notamment celle d'un groupe de jeunes fonctionnaires issaq djiboutiens. Avec l'affirmation des prérogatives de la lutte menée par le MNS, ces jeunes Issaq ont quelque peu bouleversé la représentation lignagère de l'entraide traditionnelle. Ils ont ainsi pris en charge la tâche de collecter des fonds qui représentaient – hommes d'affaires non compris – 3 à 4 millions FD mensuels (16'880 à 22'510 US$), consacrés principalement à l'achat de nourriture et de carburant pour les combattants. A l'occasion, des fournitures ainsi que des pièces détachées ont également été livrées. Les filières permettant d'acheminer la marchandise transitaient par la frontière sud ou via le territoire éthiopien et les camps de réfugiés. Conformément à la tradition des caravanes de contrebande, une activité encore florissante de nos jours à Djibouti, le trafic transfrontalier à Loyada-Zeilah n'a pas cessé lorsque les conditions de sécurité le permettaient, cela malgré la fermeture officielle de la frontière, décidée en 1989 par les autorités de Djibouti.
42Le comité de Djibouti comprenait treize personnes chargées du recouvrement des taxes prélevées ; relativement peu d'argent liquide circulait étant donné le développement des chèques et virements bancaires, notamment dans le secteur commercial et artisanal comme les restaurants, les garages et certains petits commerces, ce qui constituait une sorte de garantie. Cependant, les contributions des commerçants importants de la place ne transitaient pas par ce comité. Cette association de jeunes issaq regroupés selon des critères socio-professionnels a eu à faire face à des réticences de la part d'une communauté qui n'était pas habituée à confier de l'argent à des personnes se situant en dehors de leur réseau familial et de surcroît sans recourir à des personnalités religieuses, des cheikhs ou des anciens, les elders, autorité morale et politique traditionnelle dans les clans somali. A cet effet, un travail de sensibilisation et d'information a été entrepris afin d'imposer d'autres formes de solidarité : des réseaux de collègues de travail ou même des réseaux socio-professionnels28.
43En dehors de Djibouti, des systèmes analogues ont été mis sur pied, dans les communautés de la diaspora et sur le terrain au Somaliland, comme dans les camps. Cela pouvait aller jusqu'à la perception de contributions en nature dans les camps de réfugiés, prélevées sur les rations alimentaires distribuées par l'aide internationale. Par ailleurs, d'autres sources financières étaient perçues, en particulier les taxes imposées sur les marchandises transitant entre la Somalie et l'Ethiopie, notamment celle imposée sur le qat, sans compter l'implication directe de certains groupes dans la distribution de cette drogue dont la consommation est largement répandue dans la Corne de l'Afrique et au Yémen. Il convient d'ajouter les taxes perçues lors du transport d'autres marchandises, notamment les ventes de chameaux effectuées par les Darod Ogadeni. Dans tous les cas, la marchandise était taxée au passage des zones contrôlées par les forces du MNS comme dans celles tenues par les forces gouvernementales.
44Cette structure d'assistance à une communauté en guerre a révélé l'existence et le poids de la diaspora issaq. Certains groupes expatriés se sont spécialisés, prenant en charge divers aspects de l'aide à l'effort de guerre du MNS. L'assistance médicale était placée sous la responsabilité de la communauté de Qatar qui a envoyé quelques chargements de matériel et de médicaments. A Djibouti revenait la charge de fournir des denrées alimentaires, du carburant et certaines pièces détachées. La communauté établie au Royaume Uni a assumé les frais encourus par la branche politique du mouvement basée à Londres. Même les Issaq de Mogadiscio ont contribué financièrement à la guerre, parallèlement au relais des informations capitales pour sa conduite sur le terrain. Une collecte de shillings somaliens en vue de constituer un stock gelé de billets a été également dictée par une stratégie de désorganisation des réseaux financiers. Notons que certains de ces billets ont été remis en circulation en 1989, dûment estampillés MNS.
