Chapitre IV. Délimitation du plateau continental
p. 143-222
Texte intégral
A) Le droit conventionnel
1. L’article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental
a) Les travaux de la Commission du droit international
1L’article 6, tel qu’il figure dans la Convention de 1958 sur le plateau continental, a la teneur suivante :
« 1. Dans le cas où un même plateau continental est adjacent aux territoires de deux ou plusieurs Etats dont les côtes se font face, la délimitation du plateau continental entre ces Etats est déterminée par accord entre ces Etats. A défaut d’accord, et à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation, celle-ci est constituée par la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun de ces Etats.
« 1. Dans le cas où un même plateau continental est adjacent aux territoires de deux Etats limitrophes, la délimitation du plateau continental est déterminée par accord entre ces Etats. A défaut d’accord, et à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation, celle-ci s’opère par application du principe de l’équidistance des points les plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun de ces Etats.
3. Lors de la délimitation du plateau continental, toute ligne de démarcation établie conformément aux principes mentionnés dans les paragraphes 1 et 2 du présent article devrait être définie par référence aux cartes et aux caractéristiques géographiques existant à une date donnée et il devrait être fait mention de points de repère fixes et permanents à terre. »
2Ce libellé tire son origine des travaux de la Commission du droit international. Le rapporteur de celle-ci, J. P. A. François, avait toujours pensé qu’il était indispensable d’inclure dans le Projet d’articles sur le plateau continental une disposition concernant la délimitation. Son idée initiale, reprise par la Commission dans son Projet de 1951, était que la délimitation devait se faire par accord et que, à défaut d’accord, les Parties devaient être dans l’obligation de recourir à l’arbitrage.137 Le Tribunal arbitral se prononcerait ex aequo et bono. La méthode de la ligne médiane était mentionnée dans le commentaire consacré par la Commission à l’article pertinent comme étant un processus de délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes se font face. Cependant, continuait le commentaire, au cas où des difficultés résulteraient d’une configuration irrégulière de la côte, par exemple, on devrait se référer à une juridiction internationale obligatoire.138
3Comme il a déjà été mentionné, en avril 1953 se réunit à La Haye un comité d’experts auquel la Commission avait posé quelques questions de nature technique.139 Ce Comité proposa l’utilisation de la méthode de la ligne médiane ou de l’équidistance pour la mer territoriale140 et pour le plateau continental. Cependant, dans son Rapport à la Commission, le comité ajouta que
« dans certains cas, cette méthode ne permettra pas d’aboutir à une solution équitable, laquelle devra alors être recherchée dans des négociations ».141
4Tenant compte des recommandations du comité d’experts et d’une proposition présentée initialement par M. Pal et reformulée par le rapporteur, celui-ci suggéra d’inclure dans le Projet un article ayant la teneur suivante :
« Dans le cas où un même plateau continental est adjacent aux territoires de deux Etats dont les côtes se font face, la limite du plateau continental entre ces Etats est, en règle générale et à moins qu’il ne soit autrement convenu entre eux, constituée par une ligne médiane dont tous les points sont équidistants des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des deux pays. »142
5Lors de la discussion de l’article, le rapporteur observa que l’existence d’une « petite île » appartenant à l’Etat A mais située près des côtes de l’Etat B devrait faire échec à la règle de l’équidistance. « Une règle générale est nécessaire », continua-t-il, « mais il est aussi nécessaire de prévoir des exceptions ».143 C’est pourquoi le rapporteur avait proposé l’inclusion des mots « en règle générale ». M. Spiropoulos suggéra de remplacer ceux-ci par les mots « à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation ».144 M. Lauterpacht émit l’avis que l’expression utilisée importait peu et que la Commission ferait mieux de préciser les exceptions à la règle générale au lieu d’abandonner cette tâche à l’organe juridictionnel prévu à l’article du Projet relatif au règlement des différends.145 Dans ce cas, l’arbitre se verrait obligé de juger ex aequo et bono, ce qui allait à l’encontre du désir de la Commission.146 M. Scelle s’exprima dans le même sens.147 En dépit de ces réactions, la Commission adopta la proposition de M. Spiropoulos148, ainsi que l’article 7 dans son ensemble, par 7 voix contre 3, avec une abstention.149 Sa teneur était la suivante :
« 1. Dans le cas où un même plateau continental est adjacent au territoire de deux ou plusieurs Etats dont les côtes se font face, la limite du plateau continental entre ces Etats est, en l’absence d’accord entre eux ou à moins qu’une autre délimitation ne soit justifiée par des circonstances spéciales, la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des deux pays.
2. Dans le cas où un même plateau continental est adjacent aux territoires des deux Etats limitrophes, la limite du plateau continental entre les deux Etats est, en l’absence d’accord et à moins qu’une autre délimitation ne soit justifiée par des circonstances spéciales, déterminée par application du principe de l’équidistance des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des deux pays. »150
6Dans son commentaire au Projet d’articles adopté en 1953, la Commission fit remarquer que,
« comme pour les limites des eaux territoriales, il doit être prévu qu’on peut s’écarter de la règle lorsqu’une configuration exceptionnelle de la côte ou encore la présence d’îles ou de chenaux navigables l’exigent. La règle adoptée est donc dotée d’une certaine élasticité. »151
7Il ressort des discussions de la Commission que les membres de celle-ci ont voulu élever la méthode d’équidistance au niveau d’une règle générale, qui est non seulement « pratique »152et « correcte »153, mais aussi, comme le rapporteur l’a fait remarquer, « la règle générale la plus appropriée »154pour la limite du plateau continental. Cela est d’autant plus évident qu’une proposition de M. Kozhevnikov consistant à prévoir simplement que la délimitation doit se faire par accord et qu’à défaut d’accord le différend doit être soumis à un des moyens de règlement pacifique des différends internationaux a été repoussée par la Commission.155
8La clause des circonstances spéciales était, aux yeux du rapporteur, une « clause échappatoire permettant aux arbitres de dévier de la règle en présence de telles circonstances ».156 Les autres membres de la Commission s’exprimèrent aussi dans le même sens.157
9C’est en 1956 que l’article 7, devenu l’article 72 du Projet de convention, reçut sa forme définitive qui sera d’ailleurs celle de l’article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental. La disposition en cause avait la teneur suivante :
« Article 72
1. Dans les cas où un même plateau continental est adjacent au territoire de deux ou plusieurs Etats dont les côtes se font face, la délimitation du plateau continental entre ces Etats est déterminée par accord entre ces Etats. A défaut d’accord, et à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation, celle-ci est constituée par la ligne médiane dont tous les points sont équidistants des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun de ces pays.
2. Dans les cas où un même plateau continental est adjacent au territoire de deux Etats limitrophes, la délimitation du plateau continental est déterminée par accord entre ces Etats. A défaut d’accord, et à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation, celle-ci s’opère par application du principe de l’équidistance des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de chacun des deux pays. »158
10La priorité est à nouveau donnée à l’accord, dont le contenu est abandonné à la discrétion des Etats ; ceux-ci peuvent donc convenir ce que bon leur semble. Ce n’est qu’à défaut d’accord et à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation que la méthode de l’équidistance est applicable, Cette solution pose le même problème que celui examiné plus haut à propos de la délimitation de la mer territoriale159 : pour que soit applicable la deuxième phrase des chiffres 1 et 2 de l’article 72, il faut qu’un accord de délimitation fasse défaut entre les Etats intéressés. Dans ce cas la ligne médiane ou d’équidistance formera la limite, à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation. Or, la constatation de l’existence de circonstances spéciales présuppose un accord entre les Etats conformément à la première phrase des chiffres 1 et 2 de l’article 72160, accord auquel des Etats n’ont pas pu parvenir. On comprend toutefois que la Commission n’attachait pas une grande importance à ce problème, car elle avait introduit dans son Projet d’articles une disposition instituant un mécanisme international de règlement des différends.161
b) Les travaux de la Première Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (1958)
11La question de la délimitation du plateau continental fut reprise par la Quatrième Commission de la Première Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer. La référence aux circonstances spéciales fit l’objet d’une discussion prolongée au cours de laquelle certains Etats, la Yougoslavie162 et les Pays-Bas163 par exemple, proposèrent de supprimer purement et simplement cette référence. Ces propositions furent rejetées, de nombreux Etats, - l’Iran164, le Venezuela165, l’Italie166, les Etats-Unis167, le Canada168 et le Ceylan169 - s’étant exprimés en faveur du maintien de la clause des circonstances spéciales.
12La discussion en Commission fait ressortir que les Etats étaient soucieux d’alléger la rigidité de la règle de l’équidistance par le biais des circonstances spéciales, en vue d’aboutir à des délimitations équitables.170 La discussion fait également apparaître un certain souci de préciser la notion de circonstances spéciales. Voici l’intervention du représentant du Royaume-Uni sur ce point :
« Au nombre des circonstances spéciales dont il pourrait y avoir lieu de tenir compte, on peut mentionner par exemple l’existence d’une île, petite ou grande, dans la zone à répartir. Il [le représentant du Royaume-Uni] suggère que, pour tracer une ligne de démarcation, on tienne compte de l’étendue des îles171 et que l’on ne prenne pas comme points de départ pour mesurer la mer territoriale les très petites îles et les bancs de sable situés sur un plateau continental continu et en dehors de la mer territoriale, qui possèdent uniquement une mer territoriale appropriée...
... Dans tous les cas de ce genre, une déviation de la ligne médiane pourra se justifier, mais cette ligne constituera, même alors, le meilleur point de départ pour les négociations. »172
13Selon le représentant des Etats-Unis, qui prit la parole pour appuyer ce que le représentant britannique venait de dire, « la grande diversité de superficie, de groupement et de position des îles » fait qu’
« [i]l serait impossible soit de les inclure toutes dans le plateau continental, soit de les en exclure, et qu’il y a lieu de considérer chaque cas en particulier... ».173
14D’autres Etats, en revanche, adoptèrent des positions plus absolues : ce fut notamment le cas de l’Italie174 et de l’Iran175 qui proposèrent d’ignorer fa présence d’îles lors de la délimitation du plateau continental. Les deux propositions furent rejetées à une grande majorité.176 Ce rejet confirme l’idée selon laquelle, dans l’esprit des membres de la Quatrième Commission, les îles devraient, en principe, être prises en considération lors du tracé d’une ligne d’équidistance dans le cadre de l’article 6.177 Celui-ci fut adopté textuellement tel qu’il figurait dans le projet de Convention proposé par la Commission du droit international.
15Les discussions menées au sein de la Commission autant que celles de la Première Conférence de 1958 démontrent que, dans l’esprit des auteurs de l’article 6 la méthode de l’équidistance aboutit en principe à des résultats équitables. Ce n’est qu’exceptionnellement, lorsque des circonstances spéciales (notamment la présence d’îlots ou d’autres éléments) l’exigent, qu’on doit avoir recours à une autre méthode de délimitation. La règle est que la délimitation du plateau continental doit se faire selon la méthode de l’équidistance, l’exception des circonstances spéciales ayant été introduite pour éviter les résultats parfois inéquitables auxquels pourrait aboutir une application rigide de la règle.178 Comme on le verra plus loin179, cette interprétation n’a pas été partagée par le Tribunal franco-britannique en l’affaire de la Délimitation du plateau continental.
2. Accords bilatéraux de délimitation du plateau continental
a) Accords bilatéraux entre Etats Parties à la Convention de 1958 sur le plateau continental
16L’objet de cet examen est d’établir comment les Etats Parties à la Convention de 1958 sur le plateau continental ont traité les îles dans leurs accords de délimitation. En concluant de tels accords, ces Etats se sont fondés soit sur le chiffre 1, soit sur le chiffre 2 de l’article 6, selon qu’il s’agissait de côtes se faisant face ou limitrophes. C’est la raison pour laquelle notre examen comportera deux rubriques : la première concernera la pratique des Etats dont les côtes se font face, la seconde celle des Etats dont les côtes sont limitrophes.
i. Etats dont les côtes se font face
17Nombre d’accords bilatéraux ont été conclus entre les pays riverains de la mer du Nord. Le dénominateur commun de ces accords est, en ce qui concerne les îles, qu’ils prévoient tous une ligne médiane180 tracée à partir des points situés sur la terre ferme aussi bien que sur des îles. Ainsi, dans un Accord du 10 mars 1965, le Royaume-Uni et la Norvège ont tracé une ligne médiane à partir des lignes de base droites norvégiennes incorporant les archipels côtiers norvégiens ainsi que les îles Orkney et Shetland du côté britannique. Toutes les îles de part et d’autre ont été prises en considération pour le tracé de la ligne médiane, alors que la fosse norvégienne a été ignorée.181
18L’Accord du 6 octobre 1965 entre le Royaume-Uni et les Pays-Bas, entré en vigueur le 26 décembre 1966 et modifié par le Protocole du 25 novembre 1971182, prévoit une ligne médiane tracée entre les points saillants de la côte britannique et ceux de la côte néerlandaise, cette dernière comprenant les îles frisonnes de Texel, Vlieland et Terschellung.183
19L’Accord du 8 décembre 1965 entre la Norvège et le Danemark prévoyait une ligne médiane dont chaque point est équidistant des points les plus proches des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale des deux pays.184 La fosse norvégienne est ignorée, alors que les archipels norvégiens sont pris en considération, puisque c’est à partir de ceux-ci que la Norvège mesure sa mer territoriale.
20L’Accord du 20 mai 1965 entre la Finlande et l’Union soviétique concernant la délimitation de la mer territoriale et du plateau continental dans le Golfe de Finlande trace une ligne médiane exacte à partir de la terre ferme et des îles de part et d’autre. Ainsi, la ligne dévie pour laisser une partie de plateau continental à Suursaari, île soviétique située à l’endroit où passerait la ligne médiane si l’île n’existait pas.185
21Un autre Accord fut conclu entre les deux pays le 5 mai 1967 concernant la délimitation du plateau continental dans la partie nord-est de la mer Baltique au prolongement du Golfe de Finlande. Cet Accord prévoit lui aussi une ligne médiane tracée entre les promontoires des deux côtes et les îles de part et d’autre.186
22C’est une ligne médiane ajustée que le Canada et le Danemark ont adopté, dans l’Accord du 17 décembre 1973, pour délimiter le plateau continental entre les îles canadiennes arctiques et le Groenland.187 Dans le détroit de Nares et dans Robinson Channel, la limite n’est pas équidistante ; la souveraineté sur l’île de Hans, située au milieu du chenal, étant revendiquée par les deux Etats, la ligne est interrompue dans la région où se trouve cette île.188
23L’Accord du 29 septembre 1972 entre la Finlande et la Suède concernant la délimitation du plateau continental dans le Golfe de Bothnie nous apprend ce que les Parties entendent par « circonstances spéciales » au sens de l’article 6 de la Convention de 1958. L’article premier de cet Accord dispose que la ligne de délimitation du plateau continental entre les deux Etats sera en principe formée par une ligne médiane tracée depuis les lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur des mers territoriales de ces Etats. Cependant, certaines exceptions à ce principe ont été admises pour tenir compte des frontières fixées partiellement en 1811 (après la paix de Fredriksham), partiellement par la Convention du 20 octobre 1921 concernant la non-fortification et la neutralisation des îles d’Aaland.189 C’est précisément ces deux anciennes frontières que les Parties ont considérées comme circonstances spéciales qui justifient une dérogation à la ligne médiane adoptée en principe pour la limite du plateau continental. Par conséquent, dans la région des îles d’Aaland, la limite n’est pas une ligne médiane mais elle suit la limite extérieure de la mer territoriale des îles d’Aaland, placées sous souveraineté finlandaise.
24Le 28 mars 1978, un Accord fut conclu entre les Etats-Unis et le Venezuela afin de délimiter le plateau continental dans la partie orientale de la mer des Caraïbes190, entre la côte septentrionale du Venezuela et quelques possessions américaines (Porto-Rico, Iles Vierges, Ile Sainte-Croix). « Conscientes du besoin d’établir une limite maritime précise et équitable »191, les Parties ont tracé une ligne qui n’est pas médiane, mais qui prend en considération les îles de part et d’autre. Il est à noter que les îles américaines sont complètement isolées du territoire de leur métropole.
ii. Etats dont les côtes sont limitrophes
25Il ne semble exister, à cette date, aucun accord de délimitation où il soit question d’îles entre Etats Parties à la Convention de 1958 dont les côtes sont limitrophes. Cela est dû au fait qu’il n’y a pas d’îles dans la région de la délimitation192, soit que les îles n’affectent que la délimitation de la mer territoriale.193
Appréciation
26La pratique qui vient d’être examinée se situe dans le cadre de l’application de l’article 6 de la Convention sur le plateau continental, et uniquement en ce qui concerne les Etats dont les côtes se font face. Elle montre qu’en règle générale, les Etats - surtout ceux qui sont riverains de la mer du Nord - ont adopté la méthode de l’équidistance et pris en considération les îles. Un cas de délimitation par accord témoigne que les Etats contractants ont considéré comme circonstances spéciales des frontières établies précédemment par convention : dans ce cas, celles-ci ont été respectées lors du tracé de la limite du plateau continental.
b) Accords bilatéraux entre Etats qui ne sont pas Parties à la Convention de 1958 sur le plateau continental
i. Etats dont les côtes se font face
27Par le Traité de 1942 concernant la délimitation des espaces sous-marins du Golfe de Paria, le Royaume-Uni (agissant pour la Trinité) et le Venezuela ont convenu d’une ligne médiane approximative dans ce Golfe. Etant donné l’exiguïté de cette région maritime, la ligne ainsi fixée correspond à la limite extérieure de la mer territoriale mesurée à partir de la terre ferme et de l’île de la Trinité ainsi que d’autres petits îlots situés sur les points d’entrée du Golfe de Paria et à son intérieur.194
28L’Accord du 22 février 1958 entre le Bahrein et l’Arabie Saoudite, qui ne sont pas devenus Parties à la Convention sur le plateau continental, intervint juste avant l’adoption de celle-ci. Il mentionne expressément la ligne médiane comme principe ayant inspiré la délimitation du plateau continental entre les deux Etats.195 La caractéristique principale de cet Accord est qu’il donne plein effet à des îles importantes alors qu’il ignore les îlots et rochers de part et d’autre de la limite. Deux de ces îlots, Lubaïnah Al-Kabirah (appartenant à l’Arabie Saoudite) et Lubaïnah Al-Saghira (appartenant à Bahrein), sont situés presque sur la ligne de délimitation. La ligne traverse le point le plus oriental de la côte du premier îlot et le point le plus occidental du second, ce qui revient à dire que ces deux îlots sont privés de mer territoriale aux endroit où passe la ligne.196 En revanche l’île saoudienne Kaskus et les îles de Bahrein Khor Fasht, Jazira Umm Násan et Fasht al Jarim sont prises pleinement en considération.
29Dix ans plus tard, le 24 octobre 1968, l’Iran et l’Arabie Saoudite conclurent un Accord concernant la souveraineté sur les îles Arabi et Farsi, contestées entre les deux pays, ainsi que sur la délimitation du plateau continental dans le Golfe Persique.197 L’Accord attribue l’île Arabi à l’Arabie Saoudite et l’île Farsi à l’Iran. Une fois ce problème de souveraineté réglé, les deux Etats convinrent que chaque île devait posséder une mer territoriale de 12 milles mesurée à partir de la laisse de la plus basse marée. Aux endroits où les mers territoriales respectives se chevauchent, une ligne médiane constitue la limite. Au nord et au sud des deux îles, la limite est une ligne équidistante très approximative. Alors que la délimitation dans la partie sud ne posa aucun problème, celle dans la partie nord fut compliquée par la présence de l’île de Khârk, appartenant à l’Iran et située à 16 milles de la côte iranienne.198 Finalement, on décida d’adopter, puis de modifier légèrement une ligne qui avait déjà été établie par un Accord conclu entre les deux pays le 15 décembre 1965, mais non ratifié par l’Iran ; cette ligne donnait à Khârk ce qu’on appelle un demi-effet.199 Selon le Géographe du Département d’Etat des Etats-Unis, une ligne de demi-effet est une bissectrice de l’angle formé par 1) une ligne équidistante tracée entre la masse continentale saoudienne et l’île de Khârk (ligne de plein effet) et 2) une ligne équidistante construite à partir des deux masses continentales saoudienne et iranienne en ignorant Khârk (ligne de nul effet).200
30Le 8 janvier 1968, la Yougoslavie et l’Italie conclurent un Accord pour délimiter leur plateau continental dans l’Adriatique.201 Les deux Etats convinrent que la limite serait en principe formée par une ligne médiane. Cependant, l’établissement de cette ligne devait se révéler compliqué en raison de l’existence de plusieurs petites îles yougoslaves situées soit près des côtes yougoslaves, soit au milieu de la mer Adriatique, à proximité de la ligne médiane. Des concessions mutuelles furent faites, et l’Italie réussit à obtenir une ligne plus favorable que celle qui aurait résulté d’une prise en considération de toutes les îles yougoslaves. La première caractéristique de la ligne ainsi établie est que, en principe, elle tient compte des îles qui se trouvent du « bon côté » de la ligne médiane, surtout lorsqu’elles sont situées près des côtes yougoslaves. Ainsi, les deux segments extrêmes de la ligne sont équidistants par rapport aux îles yougoslaves et la masse continentale italienne. Le segment central de la ligne, en revanche, n’est pas tracé selon la même méthode : les petites îles yougoslaves de [abuka et Andrija ont été ignorées en tant que points de base à partir duquel une ligne médiane pourrait être tracée. Les deux îles yougoslaves Pelagruz et Kajola, sur lesquelles des phares ont été construits, sont entourées d’une zone de 12 milles marins ; cette zone ne correspond pas à la largeur de la mer territoriale, la Yougoslavie ayant une mer territoriale de dix milles, et l’Italie de six milles.202 Dans le voisinage des deux îles, la ligne de délimitation fait donc une saillie du côté de l’Italie ; étant donné que la saillie causée par les deux îles correspond à une zone de 12 milles entourant celles-ci, la ligne n’est pas équidistante. De son côté, l’Italie renonça à tenir compte de la petite île italienne de Pianosa. Voilà donc une ligne qui prend en considération les îles de diverses façons, allant du plein effet à l’effet nul et passant par un effet partiel.
31Le 20 septembre 1969, l’Iran et le Qatar conclurent un Accord sur la délimitation de leur plateau continental dans le Golfe Persique, accord dans lequel les Parties convinrent de délimiter ce plateau continental « d’une manière juste, équitable et exacte ».203 La ligne convenue est une ligne médiane qui ignore toutes les îles de part et d’autre et qui consiste donc en des points qui sont équidistants par rapport aux masses continentales des deux Etats. Il s’agit, à notre connaissance, de la seule ligne de délimitation à ignorer toutes les îles.
32La limite du plateau continental entre la Malaisie et l’Indonésie fut établie par l’Accord du 27 octobre 1969.204 En fait, il s’agit de trois délimitations séparées, dont deux seulement sont des délimitations entre Etats dont les côtes se font face. Une troisième, effectuée dans la mer de Chine du Sud, est une délimitation entre Etats dont les côtes sont limitrophes et sera, par conséquent, examinée en temps voulu.205 Nous étudierons ici la délimitation du plateau continental entre les deux Etats dans des régions où leurs côtes se font face. Il s’agit des deux segments de la limite entre le détroit de Malacca et dans la mer de Chine du Sud. En vue de se placer sur un pied d’égalité avec l’Indonésie, qui avait établi des lignes de base droites en 1960, la Malaisie en a construit aussi.206 Dans le détroit de Malacca, on a établi ensuite une ligne qui partage en deux les eaux du détroit ; cette ligne a été construite à partir des lignes de base droites qui prennent en considération les îles du dédroit des deux côtés. Dans la région du détroit de Singapour et de la mer de Chine du Sud, la limite est formée par une ligne passant entre les îles malaisiennes et indonésiennes. Ces dernières, nombreuses et éloignées du territoire principal de Bornéo, sont en effet toutes englobées dans le tracé des lignes de base droites indonésiennes, ce qui fait qu’il en est également tenu compte pour la limite du plateau continental.207 Cette limite est cependant une ligne qui partage en deux et non pas une ligne médiane géométrique véritable.
33Le 20 août 1971, l’Italie et la Tunisie conclurent un Accord délimitant leur plateau continental dans la mer Méditerranée.
34L’article premier de cet Accord stipule que
« [l]a délimitation du Plateau Continental entre les deux pays est constituée par une ligne médiane dont tous les points sont équidistants des points les plus proches des lignes de base à partir desquelles sont mesurées les largeurs des mers territoriales de l’Italie et de la Tunisie en tenant compte des îles, îlots et hauts-fonds découvrant à l’exception de Lampione, Lampedusa, Linosa et Pantelleria. »208
35L’article II établit la limite dans le voisinage de ces îles italiennes, dont deux sont situées à proximité de la ligne médiane et deux « du mauvais côté » de celle-ci. Les îles Pantelleria, Lampedusa et Linosa sont entourées d’une zone de 13 milles marins dont la limite extérieure forme la limite du plateau continental aux endroits où sont situées ces îles. Pour l’île de Lampione - moins importante que les trois autres - une zone de 12 milles marins est prévue. A l’époque de la conclusion de l’Accord, l’Italie et la Tunisie réclamaient une mer territoriale de six milles.209 Ainsi, la limite consiste en une ligne équidistante qui tient compte des îles, îlots et hauts-fonds découvrant210 sauf dans le voisinage des quatre îles mentionnées à l’article premier. A ces endroits, elle forme deux saillies du côté tunisien pour placer les îles du côté italien de la ligne. Il est clair, par ailleurs, que la largeur des zones de 13 et 12 milles entourant ces îles est supérieure à celle d’une simple mer territoriale, les îles en question s’étant vu attribuer, en plus d’une mer territoriale de six milles, une zone de plateau continental de sept et six milles.
