Conclusion générale de la partie I
p. 162-164
Texte intégral
1Nous avons vu que de l’étude générale du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, considéré sous son angle politique, comme dans sa dimension économique et, pour respecter pleinement ce droit lors de la survenance d’une succession d’Etats, la CDI puis la Conférence de 1977-1978 ont porté leur choix sur la règle de la table rase des traités hérités de l’ancienne métropole en faveur des Etats nouvellement indépendants. Cette règle de la table rase ne doit pas être considérée comme une position radicale opposée à toute continuité, car sa formulation moderne et pragmatique, telle qu’elle est conçue par la CDI et la Conférence, donne à l’Etat nouvellement indépendant la possibilité de continuer à être lié par les taités du prédécesseur mais en exigeant de ce nouvel Etat la manifestation de sa volonté. Ceci est la seule condition pour que celui-ci assume la responsabilité des traités de son prédécesseur. Cette règle évite qu’il y ait une succession automatique aux traités, chose à laquelle les Etats nouvellement indépendants se refusent catégoriquement.
2En effet, dans la pratique, comme on l’a vu, les pays nouvellement indépendants n’ont jamais voulu se sentir liés automatiquement par les traités de leur prédécesseur. Ils ont soit accepté d’être liés pour un certain temps1, soit ils ont accepté la continuité sous réserve de dénonciation2 ou de confirmation, soit ils ont procédé à un rejet pur et simple des traités antérieurs.
3En somme, les systèmes de succession que nous avons examinés privilégient la souveraineté de l’Etat nouvellement indépendants par le volontarisme juridique3.
4En outre, il faut préciser que la libre volonté de l’Etat successeur n’est pas la seule a être prise en compte puisqu’elle doit logiquement rencontrer celle de l’autre partie contractante au traité. En effet, cette dernière peut à son tour soit prolonger expressément ou tacitement le traité, soit y mettre fin.
5D’une manière générale, c’est le principe de « l’autonomie de la volonté »4 qui a triomphé au niveau de la Convention de Vienne de 1978 et ceci pour la bonne raison qu’il a fait du consentement souverain de l’Etat successeur (ou d’un Etat tiers) la règle essentielle pour être lié par les traités antérieurs de l’Etat prédécesseur. Ajoutons que cette « autonomie de la volonté » est, comme nous l’avons remarqué, une règle classique à laquelle les gouvernements des pays du tiers-monde ont facilement adhéré car elle ne semble pas du tout porter atteinte à leurs intérêts et à leur souveraineté naissante.
6Comme nous l’avons vu, la seule catégorie de traités où la succession ne dépend pas de la volonté de l’Etat nouvellement indépendant ou de l’autre partie, c’est celle qui concerne les traités de frontières ou autres régimes territoriaux. Si cette exception nous semble fondée, il n’en va pas de même, à notre avis, pour la solution adoptée par la Conférence quant aux sécessions modernes.
7Lors de la seconde lecture du projet en 1974, la CDI a préféré innover dans le sens du développement progressif du droit international en supprimant la distinction entre les sécessions et les dissolutions d’union d’Etats, pour établir à leur égard un régime uniforme de continuité des traités, sous réserve de l’exception mentionnée au paragraphe 3 de l’article 33 du projet définitif. Malgré l’ambiguïté de ce paragraphe, le principe de la table rase était tout de même sauvegardé et la CDI semblait tenir compte de la réalité bien qu’elle innovait dans le sens du développement progressif du droit international.
8Malheureusement la Conférence a agi d’une manière radicale en supprimant l’exception au principe de continuité contenue au paragraphe 3, sous le prétexte injustifié « de l’encouragement aux sécessions ». De ce fait, un net recul a été fait par rapport aux projets de la CDI. La solution de continuité adoptée définitivement à l’article 34 de la Convention de Vienne de 1978 ne correspond pas à la pratique des Etats en matière de sécession.
9Ainsi, comme on l’a déjà dit, l’avenir de cet article nous semble désormais compromis. Cependant, il est à noter que dès le départ la CDI a évité de commettre la même erreur dans le projet sur la « succession dans les matières autres que les traités ». Bien que la Commission se soit surtout référée aux caractéristiques et aux exigences propres au sujet de la succession dans les matières autres que les traités, elle a néanmoins dit que :
«... en ce qui concerne l’unification et la séparation d’Etats, la Commission, tout en appliquant le schéma qui consiste à traiter de ces deux types de succession dans des articles distincts, a jugé qu’il convenait de distinguer en outre entre la « séparation d’une partie ou de parties du territoire d’un Etat », visée à l’article 15, et la « dissolution d’un Etat », qui fait l’objet de l’article 165 ».
10La Conférence qui s’en est suivie est aussi parvenue à une nette distinction entre les « séparations d’une partie ou de parties du territoire d’un Etat » — les sécessions — et les dissolutions d’union6.
Notes de bas de page
1 cf. supra, pp. 104-105 (doctrine Nyerere).
2 cf. supra, p. 105 pour les cas de continuité sous réserve de dénonciation ou de confirmation. Voir aussi notre titre II, p. 61 et s.
3 Signalons au passage que, par exemple, Virally, M. (« Une pierre d’angle qui résiste au temps — Avatar et pérennité de l’idée de souveraineté », in Relations internationales dans un monde en mutation, IUHEI, Genève, 1977, pp. 184-186) mentionne un certain nombre de domaines qui voient l’idée de souveraineté triompher par l’accent mis sur le volontarisme juridique. Ce sont entre autres, « le système des sources (avec l’élaboration nouvelle du principe de l’autonomie de la volonté dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, le succès de la théorie “contractuelle” en matière de coutume internationale... » et « la théorie de l’“Etat nouveau” (tant au point de vue des problèmes de la succession qu’à celui de la soumission de l’Etat “naissant” au droit international ». cf. aussi Colin, J. « Le rôle des Etats nouveaux dans les transformations du droit international (considérations théoriques) », Annales africaines, faculté de droit de Dakar, 1973, pp. 18 et 19.
4 Sur les différentes conceptions de la volonté étatique cf. Tunkin, G.I., Droit international public, problèmes théoriques, Pedone, Paris, 1965, pp. 128-139.
5 cf. ACDI, 1976, vol. ii, 2e partie, p. 119 ainsi que ACDI, 1978, vol. ii, 1e partie, p. 228, § 5.
6 cf. articles 17 et 18 de la Convention de Vienne sur la succession d’Etats en matière de biens publics, d’archives et de dettes. Conférence des Nations Unies sur la succession d’Etats en matière de biens publics, d’archives et de dettes, Vienne 1er mars au 8 avril 1983 (A/CONF.117/14).
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