Conclusions generales
p. 232-236
Texte intégral
1Comme indiqué dans l’introduction de notre étude, nous nous sommes assigné comme but d’examiner le régime juridique des îles en répondant à trois questions : i) Comment définir le terme « île » ? ii) Les îles ont-elles, à l’instar des territoires continentaux, des espaces maritimes propres ? iii) Quelle est l’influence des îles sur la délimitation des espaces maritimes rattachés à d’autres terres, continentales ou insulaires ?
2Au terme de la première partie de notre étude, nous avons abouti à la conclusion que le terme « île » comprend toute fraction de territoire, entourée par la mer, qui reste découverte à marée haute. Cette règle, insérée dans la Convention de 1958 sur la mer territoriale aussi bien que dans la Convention de 1982 sur le droit de la mer, est de nature coutumière. Pour ce qui est des hauts-fonds découvrants, fragments naturels de territoire qui ne restent découverts qu’à marée basse, leur définition est également de nature coutumière. La Convention de 1982 sur le droit de la mer introduit deux nouvelles catégories d’îles, les rochers et les atolls, mais elle omet de les définir ; ce silence nous a obligé à recourir à des critères géographiques et géologiques.
3Dans la deuxième partie de notre étude, nous avons montré que les îles, telles qu’elles ont été définies dans la première partie, ont droit à des eaux intérieures, à une mer territoriale, à une zone contiguë, à une zone économique et à un plateau continental. Cette règle, valable sous le régime de 1958 - sauf en ce qui concerne la zone économique exclusive -a trouvé sa place à l’article 121, chiffre 2, de la Convention de 1982 sur le droit de la mer. Le chiffre 3 de cet article, qui prive de plateau continental et de zone économique les rochers ne se prêtant pas à une vie économique propre ou à l’habitation humaine, sera de nature purement conventionnelle. Les hauts-fonds découvrants, pour leur part, sont privés d’espaces maritimes propres ; ils peuvent cependant influer sur la limite extérieure de la mer territoriale d’une terre découverte en permanence s’ils sont situés à l’intérieur de cette mer. Enfin, les zones de juridiction nationale des atolls et des îles bordées de récifs frangeants sont calculées à partir de la laisse de basse mer sur le récif, du côté large, telle qu’elle est indiquée sur les cartes officiellement reconnues par l’Etat côtier.
4En ce qui concerne l’influence des différentes catégories d’îles sur les limites extérieures des espaces maritimes de l’Etat côtier, nous avons conclu que les îles, hauts-fonds découvrants et archipels côtiers peuvent permettre à cet Etat, dans certaines conditions, de repousser ces limites vers le large. Quant à l’influence des îles sur la délimitation des espaces maritimes entre Etats, les conclusions détaillées figurant à la fin de la troisième partie de notre étude nous dispensent de revenir sur ce problème.
5Il nous reste à formuler, dans le cadre de ces conclusions, quelques observations générales sur l’importance que revêt la question des îles dans le contexte du droit international de la mer. Ce droit consacre actuellement un accroissement considérable de l’emprise de l’Etat côtier sur des zones de juridiction nationale ; la crainte que cette « juridiction rampante » (« creeping juridiction ») n’envahisse la totalité des océans et leur sous-sol au profit uniquement des Etats ayant le pouvoir économique et les connaissances techniques nécessaires pour l’exploration et l’exploitation des ressources maritimes conduisit à une initiative provenant des Etats du Tiers monde, en vue d’arrêter cette juridiction croissante au bénéfice de la communauté internationale dans son ensemble. Après plusieurs années de labeur, la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer a abouti à l’adoption d’une Convention qui partage les mers en deux : d’une part, les zones de juridiction nationale, d’autre part, la haute mer et la Zone internationale, cette dernière comprenant les fonds marins et leurs sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale, c’est-à-dire la limite extérieure du plateau continental. Le régime juridique de cette Zone, qui, avec ses ressources naturelles, constitue le patrimoine commun de l’humanité, fait l’objet de la Partie XI de la nouvelle Convention sur le droit de la mer. Vu le partage des mers, la question de la limite extérieure de la juridiction nationale se révèle être d’une importance considérable : preuve en est la création d’une Commission des limites pour le plateau continental allant au-delà de 200 milles.1
6Or, l’existence de milliers d’îles et d’îlots répandus irrégulièrement dans toutes les mers et les océans a comme conséquence, nous l’avons vu, d’augmenter démesurément les espaces maritimes de juridiction nationale aux dépens de la Zone Internationale. En effet, plus un îlot est petit, plus ses zones maritimes sont exagérément larges par rapport à sa superficie.2 Nous avons vu que des tentatives ont été entreprises pour introduire dans le texte de la nouvelle Convention des critères reposant sur la superficie des îles. Ces tentatives sont restées au stade de propositions, étant donné le caractère arbitraire ainsi que la difficulté de les appliquer aux Etats insulaires indépendants qui consistent soit en une seule petite île soit en plusieurs petites îles et îlots et qui, de ce fait, se sont opposés à l’introduction de tels critères. La Convention n’a retenu que des critères ayant trait à la viabilité socio-économique. Cependant, comme il a déjà été relevé à plusieurs reprises, ces critères ne présentent, eux non plus, aucune constance ni objectivité.