36L’Accord du 25 novembre 1971 entre le Royaume-Uni et la République fédérale d’Allemagne, entré en vigueur le 7 décembre 1972, opère une délimitation qui s’écarte de la ligne médiane211, tracée à partir de points situés sur la côte anglaise, d’une part, et, de l’autre, sur la côte de Borkum, île située au large de la côte allemande.212
37La limite maritime entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle Guinée, d’une part, et l’Indonésie d’autre part, dans le détroit de Torrès sera examinée plus loin, car elle concerne la délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes sont limitrophes.213 Mais la plus grande partie de la délimitation, entre la mer d’Arafura et celle de Timor, intéresse deux Etats dont les côtes se font face. Dans cette région, il s’agit d’un seul et même plateau continental au sens géomorphologique du terme. Ce plateau fut partagé entre les deux pays par une ligne tracée selon la méthode de l’équidistance, mais modifiée en raison des données géographiques et géologiques de la région. Il est difficile d’établir exactement de quelle façon on a tenu compte des îles ; il est toutefois certain qu’on l’a fait, du moins partiellement. Parmi ces îles, celles de l’Indonésie sont irrégulièrement dispersées au nord de la ligne dans la mer d’Arafura.
38La partie occidentale de la frontière dans la mer de Timor a été fixée par un Accord ultérieur du 9 octobre 1972.214 Il semble s’agir d’une ligne qui a été tracée en principe selon la méthode de l’équidistance mais qui, pour tenir compte de certaines concessions pétrolières australiennes et des accidents du sol maritime, dévie du côté indonésien. Les îles, abondantes dans la région - en l’occurrence il s’agit de certains petits archipels appartenant à l’Australie, éloignés de la masse continentale australienne - ont été prises en considération, puisque ce sont elles qui constituent les points de base pour le tracé de la limite.
39Par l’Accord des 26/28 juin 1974 entre l’Inde et le Sri Lanka, les deux Etats tracèrent leur frontière dans les eaux historiques de la Baie de Palk.215 L’attribution du grand nombre d’îles situées dans cette Baie posa des problèmes considérables. Il fut finalement décidé d’établir une ligne médiane approximative et d’attribuer à chaque Etat Partie la souveraineté, la juridiction exclusive et le contrôle sur les eaux, les îles et le plateau continental situés de son côté de la frontière. Le problème de l’île de Kachativu, qui est sise du côté cinghalais de la frontière mais qui semble servir de lieu de pèlerinage et de pêche traditionnel pour les Indiens, a été résolu par l’article 5 de l’Accord : le Sri Lanka s’engage à accorder libre accès aux pêcheurs et pèlerins indiens pour visiter Kachativu comme par le passé, sans les obliger à se procurer des documents de voyage ou des visas à cette fin.
40L’entrée sud de la Baie de Palk est bordée d’un petit archipel, Adams Bridge. Les deux îles de cet archipel constituent les points d’entrée naturels de la Baie : l’île de Pamban du côté de l’Inde, celle de Mannar du côté cinghalais. Le point terminal de la limite est équidistant de ces deux îles, alors que le reste de l’archipel Adams Bridge est divisé en deux et les îles de part et d’autre reviennent, selon l’article 4 de l’Accord, au pays du côté duquel elles sont situées ; elles ne sont pas utilisées comme points de base pour le tracé de la ligne médiane. Par un Accord ultérieur daté du 23 mars 1976, cette frontière a été prolongée vers le sud jusqu’au Golfe de Mannar et vers le nord jusqu’à la Baie de Bengal. Les deux prolongations sont tracées à partir de petites îles et de hauts-fonds découvrants et sont approximativement équidistantes.216 Comme pour le point final de la ligne tracée par l’Accord de 1974, les îles Adams Bridge ne sont pas prises en considération pour le tracé de la ligne d’équidistance.
41Le 31 août 1974, l’Iran et les Emirats Arabes Unis (Dubai) ont signé un Accord concernant la délimitation du plateau continental dans le Golfe Persique. Dans le préambule de cet Accord, les deux Parties expriment leur désir d’établir une frontière juste, équitable et précise.217 La tâche de tracer une ligne de délimitation était compliquée par la présence de nombreuses îles dont la souveraineté était parfois contestée entre les deux Etats. La situation géographique de ces îles est d’ailleurs très variée : tantôt elles se trouvent près des côtes, tantôt au milieu du Golfe dans le voisinage d’une ligne médiane. Les Parties ont finalement arrêté une ligne qui est tracée approximativement selon la méthode de l’équidistance. L’île disputée d’Abu Musa n’est pas prise en considération, alors que, dans les parages de l’île iranienne de Sirri, la ligne fait une saillie du côté des Emirats, saillie qui correspond à la limite extérieure d’une mer territoriale de 12 milles mesurée à partir de cette île. L’île Sir Abù Nu’ayr (appartenant à Sharjah) et l’île de Sirri sont toutes deux utilisées comme points de base pour le segment oriental de la ligne.
42L’Accord du 8 août 1974 entre l’Inde et l’Indonésie relatif à la délimitation du plateau continental dans le Grand Chenal entre les Iles Nicobar et l’île de Sumatra prévoit une ligne approximativement équidistante entre les promontoires sur les côtes des grandes îles et des petits îlots situés au large des côtes. Il n’existe pas d’îles situées aux parages de la ligne de délimitation. Il faut souligner que l’archipel de Nicobar est très éloigné des côtes continentales de l’Inde (700 milles) et relativement proche de l’île de Sumatra (90 milles) ; en d’autres termes, il est situé « du mauvais côté » de la ligne médiane mesurée à partir des côtes continentales (pour l’Indonésie à partir des côtes des plus grandes îles) des deux pays.218
43L’Accord du 30 janvier 1974 entre le Japon et la République de Corée219 prévoit une ligne partiellement équidistante mesurée à partir des îles, îlots et rochers dont la souveraineté n’est pas contestée entre les deux Etats. Ainsi, l’importante île japonaise de Tsushima, qui se trouve « du mauvais côté » de la ligne médiane, est prise en considération dans sa totalité : la ligne de délimitation passe donc par le milieu du détroit de Corée (entre l’île et la côte coréenne) et non pas dans le détroit de Tsushima (entre l’île et la côte japonaise). En revanche, au nord du détroit, vers la mer du Japon, la limite n’a pas pu être établie en raison du différend concernant la souveraineté sur les rochers Liancourt (ou Takashi-ma)220, situés à environ 60 milles des deux côtes, sur une ligne imaginaire prolongeant la limite définie dans l’Accord de 1974.
44Par l’Accord du 19 février 1974221, l’Italie et l’Espagne ont délimité leur plateau continental dans la Méditerranée entre l’île de Minona et la Sardaigne. Alors que les deux Parties utilisent des lignes droites pour définir la limite extérieure de leur mer territoriale, il semble que la ligne médiane, prévue par l’article 1, chiffre 1, de l’Accord est tracée à partir des points sur les côtes proprement dites des deux îles.
45Toujours dans la Méditerranée, l’Italie et la Grèce conclurent le 24 mai 1977 un Accord sur la délimitation des zones du plateau continental propres à chacun des deux Etats.222 Le principe adopté est celui de la ligne médiane. Celle-ci est tracée à partir de la masse continentale italienne, d’une part, et des îles ioniennes grecques, de l’autre.
46Depuis l’accès à l’indépendance de la Papouasie-Nouvelle Guinée, en 1975, un différend a surgi entre cet Etat et son prédécesseur, l’Australie, concernant la délimitation des espaces maritimes dans le détroit de Torrès. Cette région est parsemée d’îles, îlots, rochers et récifs, dont la plupart sont inhabités et en pleine évolution, et dont la souveraineté était contestée par les deux Etats. Parmi ces îles, celles de Boïgu, Daunau et Saïbaï, faisant partie de la province australienne de Queensland et habités par environ 700 habitants de race distincte, ni guinéenne ni australienne, sont situées à quelques kilomètres seulement des côtes de la Papouasie-Nouvelle Guinée.223 Les habitants de ces îles sont lourdement tributaires de la pêche traditionnelle dans les eaux avoisinantes, d’une écologie extrêmement délicate.
47Les problèmes issus de cette situation compliquée ont été résolus par le Traité du 18 décembre 1978 concernant la souveraineté, la délimitation des espaces maritimes dans la région qui s’étend de la mer d’Arafura jusqu’à la mer de Corail, y compris le détroit de Torrès, et des questions connexes.224
48Dans son article 2, le Traité résoud en premier lieu le problème de la souveraineté sur les îles et récifs : la Nouvelle Guinée reconnaît la souveraineté australienne sur certains récifs expressément mentionnés, dont East Cay, Anchor Cay, Bramble Cay, Pearce Cay, et les îles Kaumag, Saïbaï, Daunau, Turnagain, Boïgu, Aubusi, Deliverence, Kerr ainsi que Turu Cay. Ces récifs sont situés au nord de la limite du plateau continental convenue à l’article 4 du Traité et à laquelle nous reviendrons plus loin. L’article 2 ajoute que l’Australie a également la souveraineté sur toutes les îles situées au sud de cette ligne. Le même article prévoit que la Papouasie-Nouvelle Guinée a la souveraineté sur trois îles situées très proches de son territoire : Kawa, Mata Kawa et Kussa, ainsi que sur toutes les îles situées au nord de la limite du plateau continental.
49Cette limite est une ligne en principe médiane, qui ignore la présence des îles australiennes qui sont nommément mentionnées à l’article 2 du Traité. Celles-ci reçoivent cependant une mer territoriale de trois milles, largeur revendiquée par l’Australie, dont la limite extérieure est calculée à partir des points sur les lignes de base fixés par le Traité. Ainsi, les îles australiennes sont des enclaves sur le plateau continental de la Papouasie-Nouvelle Guinée. Comme nous verrons sous la rubrique consacrée à la délimitation de la zone économique exclusive, une limite différente a été fixée par le Traité pour les zones de pêche des deux pays.225

La délimitation des régions sous-marines et de la zone de pêche dans la région du détroit de Torrès, telle qu’elle a été fixée par le Traité de 1978 entre l’Australie et la Papouasie-Nouvelle Guinée. Source : Burmester, op. cit., p. 335.
Appréciation
50Les accords qui viennent d’être examinés prévoient, dans une grande majorité, une ligne médiane comme limite du plateau continental entre Etats dont les côtes se font face. Ceci dit, la manière dont sont traitées les îles lors du tracé de la limite sont fort diverses. Quelques remarques très générales pourraient néanmoins être émises.
51La première remarque est que les îles qui sont comprises à l’intérieur du tracé des lignes de base droites sont prises en considération pour le tracé de la limite du plateau continental, lorsque cette limite est comptée à partir de ces lignes de base.226
52Les îles sises à grande proximité des côtes de l’Etat auquel elles appartiennent (il n’est pas possible de dire à quelle distance, ni de préciser si elles sont situées à l’intérieur de la mer territoriale), sont en principe prises en pleine considération pour le tracé de la limite.227
53Celles qui sont sises « du bon côté de la ligne médiane », mais non nécessairement très près de l’Etat auquel elles appartiennent, ont en principe été prises en considération ; plus rarement elles ont été ignorées lors du tracé de la limite, mais il s’agissait alors d’une solution de contre-balancement (« trade-off solution ») ; cette solution n’est possible que si les deux Etats possèdent des îles, et que si tous deux consentent à les ignorer.228
54Les îles qui, si elles étaient ignorées, seraient situées dans le champ de la ligne médiane, se sont parfois vu attribuer nul effet lors du tracé de celle-ci.229 Cependant, dans la plupart des cas, ces îles bénéficient de zones limitées de mer territoriale et de plateau continental qui, dans tous les cas examinés plus haut, ne sont pas moindres de 12 milles marins.230
55Enfin, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les îles situées « du mauvais côté de la ligne médiane » sont tantôt prises pleinement en considération231, tantôt prises partiellement en considération232, tantôt ignorées.233
ii. Etats dont les côtes sont limitrophes
56L’Echange de notes du 26 avril 1960 entre la France (agissant pour le Sénégal) et le Portugal (agissant pour la Guinée-Bissau) définit la limite de la mer territoriale234 et du plateau continental entre ces deux territoires africains. La ligne n’est pas équidistante et on ne semble pas avoir tenu compte, pour le tracé de la limite, des îles situées à proximité de la côte guinéenne.235
57Le 20 mars 1969, Abu Dhabi et le Qatar conclurent un Accord relatif à la définition des frontières maritimes et à la souveraineté sur les îles dans le Golfe Persique.236 Les deux Parties convinrent d’attribuer l’île Daiyina à Abu Dhabi (article 1) et celles de Lasahat et Shura’awa au Qatar (article 2). Elles précisèrent ensuite qu’aucun des deux Etats n’avait le droit de revendiquer les îles de l’autre côté de la limite conventionnelle (article 3). La partie de celle-ci qui est située au-delà de la mer territoriale des deux Etats a une longueur de 115 milles marins ; elle consiste en des segments de lignes droites, sauf là où elle forme une boucle pour placer l’île de Daiyina, située presque sur la ligne, du côté d’Abu Dhabi. La déviation de la ligne correspond à un arc de trois milles marins autour de cette île (largeur de la mer territoriale d’Abu Dhabi). Alors que Daiyina ne bénéficie que d’une mer territoriale de trois milles, d’autres îles, situées des deux côtés de la limite, ont servi de points de base pour le tracé de celle-ci. En effet, la limite est équidistante des îles Arzánah (Abu-Dhabi) et Shura’awa (Qatar). La ligne dans son ensemble est une ligne plus ou moins équidistante et son point terminal est aussi équidistant de points situés sur les côtes d’Abu-Dhabi, du Qatar et de l’Iran.
58On a examiné plus haut, à propos de l’Accord du 27 octobre 1969, la manière dont la Malaisie et l’Indonésie ont délimité leurs plateaux continentaux là où leurs côtes se font face.237 On se penchera ici sur la question de délimitation dans la mer de Chine du Sud, à proximité de l’île de Bornéo238, où les côtes des deux Etats sont limitrophes.239 Il faut noter, en premier lieu, que, comme pour les deux segments déjà examinés240, la limite est tracée à partir des lignes de base droites établies par les deux Etats. On notera ensuite que cette limite n’est pas équidistante, car les points où elle change de direction (« turning points ») ne sont pas situés à une distance égale des points les plus proches sur les lignes de base droites. Enfin, la ligne a comme points de base les îles indonésiennes Kepala, Senua et Laut, d’une part, et des promontoires malaisiens de l’autre.
59Dans une toute autre région du globe, la mer du Nord, la République fédérale d’Allemagne avait, en 1965 et 1964, conclu des Accords de délimitation relatifs à la partie du plateau continental la plus rapprochée de la côte avec ses voisins, le Danemark et les Pays-Bas. Les deux Accords prescrivent des lignes équidistantes qui donnent plein effet aux îles et îlots situés à proximité des côtes allemande et néerlandaise241 Les trois Etats, on le sait, ne réussirent pas à se mettre d’accord sur la manière dont ces lignes devaient être prolongées vers le large et interrogèrent la Cour internationale de Justice sur la question de savoir si l’Allemagne était obligée d’accepter que la continuation des lignes conventionnelles soit tracée selon la méthode de l’équidistance. La réponse de la Cour ayant été négative242, les trois Etats conclurent, le 28 janvier 1971, deux Accords séparés par lesquels ils délimitèrent leurs plateaux continentaux respectifs jusqu’aux points terminaux tels qu’ils ressortent des accords conclus entre les autres Etats riverains de la mer du Nord. Etant donné l’arrêt de la Cour, la ligne de délimitation entre l’Allemagne et le Danemark n’est bien sûr pas équidistante ; relevons cependant qu’elle a comme point de base, du côté de l’Allemagne, l’île de Sylt, située à proximité de la côte de ce pays.243 La ligne conventionnelle établie entre la République fédérale et les Pays-Bas, quant à elle, se compose de deux parties : la première, prolongation de la ligne de 1965, est tracée paradoxalement selon la méthode de l’équidistance, alors que la seconde, qui s’éloigne des côtes vers le large, est arbitraire. Les points de base utilisés sont des îles et îlots (Borkum du côté allemand ; un îlot non nommé, Schiermonnikoog et Terschellung du côté néerlandais).244 Dans les deux cas, il s’agit d’îles situées à proximité des côtes des Etats intéressés.
60La limite du plateau continental entre l’Argentine et l’Uruguay semble en fait se confondre avec celle des mers territoriales des deux Etats, puisque ceux-ci revendiquent tous deux une mer territoriale de 200 milles et le point terminal de cette ligne est situé à une distance de 200 milles mesurée à partir des points de base. L’Accord du 19 novembre 1973 sur le Rio de la Plata et sa façade maritime établit, en premier lieu, une ligne qui relie deux points sur les côtes de chacun des deux pays et qui ferme ainsi l’embouchure du Rio de la Plata.245 La limite latérale à l’intérieur de cette ligne suit approximativement le thalweg du fleuve et laisse l’île de Martin Garcia du côté uruguayen. Disputée par les deux Etats, cette île est, aux termes de l’article 45 du Traité, soumise à la juridiction (et non pas la souveraineté) argentine, à condition qu’elle fasse exclusivement l’objet d’une réserve naturelle de flore et de faune. Il est par ailleurs établi par le Traité que l’île sera le siège de la Commission d’administration du Rio de la Plata (article 63).246 La limite maritime commence au point médian de la ligne de fermeture de l’embouchure. Dans sa première partie, elle est perpendiculaire à cette ligne ; ensuite, on ne sait pas très bien si l’Accord veut qu’elle continue comme ligne perpendiculaire ou si elle doit devenir équidistante.247 Il est à noter que la petite île uruguayenne de Lobos, située à proximité de la côte de l’Uruguay, influence le tracé de cette ligne vers le large.
61A la suite de trois Accords conclus entre 1971 et 1974, l’Australie et la Papouasie-Nouvelle Guinée, d’une part, et l’Indonésie, d’autre part, ont délimité leurs mers territoriales et leurs plateaux continentaux au nord de l’île de la Nouvelle Guinée dans l’Océan Pacifique, dans le détroit de Torrès et dans la mer d’Arafura.248 Ce qui nous intéresse ici, c’est la partie de la limite du plateau continental entre l’Indonésie et la Papouasie-Nouvelle Guinée qui divise les régions sous-marines proches de l’île de la Nouvelle Guinée, partagée elle-même entre l’Indonésie et la Papouasie-Nouvelle Guinée.249 Ce n’est que pour cette partie de la limite qu’on est en présence d’Etats dont les côtes sont limitrophes. La délimitation dans le détroit de Torres est une ligne négociée sur la base de la méthode de l’équidistance mais qui, finalement, consiste en une limite dont les points de changement de direction (« turning points ») sont partiellement équidistants. On n’a pas pu vérifier avec certitude si cette ligne est tracée à partir des îles avoisinantes (dans la région qui nous intéresse - le détroit de Torrès - se trouvent des îles à proximité immédiate de la côte de l’île de la Nouvelle Guinée) ; d’après la carte B annexée à l’Accord de 1971250, il semble cependant que ces îles ont en fait été prises en considération pour le tracé de la limite, qui dévie du côté indonésien.
Appréciation
62La pratique des Etats dont les côtes sont limitrophes confirme en principe les remarques générales auxquelles nous avons abouti plus haut, au terme de l’examen de la pratique des Etats dont les côtes se font face.
63Les îles sises à l’intérieur des lignes de base ne sont prises en considération que si la limite du plateau continental est calculée à partir de ces lignes droites.251
64Dans la pratique des Etats riverains de la mer du Nord, on a tenu compte des îles proches des côtes, même lorsque celles-ci sont situées « du mauvais côté de la ligne équidistante ».252
65Deux Etats riverains du Golfe Persique, confrontés avec la présence d’une île sur la ligne équidistante, on fait dévier cette ligne pour attribuer à l’île une zone maritime d’une largeur égale à celle de la mer territoriale de l’Etat qui possède l’île.253
66Enfin, dans un cas très particulier d’une embouchure de fleuve, une île disputée et sise « du mauvais côté de la ligne équidistante », a été ignorée pour le tracé de celle-ci et n’a pas reçu de zone maritime du tout.254
67Tout ce qui précède touche au contenu des accords bilatéraux de délimitation, qui, comme on vient de le voir, est loin d’être convergent.
68Cela dit, une deuxième constatation s’impose : même au cas où existerait une très grande uniformité quant au contenu de ces accords, il serait très difficile d’y voir l’existence d’une opinio juris, qui permettrait de conclure qu’ils ont abouti à la formation d’une règle coutumière : en effet, il est impossible de rechercher les raisons profondes qui ont amené deux Etats à conclure un accord de délimitation ayant un certain contenu. Des considérations de poids politique et économique entre les deux Parties qui négocient, ainsi que des questions totalement étrangères à la délimitation peuvent avoir motivé les Etats pour accepter une limite.255
69Ainsi, il est impossible de conclure que la pratique conventionnelle des Etats a contribué à la formation d’une coutume concernant la délimitation du plateau continental en général et l’effet des îles en particulier.
70D’autre part, après l’arrêt de la Cour internationale de Justice en les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, il est impossible de soutenir sérieusement que l’article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental a acquis force coutumière.256
71Pour déceler les principes coutumiers gouvernant la délimitation du plateau continental entre Etats, il est donc nécessaire de se tourner vers la jurisprudence internationale.257 Ce sera là l’objet de la subdivision suivante.
B) Le droit coutumier
1. L’Arrêt de la Cour internationale de Justice dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (1969)
72Dans ces affaires, la question de l’influence des îles sur la délimitation du plateau continental ne fut touchée qu’indirectement, tant par les parties que par la Cour. Voyons en premier lieu comment le problème fut traité par les parties.
73La République fédérale soutint, on le sait, que l’article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental ne lui était opposable ni en tant que règle conventionnelle, ni en tant que règle coutumière. Subsidiairement, la République fédérale conclut que, même au cas où la Cour aboutirait à la conclusion contraire, il existait des circonstances spéciales qui justifieraient le recours à une méthode de délimitation autre que celle de l’équidistance.258 A son avis, cette méthode devait avoir pour résultat de lui attribuer une part juste et équitable du plateau continental de la mer du Nord.259 La rédaction de l’article 6, continua la République fédérale, et l’examen des travaux préparatoires y relatifs montrent que la règle de l’équidistance et celle des circonstances spéciales ont une valeur hiérarchique égale260 et que, chaque fois qu’on est amené à appliquer l’article 6, il faut d’abord constater l’absence de circonstances spéciales ; seule une absence ainsi constatée permettra l’application de la méthode de l’équidistance. Dans ce contexte, la présence d’îles est certainement une circonstance spéciale parmi bien d’autres, notamment la configuration concave ou convexe d’une côte. La côte allemande étant en l’occurrence concave, il existerait, selon l’Allemagne, des circonstances spéciales justifiant une méthode autre que celle de l’équidistance.261
74De leur côté, le Danemark et les Pays-Bas s’efforcèrent d’établir l’applicabilité de l’article 6 et l’absence de circonstances spéciales. Se fondant eux aussi sur les travaux de la Commission du droit international et de la Conférence de 1958, les deux Etats soutinrent que, dans le cadre de l’article 6, la règle fondamentale est celle de l’équidistance, hiérarchiquement supérieure à celle des circonstances spéciales, introduite à l’article 6 de façon accessoire, pour corriger les effets d’une application trop rigide de cette méthode.262 Ce n’est qu’au cas où des circonstances spéciales justifieraient une autre délimitation qu’on pourrait renoncer à l’application de la méthode de l’équidistance. Or, continuèrent les deux Etats, le terme « circonstances spéciales » vise la présence de petites îles et rochers dans la zone de délimitation et quelques autres cas bien précis, mais n’englobe en aucun cas la concavité ou convexité d’une côte. Cette thèse fut ainsi résumée dans l’Arrêt de la Cour :
« A leur avis [celui des Pays-Bas et du Danemark], seule pourrait constituer une telle circonstance spéciale une particularité mineure en soi ; comme un îlot ou un léger saillant, mais produisant sur une limite par ailleurs acceptable un effet de déviation disproportionné. »263
75Selon les Pays-Bas et le Danemark, il n’existe pas des circonstances spéciales en l’espèce puisqu’il n’y a pas d’îles qui compliquent la limite tracée selon la méthode de l’équidistance : l’île d’Heligoland ne pourrait avoir qu’une influence insignifiante sur cette ligne 264 ; de surcroît, précisèrent les Pays-Bas, la République fédérale ne serait certainement pas fondée à invoquer la présence d’îles en tant qu’élément qui, s’il en était tenu compte, aboutirait à un résultat inéquitable de la méthode de la ligne d’équidistance. En effet, dans l’Accord du 1er décembre 1964 concernant la délimitation des régions du plateau continental proches des côtes des Pays-Bas et de la République fédérale, même le petit haut-fond découvrant de Hohe Riff avait été pris en considération pour le tracé de la ligne de l’équidistance.265 Ce haut-fond, qui appartient à la République fédérale, est situé du côté des Pays-Bas par rapport à la ligne d’équidistance. Sa prise en considération eut pour résultat de faire dévier la ligne de délimitation du côté néerlandais266, donc aux dépens des Pays-Bas. La République fédérale n’avait pas admis un seul instant que la présence de ce haut-fond puisse constituer une circonstance spéciale et, partant, justifier une dérogation à la règle de l’équidistance.267
76Les Pays-Bas continuèrent leur argumentation sur ce point au cours de la procédure orale. Dans sa plaidoirie, l’agent néerlandais présenta une carte qui montrait l’effet de l’île de Borkum sur la ligne d’équidistance tracée selon l’Accord du 1er décembre 1964.268 Située devant la côte néerlandaise, cette île appartient à l’Allemagne fédérale et sa prise en considération lors du tracé de la ligne d’équidistance dans l’Accord de 1964 eut pour effet d’attribuer à la République fédérale une partie supplémentaire de plateau continental.269
77Les deux Gouvernements conclurent leur argumentation en faisant valoir que, vu l’absence de circonstances spéciales - la présence d’îles, en particulier - c’était la méthode de l’équidistance qui demeurait applicable pour délimiter le plateau continental entre eux-mêmes et l’Allemagne fédérale.
