Conclusions de la deuxième partie
p. 98-102
Texte intégral
1Le problème traité dans cette Partie était celui de savoir si et dans quelles conditions les îles, telles qu’elles ont été définies dans la Première partie, ont droit à des zones maritimes propres, et le cas échéant, lesquelles.
2Les conclusions auxquelles nous sommes parvenus peuvent se résumer comme suit :
1. Les eaux intérieures
3a) Malgré le silence de l’article 121 de la Convention de 1982 sur le droit de la mer, les îles ont des eaux intérieures comme les territoires continentaux, l’article 8 de la Convention s’appliquant aussi aux îles. Cette conclusion est également valable pour la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë.
4b) L’article 6 de la Convention de 1982 permettra aux Etats insulaires possédant des atolls et des îles bordées de récifs frangeants de soumettre au régime des eaux intérieures une surface d’eau plus grande que celle à laquelle ils avaient droit aux termes de la Convention de 1958. Cependant, comme il a été noté plus haut, le système actuel ne prévoit pas, du moins explicitement, la faculté pour l’Etat possédant des atolls de tracer des lignes de base droites à travers les îles extérieures pour enfermer les eaux du lagon. Ces Etats pourraient, néanmoins, appliquer par analogie le système des lignes de base droites prévu à l’article 7 de la nouvelle Convention. Dans ce cas, certaines difficultés peuvent surgir, lorsqu’il s’agit d’une formation atollienne consistant en plusieurs îles centrales ; la plus importante de ces difficultés étant l’absence de « côte » continue.
2. La mer territoriale et la zone contiguë
5a) A l’instar des territoires continentaux, les îles ont droit à une mer territoriale ce qui n’est pas le cas des hauts-fonds découvrants, même ceux sur lesquels un phare ou une autre installation a été construit. En revanche, si un haut-fond découvrant est situé à une distance de la côte d’une terre découverte en permanence qui ne dépasse pas la largeur de la mer territoriale, l’Etat côtier peut le prendre en considération pour le tracé de la limite extérieure de sa mer territoriale ; à l’endroit où est situé le haut-fond, la limite sera alors reportée vers le large en formant une saillie, de manière à englober la mer territoriale du haut-fond en question.
6L’origine de ces règles doit être recherchée dans la pratique de certains Etats maritimes et dans la jurisprudence interne ; leur acceptation sur le plan international est le fruit des efforts de codification déployés par les sociétés savantes, des écrits d’auteurs comme Gidel et des travaux de la Conférence de 1930 sur la codification des règles concernant la mer territoriale. En effet, ces règles ont toutes été insérées dans les documents finals de la Conférence de 1930 pour être reportées ensuite dans la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë.
7C’est à partir de 1958 que se développa une pratique étatique uniforme sous forme d’actes législatifs internes appliquant ces règles. Cette pratique permet d’affirmer que les règles en question ont acquis force de coutumes. Cette affirmation est corroborée par le fait que ces règles ont été incorporées sans modifications majeures dans la Convention de 1982 sur le droit de la mer. En effet, malgré l’effort de certains Etats d’introduire des innovations, par exemple la distinction entre différents types d’îles, les règles de la Convention de 1982 relatives à la mer territoriale des îles demeurent celles figurant dans la Convention de 1958 sur la mer territoriale et la zone contiguë.
8b) Une innovation qu’il convient de signaler concerne le tracé de la limite extérieure de la mer territoriale des atolls ainsi que des îles bordées de récifs frangeants. Cette innovation, qui figure à l’article 6 de la Convention de 1982, consiste à utiliser, pour tracer cette limite, toutes les élévations ayant le caractère juridique de hauts-fonds découvrants indépendamment de la distance qui les sépare de la côte de l’île principale, découverte en permanence.
3. La zone économique exclusive
9La naissance de l’institution de la zone économique est un phénomène extraordinaire. Alors qu’on a voulu introduire cette institution au moyen d’un texte conventionnel – la nouvelle Convention sur le droit de la mer – la pratique a déjà dépassé cette volonté : la zone économique, grâce aux actions unilatérales des Etats et à la négociation menée au sein de la Troisième Conférence sur le droit de la mer, est devenue une institution coutumière in statu nascendi, avant même d’acquérir un statut conventionnel. La négociation au sein de la Conférence, fondée sur l’idée d’un package deal, agréé par consensus, a abouti à la Convention de 1982 sur le droit de la mer, dont la valeur juridique actuelle varie suivant les dispositions envisagées. Celles concernant le régime de la zone économique exclusive ont, en tout cas, acquis un haut degré d’acceptation.
10Quant au point de savoir si les îles ont droit à une zone économique exclusive propre, l’examen de la pratique étatique interne révèle que les Etats possédant des îles proclament une zone économique autour de leur territoire terrestre, aussi bien qu’autour de ces îles, sans pour autant distinguer entre différents types d’îles.199
11L’article 121 de la Convention de 1982 sur le droit de la mer va à l’encontre de cette pratique. Le chiffre 2 de cette disposition, il est vrai, énonce une règle générale suivant laquelle la zone économique des îles est délimitée conformément aux dispositions de la Convention applicables aux autres territoires continentaux ; le principe qu’une île a droit à une zone économique exclusive est donc accepté. Le chiffre 3 de l’article 121 introduit cependant une exception à cette règle : seront privés de zone économique exclusive les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre.