7Une grande partie des différends maritimes internationaux ont trait à la délimitation des espaces maritimes entre Etats dont les côtes se font face ou sont limitrophes. Ce fut là, on se le rappelle, un des problèmes les plus controversés au sein de la Conférence. Actuellement, nombre d’affaires de délimitation maritime sont portées devant les juridictions internationales. Dans la plupart des cas la présence d’îles complique le processus de délimitation. Malgré cette réalité - ou à cause de celle-ci -la délimitation des espaces maritimes entre Etats échappe au système obligatoire de règlement des différends prévu par la nouvelle Convention sur le droit de la mer.3 En effet, aux termes de l’article 298 de la Convention, un Etat peut, au moyen d’une déclaration unilatérale, soustraire aux procédures obligatoires prévues dans la Convention les différends en matière de délimitation4 ; il est contraint, en revanche, d’accepter la soumission de tels différends, nés après l’entrée en vigueur de la Convention, à une procédure obligatoire de conciliation.5 C’était là la seule solution acceptable pour les deux groupes d’Etats qui s’étaient affrontés au sujet des articles de la Convention concernant la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. Ajoutons que cette solution satisfait également les pays de l’Est, traditionnellement réfractaires aux systèmes de règlement juridictionnel obligatoire.
8Il est vrai que le système qui vient d’être décrit comporte l’inconvénient que les recommandations de la commission de conciliation ne sont pas obligatoires pour les parties. Considérée sous cet angle, la procédure de règlement des différends en matière de délimitation est facultative. On peut toutefois soutenir que ce moyen de règlement est particulièrement adapté aux différends de délimitation. En effet, notre examen de la jurisprudence internationale a montré les difficultés que comporte l’application des principes équitables dans chaque cas d’espèce, surtout lorsque les parties ont chargé le tribunal de tracer une limite. En réalité l’application des principes équitables est souvent tributaire de considérations politiques, donc extra-juridiques. Ces dernières seront sans doute mieux appréciées et pesées par les parties elles-mêmes que par un tribunal qui se substituerait à celles-ci. En d’autres termes, le recours à la négociation et à la conciliation, suivi de la conclusion d’un accord basé sur des considérations juridiques aussi bien que non juridiques6, pourrait être plus apte à mettre en œuvre les principes équitables.7
9Quoiqu’il en soit, les parties à un litige de délimitation resteront libres de régler leur différend par un des moyens prévus par la Convention ou en recourant à un organe juridictionnel ad hoc. Dans ce cas, l’organe juridictionnel devra appliquer la règle d’après laquelle la délimitation doit s’effectuer selon des principes équitables. Cette règle repose, en dernière analyse, sur l’idée que la délimitation doit être politiquement acceptable tionaux à tenir compte de considérations d’ordre politique et économique, pour les deux parties. De cette constatation découlent deux conséquences : d’une part, le caractère vague et le manque d’objectivité des principes équitables ; d’autre part, la difficulté qu’éprouvent les tribunaux interna-tout en maintenant qu’ils appliquent le droit. De ce fait, il serait peut-être judicieux que les parties chargent l’organe juridictionnel compétent de dire les principes et les règles, ainsi que de désigner la ou les méthodes de délimitation, sans assigner à cet organe la tâche de tracer la limite proprement dite. Ce seront les parties elles-mêmes qui, après avoir pesé les considérations d’ordre politique, procéderont à l’acte politique qu’est la délimitation.