78Dans son Arrêt du 20 février 1969, la Cour internationale de Justice ne se prononça pas sur cette question. Ayant refusé toute valeur coutumière à l’article 6, chiffre 2, de la Convention de 1958 sur le plateau continental, elle n’eut pas à se préoccuper du point de savoir si la présence de l’île de Heligoland ou des îles frisonnes270 constituait une circonstance spéciale.
79Toutefois, au cours de son raisonnement consistant à démontrer que la ligne d’équidistance n’était devenue une règle coutumière ni comme une suite logique de l’institution même du plateau continental, ni par les moyens habituels de la formation d’une coutume, la Cour se prononça de façon incidente sur la distinction qui doit être faite entre une ligne médiane et une ligne d’équidistance. C’est précisément dans ce contexte qu’elle aborda indirectement la question des îles en tant que circonstances spéciales dans le cadre de l’article 6 :
« ... les zones de plateau continental se trouvant au large d’Etats dont les côtes se font face et séparant ces Etats peuvent être réclamées par chacun d’eux à titre de prolongement naturel de son territoire. Ces zones se rencontrent, se chevauchent et ne peuvent donc être délimitées que par une ligne médiane ; si l’on ne tient pas compte des îlots, des rochers ou des légers saillants de la côte, dont on peut éliminer l’effet exagéré de déviation par d’autres moyens, une telle ligne doit diviser également l’espace dont il s’agit. Si un troisième Etat borde l’une des côtes, la zone où le prolongement naturel de son territoire recoupe celui de l’Etat déjà considéré lui faisant face, ou celui d’un autre Etat lui faisant face, sera distincte et séparée mais devra être traitée de la même manière. Tout différent est le cas d’Etats limitrophes se trouvant sur la même côte et n’ayant pas de vis-à-vis immédiat ; les problèmes soulevés ne sont pas du même ordre : cette conclusion est confirmée par la rédaction différente des deux paragraphes de l’article 6 de la Convention de Genève ... quant à l’utilisation, à défaut d’accord, de lignes médianes ou de lignes latérales d’équidistance selon le cas. »271
80D’après cet extrait, il semble que, dans le cadre de l’article 6, chiffre premier, lors de la délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes se font face, les îles ne constituent des circonstances spéciales que s’il s’agit d’îlots et rochers. A contrario, on pourrait soutenir que, dans tous les autres cas, les îles doivent être prises en considération pour le tracé de la ligne médiane.272 Ce qui laisse sans réponse, évidemment, la question qui se pose pour le cas d’Etats dont les côtes sont adjacentes.
81Après avoir établi que la méthode de l’équidistance n’est qu’une règle
82conventionnelle et que, en conséquence, la République fédérale, n’étant pas Partie à la Convention de 1958 sur le plateau continental, n’était nullement obligée de l’appliquer, la Cour se tourna vers le droit coutumier en la matière. Elle déclara qu’on ne se trouvait point devant un vide juridique, mais que,
« entre Etats qui ont un problème de délimitation latérale de plateaux continentaux limitrophes, il demeure des règles et principes de droit à appliquer et [qu’]il ne s’agit, en l’espèce, ni d’une absence de règles, ni d’une appréciation entièrement libre de la situation par les Parties ».273
83Selon la Cour, le contenu de ces règles et principes est le suivant.
84La délimitation du plateau continental doit se faire par accord, conformément à des principes équitables et compte tenu de toutes les circonstances pertinentes. L’idée qui doit guider les parties lors de leurs négociations274 conduites en vue d’aboutir à un accord, est que celui-ci doit attribuer à chaque partie la totalité des zones de plateau continental qui constituent le prolongement naturel de son territoire sous la mer275 et qui n’empiètent pas sur le prolongement naturel du territoire de l’autre partie. Au cas où les zones attribuées aux parties se chevauchent, elles peuvent être divisées par accord, à moins que les parties n’adoptent un régime de juridiction, d’utilisation ou d’exploitation commune. Au cours de leurs négociations en vue d’aboutir à un accord de délimitation, les parties prendront en considération les facteurs suivants :
la configuration générale de la côte et la présence de toute caractéristique spéciale ou inhabituelle ;
la structure physique et géologique ainsi que les ressources naturelles des zones en question ;
le rapport raisonnable qui doit exister entre l’étendue des zones de plateau continental relevant de l’Etat côtier et la longueur de son littoral mesurée suivant la direction générale de celui-ci 275, autrement dit la proportion entre les zones de plateau continental qui reviennent à l’Etat côtier et ce qu’on a appelé sa « façade maritime ».276
85La manière dont la Cour a écarté l’applicabilité de l’article 6 en tant que règle coutumière et a par la suite énuméré les règles et principes du droit international général en matière de délimitation du plateau continental entre Etats277 incite à penser que, dans l’esprit de la Cour, le droit conventionnel et le droit coutumier se distinguent nettement l’un de l’autre de par leur contenu. Alors que, dans le cadre de l’article 6, la méthode de la ligne d’équidistance détiendrait une place privilégiée, il n’y aurait pas, en droit coutumier,
« de limites juridiques aux considérations que les Etats peuvent examiner afin d’assurer qu’ils vont appliquer les procédés équitables et c’est le plus souvent la balance entre toutes ces considérations qui créera l’équitable plutôt que l’adoption d’une seule considération en excluant toutes les autres... ».278
86Toute autre est, on le verra maintenant, l’opinion du Tribunal arbitral franco-britannique en l’affaire de la Délimitation du plateau continental.
2. La décision du Tribunal arbitral franco-britannique en l’affaire de la Délimitation du plateau continental (1977)
a) Le Compromis
87C’est par un Compromis signé le 10 juillet 1975 279 que la France et le Royaume-Uni soumirent à l’arbitrage un différend qui remontait aux années soixante. Les Parties demandèrent au Tribunal arbitral de tracer, conformément aux règles de droit international applicables entre elles en la matière, la ligne (ou les lignes) délimitant les parties du plateau continental qui relèvent respectivement du Royaume-Uni ainsi que des Iles Anglo-normandes, et de la France, à l’ouest de la longitude 30 minutes ouest du méridien de Greenwich et jusqu’à l’isobathe de 1000 mètres.280
b) La zone d’arbitrage
88La zone d’arbitrage était divisée en deux secteurs : i) le secteur de la Manche où les côtes des deux Etats se font face et dans lequel sont situées les Iles Anglo-normandes, placées sous souveraineté britannique mais sises dans la Baie de Grandville à proximité des côtes françaises ; et ii) le secteur Atlantique (« South Western Approaches »), où les côtes des deux Etats se projettent vers l’est par les promontoires de Cornouailles et de Brest. Les îles Sorlingues (Scilly Islands) sont situées à 21 milles à l’est de la côte de Cornouailles. L’île d’Ouessant est éloignée de dix milles environ de la côte française.
89Cette description montre que les îles sont au centre du différend dans les deux secteurs de la zone d’arbitrage.
c) Le droit applicable
90Le désaccord avait comme point de départ le droit applicable. Les deux Etats sont Parties à la Convention de 1958 sur le plateau continental, mais la France avait émis, au moment de la ratification, trois réserves281 à l’article 6 dont la troisième précisait que la Baie de Grandville est une des zones où la République française considère qu’il existe des « circonstances spéciales » au sens de l’article 6 de la Convention. Le Royaume-Uni avait refusé d’accepter ces réserves.282 Cet état de choses amena les deux Parties à adopter des positions diamétralement opposées quant au droit applicable.
91Le Royaume-Uni soutenait que l’effet combiné des réserves françaises et du refus britannique était que les deux s’annulaient mutuellement et que, par conséquent, l’article 6 restait applicable entre lui et la France.283 Toute autre était la thèse française selon laquelle les réserves françaises et le refus britannique avaient pour effet de rendre inapplicable entre les deux Etats une partie de la Convention, en particulier l’article 6 ; il devait s’ensuivre, selon la France, que la délimitation du plateau continental devait s’opérer sur la base du droit coutumier.284
92Se fondant notamment sur la Convention de Vienne relative au droit des Traités285 et sur le principe du consentement, le Tribunal décida que les réserves françaises et leur rejet par le Royaume-Uni avaient comme résultat de rendre l’article 6 inapplicable entre les deux Etats « dans la mesure prévue par les réserves, mais seulement dans cette mesure ».286 En ce qui concernait plus particulièrement la troisième réserve française, relative à la Baie de Grandville, le Tribunal jugea que l’article 6 n’était pas applicable entre les Parties dans cette région, qui est celle des Iles Anglo-normandes, et que, par conséquent, le tracé de la limite du plateau continental devait se faire sur la base du droit coutumier.287
93Un tout autre problème surgit en ce qui concernait le secteur Atlantique. Le Royaume-Uni soutint que l’article 6 était applicable. La France répondit que dans ce secteur, on n’était en présence ni d’Etats dont les côtes se font face, ni d’Etats limitrophes ; cette situation particulière était, aux yeux de la République française, un casus omissus, une situation que les auteurs de l’article 6 avaient omis de régler. Dans ce secteur, la délimitation devait donc se faire également sur la base du droit coutumier.
94Le Tribunal rejeta la thèse française sur ce point en expliquant que le langage général de l’article 6 permet de conclure qu’il couvre toutes les situations possibles.288 L’article 6 fut ainsi considéré comme étant applicable à ce secteur.
d) Les principes dégagés par le Tribunal arbitral de l’arrêt de la Cour internationale de Justice de 1969
95Lors de l’examen du droit applicable aussi bien qu’à d’autres occasions, le Tribunal se prononça sur le problème de la relation entre le droit conventionnel, tel qu’il est exprimé à l’article 6, et le droit coutumier en matière de délimitation du plateau continental. Il constata qu’il n’y a pas en fait de différence fondamentale entre les deux et que,
« dans les circonstances de la présente affaire, les règles du droit coutumier conduisent à peu près au même résultat que les dispositions de l’article 6. ... l’application ou la non-application des dispositions de la Convention, et en particulier de l’article 6, n’entraînera guère de différences pratiques, voire aucune, quant au tracé effectif de la ligne de délimitation dans la zone d’arbitrage. »289
96Pour étayer sa conclusion, le Tribunal se fonda sur l’argumentation suivante. En fait, dit-il, les éléments mentionnés à l’article 6, la méthode de l’équidistance et les circonstances spéciales, sont d’une valeur égale et constituent une seule règle. En conséquence, on peut douter qu’il existe un fardeau de la preuve de l’existence de circonstances spéciales, comme l’avait soutenu le Royaume-Uni290 ; il incombe donc au Tribunal de se saisir proprio motu de cette question, ainsi que d’apprécier librement les circonstances géographiques et autres qui sont pertinentes pour la délimitation.291
97Le Tribunal continua son analyse de l’article 6 en admettant que,
« en dernière analyse, le principe de l’équidistance possède, dans le cadre de l’article 6, une forme obligatoire qu’il n’a pas dans la même mesure en vertu des règles du droit coutumier... Cependant, le fait que l’on se trouve en présence d’une règle combinant équidistance - circonstances spéciales signifie que l’obligation d’appliquer le principe de l’équidistance est toujours subordonnée à la condition : à moins que des circonstances spéciales ne justifient une autre délimitation. »292
98Pour prouver ces affirmations, le Tribunal, en une phrase, ajouta que les travaux préparatoires de la Commission du droit international faisaient clairement ressortir que la « condition » des circonstances spéciales avait été introduite à l’article 6 pour éviter des délimitations déraisonnables ou inéquitables.293 C’est aller trop vite : comme on a pu le montrer plus haut, dans l’esprit des membres de la Commission du droit international, la clause des circonstances spéciales a été introduite, non pas comme une « condition » à l’application de la ligne de l’équidistance, mais comme une exception à une règle dont on pensait qu’elle aboutirait en général à des résultats équitables.294
99Après cette adjonction, le Tribunal récapitule ainsi son raisonnement :
« En résumé, le rôle de la condition relative aux circonstances spéciales, posée à l’article 6, est d’assurer une délimitation équitable ; en fait, la règle combinant équidistance-circonstances spéciales constitue l’expression particulière d’une norme générale suivant laquelle la limite entre les Etats qui donnent sur un même plateau continental doit, en l’absence d’accord, être déterminée selon les principes équitables. Il s’ensuit que, même sous l’angle de l’article 6, la question de savoir si le principe de l’équidistance ou quelque autre méthode permet d’aboutir à une délimitation équitable est très largement une question d’appréciation qui doit être résolue à la lumière des circonstances géographiques et autres. En d’autres termes, même sous l’angle de l’article 6, ce sont les circonstances géographiques et autres qui, dans chaque espèce, indiquent et justifient le recours à la méthode de l’équidistance comme étant le moyen de parvenir à une solution équitable, plutôt que la vertu propre de cette méthode qui ferait d’elle une règle juridique de délimitation. »295
100Après avoir ainsi établi l’égalité des deux éléments - équidistance/ circonstances spéciales - à l’intérieur d’une règle unique, le Tribunal se pencha sur les principes dégagés par la Cour internationale de Justice dans son Arrêt de 1969. En effet, chacune des parties avait fréquemment invoqué ces principes pour étayer ses thèses.
101Le Tribunal commença par s’associer à la déclaration qui avait été faite par la Cour en 1969 et selon laquelle le principe fondamental concernant la notion de plateau continental est que celui-ci est le prolongement naturel du territoire de l’Etat côtier sur lequel l’Etat côtier jouit de droits ipso facto et ab initio. De cette déclaration découlent deux conclusions : la première veut que la délimitation du plateau continental n’est pas une question d’attribution « juste et équitable ».296 La seconde consiste à dire que la délimitation du plateau continental entre Etats doit être effectuée de sorte que la portion de plateau continental appartenant à l’un des Etats soit son prolongement naturel sous l’eau et que celui-ci n’empiète pas sur le prolongement naturel de l’autre Etat. La proximité peut être un, mais non le seul, des critères à appliquer pour tracer la limite du plateau continental entre deux Etats.297
102Cependant, plus loin dans sa décision, lorsqu’il se pencha sur la manière dont il convenait d’appliquer les règles dégagées au cas d’espèce, le Tribunal précisa que la notion de prolongement naturel avait une valeur relative. En fait, le Tribunal, dont deux membres étaient également juges à la Cour, était préoccupé par le souci constant de ne pas contredire l’arrêt de 1969. C’est pourquoi il reconnut que l’idée du prolongement naturel était un principe fondamental. Néanmoins, étant donné l’insertion de la clause de circonstances spéciales dans l’article 6 et des considérations d’équité dans le droit coutumier, le prolongement naturel n’a pas de valeur absolue, mais il peut faire l’objet de restrictions dans des circonstances particulières.298
103Quant à la place de la ligne de l’équidistance dans le cadre du droit coutumier, le Tribunal fit remarquer que
« l’applicabilité de la méthode de l’équidistance, ou de toute autre méthode, en tant que moyen d’aboutir à une délimitation équitable du plateau continental, dépend toujours de la situation géographique particulière. En bref, il n’y a jamais, que l’on se fonde sur le droit coutumier ou sur l’article 6, l’alternative d’une liberté complète du choix de la méthode ou d’une absence de toute liberté de choix ; car l’applicabilité, c’est-à-dire le caractère équitable de la méthode, est toujours fonction de la situation géographique particulière. »299
104Deux autres principes étaient invoqués par la France, celui de la « proportionnalité » et de 1’« évaluation raisonnable des effets des accidents naturels ».300 On a vu plus haut que la Cour les avait mentionnés en tant que facteurs propres à guider les Etats lors de leurs négociations.301 Or, le Tribunal arbitral
« ne pense pas que le critère d’un degré de proportionnalité raisonnable entre l’étendue du plateau continental et la longueur des côtes, adopté dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, soit applicable dans tous les cas » ,302
105Tout ce que la proportionnalité peut faire, c’est permettre, selon le Tribunal, d’établir si des caractéristiques géographiques ou configurations particulières ont un effet raisonnable, donc équitable, ou déraisonnable, donc inéquitable, sur la délimitation.303
« En bref, c’est la disproportion plutôt qu’un principe général de proportionnalité qui constitue le critère ou facteur pertinent. »304
106Quant à 1’« évaluation raisonnable des effets des accidents naturels », le Tribunal se contenta de dire qu’elle constitue un des éléments « permettant d’établir si c’est la méthode de l’équidistance ou une autre méthode qui est appropriée »305, mais qu’elle n’a pas le caractère de principe ou de règle autonome.306
é) L’application des règles et principes aux cas des Iles Anglo-normandes et des « South Western Approaches »
i. La limite conventionnelle et Eddystone Rock
107Dans un premier temps, le Tribunal se limita à « homologuer » deux segments de la limite du plateau continental dans la Manche pour lesquels les parties s’étaient déjà mises d’accord.307 Le premier segment à l’ouest des Iles Anglo-normandes débute au point où commence, selon le Compromis, la zone de l’arbitrage et finit là où commence l’influence sur la ligne médiane des Sorlingues et de l’île d’Ouessant. Il est interrompu, dans la région d’Eddystone Rock, en raison du désaccord entre les parties quant à l’influence de ce rocher sur la délimitation. Comme on l’a vu plus haut, le Tribunal a tracé cette partie de la ligne médiane en tenant compte d’Eddystone Rock.308
ii. Le secteur de la Manche
108Le Tribunal se pencha ensuite sur le problème posé pas les Iles Anglo-normandes. Les parties étaient en principe d’accord pour que la limite dans cette région soit une ligne médiane, mais leurs positions divergèrent quant à l’effet des Iles Anglo-normandes sur le tracé de cette ligne.
109Le Royaume-Uni, on l’a vu, demanda que la ligne de délimitation passe entre les îles et les côtes françaises. Ce faisant, il s’appuya sur l’article 6 de la Convention sur le plateau continental, et sur l’affirmation que la France n’avait démontré ni l’existence des circonstances spéciales, ni, par conséquent, qu’une autre délimitation était justifiée.309 Subsidiairement, le Royaume-Uni fit valoir que la délimitation réclamée par lui était justifiée même sur la base du droit coutumier, en vertu de la règle selon laquelle la ligne de délimitation doit laisser à chaque Etat toutes les parties du prolongement naturel de son territoire et ne pas empiéter sur le prolongement naturel du territoire de l’autre Etat.310 La ligne ainsi proposée « formerait une boucle autour des îles à proximité de la côte française ».311
110De son côté, la France demanda deux délimitations distinctes à cet endroit : une ligne médiane qui passerait au milieu de la Manche, tracée sans tenir compte des îles, et une seconde ligne qui correspondrait à la limite extérieure d’une zone de six milles marins, calculée depuis les lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale des îles. La France était donc prête à accorder aux îles un plateau continental propre de trois milles, plateau qui s’ajouterait à leur mer territoriale de trois milles.312 De l’avis du Gouvernement français, cette délimitation s’imposait en vertu du droit coutumier, applicable parce que l’article 6 de la Convention avait été rendu inapplicable par le jeu combiné des réserves françaises et des objections britanniques d’accepter celles-ci. Le droit coutumier dicte le recours aux principes équitables, qui justifient la solution proposée par la France. Subsidiairement, au cas où le Tribunal se prononcerait en faveur de l’applicabilité de l’article 6, la France estimait que les Iles Anglo-normandes constitueraient des circonstances spéciales justifiant le recours à une autre méthode de délimitation que la ligne médiane.313
111Le Tribunal, on l’a vu plus haut314, jugea que l’article 6 était inapplicable dans la région des Iles Anglo-normandes, ce qui l’amena à appliquer le droit coutumier ; il releva cependant que l’article 6 et les régies coutumières avaient un but identique, celui d’aboutir à une délimitation équitable.
112Pour tracer la limite dans cette région, le Tribunal se pencha en premier lieu sur les cartes. Il constata que, abstraction faite des Iles Anglo-normandes, les lignes côtières des deux Etats étaient à peu près égales et que, dans des cas de ce genre, la ligne médiane constitue en général une solution équitable. Si les îles n’existaient pas, cette méthode de délimitation pourrait être adoptée. Mais les îles sont là, poursuivit le Tribunal,
« et elles sont situées non seulement du côté français de la ligne médiane tracée entre les territoires terrestres des deux Etats, mais pratiquement au fond d’un golfe de la côte française. Il est inévitable que la présence de ces îles dans la Manche dans une situation si particulière rompe l’équilibre des conditions géographiques que l’on constaterait sans cela entre les Parties dans cette région en raison de l’égalité approximative des lignes côtières de leurs territoires. »315
113Avant d’aller plus loin dans ses considérations, le Tribunal examina un argument du Royaume-Uni qui faisait état du statut particulier d’autonomie politique, législative, administrative et économique des Iles Anglo-normandes. Ces îles, releva le Royaume-Uni, sont en fait des dépendances directes de la Couronne britannique depuis plusieurs siècles ; elles ont une population importante ainsi qu’une économie agricole et commerciale substantielle.316 Pour toutes ces raisons, le Royaume-Uni demanda au Tribunal de les traiter comme un Etat insulaire indépendant.317
114Le Tribunal fit remarquer que le Compromis d’arbitrage avait été conclu par le Royaume-Uni en son nom propre, sans mentionner les Iles Anglo-normandes, si ce n’était dans le texte de l’article 2.318 D’autre part, poursuivit le Tribunal, c’est bien le Royaume-Uni qui assume la responsabilité des relations extérieures des îles et c’est lui seul qui avait ratifié la Convention de 1958. C’est lui, enfin, qui a mené les négociations avec la France sans la participation des autorités des îles.319 Et le Tribunal de continuer :
« Le régime juridique applicable au tracé de la limite (ou des limites) dans la région des Iles Anglo-normandes, que le Tribunal doit décider, est donc celui de deux Etats se faisant face et dont l’un possède des îles proches de la côte de l’autre. »320
115Ayant ainsi rejeté l’argument britannique fondé sur le statut politique des îles, le Tribunal se pencha sur les autres arguments des parties. Toutes les deux avaient invoqué l’argument du prolongement naturel du territoire : le Royaume-Uni pour justifier la thèse selon laquelle les îles, faisant partie intégrante du Royaume-Uni, avaient droit au prolongement naturel de leur territoire sous la mer, prolongement naturel qui se rencontre au milieu de la Manche avec le prolongement naturel de l’Angleterre, ce qui justifierait la ligne proposée par le Royaume-Uni. Pour la France, le prolongement naturel des côtes françaises « tourne en quelque sorte autour des Iles Anglo-normandes »321 ; faire passer la ligne de délimitation entre les îles et les côtes françaises équivaudrait à couper la France de toute la Manche centrale. Or, selon le Gouvernement français, cela serait contraire au principe de l’égalité des Etats, d’autant plus que tant la France que le Royaume-Uni sont des riverains de la Manche sur toute la longueur de ses côtes.322
116Pour le Tribunal,
« la vérité est que le principe du prolongement naturel du territoire ne doit être ni écarté, ni tenu pour un principe absolu, lorsque des îles appartenant à un Etat sont situées sur un plateau continental qui, en leur absence, constituerait le prolongement naturel du territoire de l’autre Etat. L’application de ce principe, en pareil cas, comme dans d’autres cas concernant la délimitation d’un plateau continental, doit être appréciée compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, géographiques et autres. »323
117D’autre part, le Tribunal rejeta la doctrine de l’égalité des Etats comme un élément d’équité. Cette doctrine,
« ... appliquée d’une manière générale à la délimitation des plateaux continentaux, aurait des conséquences considérables sur la division des plateaux continentaux entre les Etats du monde, conséquences qu’ont rejetées la majorité des Etats et qui entraîneraient, sur une grande échelle, ce remodelage de la géographie qui a été exclu dans les affaires du Plateau continental de la merdu Nord. Le Tribunal estime que c’est plutôt dans les circonstances propres à la présente affaire et dans l’égalité particulière des deux Etats, du point de vue de leur relation géographique avec le plateau continental de la Manche, qu’il faut rechercher d’éventuelles considérations d’équité. »324
118Le Tribunal revint donc toujours à son idée préférée : ce sont les réalités « géographiques et autres » qui dicteront le tracé de la limite qui aboutira à une délimitation équitable. On a vu quelles sont les considérations géographiques inhérentes à l’affaire : le fait que les îles appartenant au Royaume-Uni sont situées à proximité des côtes françaises et le déséquilibre que crée leur présence par rapport à la situation qui aurait existé en leur absence.325 Les « autres » considérations se rattachent à certains intérêts vitaux, invoqués par la France, en matière de sécurité et de défense, au statut politique particulier des îles, à leur vie économique, qui est importante, et à leur superficie et population.326 Tous ces éléments amenèrent le Tribunal à écarter la solution proposée par la France et consistant à donner aux îles une zone de plateau continental de trois milles ajoutée à leur mer territoriale de trois milles. Ils l’amenèrent aussi à rejeter la ligne proposée par le Royaume-Uni. Le Tribunal estima en effet que le résultat obtenu par le tracé proposé par le Royaume-Uni serait « une distorsion radicale de la délimitation, créatrice d’iniquité ». Et il prit bien soin de distinguer le cas des Iles Anglo-normandes « de celui de petites îles situées "du bon côté" de la ligne médiane » ou du cas « où de nombreuses îles s’étendent, l’une à la suite de l’autre, à de grandes distances du continent ».327 Les Iles Anglo-normandes se trouvent non seulement être du « mauvais côté » de la ligne médiante passant au milieu de la Manche, « mais elles sont aussi totalement détachées géographiquement du Royaume-Uni ».328
119Ce sont là les raisons qui incitèrent le Tribunal à procéder à une double délimitation : d’abord par une ligne médiane tracée au milieu de la Manche, sans tenir compte des îles ; ensuite par une ligne passant à une distance de 12 milles des lignes de base à partir desquelles est mesurée la mer territoriale des Iles Anglo-normandes. Cette largeur serait justifiée par l’idée que le plateau continental de la France ne devrait pas empiéter sur la zone de pêche de 12 milles dont jouissaient les îles en vertu de la Convention européenne sur la pêche de 1964, zone qui avait été reconnue par la France.329 Ainsi, le plateau continental des Iles Anglo-normandes forme une enclave dans une zone de plateau continental français (voir le croquis à la page 182).
