Préface
p. 7-8
Texte intégral
1Préfacer le présent ouvrage est un grand honneur pour moi. Je l'ai lu et étudié avec passion, en éprouvant le sentiment justifié de m'enrichir, à chaque page, par ma lecture. Je reviendrai plus loin sur le contenu de l'œuvre de J.-L. Maurer ; mais je voudrais d'abord insister sur les qualités de ce livre, né d'un esprit profondément et sincèrement voué à l'étude des pays en voie de développement et à la solution de leurs problèmes. En toutes ses parties l'ouvrage témoigne de l'intérêt viscéral que l'auteur prend à ses recherches. Il les mène avec sympathie et chaleur. Il ne se décourage pas devant certaines constatations affligeantes ; il est, à juste titre, convaincu de la possibilité d'y porter remède ; il pense, en tous cas, que le premier pas, l'approche indispensable, est une étude honnête et approfondie. J.-L. Maurer s'est donné les moyens de la réussite ; il a maîtrisé la langue parlée, il a noué les relations les plus confiantes avec les experts javanais et avec ses informateurs villageois ; il a fait de longs séjours sur le terrain et dépouillé une bibliographie exhaustive. Il sait communiquer au lecteur la joie qu'il a éprouvée à voir vivre les paysans javanais et à comprendre leur mode de vie.
2Grâce à J.-L. Maurer nous pénétrons dans l'intimité de campagnes javanaises. Prenons le village de Tirtonirmolo, près de Yogyakarta, qui a particulièrement retenu l'attention de l'auteur. Le fait brutal, essentiel : le village compte 2 600 habitants par kilomètre carré de surface générale. Cette énorme densité ne se justifie pas par l'industrie ; elle repose fondamentalement sur la riziculture inondée, source de toute l'économie locale. Certes, les conditions naturelles sont propices ; le climat est chaud toute l'année, la saison des pluies est généreuse (mais la saison sèche est bien affirmée) ; dérivés de roches volcaniques, les sols sont fertiles et meubles ; le terroir villageois est une plaine sans obstacle de relief. Cependant, pour atteindre 2 600 habitants par km2 (et les nourrir), il faut à la population des techniques de production intensives et des encadrements corrects. Les techniques de production : il est normal de faire ici trois récoltes de riz en douze mois (ou cinq en vingt-quatre mois) ; cela est possible seulement par un large usage d'engrais chimiques et par une irrigation perfectionnée. Ces techniques de production peuvent être appliquées grâce à des encadrements assurant le bon fonctionnement du réseau d'irrigation, la diffusion des améliorations agricoles, la distribution des semences améliorées, des engrais chimiques et des pesticides, l'activité du commerce.
3Soigneusement analysées par J.-L. Maurer, les techniques de production méritent quelques précisions. L'irrigation d'abord : elle est assurée, à partir d'un barrage, par 2 300 m de canaux principaux, 4 800 de canaux secondaires, 27 000 de canaux tertiaire (sur lesquels se branchent les artérioles desservant les rizières) ; finesse de ce système, en un village qui couvre seulement 460 hectares. Pour mener sur le même sol trois récoltes en douze mois, il faut un calendrier agricole très serré et fidèlement respecté, que le repiquage rend possible : grâce au repiquage l'année agricole compte l'équivalent de quinze mois solaires. Par son agriculture intensive, Tirtonirmolo peut produire plus de riz qu'il n'en consomme et disposer d'un excédent commercial.
4Ainsi s'expliquent les indices, soigneusement relevés par J.-L. Maurer, d'un certain adoucissement de la condition paysanne. Le plus frappant de ces indices : près de la moitié des habitations sont faites de briques, de tuiles et de dalles de terre cuite ; douze pour cent seulement sont entièrement bâties de matières végétales traditionnelles. Bien sûr, le tableau n'est pas idyllique, mais Tirtonirmolo (et bien d'autres villages avec lui) ne connaissent pas la misère qui frappe des terroirs comme le massif calcaire de Gunung Kidul, où l'irrigation est impossible. Tirtonirmolo bénéficie d'autre part de la contiguïté de la grande ville de Yogyakarta, débouché privilégié pour ses divers produits. Mais le croît démographique, soigneusement étudié par J.-L. Maurer, est tel que l'avenir économique pourrait être sérieusement compromis si l'industrialisation ne prenait un élan décisif. La « transmigration » vers les « îles extérieures » ne saurait être d'un grand secours.
5Il faut être reconnaissant à l'auteur d'avoir apporté sur ces sujets, et sur tant d'autres, des analyses approfondies. Son livre mérite le respect, - et une large diffusion.
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Modernisation agricole, développement économique et changement social
Ce livre est cité par
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- Mehdi , BOUCHETARA . Marguerite , WOTTO . Sidi, EYIH . (2021) Les effets de la modernisation du secteur agricole sur la croissance économique : l’analyse comparative des stratégies nationales de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie. Dirassat Journal Economic Issue, 12. DOI: 10.34118/djei.v12i1.1123
Modernisation agricole, développement économique et changement social
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