10En conclusion, il nous faut constater que la question des îles, d’importance mineure en apparence, revêt un intérêt non négligeable du fait qu’elle touche à de multiples questions du droit international de la mer. Notre étude a montré que leur présence a comme résultat d’élargir les zones de juridiction nationale des Etats. Elles sont, de surcroît, au centre d’un grand nombre de litiges maritimes actuels ; elles y sont considérées comme des circonstances spéciales ou des éléments à être pris en considération lors du choix des principes équitables devant aboutir à une délimitation équitable. Cette règle laisse aux Etats une grande marge de discrétion politique ; c’est pourquoi, le recours obligatoire à un moyen politique de règlement des différends, tel qu’il est prévu par la Convention de 1982 sur le droit de la mer, est peut-être à même de fournir des résultats plus satisfaisants que la soumission à une procédure rigide d’un règlement juridictionnel.
Notes de bas de page
1 La création de cette Commission, dont le statut et les fonctions sont définis à l’annexe 11 de la Convention, trouve son origine dans les critères compliqués introduits à l’article 76 de la Convention concernant les limites du plateau continental au-delà de 200 milles. Pour une analyse de ces critères, voir Apollis, Gilbert, L’emprise maritime de l’Etat côtier, Paris, Pedone, 1981, pp. 23-24.
2 En prenant comme base de calcul une zone de juridiction nationale de 12 milles, un îlot d’une superficie de 19,6 milles carrés engendre une zone maritime de 641 milles carrés, alors qu’une île de 2.826 milles carrés a droit à une zone maritime de 2.713 milles carrés, soit approximativement l’équivalent de son territoire. Ely, op. cit., p. 234. Il est évident que ces chiffres s’élèvent à des milliers de milles carrés lors du calcul de la zone économique exclusive et du plateau continental.
3 Tel n’est pas le cas pour les différends sur les limites maritimes, qui restent soumis au règlement obligatoire. Voir en ce sens Caflisch, Lucius, « Le règlement judiciaire et arbitral des différends dans le nouveau droit international de la mer », Festschrift für Rudolf Bindschedler, Berne, Stämpfli, 1980, p. 356.
4 L’article 298, chiffre premier, a la teneur suivante :
« Lorsqu’il signe ou ratifie la Convention ou y adhère, ou à n’importe quel moment par la suite, un Etat peut, sans préjudice des obligations découlant de la section 1, déclarer par écrit qu’il n’accepte pas une ou plusieurs des procédures de règlement des différends prévues à la section 2 en ce qui concerne une ou plusieurs des catégories suivantes de différends :
a) i) Les différends concernant l’interprétation ou l’application des articles 15, 74 et 83 relatifs à la délimitation de zones maritimes ou les différends qui portent sur des baies ou titres historiques, pourvu que l’Etat qui a fait la déclaration accepte, lorsqu’un tel différend surgit après l’entrée en vigueur de la Convention et si les parties ne parviennent à aucun accord par voie de négociations dans un délai raisonnable, de le soumettre, à la demande de l’une d’entre elles, à la conciliation selon la procédure prévue à la section 2 de l’annexe V, et étant entendu que ne peut être soumis à cette procédure aucun différend impliquant nécessairement l’examen simultané d’un différend non réglé relatif à la souveraineté ou à d’autres droits sur un territoire continental ou insulaire. »
5 Par « conciliation obligatoire » on entend une procédure de conciliation qui peut être mise en œuvre unilatéralement mais dont le résultat n’a aucune force obligatoire.
6 Voir en ce sens Rosenne, Shabtai, « Equitable Principies and the Compulsury Jurisdiction of International Tribunals », Festschrift fur Rudolf Bindschedler, op. cit., pp. 418 et ss.
7 La conciliation laisse, en effet, « aux parties le soin de mettre elles-mêmes un terme au différend par un arrangement approprié. » Monnier, Jean, « Le règlement pacifique des différends internationaux, diagnostic et perspectives », Annuaire suisse de droit international, vol. 37, 1981, p. 21.

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