iii. Le secteur Atlantique
120Le premier problème qui se posa dans cette région était celui de savoir si l’on était en présence d’Etats dont les côtes se font face, comme le prétendait le Royaume-Uni, ou d’une situation qui, comme le voulait la France, était ni celle d’Etats dont les côtes se font face ni celle d’Etats à côtes limitrophes. Le Tribunal, on s’en souvient, avait admis l’applicabilité de l’article 6 de la Convention de 1958 dans cette région et avait déclaré que les cas visés aux chiffres 1 et 2 de cet article couvraient toutes les situations géographiques.330 Le Tribunal continua en précisant que la région Atlantique semblait relever plutôt du chiffre 1 de l’article 6 (côtes se faisant face) que de son chiffre 2. Cependant, ajouta-t-il, « au-delà du point où les côtes se font face géographiquement le régime juridique change et devient un régime analogue à celui qui est applicable aux Etats limitrophes ».331 De toute manière, le Tribunal estima
« qu’il n’importe guère de procéder à la classification juridique précise de la région Atlantique. Les règles de délimitation prescrites aux alinéas 1 et 2 sont les mêmes, et c’est la relation géographique réelle entre les côtes des deux Etats qui détermine leur application. »332
121Pour ce qui est de la délimitation à effectuer dans cette région, les arguments et conclusions des parties peuvent être ainsi résumés.
122Pour le Royaume-Uni, on était en présence d’Etats dont les côtes se font face. Comme pour l’autre secteur de la zone d’arbitrage, il proposa donc une ligne médiane qui devait pleinement tenir compte des Sorlingues au nord aussi bien que d’Ouessant au sud. En raison de la situation géographique des Sorlingues au sud-ouest de la péninsule de Cornouailles, cette ligne déviait vers le sud, donc vers la côte française.
123La France demanda que la délimitation soit opérée selon des principes équitables, en combinant le concept de la direction générale de la côte avec celui de la proportionnalité.333 Selon la France, le plateau continental dans cette zone devait être délimité en traçant une ligne équidistante entre deux lignes représentant la direction générale des côtes des deux Etats dans la Manche (lignes de lissage) et ignorant tant les Sorlingues du côté anglais qu’Ouessant du côté français. D’après la France, cette ligne equidistante, située plus au nord que celle proposée par le Royaume-Uni, aboutirait à une solution équitable.
124Comme pour la région de la Manche, le Tribunal fit appel à des considérations « géographiques et autres ».334 Après avoir écarté certains arguments des parties fondés sur la géologie de la région, le Tribunal commença par constater que,
« bien que les côtes des deux Etats bordant le plateau continental à délimiter aient des formes quelque peu différentes, elles présentent certaines similitudes. Toutes deux forment des péninsules qui constituent la dernière avance des territoires respectifs des deux Etats dans la région Atlantique ; toutes deux ont des îles situées au large qui projettent les territoires respectifs des deux Etats encore plus avant dans la région. »335
125Cependant, il existe une circonstance spéciale, et le Tribunal donne à la France sur ce point : la façade côtière du Royaume-Uni se projette plus avant dans l’Atlantique que celle de la France.336 Tout en admettant qu’un fait géographique ne peut pas être complètement ignoré sans faire courir le risque de remodeler complètement la nature, opération bannie par la Cour en 1969, l’emplacement des Sorlingues, selon le Tribunal,
« présente en somme le même caractère, aux fins de la présente affaire, et tend à produire le même effet de déviation sur la ligne d’équidistance que la projection d’un promontoire exceptionnellement long, ce qu’on considère généralement comme constituant une des formes possibles de circonstance spéciale. En l’espèce, le Tribunal estime que la projection particulière des Sorlingues dans la région Atlantique constitue certainement un élément de déviation assez important pour justifier une ligne de délimitation autre que la ligne médiane stricte visée à l’article 6, alinéa 1, de la Convention. »337
126Si le Tribunal aboutit ainsi à la conclusion que la délimitation ne saurait suivre la ligne médiane proposée par le Royaume-Uni, il ne pouvait pour autant se rallier au point de vue de la France, ayant rejeté et la théorie des lignes de lissage et celle de la « proportionnalité » en tant que « source d’un titre du plateau continental ».338
127La limite que le Tribunal décida de tracer dans cette région est une ligne
« qui consiste à tenir compte des Sorlingues, en tant que parties du littoral du Royaume-Uni, mais à ne pas leur donner plein effet en appliquant la méthode de l’équidistance ».339
128Se fondant sur un seul précédent340, le Tribunal se prononça pour la méthode du demi-effet, qui
« consiste à tracer la ligne d’équidistance entre les deux côtes en premier lieu sans se servir de l’île située au large comme point de base, et, en deuxième lieu, en s’en servant comme point de base ; la ligne donnant un demi-effet à l’île est alors la ligne tracée à mi-chemin entre ces deux lignes d’équidistance ».341
129Pourquoi un demi-effet, et non pas un tiers-effet ou un autre effet partiel ? Parce que la distance entre les Sorlingues et la côte anglaise est à peu près le double de celle qui sépare Ouessant de la masse continentale française. Encore que le Tribunal dise que le critère de la distance n’a pas de valeur particulière, il admit que celui-ci donne pourtant une « indication de l’utilité de la méthode du demi-effet ».342
130Cette ligne, tracée par l’expert du Tribunal sur une carte, est illustrée dans le croquis suivant :

131La Décision de 1977 apporte une contribution considérable au domaine du droit applicable à la délimitation du plateau continental entre Etats.
132En premier lieu, la Décision répond à la question, que la Cour avait laissée sans réponse en 1969, de la relation entre le droit conventionnel et le droit coutumier. Nous avons vu que le Tribunal a interprété l’article 6 de la Convention de 1958 comme contenant une seule règle combinant les deux éléments de la méthode de l’équidistance avec les circonstances spéciales, celles-ci étant une condition de l’applicabilité de celle-là.343 Le but de l’article 6 étant d’aboutir à une délimitation équitable, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de différence entre l’article 6 et la règle coutumière, aux termes de laquelle la délimitation doit être effectuée de façon à aboutir à une délimitation équitable, moyennant l’utilisation de principes équitables. On ne peut qu’approuver cette manière de voir, sauf en ce qui concerne l’interprétation de l’article 6. En effet, nous avons montré qu’élever les circonstances spéciales au niveau d’une règle équivalente à celle de la méthode d’équidistance, c’est ignorer complètement l’histoire de ce texte.344 Cela dit, il est évident que, indépendamment de l’interprétation et de la valeur qu’on donne aux circonstances spéciales par rapport à la méthode d’équidistance, le but de l’article 6 est d’aboutir à une délimitation équitable et, en ce sens, il coïncide avec celui assigné au droit coutumier. Toute cette construction nous aurait évidemment été épargnée, si la Cour avait admis, en 1969, que l’article 6 a acquis force de coutume !
133En deuxième lieu, la Décision est d’une grande importance pour ce qui est des principes dégagés par la Cour dans son arrêt dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord. Dans cet arrêt, on l’a vu, la Cour déclara que les règles concernant la délimitation du plateau continental sont que cette délimitation doit se faire par accord, conformément à des principes équitables, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, et en gardant toujours à l’esprit que le plateau continental est le prolongement naturel du territoire de l’Etat sous l’eau. Lors de leurs négociations, les Etats sont tenus de prendre en considération la configuration générale de leurs côtes ainsi que la présence de toute caractéristique spéciale ou inhabituelle, la structure physique et géologique des ressources naturelles du plateau ainsi que la proportionnalité entre l’étendue des zones de plateau revenant à chaque Etat et la longueur de son littoral suivant sa direction générale.345
134La France et le Royaume-Uni ont invoqué, chacun à sa manière, ces principes. On a vu plus haut que, de par sa composition, le Tribunal arbitral ne put contredire ouvertement la Cour. Néanmoins, il écarta, en minimisant leur portée, certains des éléments primordiaux de l’arrêt de 1969. C’est le cas du prolongement naturel du territoire en tant que principe fondamental aboutissant à une délimitation équitable. A ce critère essentiellement géologique, le Tribunal opposa des considérations « géographiques et autres ». Ainsi, du domaine de la géologie, nous passons à celui de la géographie : pour décider de l’effet des Iles Anglo-normandes et des Sorlingues sur la limite du plateau continental, les arbitres consultèrent, en premier lieu, une carte.346 Le fait que les Iles Anglo-normandes étaient éloignées du territorie du Royaume-Uni, tout en étant proches de celui de la France, a été interprété comme rompant l’équilibre dans la Manche. Par ailleurs, cet équilibre consistait aussi dans le fait que les deux Etats ont des côtes d’environ la même longueur et la même régularité, et qu’ils sont, tous deux, riverains de la Manche. Quels sont, ensuite, les « autres » éléments dont le Tribunal a tenu compte en poursuivant le but à atteindre selon le droit coutumier et selon l’article 6 de la Convention de 1958 ? Quel est en d’autres termes le rôle et la portée des considérations d’équité - dans le cadre du droit coutumier - et celui des circonstances spéciales - dans le cadre de l’article 6 ? Ces considérations sont rattachées à l’importance des îles elles-mêmes, à leur grande autonomie par rapport au Royaume-Uni en même temps que leur lien politique indiscutable avec ce pays, à certaines appréhensions concernant la sécurité de la France, si elle était coupée de la Manche, etc. Si dans le domaine du droit coutumier on comprend aisément que le Tribunal mette tous ces éléments sous le « chapeau » des facteurs pertinents, ou des considérations d’équité, il faut admettre que, dans le cadre de l’article 6, la notion des circonstances spéciales est considérablement élargie.347 Cet élargissement est par ailleurs tout à fait dans la ligne de l’interprétation par le Tribunal de la clause des circonsances spéciales comme ayant une valeur équivalente à celle de la méthode de l’équidistance. Ainsi, alors que dans l’arrêt de 1969, la Cour avait reconnu le caractère de subordination des circonstances spéciales à la méthode de l’équidistance, et limité leur portée à l’existence de quelques îlots, rochers et légers saillants de la côte, causant une déviation disproportionnée au tracé de la ligne médiane348, le Tribunal leur accorda une portée beaucoup plus globale. Nous reviendrons à ce point plus loin, lorsque nous parlerons de l’application des circonstances spéciales dans le secteur Atlantique.
135D’autre part, le Tribunal a minimisé la valeur de la proportionnalité : de « principe » guidant la délimitation équitable, celle-ci a été abaissée à un « critère », qui, appliqué après le tracé d’une limite peut la confirmer ou l’infirmer. C’est pourquoi dans l’appréciation d’une situation donnée, cet élément sera pris en compte par le Tribunal dans son aspect négatif : c’est plutôt l’effet de disproportionnalité produit par une solution qui amènera les arbitres à en chercher une autre. Aussi, c’est dans ce contexte que le Tribunal refusa-t-il de suivre la France dans ses arguments concernant la « façade maritime » et les « lignes de lissage »349 dans la Manche, pour décider de la limite dans la région atlantique : aux yeux du Tribunal, ces « savants calculs » ne sont pas nécessaires pour remédier à des effets disproportionnés causés par la présence des Iles Sorlingues au large de Cornouailles.350
136Après avoir ainsi déblayé le terrain au niveau de la théorie, le Tribunal s’attela à appliquer au cas d’espèce les considérations d’équité, d’abord dans le cadre du droit coutumier, ensuite dans le cadre du droit conventionnel. En ce qui concerne le droit coutumier, il est admis par certains auteurs que les principes équitables seraient des règles incorporées dans le droit international positif351, en ce sens qu’ils interviendraient en vue d’obtenir une délimitation équitable, et que, par là, ils seraient censés comporter un grand degré d’objectivité.352 Il est cependant difficile de saisir la manière dont, en l’occurrence, les membres du Tribunal arbitral ont pesé les « autres » considérations lors de l’application de ces principes équitables. On a vu que la France admettait que les Iles Anglo-normandes avaient droit à un espace maritime de six milles. Le Tribunal leur en accorda 12, dont trois milles de mer territoriale et neuf milles de plateau continental. Cet espace correspond d’ailleurs à la zone de pêche réclamée par le Royaume-Uni et acceptée par la France. A part la question de savoir si un autre tribunal aurait abouti à la même conclusion, on peut s’en poser d’autres : pourquoi par exemple 12 milles et non pas treize ou plus ?353Cette largeur correspond actuellement à la largeur généralement admise comme celle de la mer territoriale. Si à l’avenir le Royaume-Uni réclame une mer territoriale de 12 milles, les îles n’auront pas de plateau continental du tout. Et s’il s’agissait d’îles indépendantes, supposition qui peut aussi se réaliser un jour ? La réponse à cette question n’est pas facile, étant donné que le Tribunal, tout en disant qu’il s’agissait de déterminer le droit des îles elles-mêmes à un plateau continental, a insisté sur le fait qu’elles ne sont politiquement pas indépendantes.354 Les considérations de sécurité, enfin, semblent avoir joué un rôle favorable uniquement au profit de la France. Cet Etat avait émis certaines craintes touchant sa sécurité, s’il était coupé de la Manche. Le Tribunal ayant tenu compte de ces appréhensions, au demeurant, c’est le Royaume-Uni qui est coupé des Iles Anglo-normandes, partie intégrante de son territoire. On voit alors difficilement se réaliser l’affirmation du Tribunal selon laquelle, pour être équitable et justifiée, une délimitation doit être équitable et justifiée pour les deux parties.355
137Certains commentaires s’imposent également concernant l’application des considérations d’équité, sous la forme de circonstances spéciales dans le cadre de l’application de l’article 6, pour le secteur Atlantique. Comme pour le secteur de la Manche, ici aussi les arbitres examinèrent les réalités « géographiques et autres ». Les réalités géographiques consistent dans l’emplacement des Sorlingues à l’est d’un promontoire, qui, sans leur présence, serait à peu près l’équivalent du promontoire de Brest du côté français. Cette situation géographique a été assimilée par le Tribunal à celle d’un très long promontoire dont la forme a été généralement considérée comme constituant une des formes possibles de circonstances spéciales.356 Dans sa solution du demi-effet, et malgré la volonté du Tribunal de relativiser le critère de la distance, il faut souligner qu’il y a une relation logique, voire mathématique, entre le demi-effet et la double distance qui sépare les Sorlingues du territoire britannique, par rapport à la distance entre l’île d’Ouessant et la côte française.
138Quant aux « autres » considérations, dont les arbitres ont tenu compte en tant que circonstances spéciales, on ressent exactement le même malaise que pour le secteur de la Manche : dans quelle mesure l’importance économique des îles, leur superficie, leur population, etc. ont-elles pesé lors de l’appréciation de leur effet pour le tracée de la ligne médiane ? Cette question reste malheureusement sans réponse satisfaisante ; ce qui amena un auteur français à déclarer à propos de la nature des circonstances spéciales, telle qu’elle se dégage de cette affaire :
« ... Il est ainsi manifeste qu’il n’y a pas, si tant est qu’il n’y ait jamais eu, de circonstances spéciales en soi. Il est donc inutile de gaspiller des trésors d’énergie à se demander si l’on est en présence d’une île importante ou négligeable, peuplée ou déserte, riche ou démunie, d’un îlot, d’un saillant, d’un rocher, d’un haut-fond découvrant. Tout cela devient superfetatoire dès lors que la circonstance spéciale se définit par l’effet qu’elle produit. »357
139En dernier lieu, des critiques ont été adressées au Tribunal quant à la manière dont l’expert traça la ligne du demi-effet dans le secteur Atlantique. Cette ligne consiste en une bissectrice de l’angle formé par deux lignes équidistantes, l’une tracée en ignorant complètement les Sorlingues, l’autre en leur donnant plein effet. Cette méthode qui, selon Bowett, fait dévier la ligne du côté de l’Etat qui possède l’île à laquelle est accordé le demi-effet, désavantage l’une des parties au litige, en l’occurrence le
140Royaume-Uni.358 Cet auteur suggère qu’il serait plus équitable de tracer la ligne du demi-effet selon la méthode suivante : rapprocher l’île la plus éloignée de son littoral national de la moitié de la différence entre les deux distances. Dans le cas concret, il s’agirait de rapprocher les Sorlingues de 7,5 milles au point NA - donc la moitié de la différence des distances entre les Sorlingues et l’Angleterre et Ouessant et la France, égale à 15 milles. Dans cette situation imaginaire, les Sorlingues seraient donc placées à 22,5 milles de Cornouailles. Tirer une ligne droite de ce point NA situé à 22,5 milles de la côte anglaise, au point B sur l’île d’Ouessant et tracer, ensuite, la ligne du demi-effet au moyen d’une perpendiculaire médiane sur cette ligne.359 La limite ainsi tracée est illustrée, dans le croquis suivant, par la ligne C’D’. Elle avantage, en effet, plus l’Etat W, le Royaume-Uni dans le cas concret, puisqu’elle est située plus au sud que la ligne CD, telle qu’elle a été tracée par l’expert du Tribunal.
141Par ailleurs, l’expert du Tribunal traça la ligne de délimitation dans la Manche sans tenir compte de tous les points de base utilisés par le Royaume-Uni pour tracer la limite de la mer territoriale des Iles Anglo-normandes. Dans la région Atlantique, il traça une ligne droite sur une carte Mercator, qui ne prend pas en considération la rotondité de la terre ; ce tracé désavantage le Royaume-Uni, parce que cette ligne est située plus au nord que si elle était tracée sur une carte qui tient compte du fait que la terre est un sphéroïde. Ce qui donna lieu à une requête du Royaume-en interprétation de la décision de 1977. Le Tribunal rendit, le 14 mars 1978, une deuxième décision, dans laquelle il rectifia la ligne dans la Manche, mais il maintint celle dans la section Atlantique.360

Ce croquis est inspiré de Bowett, op. cit., p. 234. L’île A représente les Sorlingues et l’île B Ouessant.
142Quoiqu’il en soit, et malgré les difficultés inhérentes à l’application des considérations d’équité auxquelles a du faire face le Tribunal arbitral, celui-ci rendit une décision dont on retrouve les traces sur toute la jurisprudence qui s’ensuivra.
3. Le Rapport de la Commission de conciliation entre l’Islande et la Norvège concernant la Délimitation du plateau continental entre l’Islande et Jan Mayen (1981)
143Le préambule de l’Accord conclu le 28 mai 1980 entre l’Islande et la Norvège sur la pêche et le plateau continental reconnaît à l’Islande le droit à une zone économique de 200 milles. L’article 9 de cet Accord institue une Commission de conciliation composée de trois membres, chaque Partie ayant le droit de désigner un conciliateur, le Président de la Commission devant être nommé conjointement par les Parties.361 La Commission a pour mandat de formuler des recommandations en ce qui concerne la limite du plateau continental situé entre l’Islande et Jan Mayen. Pour ce faire, elle doit prendre en considération les intérêts économiques importants de l’Islande dans cette zone, les facteurs géographiques et géologiques et d’autres circonstances spéciales. Les recommandations de la Commission ne seront pas obligatoires ; cependant, les Parties se sont engagées à les prendre en considération dans une mesure raisonnable lors de leurs négociations ultérieures.362
a) La situation géographique
144Jan Mayen est une île sous souveraineté norvégienne de 373 km2, montagneuse et volcanique. Du fait de la constante activité de ses volcans, elle est inhabitée. Située à 550 milles du point le plus proche sur la côte nord de la Norvège et à 540 milles de l’Islande, l’île abrite des stations météorologiques qui relèvent du Ministère norvégien de la Défense et où travaillent entre 30 et 40 personnes.363
b) Le droit applicable
145Selon la Commission de conciliation, l’article 121 du Projet de convention sur le droit de la mer « reflète l’état actuel du droit international en la matière ».364 Cette constatation est en contradiction avec la conclusion formulée plus haut365 et selon laquelle les chiffres 1 et 2 de cet article reproduisent le droit international actuellement admis, alors que le chiffre 3, relatif aux rochers, est une nouveauté qui n’a pas acquis force coutumière. Cependant, ce point n’a pas une grande importance ici puisque la Commission de conciliation, à juste titre, a placé Jan Mayen dans la catégorie des « îles », ce qui a comme résultat l’applicabilité des chiffres 1 et 2 de l’article 121.366
146Le chiffre 2 de l’article 121 a la teneur suivante :
« Sous réserve du paragraphe 3, la mer territoriale, la zone contigue, la zone économique exclusive et le plateau continental d’une île sont délimités conformément aux dispositions de la Convention applicables aux autres territoires terrestres. »
147Il découle de cette disposition, selon la Commission, que les articles 74 et 83 du Projet de convention - l’un relatif à la délimitation de la zone économique, l’autre à celle du plateau continental - sont applicables. Au moment où la Commission s’est réunie, les chiffres premiers de ces articles, de même teneur, prévoyaient que la délimitation du plateau continental ou de la zone économique exclusive devait être effectuée par accord conformément au droit international, accord qui devait être conclu sur la base de principes équitables, employant, le cas échéant, la ligne médiane ou d’équidistance et compte tenu de toutes les circonstances pertinentes de la région concernée.
148Or, selon la Commission, l’Accord du 28 mai 1980 constitue un tel accord car les Parties y reconnaissent que l’Islande a droit à une zone économique de 200 milles là où la distance entre les côtes islandaises et fan Majen est inférieure à 400 milles, et que Jan Mayen a droit à une zone de pêche de 200 milles marins.367
c) Le rapport géologique du 16 décembre 1980
149Etant donné que l’Accord de 1980 demande à la Commission de tenir compte des facteurs géographiques et géologiques ainsi que d’autres circonstances spéciales, la Commission décida de confier à un Comité d’experts l’étude géologique de la région et de lui demander un rapport. Le Comité présenta son Rapport à la Commission le 16 décembre 1980.368
150Le Comité d’experts examina la genèse géologique de la zone et le point de savoir si le plateau continental de Jan Mayen est le prolongement naturel de l’île de Jan Mayen ou de l’Islande.