45Il faut toutefois relativiser l'importance de cette assistance, certes significative en volume mais qui a toujours souffert d'une absence de coordination, le niveau organisationnel du MNS n'ayant jamais atteint celui des Érythréens du Front populaire de libération de l'Érythrée (FPLE). Le MNS s'apparente plus à une association de clan sujette à des luttes d'influence guère estompées (Compagnon 1992 : 527). Au-delà de l'affirmation de sa volonté d'abattre le régime de Siyad Barre puis d'accéder à l'indépendance, le mouvement n'a jamais formulé ni adhéré à une idéologie précise et depuis la chute du régime de Siyad Barre, en janvier 1991, des affrontements ont déjà opposé les deux principaux clans (les Habr Awal et les Habr Younis) en vue du contrôle des mouvements de marchandises et des taxes portuaires à Berbera.
La migration concerne l'ensemble d'une communauté solidaire
46Si l'on examine la structure des mouvements de population ailleurs dans le monde et plus particulièrement en Afrique, on remarque que le flux de réfugiés dans les pays voisins alimente à son tour une émigration à plus longue distance où les communautés de la diaspora reproduisent les structures claniques de la société, qui constituent autant de relais. Dans le cas de la Somalie, on constate que la grande majorité de l'élite du pays a intégré ces circuits dans l'espoir d'améliorer ses conditions d'existence et d'exercer une activité. Pour la famille restée sur place, cette situation permet de mieux survivre car, dès qu'une personne dispose d'un certain revenu, elle est socialement tenue d'entretenir de nombreuses personnes parentes ou alliées. L'extension et la durée des conflits régionaux tendent à complexifier les filières de contact. Ainsi assiste-t-on à une résurgence des structures sociales primaires à tous les niveaux de la filière car les effets conjugués de la crise économique et de la guerre entraînent un repli sur les valeurs de la famille, du lignage et de la tribu. Le clientélisme qui en découle et qui consiste à la base en un jeu d'emprunts par rapport aux relations sociales possibles sort renforcé, le choix étant d'autant plus restreint en raison du conflit.
47Le phénomène "diasporique" a connu ainsi une forte extension, comme si la formation de réseaux ethniques transnationaux constituait une sorte de réponse à l'instabilité régionale voire mondiale29. Sur le plan économique, cette stratégie clanique semble adéquate face à l'internationalisation de la communication, des échanges de marchandises et de capitaux et face à la mise en place d'une seule "économie-monde" ou de la globalisation des échanges selon les économistes contemporains. Les réseaux de ces diasporas, leur capacité à maîtriser des espaces internationaux, pluripolaires, leur plasticité, leur aptitude à se recomposer face aux fluctuations de la conjoncture locale ou internationale contribuent indiscutablement à alimenter, et souvent même à amplifier, les courants migratoires, réguliers et clandestins. Ainsi, par des chemins plus ou moins opaques circulent en permanence les travailleurs et leurs familles, en même temps que l'information, les marchandises et les capitaux (G. Simon 1991 : 4).
48En Somalie, qu'il s'agisse d'un petit fonctionnaire ou d'un ministre qui détourne un demi-million de dollars ou plus, toute forme de redistribution des gains demeure obligatoire, car c'est une sorte de gage. On reconnaît l'importance sociale et économique de quelqu'un au nombre de personnes qui font antichambre dans sa concession ou sur son lieu de travail pour "exposer leur problème" et demander une aide afin de le résoudre. N'importe quel bureau est encombré de gens qui attendent, des heures, des journées entières, jusqu'à ce que leur oncle ou parent puisse entendre leurs doléances et s'occuper de leur problème. "Et gare à celui qui tenterait de se soustraire à la redistribution..." (Morand 1987 : 3).
49Ce code des relations sociales est impératif. En temps de guerre, il relève des obligations familiales vis-à-vis des réfugiés apparentés d'une part, des obligations sociales, politiques et identitaires par rapport au combat engagé par le mouvement de libération national d'autre part. Il semble particulièrement pertinent de privilégier l'explication selon laquelle ces organisations communautaires sont à même de renseigner et de participer financièrement au périple des demandeurs d'asile ou de contribuer à l'entretien de ceux qui sont en attente. En se déplaçant, réfugiés et migrants permettent de maintenir les liens au sein d'une entité "ethnique" éclatée entre le pays d'origine déstabilisé et sa diaspora. En même temps, les déplacements offrent l'avantage d'une meilleure répartition du poids de l'assistance.