12On a déjà exposé plus haut200 les difficultés auxquelles se heurte la définition des rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre. On se contentera ici d’examiner la valeur juridique de la règle contenue à l’article 121, chiffre 3. Deux questions se posent :
La règle en question a-t-elle une valeur conventionnelle ? Pour l’instant, malgré le fait que la Conférence ait adopté et signé la Convention, celle-ci n’est pas encore en vigueur. La règle n’aura, en conséquence, une valeur conventionnelle pour les Etats Parties à la Convention qu’au moment de l’entrée en vigueur de cette dernière, après sa ratification par le nombre requis d’Etats (soixante).
La règle a-t-elle un caractère coutumier ? La réponse à cette deuxième question est plus difficile. La pratique des Etats (actes législatifs internes) ne fait pas de distinction entre les différentes catégories d’îles. L’article 121, chiffre 3, est le résultat typique d’une négociation difficile fondée sur le consensus, dans le sens qu’il représente une tentative de concilier les deux tendances qui se sont manifestées au sein de la Conférence : l’une consistait, on l’a vu, à attribuer une zone économique à toutes les îles, alors que l’autre favorisait l’introduction d’un nombre exagéré de critères qui auraient abouti, s’ils avaient été acceptés, à priver presque toute île d’une zone économique. La formulation générale de l’article 121, chiffre 2, satisfait les tenants de la première tendance, le chiffre 3, ayant retenu deux des critères proposés, satisfait les partisans de la seconde.
13Il convient de noter, cependant, que le chiffre 2 de l’article 121 énonce une règle de droit international général en voie de formation, alors que tel n’est pas le cas du chiffre 3, qui n’aura qu’un caractère purement conventionnel pour les Etats Parties à cette Convention.
4. Le plateau continental
14L’article 121, chiffres 2 et 3, de la Convention de 1982 sur le droit de la mer s’applique aussi au plateau continental des îles. On doit toutefois faire remarquer que la règle suivant laquelle une île a droit à un plateau continental propre a un caractère coutumier certain. Cette règle est en effet contenue à l’article 1er de la Convention de 1958 sur le plateau continental, article que la Cour internationale de Justice a considéré
« comme consacrant ou cristallisant des règles de droit international coutumier relatives au plateau continental, règles établies ou du moins en voie de formation et visant notamment la question de l’étendue du plateau continental vers le large… »201
15Cette conclusion est par ailleurs corroborée par la pratique des Etats en la matière, pratique dans laquelle il n’est jamais question d’une distinction entre différents types d’îles.
16En dépit de cette situation, l’article 121 de la Convention prive les rochers ne se prêtant pas à l’habitation humaine ou à une vie économique d’un plateau continental propre. Quelques commentaires s’imposent à ce propos : cette règle dérogera conventionnellement à la coutume existante. Cela signifie qu’elle ne sera applicable qu’à titre conventionnel et entre les Parties à la Convention. Quant à la règle coutumière, elle continuera à être valable pour les tiers. D’autre part, il n’est pas exclu que cette disposition devienne une règle coutumière, par le biais d’une participation généralisée à la Convention, ou, si cette participation n’est pas suffisante, à condition d’une pratique générale des Etats non Parties à la Convention et qui sera accompagnée d’une opinio juris.
17Sur ce point, il convient de mentionner que dans son Rapport relatif à la Délimitation du plateau continental de Jan Mayen202, la Commission de conciliation entre la Norvège et l’Islande déclara que l’article 121 du Projet de convention sur le droit de la mer « reflète l’état actuel du droit international en la matière. »203 Comme on vient de le démontrer, c’est aller trop loin et trop vite. Cette déclaration dont le caractère absolu peut s’expliquer par le fait que tous les membres de la Commission ont participé activement aux travaux de la Troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer204, n’est exacte qu’en ce qui concerne les chiffres premier et 2 de l’article 121 ; elle ne l’est pas au regard du chiffre 3.
Notes de bas de page
199 A l’exception toutefois du Mexique; voir ci-dessus, p. 80.
200 Voir ci-dessus, pp. 83-84.
201 C.I.J., Recueil 1969, § 63, p. 39.
202 Report and Recommendations to the Governments of Iceland and Norway of the Conciliation Commission on the Continental Shelf Area between Iceland and Jan Mayen, Washington, D.C., 1981 (ci-après : Commission de conciliation, Rapport). Pour une analyse détaillée, voir ci-dessous, pp. 188 et ss.
203 Commission de conciliation, Rapport, p. 9.
204 M. Hans Andersen était le conciliateur pour l’Islande, M. Jens Evensen le conciliateur pour la Norvège; la Commission de conciliation était présidée par M. Eliott L. Richardson, ancien chef de la délégation des Etats-Unis à la Troisième Conférence sur le droit de la mer.

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