151Selon le Comité, le concept de prolongement naturel peut être considéré sous deux angles différents, c’est-à-dire du point de vue morphologique et du point de vue géologique.369 Après avoir effectué les recherches nécessaires, le Comité convint que si la plateforme de Jan Mayen (Jan Mayen Ridge) ne peut être qualifiée d’extension du plateau continental de l’Islande du point de vue morphologique, géologiquement cette plateforme ne peut être considérée comme étant le prolongement naturel ni de Jan Mayen ni de l’Islande.370
152Le Comité d’experts exprima enfin l’avis que le potentiel d’hydrocarbures dans cette région n’est pas très important par rapport à d’autres endroits du globe ; il identifia cependant une zone à l’intérieur le laquelle les potentiels ont paru être exploitables et rentables en l’état actuel de la recherche.371
d) Méthodes et approches possibles
153Après avoir reçu le Rapport du Comité d’experts, la Commission écarta le concept du prolongement naturel en tant qu’élément dont la prise en considération aboutirait à la solution du différend.372 Une autre approche, selon la Commission, consisterait à utiliser le critère de la proportionnalité en divisant la zone concernée entre les parties sur la base de la distance entre fan Mayen et le continent et d’autres facteurs pertinents.373
154La Commission envisagea ensuite d’autres critères qui ont été pris en considération dans la pratique des Etats pour des cas de ce genre : tout en faisant remarquer que souvent la ligne médiane peut aboutir à des résultats équitables, elle décrivit les différentes situations qui peuvent résulter de la présence d’îles et les solutions qui leur ont été données : lorsque les îles étaient proches des côtes, on leur a donné plein effet. Quand les deux Etats possédaient des îles proches des côtes, on les a ignorées de part et d’autre (« trade-off solution »). Quand elles se trouvaient dans la zone économique d’un autre Etat, on a parfois créé des enclaves autour d’elles pour leur accorder une mer territoriale. D’autres fois, lorsqu’elles étaient situées dans des mers fermées, on leur a accordé un effet partiel.374
e) Recommandations de la Commission
155Au lieu de fixer une limite linéaire (qui serait probablement différente de la limite de la zone économique exclusive qui a été reconnue dans l’Accord de 1980 et qui passe à 200 milles des côtes islandaises), la Commission proposa l’adoption d’un accord de développement commun qui couvrirait essentiellement toute la zone que les experts ont indiquée comme offrant des possibilités d’exploitation.375 En effet, il existe dans la pratique des cas d’exploitation commune dans les parties de plateau continental qui se chevauchent, solution qui est conforme à l’arrêt de la Cour internationale de Justice de 1969.376
156La Commission aboutit à cette conclusion en tenant compte de considérations d’ordre économique - dépendance totale de l’Islande des importations d’hydrocarbures, pauvreté en hydrocarbures du plateau continental islandais, la zone indiquée étant la seule dont on pense pouvoir tirer cette ressource, etc.377 Elle définit ensuite la zone d’exploitation commune : il s’agit d’un rectangle dont la plus grande partie est située en dehors de la zone économique islandaise. Selon la Commission, les activités dans la zone peuvent comprendre les trois étapes suivantes : i) le stade de préforage ; ii) le stade de forage ; iii) le stade de développement économique.378
157Le stade de pré-forage consisterait en des recherches séismiques en vue d’établir la cartographie géologique de la région. Pour ce faire, il faudrait commencer par des recherches scientifiques au niveau académique. La première phase de ces recherches devrait, selon la Commission, faire l’objet d’une « joint venture » entre le « Norvegian Petroleum Directorate » et le service équivalent islandais. Les frais de cette phase seraient supportés par la Norvège, mais les bénéfices éventuels, une fois les résultats de recherche (« survey data ») établis et vendus à des compagnies pétrolières ou à d’autres organismes, seraient partagés entre les deux Etats.379
158Au stade du forage, toujours selon la Commission, des licences seraient délivrées par l’organisme étatique compétent de l’Etat concerné à des compagnies intéressées à l’exploitation d’hydrocarbures.380
159Si les résultats des recherches effectuées lors des deux premières phases justifient la continuation des opérations en vue d’une exploitation ultérieure, les deux Etats, continua la Commission, pourront établir des « joints ventures » entre eux et des compagnies pétrolières. La meilleure solution serait de conclure des contrats de « joint venture » prévoyant que les coûts de la participation tant norvégienne qu’islandaise seront supportés entièrement, ou dans la mesure du possible, par les compagnies en question, jusqu’au moment où une découverte d’hydrocarbures aura été déclarée comme valable au point de vue commercial. A partir de ce moment, la compagnie participera aux bénéfices, conformément aux stipulations du contrat.381 Quant à la participation des deux Etats aux bénéfices de l’opération, elle serait fonction de leur participation dans la « joint venture ». La Commission recommanda que cette participation dépende de l’endroit du forage par rapport à la limite de 200 milles. S’il se trouve dans la région de la zone d’exploitation commune située à l’intérieur de la zone économique islandaise, la Norvège pourra participer à concurrence de 25 % à la « joint venture ». Si l’endroit d’une découverte d’hydrocarbures se trouve dans la partie de la zone située à l’extérieur de la zone économique islandaise, c’est l’Islande qui aura la possibilité, si elle le souhaite, d’y participer à concurrence de 25 %.382
160Dans chacune des deux parties de la zone seraient appliquées les législations en matière de politique pétrolière et de contrôle, de sécurité et d’environnement du pays du côté duquel est située cette partie de la zone par rapport à la limite des 200 milles.383
161Enfin, la Commission envisagea d’autres domaines de coopération entre les deux parties concernant notamment le transfert de techniques et l’accès aux données scientifiques.384

162Quelques commentaires s’imposent concernant la manière dont la Commission aborda le problème de la délimitation du plateau continental entre Jan Mayen et l’Islande ; au préalable il faut rappeler que, en tant que Commission de conciliation, celle-ci aboutit à des conclusions qui ne sont pas nécessairement fondées sur le droit international et qui ne sont pas obligatoires pour les parties. Comme la Commission l’a elle-même déclaré,
« [s]a fonction est de faire aux deux Gouvernements des recommandations qui, de l’avis de la Commission, conduiront à des solutions acceptables et équitables des problèmes en question ».385
163Cette déclaration est révélatrice de la conscience des conciliateurs de leur rôle dans le cadre du moyen politique de règlement des différends qu’est la conciliation.
164Néanmoins, la Commission ne s’est pas éloignée des considérations juridiques car après cette déclaration générale, elle a examiné les règles applicables au différend. On a vu qu’elle a considéré que ces règles étaient contenues aux articles 121, 74 et 83 du Projet de convention sur le droit de la mer. D’autre part, elle s’est penchée sur la pratique des Etats pour en dégager les différentes solutions qui ont été données dans des cas analogues. De ces solutions, elle a choisi celle qui lui a paru la plus appropriée en vue d’une délimitation équitable, et qui était mentionnée comme une des possibilités envisagées par la Cour internationale de Justice en 1969. C’est pour ces raisons que le Rapport de la Commission a sa place parmi les autres cas de jurisprudence.
165Malgré le fait que la Commission a suivi la Cour en proposant aux parties une exploitation commune d’une zone de plateau continental où, selon les experts, il y aurait des hydrocarbures, elle s’est éloignée de l’arrêt de 1969 sur d’autres points. C’est le cas de la notion de prolongement naturel : on a vu que le Rapport géologique des experts conclut que le plateau continental de Jan Mayen ne peut être considéré comme le prolongement naturel ni de l’Islande, ni de Jan Mayen. Après quoi, à l’instar du Tribunal arbitral franco-britannique, la Commission décida que ce concept n’apportait point l’aide pour la solution du différend concret.
166La Commission ne s’est pas non plus servie du critère de la proportionnalité, mentionné lui aussi par la Cour, dans son arrêt de 1969.
167Enfin, les raisons pour lesquelles la Commission se décida pour une solution préconisant un système d’exploitation commune étaient les suivantes : le fait que la zone économique de l’Islande couvre une région qui dépasse celle délimitée au moyen d’une ligne médiane, l’incertitude quant aux ressources de toute la zone de délimitation, le désir de promouvoir la coopération et les relations amicales entre les deux Etats, la dépendance totale de l’Islande concernant l’importation d’hydrocarbures, la pauvreté en hydrocarbures du plateau continental de l’Islande, ainsi que l’hypothèse, formulée dans le Rapport géologique, que des ressources existeraient dans la région de la zone d’exploitation commune. Ces raisons, d’ordre plutôt politique et économique, ont amené la Commission à proposer un système d’exploitation commune, solution « équitable et acceptable » pour les deux parties au différend.
4. La sentence du Tribunal arbitral en l’affaire de la Délimitation de la frontière terrestre et de la limite maritime entre Dubaï et Sharjah (1981)
168Par un Compromis signé le 30 novembre 1976 386, les Emirats de Dubaï et de Sharjah se sont engagés à soumettre un différend concernant la délimitation de leur frontière terrestre et de leur plateau continental dans le Golfe Persique à un Tribunal arbitral composé de trois membres choisis parmi les juristes éminents de deux pays amis.387
169Bien que le différend concernât deux entités membres d’un Etat fédéral, les Emirats Arabes Unis, le fait que ceux-ci se sont adressés à un tribunal international, ainsi que leur argumentation devant celui-ci, montrent que le Tribunal jugeât sur la base du droit international. Etant donné que les Emirats Arabes Unis ne sont pas Parties à la Convention de 1958 sur le plateau continental, le droit applicable est le droit coutumier.
170Seule nous intéresse ici la partie du différend concernant la limite maritime du plateau continental dans le Golfe Persique, d’autant plus que cette limite se trouvait compliquée par l’existence de l’île d’Abu Musa, disputée entre Sharjah et l’Iran et sise au milieu de la sortie du détroit d’Hormuz.
171Les arguments et conclusions de chacune des parties au différend peuvent se résumer comme suit :
172Dubaï soutenait que la délimitation du plateau continental entre lui-même et Sharjah était régie par le droit coutumier et devait en l’occurrence être effectuée au moyen d’une ligne d’équidistance. Pour le tracé de cette ligne, on ne devait pas prendre en considération la revendication, de la part de Sharjah, d’une mer territoriale de 12 milles autour de l’île d’Abu Musa, ni faire dévier la ligne équidistante pour accorder un plateau continental à cette île.
173Pour étayer sa thèse, Dubaï fit valoir qu’Abu Musa est une île disputée entre l’Iran et Sharjah. En effet, dans un modus vivendi de novembre 1971, et tout en reconnaissant la juridiction de Sharjah sur une zone de 12 milles autour de l’île, l’Iran et Sharjah convinrent que la question de la souveraineté sur l’île demeurerait ouverte. Or la pratique des Etats montre bien, selon Dubaï, que les îles disputées ne sont pas prises en considération pour le tracé des lignes équidistantes.388 Ainsi, dans l’Accord de 1974 entre les Emirats et l’Iran concernant la délimitation du plateau continental, l’île avait été ignorée lors du tracé de la ligne médiane.389
174Dans le même ordre d’idées, Dubaï invoqua un Accord de 1964 entre Sharjah et Umm-al-Qaiwain dans lequel il était établi que le plateau continental d’Abu Musa serait limité à trois milles et que les zones de plateau continental situées au-delà de cette limite seraient soumises à la souveraineté d’Umm-al-Qaiwain. En outre, Dubaï fit état d’une lettre de l’Agent politique du Gouvernement britannique, datée du 16 mai 1970, informant Sharjah qu’il n’avait pas le droit de revendiquer un plateau continental au-delà de trois milles marins.390
175Par ailleurs, accorder à Abu Musa plein effet pour le tracé de la ligne d’équidistance aurait comme résultat, selon Dubaï, une distorsion inéquitable de celle-ci et constituerait un empiètement sur le prolongement naturel du territoire de Dubaï. L’ignorer, au contraire, aboutirait à un résultat basé sur l’égalité des parties du point de vue de la longueur de leurs côtes, respectant ainsi la proportionnalité.391
176Abu Musa, continua Dubaï, est une île de faible étendue, éloignée du territoire principal de Sharjah, et très proche de la ligne équidistante entre Dubaï et Sharjah ; des cas semblables ont été traités dans la pratique des Etats comme des circonstances spéciales ou comme des caractéristiques particulières requérant un traitement spécial.392
177L’argumentation de Sharjah était la suivante : à l’instar des territoires continentaux, Abu Musa a droit à un plateau continental ipso facto et ab initio en tant que prolongement naturel de son territoire. Tant la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental que le Projet de convention sur le droit de la mer admettent le fait que les îles y ont pleinement droit.393
178En réponse à l’argument de Dubaï selon lequel les îles disputées furent ignorées dans les accords de délimitation entre Etats, Sharjah fit remarquer que dans aucun accord on n’a ignoré une île revendiquée seulement par l’une des Parties à cet accord.394
179Quant à l’Accord de 1964 avec Umm-al-Qaiwain, continua Sharjah, il ne s’agissait pas d’un accord sur la délimitation du plateau continental. Par ailleurs, Sharjah ayant proclamé une mer territoriale de 12 milles en 1969, Umm-al-Qaiwain reconnut les droits de Sharjah sur 12 milles autour d’Abu Musa sitôt après la création de la Fédération des Emirats Arabes Unis en 1971.395
180Sharjah réfuta aussi l’argument de Dubaï consistant à dire que donner plein effet à Abu Musa équivaudrait à empiéter sur le prolongement naturel de Dubaï : l’île fait partie du territoire de Sharjah, et elle est située en face de celui de Dubaï. C’est au Tribunal de décider, sur la base de principes équitables, quelles régions de plateau continental relèvent de Dubaï, de la côte continentale de Sharjah et de celle d’Abu Musa.396
181En ce qui concerne l’argumentation de Dubaï relative à la superficie et à la situation géographique d’Abu Musa, Sharjah fit remarquer que, dans la pratique des Etats, il y a des exemples où on a attribué plein effet à des petites îles très éloignées de leur territoire principal. De toute manière, Abu Musa est plus proche de Sharjah que de Dubaï. Elle a 800 habitants et son importance économique est grande.397
182A l’argument de Dubaï, selon lequel Sharjah serait privé du droit de présenter ses revendications du fait qu’Abu Musa avait été ignorée lors du tracé de la ligne médiane établie dans l’Accord de 1974 entre les Emirats et l’Iran, Sharjah répondit qu’en fait c’était Dubaï qui avait conclu cet accord. De toute façon, la limite résultant du plein effet d’Abu Musa s’arrêterait au point où elle rencontrerait celle établie par l’Accord de 1974.398
183Cependant, le Gouvernement de Sharjah admit qu’un facteur important s’opposait à la prise en considération totale d’Abu Musa : l’existence d’un puits de pétrole qui est exploité par le Gouvernement de Dubaï et qui, si l’on traçait une ligne équidistante accordant plein effet à l’île, tomberait sous la juridiction de Sharjah. Pour éviter ce résultat, et en se fondant sur la décision du Tribunal arbitral franco-britannique de 1977, ainsi que sur la pratique concernant l’île de Kharg (Accord entre l’Iran et l’Arabie Saoudite du 24 octobre 1968), Sharjah conclut qu’il serait équitable de ne donner qu’un demi-effet à Abu Musa.399
184Dans ses conclusions, Sharjah pria le Tribunal de consacrer une ligne de 312°, proposée par le Gouvernement britannique en 1963, mais contestée par Dubaï. Subsidiairement, au cas où le Tribunal rejetterait cette ligne, Sharjah conclut que la délimitation devait être effectuée sur la base du droit coutumier, qui, dans le cas concret, permet l’utilisation d’une ligne équidistante, donnant demi-effet à l’île d’Abu Musa.400
185Dans sa Sentence du 19 octobre 1981, le Tribunal rejeta en premier lieu, la ligne de 312° proposée par Sharjah. En conséquence, il resta en présence des conclusions des deux parties, telles que nous les avons exposées plus haut, et selon lesquelles la délimitation du plateau continental doit être effectuée sur la base du droit coutumier. Pour identifier ce droit coutumier, le Tribunal se pencha sur l’Arrêt de la Cour internationale de Justice de 1969 ainsi que sur la décision du Tribunal arbitral franco-britannique de 1977. Il accepta pleinement les conclusions de ces deux instances, selon lesquelles les règles régissant la délimitation sont les principes équitables, dont l’application aboutit à une délimitation équitable. Après avoir aussi longuement examiné les dispositions pertinentes du droit conventionnel de 1958 et celle du Projet de convention sur le droit de la mer, le Tribunal jugea que la méthode de l’équidistance était acceptable, car elle allait produire, en l’espèce, des résultats équitables, sauf pour la région d’Abu Musa, qui doit être considéré comme constituant une « circonstance spéciale ».401
186Le Tribunal continua en disant qu’il considérait Abu Musa comme un territoire appartenant à un des Etats parties au différend sur la délimitation. Avant d’aborder la question de l’influence de l’île sur la limite du plateau continental, le Tribunal se pencha sur la controverse entre les parties concernant le droit de l’île à une zone de mer territoriale de 12 milles. De l’avis du Tribunal, le droit de toute île, petite ou grande, à une mer territoriale est en principe bien établi en droit international. Preuve en sont l’article 10 de la Convention de 1958 sur la mer territoriale et l’article 121, chiffre 2, du Projet de convention sur le droit de la mer. Abu Musa a donc droit à une mer territoriale ex principio, ce indépendamment des revendications présentes et futures des Etats voisins sur le plateau continental.402
187Cela dit, l’affirmation du droit d’une île à une mer territoriale est sans préjudice de l’étendue de cette mer territoriale, dans les cas, par exemple, de la délimitation de la mer territoriale entre une île et une autre terre, à des endroits où les deux zones de mer territoriale se chevauchent. Tel n’est cependant pas le cas ici, où il s’agit de déterminer uniquement la limite du plateau continental et où la zone de mer territoriale d’Abu Musa ne chevauche pas avec la mer territoriale d’une autre terre. C’est pourquoi le Tribunal décida d’attribuer à Abu Musa une zone de mer territoriale de 12 milles, largeur revendiquée par Sharjah.403
188En revanche, en ce qui concerne la revendication de Sharjah d’un plateau continental pour Abu Musa, en réclamant initialement plein effet et par la suite demi-effet sur la ligne d’équidistance, le Tribunal considéra que l’île constitue une circonstance spéciale créatrice d’inéquité, dont il faut tenir compte lors de la délimitation. La méthode de l’équidistance est une règle générale mais non invariable : au contraire, elle peut subir des tempéraments par le biais des circonstances spéciales, dans la mesure où cela est nécessaire pour aboutir à une délimitation équitable.404
189Le Tribunal continua son raisonnement en rappelant qu’en droit international, il est bien établi qu’une île a droit à un plateau continental. Le texte de l’article premier de la Convention de 1958 sur le plateau continental et de l’article 121, chiffre 2, du Projet de convention sur le droit de la mer en témoignent. Il s’agit là d’un « droit inhérent découlant du fait physique de l’existence du plateau en tant que prolongement de la masse terrestre ».405
190Cependant, le cas d’espèce se présente comme suit : Abu Musa est sise sur un plateau continental qui est géologiquement le prolongement naturel tant de Dubai que de Sharjah. La question essentielle est en fait de savoir si le droit inhérent d’Abu Musa à une portion de plateau continental commun peut être nuancé après une appréciation des circonstances géographiques particulières. Après avoir examiné attentivement la situation géographique d’Abu Musa ainsi que les autres facteurs pertinents concernant cette île, le Tribunal conclut qu’attribuer à celle-ci une portion de plateau continental supérieure à 12 milles produirait une déviation excessive sur la limite du plateau continental entre les deux Etats voisins. Les 12 milles de mer territoriale que le Tribunal a décidé de donner à Abu Musa représentent 544,5 milles carrés. Le demi-effet envisagé par Sharjah aurait rajouté 133,8 milles carrés. Cela aurait créé, de l’avis du Tribunal, un résultat disproportionné et exagéré.
191D’autre part, poursuivit le Tribunal, donner nul effet à Abu Musa préserve l’équité dans la situation particulière et est en harmonie avec une pratique régionale telle qu’elle est appliquée aux îles Farsi et Arabi (Accord entre l’Iran et l’Arabie Saoudite de 1969) et à l’île Dayinah (Accord entre Qatar et Abu-Dhabi de 1969), îles qui ont été ignorées lors du tracé de lignes d’équidistance mais qui ont reçu une zone de mer territoriale.
192Le Tribunal décida donc que la limite du plateau continental entre Dubaï et Sharjah devait être une ligne équidistante qui ignore l’île d’Abu Musa, mais qui passe à une distance de 12 milles de celle-ci et des hauts-fonds découvrant avoisinants ; cette ligne se prolonge jusqu’au point de son intersection avec la limite maritime entre l’Iran et les Emirats.406
193Cette décision n’apporte pas d’éléments nouveaux en ce qui concerne les principes qui régissent la délimitation du plateau continental. Au contraire, elle est tout-à-fait dans la ligne de la décision du Tribunal franco-britannique de 1977, en ce sens qu’elle confirme le rapprochement entre le droit coutumier et le droit conventionnel. Comme on l’a fait remarquer plus haut, le droit applicable dans l’affaire de la Délimitation de la frontière terrestre et de la limite maritime entre Dubaï et Sharjah est le droit coutumier. Les fréquentes références du Tribunal au droit conventionnel de 1958 et à celui en formation au sein de la Troisième Conférence sur le droit de la mer, en tant qu’éléments qui confirment les principes coutumiers, amènent cependant à penser que le Tribunal applique aussi le droit conventionnel. En ce sens, l’influence de la décision de 1977 sur celle de 1981 est frappante.
194A l’instar de la France et du Royaume-Uni, les parties au présent litige étaient aussi d’accord sur l’utilisation de la méthode de l’équidistance, en tant que méthode fournissant un résultat équitable en l’espèce. Le désaccord des parties concernait l’effet à donner à l’île d’Abu Musa sur la limite d’équidistance. La solution du Tribunal est également dans la ligne de celle du Tribunal franco-britannique : ignorer l’île pour le tracé de la limite du plateau continental entre Dubaï et Sharjah. L’emplacement de l’île, sise « du bon côté » de la ligne d’équidistance, n’a cependant pas permis d’en faire une enclave, comme pour les Iles Anglo-normandes. Ainsi, étant donné que le Tribunal accorda à Abu Musa une zone de mer territoriale de 12 milles, la limite du plateau continental a suivi la limite extérieure de la mer territoriale de l’île. Selon le Tribunal, cette solution fut dictée non seulement par des principes équitables, mais aussi par des éléments tirés d’une pratique qu’il qualifia de régionale. Quant à cette dernière affirmation, faisons observer que, sur six accords conclus entre Etats riverains du Golfe Persique où des îles sont impliquées, trois prévoient l’attribution à celles-ci de zones limitées de juridiction nationale, qui font dévier la ligne médiane ou d’équidistance. Parmi ces trois accords, ceux entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et entre le Qatar et les Emirats Arabes Unis concernent des îles sises sur la ligne médiane ou d’équidistance. Dans l’Accord entre l’Iran et les Emirats Arabes Unis, l’île à laquelle a été accordée une zone de mer territoriale est située du « bon côté » de la ligne médiane. Dans un quatrième accord, enfin, entre le Bahrein et l’Arabie Saoudite, deux îlots situés sur la ligne médiane ont été complètement ignorés.407 Dans ces conditions, parler d’une pratique régionale est peut-être exagéré.

195Finalement, une dernière constatation s’impose : malgré la nature différente des zones maritimes que se sont vu attribuer les îles respectives, le Tribunal adopta, pour la zone accordée à Abu Musa, la même largeur que celle octroyée par le Tribunal franco-britannique aux Iles Anglo-normandes.
5. L’Arrêt de la Cour internationale de Justice en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (1982)
196Par un Compromis signé le 10 juin 1977, la Tunisie et la Libye portèrent devant la Cour internationale de Justice un différend concernant la délimitation du plateau continental dans le Golfe de Gabès. A l’article premier de ce Compromis, les Parties demandaient à la Cour
« [q]uels sont les principes et règles du droit international qui peuvent être appliqués pour la délimitation de la zone du plateau continental appartenant à la République tunisienne et de la zone du plateau continental appartenant à la famahiriya arabe libyenne populaire et socialiste et, en prenant sa décision, de tenir compte des principes équitables et des circonstances pertinentes propres à la région, ainsi que des tendances récentes admises à la troisième Conférence sur le droit de la mer.
De même, il est demandé également à la Cour de clarifier avec précision 408 la manière par laquelle lesdits principes et règles s’appliquent dans cette situation précise, de manière à mettre les experts des deux pays en mesure de délimiter lesdites zones sans difficultés aucunes. »409
197Les deux Etats n’étant pas Parties à la Convention de 1958 sur le plateau continental, le droit applicable, tel qu’il est décrit dans l’article premier du Compromis, est donc le droit coutumier.
198Les conclusions des deux parties étaient fondées principalement sur les principes et règles dégagés par la Cour dans son arrêt de 1969. Ainsi, toutes les deux admettaient que la délimitation du plateau continental dans le Golfe de Gabès devait être effectuée selon des principes équitables et compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, de façon à attribuer à chaque Etat la totalité des zones du plateau continental qui constituent le prolongement naturel de son territoire sous la mer et de manière à ne pas empiéter sur le prolongement naturel du territoire de l’autre partie.
199Les parties étaient aussi d’accord pour utiliser le critère de la proportionnalité en tant qu’élément à prendre en considération lors de la délimitation.
200De plus, la Libye, dans ses conclusions, déclara que la méthode de l’équidistance n’aboutissait pas à une délimitation équitable dans le cas concret. A ce propos, il convient cependant de noter que la Tunisie n’avait évoqué le principe de l’équidistance qu’au début des négociations avec la Libye et qu’elle l’abandonna lors de la procédure devant la Cour. En définitive, ni l’une ni l’autre partie ne réclamait donc l’application de la méthode de l’équidistance. La Tunisie demanda toutefois à la Cour de donner plein effet à l’île de Djerba et à l’archipel des Kerkennah.