50L'étude des réseaux économiques d'une communauté nous montre à quel point, à côté des marchandises et des flux financiers, il y a la circulation des hommes. Les commerçants actifs dans l'import-export, officiel ou non, le courrier d'un homme d'affaires ou d'une personnalité politique importante, les étudiants, les travailleurs migrants, les familles et les réfugiés constituent la longue chaîne de la circulation des hommes. La dynamique des circuits d'échanges économiques, la persistance des liens de type clanique et les conséquences des catastrophes naturelles ou des conflits sont autant d'éléments forces qui, en se combinant, contribuent à l'accroissement des flux migratoires.
51Paradoxalement, ce sont les groupes les plus insérés dans les structures socio-économiques modernes qui perpétuent les pratiques de solidarités familiales et reconstituent des familles élargies (Antoine & Herry 1983 : 310). Ainsi, ces mêmes groupes accroissent considérablement leur emprise sur l'ensemble de l'activité économique, y compris dans le secteur informel. Ils sont ainsi présents effectivement à tous les niveaux de marché : d'une part, le commerce "moderne" respectant les procédures d'importation et, d'autre part, les circuits d'importations alimentés par les charchari via l'Ethiopie et les pays du Golfe. Par ailleurs, les petites activités marchandes et le commerce de rue en particulier sont des activités très prisées des immigrants : "Le commerce de rue itinérant est pour les migrants une des portes d'entrée dans la vie active en ville, mais c'est aussi une occupation traditionnelle permanente pour de nombreux pauvres" (Lubell 1991 : 97) ; les deux étant généralement étroitement interdépendants. Ces liens peuvent être identifiés à travers les divers "contrats" de fourniture ou de location d'un emplacement qui permettent aux négociants de déborder de leur étal, sans compter l'emprise de certains fonctionnaires plus ou moins tolérants face à l'usage des espaces publics et des patentes nécessaires à l'exercice du négoce.
52Cette étude démontre à quel point le nord de la Somalie, y compris Djibouti, connaît un phénomène de double dépendance financière et commerciale. La forte extraversion économique qui en résulte joue d'abord par rapport aux États de la Péninsule arabique (Arabie Saoudite, Yémen, Oman, Dubaï, etc.) A cela s'ajoute l'aide en provenance des pays du Nord qui n'est pas négligeable. Etant donné le poids de la diaspora dans les échanges et pour aller plus loin dans la réflexion à ce sujet, il conviendrait de s'intéresser de près à l'histoire et aux structures des réseaux commerciaux et financiers mis sur pied par les hommes d'affaires souvent grâce à des liens claniques, lesquels en retour les obligent à offrir un appui au mouvement politico-militaire de libération et une assistance à la communauté.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 La population de la Somalie est estimée à 7,5 millions (PNUD 1992 : 183) dont 1,5 millions d'émigrés et de réfugiés. Les chiffres se répartissent de la manière suivante : Ethiopie entre 500'000 et un million, Kenya 300'000 à 400'000, Yémen 65'000, Djibouti environ 15'000 et 100'000 ailleurs dans le monde, principalement en Europe et en Amérique du Nord (L'NHCR 1992). Tous ces chiffres connaissent des variations significatives selon les sources.
2 Nous nous référons ici aux données des organisations internationales et des ONG dont les principales sont le HCR, le CICR, l'UNICEF, l'agence américaine CARE, et des ONG des pays de la CEE : Médecins sans Frontières, Oxfam et Save the Children Fund.
3 Pour la Somalie on peut voir : R. Appleyard (1989) H. Christensen (1982), G. Melander (1980). Il s'agit de chiffres relatifs aux flux de réfugiés engendrés par la guerre de l'Ogaden (1978), précédée par les déplacements liés aux conséquences de la sécheresse de 1974-75.