201Après ces remarques initiales, il convient de résumer les conclusions des parties concernant la limite du plateau continental.
202La Tunisie proposa quatre lignes, dont trois sont mentionnées dans ses conclusions formulées devant la Cour. La première ligne suivait la ligne des crêtes constituée par les rides de Zira et de Zouara, ainsi que « l’orientation générale des prolongements naturels des territoires des deux pays vers la plaine abyssale de la mer Ionienne. »410 Cette ligne reposait sur toute une argumentation tunisienne fondée sur des facteurs géomorphologiques propres à la région. La deuxième ligne consistait en une version simplifiée de la première. Alternativement, deux autres limites furent proposées par la Tunisie : une ligne tracée depuis Ras Ajdir, point final de la frontière terrestre entre les deux Etats, parallèlement à la bissectrice de l’angle formé par le littoral de la Tunisie et de la Libye dans le Golfe de Gabès. Cette ligne était fondée sur l’argument qu’on est en présence d’une côte échancrée ayant une caractéristique particulière, à savoir que le point-frontière n’est pas situé au point où intervient le changement de direction de la côte dans le Golfe, mais au-delà, en l’occurrence à Ras Ajdir. Il s’agissait là, aux yeux de la Tunisie, d’une circonstance pertinente à prendre en considération pour aboutir à une délimitation équitable. 11 convenait donc de prendre l’angle formé par le littoral tuniso-libyen et de le déplacer vers Ras Ajdir en faisant passer la limite du plateau continental à la bissectrice de cet angle.411 La quatrième ligne proposée par la Tunisie, enfin, était fondée sur la théorie dite « de la façade maritime » ou de la proportionnalité, décrite par la Cour dans son arrêt de 1969. Cette ligne était aussi tracée depuis Ras Ajdir, son angle étant calculé, de façon à tenir compte de la longueur respective des côtes des deux Etats, à raison de deux tiers pour la Tunisie et d’un tiers pour la Libye.412
203La limite revendiquée par la Libye devait suivre une ligne unique fondée sur un argument suivant lequel le prolongement naturel des deux Etats est constitué par la projection ou le prolongement vers le nord de la masse terrestre du continent africain dans son ensemble. La limite qui, selon la Libye, reflétait ce prolongement naturel était une ligne prolongeant vers le nord le dernier segment de la frontière terrestre entre les deux Etats à Ras Ajdir.413 Cette ligne, qui trouve son origine dans une loi pétrolière libyenne de 1955, s’infléchit vers le nord-est pour prendre en considération le changement de direction du littoral tunisien dans le Golfe de Gabès.
204Dans son arrêt du 24 février 1982, la Cour rejette la ligne proposée par la Libye vers le nord parce que contenue dans un acte législatif interne. Elle rappelle sa jurisprudence constante sur ce point, selon laquelle
« établir unilatéralement les limites maritimes internationales sans tenir compte de la position juridique d’autres Etats est contraire aux principes reconnus du droit international... ».414
205La première ligne proposée par la Tunisie, l’on s’en souvient, suit les crêtes de Zira et de Zouara et est fondée sur des considérations géomorphologiques : aux yeux du Gouvernement tunisien,
« la “structure physique et géologique” fournit, dans ce cas particulier, comme la Cour l’avait prévu, un facteur permettant de tracer, avec un degré de précision relativement satisfaisant, la ligne de délimitation de zones pouvant être respectivement considérées comme le prolongement du territoire de chacun des deux Etats jusqu’à l’isobathe 3 000 m, et comme le prolongement "le plus naturel" au-delà de cette isobathe ».415
206La Libye avait avancé des arguments scientifiques pour prouver l’inexactitude de la thèse tunisienne et renforcer sa propre thèse, selon laquelle le prolongement naturel se dirige vers le nord et non pas vers le nord-est comme suggéré par la Tunisie. La Cour, dans son arrêt, rejette la ligne tunisienne des crêtes. Elle écarte
« l’idée que l’un de ces caractéristiques marquerait une rupture ou solution de continuité telle qu’elle constituerait indiscutablement la limite de deux plateaux continentaux ou prolongements naturels distincts ».416
207Contrairement à la thèse tunisienne, la Cour dit que le plateau continental devant les côtes tunisiennes et libyennes est un plateau unique et que, par conséquent, la notion de prolongement naturel n’aide pas à résoudre le problème de sa délimitation.
208Ayant ainsi écarté la notion de prolongement naturel en tant qu’élément primordial pour la délimitation, la Cour se penche sur l’examen des principes équitables dont il faut tenir compte pour aboutir à une délimitation équitable. Elle insiste sur le résultat à atteindre en utilisant les moyens appropriés pour y arriver.
« C’est ... le résultat qui importe : les principes sont subordonnés à l’objectif à atteindre. L’équité d’un principe doit être appréciée d’après l’utilité qu’il présente pour aboutir à un résultat équitable. Tous les principes ne sont pas en soi équitables ; c’est l’équité de la solution qui leur confère cette qualité. Les principes qu’il appartient à la Cour d’indiquer doivent être choisis en fonction de leur adéquation à un résultat équitable. »417
209Puis, la Cour examine les nouvelles tendances admises à la Conférence sur le droit de la mer et que les parties lui ont demandé de prendre en considération. Après avoir examiné l’évolution du texte de l’article 83 du Projet de convention (formule Koh), elle aboutit à la conclusion que
« [d]ans le nouveau texte, toute indication d’un critère spécifique pouvant aider les Etats intéressés à parvenir à une solution équitable a disparu. L’accent est placé sur la solution équitable à laquelle il faut aboutir. »418
210Vient ensuite le tour des facteurs pertinents propres à la région, troisième élément mentionné dans le Compromis et dont la Cour devait tenir compte selon le vœu des Parties. C’est lors de l’examen de ces facteurs que la Cour étudie le problème posé par les îles tunisiennes. En effet, la Tunisie a soumis une conclusion aux termes de laquelle
« la délimitation doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes propres à la région, notamment
a) Du fait que la façade orientale tunisienne est marquée par la présence d’un ensemble d’îles, îlots et hauts-fonds découvrant qui sont une partie constitutive du littoral tunisien ».419
211De son côté, la Libye répliqua
« qu’il y aurait lieu d’omettre l’île de Djerba, qui constitue manifestement un élément exceptionnel dont l’inclusion entraînerait d’inutiles complications.
De même, il conviendrait d’exclure les îles Kerkennah, qui n’occupent guère plus de 180 km2. »420
212Dans son arrêt, la Cour admet que « la présence de l’île de Djerba et des Kerkennah avec leurs hauts-fonds découvrant représente une circonstance qui est manifestement à prendre en considération ».421 En effet,
« ... la Cour ne peut pas accepter que la prise en considération de Djerba et des Kerkennah soit exclue en principe. La méthode pratique de délimitation que la Cour exposera par la suite est telle en fait que, dans la partie de la zone à délimiter où l’île de Djerba aurait une incidence, d’autres considérations viennent contrebalancer cet effet ; en revanche, l’existence et la situation des Kerkennah et des hauts-fonds découvrant qui les entourent est un fait important. »422
213Avant de décrire « la méthode pratique de délimitation » qu’elle tient pour équitable, la Cour examine les deux autres lignes proposées par la Tunisie, tracées selon des méthodes géométriques, fondées sur la configuration des côtes et appliquant les principes de la façade maritime et de la proportionnalité. Ces lignes passent approximativement au même endroit que la ligne fondée sur les données géologiques, géophysiques et bathymétriques suggérée par la Tunisie.423
214La Cour écarte aussi ces lignes géométriques parce qu’elles ignorent une circonstance spéciale qui, aux yeux de la Cour, a un grand poids. Il s’agit d’une ligne perpendiculaire à la côte au point de Ras Ajdir, qui, proposée par l’Italie en 1913, acquit le caractère d’une limite de facto entre les deux parties au différend, selon une sorte de modus vivendi tacite. En effet, dans l’octroi de leurs concessions respectives, les parties avaient respecté cette limite, tout en la contestant par ailleurs.424
215La méthode proposée par la Cour consiste en la délimitation suivante : dans un premier segment proche de la côte, la limite doit être une ligne tracée à partir de la limite extérieure de la mer territoriale et formant avec le méridien un angle de 26°, de façon à respecter les concessions accordées par les deux pays. Cette ligne, qui correspond à peu près à une normale à la côte à Ras Ajdir, ignore l’île de Djerba. Pour reprendre les mots de la Cour,
« ... il ne faut pas perdre de vue que la Cour ne traite ici que de la délimitation des fonds marins dans la zone la plus proche de la côte à Ras Ajdir, de sorte que pour se prononcer sur la direction de la côte on peut négliger pour le moment les configurations côtières relativement éloignées de cette localité, notamment l’île de Djerba ».425
216La ligne ainsi tracée sera prolongée jusqu’à son intersection avec le parallèle passant par le point, où, selon la Cour, la côte change de direction dans le Golfe de Gabès. La Cour a situé ce point à environ 34° 10’ 30" de latitude nord. A partir de ce point, elle estime qu’un angle différent s’impose du fait de certaines circonstances spéciales.
217Ces circonstances spéciales sont au nombre de deux : le changement de direction de la côte tunisienne dans le Golfe de Gabès et l’existence et la position des Iles Kerkennah. Le changement de direction de la côte ainsi que l’existence des Kerkennah auront comme résultat de faire fléchir la ligne vers l’est.
218La Cour définit d’abord le « changement général de direction de la côte ». Selon elle, une ligne entre le point sur la côte situé à 34° 10’ 30" et Ras Kapoudia, point saillant au nord de la côte tunisienne reflète ce changement. Cette ligne forme un angle de 42° avec le méridien. Les Kerkennah sont situées à l’est de la ligne ; elles sont entourées d’îlots et de hauts-fonds découvrant. Leur superficie est de 180 km2 et elles sont séparées de la masse continentale par des eaux très peu profondes (environ quatre mètres). Les hauts-fonds les entourant forment autour d’elles une ceinture d’une largeur variant de 9 à 27 km. La Cour considère qu’il s’agit-là de circonstances pertinentes qui doivent être prises en considération lors de la délimitation :
« [v]u cette configuration géographique, la Cour a dû prendre en considération non seulement les îles, mais aussi les hauts-fonds découvrant qui, bien que ne possédant pas, comme les îles, un plateau continental propre, sont reconnus à certaines fins en droit international, comme en témoignent les Conventions de Genève de 1958 et le projet de convention sur le droit de la mer. 11 est malaisé de définir l’inclinaison d’une ligne qui serait tracée à partir du point le plus occidental du golfe de Gabès vers le large des Kerkennah de manière à tenir compte des hauts-fonds découvrant qui bordent celles-ci vers la haute mer ; mais une ligne tracée à partir de ce point le long de la côte des îles du côté du large formerait manifestement avec le méridien un angle de 62" environ. La Cour est cependant d’avis qu’en tout état de cause une ligne de délimitation infléchie jusqu’à 62° parallèlement à la côte de l’archipel attribuerait un poids excessif aux Kerkennah dans les circonstances de la présente affaire. »426
219Ayant dit cela, la Cour se réfère à la pratique des Etats pour affirmer que celle-ci fournit des exemples d’îles proches des côtes qui se sont vu reconnaître un effet partiel ; selon la Cour, ce sont les circonstances « géographiques et autres » - et la Cour utilise ici l’expression consacrée par le Tribunal arbitral franco-britannique, mais sans le citer - qui déterminent la méthode à utiliser. La Cour fait ensuite référence à la technique du demi-effet qui est ainsi définie :

Source : C I J, Recueil 1982, p. 90.
Limite tracée par la Cour sur une carte établie à des fins purement illustratives et sans préjudice du rôle des experts à qui il reviendra de déterminer la ligne avec exactitude.
« ... cette technique consiste à tracer deux lignes de délimitation, dont l’une reconnaît à l’île tout l’effet que lui attribue la méthode de délimitation employée, l’autre n’en tenant aucun compte, comme si elle n’existait pas. La ligne de délimitation effective est alors tracée entre ces deux lignes, soit de manière à diviser en parties égales l’espace qui les sépare, soit le long de la bissectrice de l’angle qu’elles forment, soit encore réduite à moitié. Vu la position des Kerkennah et les hauts-fonds découvrant qui les entourent, la Cour croit devoir aller jusqu’à attribuer aux îles un demi-effet de ce genre. Sur cette base, la ligne de délimitation vers le large, au-dessus de la latitude du point le plus occidental du Golfe de Gabès, sera parallèle à une ligne tracée à partir de ce point comme bissectrice de l’angle entre la ligne de la côte tunisienne (42°) et la ligne longeant la côte des Kerkennah vers le large (62°), c’est-à-dire à un angle de 52° avec le méridien. »427
220Ainsi, pour le tracé du premier segment de la limite, proche des côtes, l’île de Djerba a été ignorée alors que, lors du tracé du second segment, les Kerkennah se sont vu accorder un demi-effet.
221Sans doute l’arrêt de 1982 en l’affaire de la Délimitation du Plateau continental entre la Tunisie et la Libye fera date, comme ce fut le cas de celui rendu par la Cour en 1969 dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord. Dans son arrêt de 1982, la Cour fait abstraction du principe du prolongement naturel en tant que pierre angulaire de la délimitation, principe qu’elle avait elle-même consacré en 1969. Comme on l’a vu, cet élément avait été abandonné par le Tribunal arbitral franco-britannique dans sa décision de 1977 et par la Commission de conciliation entre la Norvège et l’Islande dans son Rapport de 1981.
222La Cour a repris la constatation fondamentale faite par le Tribunal franco-britannique, à savoir que ce qui importe, c’est le résultat équitable auquel doit aboutir toute délimitation pour pouvoir à son tour être qualifiée d’équitable. En vue d’arriver à un tel résultat, il faut avoir recours à des principes équitables et tenir compte de toutes les circonstances pertinentes propres à la région. Se pose alors le rôle à attribuer aux îles proches de la côte tunisienne.
223Prenons d’abord l’île de Djerba. La Cour l’a ignorée lors du tracé du premier segment, en affirmant que cet effet nul serait contrebalancé ailleurs. Cependant, la contrepartie ainsi promise n’apparaît nulle part dans l’arrêt. Dans son opinion dissidente, le juge ad hoc Evensen critique sévèrement la Cour pour avoir donné nul effet à cette île, dont il met en relief les caractéristiques suivantes :
« ... l’île de Djerba est en fait un prolongement du continent en direction du nord ; à marée basse, c’est à peine une île, car elle n’est séparée du continent que par un détroit extrêmement étroit. Dès l’époque romaine, l’île était reliée au continent par une digue qu’empruntent encore aujourd’hui les chameliers. Les eaux qui entourent le reste de Djerba sont d’ailleurs, elles aussi, très peu profondes. L’île de Djerba est, comme les Kerkennah, entourée par une ceinture de bancs et de hauts-fonds découvrants où les engins de pêche fixes visibles en surface sont très utilisés (...). L’île a une superficie d’environ 690 kilomètres carrés, c’est-à-dire deux fois les dimensions de Malte. Son importance économique est appréciable. Sa population permanente est nombreuse. Enfin, l’île est devenue un centre touristique important. »428
224La Cour, on l’a vu, a attribué un demi-effet au Kerkennah en traçant le second segment de la ligne. Leur attribuer un plein effet en utilisant un angle de 62° fut jugé excessif par la Cour. Cependant, comme le juge Schwebel l’a fait remarquer dans son opinion individuelle, les Kerkennah sont des îles importantes, séparées de la Tunisie continentale par des eaux peu profondes où sont installées des pêcheries fixes ; elles ont par ailleurs une population nombreuse qui se livre à la pêche « selon une tradition ancienne et ininterrompue ».429 Selon le juge américain,
« [e]n vertu du droit international, le plateau continental comprend les fonds marins et le sous-sol adjacents aux côtes insulaires. Aucune règle de droit international ne prévoit d’accorder aux îles moins que leur effet complet dans la délimitation du plateau continental ; il peut cependant être équitable, dans certaines circonstances, de leur reconnaître un moindre effet. Selon moi, en la présente espèce, la Cour ne s’est pas acquittée de la charge de démontrer pourquoi l’octroi d’un plein effet aux Kerkennah aurait abouti à leur attribuer un "poids excessif". »430
225C’est en des termes très sévères que le juge Gros critique, lui aussi, l’octroi d’un demi-effet aux Kerkennah :
« L’arrêt impose un demi-effet après avoir constaté que ces îles avaient une haute importance. Sans relever la contradiction entre cette appréciation et le refus d’en tirer toutes les conséquences, je dirai seulement que la carte ne me paraît pas révéler d’effets disproportionnés sur une ligne de délimitation dus au seul fait de la présence de ces îles importantes là où elles se trouvent, en réservant tout commentaire sur l’existence d’une déviation inéquitable d’une ligne que la Cour a tirée ex nihilo. La balance des intérêts a pesé, en l’espèce, une différence de milliers de kilomètres carrés au détriment d’une Partie, ce qui eût mérité un contrôle sérieux des méthodes de cette “équité”. »431
226Ces mots ont d’autant plus d’importance que le juge Gros était un des membres du Tribunal arbitral franco-britannique qui est la première instance juridictionnelle internationale à avoir appliqué la méthode du demi-effet. Elles témoignent du souci du juge Gros d’éviter une application arbitraire de cette méthode qu’il admet en principe.
227Dans son opinion dissidente, le juge ad hoc Evensen souligne que la Cour, tout en disant qu’elle allait prendre en considération les hauts-fonds découvrants autour des Kerkennah, ne l’a pas fait.
« Si l’on tenait compte de ces hauts-fonds découvrants, la ligne reliant le point le plus occidental du golfe de Gabès aux Kerkennah s’écarterait du méridien d’environ 66° et non 62°. Même en s’en tenant à la décision de la Cour d’attribuer un demi-effet aux Kerkennah - résultat selon moi inéquitable et qui refait la nature - on ne devrait en aucun cas aboutir à une ligne de 52°, mais à une ligne formant avec le méridien un angle d’environ 57°,5. »432
228Le même juge critique la Cour pour avoir utilisé une ligne qui donne nul effet aux Kerkennah, qui passe à l’intérieur des terres (voir le croquis à la page 208) et qui, comme telle, revient aussi à refaire la nature, parce « qu’elle ne tient pas compte de la côte réelle ».433
229En bref, en dépit des affirmations de la doctrine, selon lesquelles même les petites îles situées à proximité des côtes doivent être prises en considération pour le tracé de la limite du plateau continental434, la Cour a minimisé la présence d’îles aussi importantes et proches des côtes que Djerba et les Kerkennah, en ignorant la première et en donnant aux secondes un demi-effet attribué arbitrairement, en vue de tracer une ligne non équidistante. Entre la ligne libyenne et le « faisceau de lignes tunisiennes », la Cour a établi une ligne passant au milieu, partageant apparemment l’enjeu ; en fait, quand on sait que les plus gros gisements de pétrole se trouvent dans la région proche des côtes, on comprend que le premier segment de la limite, pour le tracé duquel la Cour a ignoré Djerba, laisse la plus grande partie de ces gisements du côté de la Libye. Ce faisant, la Cour a, malgré ses dénégations, glissé du domaine du droit positif, dans lequel sont incorporés les principes équitables menant à une délimitation équitable, à celui de l’équité, telle que mentionnée à l’article 38, chiffre 2, du Statut de la Cour. En d’autres termes, celle-ci a plutôt rendu un jugement ex aequo et bono. Pour reprendre les termes utilisés par le juge Gros, la Cour n’a pas répondu à la demande des parties en disant le droit ; elle a plutôt tenté « une conciliation par persuasion » qui ne relève pas de son rôle judiciaire.435
230Ces constatations montrent qu’en fait, la frontière entre, d’une part, juger selon le droit positif - aux termes duquel la délimitation du plateau continental doit être effectuée sur la base de principes équitables pour aboutir à une délimitation équitable pour les deux parties - et, d’autre part, juger en se basant sur des considérations extra-juridiques, est difficile à tracer de manière précise. Jusqu’où peut aller le juge, dans ses considérations équitables, pour rester dans le domaine du droit ? A partir de quel point peut-on dire qu’il a franchi cette frontière ? Il est clair que dans la présente affaire, les parties n’avaient pas demandé à la Cour de juger ex aequo et bono. Néanmoins, ce n’est qu’au moment de l’application des principes équitables qu’on se rendra compte de l’arbitraire que peut revêtir cette application. En l’espèce, appliquer le demi-effet parce qu’un autre tribunal l’a fait dans une situation géographique complètement distincte et au moyen d’une méthode de délimitation différente, ne relève pas de l’application « des principes équitables et des circonstances propres à la région ».436 En outre, ignorer une île importante, faisant partie de la côte de l’une des parties au litige, n’aboutit pas à une délimitation équitable.
6. Appréciation
231La diversité et, parfois, l’arbitraire des solutions données par les différents tribunaux internationaux aux problèmes posés par la présence d’îles lors de la délimitation du plateau continental entre Etats conduit fatalement à la question de l’objectivité des principes équitables qu’un tribunal international doit appliquer en vue d’aboutir à une délimitation équitable. Si, au niveau de la théorie, la jurisprudence a résolu la question de la divegence apparente entre le droit conventionnel et le droit coutumier, au niveau de l’application des principes équitables, nous nous trouvons devant une situation qu’on pourrait qualifier d’anarchique. C’est inévitable quand il faut appliquer une règle générale, dont le contenu est que la délimitation du plateau continental doit être équitable. Pour atteindre ce but, il faut utiliser des principes équitables et tenir compte de tous les facteurs pertinents. Autrement dit, tous les moyens sont bons pour arriver à la délimitation équitable, et le caractère équitable des principes utilisés ne peut être apprécié que d’après le résultat de la délimitation. Il faut admettre que la tâche du juge devant une telle règle vague et générale qui renvoie à d’autres règles tout aussi vagues, est ardue. Il en résulte une jurisprudence constante quant à la formulation des règles, mais très vacillante quant à l’application de ces règles dans chaque cas d’espèce.
232Voyons d’abord le côté constant de cette jurisprudence : il faut constater, en premier lieu, une élaboration théorique remarquable des règles applicables à la délimitation du plateau continental. Avec le rapprochement du droit conventionnel et du droit coutumier, le poids est mis, nous l’avons vu, sur le résultat à atteindre, moyennant toute méthode capable d’aboutir à ce résultat. En ce sens, ni le principe du prolongement naturel, ni celui de la proportionnalité ne sont des critères absolus. C’est pourquoi ces deux notions sont abandonnées très tôt au profit des considérations « géographiques et autres ». Celles-ci, tout comme le résultat équitable de la délimitation, sont appréciées par le juge.
233Ces considérations nous mènent à la deuxième constatation concernant les modalités de l’application des principes équitables à chaque cas d’espèce. Parmi les quatre décisions provenant d’instances juridictionnelles, deux ont utilisé la méthode du demi-effet. Nous avons vu que pour les Sorlingues, il y a une relation de distance qui justifie cette utilisation. En revanche, le demi-effet accordé par la Cour internationale de Justice aux Kerkennah n’est nullement justifié. D’autre part, dans trois cas, l’instance compétente a donné aux îles un effet nul. C’est le cas des Iles Anglo-normandes, d’Abu Musa et de Djerba. Dans les deux premiers cas, les îles se son vu accorder des zones limitées de juridiction nationale ; dans le troisième cas, l’île de Djerba étant située à l’intérieur de la mer territoriale tunisienne, elle n’a pas reçu de zone supplémentaire d’espace maritime. L’emplacement de chacune des îles en question est différent. Alors que les Iles Anglo-normandes sont sises « du mauvais côté » d’une ligne médiane, l’île d’Abu Musa est située « du bon côté » d’une ligne d’équidistance, alors que Djerba, faisant partie du littoral tunisien est sise « du bon côté » d’une ligne non équidistante qu’on pourrait qualifier de géométrique, puisqu’elle se rapproche d’une normale à la côte.
234Ces remarques nous conduisent enfin à la constatation suivante : alors qu’au niveau des principes la continuité de la jurisprudence est remarquable, les différentes instances juridictionnelles appliquent indifféremment des méthodes identiques à des situations géographiques très différentes. En ce sens, il est impossible de formuler des conclusions ou de grouper les solutions données.
C) L’élaboration des règles concernant la délimitation du plateau continental au sein de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer
1. Evolution
235La délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive437 entre Etats a été une des question les plus difficiles à négocier au sein de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer.438
236Depuis 1969, après l’arrêt de la Cour internationale de Justice dans les affaires de la Délimitation du plateau continental de la mer du Nord, on a pu penser, comme on l’a exposé plus haut439, qu’il y a une dichotomie entre le droit conventionnel, tel qu’il est exprimé à l’article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental, et le droit coutumier, tel qu’il a été dégagé par l’arrêt de la Cour : alors que l’article 6 préconise, à défaut d’accord, l’application de la méthode de l’équidistance, qui constitue la règle, atténuée par l’exception des circonstances spéciales, le droit coutumier veut que la délimitation soit effectuée par accord, sur la base de principes équitables, parmi lesquels la méthode de l’équidistance a une place équivalente à celle de toute autre méthode de délimitation.
237Ce fut là le point de départ d’une énorme controverse qui divisa les Etats, selon leur situation géographique et la configuration de leurs côtes. De toute évidence, les îles étaient au centre du problème : déjà en 1956, on s’en souvient, la Commission du droit international les avait mentionnées comme circonstances spéciales susceptibles de justifier un tracé autre que celui résultant de l’application de la méthode de l’équidistance. Un grand nombre de différends ont surgi par la suite en raison du rôle des îles lors des négociations en vue de conclure des accords de délimitation du plateau continental.
238Telle était la situation quand la Troisième Conférence sur le droit de la mer entama ses travaux à Caracas, en 1974. Très rapidement deux groupes se formèrent, rassemblant l’un les Etats partisans de la méthode de l’équidistance, l’autre ceux qui préconisaient les principes équitables. Puisqu’il s’agissait de refaire le droit, chaque groupe se montrait décidé à voir figurer dans la nouvelle Convention la règle qui l’avantagerait le plus.
239Ces tendances divergentes se firent jour dès le débat qui eut lieu à Caracas. Se prononcèrent pour sauvegarder la formulation de l’article 6, donc l’équidistance, des Etats comme le Japon440, la Corée441, El Salvador442, la Grèce443, la Gambie444, le Danemark445, la République Populaire de Corée446, Chypre447, Cuba448, l’Italie449 et Malte.450 La thèse des principes équitables fut soutenue par le Honduras451, la Libye452, la Roumanie453, la Turquie454, l’Iraq455, la Thaïlande456, la Tunisie457 et l’Irlande. Le délégué de ce dernier pays releva notamment qu’
« il n’est pas inconcevable qu’une île puisse permettre à un Etat de revendiquer une juridiction sur le plateau continental sans qu’elle puisse pour autant servir équitablement de repère de base lors de la division du plateau continental entre deux Etats limitrophes en utilisant la méthode de la ligne d’équidistance ».458
240Le Bahreïn, enfin, souligna la nécessité de conclure des accords régionaux fondés sur l’équité.459
241Toujours à la session de Caracas, un certain nombre de projets d’articles sur la délimitation du plateau continental furent présentés. Pour les Etats partisans des principes équitables, la délimitation devait se faire par accord entre les Etats intéressés, conformément à des principes équitables, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes.460 Une variante ajoutée à cette formule générale consistait à préciser que la ligne médiane ou d’équidistance n’est pas la seule méthode de délimitation.461 D’autres Etats désiraient mentionner les facteurs géologiques ou géomorphologiques parmi les circonstances ou facteurs pertinents à prendre en considération lors de la délimitation.462
242La plupart des Etats auteurs de ces projets étaient des pays dont les voisins possèdent des îles qui, si elles sont prises en considération pour le tracé d’une ligne médiane, font dévier la limite au profit de ces voisins. Pour éviter ce résultat, ils introduisirent dans leurs projets des dispositions détaillées concernant les îles. Ainsi la Roumanie, pour éviter l’effet préjudiciable que pourraient avoir sur la délimitation les Iles du Serpent appartenant à l’Union Soviétique mais situées devant les côtes roumaines463, proposa un article dont le chiffre 2 avait la teneur suivante :
« Les îles qui se trouvent dans les zones marines à délimiter sont à prendre en considération en fonction de leur superficie, du fait de leur population ou absence de population, de leur emplacement et configuration géographique, ainsi que d’autres facteurs pertinents. »464
243Pour la Turquie, dont les côtes sont garnies des îles grecques, les circonstances spéciales dont les Etats doivent tenir compte lors de leurs négociations pour aboutir à un accord selon des principes équitables englobent « l’existence d’îles, d’îlots ou de rochers d’un Etat sur le plateau continental de l’autre Etat ».465 De même, le Kenya et la Tunisie proposèrent qu’
« il devra être tenu compte notamment des critères géologiques et géomorphologiques, ainsi que de toutes les circonstances spéciales, y compris la présence des îles ou îlots dans la zone à délimiter ».466
244La présence des îles italiennes au large des côtes tunisiennes explique pourquoi la Tunisie est co-auteur de ce projet.467 Une proposition analogue présentée par la France s’explique par le différend qui l’opposa au Royaume-Uni au sujet des Iles Anglo-normandes.468
245Quant à l’Irlande, préoccupée par les revendications du Royaume-Uni sur Rockall469, elle proposa la solution suivante :
« En l’absence de circonstances spéciales et dans la mesure où cela n’est pas en contradiction avec des principes équitables, la limite [du plateau continental] est déterminée sur la base d’une ligne médiane dont chaque point est équidistant des points les plus proches de la laisse de basse mer sur les côtes des Etats intéressés. Pour déterminer la ligne médiane aux fins du présent article, on ne tiendra compte d’une île que si elle est habitée et que si :
i) Elle n’est pas séparée de la laisse de basse mer sur la côte du continent par une largeur supérieure à celle de la mer territoriale, ou si
ii) Elle correspond au moins à un dixième de la superficie de l’Etat intéressé et qu’elle abrite au moins un dixième de sa population. »470
246Cette proposition rappelle celle de la Turquie relative au droit des îles à une zone économique exclusive et un plateau continental, proposition qui consistait à préciser que :
« Une île située dans la zone économique ou sur le plateau continental d’un Etat étranger n’a pas de zone économique ni de plateau continental propres, à moins qu’elle ne comporte au moins un dixième de la superficie terrestre et de la population de l’Etat auquel elle appartient. »471
247Il est évident que le critère du dix pour cent introduit par l’Irlande et la Turquie était arbitraire, ne serait-ce que parce qu’il est calculé de façon à éviter que la méthode de l’équidistance soit applicable à ces deux pays ; tant l’Irlande que la Turquie s’étaient bien entendu assurées que ni Rockall ni les îles grecques ne représentent dix pour cent de la superficie du Royaume-Uni et de la Grèce, ni n’abritent dix pour cent de la population de ces Etats.
248De leur côté, les pays insulaires, ainsi que ceux dont les îles augmenteraient le plateau continental si la méthode de l’équidistance était applicable, répondirent par des propositions dans lesquelles cette méthode conservait ou renforçait la place privilégiée qui était la sienne dans l’article 6 de la Convention de 1958. Ainsi la Grèce, sous la menace des revendications de la Turquie et sous l’impression produite par l’invasion turque à Chypre (1974), proposa le texte suivant :
« 1. Lorsque les côtes de deux ou plusieurs Etats sont limitrophes ou se font face, la délimitation du plateau continental respectif est déterminée par voie d’accord entre lesdits Etats.
2. A défaut d’un tel accord, aucun Etat n’a le droit d’étendre sa souveraineté sur le plateau continental au-delà d’une ligne médiane dont chaque point est équidistant des points les plus proches des lignes de base, continentales ou insulaires, à partir desquelles la largeur du plateau continental de chacun des deux Etats est mesurée. »472
249Une proposition japonaise allait dans le même sens.473
250Ces deux propositions donnent à la méthode de la ligne médiane un poids plus grand que celui qu’elle possède à l’article 6 de la Convention de 1958. En fait, leur rédaction est identique à celle donnée à l’article 12 de la Convention de 1958, sur la mer territoriale, article qui impose la ligne médiane à défaut d’accord entre les Etats intéressés.474
251De toutes ces propositions, qui figuraient dans la disposition 243 du document « Principales Tendances »475, on n’a retenu, dans le Texte unique de négociation476 (1975) ainsi que dans les Textes de négociation qui s’ensuivirent, qu’une disposition ayant la teneur suivante :
« La délimitation du plateau continental entre Etats limitrophes ou se faisant face est effectuée par accord entre eux selon les principes équitables, moyennant l’emploi, le cas échéant, de la ligne médiane ou de la ligne d’équidistance et compte tenu de toutes les circonstances pertinentes. »
252Cette même disposition était insérée dans tous les Textes de négociation distribués au cours de la Conférence, jusqu’au Texte de négociation composite officieux révisé du 28 avril 1979 (TNCOR).477 Cependant, la négociation sur la délimitation n’avait pas pris fin du fait que ce texte ne satisfaisait ni l’un ni l’autre des deux groupes d’Etats intéressés. C’est pourquoi un Groupe de négociation avait été créé au sein de la Conférence en 1978 ; ce Groupe avait été chargé de résoudre les problèmes relatifs à la délimitation des espaces maritimes. En 1979, le Président du Groupe de négociation, M. Manner (Finlande) présenta un Rapport478 dans lequel il proposa de remplacer la disposition citée ci-dessus par le texte suivant :
« La délimitation du plateau continental entre des Etats dont les côtes sont limitrophes ou se font face est effectuée par accord, conformément à des principes équitables, compte tenu de l’égalité des Etats quant à leur lien géographique avec les zones à délimiter, et en appliquant, conformément aux critères susmentionnés et sous réserve des conditions propres à chaque cas particulier, la règle de l’équidistance. »479
253Cette solution, inspirée par la sentence rendue par le Tribunal arbitral franco-britannique en 1977480, ne put être incorporée au Texte de négociation composite officieux/Révision 2 de 1980 (TNCOR/2). Rédigé dans le but de contenter tout le monde, le nouveau texte, en réalité, ne satisfaisait personne. Les partisans de l’équidistance estimèrent que cette dernière était « noyée »481 par la mention des principes équitables. Les partisans des principes équitables étaient eux aussi insatisfaits puisque la méthode de l’équidistance continuait à figurer dans le texte.
254En 1980, le Groupe de négociation se réunit de nouveau et son Président proposa la disposition suivante :
« La délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes se font face ou entre Etats adjacents est effectuée par voie d’accord, conformément au droit international. Un tel accord se fait selon des principes équitables, moyennant l’emploi, le cas échéant, de la ligne d’équidistance et compte tenu de tous les aspects de la situation dans la zone concernée. »482
255Malgré la présence d’un élément neutre - la référence au droit international - ce texte fut, à son tour, jugé inacceptable ; il se heurta surtout au refus des pays partisans des principes équitables qui voulaient faire disparaître toute référence à la méthode d’équidistance.483
2. L’article 83 de la Convention de 1982 sur le droit de la mer
256La négociation semblait être arrivée à une impasse, chaque groupe couchant sur ses positions, à un point tel qu’on songea supprimer purement et simplement les dispositions relatives à la délimitation. Une telle suppression aurait eu pour effet de perpétuer l’application de l’article 6 de la Convention de 1958 entre les Etats Parties à cette Convention, que les clauses finales de la nouvelle Convention n’abrogent pas484 ; pour les autres Etats, le problème aurait été résolu sur la base du droit coutumier.
257Telle était la situation lorsque, à la fin de la onzième session, le 27 août 1981, le Président de la Conférence, M. Koh, proposa une nouvelle formule ayant la teneur suivante :
« La délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face est effectuée par voie d’accord conformément au droit international tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice, de façon à aboutir à une délimitation équitable. »485
258Cette formule fut agréée par l’ensemble des deux groupes486, à l’exception des Etats-Unis, de la Chine et d’une dizaine d’autres Etats qui demandèrent le temps d’étudier le texte qui, cependant, fut introduit dans le Projet de convention.487
259Au moment de l’adoption du Projet de convention sur le droit de la mer, la Conférence s’est trouvée confrontée à un amendement turc488, visant à supprimer l’article 309 relatif aux réserves et exceptions et ayant la teneur suivante :
« La Convention n’admet ni réserves ni exceptions autres que celles autorisées par ses autres articles. »
260Cet article figurait déjà dans le Projet de convention sur le droit de la mer (Texte officieux) du 28 août 1980. A ce moment, une note avait été ajoutée au texte de l’article 309, qui précisait qu’on partait de l’idée que la Convention serait adoptée par consensus ; et que, par ailleurs, les questions relatives à la délimitation des espaces maritimes entre Etats ainsi que celle du règlement de différends à ce sujet n’ayant pas définitivement été réglées, il se peut qu’on aboutisse à une solution qui permet les réserves vis-à-vis de ces questions.489 L’acceptation de la formule Koh, qui ne prévoit pas de réserves, signifie, si on se refère à l’article 309, que les réserves à l’égard des articles 15, 74 et 83 sur la délimitation des espaces maritimes entre Etats ne sont pas autorisées. On comprend alors le but de l’amendement turc : permettre aux Etats de formuler des réserves à l’égard de ces articles. Cet amendement, soutenu par le Venezuela, fut cependant rejeté par la Conférence le 26 avril 1982 par 100 voix contre 18, avec 26 abstentions.490 Ce qui amena les deux Etats, spécialement concernés par les problèmes de délimitation491, de voter contre la Convention, lors du vote du 30 avril 1982.492
261La formule proposée par M. Koh maintient le principe que toute délimitation doit nécessairement se faire par accord. Pour ce qui est du contenu de l’accord à conclure, la formule renvoie aux règles du droit international telles qu’elles découlent des sources énumérées à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice, plus précisément des conventions et de la coutume en la matière. Cela signifie que pour les Etats qui sont Parties à la Convention de 1958 sur le plateau continental, l’article 6 continuera à être applicable, cela d’autant plus que le chiffre premier de l’article 311 de la Convention dispose que
« files dispositions de la Convention l’emportent, pour les Etats Parties, sur celles des Conventions de Genève de 1958 sur le droit de la mer »,
262mais que le chiffre 5 de ce même article précise que
« [l]e présent article ne porte pas atteinte aux accords internationaux expressément autorisés ou préservés en vertu d’autres articles de la Convention ».
263Les Etats partisans de la digne d’équidistance peuvent ainsi s’estimer satisfaits puisqu’il est renvoyé à l’article 6, du moins dans la mesure où les Etats avec qui ils ont des différends sont eux aussi Parties à la Convention de 1958.
264Pour les Etats qui ne sont pas Parties à la Convention de 1958, c’est le droit coutumier qui leur fournira les règles applicables en matière de délimitation du plateau continental. Ces règles ont été précisées par la jurisprudence internationale, notamment l’arrêt de 1969 relatif aux affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la décision du Tribunal arbitral franco-britannique de 1977 ainsi que l’arrêt de 1982 en l’affaire du Plateau continental entre la Tunisie et la Libye. Les trois décisions font ressortir que la délimitation doit aboutir à des résultats équitables, ce qui rend la formule proposée par M. Koh également acceptable pour les Etats partisans des principes équitables. Cela nous amène à constater que la formule de M. Koh maintient le statu quo : elle ne change rien au droit tel qu’il existait avant son acceptation par les deux groupes et avant son introduction dans le Projet de convention sur le droit de la mer.
265En dépit du fait que la formule proposée par M. Koh, devenue l’article 83, chiffre premier, de la Convention de 1982 préserve en principe le statu quo, cette formule n’est pas exempte de critiques. L’objection principale qui peut être adressée à la disposition suggérée par M. Koh et aux textes qui l’ont précédée est qu’ils obligent les Etats à conclure des accords et, qui plus est, prescrivent le contenu à donner à ceux-ci, ce qui va à l’encontre du principe de la liberté conventionnelle. En effet, les Etats sont libres de contracter ou de ne pas contracter et ils peuvent donner à leurs accords le contenu qu’il désirent, à condition que celui-ci n’aille pas à l’encontre d’une règle de jus cogens, ce qui entraînerait la nullité de l’accord. Or, il est difficile de soutenir que les règles sur la délimitation du plateau continental ont acquis le caractère de jus cogens. Sans doute l’article 6 de la Convention de 1958 sur le plateau continental est-il mieux rédigé de ce point de vue, puisqu’il se borne à prévoir que la délimitation doit se faire par accord et que, à défaut d’accord, la règle équidistance/ circonstances spéciales s’applique. Il est clair que, dans l’esprit de M. Koh et dans celui de ses prédécesseurs, la règle qui forme maintenant l’article 83, chiffre premier, met l’accent sur l’obligation d’effectuer la délimitation par accord et non pas par des actes unilatéraux. On a vu plus haut combien la Cour, dans sa jurisprudence, a insisté sur ce point. Les rédacteurs du chiffre premier de l’article 83 étaient également influencés par le jugement rendu en 1969 dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord ; dans ce jugement, la Cour, invitée par les parties à énoncer les règles et principes applicables à la délimitation, avait indiqué que celle-ci devait s’effectuer par accord sur la base de principes équitables. Les rédacteurs de l’article 83 avaient toutefois perdu de vue que, dans le cas d’espèce, les parties au litige avaient convenu d’avance de régler leur différend par la voie d’accords ultérieurs fondés sur les règles et principes indiqués par la Cour.493
266Les considérations qui précèdent mènent à la constatation que, tel qu’il est rédigé, l’article 83, chiffre premier, ne serait applicable que dans le cadre d’une négociation sur la délimitation du plateau continental entre Etats. Cependant, lors de leurs négociations, les Etats sont libres de prendre en considération n’importe quel facteur et élément, pourvu qu’ils aboutissent à un accord acceptable. En ce sens, la disposition du chiffre premier de l’article 83 est superflue. Tout compte fait, la règle selon laquelle la délimitation doit être opérée conformément au droit international, de façon à aboutir à une solution équitable, ne peut être valable qu’au cas où les Etats sont dans l’impossibilité de conclure un accord, et elle sert alors en tant que barrière à des actes de délimitation unilatéraux. Dans ce cas, conformément au chiffre 2 du même article, les Etats auront recours aux procédures prévues par la Partie XV de la Convention, consacrée au règlement des différends.
Notes de bas de page
137 I.L.C., Yearbook 1951, vol. ii, p. 143.
138 Loc. cit.
139 Voir ci-dessus, pp. 131-132.
140 Loc. cit.
141 I.L.C., Yearbook 1953, vol. ii, p. 79.
142 Ibid., vol. i, p. 128 (traduction de l’auteur).
143 Loc. cit.
144 Ibid., p. 130.
145 Il s’agissait de l’article 8 du Projet de convention qui stipulait :
« Les litiges susceptibles de naître entre Etats au sujet de l’interprétation ou de l’application de ces articles sont soumis à l’arbitrage sur la demande de l’une quelconque des parties. »
Ibid., vol. ii, p. 39
146 . Ibid., vol. i, p. 131.
147 Ibid., p. 133.
148 Loc. cit.
149 Ibid.,p. 134.
150 Ibid., vol. ii, p. 213 (traduction de l’auteur)
151 Ibid., p. 216 (traduction de l’auteur).
152 Intervention de M. Sandstrôm ; ibid., vol. i, p. 126.
153 Intervention de M. Yepes ; loc. cit.
154 Ibid., p. 129.
155 Loc. cit.
156 Ibid.. p. 131.
157 Interventions de M. Hsu, loc. cit. ; de M. Sandström, loc. cit. ; de M. Spiropoulos, ibid., p. 132 ; et de M. Lauterpacht, ibid., p. 130.
158 C.D.I., Annuaire 1956, vol. II, p. 300.
159 Voir ci-dessus, p. 135.
160 Ricaldies, Francis, « La délimitation du plateau continental entre Etats voisins », Annuaire canadien de droit international, vol. xiv, 1976, p. 121.
161 Voir ci-dessus, p. 146.
162 Première Conférence, Documents, vol. vi, p. 151 ; doc. A/CONF.13/C.4/L.16 et Add. 1.
163 Ibid., p. 152 ; doc. A/CONF.13/C.4/L.23.
164 Ibid., p. 110.
165 Ibid., p. 111.
166 Ibid., p. 112.
167 Ibid., p. 114.
168 Lot : cit.
169 Ibid., p. 115.
170 Voir en ce sens les interventions des représentants du Venezuela, ibid., p. 111 et des Etats-Unis, ibid., p. 114.
171 Le texte anglais original est « islands should be treated on their merits ».
172 Première Conférence, Documents, vol. vi, p. 112.
173 Loc. cit.
174 Ibid., p. 153 ; doc. A/CONF.13/C.4/L.25/Rev.l.
175 Ibid., p. 162 ; doc. A/CONF.13/C.4/L.60.
176 L’amendement italien fut rejeté par 31 voix contre 3, avec 18 abstentions ; l’amendement iranien le fut par 33 voix contre 2, avec 21 abstentions ; ibid., p. 117.
177 Voir en ce sens Delin, Lars, « Shall Islands Be Taken Into Account when Drawing the Median Line According to Article 6 of the Convention on the Continental Shelf ? », Nordisk Tidsskrift for International Ret, vol. 41, 1971, p. 112.
178 Voir en ce sens, Bowett, The Legal Regime of Islands in International Law, op. cit., p. 153 ; Rhee, « Equitable Solutions... », op. cit., p. 605 ; Rigaldies, op. cit.. p. 120.
179 Voir ci-dessous, pp. 172 et ss.
180 Lors du déroulement devant la Cour des affaires du Plateau continental de la mer du Nord, les Pays-Bas et le Danemark présentèrent ces accords en tant que preuve de la formation d’une règle coutumière d’après laquelle la méthode de l’équidistance serait une méthode de délimitation obligatoire. Dans son arrêt, la Cour constate que les Etats qui ont conclu ces accords ont agi ainsi en conformité avec une règle conventionnelle et « dans le cadre de l’application de la Convention ». Par conséquent, selon la Cour, ces accords ne peuvent pas être considérés comme précédents pour la formation d’une coutume. CI.)., Recueil 1969, § 75, p. 43.
181 I.B.S., Limits in the Seas, N° 10 (révisé), p. 5.
182 Après l’arrêt de la Cour, en 1969, pour prendre en considération les lignes de délimitation entre la République fédérale, d’une part, les Pays-Bas et le Danemark, d’autre part.
183 I.B.S., Limits in the Seas, N° 10 (révisé), p. 15.
184 Ibid., p. 6.
185 I.B.S., Limits in the Seas, N° 16.
186 I.B.S., Limits in the Seas, N° 56.
187 I.B.S., Limits in the Seas, N° 72.
188 Ibid., p. 8.
189 I.B.S., Limits in the Seas, N° 71.
190 I.B.S., Limits in the Seas, N° 91.
191 Préambule de l’Accord ; ibid.
192 Bowett, op. cit., pp. 159-160.
193 Pour ces accords, voir ci-dessus, pp. 138-139.
194 I.B.S., Limits in the Seas, N° 11.
195 I.B.S., Limits in the Seas, N° 12.
196 Voir ci-dessus, p. 65.
197 I.B.S., Limits in the Seas, N° 24.
198 Young, Richard, « Equitable Solutions for Offshore Boundaries : The 1969 Saoudi Arabia-Iran Agreement », A.J.I.L., vol. 64, 1970, p. 152. Voir aussi Oda, Shigeru, « Boundary of the Continental Shelf », Japanese Annual of International Law, vol. 12, 1968, p. 272.
199 Ibid., p. 153. Pour la construction d’une ligne de demi-effet, voir Beazley, Fricks, « Le demi-effet appliqué aux lignes d’équidistance », Revue hydrographique internationale, vol. lvi, 1979, pp. 163-170.
200 I.B.S., Limits in the Seas, N° 24, p. 3, note 1. La même définition a été donnée par le Tribunal arbitral franco-britannique, dans sa Décision de 1977, p. 233 ; voir aussi ci-dessous, pp. 181-182.
201 I.B.S., Limits in the Seas, N° 9. La Yougoslavie est Partie à la Convention de 1958 sur le plateau continental, tandis que l’Italie ne l’est pas.
202 Depuis 1974, l’Italie revendique une mer territoriale de 12 milles.
203 I.B.S., Limits in the Seas, N° 25.
204 I.B.S., Limits in the Seas, N° 1.
205 Voir ci-dessous, p. 205.
206 I.B.S., Limits in the Seas, N° 35.
207 II s’agit des archipels Anambas, Natuna-Utasa et Natuna-Besar, ainsi que de petites îles isolées.
208 I.B.S., Limits in the Seas, N° 89.
209 Depuis 1974, l’Italie réclame une mer territoriale de 12 milles ; la Tunisie réclame la même largeur depuis 1973.
210 II s’agit des écueils tunisiens des Sorelles, sises du côté tunisien de la limite.
211 Les trois points de changement de direction sur la ligne sont situés à une moyenne de 178 milles du territoire allemand et à 158 milles du territoire anglais ; I.B.S., Limits in the Seas, N° 10 (révisé).
212 Loc. cit.
213 Voir ci-dessous, p. 164. La délimitation a été effectuée au moyen de trois Accords, conclus entre 1971 et 1974. Pour leur texte, voir I.B.S., Limits in the Seas, N° 87.
214 Ibid.
215 I.B.S., Limits in the Seas, № 66.
216 I.B.S., Limits in the Seas, N° 77.
217 I.B.S., Limits in the Seas, N° 63.
218 I.B.S., Limits in the Seas, N° 62.
219 I.B.S., Limits in the Seas, N° 75. Cet Accord n’est pas ratifié par le Japon.
220 Le Japon revendique la souveraineté sur ces rochers que la Corée occupa en 1970 ; Bowett, op. cit., p. 297.
221 I.B.S., Limits in the Seas, N° 90.
222 Conforti, Benedetto et Francalanci, Gianpietro (éd.), Atlante dei Confini Sottomarini, Atlas of the Seabed Boundaries, Milan, Giuffré, 1979, p. 89. Cet Accord n’est pas encore en vigueur.