4 Terminologie adoptée en janvier 1993, à l'occasion de la XVe Conférence des statisticiens du travail du BIT ; l'abandon du terme "secteur non structuré" a été motivé par un souci d'uniformisation avec l'anglais et l'espagnol.
5 Il existe des communautés issaq dans 17 pays : Arabie Saoudite, Bahrein, Emirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar, Egypte, Yémen, Grande-Bretagne, Allemagne. Suède, Canada, Etats-Unis, Ethiopie, Kenya, Tanzanie, Djibouti.
6 Selon Miller (1982) et Compagnon (1992), les Issaq représentent environ 50 % de l'émigration somalienne. Leur poids est probablement plus accentué en ce qui concerne les avoirs à l'étranger, car le nord du pays, à dominante issaq, concentre l'essentiel des importations somaliennes franco valuta.
7 Un lazariste italien, Giuseppe Sapeto, acheta à un sultan de cette légion pour la somme de 6000 thaler de Marie-Thérèse, le port d'Assab sur la mer Rouge. Assab devint ensuite la propriété privée d'une compagnie de navigation italienne, la société Rubattino, puis fut déclaré colonie italienne en 1882 (Akpan 1987 : 291).
8 En même temps que l'Egypte passait sous tutelle britannique, les Anglais prenaient possession des dépendantes africaines de l'Egypte, en particulier au Soudan où Charles Cordon, gouverneur de Khartoum, fut tué au cours de la prise de la ville par les mahdistes en 1885. Les Anglais ont reconquis méthodiquement le pays entre 1896 et 1899, date de l'instauration du Condominium anglo-égyptien sur le Soudan.
9 Le Traité d'Uccialli (Wuchale), dénoncé par Ménélik II le 27 septembre 1890, recelait une différence d'interprétation entre la version italienne et amharique concernant la reconnaissance de la sphère d'influence italienne et une forme de protectorat en particulier sur la diplomatie abyssine. Cette ambiguïté a été partiellement levée par le traité italo-abyssin signé le 26 octobre 1896, après la défaite d'Adoua (1er mars 1896) qui a coûté la vie à plus de 6 000 hommes du côté italien, sans compter la perte de 11'000 fusils et de toute l'artillerie (56 canons).
10 Si l'on excepte le Libéria, État créé par les noirs américains de retour sur la terre de leurs ancêtres (1822-47).
11 En Ethiopie, l'esclavage fut légalement proscrit en 1942 seulement ; jusqu'ici il a subsisté conformément au code ancestral du Fetha Nagast et cela malgré les accords de diligence passés avec les Britanniques et la législation des colonies côtières. Voir Le Roy 1979.
12 La mer Rouge est ici comprise clans un sens large, la zone comprenant également le golfe d'Aden.
13 J. Janzen (1986 : 46), en l'absence de statistiques spécifiques, fait état d'une estimation officieuse de quelque 300'000 travailleurs somaliens dans les pays du Golfe.
14 Le nombre de réfugiés somaliens installés dans les camps du Hararghe est fluctuant : 380'284 réfugiés recensés par le HCR à la mi-octobre 1988 (Benamar 1988 : 34), 324'808 réfugiés à là mi-août 1989 (Amar 1989 : 18).
15 A fin 1990, le gouvernement somalien a reconnu qu'il souffrait d'une diminution brutale des revenus de "certaines régions" et de la chute des envois d'argent du Golfe. Environ 4000 Somaliens travaillaient au Koweït et plusieurs milliers en Irak. On n'a pas de chiffres exacts en raison du marché noir mais on pense que, vers le milieu des années 1980, quelque 300 millions de dollars par an étaient envoyés en Somalie. La moitié au moins allait au nord et les rebelles du Mouvement national somalien ont également été touchés par la crise. Voir Africa Confidential, 127, 10 décembre 1990, pp. 6-7.
16 Les recensements de 1921, 1931, 1936, 1951, ne comprennent qu'un dénombrement de la population nomade ; seuls les rôles électoraux sont fondés sur un enregistrement nominal (Augustin 1974 et 1975).