223 Rousseau, Charles, « Chronique des faits internationaux », R.G.D.I.P., vol. 81, 1977, p. 250.
224 Pour le texte de ce Traité, voir International Legal Materials, vol. 18, 1979, pp. 291-330. Une analyse exhaustive de ses dispositions est faite par Burmester, H., « The Torres Strait Treaty : Ocean Boundary Delimitation by Agreement », A.J.I.L., vol. 76, 1982, pp. 321-349.
225 Voir ci-dessous, p. 225.
226 Par exemple, l’Accord de 1969 entre l’Indonésie et la Malaisie ; voir ci-dessus, p. 154. L’archipel indonésien Anambas et plusieurs îles malaisiennes proches des côtés ont été utilisés comme points de base pour le tracé des lignes de base droites.
227 L’île de Patos (vénézuélienne), située à proximité de la côte, est prise en considération lors du tracé de la limite du plateau continental entre le Royaume-Uni et le Venezuela dans le Golfe de Paria ; voir ci-dessus, p. 152. L’Accord de 1958 entre le Bahrein et l’Arabie Saoudite prend en considération l’île de Bahrein Jazira Umm Nâsan, proche de la côte de cet Etat, toc. cit. Les îles ioniennes grecques, sises près des côtes grecques, ont été pleinement prises en considération pour le tracé de la ligne médiane convenue à l’Accord de 1977 entre la Grèce et l’Italie ; voir ci-dessus, p. 158. Les îles yougoslaves sises près des côtes yougoslaves ont été prises en considération pour le tracé de la ligne médiane convenue dans l’Accord de 1968 entre l’Italie et la Yougoslavie ; voir ci-dessus, pp. 153-154.
228 Ce même accord italo-yougoslave ignore les îles Jabuka (yougoslave) et Pianosa (italienne) sises chacune « du bon côté de la ligne médiane » mais très proches des côtes de l’Etat auquel elles appartiennent ; loc. cit.
229 II s’agit des îles Al-Kabirah et Al-Saghira, situées sur la ligne médiane entre le Bahrein et l’Arabie Saoudite, en vertu de l’Accord de 1958 entre les deux Etats. Un autre exemple serait celui de l’archipel des Adams Bridge, situé aux points d’entrée de la Baie de Palk, ignoré totalement lors du tracé de la limite du plateau continental entre l’Inde et le Sri-Lanka, en vertu de l’Accord de 1974 ; voir ci-dessus, p. 156.
230 Il s’agit des îles Farsi et Arabi selon l’Accord de 1968 entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ; voir ci-dessus, p. 152 ; des îles yougoslaves Pelagruz et Kajola aux termes de l’Accord de 1968 entre l’Italie et la Yougoslavie ; voir ci-dessus, p. 153 ; de l’île de Linosa, aux termes de l’Accord de 1971 entre l’Italie et la Tunisie ; voir ci-dessus, p. 155.
231 L’île japonaise de Tsushima, située du côté coréen de la ligne médiane a fait dévier celle-ci, en vertu de l’Accord de 1974 entre le Japon et la République de Corée ; voir ci-dessus, p. 157. Les îles Nicobar, en vertu de l’Accord de 1974 entre l’Inde et l’Indonésie ; voir ci-dessus, loc. cit.
232 Les îles Pantelleria, Lampione et Lampedusa, ont reçu un effet partiel, puisque l’Accord de 1971 entre l’Italie et la Tunisie leur accorde des zones maritimes de 12 et 13 milles ; voir ci-dessus, pp. 154-155.
233 En vertu de l’Accord de 1974 entre l’Inde et le Sri-Lanka, l’île Kachativu située du « mauvais côté » de la limite dans la Baie de Palk a été ignorée ; cependant, un droit d’accès a été accordé aux pêcheurs indiens et aux pèlerins ; voir ci-dessus, p. 156. Une solution d’enclave a été donnée aux îles australiennes situées près des côtes guinéennes aux termes de l’Accord de 1978 entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée ; voir ci-dessus, pp. 158-159.
234 Voir ci-dessus, pp. 138-139.
235 I.B.S., Limits in the Seas, N° 68.
236 I.B.S., Limits in the Seas, N° 18.c
237 Voir ci-dessus, p. 154.
238 L’île de Bornéo est divisée en deux parties : celle au nord appartient à la Malaisie, celle au sud à l’Indonésie.
239 I.B.S., Limits in the Seas, N° 1.
240 Voir ci-dessus, p. 154.
241 L’Accord du 9 juin 1965 entre la République fédérale d’Allemagne et le Danemark prend en pleine considération l’île de Sylt ; l’Accord du 1er décembre 1964 entre la République fédérale et les Pays-Bas donne plein effet à l’île de Borkum et au haut-fond découvrants Hohe Riff. I.B.S., Limits in the Seas, N° 10 (révisé), pp. 21-22.
242 Voir ci-dessous, p. 169.
243 I.B.S., Limits in the Seas, N° 10 (révisé).
244 Ibid.
245 I.B.S., Limits in the Seas, N° 64.
246 Pour une analyse, voir Gros-Espiell, Hector, « Le Traité relatif au “Rio de La Plata” et à sa façade maritime », A.F.D.I., vol. 21, 1975, p. 246.
247 Ibid., p. 248.
248 Le premier Accord date du 18 mai 1971, l’Accord supplémentaire du 9 octobre 1972 et le troisième du 12 février 1974. I.B.S., Limits in the Seas, N° 87.
249 Ce dernier pays accéda à l’indépendance le 16 septembre 1975 et accepta les frontières établies par l’Australie, son prédécesseur.
250 I.B.S., Limits in the Seas, N° 87.
251 Tel est le cas des Accords conclus entre l’Indonésie et la Malaisie ; voir ci-dessus, p. 251.
252 Voir ci-dessus, pp. 162-163.
253 Il s’agit de l’île de Daiyina, aux termes de l’Accord de 1969 entre Abu Dhabi et le Qatar ; voir ci-dessus, pp. 161-162.
254 Il s’agit de l’île Martin Garcia située dans l’embouchure du fleuve Rio de La Plata ; voir ci-dessus, p. 163.
255 Voir en ce sens Jennings, Robert, « What is International Law and How do we tell it when we see it ? », Annuaire suisse de droit international, vol. 37, 1981, p. 68.
256 Voir ci-dessous, pp. 168-169.
257 « ... [t]he law of continental shelf boundaries outside the parties to the 1958 Convention, is pure judgemade law. The supposition that the principles emerged from practice is a pure fiction. »
Jennings, op. cit., p. 68.
258 C.I.I., Affaires du Plateau continental de la mer du Nord, Mémoires, vol. i, p. 433.
259 Ibid., pp. 41-42 et vol. ii, p. 27.
260 ibid., vol. I, pp. 65-74 et pp. 418-419.
261 Ibid., pp. 422 et ss.
262 Ibid., pp. 527-528 et vol. II, pp. 144 et ss.
263 C.I.J., Recueil 1969, § 13, p. 20.
264 CI.J., Affaires du Plateau continental de la mer du Nord, Mémoires, vol. i, p. 210.
265 Ibid., pp. 364-365 et carte y annexée, et aussi p. 534.
266 Voir ci-dessus, p. 162, note 241.
267 C.I.J., Affaires du Plateau continental de la mer du Nord, Mémoires, vol. i, p. 365 et carte y annexée.
268 Plaidoirie de M. Riphagen, ibid., vol. II, p. 73.
269 Voir aussi la carte y annexée.
270 Texel, Vlieland, Terschellung, Ameland et Schiermonnikoog au large de la côte néerlandaise ; Borkum, Nordstrand, Pellworm, Hallingen, Die, Amrun, Fohr et Sylt, au large de la côte allemande ; Fanô, Mando et Röm au large de la côte danoise ; Rousseau, Ch., « Chronique des faits internationaux », R.G.DA.P., vol. 79, 1975, p. 509.
271 C.I.J., Recueil 1969, § 57, pp. 36-37 (souligné par l’auteur).
272 Voir en ce sens, Roucounas, Emmanuel, Droit international, vol. ii, L’Etat et le territoire - Droit de la mer (en grec), Athènes, Sakkoulas, 1982, p. 273.
273 C.I.J., Recueil 1969, § 83, p. 46.
274 Dans leur Compromis, les Parties avaient demandé à la Cour de leur indiquer quels étaient les principes et les règles du droit international applicables entre elles. Elles s’engageaient, en outre, à procéder à la délimitation par voie d’accord conclu conformément à la décision de la Cour. Ibid., § 2, p. 13.
275 Dans son arrêt, la Cour aboutit à la conclusion que le principe fondamental attaché à la notion du plateau continental est celui « du prolongement naturel ou de l’extension du territoire ou de la souveraineté territoriale de l’Etat sous la haute mer. » En réalité
« le titre que le droit international attribue ipso facto à l’Etat riverain sur son plateau continental procède de ce que les zones sous-marines en cause peuvent être considérées comme faisant véritablement partie du territoire sur lequel l’Etat exerce déjà son autorité : on peut dire que, tout en étant recouvertes d’eau, elles sont un prolongement, une continuation, une extension de ce territoire sous la mer. »
Ibid., § 43, p. 31.
276 Cette méthode « consiste à tracer une ligne de base droite ou, dans certains cas, une série de lignes de base droites entre les points extrêmes de la côte dont il s’agit. » Ibid., § 98, p. 52.
277 Krystyna Marek pense que la Cour se contenta simplement à
« renvoyer les parties aux négociations en vue de réaliser un accord, et [qu’]elle leur recommand[a] de se laisser guider dans ces négociations par des considérations d’équité. » « Le problème des sources du droit international dans l’arrêt sur le plateau continental de la mer du Nord », Revue belge de droit international, vol. vi, 1970, p. 71.
278 C.I.J., Recueil 1969, § 93, p. 50.
279 Pour le texte du Compromis, voir Tribunal arbitral, Décision 1977, pp. 4-8.
280 Article 2 du Compromis, ibid., p. 5.
281 Pour le texte des réserves françaises, voir Nations Unies, Traités multilatéraux pour lesquels le Secrétaire Général exerce les fonctions de dépositaire (état, au 31 décembre 1977 des signatures, ratifications, adhésions, etc.), New York, 1978, p. 542.
282 Pour le texte des objections du Royaume-Uni, voir ibid., p. 544.
283 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 22.
284 Ibid., p. 13.
285 Référence est faite à l’article 21, paragraphe 3, dont la teneur est la suivante :
« Lorsqu’un Etat qui a formulé une objection à une réserve ne s’est pas opposé à l’entrée en vigueur du traité entre lui-même et l’Etat auteur de la réserve, les dispositions sur lesquelles porte la réserve ne s’applique pas entre les deux Etats dans la mesure prévue par la réserve. »
286 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 73.
287 Ibid., p. 83.
288 ibid., p. 100.
289 Ibid., pp. 76-77.
290 C’était, en effet, l’argumentation du Royaume-Uni, qui soutenait que l’article 6 était applicable entre les Parties, et la France n’ayant pas démontré l’existence de circonstances spéciales, la délimitation devait se faire par une ligne médiane entre les îles et les côtes françaises. Ibid., p. 24.
291 Ibid., pp. 78-79.
292 Ibid., p. 79.
293 Ibid., pp. 79-80.
294 Voir ci-dessus, p. 148. Dans son arrêt de 1969, la Cour internationale de Justice avait aussi parlé de « l’exception des circonstances spéciales », C.I.J., Recueil 1969, § 55, p. 36.
295 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 80.
296 Ibid., p. 86.
297 Ibid., p. 89.
298 Ibid., p. 173.
299 Ibid., p. 91.
300 Ibid., p. 103.
301 Voir ci-dessus, pp. 169-170.
302 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 104.
303 Ibid., p. 105.
304 Loc. cit. 305
305 Ibid., p. 104.
306 Loc. cit.
307 Ibid., pp. 117-118. Le terme « homologuer » est utilisé par Queneudec, Jean-Pierre, « L’affaire de la délimitation du plateau continental entre la France et le Royaume-Uni », R.G.D.I.P., vol. 83, 1979, p. 86.
308 Tribunal arbitral, Décision 1977, pp. 137-138 ; voir aussi ci dessus, p. 37.
309 Ibid., p. 143.
310 Ibid., p. 144.
311 Ibid., p. 145.
312 Ibid., pp. 141-142.
313 Ibid., p. 143.
314 Voir ci-dessus, p. 172.
315 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 167.
316 Ibid., p. 167.
317 Ibid., p. 168.
318 L’article 2 avait la teneur suivante :
« 1. Il est demandé au Tribunal ... quel est le tracé de la ligne (ou des lignes) délimitant les parties du plateau continental qui relèvent respectivement du Royaume-Uni ainsi que des îles Anglo-normandes et de la République française... ? »
Ibid., p. 5.
319 Ibid., pp. 168-169.
320 Ibid., p. 169.
321 Ibid., p. 153.
322 Loc. cit.
323 Ibid.. pp. 174-175.
324 Ibid.. p. 176.
325 Voir ci-dessus, p. 178.
326 15.000 kilomètres carrés et 130.000 habitants.
327 Tribunal arbitra], Décision 1977, p. 178.
328 Loc. cit.
329 Ibid., p. 180. Pour le texte de cette Convention, voir Nations Unies, Recueil de Traités, vol. 581, pp. 59-75.
330 Voir ci-dessus, p. 172.
331 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 215.
332 Loc. cit.
333 Ibid., p. 196.
334 Ibid., p. 207.
335 Ibid., p. 208.
336 Ibid., p. 209.
337 Ibid., p. 217.
338 Ibid., p. 219.
339 Ibid.. p. 221.
340 Sans doute s’agit-il du cas de l’île de Khark, à laquelle on a donné un demi-effet lors de la délimitation du plateau continental entre l’Iran et l’Arabie Saoudite ; voir ci-dessus, p. 153.
341 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 223.
342 Loc. cit.
343 Voir ci-dessus, pp. 173-174.
344 Voir ci-dessus, p. 173.
345 Voir ci-dessus, p. 169
346 Zoller, Elisabeth, « L’Affaire de la délimitation du plateau continental entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord », A.F.D.I., vol. 23, p. 397, qualifie la Décision d’ » impressionniste ».
347 Ibid., pp. 405-406.
348 Voir ci-dessus, p. 168.
349 Méthode basée sur le concept de la direction générale de la côte.
350 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 222.
351 Selon Bilge, Suat, « Le nouveau rôle des principes équitables en droit international », Festschrift für Rudolf Bindschedler, Bern, Stämfli, 1980, pp. 105-127, les principes équitables font partie intégrante du droit coutumier en matière de délimitation du plateau continental.
352 Queneudec, Op. cit., p. 73.
353 Blecher, M. D., « Equitable Delimitation of the Continental Shelf », A.J.I.L., vol. 73, 1979, p. 79.
354 Bowett, op. cit., pp. 223-224.
355 Tribunal arbitral, Décision 1977, p. 177.
356 Bowett, op. cit., p. 214, dit avec raison que le Tribunal n’apporta aucune preuve de cette affirmation.
357 Zoller, op. cit., p. 403.
358 Bowett, op. cit., p. 238.
359 Ibid., p. 237.
360 Pour cette décision, voir Tribunal arbitral, République française/Royaume-Uni, Délimitation du plateau continental, Interprétation de la décision du 30 juin 1977, Décision du 14 mars 1978. La Documentation française, Paris, 1978, 124 ps.
361 Pour la composition de la Commission de conciliation, voir ci-dessus, p. 102, note 204.
362 Le texte en anglais est « ... the Parties will pay reasonable regard to them. » Commission de conciliation, Rapport, p. 3.
363 Ibid., pp. 7-8.
364 Ibid., p. 9.
365 Voir ci-dessus, pp. 100-101.
366 Commission de conciliation, Rapport, p. 9.
367 Ibid., p. 11.
368 Pour le texte de ce Rapport, voir ibid., pp. 12-35.
369 Ibid., p. 15.
370 Ibid., p. 16.
371 Ibid., pp. 25-29.
372 Ibid., pp. 36-37.
373 Ibid., p. 37.
374 Ibid.. p. 38.
375 Ibid., pp. 39-40.
376 Ibid., pp. 38-39.
377 Ibid., p. 40.
378 Ibid., p. 41.
379 Ibid., pp. 42-45.
380 Ibid., pp. 46-47.
381 Ibid., pp. 47-48.
382 Ibid., pp. 51-55. La Commission envisagea aussi le cas où un potentiel serait situé de part et d’autre de la ligne des 200 milles. Pour ce cas, elle prévoit des mesures spéciales ; ibid., pp. 55-56.
383 Ibid., pp. 54-56.
384 Ibid., p. 56.
385 Ibid., p. 36 (traduction de l’auteur).
386 Pour le texte du Compromis, voir Award in the Matter of an Arbitration Concerning the Border Between the Emirates of Dubai and Sharjah, October 19, 1981, Londres 1981 (ci-après : Sentence 1981), pp. 1-3.
387 Le Ministère des Affaires Etrangères des Emirats Arabes Unis était chargé de faire les contacts nécessaires pour la nomination des arbitres : Professeur Kenneth Simmonds, M. L. Simpson et Professeur Philippe Cahier ; ce dernier fut élu Président du Tribunal arbitral.
388 Sentence 1981, pp. 238-240.
389 Ibid., p. 242.
390 Sentence 1981, p. 239.
391 Ibid., p. 240.
392 Ibid., p. 241.
393 Ibid., p. 243.
394 Ibid., p. 244.
395 Ibid., pp. 244-245.
396 Ibid., p. 245.
397 Ibid., p. 246.
398 Ibid., p. 247.
399 Ibid., p. 248.
400 Ibid., pp. 17-18.
401 Ibid., p. 256.
402 Ibid., p. 258.
403 Ibid., p. 259.
404 Ibid., p. 260.
405 Ibid., p. 261 (traduction de l’auteur).
406 Ibid., pp. 264-265.
407 Pour cette pratique, voir ci-dessus, pp. 152-153 et pp. 161-162.
408 Les termes « avec précision » étaient contestés par la Libye dans la traduction en anglais qu’elle adressa à la Cour. Cela conduisit à une divergence de vue entre les parties concernant l’interprétation du Compromis, que la Cour trancha dans le sens de la thèse soutenue par la Tunisie, puisque, dans son arrêt, elle traça la ligne de délimitation du plateau continental entre les deux pays.
409 C.I.J., Recueil 1982, § 2, p. 21.
410 Ibid., § 15, p. 28.
411 Loc. cit.
412 Loc. cit.
413 Ibid.,§ 15, p. 31.
414 Ibid., § 87, p. 66.
415 Ibid., § 64, p. 56.
416 Ibid., § 66, p. 57.
417 Ibid., § 70, p. 59.
418 Ibid., § 50, p. 49. Pour ce texte, voir ci-dessous, p. 219.
419 Ibid.,§ 15, p. 28.
420 Ibid., § 79, p. 63.
421 Loc. cit.
422 Ibid., § 79, p. 64.
423 Voir ci-dessus, p. 203.
424 C.I.J., §§ 117-119, pp. 83-85.
425 Ibid., § 120, p. 85.
426 Ibid., § 128, p. 89.
427 Ibid., § 129, p. 89.
428 Opinion dissidente du juge Evensen ; ibid., § 17, p. 300.
429 Opinion individuelle du juge Schwebel ; ibid., § unique, p. 99.v
430 Loc. cit.
431 Opinion dissidente du juge Gros ; ibid., § 14, p. 150.
432 Opinion dissidente du juge Evensen ; ibid., § 19, p. 304.
433 Ibid., § 19, p. 303.
434 Voir en ce sens Bowett, op. cit., p. 176 ; Ely, Northcutt, « Seabed Boundaries Between Coastal States : The Effect to be Given Islets as “Special Circumstances” », The International Lawyer, vol. 6, 1972, p. 231 ; Goldie, L. F. E., « The International Court of Justice’s “Natural Prologation” and the Continental Shelf Problem of Islands », The Netherlands Yearbook of International Law, vol. 4, 1973, p. 260.
435 Opinion dissidente du juge Gros ; C.I.J., Recueil 1982, § 24, p. 156.
436 Expression utilisée par les Parties dans le compromis, voir ci-dessus, p. 202.
437 Voir ci-dessous, pp. 223 et ss.
438 « Hard core issues », selon le jargon de la Conférence.
439 Voir ci-dessus, p. 170.
440 Troisième Conférence, Documents, vol. II, p. 164.
441 Loc. cit.
442 Ibid., p. 166.
443 Ibid., p. 169.
444 Ibid., p. 178.
445 Ibid., p. 180.
446 Loc. cit.
447 Ibid., p. 182.
448 Loc. cit.
449 Ibid., p. 186.
450 Ibid., p. 187.
451 Ibid., p. 161.
452 Lot : cit.
453 Ibid., pp. 173-174.
454 Ibid., p. 176.
455 Loc. cit.
456 Ibid.. p. 177.
457 Ibid.. p. 181.
458 Ibid., p. 184.
459 Ibid.. p. 190.
460 Voir à ce titre les propositions des Etats suivants : Pays-Bas, doc. A/CONF.62/ C.2/L.14, Troisième Conférence, Documents, vol. iii, p. 222 ; Roumanie, document A/CONF.62/C.2/L.18, ibid., p. 227 ; Turquie, doc. A/CONF.62/C.2/L.23, ibid., p. 234 ; Irlande, doc. A/CONF.62/C.2/L.43, ibid., p. 255 ; quatorze Etats africains, document A/CONF.62/C.2/L.62/Rev. 1, ibid., p. 269.
461 Kenya et Tunisie, doc. A/CONF.62/C.2/L.28, ibid., p. 238 ; quatorze Etats africains, doc. A/CONF.62/C.2/L.62/Rev. 1, ibid., p. 269 ; France, doc. A/CONF.62/ C.2/L.74, ibid., p. 274.
462 Loc. cit. Voir aussi les projets des quatorze Etats africains, ibid., p. 269 ; Kenya et Tunisie, ibid., p. 238 ; Turquie, ibid., p. 234 et Roumanie, ibid., p. 227.
463 Voir ci-dessus, p. 73.
464 Troisième Conférence, Documents, vol. ii, doc. A/CONF.62/C.2/L.18, p. 227.
465 Doc. A/CONF.62/C.2/L.23, ibid., p. 234.
466 Doc. A/CONF.62/C.2/L.28, ibid., p. 238.
467 Encore que, comme on l’a vu plus haut, il existe un accord de délimitation du plateau continental entre la Tunisie et l’Italie ; voir ci-dessus, pp. 153-154.
468 Troisième Conférence, Documents, vol. iii, doc. A/CONF.62/C.2/L.74, pp. 274-275.
469 Voir ci-dessus, pp. 80-81.
470 Troisième Conférence Documents, vol. iii, doc. A/CONF.62/C.2/L.43, p. 255.
471 Doc. A/CONF.62/C.2/L.55, ibid., p. 266.
472 Doc. A/CONF.62/C.2/L.25, ibid., p. 235.
473 Doc. A/CONF.62/C.2/L.31/Rev. 1, ibid., pp. 244-245.
474 Voir ci-dessus, p. 135.
475 Troisième Conférence, Documents, vol. iii, doc. A/CONF.62/L.8/Rev. 1, Rapport des activités de la Conférence pendant la première et la deuxième sessions, appendice I, Exposé des activités de la Deuxième Commission, p. 165.
476 Troisième Conférence, Documents, vol. iv, doc. A/CONF.62/WP.8 du 7 mai 1975, art. 70, p. 163.
477 Doc. A/CONF.62/WP.10/Rev. 1, Platzoeder, Documente, Genfer Session 1979, Band I, pp. 17-198.
478 Doc. NG 7/44 (du 20 août 1979), ibid., New Yorker Session 1979, vol. II, p. 292.
479 Loc. cit.
480 Voir ci-dessus, pp. 178-179.
481 Caflisch, « Les zones maritimes... », op. cit., p. 94.
482 Troisième Conférence, Documents, vol. xiii, p. 85.
483 Voir l’intervention du représentant de l’Irlande lors de la séance plénière du 28 juillet 1980, doc. A/CONF.62/SR.130, p. 18.
484 Voir ci-dessous, p. 220.
485 La proposition originale comportait certaines imperfections rédactionnelles, rectifiées par le Comité de rédaction de la Conférence. Troisième Conférence, document A/CONF.62/WP.11.
486 Interventions des présidents (représentants d’Irlande et d’Espagne) des deux groupes qui déclarèrent que la suggestion du Président les satisfaisait. Troisième Conférence, doc. A/CONF.62/SR.154 du 1er septembre 1981, p. 2.
487 Ibid., pp. 3-9.
488 Doc. A/CONF.62/L.120 du 13 avril 1982.
489 Caflisch, op. cit., p. 96, note 169.
490 Doc. A/CONF.62/SR.176 (version anglaise provisoire), pp. 7-8. Voir aussi Caflisch, op. cit., pp. 97-98.
491 Pour les différends qui séparent ces deux Etats et leurs voisins, voir ci-dessus, pp. 128-129.
492 Doc. A/CONF.62/SR.182 (provisoire), pp. 9-10.
493 Voir ci-dessus, p. 169, note 274.

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