17 L'annuaire statistique de Djibouti indique le chiffre de 519'900 personnes (DINAS 1990 : 6) ; il est précisé que ce chiffre est tiré des résultats de l'enquête démographique intercensitaire conduite en mars 1991 par les services du Ministère de l'Intérieur. Selon le PNUD (1992 : 183), ce chiffre s'élèverait à 400'000 en 1990.
18 Origines des anciens nomades interviewés dans le cadre d'une enquête effectée par l'auteur dans le quartier de Balbala, en juillet-août 1991.
19 La politique de la barrière de Djibouti, installée par les Fiançais durant les dix dernières années de l'administration coloniale, suite aux émeutes qui ont éclaté à l'occasion de la visite du général de Gaulle en 1967, sépare la ville du reste du pays par un véritable dispositif de barbelés, complété par la pose de mines. Cette barrière militairement gardée subsista jusqu'à l'indépendance du pays en 1977 et constituait la principale mesure de lutte contre l'immigration clandestine. L'érection de cet ouvrage militaire et les mesures de police en ville ont également contribué a renforcer la volonté d'indépendance, de par leur caractère vexatoire à l'égard des populations autochtones de nationalité française dans une proportion non négligeable.
20 Dès la création de la République de Djibouti – l'indépendance a été accordée quelques mois avant le déclenchement de la guerre de l'Ogaden – le nouvel État se voit contraint d'intégrer de nombreux Somali d'Ethiopie dont un grand nombre d'Issa qui constituent le principal soutien du régime du président Hassan Gouled Aptidon (Issa Mamassan né dans la région de Zeilah).
21 Les MOD (Marehan, Ogadeni et Dolbarante) étaient l'alliance tribale sur laquelle s'appuyait le régime du président Siyad Barre.
22 La Somalie a été admise au sein de la Ligue arabe en 1974, Djibouti en devient membre dés son accession à l'indépendance en 1977.
23 Voir Jamal (1988) ; plus récemment, le taux de change s'élevait à 5000 shillings somaliens pour 1 US$ et 7000 shillings somaliens sur le marché libre (données du 20.8.1991, Union de Banques Suisses, Table des monnaies 1991/92, Zurich. 1991) ; 6200 shillings somaliens selon Save the Children Fund (1992 : 39).
24 La création du MXS a été décidée en Ethiopie et publiquement annoncée à Londres en avril 1981.
25 Ces mouvements civils sont nés à la suite du démantèlement du groupe d'Hargeisa "Ufo", une trentaine de personnalités qui avaient tenté à l'aide de fonds privés de rénover l'hôpital du chef-lieu du nord, dénonçant par cette action l'incurie des autorités de Mogadiscio (Compagnon 1992 : 513 ss).
26 Les anciens quartiers indigènes de la ville coloniale (le magala) sont numérotés de 1 à 7, entre la place Mohamed Harbi (ex-place Rimbaud) et l'oued Ambouli. Les Issaq sont concentrés dans les quartiers 3 et 5.
27 Le 17 mars 1949, le gouvernement français instituait par décret une nouvelle unité monétaire, le Franc Djibouti, attaché au dollar US : parité fixe à l'origine 1 US$ = 214,392 FD, en été 1993 1 US$ = 177,721 FD.
28 Les barèmes des cotisations s'échelonnent entre 2 et 5 % des revenus : un salaire moyen de 60'000 FD équivaut à 2000 FD de cotisation et un salaire plus élevé de 200'000 FD à 10.000 FD. Les personnes percevant un revenu inférieur, notamment le personnel de maison dont le salaire oscille entre 20'000 et 30'000 FD pour ceux qui sont employés par des ménages expatriés, s'acquittaient d'une cotisation mensuelle de 1000 FD. A noter que le SMIG djiboutien est fixé à 15'850 FD correspondant à 40 heures de travail par semaine, montant stationnaire depuis le 1er juillet 1980 (DINAS 1990).
29 Sur le plan économique, comme nous l'avons déjà vu, les filières d'importation de marchandises dans la Corne de l'Afrique sont solidement liées à la diaspora : a) les charchari de Djibouti contournent les droits de douanes : b) le système d'importation franco valuta en Somalie permet de pallier la pénurie de devises.
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